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22/11/2018 | CJUE | N°T-603/16

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Zoher Brahma contre Cour de justice de l'Union européenne., 22/11/2018, T-603/16


ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

22 novembre 2018 ( *1 )

« Fonction publique – Fonctionnaires stagiaires – Période de stage – Prolongation de la durée du stage – Licenciement à la fin du stage –Article 34 du statut – Détournement de pouvoir – Obligation de motivation – Article 25, paragraphe 2, du statut – Droit d’être entendu – Article 90, paragraphe 2, du statut – Responsabilité – Exigences de forme – Règle de concordance entre la requête et la réclamation – Recevabilité – Préjudice matériel – P

réjudice moral – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑603/16,

Zoher Brahma, demeurant à Thionville (France), représenté par ...

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

22 novembre 2018 ( *1 )

« Fonction publique – Fonctionnaires stagiaires – Période de stage – Prolongation de la durée du stage – Licenciement à la fin du stage –Article 34 du statut – Détournement de pouvoir – Obligation de motivation – Article 25, paragraphe 2, du statut – Droit d’être entendu – Article 90, paragraphe 2, du statut – Responsabilité – Exigences de forme – Règle de concordance entre la requête et la réclamation – Recevabilité – Préjudice matériel – Préjudice moral – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑603/16,

Zoher Brahma, demeurant à Thionville (France), représenté par Me A. Tymen, avocat,

partie requérante,

contre

Cour de justice de l’Union européenne, représentée initialement par M. J. Inghelram et Mme L. Tonini Alabiso, puis par MM. Inghelram et Á. Almendros Manzano, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 17 juillet 2015 par laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a décidé de ne pas titulariser le requérant et de procéder à son licenciement avec effet au 31 juillet 2015 ainsi que de la décision du 16 mars 2016 du comité chargé des réclamations rejetant la réclamation du requérant à l’encontre de la décision du 17 juillet 2015 et, d’autre part, à la réparation du préjudice
matériel et moral que le requérant aurait prétendument subi à la suite de ces décisions,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : Mme M. Marescaux, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 13 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

[omissis]

III. En droit

A.   Sur la demande en annulation

[omissis]

8. Sur le premier moyen, tiré de la violation de la durée maximale de stage autorisée en vertu de l’article 34 du statut

182 Le requérant allègue que la durée de son stage a dépassé la durée maximale de 15 mois autorisée par l’article 34 du statut et que ce dépassement entraîne l’annulation de la décision de non-titularisation et sa titularisation. Selon le requérant, les 7 mois durant lesquels il a été en arrêt maladie n’affectent pas le calcul de la durée de son stage, de sorte que son stage aurait duré 16,5 mois au lieu des 15 mois au plus autorisés par l’article 34 du statut.

183 En outre, le requérant considère que tant la décision de non-titularisation que le premier rapport de stage ont été adoptés après l’expiration de la période de stage, ce qui violerait l’article 34 du statut. Comme la Cour de justice de l’Union européenne n’aurait pas manifesté son intention de licencier le requérant avant la fin de son stage, il estime pouvoir prétendre à une titularisation. De surcroît, le requérant considère que, en réalité, sa période de stage a été prolongée jusqu’au 5 mai
2015, date de la rédaction du second rapport de stage, de sorte que sa période de stage aurait duré plus de 17 mois. Il y aurait donc également eu, pour ces motifs, une violation de l’article 34, paragraphe 4, du statut justifiant l’annulation de la décision de non-titularisation.

184 La Cour de justice de l’Union européenne conteste avoir violé l’article 34 du statut. Elle estime que l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, du statut doit être interprété en tenant compte non seulement des termes de celui-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie. Or, il ressortirait du contexte de cette disposition que la période de stage doit être de minimum neuf mois. De plus, l’objectif de cette disposition
serait de permettre d’apprécier l’aptitude et le comportement du fonctionnaire stagiaire afin que le recrutement puisse assurer à l’institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité.

185 Selon la Cour de justice de l’Union européenne, le cas d’espèce serait un cas spécifique non prévu par le législateur de l’Union lorsqu’il a adopté l’article 34 du statut. La très longue période de maladie de sept mois du requérant durant la période initiale de stage l’aurait empêché de bénéficier de la période de stage minimale de neuf mois si le stage n’avait été prolongé que de six mois pour atteindre quinze mois au total. Selon la Cour de justice de l’Union européenne, si le stage avait été
prolongé jusqu’au 28 février 2015, soit quinze mois après la date du début du stage du requérant, ce dernier n’aurait été évalué que sur une période de huit mois. La thèse soutenue par le requérant, si elle était retenue, sacrifierait l’objectif visé par la fixation d’une durée minimale du stage, à savoir garantir, au vu de l’article 27 du statut, que seulement un fonctionnaire stagiaire ayant démontré qu’il possédait les plus hautes qualités puisse être titularisé. En outre, ladite thèse
pourrait conduire, dans un cas comme celui en l’espèce, à ce que l’AIPN soit obligée de licencier un fonctionnaire stagiaire au motif qu’il n’a pas pu démontrer posséder lesdites qualités, alors que celui-ci aurait pu, le cas échéant, le faire s’il avait effectivement disposé d’une période de neuf mois de stage. Une telle conséquence serait clairement contraire aux intérêts des fonctionnaires stagiaires ayant subi une interruption involontaire de leur stage pour les causes prévues à
l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut et les discriminerait eu égard aux fonctionnaires stagiaires ayant pu bénéficier d’un stage de neuf mois, voire d’un stage allant jusqu’à quinze mois. Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne souligne que le requérant a reconnu, dans les observations sur le premier rapport de stage, qu’il avait un intérêt à ce que son stage soit prolongé au-delà de la durée maximale de quinze mois et qu’il n’a pas contesté la décision de
prorogation prise le 1er octobre 2014.

186 En tout état de cause, la Cour de justice de l’Union européenne estime que, à supposer même que la durée du stage du requérant n’ait pas été conforme à l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, cette irrégularité ne pourrait pas, en tant que telle, entraîner la titularisation du requérant ou invalider la décision de non-titularisation sans qu’il soit tenu compte de ses qualités professionnelles.

187 S’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle la véritable période de stage s’est même prolongée jusqu’au 5 mai 2015, la Cour de justice de l’Union européenne estime que le second rapport de stage évalue le comportement du requérant jusqu’au 15 avril 2015, en conformité avec la décision de proroger le stage jusqu’à cette date. Par ailleurs, elle considère qu’un retard dans l’établissement du rapport de fin de stage ne peut mettre en cause la validité du rapport ou, le cas échéant, de la
décision de non-titularisation du fonctionnaire concerné.

188 Au vu des arguments des parties, il convient de rappeler que le requérant a débuté son stage le 1er décembre 2013, qu’il a été en arrêt maladie du 13 janvier 2014 au 17 août 2014 et que, par décision du 1er octobre 2014, son stage a été prolongé jusqu’au 15 avril 2015 en raison de son congé de maladie. Le requérant déduit de ces faits que sa période de stage s’est étendue du 1er décembre 2013 au 15 avril 2015 et, donc, que son stage a duré 16,5 mois.

189 Suivant les termes de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, la durée totale du stage ne peut en aucun cas dépasser quinze mois. Selon une interprétation littérale de cette disposition, aucun empêchement du fonctionnaire stagiaire d’exercer ses fonctions au cours de son stage ne justifie une prorogation de la durée de son stage au-delà de quinze mois à compter de la date du début de son stage.

190 Ni le contexte ni les objectifs poursuivis par le statut, qui doivent également être pris en compte pour l’interprétation d’une de ses dispositions (voir, en ce sens, arrêts du 18 novembre 1999, Pharos/Commission, C‑151/98 P, EU:C:1999:563, point 19, et du 14 juillet 2016, Lettonie/Commission, T‑661/14, EU:T:2016:412, point 39 et jurisprudence citée), n’infirment cette interprétation de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut.

191 S’agissant de l’objectif poursuivi par l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, il a été jugé que la fixation d’une durée maximale du stage a pour finalité, d’une part, de limiter, dans l’intérêt de l’administration comme du fonctionnaire stagiaire, la période pendant laquelle la relation d’emploi est affectée par une certaine précarité et, d’autre part, de déterminer la période au titre de laquelle la manière de servir du fonctionnaire doit être appréciée par l’AIPN (arrêt du
14 février 2007, Fernández Ortiz/Commission, F‑1/06, EU:F:2007:25, point 53).

192 Cet objectif confirme l’interprétation susmentionnée de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut. En effet, en fixant, indépendamment des empêchements du fonctionnaire stagiaire, la durée maximale de son stage à quinze mois – à compter du début de celui-ci –, le statut limite dans le temps, de manière absolue, dans l’intérêt de la sécurité juridique, la relation d’emploi précaire entre le stagiaire et l’administration et détermine la période maximale pouvant être prise en compte par
l’AIPN pour apprécier la manière de servir du fonctionnaire.

193 L’interprétation de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, reprise ci-dessus, n’est pas remise en cause par le double objectif du stage, à savoir permettre durant la période de stage, d’une part, aux institutions de vérifier si elles recrutent des fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité conformément aux exigences de l’article 27 du statut (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2014, DH/Parlement, F‑4/14, EU:F:2014:241, point 52)
et, d’autre part, aux fonctionnaires stagiaires de démontrer leurs aptitudes à s’acquitter des attributions que comportent leurs fonctions ainsi que leur rendement et leur conduite dans le service (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1997, Rozand-Lambiotte/Commission, T‑96/95, EU:T:1997:25, point 95, et du 18 octobre 2007, Krcova/Cour de justice, F‑112/06, EU:F:2007:178, point 48). En effet, ces objectifs de vérification et de démonstration des aptitudes du fonctionnaire stagiaire n’excluent pas
que la période pour leur réalisation soit limitée dans le temps. Même lorsque, au cours de la période de stage, le fonctionnaire stagiaire est empêché d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie, d’un congé de maternité ou d’un accident, les objectifs de démonstration et de vérification des aptitudes du fonctionnaire stagiaire ne peuvent justifier une absence de durée maximale pour la période de stage dès lors que ces objectifs doivent se concilier avec l’intérêt légitime de la sécurité
juridique. Cet intérêt fonde l’imposition expresse par le législateur d’une durée maximale pour la période de stage.

194 S’agissant du contexte, l’article 34, paragraphe 1, premier alinéa, du statut ne s’oppose pas à l’interprétation faite au point 189 ci-dessus du second alinéa de cette même disposition.

195 L’article 34, paragraphe 1, premier alinéa, du statut prévoit que tout fonctionnaire est tenu d’effectuer un stage de neuf mois avant de pouvoir être titularisé.

196 S’il est exact que cette disposition prévoit que la période de stage a, en principe, une durée de neuf mois, il ne peut en être déduit, comme le fait toutefois la Cour de justice de l’Union européenne, que la période au cours de laquelle le fonctionnaire stagiaire doit pouvoir démontrer ses aptitudes et l’administration les évaluer est de minimum neuf mois.

197 En effet, en vertu de l’article 34, paragraphe 3, du statut, le rapport sur l’aptitude du stagiaire doit être établi au plus tard un mois avant l’expiration de la période de stage. Ce rapport, qui sert de fondement pour la décision de titularisation ou de licenciement du fonctionnaire stagiaire, a donc nécessairement trait à l’aptitude dudit fonctionnaire stagiaire au cours d’une période inférieure à neuf mois. L’absence de prise en compte des aptitudes du fonctionnaire stagiaire au cours de
cette période de stage postérieure à l’établissement du rapport de stage ne suffit, en principe, pas à affecter la validité de la décision quant à la titularisation ou non du fonctionnaire stagiaire.

198 De même, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, l’AIPN a la faculté de (peut) proroger la durée de stage de neuf mois visée au premier alinéa de cette disposition lorsque, au cours de cette durée, le fonctionnaire stagiaire est empêché d’exercer ses fonctions pour une période continue d’un mois ou plus en raison d’une maladie, d’un congé de maternité ou d’un accident. Il s’ensuit que lorsque l’AIPN refuse, dans l’exercice de sa large marge d’appréciation et pour des
motifs valables tenant à l’aptitude, au rendement ou à la conduite dans le service du fonctionnaire stagiaire, une telle prorogation nonobstant la circonstance que le fonctionnaire stagiaire a été empêché d’exercer ses fonctions au cours de son stage pendant une période continue d’un mois ou plus, les aptitudes dudit fonctionnaire stagiaire doivent être démontrées et appréciées au cours d’une période inférieure à neuf mois.

199 En outre, toujours en application l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, lorsque l’empêchement du fonctionnaire stagiaire d’exercer ses fonctions couvre une période inférieure à un mois ou ne constitue pas une période continue d’au moins un mois, l’AIPN ne peut pas prolonger la période de stage de neuf mois nonobstant ledit empêchement. Dans un tel cas, les aptitudes dudit fonctionnaire stagiaire doivent également être démontrées et appréciées au cours d’une période inférieure à
neuf mois.

200 Enfin, l’article 34, paragraphe 2, du statut permet à l’AIPN d’établir un rapport de stage à tout moment, avant la fin du stage, en cas d’incompétence manifeste du fonctionnaire stagiaire, de sorte que, dans une telle hypothèse, l’aptitude du fonctionnaire stagiaire aura été évaluée au cours d’une période de stage inférieure à neuf mois.

201 Ainsi, si un fonctionnaire stagiaire est tenu d’effectuer un stage de neuf mois pour pouvoir être titularisé, il n’est pas requis qu’il exerce effectivement ses fonctions pendant toute la durée de neuf mois et que la démonstration et l’appréciation de ses aptitudes ait trait à l’exercice effectif de ses fonctions pendant une durée minimale de neuf mois. Un fonctionnaire stagiaire n’a pas un droit à neuf mois pleins au cours desquels il pourrait faire ses preuves (conclusions de l’avocat général
Warner dans l’affaire van de Roy/Commission, 92/75, EU:C:1976:19, p. 357). Il est uniquement en droit d’exiger que lui soit donnée la possibilité de démontrer ses aptitudes (voir, en ce sens, arrêt du 1er avril 1992, Kupka-Floridi/CES, T‑26/91, EU:T:1992:53, point 44 et jurisprudence citée). Partant, l’article 34, paragraphe 1, premier alinéa, du statut ne s’oppose pas à l’interprétation reprise au point 189 ci-dessus du second alinéa de cette même disposition.

202 En l’espèce, force est de constater que le stage du requérant a débuté le 1er décembre 2013, de sorte que, en application de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut, il devait se terminer au plus tard le 28 février 2015. La Cour de justice de l’Union européenne n’a ni allégué qu’il ne lui aurait pas été possible d’apprécier les aptitudes du requérant au cours de cette période, ni remis en cause la légalité de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut. Partant, en
prorogeant la durée du stage du requérant jusqu’au 15 avril 2015 en raison de son absence pour cause de maladie pendant sept mois au cours de la période de stage, la Cour de justice de l’Union européenne a violé l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut.

203 Cette appréciation n’est pas remise en cause par la circonstance avancée par la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle le requérant n’a pas contesté la décision du 1er octobre 2014 prolongeant la durée de son stage jusqu’au 15 avril 2015 en raison de son absence pour cause de maladie au cours de sa période de stage initiale. En effet, un acte intermédiaire n’est pas susceptible de recours s’il est établi que l’illégalité attachée à cet acte pourra être invoquée à l’appui d’un
recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d’élaboration [voir ordonnance du 14 mai 2012, Sepracor Pharmaceuticals (Ireland)/Commission, C‑477/11 P, non publiée, EU:C:2012:292, point 57 et jurisprudence citée]. Or, la décision du 1er octobre 2014 constitue un acte d’élaboration de la décision de non-titularisation et la violation de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut peut être invoquée à l’appui d’un recours dirigé contre ladite décision définitive qui
fait grief au requérant et qu’il a attaquée en l’espèce.

204 Par ailleurs, le requérant déduit, à tort, de l’adoption du second rapport de stage et de la décision de non-titularisation après le délai de stage maximal de quinze mois une prolongation automatique de son stage jusqu’à la date d’adoption desdites décisions. En effet, une telle interprétation est contraire à la durée maximale de stage autorisée par l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut. Si, en principe, le rapport de stage doit être adopté un mois avant la fin de la période de
stage afin que la décision de titularisation ou de licenciement du fonctionnaire stagiaire coïncide, dans toute la mesure du possible, avec la date d’expiration de la période de stage ou de sa prolongation, l’adoption de ces actes après la durée du stage n’affecte pas leur validité et n’entraîne pas une prorogation implicite de la durée du stage jusqu’au jour de leur adoption. Ainsi, il a été jugé qu’un retard dans l’établissement du rapport de fin de stage, s’il constitue une irrégularité au
regard des exigences du statut, ne saurait, aussi regrettable qu’il soit, mettre en cause la validité du rapport ou, le cas échéant, de la décision par laquelle l’institution licencie le stagiaire ou en prolonge le stage (arrêts du 12 juillet 1973, di Pillo/Commission, 10/72 et 47/72, EU:C:1973:84, point 5 ; du 8 octobre 1981, Tither/Commission, 175/80, EU:C:1981:221, point 13, et du 11 décembre 2014, CZ/AEMF, F‑80/13, EU:F:2014:266, point 35). Le délai d’un mois en cause ne constitue pas un
délai de préavis, mais vise à garantir que le stagiaire puisse faire valoir ses observations avant que l’institution ne prenne une décision relative au maintien en fonctions ou non de celui-ci à une date coïncidant, dans la mesure du possible, avec celle de l’expiration de la période de stage (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2014, CZ/AEMF, F‑80/13, EU:F:2014:266, point 35).

205 Pour les motifs qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier moyen tiré d’une violation de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut.

206 Il s’ensuit que la décision de non-titularisation du requérant doit être annulée. En effet, cette décision se fonde sur des éléments postérieurs au 28 février 2015, date à laquelle le stage du requérant aurait dû prendre fin en application de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut. Or, cette disposition établit une condition de fond d’une titularisation, puisqu’elle détermine la période au titre de laquelle la manière de servir du fonctionnaire stagiaire doit être appréciée par
l’administration en vue de la titularisation ou non dudit fonctionnaire. Les éléments postérieurs au 28 février 2015 pris en compte par l’AIPN constituent donc, nécessairement, le fondement factuel sur la base duquel elle a exercé sa large marge d’appréciation pour décider de ne pas titulariser le requérant.

207 Ainsi, il ressort du second rapport de stage fondant la décision de non-titularisation que le comportement du requérant, lors de l’organisation de l’audience du 18 mars 2015, a été pris en compte afin d’illustrer son absence de faculté de discernement et de bon sens et ses difficultés à s’adapter à des situations qui ne relèvent pas de la routine. Ce même comportement a servi dans le second rapport de stage d’illustration de l’incidence négative de sa participation sur les conditions de travail
au sein de son service. L’absence inexpliquée du requérant au cours d’anglais du 24 mars 2015 et le nombre de régularisations faites dans le système de gestion du temps de travail concernant le requérant, au cours de la période allant du 1er janvier au 17 avril 2015, ont été pris en compte dans le second rapport de stage pour démontrer les difficultés à s’organiser du requérant et l’impact que cela a eu sur l’encadrement. Le rythme de réalisation des transcrits d’audience par le requérant entre
le 27 mars et le 27 avril 2015, son absence du bureau le 17 avril 2015, et les audiences des 10 et 17 mars 2015 auxquelles il a assisté ont été pris en compte dans le second rapport de stage pour apprécier la quantité de ses prestations. De plus, l’appréciation de la conduite du requérant dans le service et, en particulier, de l’absence de conditions pour inciter les supérieurs du requérant à lui accorder leur confiance a été faite dans le second rapport de stage sur la base du nombre de
régularisations dans le système de gestion du temps de travail entre le 1er janvier et le 17 avril 2015, sur la base des problèmes de pointage des horaires rencontrés par le requérant les 24 mars et 14 avril 2015 et sur la base des demandes de congé sans en référer préalablement à son supérieur pour la semaine du 20 avril 2015. Enfin, le second rapport de stage s’est fondé sur le comportement du requérant lors de la préparation de l’audience du 18 mars 2015 pour illustrer sa difficulté à
travailler en équipe et le caractère inapproprié de son attitude dans les relations humaines.

208 Il s’ensuit également que la décision de rejet de la réclamation doit être annulée dès lors que le comité chargé des réclamations a estimé qu’il n’y avait pas eu de violation de l’article 34, paragraphe 1, second alinéa, du statut.

209 L’AIPN et le comité chargé des réclamations jouissant d’un large pouvoir d’appréciation pour apprécier les aptitudes et les prestations d’un fonctionnaire en période de stage selon l’intérêt du service, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation à celle de l’administration en ce qui concerne le résultat d’un stage et les aptitudes d’un candidat à une nomination définitive dans le service public de l’Union, son contrôle se limitant à vérifier l’absence d’erreur manifeste
d’appréciation ou de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 1982, Munk/Commission, 98/81, EU:C:1982:111, point 16 ; du 5 avril 1984, Alvarez/Parlement, 347/82, EU:C:1984:147, point 16, et du 5 mars 1997, Rozand-Lambiotte/Commission, T‑96/95, EU:T:1997:25, point 112).

210 Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence établie qu’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre du contrôle de la légalité visé à l’article 263 TFUE, de substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89 et jurisprudence citée). Tel est également le cas dans le cadre du contrôle de légalité opéré par le Tribunal en vertu de l’article 270 TFUE (voir, en ce sens,
arrêt du 15 janvier 2014, Stols/Conseil, T‑95/12 P, EU:T:2014:3, point 29 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’il n’appartient pas au Tribunal de juger si les appréciations contenues dans la décision de non-titularisation ayant trait à la période de stage effectuée entre le 1er décembre 2013 et le 28 février 2015 suffisent à justifier la décision de non-titularisation du requérant.

211 Par conséquent, pour les motifs repris ci-dessus, les décisions de non-titularisation et de rejet de la réclamation doivent être annulées.

212 Contrairement à ce qu’avance le requérant, l’annulation de ces décisions ne peut toutefois pas entraîner sa titularisation. En effet, la titularisation d’un fonctionnaire ne peut se faire que dans les formes et les conditions prévues au statut (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 1970, Fournier/Commission, 18/69, EU:C:1970:37, point 8). Or, aucune disposition du statut ne sanctionne le dépassement dudit délai par une titularisation sans évaluation. Un fonctionnaire stagiaire ne peut, dès lors,
être titularisé par le seul effet de l’expiration de son stage (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2007, Fernández Ortiz/Commission, F‑1/06, EU:F:2007:25, point 53).

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision du greffier de la Cour de justice de l’Union européenne, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination, du 17 juillet 2015 licenciant M. Zoher Brahma à l’issue de son stage, avec effet au 31 juillet 2015, est annulée.

  2) La décision du comité chargé des réclamations du 16 mars 2016 rejetant la réclamation contre la décision du greffier de la Cour de justice de l’Union européenne, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination, du 17 juillet 2015 licenciant M. Brahma à l’issue de son stage, avec effet au 31 juillet 2015, est annulée.

  3) Le recours est rejeté pour le surplus.

  4) La Cour de justice de l’Union européenne est condamnée aux dépens.

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

  Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2018.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : T-603/16
Date de la décision : 22/11/2018
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé, Recours de fonctionnaires - irrecevable, Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Fonction publique – Fonctionnaires stagiaires – Période de stage – Prolongation de la durée du stage – Licenciement à la fin du stage – Article 34 du statut – Détournement de pouvoir – Obligation de motivation – Article 25, paragraphe 2, du statut – Droit d’être entendu – Article 90, paragraphe 2, du statut – Responsabilité – Exigences de forme – Règle de concordance entre la requête et la réclamation – Recevabilité – Préjudice matériel – Préjudice moral – Lien de causalité.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Zoher Brahma
Défendeurs : Cour de justice de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Kreuschitz

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2018:820

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