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20/06/2018 | CJUE | N°T-325/16

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, České dráhy a.s. contre Commission européenne., 20/06/2018, T-325/16


ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

20 juin 2018 ( *1 )

« Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Proportionnalité – Absence de caractère arbitraire – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Sécurité juridique – Confiance légitime – Droit au respect de la vie privée – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑325/16,

České dráhy, a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes K. Muzikář, J. Kindl et V. Kuča, avocats

,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi, A. Biolan, G. Meessen, Mmes P. Němečková et M. ...

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

20 juin 2018 ( *1 )

« Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Proportionnalité – Absence de caractère arbitraire – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Sécurité juridique – Confiance légitime – Droit au respect de la vie privée – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑325/16,

České dráhy, a.s., établie à Prague (République tchèque), représentée par Mes K. Muzikář, J. Kindl et V. Kuča, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi, A. Biolan, G. Meessen, Mmes P. Němečková et M. Šimerdová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2016) 2417 final de la Commission, du 18 avril 2016, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40156 – Falcon),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, R. Barents et J. Passer (rapporteur), juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 26 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1 La requérante, České dráhy, a.s., est une société anonyme. Cette société est le transporteur ferroviaire national tchèque et est détenue par l’État tchèque. Elle est dominante notamment sur les marchés de la fourniture de services de transport de personnes et de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire en République tchèque.

Procédure devant l’autorité de concurrence tchèque

2 En 2011 et 2012, deux autres transporteurs, RegioJet a.s. et LEO Express a.s., ont commencé à offrir des services de transport ferroviaire de personnes sur la liaison entre Prague (République tchèque) et Ostrava, une ville située au nord-est de la République tchèque.

3 Depuis 2011, le comportement de la requérante, soupçonnée d’abuser de sa position dominante en offrant ses prestations de transport ferroviaire de personne à perte, à des prix prédateurs, sur la liaison Prague-Ostrava, fait l’objet d’une enquête menée par l’autorité de concurrence tchèque, l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, République tchèque).

4 Le 24 janvier 2012, à la suite d’une enquête préliminaire, l’autorité de concurrence tchèque a ouvert une procédure administrative à l’encontre de la requérante, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du zákon č. 143/2001 Sb. o ochraně hospodářské soutěže (loi no 143/2001 sur la protection de la concurrence).

5 Le 25 janvier 2012, l’autorité de concurrence tchèque a effectué une inspection dans les locaux de la requérante.

6 L’enquête menée par l’autorité de concurrence tchèque était toujours en cours à la date d’adoption de la décision faisant l’objet du présent recours.

Procédure devant les tribunaux tchèques

7 À une date non précisée, les deux concurrents de la requérante, RegioJet et LEO Express, ont introduit des actions à l’encontre de cette dernière auprès des tribunaux tchèques pour demander réparation du dommage que leur aurait causé le prétendu comportement anticoncurrentiel de la requérante sur la liaison Prague-Ostrava.

8 Par jugement du 10 décembre 2015, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) a rejeté le recours de LEO Express. Cette dernière a interjeté appel de ce jugement devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague, République tchèque). À la date de l’adoption de la décision faisant l’objet du présent recours, cette procédure était toujours en cours.

9 À la même date, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) n’avait pas encore statué sur le recours de RegioJet.

Enquête de la Commission

10 Le 18 avril 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 2417 final, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à la requérante ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40156 – Falcon) (ci-après la « décision attaquée »).

11 Les considérants 2 à 9 de la décision attaquée sont rédigés de la manière suivante :

« (2) La Commission européenne (ci-après “la Commission”) a obtenu des informations dont il ressort que [la requérante] est dominante au sens de l’article 102 TFUE, entre autres sur les marchés de la fourniture de services de transport de personnes et de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire en République tchèque.

(3) La Commission dispose d’informations suggérant que [la requérante] peut pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient (predatory pricing) sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava. Ce comportement pourrait faire partie d’une stratégie de la part de [la requérante] contraire aux règles de la concurrence, et ce aux fins de protéger sa position sur le marché de la fourniture de services de transport de personnes et de limiter le
développement de la concurrence sur le marché.

(4) La Commission a obtenu des informations suggérant que cette infraction alléguée a dû être commise au moins depuis 2011, lorsqu’un concurrent privé a commencé à fournir des services sur la liaison Prague-Ostrava, voire plus tôt, et que ce comportement doit se poursuivre.

(5) Le comportement précité, si son existence est établie, constituerait une ou plusieurs infractions à l’article 102 TFUE.

(6) Ces infractions alléguées seraient commises dans le plus grand secret. La documentation existante relative aux infractions alléguées serait limitée à son minimum et serait détenue dans des endroits et sous une forme qui faciliterait sa dissimulation, sa conservation ou sa destruction en cas de demande de renseignements ou de contrôles annoncés.

(7) Afin que la Commission puisse établir toutes les circonstances pertinentes relatives à d’éventuelles infractions ainsi que le contexte dans lequel elles se produisent, il convient de procéder à une inspection dans les locaux de [la requérante] en application de l’article 20 du règlement no 1/2003. Afin de garantir l’efficacité de cette inspection, il est nécessaire qu’elle soit menée sans avertir préalablement l’entreprise soupçonnée de l’infraction.

(8) C’est pourquoi il y a lieu d’adopter une décision en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, par laquelle [la requérante] est invitée à se soumettre à l’inspection, et de communiquer cette décision directement avant l’inspection.

(9) La Commission est consciente du fait que l’autorité de concurrence compétente de l’État membre, l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (ci-après “ÚOHS”) a ouvert une procédure administrative portant sur la même infraction et a procédé à une inspection dans les locaux de [la requérante] en 2012. La Commission a examiné le dossier correspondant de l’ÚOHS. »

12 L’article 1er de la décision attaquée indique en son premier alinéa :

« La présente décision enjoint à [la requérante], ensemble avec toutes les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, de se soumettre à une inspection relative à son éventuelle participation à une infraction à l’article 102 TFUE dans le domaine de la fourniture de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque. L’infraction inclut notamment la pratique de prix en dessous du prix de revient, susceptibles de limiter l’accès des tiers au marché ou leur
développement sur le marché des services de transport ferroviaire de personnes, ainsi que toute stratégie ayant le même effet. »

13 Aux termes de l’article 2 de la décision attaquée, « [l’]inspection [devait] débuter […] le 26 avril 2016, ou peu après cette date ».

14 L’article 3 de la décision attaquée précise que « [l]a destinataire de la présente décision est [la requérante], ensemble avec toutes les sociétés que celle-ci contrôle directement ou indirectement [ ; la] décision est communiquée à [la requérante] directement avant l’inspection, en application de l’article 297, paragraphe 2, TFUE ».

15 L’inspection s’est déroulée du 26 au 29 avril 2016.

Procédure et conclusions des parties

16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juin 2016, la requérante a introduit le présent recours.

17 Conformément à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a invité la Commission à produire certains documents. La Commission a déféré à cette invitation dans le délai imparti.

18 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

19 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

20 À l’appui de son recours, la requérante soulève six moyens, tirés :

– d’un caractère arbitraire et disproportionné de la décision attaquée et de l’inspection en cause (premier moyen) ;

– d’une violation de l’obligation de motivation (deuxième moyen) ;

– de l’absence d’indices suffisamment sérieux justifiant l’adoption de la décision attaquée et la réalisation de l’inspection (troisième moyen) ;

– de l’absence d’affectation du commerce entre États membres et de position dominante de la requérante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (quatrième moyen) ;

– d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (cinquième moyen) ;

– d’une violation des droits garantis par les articles 7 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et par les articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (sixième moyen).

21 À titre liminaire, il convient de relever que, si l’acte attaqué par le présent recours est bien la décision ordonnant l’inspection en cause et si tous les moyens soulevés par la requérante visent exclusivement l’annulation de cette décision, toutefois, certaines remarques et certains arguments qu’elle a formulés dans le cadre de la procédure écrite se rapportent au déroulement de l’inspection à laquelle la Commission a procédé en exécution de ladite décision. En témoigne d’ailleurs la manière
dont la requérante a intitulé les premier et troisième moyens d’annulation.

22 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la façon dont une décision ordonnant une inspection a été appliquée est sans incidence sur la légalité de cette décision (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 49 et jurisprudence citée) et qu’une entreprise ne saurait donc se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de conclusions en
annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette vérification (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 55 et jurisprudence citée).

23 Cela étant, la requérante a précisé à l’audience qu’elle ne tentait pas de se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures de vérification au soutien de ses conclusions en annulation de la décision attaquée. Les remarques et arguments relatifs au déroulement de l’inspection en cause seraient destinés uniquement à servir d’« aide d’interprétation » de l’objectif sous-jacent à la décision attaquée.

24 C’est donc sous cet angle qu’il convient d’apprécier ces remarques et arguments lors de l’examen des moyens d’annulation de la décision attaquée.

25 Par ailleurs, il convient d’entamer cet examen par l’analyse des deuxième et troisième moyens, étant donné que cette analyse est susceptible d’avoir une incidence sur celle des autres moyens.

Sur les deuxième et troisième moyens, tirés d’une violation de l’obligation de motivation et de l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence

26 Par le troisième moyen, la requérante reproche d’abord à la Commission de n’avoir fait état, dans la décision attaquée, d’aucune preuve permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence.

27 En tout état de cause, la requérante est convaincue que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission ne pouvait pas disposer de preuves (même indirectes) sérieuses permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence. Bien au contraire, les preuves rassemblées dans le cadre de la procédure devant l’autorité de concurrence tchèque, dont l’expertise de M. Krabec du 16 décembre 2013, et celle de l’Univerzita Pardubice (université de Pardubice, République tchèque) du
25 août 2015, plaideraient en faveur de l’absence de comportement anticoncurrentiel de la requérante. Par ailleurs, les mêmes preuves démontreraient que les prix pratiqués par la requérante sont restés en moyenne supérieurs à ceux de ses concurrents et que ses recettes sur la liaison Prague-Ostrava ont toujours été supérieures aux coûts variables. L’absence d’indices suffisamment sérieux serait corroborée par l’évolution de la situation sur la liaison Prague-Ostrava, caractérisée par un niveau de
concurrence élevé. Il est donc très probable, selon la requérante, que la décision attaquée était fondée exclusivement sur une plainte, qui aurait été déposée par un des transporteurs concurrents, et non sur une vérification appropriée de la réalité des faits.

28 À cet égard, la requérante demande au Tribunal de procéder à une vérification matérielle des indices dont la Commission disposait à la date d’adoption de la décision attaquée et d’apprécier dans quelle mesure elle a examiné le dossier de l’autorité de concurrence tchèque.

29 Par son deuxième moyen, la requérante prétend que la décision attaquée est insuffisamment motivée et délimite l’objet et le but de l’inspection d’une manière trop large, visant ainsi pratiquement tout comportement de la requérante dans le secteur du transport ferroviaire de personnes en République tchèque.

30 En effet, l’objet de l’inspection serait délimité de manière trop large des points de vue territorial, temporel et matériel. Du point de vue territorial, le considérant 3 de la décision attaquée viserait une éventuelle infraction commise notamment sur la liaison Prague-Ostrava, mais ne s’y limiterait pas. S’agissant de la délimitation temporelle, la formulation utilisée renverrait certes au début du comportement examiné en 2011, mais n’exclurait pas que la Commission examine aussi des périodes
antérieures ainsi que toute période ultérieure. Sur le plan matériel, l’article 1er de la décision attaquée indiquerait que l’infraction soupçonnée « inclut notamment » la pratique de prix en dessous du prix de revient, visant ainsi également toute autre forme d’infraction à l’article 102 TFUE. De surcroît, la Commission n’identifierait pas le marché en cause.

31 En outre, la décision attaquée ne décrirait pas concrètement les faits et les présomptions que la Commission entendait vérifier ni ne ferait état d’indices qui justifieraient le soupçon de celle-ci (s’agissant de ce dernier grief, voir point 26 ci-dessus).

32 Ainsi, la décision attaquée aurait permis à la Commission de procéder à une « pêche aux informations » et de s’intéresser non seulement aux documents concernant l’arrivée de transporteurs concurrents sur la liaison Prague-Ostrava, mais aussi à d’autres documents. En effet, ce serait sur ces documents saisis lors de l’inspection en cause (Falcon), mais sans rapport avec la liaison Prague-Ostrava, que la Commission se serait fondée pour ordonner une deuxième inspection (Twins), qui fait l’objet de
l’affaire enregistrée sous le numéro T‑621/16, České dráhy/Commission.

33 La Commission conclut au rejet des deux moyens.

34 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées constitue un principe général du droit de l’Union européenne (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 83 et jurisprudence citée).

35 Dès lors, aux fins de respecter ce principe général, une décision d’inspection doit viser à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée de situations de fait et de droit déterminées à propos desquelles la Commission dispose déjà d’informations, constituant des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 84 et jurisprudence citée).

36 En d’autres termes, la possession d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence est une condition sine qua non pour que la Commission puisse ordonner une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

37 De même, toujours dans le respect dudit principe général, les termes d’une décision ordonnant une inspection ne doivent pas excéder la portée de l’infraction qui peut être suspectée sur le fondement de tels indices.

38 Certes, en principe, la Commission n’est tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11,
EU:T:2013:404, point 170 et jurisprudence citée).

39 En revanche, elle doit indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection. À cette fin, elle est également tenue de faire apparaître, dans une décision ordonnant une inspection, une description des caractéristiques essentielles de l’infraction suspectée, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées, des explications quant à
la manière dont l’entreprise visée par l’inspection est présumée être impliquée dans l’infraction ainsi que les pouvoirs conférés aux enquêteurs de l’Union (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 170 et 171 et jurisprudence citée).

40 Par ailleurs, une motivation excessivement succincte, vague et générique et, à certains égards, ambiguë ne saurait satisfaire aux exigences de motivation fixées par l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour justifier une demande de renseignements qui est intervenue plus de deux années après les premières inspections, alors que la Commission avait déjà adressé plusieurs demandes de renseignements à des entreprises soupçonnées d’avoir participé à une infraction et plusieurs mois
après la décision d’ouverture de la procédure, et la décision en cause a été donc adoptée à une date où la Commission disposait déjà d’informations qui lui auraient permis d’exposer avec davantage de précision les soupçons d’infraction qui pesaient sur les entreprises en cause (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 39).

41 En tout état de cause, dans la mesure où c’est la motivation d’une décision d’inspection qui circonscrit le champ des pouvoirs conférés aux agents de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 60), le principe général mentionné au point 34 ci-dessus s’oppose à des formulations, dans une décision d’inspection, qui élargiraient ce champ au-delà de ce qui découle des indices suffisamment sérieux dont la Commission dispose à
la date d’adoption d’une telle décision.

42 En effet, c’est en application de ce principe général que le Tribunal a annulé la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596), pour autant que cette décision concernait des câbles électriques autres que les câbles électriques sous-marins et souterrains de haute tension et le matériel associé à ces autres câbles, et ce après avoir constaté que, si, à la date d’adoption de ladite décision, la
Commission disposait d’indices suffisamment sérieux pour ordonner une inspection portant sur les câbles électriques sous-marins et souterrains de haute tension et sur le matériel associé à ces câbles, en revanche, elle ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour ordonner une inspection portant sur l’ensemble des câbles électriques et le matériel associé à ces câbles (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 91 à 94).

43 En l’espèce, il convient dès lors de déterminer, d’une part, si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par la requérante et, d’autre part, si le champ d’inspection circonscrit par la décision attaquée se limitait à l’infraction que la Commission pouvait suspecter sur le fondement de tels indices.

44 À cet égard, avant tout, la requérante reproche à la Commission de n’avoir fait état, dans la décision attaquée, d’aucune preuve concrète permettant d’établir le soupçon de comportement anticoncurrentiel qui lui est imputé.

45 Cependant, si, afin d’établir le caractère justifié de l’inspection, la Commission est tenue de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 172 et jurisprudence citée), il ne saurait lui être
imposé d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 102 TFUE. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (arrêt du 25 novembre 2014,
Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 81).

46 En effet, d’une part, la phase d’instruction préliminaire a pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. D’autre part, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée,
moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. Si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la
communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 78 et jurisprudence citée).

47 Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir simplement constaté, dans la décision attaquée, qu’elle disposait d’informations suggérant « que [la requérante] [avait pu] pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient (predatory pricing) sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava » et « que cette infraction alléguée a[vait] dû être commise au moins depuis 2011, lorsqu’un concurrent privé a[vait] commencé à fournir des
services sur la liaison Prague-Ostrava, voire plus tôt, et que ce comportement [avait dû] se poursuivre ».

48 Cela étant, quand le juge de l’Union est amené, comme dans la présente affaire, à effectuer le contrôle d’une décision d’inspection aux fins de vérifier si celle-ci ne présente pas un caractère arbitraire, il doit s’assurer de l’existence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 43 et jurisprudence
citée).

49 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, à tout le moins lorsque l’entreprise destinataire d’une décision prise au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 présente certains éléments mettant en doute le caractère suffisamment sérieux des indices dont la Commission disposait pour adopter une telle décision, le juge de l’Union doit examiner ces indices et contrôler leur caractère suffisamment sérieux (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission,
T‑135/09, EU:T:2012:596, point 72).

50 Cependant, la vérification de l’existence d’indices suffisamment sérieux, en possession de la Commission, permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence préalablement à l’adoption d’une décision d’inspection ne constitue pas le seul moyen permettant au Tribunal de s’assurer de l’absence de caractère arbitraire de ladite décision (arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 87).

51 En effet, le contrôle de la motivation d’une décision permet également au juge de veiller au respect du principe de protection contre les interventions arbitraires et disproportionnées, en ce que ladite motivation permet de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 89 et jurisprudence citée). Le Tribunal peut conclure à l’absence de caractère
arbitraire d’une décision d’inspection, sans qu’il soit nécessaire de vérifier matériellement la teneur des indices en possession de la Commission à la date d’adoption de celle-ci, s’il estime que les présomptions que cette dernière entend vérifier et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection sont définis avec suffisamment de précision (arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 91).

52 En l’espèce, la Commission a indiqué dans la décision attaquée :

– premièrement, être en possession « d’informations suggérant que [la requérante] [avait pu] pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient (predatory pricing) sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava » (considérant 3 de la décision attaquée) ;

– deuxièmement, avoir reçu « des informations suggérant que cette infraction alléguée a[vait] dû être commise au moins depuis 2011, lorsqu’un concurrent privé a commencé à fournir des services sur la liaison Prague-Ostrava, voire plus tôt » (considérant 4 de la décision attaquée) ;

– troisièmement, que l’infraction à l’article 102 TFUE visée par la décision attaquée « inclu[ait] notamment la pratique de prix en dessous du prix de revient, susceptibles de limiter l’accès des tiers au marché ou leur développement sur le marché des services de transport ferroviaire de personnes » (article 1er de la décision attaquée).

53 Ainsi, la décision attaquée inclut dans le champ de l’inspection en cause non seulement une éventuelle infraction à l’article 102 TFUE consistant à pratiquer des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis 2011, mais aussi d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE, d’autres liaisons en République tchèque que la liaison Prague-Ostrava et la période antérieure à 2011.

54 Or, la motivation de la décision attaquée ne permet pas, à elle seule, de présumer que, à la date d’adoption de ladite décision, la Commission disposait effectivement d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE, telle que décrite au point 53 ci-dessus.

55 Dans ces conditions, il convient d’examiner, en premier lieu et au regard d’autres éléments pertinents, si, à la date d’adoption de la décision attaquée, la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE consistant à pratiquer des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis 2011.

56 En second lieu, il convient d’examiner si, à la même date, la Commission disposait également d’indices suffisamment sérieux portant sur d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE, sur d’autres liaisons et sur la période antérieure à 2011.

Sur la prétendue pratique de prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis 2011

57 Dans son mémoire en réponse, la Commission a identifié trois séries d’informations qui l’auraient conduite à adopter la décision attaquée : des informations reçues du plaignant, des informations obtenues des sources accessibles au public et le dossier de l’autorité de concurrence tchèque, dont l’expertise de l’université de Pardubice.

58 En ce qui concerne la troisième série d’informations, la Commission a notamment cité les points 128 à 130 et 155 à 157 de l’expertise de l’université de Pardubice. Dans ces points, l’expertise aurait constaté, notamment, que les informations fournies (voir point 3 de l’expertise) ne permettaient pas de conclure que les chiffres relatifs aux coûts concernés reflétaient correctement la situation. L’expertise aurait également attiré l’attention sur la possibilité d’une déformation des données de la
requérante.

59 En ce qui concerne les points de l’expertise de l’université de Pardubice, cités par la Commission, la requérante maintient notamment que les réserves qui y sont contenues ne sont que marginales. Il s’agirait de formules courantes au moyen desquelles les experts ont l’habitude de garantir que leur expertise ne sera pas attaquable et que leur éventuelle responsabilité sera écartée.

60 À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort du dossier de la présente affaire que l’autorité de concurrence tchèque enquête sur une possible pratique de prix prédateurs, par la requérante, sur la liaison Prague-Ostrava, et ce depuis 2011, à savoir sur le même comportement que celui qui est principalement visé par la décision attaquée.

61 Il ressort également dudit dossier que, au cours de ladite enquête, l’autorité de concurrence tchèque a collecté des milliers de pages de preuves, obtenues principalement auprès de la requérante et des transporteurs concurrents (RegioJet et LEO Express).

62 En ce qui concerne l’expertise de l’université de Pardubice, premièrement, il convient de relever que, aux points 128 à 130 de cette expertise, invoqués par la Commission et figurant sous le titre « Transfert des coûts entre les différents commettants du transport ferroviaire public », il est indiqué ce qui suit :

– « [confidentiel] »,

– « [confidentiel] »,

– « [confidentiel] ».

63 Deuxièmement, il est énoncé aux points 155 à 157 de l’expertise de l’université de Pardubice, invoqués eux aussi par la Commission et figurant sous le titre « Identification de certaines contradictions dans les observations de la [requérante] », ce qui suit :

– « [confidentiel] »,

– « [confidentiel] » ; à cet égard, l’expertise reproduit la citation suivante : « [confidentiel] ».

64 Troisièmement, il est indiqué aux points 158 à 161 de l’expertise de l’université de Pardubice, figurant sous le titre « Contradictions dans les observations de la [requérante] relatives à la part des coûts variables et des coûts fixes », que « [confidentiel] » et que « [confidentiel] ».

65 Force est de constater que les observations qui précèdent, contrairement à l’allégation de la requérante selon laquelle elles ne sont que des formules courantes au moyen desquelles les experts visent à garantir que leur expertise ne sera pas attaquable et que leur éventuelle responsabilité sera écartée, démontrent, bien qu’indirectement, que la Commission avait des raisons valables de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE par la requérante et qu’elle était, dès lors, en droit d’ordonner
l’inspection en cause.

66 À cet égard, il convient de rappeler que, afin de justifier des vérifications, il n’est pas nécessaire que les informations dont dispose la Commission aient été de nature à établir sans doute raisonnable l’existence de l’infraction constatée dans la décision attaquée. En effet, ce niveau de preuve est requis pour des décisions de la Commission dans lesquelles elle constate l’existence d’une infraction et inflige des amendes. En revanche, pour adopter une décision de vérification au sens de
l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, il suffit qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’existence d’une infraction (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 43, et du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 149).

67 Or, au vu des éléments relevés ci-dessus, il apparaît que la Commission disposait de tels indices.

68 Par ailleurs, à supposer même que l’argument de la requérante selon lequel les preuves rassemblées par l’autorité de concurrence tchèque démontrent que ses recettes sur la liaison Prague-Ostrava ont toujours été supérieures aux coûts variables soit fondé, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, sont également contraires à l’article 102 TFUE les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts
variables, s’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286, point 72).

69 S’agissant enfin de l’argument de la requérante selon lequel l’absence d’indices suffisamment sérieux est également corroborée par l’évolution de la situation sur la liaison Prague-Ostrava, caractérisée par un niveau de concurrence élevé, la Commission fait observer à juste titre que le fait que la stratégie de l’entreprise bénéficiant d’une position dominante n’a pas rencontré le succès escompté ne signifie pas que le comportement prédateur n’a pas entraîné de distorsion de la concurrence.

70 Au vu de ce qui précède, le grief tiré de l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE par la requérante, consistant à pratiquer des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis 2011, doit être rejeté.

71 Cependant, dans la mesure où l’enquête menée par l’autorité de concurrence tchèque ne porte que sur la prétendue pratique de prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava depuis 2011, cette conclusion ne saurait être transposée, sur cette seule base, à d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE, à des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava ou à la période antérieure à 2011.

72 Par conséquent, il convient, à présent, d’examiner les indices dont la Commission disposait à cet égard, en tenant compte de sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure.

Sur d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE, d’autres liaisons que la liaison Prague-Ostrava et la période antérieure à 2011

– Sur d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE

73 Premièrement, la Commission a admis, dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure susmentionnées, qu’elle ne disposait pas d’indices permettant de suspecter d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE.

74 Deuxièmement, elle a souligné que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’elle applique l’article 102 TFUE, elle est tenue d’examiner la stratégie commerciale de la société faisant l’objet de l’enquête, qui pourrait révéler l’existence d’une intention ou d’un plan d’éviction de la concurrence.

75 Dans ses observations sur la réponse de la Commission aux mesures d’organisation de la procédure, la requérante a contesté cette dernière argumentation. Le fait que la Commission soit tenue d’examiner sa stratégie commerciale ne saurait en tout état de cause justifier l’élargissement de l’objet de l’inspection en cause aux formes d’infraction aux règles de concurrence pour lesquelles elle ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux.

76 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci (voir arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, point 41 et jurisprudence citée).

77 De même, il ressort de la jurisprudence que sont également contraires à l’article 102 TFUE les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, s’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286, point 72).

78 Dès lors, lorsque la Commission dispose d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE consistant à pratiquer des prix prédateurs, son enquête peut porter sur la stratégie de l’entreprise concernée. Par ailleurs, à la fin de l’article 1er, premier alinéa, de la décision attaquée, la Commission suit ce raisonnement en indiquant que, outre la pratique de prix en dessous du prix de revient, susceptibles de limiter l’accès des tiers au marché ou leur
développement sur le marché des services de transport ferroviaire de personnes, l’inspection portera également sur « toute stratégie ayant le même effet ». Cet élément n’a d’ailleurs jamais été remis en cause par la requérante.

79 En revanche, c’est à juste titre que la requérante prétend que ce raisonnement ne saurait constituer une raison valable pour élargir l’objet de l’inspection en cause à d’autres formes d’infraction.

80 En effet, compte tenu notamment du principe général mentionné au point 34 ci-dessus, ce même raisonnement ne saurait justifier les termes de l’article 1er de la décision attaquée selon lesquels l’infraction « inclut notamment » la pratique de prix en dessous du prix de revient, ce qui est susceptible d’inclure dans le champ de l’inspection en cause toute autre forme d’infraction à l’article 102 TFUE, alors que la Commission ne disposait d’aucun indice à cet égard.

– Sur d’autres liaisons que la liaison Prague-Ostrava

81 À cet égard, d’une part, la Commission a produit, dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, deux plaintes, datées du 17 octobre 2014 et du 1er mars 2016, qui lui auraient été adressées par LEO Express.

82 Les deux plaintes contiendraient des indices relatifs à la liaison Prague-Košice, une ville située à l’est de la République slovaque. De surcroît, la plainte du 1er mars 2016 contiendrait des indices relatifs aux deux autres liaisons intérieures Ostrava-Kolín et Olomouc-Kolín.

83 D’autre part, la Commission a insisté sur le fait que pouvaient également être tirés des documents qui ne portent pas sur la liaison Prague-Ostrava des éléments utiles pour enquêter sur l’existence des pratiques anticoncurrentielles concernant cette dernière liaison, car ils abordent la question des coûts sur d’autres liaisons ferroviaires et, partant, constituent un étalon pour la répartition habituelle des coûts entre les différentes liaisons.

84 Dans ses observations sur la réponse de la Commission aux mesures d’organisation de la procédure, la requérante a contesté ces éléments. Selon elle, les documents produits par la Commission ne contiendraient aucun indice permettant de suspecter un comportement anticoncurrentiel de sa part sur la liaison Prague- Košice. En ce qui concerne les liaisons Ostrava-Kolín et Olomouc-Kolín, elle fait valoir que ces liaisons font en réalité partie intégrante de la liaison Prague-Ostrava.

85 En premier lieu, il convient de relever que, si les deux plaintes comportent des informations relatives à la liaison Prague-Košice, ces informations ne constituent pas des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une pratique de prix prédateurs également sur cette liaison. Il y est uniquement indiqué que la requérante aurait abusé de sa position dominante en décidant de réintroduire ses trains SC Pendolino sur cette liaison, en réaction aux intentions analogues de LEO Express, alors
qu’elle avait cessé l’exploitation de ces trains sur cette même liaison en raison de leur fréquentation limitée.

86 À cet égard, il est rappelé que la Commission a admis n’avoir disposé que d’indices permettant de suspecter une infraction consistant à appliquer des prix prédateurs.

87 À supposer même que les informations en cause puissent indiquer indirectement la pratique de prix prédateurs également sur la liaison Prague-Košice, le fait d’inclure cette liaison dans l’objet de l’inspection Falcon serait, en tout état de cause, incompatible avec l’article 1er de la décision attaquée, qui limite son objet au territoire de la République tchèque.

88 En second lieu, en ce qui concerne les liaisons Ostrava-Kolín et Olomouc-Kolín, il suffit de constater, à l’instar de la requérante, qu’elles font partie intégrante de la liaison Prague-Ostrava. En effet, les villes de Kolín et d’Olomouc sont situées sur la liaison Prague-Ostrava, entre ces deux villes. Il s’ensuit que les liaisons Ostrava-Kolín et Olomouc-Kolín sont déjà couvertes par les termes de la décision attaquée qui visent explicitement la liaison Prague-Ostrava.

89 Il convient donc de conclure que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter que la requérante pratiquait des prix prédateurs sur des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava.

90 Par ailleurs, la Commission confirme elle-même cette conclusion, à tout le moins implicitement, lorsqu’elle insiste sur l’importance des informations portant sur d’autres liaisons pour l’examen du cas de la liaison Prague-Ostrava.

91 En tout état de cause, même à supposer que ce dernier raisonnement soit fondé, il ne permet pas à la Commission d’affirmer, dans la décision attaquée, qu’elle disposait d’informations suggérant que la requérante pratiquerait des prix prédateurs « sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava », alors qu’elle ne disposait d’indices suffisamment sérieux qu’à l’égard de cette dernière liaison.

– Sur la période antérieure à 2011

92 À cet égard, il ressort du dossier que le premier concurrent de la requérante, RegioJet, n’a commencé à exploiter la liaison Prague-Ostrava qu’en septembre 2011 et que ce n’est que depuis cette date que l’autorité de concurrence tchèque enquête sur le comportement prétendument abusif de la requérante sur ladite liaison.

93 Néanmoins, dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, la Commission a produit un document qui date du 4 octobre 2010.

94 Selon la requérante, ce document, à savoir une plainte de RegioJet, ne contiendrait aucun élément pertinent. Il ne s’agirait que de spéculations de cette dernière.

95 Force est de constater, toutefois, que si le document produit par la Commission n’est qu’une plainte déposée par un concurrent de la requérante, celle-ci est formulée de manière cohérente et vise, pour la période antérieure à 2011, le même comportement que celui pour lequel, pour la période à partir de 2011, la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux.

96 Par ailleurs, s’il est vrai que le premier concurrent de la requérante, RegioJet, n’a commencé à emprunter la ligne Prague-Ostrava qu’en 2011 et le deuxième, LEO Express, qu’en 2012, cela n’exclut pas en soi la possibilité d’un comportement abusif de la part de la requérante avant cette date. En effet, il peut être raisonnablement présumé que, pour faire face à de nouveaux concurrents, une entreprise en position dominante n’attendrait pas l’entrée de la concurrence sur le marché en cause, mais
agirait, déjà avant cette entrée, pour l’empêcher ou la rendre difficile.

97 Dans ces conditions, la Commission pouvait retenir, dans la décision attaquée, la période « au moins depuis 2011 » en tant que période probable de l’infraction suspectée.

– Conclusion intermédiaire

98 Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que, à la date d’adoption de la décision attaquée, la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE par la requérante, qui consisterait en des formes autres que la prétendue pratique de prix prédateurs ou qui concernerait des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava. En revanche, elle était en droit de retenir, comme période probable de l’infraction en cause, celle ayant
débuté « au moins » en 2011.

Conclusion sur les deuxième et troisième moyens

99 Dans ces conditions, il convient d’accueillir partiellement les deuxième et troisième moyens du présent recours et d’annuler la décision attaquée, pour autant qu’elle concerne la prétendue infraction à l’article 102 TFUE sur des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et pour des formes d’infraction autres que la prétendue pratique de prix prédateurs.

100 C’est à la lumière de cette conclusion qu’il convient, à présent, d’analyser les autres moyens du recours.

Sur le premier moyen, tiré du caractère arbitraire et disproportionné de la décision attaquée

101 La requérante soutient que la décision attaquée constitue une intervention arbitraire et disproportionnée.

102 À cet égard, d’abord, la requérante relève que la Commission avait à sa disposition plusieurs milliers de pages de preuves émanant de la procédure devant l’autorité de concurrence tchèque. En outre, cette dernière aurait déjà procédé elle-même à une inspection-surprise au siège de la requérante. Par ailleurs, la requérante aurait apporté son concours maximal à ladite autorité tout au long de la procédure administrative menée par celle-ci. Par conséquent, la situation de fait déterminante pour
l’enquête menée par la Commission aurait été consignée en détail dans le dossier de ladite autorité et la Commission ne pouvait pas espérer obtenir, lors de l’inspection en cause, des preuves pertinentes supplémentaires.

103 Ensuite, la requérante estime qu’il était possible de parvenir au même résultat d’une manière moins invasive, par exemple au moyen d’une demande de renseignements.

104 De surcroît, la requérante souligne que le comportement en cause fait déjà l’objet de deux procédures judiciaires introduites par les deux concurrents RegioJet et LEO Express.

105 Enfin, la décision attaquée violerait le principe de proportionnalité, en ce que l’objet de l’inspection aurait été formulé de manière trop large.

106 La Commission conclut au rejet de ce moyen.

107 Il convient, d’emblée, d’écarter la première branche de ce moyen, tirée du caractère arbitraire de la décision attaquée.

108 En effet, il ressort de la jurisprudence qu’une décision d’inspection ne présente un caractère arbitraire que lorsqu’elle a été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait susceptible de justifier une inspection. Tel n’est pas le cas lorsqu’elle vise à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d’une situation de fait et de droit déterminée à propos de laquelle la Commission dispose déjà d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une
infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 43 et jurisprudence citée).

109 Or, il découle de l’examen des deuxième et troisième moyens que, d’une part, la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction à l’article 102 TFUE consistant à pratiquer des prix prédateurs sur la liaison Prague-Ostrava au moins depuis 2011 et, d’autre part, la décision attaquée doit être annulée pour autant qu’elle concerne d’autres formes d’infraction à l’article 102 TFUE et d’autres liaisons, et ce étant donné l’absence d’indices suffisamment
sérieux à cet égard.

110 Dans ces conditions, la décision attaquée ne présente pas un caractère arbitraire.

111 La première branche du premier moyen doit donc être rejetée.

112 En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, tirée du caractère disproportionné de la décision attaquée, il convient de rappeler que, en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités (article 5, paragraphe 4, TUE).

113 Ainsi, ce principe exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404,
point 192 et jurisprudence citée).

114 Cependant, le choix à opérer par la Commission entre, d’une part, une inspection effectuée sur simple mandat, ou une demande de renseignements, et, d’autre part, une inspection ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue, mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce. Partant, lorsqu’une décision d’inspection vise uniquement à
permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 193 et jurisprudence citée).

115 C’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence, et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve, relatifs à l’existence d’une infraction, elle peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11,
T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 194 et jurisprudence citée).

116 Ne saurait donc prospérer l’argument de la requérante selon lequel, dans le respect du principe de proportionnalité, la Commission aurait dû avoir recours à des moyens moins invasifs, tels qu’une demande de renseignements au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003, et ce d’autant plus que, dans les circonstances de la présente affaire, l’appréciation du comportement de la requérante dépend, de toute évidence, d’informations qui n’auraient certainement pas été volontairement communiquées à
la Commission et n’auraient donc pu entrer en possession de cette dernière autrement que par le biais d’une inspection (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑340/04, EU:T:2007:81, points 150 et 153, et du 12 juillet 2007, CB/Commission, T‑266/03, non publié, EU:T:2007:223, point 65).

117 Par ailleurs, dans la mesure où la décision attaquée repose, en partie, sur des informations contenues dans le dossier de l’autorité de concurrence tchèque, qui enquête sur le même comportement de la requérante et qui lui aurait adressé plusieurs demandes de renseignements, il est probable que le dossier de ladite autorité contenait déjà toutes les informations qui pouvaient être obtenues par cette voie.

118 À la lumière de la jurisprudence citée notamment au point 115 ci-dessus, l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû se satisfaire des informations contenues dans le dossier de l’autorité de concurrence tchèque ne peut prospérer non plus.

119 En ce qui concerne l’argument selon lequel le même comportement de la requérante ferait déjà l’objet d’une enquête administrative et de deux procédures judiciaires à l’échelle nationale, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, il ne saurait être déduit des dispositions du règlement no 1/2003 que, dès lors qu’une autorité nationale de concurrence a commencé à enquêter sur des faits particuliers, la Commission est immédiatement empêchée de se saisir de l’affaire ou de s’y intéresser de
manière préliminaire. Au contraire, ces deux autorités peuvent, au moins à des stades préliminaires tels que des enquêtes, travailler de manière parallèle et la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire. A fortiori, la Commission doit également pouvoir procéder à une inspection, une décision ordonnant une inspection ne constituant qu’un acte préparatoire au traitement au fond d’une affaire,
qui n’emporte pas ouverture formelle de la procédure au sens de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑340/04, EU:T:2007:81, point 129 et jurisprudence citée). Ce principe a été reconnu dans les cas où l’autorité nationale de concurrence applique les articles 101 ou 102 TFUE. Il s’applique, à plus forte raison, dans les cas où l’enquête menée par l’autorité nationale de concurrence n’est fondée que sur le droit
national. Or, tel est précisément le cas en l’espèce.

120 De même, il ressort d’une jurisprudence constante que, afin de remplir le rôle qui lui est assigné par le traité, la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une juridiction nationale en application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 102 TFUE. La Commission est donc en droit de prendre à tout moment des décisions individuelles pour l’application des articles 101 et 102 TFUE, même lorsqu’un accord ou une pratique fait déjà l’objet d’une décision d’une
juridiction nationale et que la décision envisagée par la Commission est en contradiction avec ladite décision juridictionnelle (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 200 et jurisprudence citée).

121 Par conséquent, les procédures en cours devant les juridictions tchèques ne peuvent non plus empêcher la Commission de procéder à une inspection surprise, telle que celle ordonnée par la décision attaquée.

122 Par ailleurs, en ce qui concerne la décision du Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) du 10 décembre 2015, mentionnée au point 8 ci-dessus, il convient de relever que la décision attaquée n’est pas en contradiction avec cette décision. En effet, par sa décision, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) a rejeté le recours en réparation formé par LEO Express contre la requérante, au motif que LEO Express n’avait pas démontré le lien de causalité entre le préjudice subi et le
comportement prétendument anticoncurrentiel de la requérante. Cependant, après ce constat, il n’était plus nécessaire de trancher la question du caractère anticoncurrentiel du comportement de cette dernière et, par conséquent, le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) ne l’a pas fait.

123 S’agissant de l’argument de la requérante tiré de l’arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission (T‑402/13, EU:T:2014:991), dans lequel le Tribunal a considéré que l’examen du dossier en possession de l’autorité nationale de concurrence ne constituait pas une alternative au recours à une mesure d’inspection, dès lors que ladite autorité n’avait conduit aucune inspection dans les locaux de l’entreprise concernée et que sa décision avait donc été prise sur la seule base d’informations
volontairement soumises par celle-ci, il convient d’observer que le Tribunal a procédé à une telle considération pour surmonter le fait que, dans cette affaire, la Commission avait opté pour une mesure d’inspection sans vérifier au préalable les renseignements que l’autorité nationale de concurrence avait pu obtenir à l’égard de comportements similaires (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, points 55 et 56). Or, en l’espèce, le Tribunal
constate que la Commission a consulté le dossier de l’autorité tchèque de concurrence et n’a procédé à l’adoption de la décision attaquée qu’après cette consultation.

124 En ce qui concerne, enfin, le grief tiré du fait que l’objet de l’inspection en cause aurait été formulé de manière trop large dans la décision attaquée, il convient d’observer qu’il a déjà été examiné dans le cadre des deuxième et troisième moyens et que, à l’issue de cet examen, il a été conclu qu’il convenait d’annuler la décision attaquée pour autant qu’elle concernait toute liaison autre que la liaison Prague-Ostrava et pour autant qu’elle visait tout comportement autre que la prétendue
pratique de prix prédateurs.

125 En revanche, s’agissant des termes de la décision attaquée qui indiquent la période au cours de laquelle l’infraction aurait été commise, « au moins depuis 2011 », le Tribunal a constaté, toujours dans le cadre de l’examen des deuxième et troisième moyens, que la Commission disposait d’indices relatifs non seulement à la période à partir de 2011, mais aussi à la période antérieure à 2011.

126 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que la Commission n’est pas tenue d’indiquer la période au cours de laquelle l’infraction aurait été commise (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 170 et jurisprudence citée).

127 Dans ces conditions, la décision attaquée ne saurait être regardée comme disproportionnée au motif que l’objet de l’inspection y a été formulé de manière trop large.

128 Par conséquent, il y a lieu de rejeter également la seconde branche du premier moyen et, partant, ce moyen dans son intégralité.

Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence d’affectation du commerce entre États membres et de l’absence de position dominante de la requérante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci

129 Selon la requérante, la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée et réaliser l’inspection. En effet, la liaison Prague-Ostrava, d’une longueur de 356 kilomètres, étant négligeable à l’échelle du réseau ferroviaire européen, le prétendu comportement anticoncurrentiel de la requérante ne serait pas susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre États membres. De surcroît, la requérante n’occuperait pas une position dominante sur le marché intérieur ou dans une
partie substantielle de celle-ci. En effet, eu égard à son importance marginale à l’échelle de l’Europe, le transport ferroviaire sur la liaison Prague-Ostrava ne saurait être considéré comme une partie substantielle du marché intérieur.

130 La requérante ajoute que ce moyen complète le deuxième moyen, et inversement, notamment en ce qui concerne la portée géographique de l’inspection en cause.

131 La Commission conclut au rejet de ce moyen.

132 Selon l’article 102 TFUE, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

133 À cet égard, à titre liminaire, il convient de rappeler que la condition selon laquelle un accord ou une pratique anticoncurrentiels est interdit dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté tend à déterminer l’empire du droit de l’Union par rapport à celui des États membres. C’est, en effet, dans la mesure où l’accord ou la pratique peut affecter le commerce entre États membres que l’altération de la concurrence provoquée par cet accord ou cette pratique
relève des prohibitions du droit de l’Union, alors que, dans le cas contraire, elle y échappe (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, EU:C:1966:41, p. 495).

134 Plus concrètement, l’intitulé même du règlement no 1/2003 montre que les pouvoirs conférés à la Commission par ce règlement ont pour objet la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE. Ces deux dispositions interdisent certains comportements de la part des entreprises pour autant qu’ils soient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qu’ils aient pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le
marché intérieur. Dès lors, la Commission ne peut utiliser ses pouvoirs d’inspection qu’aux fins de déceler de tels comportements (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 99).

135 Compte tenu de cette jurisprudence, c’est donc à tort que la Commission soutient que la condition selon laquelle un accord ou une pratique anticoncurrentiels est interdit dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté ne porte que sur le fond, à savoir sur l’appréciation de la légalité d’une éventuelle décision finale de la Commission, et qu’elle ne relève donc pas du contrôle juridictionnel de la décision attaquée.

136 Partant, il convient d’examiner si cette condition (ci-après la « première condition ») est remplie à l’égard de l’infraction suspectée, et ce compte tenu de la constatation faite lors de l’examen des deuxième et troisième moyens selon laquelle la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence sur des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava.

137 En outre, eu égard au fait que l’infraction suspectée par la Commission dans la présente affaire est une infraction à l’article 102 TFUE, il convient d’examiner également la condition selon laquelle il est interdit d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci (ci-après la « seconde condition »).

138 En ce qui concerne la première condition, il convient de rappeler à titre liminaire que, s’il est vrai que les comportements dont les effets se localisent à l’intérieur du territoire d’un seul État membre relèvent du domaine de l’ordre juridique national et non du domaine du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 1979, Hugin Kassaregister et Hugin Cash Registers/Commission, 22/78, EU:C:1979:138, point 17), il n’en demeure pas moins que, lorsque le détenteur d’une position dominante
barre l’accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement ait lieu sur le territoire d’un seul État membre, dès lors qu’il est susceptible d’avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché intérieur (arrêt du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 103).

139 Par ailleurs, l’article 102 TFUE n’exige pas qu’il soit établi que le comportement abusif a sensiblement affecté le commerce entre États membres, mais demande qu’il soit établi que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (arrêt du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 104).

140 En effet, pour être susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils exercent une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre les États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre les États
membres (voir arrêt du 16 avril 2015, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Telefonia Dialog, C‑3/14, EU:C:2015:232, point 51 et jurisprudence citée).

141 Or, en l’espèce, il est constant entre les parties, premièrement, que la liaison Prague-Ostrava est considérée comme l’une des principales de la République tchèque, notamment du fait qu’il n’existe pas d’autoroute directe entre Prague et Ostrava, une ville située à une dizaine de kilomètres de la frontière polonaise et à quelques dizaines de kilomètres de la frontière slovaque, deuxièmement, que les transporteurs concurrents actifs sur la liaison Prague-Ostrava opèrent également dans d’autres
États membres, notamment en République slovaque, et, troisièmement, que la liaison Prague-Ostrava fait partie des lignes des transporteurs concurrents notamment vers ledit État membre.

142 Force est de constater que, dans un tel contexte, un comportement anticoncurrentiel tel que celui suspecté par la Commission en l’espèce est, de toute évidence, susceptible d’avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché intérieur. En effet, une telle pratique abusive est de nature à affecter la position économique des transporteurs concurrents, actifs dans plusieurs États membres, et est donc susceptible d’affecter la concurrence non seulement sur la
liaison Prague-Ostrava et en République tchèque, mais, à tout le moins indirectement, à l’échelle plus étendue de l’Europe centrale, notamment en Slovaquie.

143 Certes, si l’infraction suspectée était, comme le suggère la requérante, limitée à la section reliant Choceň (République tchèque) à Brandýs nad Orlicí (République tchèque) d’une longueur de 5 kilomètres, qui fait partie de la liaison Prague-Ostrava, son influence sur le commerce entre États membres serait probablement infime. Or, l’infraction suspectée n’est pas limitée à ladite section. Elle couvre l’ensemble de la liaison Prague-Ostrava, d’une longueur de 356 kilomètres.

144 Il s’ensuit que la première condition est remplie.

145 En ce qui concerne la seconde condition, il suffit de relever qu’il est constant entre les parties que la requérante est dominante au sens de l’article 102 TFUE notamment sur les marchés de la fourniture de service de transport de personnes et de la fourniture de services de gestion de l’infrastructure ferroviaire en République tchèque (considérant 2 de la décision attaquée).

146 Or, dans la jurisprudence, la seconde condition est considérée comme remplie même dans les cas où la position dominante de l’entreprise concernée se limite à une région à l’intérieur d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C‑475/99, EU:C:2001:577, point 38), voire à un port (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C‑179/90, EU:C:1991:464, point 15).

147 A fortiori, cette condition doit être regardée comme remplie dans le cas où la position dominante de l’entreprise concernée couvre l’ensemble du territoire d’un État membre tel que la République tchèque.

148 Par ailleurs, la requérante se trompe lorsqu’elle part de l’idée que c’est le transport ferroviaire sur la liaison Prague-Ostrava qui doit constituer une partie substantielle du marché intérieur. En effet, pour que l’article 102 TFUE soit applicable, deux conditions distinctes doivent être cumulativement remplies. D’une part, le comportement abusif doit être susceptible d’affecter le commerce entre États membres. D’autre part, l’auteur du comportement abusif doit occuper une position dominante
sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Il en découle que l’article 102 TFUE s’applique même dans le cas où une entreprise qui occupe une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci n’exploite cette position dominante de façon abusive que sur un segment du marché qui seul ne constitue pas une partie substantielle du marché intérieur, à condition toutefois que cet abus soit susceptible d’affecter le commerce entre États
membres. Or, il découle de ce qui précède que cette dernière condition est remplie en l’espèce.

149 La seconde condition est donc elle aussi remplie.

150 Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

151 La requérante soutient que le fait que l’autorité de concurrence tchèque enquête sur le même comportement depuis 2011 a fait naître chez elle la confiance légitime que l’enquête ne serait menée que par ladite autorité.

152 Cette confiance légitime aurait été renforcée par les termes de la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43) et par le fait que la Commission aurait été complètement inactive entre 2013, date à laquelle elle a reçu la plainte qui l’a conduite à adopter la décision attaquée, et 2016, date à laquelle elle a réalisé l’inspection en cause.

153 La Commission conteste ces arguments.

154 À cet égard, il ne saurait être déduit des dispositions du règlement no 1/2003 que, dès lors qu’une autorité nationale de concurrence a commencé à enquêter sur des faits particuliers, la Commission est immédiatement empêchée de se saisir de l’affaire ou de s’y intéresser de manière préliminaire. Au contraire, ces deux autorités peuvent, au moins à des stades préliminaires tels que des enquêtes, travailler de manière parallèle et la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de
l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire. A fortiori, la Commission doit également pouvoir procéder à une inspection, une décision ordonnant une inspection ne constituant qu’un acte préparatoire au traitement au fond d’une affaire, qui n’emporte pas ouverture formelle de la procédure au sens de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑340/04, EU:T:2007:81, point 129 et
jurisprudence citée).

155 En outre, il est de jurisprudence constante que, en principe, la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une juridiction nationale ou une autorité nationale en application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 102 TFUE. La Commission est donc en droit de prendre à tout moment des décisions individuelles pour l’application des articles 101 et 102 TFUE, même lorsqu’un accord ou une pratique fait déjà l’objet d’une décision d’une juridiction nationale et que la
décision envisagée par la Commission est en contradiction avec ladite décision juridictionnelle (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 27 et jurisprudence citée).

156 Par conséquent, l’enquête menée par l’autorité de concurrence tchèque ne saurait en tout état de cause faire naître la confiance légitime, à l’égard de la requérante, que la Commission s’abstiendrait d’intervenir.

157 De surcroît, il convient de relever que l’autorité de concurrence tchèque ne mène pas son enquête sur le fondement du droit de l’Union, mais sur le fondement du droit national.

158 Quant au fait que la Commission n’aurait adopté la décision attaquée qu’en 2016, alors que l’autorité de concurrence tchèque aurait mené son enquête depuis 2011 et que la Commission aurait reçu une plainte relative au même comportement de la requérante en 2013, il n’invalide pas la conclusion selon laquelle la requérante ne saurait se prévaloir d’une confiance légitime en l’espèce.

159 À cet égard, il suffit de rappeler que la Commission dispose du droit d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie (voir arrêt du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 66 et jurisprudence citée).

160 En ce qui concerne la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’elle ne s’applique que dans l’hypothèse où l’autorité nationale de concurrence applique les articles 101 ou 102 TFUE. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Partant, ladite communication n’était pas non plus susceptible de faire naître une confiance légitime à l’égard de la requérante.

161 Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté.

Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et des droits de la défense

162 Selon la requérante, l’ingérence dans le droit garanti par l’article 7 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH que comporte la décision attaquée ne remplit aucune des trois conditions pour qu’elle puisse être considérée comme justifiée. Ainsi, elle ne serait pas prévue par la loi, ne poursuivrait pas un but légitime, notamment en raison de l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par la requérante, et ne serait pas nécessaire
dans une société démocratique, notamment au vu de l’enquête menée par l’autorité de concurrence tchèque et des deux procédures judiciaires en cours.

163 De surcroît, la décision attaquée porterait atteinte au droit garanti par l’article 48 de la Charte et par l’article 6 de la CEDH, en particulier le droit de la requérante d’être informée d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle. En effet, en ce qui concerne la nature de l’accusation, la décision attaquée serait formulée en des termes trop larges et, en ce qui concerne la cause de l’accusation, ne contiendrait pas d’éléments concrets.

164 La Commission conclut au rejet de ce moyen.

Sur la première branche du sixième moyen, tirée d’une violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH

165 Selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

166 À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et
libertés d’autrui.

167 En ce qui concerne l’article 8 de la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ».

168 De même, les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17) précisent, en ce qui concerne l’article 7 de la Charte, ce qui suit :

« Conformément à l’article 52, paragraphe 3 [de la Charte], ce droit a le même sens et la même portée que ceux de l’article correspondant de la CEDH. Il en résulte que les limitations susceptibles de leur être légitimement apportées sont les mêmes que celles tolérées dans le cadre de l’article 8 en question : ‘(…) 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans
une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui’. »

169 Dès lors, dans la mesure où il ressort de la jurisprudence que l’exercice des pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 auprès d’une entreprise constitue une ingérence évidente dans le droit de cette dernière au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65), il convient d’examiner si la décision
attaquée remplit les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et à l’article 8, paragraphe 2, de la CEDH.

170 Selon ces conditions, la limitation doit tout d’abord être prévue par la loi. La mesure en cause doit donc avoir une base légale (voir, par analogie, arrêt du 28 mai 2013, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11, EU:T:2013:273, point 79 et jurisprudence citée).

171 En l’espèce, il découle des visas de la décision attaquée qu’elle a été adoptée sur le fondement de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, disposition qui prévoit en effet la compétence de la Commission pour ordonner, par voie de décision, des inspections auxquelles les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre.

172 La condition selon laquelle toute ingérence au droit au respect de la vie privée doit être « prévue par la loi » est donc remplie.

173 En ce qui concerne ensuite la condition selon laquelle, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui, il ressort de la jurisprudence que les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 20 du règlement no 1/2003 ont pour but de permettre à celle-ci d’accomplir la mission, qui lui
est confiée par les traités, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché intérieur. Ces règles ont pour fonction d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L’exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement no 1/2003 concourt au maintien du régime concurrentiel voulu par les traités, dont le respect s’impose impérativement aux entreprises. Dans ces conditions, il n’apparaît
donc pas que le règlement no 1/2003, en conférant à la Commission les pouvoirs de procéder à des vérifications sans communication préalable, comporte une atteinte au droit prévu par l’article 7 de la Charte et l’article 8 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, EU:C:1980:169, point 20).

174 Dès lors, compte tenu de l’analyse des autres moyens du présent recours, auxquels la requérante renvoie dans ce contexte, la décision attaquée, qui a été adoptée sur le fondement du règlement no 1/2003, répond, elle aussi, à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

175 Enfin, s’agissant de la question de savoir si la décision attaquée excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif mentionné au point 173 ci-dessus, il suffit de rappeler que cette même question a déjà été analysée dans le cadre de l’examen du premier moyen. Or, à l’issue de cette appréciation, il a été conclu que, compte tenu du résultat de l’examen des deuxième et troisième moyens, la décision attaquée avait bien été adoptée dans le respect du principe de proportionnalité.

176 Dans ces conditions, la première branche du sixième moyen, tirée d’une violation de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH, doit être rejetée.

Sur la seconde branche du sixième moyen, tirée d’une violation de l’article 48 de la Charte et de l’article 6 de la CEDH

177 Selon l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, « [l]e respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ».

178 En ce qui concerne l’article 6 de la CEDH, les explications relatives à la Charte précisent ce qui suit :

« L’article 48 est le même que l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la CEDH (…) Conformément à l’article 52, paragraphe 3, ce droit a le même sens et la même portée que le droit garanti par la CEDH. »

179 À cet égard, il convient de rappeler que la procédure administrative au titre du règlement no 1/2003, qui se déroule devant la Commission, se subdivise en deux phases distinctes et successives dont chacune répond à une logique interne propre, à savoir une phase d’instruction préliminaire, d’une part, et une phase contradictoire, d’autre part. La phase d’instruction préliminaire, durant laquelle la Commission fait usage des pouvoirs d’instruction prévus par le règlement no 1/2003 et qui s’étend
jusqu’à la communication des griefs, est destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et de prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction
reprochée (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 47 et jurisprudence citée).

180 D’une part, s’agissant de la phase d’instruction préliminaire, la Cour a précisé que cette phase avait pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés notamment par les articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce n’est
qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses
droits de la défense. En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 48 et
jurisprudence citée).

181 Certes, les mesures d’instruction prises par la Commission au cours de la phase d’instruction préliminaire, notamment les mesures de vérification et les demandes de renseignements au titre des articles 18 et 20 du règlement no 1/2003, impliquent par nature le reproche d’une infraction et sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 50). En effet, même si, d’un
point de vue formel, l’entreprise concernée n’a pas le statut d’« accusé » au cours de la phase d’instruction préliminaire, l’ouverture de l’enquête à son égard, notamment par l’adoption d’une mesure d’instruction la concernant, ne saurait, en règle générale, être dissociée, d’un point de vue matériel, de l’existence d’un soupçon et, partant, d’un reproche implicite qui justifie l’adoption de cette mesure (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 52).
Partant, il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis au cours de cette phase de la procédure administrative dès lors que les mesures d’instruction prises peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (voir arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 51 et jurisprudence citée). Il en résulte que la
Commission est tenue d’informer l’entreprise concernée, au stade de la première mesure prise à son égard, de l’objet et du but de l’instruction en cours. À cet égard, la motivation doit notamment permettre à cette entreprise de comprendre le but ainsi que l’objet de cette instruction, ce qui implique de préciser les présomptions d’infraction et, dans ce contexte, le fait qu’elle est susceptible de s’exposer à des reproches liés à cette éventuelle infraction, pour qu’elle puisse prendre les
mesures qu’elle estime utiles à sa décharge et préparer ainsi sa défense au stade de la phase contradictoire de la procédure administrative (arrêt du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 56).

182 Or, compte tenu de l’examen des deuxième et troisième moyens à l’issue duquel il a été conclu qu’il y avait lieu d’annuler la décision attaquée pour autant qu’elle concernait des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et pour autant qu’elle visait un comportement autre que la prétendue pratique de prix inférieurs aux coûts de revient, force est de constater que, pour le surplus, la motivation de la décision attaquée répond aux exigences qui découlent du règlement no 1/2003 et de la
jurisprudence.

183 Dans ces conditions, la décision attaquée, qui s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire de la procédure administrative prévue par le règlement no 1/2003, doit être considérée comme adoptée dans le respect des droits de la défense de la requérante.

184 La seconde branche du sixième moyen, tirée d’une violation de l’article 48 de la Charte et de l’article 6 de la CEDH, doit donc elle aussi être rejetée.

185 Dès lors, il convient de rejeter le sixième moyen.

186 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu, premièrement, d’annuler la décision attaquée pour autant qu’elle concerne des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et un comportement autre que la pratique suspectée de prix inférieurs aux coûts de revient et, deuxièmement, de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

187 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

188 En l’espèce, dans la mesure où la décision attaquée doit être annulée partiellement, le Tribunal estime qu’il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision C(2016) 2417 final de la Commission, du 18 avril 2016, relative à une procédure d’application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003, adressée à České dráhy, a.s. ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, leur ordonnant de se soumettre à une inspection (affaire AT.40156 – Falcon), est annulée pour autant qu’elle concerne des liaisons autres que la liaison Prague-Ostrava et un comportement autre que la prétendue pratique de
prix inférieurs aux coûts de revient.

  2) Le recours est rejeté pour le surplus.

  3) Chaque partie supportera ses propres dépens.

Collins

Barents

  Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 juin 2018.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : T-325/16
Date de la décision : 20/06/2018
Type de recours : Recours en annulation - non fondé, Recours en annulation - fondé

Analyses

Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Proportionnalité – Absence de caractère arbitraire – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Sécurité juridique – Confiance légitime – Droit au respect de la vie privée – Droits de la défense.

Position dominante

Concurrence


Parties
Demandeurs : České dráhy a.s.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Passer

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2018:368

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