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31/05/2018 | CJUE | N°T-352/17

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Janusz Korwin-Mikke contre Parlement européen., 31/05/2018, T-352/17


ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

31 mai 2018 ( *1 )

« Droit institutionnel – Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement – Propos portant atteinte à la dignité du Parlement et au bon déroulement des travaux parlementaires – Sanctions disciplinaires de perte du droit à l’indemnité de séjour et de suspension temporaire de participation à l’ensemble des activités du Parlement – Liberté d’expression – Obligation de motivation – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑352/17,

Janusz Korwin-Mi

kke, demeurant à Józefów (Pologne), représenté par Mes M. Cherchi, A. Daoût et M. Dekleermaker, avocats,

partie requéra...

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

31 mai 2018 ( *1 )

« Droit institutionnel – Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement – Propos portant atteinte à la dignité du Parlement et au bon déroulement des travaux parlementaires – Sanctions disciplinaires de perte du droit à l’indemnité de séjour et de suspension temporaire de participation à l’ensemble des activités du Parlement – Liberté d’expression – Obligation de motivation – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑352/17,

Janusz Korwin-Mikke, demeurant à Józefów (Pologne), représenté par Mes M. Cherchi, A. Daoût et M. Dekleermaker, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz, Mme S. Seyr et M. S. Alonso de León, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du président du Parlement du 14 mars 2017 et de la décision du bureau du Parlement du 3 avril 2017, infligeant au requérant la sanction de perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de 30 jours, de suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de dix jours consécutifs et d’interdiction de représenter le Parlement pour une
période d’un an et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait desdites décisions,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas (rapporteur), D. Spielmann, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1 Le requérant, M. Janusz Korwin-Mikke, est député au Parlement européen.

2 Lors de la séance plénière du Parlement du 1er mars 2017 (ci-après la « séance plénière du 1er mars 2017 »), ayant pour objet le « Gender pay gap », soit la problématique de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, le requérant a adressé une question à une députée européenne, dans les termes suivants :

« Connaissez-vous le palmarès des femmes lors des Olympiades polonaises de physique théorique ? Quelle était la position de la meilleure femme ou fille ? Je peux vous le dire : 800. Et vous savez combien de femmes se trouvent parmi les cent premiers joueurs d’échecs ? Je vous le dis : pas une. Et bien sûr, les femmes doivent gagner moins que les hommes parce qu’elles sont plus faibles, plus petites et moins intelligentes, elles doivent gagner moins. C’est tout. »

3 Par lettre du 3 mars 2017, le président du Parlement a informé le requérant, d’une part, du fait que les propos qu’il avait tenus lors de la séance plénière du 1er mars 2017 portaient atteinte à la dignité du Parlement et aux valeurs définies à l’article 11 du règlement intérieur de ce dernier (ci-après le « règlement intérieur ») et, d’autre part, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son égard au titre de l’article 166, paragraphe 1, dudit règlement, tout en l’invitant à présenter ses
observations.

4 Par lettre du 7 mars 2017, le requérant a adressé ses observations au président du Parlement.

5 Par décision du 14 mars 2017 (ci-après la « décision du président »), le président du Parlement a infligé au requérant les sanctions suivantes :

– la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de 30 jours ;

– la suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de dix jours consécutifs, sans préjudice de l’exercice du droit de vote en séance plénière ;

– l’interdiction de représenter le Parlement dans une délégation interparlementaire, une conférence interparlementaire ou dans tout autre forum interinstitutionnel pour une période d’un an.

6 Le 27 mars 2017, le requérant a introduit un recours interne devant le bureau du Parlement à l’encontre de la décision du président, en demandant l’annulation des sanctions prononcées à son encontre, conformément à l’article 167 du règlement intérieur.

7 Par décision du 3 avril 2017 (ci-après la « décision du bureau »), le bureau du Parlement a maintenu les sanctions infligées au requérant par la décision du président.

Procédure

8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2017, le requérant a introduit le présent recours.

9 Sur proposition de la sixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

10 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité les parties à répondre à une question. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

11 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 novembre 2017.

Conclusions des parties

12 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision du bureau ;

– annuler la décision du président ;

– ordonner la réparation des préjudices financier et moral causés par les décisions du président et du bureau, évalués à 19180 euros ;

– condamner le Parlement aux dépens.

13 Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter la demande en annulation de la décision du président comme irrecevable ;

– rejeter la demande en annulation de la décision du bureau partiellement comme irrecevable et partiellement comme non fondée ;

– rejeter la demande indemnitaire comme partiellement irrecevable et partiellement non fondée ;

– condamner le requérant aux dépens.

14 Lors de l’audience, le requérant a déclaré se désister du recours en ce qu’il vise la décision du président, celle-ci ayant été remplacée par celle du bureau, qui constitue la position finale du Parlement, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

En droit

Sur les conclusions en annulation

15 À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève deux moyens, tirés, en substance, le premier, d’une violation du principe général de la liberté d’expression, de l’article 166 du règlement intérieur et de l’obligation de motivation et, le second, d’une violation du principe de proportionnalité et de l’obligation de motivation.

16 En effet, bien que dans l’intitulé desdits moyens, tel qu’il figure dans la requête, d’autres griefs soient également mentionnés, tirés notamment d’une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et d’un excès de pouvoir, force est de constater qu’il ressort de la substance de l’argumentation du requérant qu’il reproche au Parlement d’avoir violé son droit à la liberté d’expression tel qu’il est garanti par l’article 11 de la
Charte et par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (première branche du premier moyen), d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation et d’avoir méconnu le champs d’application de l’article 166 du règlement intérieur (deuxième branche du premier moyen), d’avoir violé l’obligation de motivation qui lui incombait en vertu de l’article 296 TFUE (troisième branche du premier moyen
et seconde branche du second moyen) et, enfin, d’avoir violé le principe de proportionnalité en ce qui concerne les sanctions disciplinaires imposées (première branche du second moyen).

Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe général de la liberté d’expression, de l’article 166 du règlement intérieur et de l’obligation de motivation

17 Il convient d’examiner, tout d’abord, la troisième branche, puis, conjointement, les première et deuxième branches du premier moyen.

– Sur la troisième branche, tirée d’une violation de l’obligation de motivation

18 Le requérant soutient que la motivation de la décision du bureau ne permet ni de savoir s’il a troublé de manière exceptionnellement grave la séance plénière du 1er mars 2017, ni de déterminer quels principes définis à l’article 11 du règlement intérieur ont été violés, ni de comprendre pourquoi il n’a pas été tenu compte de la liberté d’expression accrue dont il bénéficierait en tant que parlementaire.

19 Le Parlement conteste cette argumentation.

20 Il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 22 mai 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑300/10, EU:T:2012:247, point 180 et jurisprudence citée). En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Cette motivation peut être
suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir ordonnance du 12 juillet 2012, Dover/Parlement, C‑278/11 P, non publiée, EU:C:2012:457, point 36 et jurisprudence citée).

21 Par ailleurs, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 22 mai 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑300/10, EU:T:2012:247, point 181 et
jurisprudence citée).

22 En l’espèce, la décision du bureau comprend trois sections. La première (points 1 à 16 de la décision) expose les faits qui ont conduit à l’adoption des sanctions en cause, les déclarations précédentes du requérant ayant déjà fait l’objet de sanctions et la procédure de recours interne engagée par ce dernier contre la décision du président. La deuxième (points 17 à 23 de la décision) énonce le cadre juridique applicable et la troisième (points 24 à 37 de la décision) comporte une appréciation
juridique visant à établir une violation, par le requérant, de l’article 11 du règlement intérieur et, partant, de l’article 166 dudit règlement.

23 En particulier, aux points 26 à 28 de sa décision, après avoir rappelé l’importance du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, consacré à l’article 2 TUE et reconnu par la Charte, le bureau du Parlement a, tout d’abord, constaté que, par ses propos discriminatoires, insultants et certainement prémédités, présentés, au demeurant, comme étant corroborés par des données statistiques biaisées, le requérant avait porté atteinte à une des valeurs fondamentales de l’Union européenne. Par
ailleurs, le requérant aurait indéniablement eu l’intention de provoquer et d’insulter les femmes, mais aussi le Parlement en tant qu’institution, gardienne des valeurs européennes promouvant l’égalité des sexes. En outre, lesdits propos auraient suscité l’intérêt des médias et des réactions sur les réseaux sociaux engendrant ainsi un impact négatif sur l’image du Parlement et de ses députés auprès des citoyens de l’Union.

24 Ensuite, tout en rappelant l’importance de la liberté d’expression reconnue par l’article 11, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement intérieur et par différents instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme, le bureau du Parlement a relevé que, d’après ces textes et d’après l’interprétation de cette liberté par la jurisprudence, l’exercice de celle-ci pouvait être limité s’il violait d’autres droits, « notamment s’il blessait ou insultait d’autres personnes » ou « pour
assurer la protection des droits ou de la réputation d’autres personnes » (points 29 et 30 de la décision du bureau). Aussi, au point 31 de ladite décision, le bureau du Parlement a indiqué que le principe de liberté de parole, garanti à l’ensemble des députés au Parlement, n’était pas applicable « au langage insultant, injurieux ou manquant de respect » ou « au comportement portant atteinte à la dignité du Parlement et constituant la violation des valeurs et principes fondamentaux de l’Union ».

25 À la suite de cet exposé, le bureau du Parlement a constaté, au point 32 de sa décision, que le comportement du requérant constituait une violation de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur en raison de l’atteinte portée aux valeurs et aux principes définis dans les traités, y compris la Charte, et qu’il ne respectait pas la dignité du Parlement. De plus, il a souligné que ce comportement ne pouvait se justifier au titre de l’article 11, paragraphe 4, dudit règlement, compte tenu du
fait que l’emploi d’un langage offensant et insultant ne pouvait être couvert par la liberté d’expression. Il en a conclu que, dans ces conditions, le requérant avait perturbé les travaux du Parlement en violation des principes visés à l’article 11 du règlement intérieur, au sens de l’article 166 de ce dernier.

26 Enfin, aux points 33 à 35 de sa décision, le bureau du Parlement a relevé que le requérant avait déjà fait usage d’un langage inapproprié, en violation de l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur, ce qui avait conduit le président du Parlement, à trois reprises, à lui imposer des sanctions qui avaient, ensuite, été confirmées par le bureau du Parlement. Il a, en conséquence, conclu que le comportement du requérant devait être considéré comme étant grave et récurrent et que le fait qu’il
n’avait pas présenté d’excuses, mais qu’il avait, au contraire, réitéré ses remarques, justifiait davantage la sévérité de la sanction imposée.

27 Il s’ensuit que, sans préjudice de l’examen de son bien-fondé qui sera effectué dans le cadre des première et deuxième branches du présent moyen, la décision du bureau comporte une motivation conforme aux exigences de l’article 296 TFUE.

28 Par conséquent, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.

– Sur les première et deuxième branches, tirées, respectivement, d’une violation de la liberté d’expression et d’une violation de l’article 166 du règlement intérieur

29 Le requérant fait valoir, en substance, que le Parlement n’aurait pas établi que les conditions requises aux fins de l’application de l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur étaient remplies et qu’il lui aurait ainsi imposé une sanction disciplinaire en violation de la liberté d’expression accrue dont il bénéficierait en tant que parlementaire, conformément à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).

30 À cet égard, il soutient, en premier lieu, que la décision du bureau est entachée d’une erreur de droit, en ce qu’elle ne tiendrait pas suffisamment compte du fait que ses propos, prononcés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions parlementaires dans l’enceinte du Parlement, constituaient des éléments de son discours politique.

31 En deuxième lieu, il estime que, en voulant sanctionner la teneur de ses propos, et non une éventuelle violation d’une règle du débat parlementaire, le Parlement a commis une erreur manifeste d’appréciation et a méconnu le champ d’application de l’article 166 du règlement intérieur. D’une part, il fait valoir qu’il ressort des motifs de ladite décision que son intervention lors de la séance plénière du 1er mars 2017 était régulière, de sorte qu’il conviendrait de s’interroger sur la question de
savoir si ses propos étaient véritablement constitutifs d’un trouble ou d’une perturbation grave du débat parlementaire. D’autre part, il relève que le caractère « flou et imprécis » du libellé : « trouble la séance ou perturbe les travaux du Parlement d’une manière grave en violation des principes définis à l’article 11 », visés à l’article 166 du règlement intérieur, nécessiterait que le Parlement démontre concrètement que ses propos entraient bien dans le champ d’application de cette
disposition, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

32 En troisième lieu, le requérant soutient que la décision du bureau ne démontre pas que ses propos ont effectivement troublé la séance plénière du 1er mars ou qu’ils ont gravement perturbé les travaux du Parlement en violation de l’article 11 du règlement intérieur, de sorte à considérer que les conditions de fond visées à l’article 166 dudit règlement étaient effectivement remplies.

33 En quatrième lieu, le requérant fait valoir que le Parlement reste en défaut de démontrer que la décision du bureau est susceptible d’être considérée comme une dérogation autorisée au droit à la liberté d’expression.

34 Le Parlement fait valoir, tout d’abord, que l’examen de la validité de la décision du bureau doit être opéré uniquement au regard des droits fondamentaux garantis par la Charte et, en particulier, au regard de son article 11, qui consacre la liberté d’expression, et son interprétation par le juge de l’Union. La jurisprudence de la Cour EDH invoquée par le requérant ne serait donc pas applicable au cas d’espèce, mais pourrait, tout au plus, servir de source d’inspiration. À supposer même qu’elle
le soit, il n’en résulterait pas que sa liberté de parole soit illimitée.

35 Le Parlement souligne, ensuite, que, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 166 et 167 du règlement intérieur, son président et, le cas échéant, le bureau du Parlement disposent d’une certaine marge d’appréciation. Le contrôle du Tribunal devrait, dès lors, se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’un détournement de pouvoir et si les garanties procédurales ont été respectées.

36 Enfin, s’agissant de la violation de l’article 166 du règlement intérieur, invoquée dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, le Parlement prétend qu’il ne découle pas de façon suffisamment claire de la requête si le requérant critique la décision du bureau pour avoir été adoptée en violation dudit article ou s’il conteste la légalité de ce dernier en tant que fondement juridique de ladite décision, de sorte que la branche en cause serait irrecevable. Toutefois, le Parlement se
défend, à titre surabondant, en indiquant être d’accord avec la lecture que fait le requérant de la ratio legis de l’article 166 du règlement intérieur et en soutenant que la situation que cette disposition vise correspond exactement à celle de l’espèce, dès lors que, par ses propos, le requérant aurait troublé les débats et les travaux du Parlement en violation des principes énoncés à l’article 11 du règlement intérieur, au détriment de la dignité du Parlement, et aurait, de ce fait, été
sanctionné. Le Parlement ajoute, en renvoyant au point 27 de la décision du bureau, que les déclarations du requérant auraient d’ailleurs provoqué une réaction immédiate de certains députés et suscité des réactions dans les médias et sur les réseaux sociaux, portant ainsi gravement atteinte à la réputation de l’institution.

37 D’emblée, il convient de constater, d’une part, que, contrairement aux affirmations du Parlement et ainsi qu’il ressort des points 16 et 29 à 33 ci-dessus, la substance des arguments du requérant, relatifs à la deuxième branche du premier moyen, se dégage de la requête avec suffisamment de clarté, de sorte que le Parlement a pu se défendre utilement dans ses écritures (voir point 36 ci-dessus) ainsi que lors de l’audience. En effet, lors de cette dernière et ainsi qu’il ressort du procès-verbal
s’y rapportant, le Parlement a pleinement pris position sur les conditions d’application de l’article 166 du règlement intérieur, lié à l’article 11 du même règlement auquel cette disposition renvoie. Partant, la fin de non-recevoir invoquée par le Parlement doit être rejetée.

38 D’autre part, le Parlement ne saurait contester la pertinence de la CEDH ainsi que de la jurisprudence de la Cour EDH en l’espèce, aux fins de l’examen de la violation de l’article 166 du règlement intérieur.

39 En effet, s’il est exact que la CEDH ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 44, et du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 45) et que, par conséquent, l’examen de la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux
garantis par la Charte (arrêt du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 46), il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et que, d’autre part, il découle de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte que les droits contenus dans celle-ci, correspondant à des droits garantis par la CEDH, ont le même sens et la même portée que ceux que
leur confère la CEDH. Aux termes des explications relatives à cette disposition, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation, le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH, mais aussi, notamment, par la jurisprudence de la Cour EDH (voir arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc
Horațiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 41 et jurisprudence citée). Il ressort, en outre, desdites explications que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans la Charte et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 28 juillet 2016, JZ, C‑294/16 PPU, EU:C:2016:610, point 50). De surcroît, il
doit être relevé que cette équivalence entre les libertés garanties par la Charte et celles garanties par la CEDH a été énoncée formellement concernant la liberté d’expression (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 147).

40 S’agissant, en particulier, de la liberté d’expression, il importe de rappeler qu’elle occupe une place essentielle dans les sociétés démocratiques et qu’elle constitue, à ce titre, un droit fondamental notamment garanti par l’article 11 de la Charte, l’article 10 de la CEDH et l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, le 16 décembre 1966 (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10,
EU:C:2011:543, point 31).

41 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que, sous réserve de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH, la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme étant inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans
lesquels il n’est pas de société démocratique (Cour EDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, CE:ECHR:1976:1207JUD000549372, § 49).

42 Le droit à la liberté d’expression ne constitue toutefois pas une prérogative absolue et son exercice peut être soumis, sous certaines conditions, à des restrictions.

43 Or, vu l’importance fondamentale de la liberté d’expression, les restrictions à celle-ci doivent s’apprécier strictement, et, ainsi qu’il ressort tant de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH que de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, les ingérences dans la liberté d’expression ne sont permises que si elles répondent à une triple condition. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de
restreindre la liberté d’expression d’une personne doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation en cause ne doit pas être excessive, ce qui implique, d’une part, qu’elle doit être nécessaire et proportionnée au but recherché et, d’autre part, que la substance de la liberté visée ne doit pas être atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017,
Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée).

44 Il importe encore de préciser qu’une ingérence ou une restriction à la liberté d’expression ne peut être considérée comme étant « prévue par la loi » que si la norme est énoncée avec suffisamment de précision de manière à être prévisible dans ses effets et à permettre à son destinataire de régler sa conduite (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 février 2004, Maestri c. Italie, CE:ECHR:2004:0217JUD003974898, § 30).

45 Il convient par ailleurs de relever que, dans une démocratie, le Parlement ou les organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique. Une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux (Cour EDH, 17 décembre 2002, A. c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2002:1217JUD003537397, § 79).

46 En outre, ainsi que l’a constamment relevé la Cour EDH dans sa jurisprudence, la liberté d’expression des parlementaires revêt une importance particulière. En effet, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences dans la liberté d’expression d’un parlementaire de l’opposition, tel le requérant, commandent au juge de se livrer à un contrôle
des plus stricts (Cour EDH, 23 avril 1992, Castells c. Espagne, CE:ECHR:1992:0423JUD001179885, § 42).

47 Il convient ainsi de considérer que la liberté d’expression des parlementaires doit se voir accorder une protection accrue eu égard à l’importance fondamentale que le Parlement joue dans une société démocratique.

48 Cependant, tout en soulignant que tout propos tenu dans l’enceinte parlementaire appelle un haut degré de protection, la Cour EDH a récemment admis, vu le lien étroit existant entre le caractère véritablement démocratique d’un régime politique et le fonctionnement du Parlement, que l’exercice de la liberté d’expression au sein du Parlement doit parfois s’effacer devant les intérêts légitimes que sont la protection du bon ordre des activités parlementaires et la protection des droits des autres
parlementaires (Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD 004246113, § 138 à 141).

49 Il importe de relever que la Cour EDH, d’une part, a lié la possibilité pour un parlement de sanctionner le comportement d’un de ses membres à la nécessité de veiller au bon ordre des travaux parlementaires et, d’autre part, a reconnu aux parlements une large autonomie pour réglementer la manière, le moment et le lieu choisis par les parlementaires pour leurs interventions (le contrôle exercé par la Cour EDH étant en conséquence restreint), mais, en revanche, une très faible latitude pour
encadrer la teneur des propos tenus par les parlementaires (le contrôle exercé par la Cour EDH étant en conséquence plus rigoureux). Dans sa jurisprudence, elle évoque, à cet égard, uniquement « une certaine dose de réglementation […] nécessaire afin de faire échec à des moyens d’expression tels que des appels directs ou indirects à la violence » (Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD004246113, § 140).

50 Il s’ensuit que, d’une part, un règlement interne d’un parlement ne pourrait prévoir la possibilité de sanctionner des propos tenus par les parlementaires que dans l’hypothèse où ceux-ci porteraient atteinte au bon fonctionnement du Parlement ou représenteraient un danger sérieux pour la société tel que des appels à la violence ou à la haine raciale.

51 D’autre part, le pouvoir, reconnu aux parlements, d’infliger des sanctions disciplinaires afin d’assurer la bonne conduite de leurs activités ou la protection de certains droits, principes ou libertés fondamentaux devrait se concilier avec la nécessité d’assurer le respect de la liberté d’expression des parlementaires.

52 Partant, il convient de vérifier, en tenant compte de l’importance particulière que revêt la liberté d’expression des parlementaires et des limites strictes dans lesquelles des restrictions peuvent être apportées à cette liberté, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour EDH dans ce contexte, si, en infligeant la sanction disciplinaire en cause, le Parlement a observé les conditions prévues par l’article 166, paragraphe 1, de son règlement intérieur.

53 En l’espèce, le règlement intérieur, dans sa version en vigueur au moment des faits telle qu’appliquée par le bureau du Parlement, prévoit, au quatrième chapitre de son titre VII intitulé « Mesures en cas de non-respect des règles de conduite applicables aux députés », des mesures d’application immédiate, pouvant être prises par le président de la séance pour rétablir l’ordre (article 165 du règlement intérieur) et des sanctions disciplinaires pouvant être adoptées par le président du Parlement à
l’égard d’un député (article 166 du règlement intérieur).

54 En vertu de l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur, qui a été appliqué en l’espèce, le président du Parlement adopte une décision motivée prononçant la sanction appropriée « [d]ans le cas où un député trouble la séance ou perturbe les travaux du Parlement d’une manière grave en violation des principes définis à l’article 11 […] ».

55 Or, il convient de souligner que le libellé de l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur diffère selon les versions linguistiques dudit règlement. Ainsi, à la différence de la version en langue française de cette disposition, ainsi que, notamment, des versions en langues allemande, italienne, espagnole, néerlandaise et grecque, la version en langue anglaise ne mentionne pas la perturbation « des travaux » ou « de l’activité » du Parlement, mais emploie l’expression
« disruption of Parliament ». D’après le Parlement, cette expression ne porterait pas uniquement sur les travaux parlementaires au sein de l’hémicycle, mais désignerait une situation plus large que la séance, englobant également l’impact sur sa réputation ou sa dignité en tant qu’institution.

56 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité d’une interprétation uniforme d’une disposition exige, en cas de divergence entre les différentes versions linguistiques de celle-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, EU:C:2016:890, point 84 et
jurisprudence citée).

57 Il s’ensuit que la thèse soutenue par le Parlement lors de l’audience selon laquelle il conviendrait de se fonder sur la version anglaise de l’article 166 du règlement intérieur pour interpréter la volonté du législateur et l’ensemble des versions linguistiques ne saurait prospérer.

58 En effet, compte tenu de son contexte et de sa finalité, l’article 166 du règlement intérieur vise le cas d’une atteinte au bon fonctionnement du Parlement ou au bon ordre des travaux parlementaires et tend donc à sanctionner le comportement d’un député participant à la séance ou aux travaux parlementaires qui serait de nature à sérieusement entraver leur déroulement. Une telle interprétation correspond d’ailleurs, ainsi que cela a été rappelé aux points 49 à 51 ci-dessus, à l’objectif
généralement poursuivi par un règlement disciplinaire d’un parlement dont la Cour EDH a reconnu le caractère légitime (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD004246113, § 138 à 140).

59 Par ailleurs, il y a lieu de relever que le libellé de l’article 166 du règlement intérieur tend à considérer que deux cas de figure peuvent être sanctionnés, à savoir soit le fait de « troubl[er] la séance […] d’une manière grave en violation des principes définis à l’article 11 » soit la « perturb[ation d]es travaux du Parlement d’une manière grave en violation des principes définis à l’article 11 […] ».

60 Il importe de constater, à cet égard, qu’il ne ressort ni de la décision du bureau, ni des écritures des parties, que les propos tenus par le requérant devant le Parlement lors de la séance plénière du 1er mars 2017 aient créé un quelconque trouble de ladite séance, au sens de la première alternative visée à l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur. À cet égard, ainsi que cela ressort des réponses aux questions du Tribunal, la seule réaction immédiate aux propos du
requérant était celle de la députée à laquelle celui-ci avait posé une question au moyen d’un carton bleu. Celle-ci a exprimé son indignation dans les termes suivants : « Monsieur le député, d’après vous, d’après vos théories, je n’aurais même pas le droit d’être ici en tant que députée, je sais que ça vous fait mal, je sais que ça ne vous fait pas plaisir du tout que les femmes aujourd’hui aient le droit de représenter les citoyens sous les mêmes conditions, avec les mêmes droits que vous. Et
moi je suis une femme et je défends les droits des femmes contre les hommes comme vous ». Toutefois, cette réaction ne saurait permettre de caractériser la survenance d’un trouble grave de la séance plénière du 1er mars 2017 ou d’une perturbation grave des travaux du Parlement. Au demeurant, une telle appréciation ne ressort pas de la décision du bureau, laquelle fait l’objet du contrôle de légalité dont est saisi le Tribunal par le présent recours.

61 D’ailleurs, tant dans le cadre de ses réponses aux questions écrites du Tribunal que lors de l’audience, le Parlement a confirmé qu’aucun trouble ou perturbation des travaux, a fortiori grave, ne s’était produit dans son enceinte, lors de la séance plénière du 1er mars 2017 et dans le cadre des débats y afférents, à la suite de l’intervention du requérant. Toutefois, le Parlement a affirmé que le cas du requérant relevait tout de même de la seconde alternative visée par l’article 166,
paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur, à savoir « la perturbation des travaux », laquelle aurait été la conséquence directe de la violation des principes visés à l’article 11 dudit règlement, établissant des règles de conduite pour les députés. À cet égard, le Parlement a prétendu que la « perturbation » qui aurait justifié l’imposition des sanctions disciplinaires à l’égard du requérant s’était manifestée hors séance, par le biais d’une atteinte à sa réputation et à sa dignité en
tant qu’institution. Le Parlement a, en outre, précisé que la perturbation des travaux visée à l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur n’était pas limitée aux débats ou aux travaux en son sein, mais qu’il convenait de lui attribuer une acception plus large, comprenant le Parlement dans son ensemble, sa dignité, sa réputation et donc son fonctionnement.

62 Cette argumentation ne saurait prospérer.

63 En effet, premièrement, force est de constater que l’affirmation du Parlement, lors de l’audience, selon laquelle la situation du requérant relevait de la seconde alternative visée à l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur, à savoir la perturbation des travaux du Parlement, ne ressort pas de la décision du bureau, laquelle ne fournit pas de précision sur le motif d’infraction spécifique qui a été retenu en l’espèce parmi ceux visés à ladite disposition. À cet égard,
ladite décision se borne à constater, au point 32, que le comportement du requérant constitue une violation des principes définis à l’article 11, paragraphe 3, dudit règlement, en ce qu’il viole les valeurs et les principes définis dans les traités de l’Union et en ce qu’il ne respecte pas la dignité du Parlement et en déduit l’existence d’une « perturbation du Parlement », au sens de l’article 166 de ce règlement. Contrairement à ce que le Parlement a soutenu lors de l’audience, une lecture
différente du point 32 de la décision du bureau ne saurait découler des motifs contenus aux points 26 et 27 de ladite décision, à la lumière desquels il conviendrait de l’interpréter. En effet, ces derniers points se limitent à relever que les propos provocateurs, prémédités, insultants et discriminatoires, tant à l’égard des femmes que du Parlement en tant qu’institution, constituaient une violation d’une valeur fondamentale de l’Union et qu’ils auraient été susceptibles de contribuer à une
perception négative du Parlement et de ses députés par le public. Partant, si ces appréciations pouvaient, tout au plus, être interprétées comme constatant une violation de l’article 11 du règlement intérieur, pour autant, elles ne font nullement état d’une perturbation des travaux du Parlement, comme cela est exigé par l’article 166 du règlement intérieur.

64 Or, il suffit de rappeler à cet égard que c’est bien l’article 166 du règlement intérieur, et non l’article 11 de celui-ci, qui précise les conditions dans lesquelles une sanction peut être infligée à un député. En effet, l’article 11 dudit règlement comporte des règles de conduite rappelant les principes et les valeurs que doivent observer les députés dans leur comportement, celui-ci, d’après l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement ne devant pas compromettre le bon
déroulement des travaux parlementaires, le maintien de la sécurité et de l’ordre dans les bâtiments du Parlement ou encore le bon fonctionnement des équipements de ce dernier. Par ailleurs, l’article 11, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement intérieur dispose que, lors des débats parlementaires, les députés s’abstiennent de tout propos ou comportement diffamatoire, raciste ou xénophobe. En revanche, s’agissant des conséquences possibles de l’inobservation de ces règles de conduite,
l’article 11, paragraphe 3, quatrième alinéa, du règlement intérieur se limite à indiquer qu’elle « peut » conduire à l’application de « mesures », conformément aux articles 165, 166 et 167 dudit règlement. Il s’ensuit que la conclusion tirée au point 32 de la décision du bureau selon laquelle une violation des principes et des valeurs définis à l’article 11 de ce règlement entraînerait ipso facto la constatation d’un trouble grave de la séance ou d’une perturbation grave des travaux du Parlement
ne découle nullement de ladite disposition.

65 La circonstance que l’article 11, paragraphe 3, du règlement intérieur, dans sa version applicable au présent litige, comporte, dans son deuxième alinéa, une référence aux « propos ou [au] comportement diffamatoire, raciste ou xénophobe » ne saurait infirmer cette conclusion. À cet égard, il importe de relever que, bien que, comme dans son ancienne version, l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur renvoie aux principes définis à l’article 11 du même règlement, une interprétation
littérale de la première de ces dispositions conduirait à considérer que la violation desdits principes ne constitue pas un motif d’incrimination autonome, mais une condition supplémentaire, nécessaire pour pouvoir sanctionner le trouble grave de la séance ou la perturbation des travaux du Parlement, ce que le Parlement a d’ailleurs confirmé lors de l’audience. Il s’ensuit qu’une violation des principes définis à l’article 11 du règlement intérieur, à la supposer établie, ne peut, à elle seule,
être sanctionnée en tant que telle, mais uniquement si elle s’accompagne d’un trouble ou d’une perturbation des travaux du Parlement d’une manière grave, ce que le Parlement a également confirmé lors de l’audience.

66 Deuxièmement, contrairement aux affirmations du Parlement lors de l’audience, la perturbation des travaux du Parlement visée à l’article 166, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement intérieur qui se serait concrétisée en dehors de l’hémicycle, du fait des répercussions qu’auraient eu les propos du requérant à l’extérieur du Parlement, ne saurait être comprise comme étant une atteinte à la réputation ou à la dignité de celui-ci en tant qu’institution. En effet, la circonstance, mentionnée au
point 27 de la décision du bureau, que les propos du requérant aient, postérieurement à la séance plénière du 1er mars 2017, attiré l’attention des médias et des réseaux sociaux et qu’ils auraient été « susceptibles » (likely) d’avoir contribué à une perception négative du Parlement et de ses députés par le public est dénuée de pertinence, dès lors qu’elle ne permet pas de considérer que le Parlement a établi l’existence d’une perturbation de ses travaux au sens de l’article 166 du règlement
intérieur. En outre, la décision du bureau ne contient aucune appréciation relative aux critères qui ont pu amener le bureau du Parlement à constater une prétendue atteinte à la dignité du Parlement. Au surplus, faute d’avoir défini des critères objectifs pour apprécier l’existence d’une telle atteinte et compte tenu du caractère pour le moins vague de la notion de « dignité du Parlement » ou d’atteinte à cette dernière, ainsi que de la marge d’appréciation importante dont dispose le Parlement en
la matière, une telle interprétation aurait pour effet de restreindre la liberté d’expression des parlementaires de manière arbitraire.

67 De surcroît, il y a lieu de relever que l’article 166, paragraphe 2, du règlement intérieur vise le comportement des députés et prévoit que, aux fins de son appréciation, doit être pris en compte le caractère exceptionnel, récurrent ou permanent ainsi que le degré de gravité de celui-ci. En revanche, les propos, les paroles ou les discours ne sont pas mentionnés et ne sont, dès lors, pas susceptibles de faire, en tant que tels, l’objet d’une mesure de sanction.

68 Il en découle que, à supposer même que des propos tenus dans le cadre des fonctions parlementaires puissent être assimilés à un comportement, lequel doit, conformément à l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement intérieur, notamment, reposer sur certaines valeurs et ne pas compromettre le bon déroulement des travaux parlementaires, et que lesdits propos aient pu, à ce titre, constituer une violation des principes et des valeurs définis à ladite disposition, ils ne pouvaient faire
l’objet d’une sanction en l’absence de trouble grave ou de perturbation grave des travaux du Parlement.

69 Au demeurant, la distinction établie à l’article 166, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement intérieur aux fins de l’appréciation du comportement des députés lors de l’exercice de leurs fonctions parlementaires entre, d’une part, les comportements de nature visuelle pouvant être tolérés dans certaines circonstances et, d’autre part, « ceux qui perturbent de manière active des activités parlementaires », ne permet pas de considérer que des propos tenus en séance parlementaire puissent être
inclus dans cette dernière catégorie de comportements et, à ce titre, sanctionnés, en l’absence de constatation de trouble de la séance ou de perturbation des travaux de manière grave du Parlement.

70 Compte tenu de tout ce qui précède, ainsi que de l’importance particulière que revêt la liberté d’expression des parlementaires et des limites strictes dans lesquelles des restrictions peuvent lui être apportées, rappelées aux points 37 à 51 ci-dessus, les articles 11 et 166 du règlement intérieur doivent être interprétés comme ne permettant pas de sanctionner un député en raison de propos tenus dans le cadre de ses fonctions parlementaires en l’absence de trouble grave de la séance ou de
perturbation grave des travaux du Parlement.

71 Dans ces conditions, et en dépit du caractère particulièrement choquant des termes employés par le requérant dans son intervention lors de la séance plénière du 1er mars 2017, le Parlement ne pouvait, dans les circonstances de l’espèce, lui infliger de sanction disciplinaire sur le fondement de l’article 166, paragraphe 1, de son règlement intérieur.

72 Au surplus, même s’il était considéré que la perturbation des travaux ne se limitait pas stricto sensu au sein de l’hémicycle, compte tenu du fait que la référence à la « séance » à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur n’existe qu’au regard de la première alternative visée, à savoir le trouble grave, une acception aussi large que celle défendue par le Parlement ne saurait prospérer pour les motifs exposés au point 66 ci-dessus.

73 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen en ce qu’il vise à établir une violation de l’article 166 du règlement intérieur ainsi que le premier chef de conclusions et d’annuler la décision du bureau, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le deuxième moyen soulevé à l’appui des conclusions en annulation.

Sur les conclusions indemnitaires

74 À l’appui de ses conclusions indemnitaires, le requérant soutient que l’annulation de la décision du bureau ne lui permettra pas d’obtenir réparation de l’ensemble des préjudices subis. Ainsi, il sollicite, d’une part, la réparation du préjudice financier résultant de la perte du droit à l’indemnité de séjour correspondant à 9180 euros. D’autre part, il demande la condamnation du Parlement au paiement d’une somme de 10000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la suspension de sa
participation aux activités du Parlement, de l’interdiction de représenter le Parlement ainsi que de l’atteinte à sa réputation et à son honorabilité.

75 Le Parlement soutient que la demande de réparation du préjudice financier est irrecevable. Par ailleurs, il considère que l’annulation de la décision du bureau constituerait une réparation adéquate du préjudice moral du requérant. À titre subsidiaire, il estime qu’une somme de 1000 euros au maximum serait appropriée.

76 En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la demande d’indemnisation du préjudice financier résultant de la perte du droit à l’indemnité de séjour, il suffit de relever que le requérant n’explique pas en quoi, même en cas d’annulation de la décision du bureau, la circonstance qu’il a déjà subi la sanction en cause ne lui permettra pas d’obtenir réparation de l’ensemble de son préjudice, d’autant plus qu’il se limite à demander le versement du montant correspondant à l’indemnité qu’il aurait
perçue en l’absence de la sanction infligée, à savoir 9180 euros. Or, compte tenu de l’annulation de la décision du bureau et conformément à l’article 266 TFUE, il incombera au Parlement de prendre les mesures que comporte l’exécution du présent arrêt, ce qui implique de rembourser les sommes correspondant à l’indemnité de séjour dont le versement a été suspendu.

77 Il s’ensuit que la demande d’indemnisation du préjudice financier doit être rejetée.

78 S’agissant, en second lieu, de la demande d’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par le requérant, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle–même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (arrêts du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, EU:C:1987:348, point 22, et du 9 novembre 2004,
Montalto/Conseil, T‑116/03, EU:T:2004:325, point 127), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et non susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 25 juin 2015, EE/Commission, F‑55/14, EU:F:2015:66, point 46 et jurisprudence citée).

79 En l’espèce, rien dans le dossier ne permet de constater que la décision du bureau aurait été adoptée dans des conditions qui auraient causé un préjudice moral au requérant indépendamment de l’acte annulé. Partant, la demande d’indemnisation du préjudice moral doit être rejetée.

Sur les dépens

80 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. En l’espèce, dans la mesure où seule la demande en annulation a été accueillie, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) La décision du bureau du Parlement européen du 3 avril 2017 est annulée.

  2) La demande en indemnité est rejetée.

  3) M. Janusz Korwin-Mikke et le Parlement supporteront chacun leurs propres dépens.

Berardis

Papasavvas

Spielmann

Csehi

Spineanu-Matei
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 mai 2018.

Le greffier

E. Coulon

Le président

S. Frimodt Nielsen

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Sixième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-352/17
Date de la décision : 31/05/2018
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Droit institutionnel – Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement – Propos portant atteinte à la dignité du Parlement et au bon déroulement des travaux parlementaires – Sanctions disciplinaires de perte du droit à l’indemnité de séjour et de suspension temporaire de participation à l’ensemble des activités du Parlement – Liberté d’expression – Obligation de motivation – Erreur de droit.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Janusz Korwin-Mikke
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Papasavvas

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2018:319

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