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01/06/2016 | CJUE | N°T-662/14

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Hongrie contre Commission européenne., 01/06/2016, T-662/14


T‑662/1462014TJ0662EU:T:2016:32800011188T

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

1er juin 2016 ( *1 )

«Politique agricole commune — Paiements directs — Critères supplémentaires pour les surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation — Article 45, paragraphe 8, du règlement délégué (UE) no 639/2014 — Article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement (UE) no 1307/2013 — Abus de pouvoir — Sécurité juridique — Non-discrimination — Confiance légitime — Droit de propriété — Obligation de motivation»



Dans l’affaire T‑662/14,

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie req...

T‑662/1462014TJ0662EU:T:2016:32800011188T

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

1er juin 2016 ( *1 )

«Politique agricole commune — Paiements directs — Critères supplémentaires pour les surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation — Article 45, paragraphe 8, du règlement délégué (UE) no 639/2014 — Article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement (UE) no 1307/2013 — Abus de pouvoir — Sécurité juridique — Non-discrimination — Confiance légitime — Droit de propriété — Obligation de motivation»

Dans l’affaire T‑662/14,

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. H. Kranenborg, A. Sipos et G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la partie de la première phrase de l’article 45, paragraphe 8, du règlement délégué (UE) no 639/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et modifiant l’annexe X dudit règlement (JO 2014, L 181, p. 1), qui énonce ce qui suit :
« en sélectionnant sur la liste établie conformément à l’article 4, paragraphe 2, [sous] c), du règlement (UE) no 1307/2013 celles qui sont les plus appropriées d’un point de vue écologique, excluant ainsi les essences qui ne sont de toute évidence pas indigènes »,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 2 décembre 2015,

rend le présent

Arrêt ( 1 )

Antécédents du litige

1 Le règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608, ci-après le « règlement de base »), établit un nouveau cadre juridique pour les soutiens directs accordés dans le contexte de la
politique agricole commune (PAC).

2 Un des objectifs de la PAC, telle qu’elle a été redéfinie par le règlement de base, est l’amélioration des performances environnementales par une composante écologique obligatoire des paiements directs, qui soutiendra les pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement dans l’ensemble de l’Union européenne. À cette fin, les États membres devraient utiliser une partie de leurs plafonds nationaux applicables aux paiements directs pour octroyer, en plus du paiement de base, un
paiement annuel pour les pratiques obligatoires que doivent suivre les agriculteurs, axées en priorité sur des objectifs en matière de climat et d’environnement. Une de ces pratiques, qui devraient s’appliquer à l’ensemble de la surface admissible de l’exploitation, consiste en la mise en place de surfaces d’intérêt écologique (considérant 37 du règlement de base). Ces surfaces devraient être établies en particulier pour préserver et améliorer la biodiversité dans les exploitations (considérant 44
du règlement de base).

3 Le règlement de base prévoit ainsi que, lorsque les terres arables d’une exploitation couvrent plus de quinze hectares, les agriculteurs veillent à ce que, à compter du 1er janvier 2015, une surface correspondant à au moins 5 % des terres arables de l’exploitation que l’agriculteur a déclarées constitue une surface d’intérêt écologique (article 46, paragraphe 1, du règlement de base).

4 Parmi les différentes surfaces qui peuvent être considérées par les États membres comme des surfaces d’intérêt écologique figurent les surfaces plantées de taillis à courte rotation sans l’utilisation d’engrais minéraux ou de produits phytopharmaceutiques [article 46, paragraphe 2, sous g), du règlement de base].

5 Afin de garantir que les surfaces d’intérêt écologique seront établies d’une manière efficace et cohérente, le règlement de base prévoit de déléguer à la Commission européenne le pouvoir d’adopter certains actes visant à définir de nouveaux critères de détermination des zones d’intérêt écologique (considérant 45 du règlement de base). Ainsi, l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base prévoit que la Commission est habilitée à fixer de nouveaux critères pour déterminer quels types de
surfaces visés au paragraphe 2 de cette même disposition, parmi lesquelles figurent les surfaces plantées de taillis à courte rotation mentionnées ci-dessus, peuvent être considérés comme des surfaces d’intérêt écologique.

6 Sur la base de cette habilitation, la Commission a adopté le règlement délégué (UE) no 639/2014, du 11 mars 2014, complétant le règlement de base (JO 2014, L 181, p. 1, ci-après le « règlement délégué »).

7 Dans le règlement délégué, la Commission a défini des critères supplémentaires pour certains types de surfaces d’intérêt écologique. En ce qui concerne les surfaces plantées de taillis à courte rotation sans utilisation d’engrais minéraux et/ou de produits phytopharmaceutiques, la Commission a précisé que les États membres établissaient une liste des essences qui pouvaient être utilisées à cette fin, en sélectionnant sur la liste établie conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous c), du
règlement de base, celles qui sont les plus appropriées d’un point de vue écologique, excluant ainsi les essences qui ne sont de toute évidence pas indigènes (article 45, paragraphe 8, du règlement délégué).

8 À la suite de la publication du règlement délégué, la Hongrie a introduit un recours devant le Tribunal visant à l’annulation de l’article 45, paragraphe 8, dudit règlement, en ce qu’il prévoit que, pour les taillis à courte rotation, seules les essences les plus appropriées d’un point de vue écologique peuvent être sélectionnées, excluant ainsi des essences qui ne sont de toute évidence pas indigènes (ci-après la « limitation litigieuse »).

Procédure et conclusions des parties

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 septembre 2014, la Hongrie a introduit le présent recours.

10 La Hongrie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

— annuler la partie de la première phrase de l’article 45, paragraphe 8, du règlement délégué en ce qu’elle énonce ce qui suit : « en sélectionnant sur la liste établie conformément à l’article 4, paragraphe 2, [sous] c), du règlement (UE) no 1307/2013 celles qui sont les plus appropriées d’un point de vue écologique, excluant ainsi les essences qui ne sont de toute évidence pas indigènes » ;

— condamner la Commission aux dépens.

11 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

— rejeter le recours ;

— condamner la Hongrie aux dépens.

12 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 2 décembre 2015.

Sur le fond

13 La Hongrie considère en substance que, par l’adoption de la limitation litigieuse, la Commission a, premièrement, outrepassé son habilitation et indûment restreint le pouvoir d’appréciation des États membres, deuxièmement, pris en considération des critères contraires au règlement de base, troisièmement, abusé de son pouvoir, quatrièmement, violé le principe de sécurité juridique, cinquièmement, violé le principe de non-discrimination, sixièmement, violé le principe de protection de la confiance
légitime, septièmement, violé le principe de protection du droit de propriété et, huitièmement, violé l’obligation de motivation.

Sur la violation des limites de l’habilitation de la Commission et du pouvoir d’appréciation des États membres

14 La Hongrie estime, en substance, que le fait que la Commission ait imposé la limitation litigieuse est illégal parce qu’elle a outrepassé l’habilitation qui lui avait été conférée par le règlement de base et qu’il a rendu théorique le pouvoir des États membres de choisir des essences forestières pouvant constituer des taillis à courte rotation répondant aux critères de surface d’intérêt écologique. Selon la Hongrie, le libellé apparemment large de l’habilitation conférée à la Commission découle
du fait que les surfaces pour lesquelles elle est habilitée à définir des critères sont particulièrement hétérogènes. Il ne s’ensuivrait pas que la Commission dispose d’une large marge d’appréciation. La sélection des essences forestières susceptibles d’être utilisées relèverait de la compétence et de la large marge d’appréciation des États membres telles que conférées par l’article 4, paragraphe 1, sous k), et paragraphe 2, sous c), du règlement de base et le considérant 55 du règlement délégué.
Cette compétence et cette marge d’appréciation feraient obstacle à l’usage que la Commission a fait en l’espèce de son habilitation. La limitation litigieuse viderait le pouvoir d’appréciation des États membres de son sens. La Commission conteste avoir outrepassé les pouvoirs qui lui ont été conférés par le règlement de base en adoptant la limitation litigieuse.

15 Au vu de ces griefs, il importe d’observer que l’article 4, paragraphe 1, sous k), du règlement de base définit les taillis à courte rotation comme des « surfaces plantées d’essences forestières (code NC 0602 90 41) à définir par les États membres, composées de cultures pérennes et ligneuses, dont les porte-greffes ou les pieds mères restent dans le sol après la récolte et qui développent de nouvelles pousses à la saison suivante » et dispose que « [l]es États membres définissent leur cycle
maximal de récolte ». En outre, l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement de base prévoit que les États membres « définissent les essences forestières répondant à la définition de taillis à courte rotation et fixent leur cycle maximal de récolte, au sens du paragraphe 1, [sous] k)[, de l’article 4 du règlement de base] ».

16 Par ailleurs, l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base confère à la Commission le pouvoir d’adopter des actes délégués afin de fixer de nouveaux critères pour déterminer quels types de surfaces visés à l’article 46, paragraphe 2, du même règlement peuvent être considérés comme surfaces d’intérêt écologique. En vertu de cette dernière disposition, les États membres décident, pour le 1er août 2014 au plus tard, que l’une ou plusieurs des surfaces énumérées dans la suite dudit
article doivent être considérées comme des surfaces d’intérêt écologique. Dans cette énumération figurent les surfaces plantées de taillis à courte rotation sans l’utilisation d’engrais minéraux ou de produits phytopharmaceutiques. Ainsi, l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base confère à la Commission le pouvoir de fixer des critères pour déterminer les surfaces plantées de taillis à courte rotation sans l’utilisation d’engrais minéraux ou de produits phytopharmaceutiques qui
seront considérées comme des surfaces d’intérêt écologique.

17 Le considérant 45 du règlement de base, qui précise les motifs de l’habilitation conférée à la Commission, mentionne que, « [a]fin de garantir que les surfaces d’intérêt écologique soient établies d’une manière efficace et cohérente, tout en tenant compte des caractéristiques spécifiques des États membres, il convient de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter certains actes visant à définir de nouveaux critères de détermination des zones d’intérêt écologique; à reconnaître d’autres types
de surfaces d’intérêt écologique ; à établir des coefficients de conversion et de pondération pour certains types de surfaces d’intérêt écologique ; à établir des règles aux fins de la mise en œuvre, par les États membres, d’une partie des zones d’intérêt écologique au niveau régional ; à définir des règles aux fins de la mise en œuvre collective de l’obligation faite aux exploitations d’assurer une grande proximité entre les zones d’intérêt écologique ; à définir le cadre dans lequel doivent
s’inscrire les critères, à définir par les États membres, pour établir cette proximité ; et à définir la méthode de détermination du [ratio] entre les surfaces forestières et les surfaces agricoles ».

18 En application de l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base, la Commission a adopté la limitation litigieuse, qui impose un critère supplémentaire pour qu’une surface soit qualifiée de surface d’intérêt écologique. En effet, la limitation litigieuse exclut les essences non indigènes des taillis à courte rotation plantés sur une surface destinée à être d’intérêt écologique. Ainsi, en application de l’article 46, paragraphe 2, sous g), du règlement de base et de la limitation
litigieuse, une surface plantée de taillis à courte rotation est qualifiée de surface d’intérêt écologique à condition qu’elle ne soit pas enrichie avec des engrais minéraux ou traitée avec des produits phytopharmaceutiques et que les taillis soient constitués d’essences indigènes.

19 En adoptant la limitation litigieuse, la Commission n’a pas outrepassé son pouvoir d’habilitation. En effet, conformément à l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base, elle a fixé un nouveau critère pour déterminer quels types de surfaces visés à l’article 46, paragraphe 2, du règlement de base pouvaient être considérés comme surfaces d’intérêt écologique. Ni l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base ni les autres dispositions du même règlement ne prévoient que
ledit critère ne pouvait avoir trait au type d’essence pouvant être planté. En outre, pour les motifs exposés aux points 31 et suivants ci-après, la limitation litigieuse participe à l’établissement des surfaces d’intérêt écologique de manière efficace et cohérente eu égard à l’objectif de préservation de la biodiversité de ces surfaces.

20 Par ailleurs, en adoptant la limitation litigieuse, la Commission n’a pas violé la compétence et la marge d’appréciation des États membres pour définir les essences forestières qui peuvent être plantées pour former des taillis à courte rotation.

21 En effet, le règlement de base, et, en particulier, l’article 4, paragraphe 1, sous k), et paragraphe 2, sous c), ne confère pas aux États membres une compétence exclusive pour la sélection des essences forestières pouvant être utilisées pour constituer des surfaces d’intérêt écologique. Comme l’indique à juste titre la Commission dans ses écritures, si les États membres peuvent établir une liste des essences forestières applicable aux plantations de taillis à courte rotation, seules les essences
forestières qui remplissent les conditions prévues par le règlement de base et répondent aux critères supplémentaires établis par la Commission dans l’exercice de son habilitation peuvent être prises en compte pour qualifier des surfaces agricoles de surfaces d’intérêt écologique.

22 En outre, la limitation litigieuse ne réduit pas la marge d’appréciation des États membres à un niveau purement symbolique et, en pratique, ne la vide pas de son sens. En effet, la Hongrie n’a pas contesté le constat de Commission selon lequel il ressortait des notifications faites par les États membres, en application de l’article 46, paragraphe 8, du règlement de base, que ceux-ci avaient désigné des essences forestières indigènes pour former des surfaces plantées de taillis à courte rotation
qualifiées de surfaces d’intérêt écologique. Il ressort de ces notifications que 18 États membres et des régions de deux autres États membres ont sélectionné au total 19 essences forestières permettant d’établir des surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation. Les États membres ont ainsi notifié des essences qui remplissaient aussi bien les exigences figurant dans le règlement de base que celle imposée par la limitation litigieuse. En outre, la Commission a avancé que,
dans près de 75 % des États membres, y compris la Hongrie, il existait des essences forestières permettant de constituer des taillis à courte rotation pouvant être classés comme surfaces d’intérêt écologique. À l’occasion de la notification faite en application de l’article 46, paragraphe 8, du règlement de base, la Hongrie a ainsi désigné cinq essences forestières utilisées pour constituer des taillis à courte rotation, à savoir le peuplier, le saule, l’aulne, le frêne et l’érable.

23 Par ailleurs, la Hongrie n’étaye pas à suffisance son argument selon lequel le pouvoir d’appréciation des États membres serait vide de sens parce qu’aucune essence forestière indigène ne serait économiquement rentable. En effet, la Hongrie n’expose pas sur quelle base elle affirme que la rentabilité constituait un élément devant être pris en compte lors de la fixation de nouveaux critères pour déterminer des surfaces d’intérêt écologique, d’autant que, pour les taillis à courte rotation,
l’article 46, paragraphe 2, du règlement de base prévoit que l’équivalent de 5 % des terres devant être dédiées à l’obligation écologique ne doivent pas se situer sur des terres arables. En outre et en tout état de cause, la Hongrie n’a pas avancé de preuve démontrant que la culture d’essences forestières indigènes pour les taillis à courte rotation n’était pas économiquement rentable.

24 Les appréciations qui précèdent ne sont pas remises en cause par l’invocation par la Hongrie du considérant 55 du règlement délégué. En effet, ce considérant prévoit que « [l]’utilisation limitée d’intrants nécessaires à la culture de taillis à courte rotation bénéficie indirectement à la biodiversité » et que, « [à] cette fin, il convient que les États membres fixent les conditions applicables à ce type de surface d’intérêt écologique, en dressant la liste des essences forestières qui peuvent
être utilisées et en établissant les règles applicables à l’utilisation des intrants ». Ainsi, ce considérant traite principalement des intrants. En outre, il ne peut primer sur l’article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement de base ou sur l’article 45, paragraphe 8, du règlement délégué contenant la limitation litigieuse. La Hongrie admet cela implicitement, dès lors qu’elle indique dans la requête que « les considérants n’ont pas de force contraignante en droit contrairement aux dispositions
des articles ». Enfin, en ce que ledit considérant reconnaît une compétence pour les États membres, il y a lieu d’observer que, pour les motifs exposés au point 21 ci-dessus, il n’exclut pas l’adoption par la Commission de la limitation litigieuse. Ce considérant ne peut donc affecter les appréciations effectuées précédemment.

25 Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de rejeter les allégations de la Hongrie selon lesquelles, par l’adoption de la limitation litigieuse, la Commission a outrepassé son habilitation et indûment restreint le pouvoir d’appréciation des États membres.

Sur la prise en compte des essences les plus appropriées d’un point de vue écologique et sur l’exclusion des essences non indigènes

26 La Hongrie estime que, en insérant la condition restrictive qui consiste en l’utilisation d’« essences les plus appropriées d’un point de vue écologique », la Commission a adopté une position qui n’est pas reconnue par le règlement de base et qui est à peine compatible avec l’esprit de celui-ci. En outre, la Hongrie conteste le fait que seules les essences indigènes soient considérées comme les plus appropriées du point de vue de l’intérêt écologique. Une exclusion des essences non indigènes ne
serait admissible que si seules les surfaces qui influencent directement la diversité biologique étaient utiles sur le plan écologique. Or, cette dernière position serait scientifiquement inexacte et incompatible avec le règlement de base. L’exclusion sur la base du critère des « essences les plus appropriées d’un point de vue écologique » des essences non indigènes serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

27 S’agissant de la prise en compte des essences les plus appropriées d’un point de vue écologique pour définir une surface plantée de taillis à courte rotation comme surface d’intérêt écologique, il convient de rappeler que, en matière de PAC, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition des objectifs poursuivis et le choix des instruments d’action appropriés. Il s’ensuit que le contrôle du juge de l’Union quant au fond se limite à
examiner si l’exercice par les institutions de leurs compétences n’est pas entaché d’une erreur manifeste, s’il n’y a pas eu un détournement de pouvoir ou encore si elles n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation (voir arrêt du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444 points 84 et 85 et jurisprudence citée).

28 Par ailleurs, le considérant 44 du règlement de base mentionne :

« Des surfaces d’intérêt écologique devraient être établies, en particulier, pour préserver et améliorer la biodiversité dans les exploitations. Les surfaces d’intérêt écologique devraient par conséquent être constituées de zones ayant une incidence directe sur la biodiversité, par exemple les terres mises en jachère, les particularités topographiques, les terrasses, les bandes tampons, les surfaces boisées et les zones d’agroforesterie, ou ayant une incidence indirecte sur la biodiversité par
l’utilisation réduite d’intrants dans les exploitations, par exemple les surfaces couvertes par des cultures dérobées et la couverture végétale hivernale […] »

29 Ainsi, les surfaces d’intérêt écologique doivent être établies pour préserver et améliorer la biodiversité dans les exploitations.

30 Or, en prenant en compte les essences qu’elle considère comme étant les plus appropriées d’un point de vue écologique, c’est-à-dire les essences les plus appropriées par rapport au respect de l’équilibre du milieu naturel ou au respect de l’écosystème de la surface en question, la Commission a choisi un critère qui participe à la préservation de la biodiversité. En effet, la préservation de l’équilibre du milieu naturel de la surface lors du choix des essences contribue à préserver la
biodiversité dans l’exploitation, puisqu’il fait obstacle à son altération. La Commission n’a dès lors pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prenant en compte les essences les plus appropriées d’un point de vue écologique pour définir une surface d’intérêt écologique au sens du règlement de base. La prise en compte dudit critère n’est pas contraire au règlement de base ou à son esprit.

31 En ce que la Hongrie conteste que seules les essences indigènes soient les essences les plus appropriées du point de vue écologique, il convient d’observer que la Commission pouvait considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la plantation d’essences forestières qui ne sont de toute évidence pas indigènes comme taillis à courte rotation ne permettait pas de garantir que ces taillis préserveraient ou amélioreraient la biodiversité des surfaces des exploitations sur lesquelles
ils sont plantés. Comme cela a été indiqué au point 28 ci-dessus, l’objectif poursuivi à travers les surfaces d’intérêt écologique est de préserver ou d’améliorer la biodiversité des surfaces des exploitations. La préservation de la biodiversité desdites surfaces implique la préservation de leur milieu naturel. Or, le fait que la Commission ait imposé des taillis constitués d’essences indigènes participera à la préservation dudit milieu et, partant, de la biodiversité des surfaces en cause. En
effet, une essence est considérée comme indigène lorsqu’elle croît naturellement dans une région sans y avoir été importée. À l’inverse, la plantation d’essences qui ne sont de toute évidence pas indigènes ne contribue pas nécessairement à la préservation du milieu naturel ou de l’écosystème d’une surface agricole, et la Hongrie n’a apporté aucun élément de preuve permettant de considérer que, en l’espèce, des essences forestières non indigènes préserveront et amélioreront la biodiversité dans
les exploitations. La Commission pouvait dès lors, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation et sans violer le règlement de base, limiter la plantation d’essences forestières sur les surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation aux seules essences indigènes.

32 La Hongrie considère encore que, en mettant l’accent sur des surfaces qui influencent directement la diversité biologique par l’adoption de la limitation litigieuse, la Commission a laissé de côté la seconde approche, consacrée au considérant 44 du règlement de base, selon laquelle la diversité biologique peut également être favorisée au moyen de surfaces qui l’influencent indirectement, sans toutefois fournir clairement la raison de ce choix dans les considérants du règlement délégué ou dans le
mémoire en défense. La Commission conteste ces arguments.

33 Il ressorte du considérant 44 du règlement de base (voir point 28 ci-dessus) que les surfaces d’intérêt écologique doivent être constituées de zones ayant une incidence soit directe soit indirecte sur la biodiversité sans qu’il y ait de hiérarchie entre ces deux options.

34 En l’espèce, la limitation litigieuse vise à établir des surfaces d’intérêt écologique sur la base de leur incidence directe sur la biodiversité dès lors qu’elle impose l’utilisation d’essences indigènes pour constituer des surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation.

35 Ce choix de la Commission ne peut être considéré comme contraire à l’esprit du règlement de base, puisque ce dernier prévoit la possibilité de prendre des mesures ayant une incidence directe sur la biodiversité. La Commission pouvait dans l’exercice de sa marge d’appréciation opter pour une mesure ayant une incidence directe sur la biodiversité. En outre, ledit choix ne nécessitait pas une explication particulière par rapport à une limitation ayant une incidence indirecte étant donné, d’une part,
l’absence de hiérarchie entre les deux options et, d’autre part, le fait qu’il existait en l’espèce dans les États membres, et en particulier en Hongrie, des essences forestières indigènes pouvant constituer des taillis à courte rotation (voir point 22 ci-dessus). Partant, le grief de la Hongrie fondé sur le choix par la Commission d’un critère qui favorise directement la diversité biologique doit être rejeté.

36 Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de rejeter les griefs de la Hongrie selon lesquels la limitation litigieuse est fondée sur un critère inadéquat et est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

[omissis]

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) La Hongrie est condamnée aux dépens.

Prek

Labucka

  Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juin 2016.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.

( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : T-662/14
Date de la décision : 01/06/2016
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Politique agricole commune – Paiements directs – Critères supplémentaires pour les surfaces d’intérêt écologique plantées de taillis à courte rotation – Article 45, paragraphe 8, du règlement délégué (UE) nº 639/2014 – Article 46, paragraphe 9, sous a), du règlement (UE) nº 1307/2013 – Abus de pouvoir – Sécurité juridique – Non-discrimination – Confiance légitime – Droit de propriété – Obligation de motivation.

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Hongrie
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Kreuschitz

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2016:328

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