ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)
15 juillet 2015 ( *1 )
«Concurrence — Ententes — Marché européen de l’acier de précontrainte — Fixation des prix, partage du marché et échange d’informations commerciales sensibles — Infraction complexe — Infraction unique et continue — Distanciation — Gravité de l’infraction — Circonstances atténuantes — Égalité de traitement — Principe d’individualité des peines et des sanctions — Appréciation de la capacité contributive — Communication de la Commission sur la coopération de 2002 — Lignes directrices pour le calcul du
montant des amendes de 2006 — Pleine juridiction»
Dans l’affaire T‑393/10,
Westfälische Drahtindustrie GmbH, établie à Hamm (Allemagne),
Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG, établie à Hamm,
Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG, établie à Iserlohn (Allemagne),
représentées initialement par Mes C. Stadler et N. Tkatchenko, puis par Mes Stadler et S. Budde, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par MM. V. Bottka, R. Sauer et C. Hödlmayr, en qualité d’agents, assistés de Me M. Buntscheck, avocat,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation et de réformation de la décision C (2010) 4387 final de la Commission, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38344 – Acier de précontrainte), modifiée par la décision C (2010) 6676 final de la Commission, du 30 septembre 2010, et par la décision C (2011) 2269 final de la Commission, du 4 avril 2011 ainsi qu’une demande d’annulation de la lettre du directeur général de la
direction générale de la concurrence de la Commission du 14 février 2011,
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, F. Dehousse et A. M. Collins, juges,
greffier : Mme K. Andová, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 juillet 2014,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
[omissis]
II – Sur la recevabilité de la demande d’annulation de la lettre du 14 février 2011
92 Il convient de rappeler que, en cours d’instance, le directeur général a notifié aux requérantes une lettre, en date du 14 février 2011, portant rejet de la demande de réappréciation de leur capacité contributive que celles‑ci avaient présentée à la Commission le 12 août 2010, soit entre l’adoption de la décision initiale et l’introduction du présent recours.
93 Dans cette lettre, intervenue après examen des éléments de fait présentés par les requérantes et des réponses adressées par celles‑ci à plusieurs questions qui leur avaient été posées par les services de la Commission entre le 12 août 2010 et le 7 février 2011, le directeur général a considéré, pour des motifs opposés à ceux qui avaient été retenus dans la décision attaquée, qu’il n’y avait pas lieu d’accorder aux requérantes de réduction d’amende en raison de la prise en compte de leur capacité
contributive.
94 Les requérantes ont demandé, dans la réplique, à être autorisées à étendre les conclusions du recours à l’annulation de la lettre du 14 février 2011 (voir point 66 ci‑dessus).
95 La Commission s’oppose à cette demande, au motif, premièrement, que ladite lettre ne modifie pas leur situation juridique et ne saurait, par conséquent, être susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation et, deuxièmement, que les requérantes, à l’appui de leur demande de réappréciation de leur capacité contributive, n’ont pas présenté de faits nouveaux et substantiels. La lettre du 14 février 2011 aurait donc, dans ces conditions, un caractère purement confirmatif. La Commission
soutient, en outre, que l’appréciation de la capacité contributive des requérantes relevant de la compétence de pleine juridiction du Tribunal et que celui‑ci étant tenu, dans le cadre de l’exercice de cette compétence, de tenir compte de la situation de fait existante à la date à laquelle il statue, les requérantes n’ont pas d’intérêt à obtenir que le Tribunal se prononce sur le caractère approprié de l’appréciation de leur capacité contributive telle qu’elle se présentait à la date de la lettre
du 14 février 2011.
96 Il est, certes, vrai qu’une manifestation d’opinion écrite émanant d’une institution de l’Union ou une simple déclaration d’intention ne saurait constituer une décision de nature à faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE, dès lors qu’elle n’est pas susceptible de produire des effets juridiques ou qu’elle ne vise pas à produire de tels effets (voir, en ce sens, arrêts du 27 mars 1980, Sucrimex et Westzucker/Commission, 133/79, Rec, EU:C:1980:104,
points 15 à 19, et du 27 septembre 1988, Royaume‑Uni/Commission, 114/86, Rec, EU:C:1988:449, points 12 à 15).
97 Il a été jugé, par ailleurs, s’agissant des recours en annulation introduits par les particuliers, que toute lettre émanant d’un organisme de l’Union envoyée en réponse à une demande formulée par son destinataire ne constituait pas un acte qui le concerne au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ouvrant à ce destinataire la voie du recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 27 janvier 1993, Miethke/Parlement, C‑25/92, Rec, EU:C:1993:32, point 10).
98 En revanche, en vertu d’une jurisprudence constante, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des tiers en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec, EU:C:1981:264, point 9 ; voir, également, arrêt du 17 avril 2008, Cestas/Commission, T‑260/04, Rec, EU:T:2008:115,
point 67 et jurisprudence citée).
99 De plus, il y a lieu de s’attacher à la substance de la mesure dont l’annulation est demandée pour déterminer si elle est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, la forme dans laquelle cette mesure a été prise étant en principe indifférente à cet égard (arrêt IBM/Commission, point 98 supra, EU:C:1981:264, point 9 ; voir, également, arrêt Cestas/Commission, point 98 supra, EU:T:2008:115, point 68 et jurisprudence citée).
100 Seul l’acte par lequel un organisme de l’Union détermine sa position de façon non équivoque et définitive, dans une forme permettant d’en identifier la nature, constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, à la condition toutefois que cette décision ne constitue pas la confirmation d’un acte antérieur (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 1982, Allemagne et Bundesanstalt für Arbeit/Commission, 44/81, Rec, EU:C:1982:197, point 12).
101 Au cas où l’acte attaqué est purement confirmatif, le recours n’est recevable qu’à la condition que l’acte confirmé ait été attaqué dans les délais (voir arrêts du 14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec, EU:T:1995:141, point 27, et du 10 juillet 1997, AssiDomän Kraft Products e.a./Commission, T‑227/95, Rec, EU:T:1997:108, point 29, et la jurisprudence citée). En effet, un recours contre une décision confirmative est irrecevable seulement si la décision confirmée est devenue définitive à
l’égard de l’intéressé, faute d’avoir fait l’objet d’un recours contentieux introduit dans les délais requis. Dans le cas contraire, la personne intéressée est en droit d’attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l’une et l’autre de ces décisions (arrêts du 11 mai 1989, Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes, 193/87 et 194/87, EU:C:1989:185, point 26, et du 18 décembre 2007, Weißenfels/Parlement, C‑135/06 P, Rec, EU:C:2007:812, point 54).
102 En revanche, lorsqu’un requérant laisse expirer le délai pour agir contre une décision qui a arrêté de manière non équivoque une mesure comportant des effets juridiques affectant ses intérêts et s’imposant obligatoirement à lui, il ne saurait faire renaître ce délai en demandant à l’institution de revenir sur sa décision et en formant un recours contre la décision de refus confirmant la décision antérieurement prise (voir arrêt du 15 mars 1995, COBRECAF e.a./Commission, T‑514/93, Rec,
EU:T:1995:49, point 44 et jurisprudence citée).
103 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner la recevabilité de la demande des requérantes tendant à l’annulation de la lettre du 14 février 2011, dans laquelle le directeur général a rejeté une demande, que les requérantes ont présentée après l’adoption de la décision initiale, tendant à la réappréciation de leur capacité contributive (voir points 60 et 61 ci‑dessus).
104 À cet égard, l’argument tiré par la Commission de ce qu’elle ne serait pas tenue de statuer sur les demandes tendant à la réappréciation de la capacité contributive des entreprises présentées postérieurement à l’adoption de décisions infligeant des amendes est inopérant en l’espèce. En effet, il est constant que, en l’espèce, les services de la Commission ont statué sur la demande nouvelle présentée par les requérantes, après avoir examiné des documents nouveaux qu’elles avaient produits à
l’appui de celle‑ci et leur avoir adressé plusieurs questions portant, notamment, sur ces documents.
105 De plus, au terme de cet examen, le directeur général a fondé son refus de faire droit à la demande de réduction d’amende présentée par les requérantes pour des motifs contradictoires avec ceux qui avaient été retenus dans la décision initiale. En effet, alors que, dans la décision initiale, la Commission avait relevé que la situation des requérantes était tellement précaire qu’elle rendait leur disparition probable, quel que soit le montant des amendes qui leur seraient infligées, en revanche,
dans la lettre du 14 février 2011, le directeur général a estimé que, eu égard aux prévisions de cash‑flow de WDI fournies par les requérantes postérieurement à la décision initiale, celles‑ci n’avaient pas démontré que cette seule société n’était pas en mesure d’obtenir les financements nécessaires pour payer la totalité des amendes.
106 En outre, le montant des amendes au regard duquel le directeur général a exercé son appréciation de la capacité contributive des requérantes était celui qui a été mis à leur charge à la suite de la première décision modificative. Ce montant, toutefois, différait de celui au regard duquel la première appréciation de cette capacité contributive avait été opérée dans la décision initiale.
107 Il résulte des considérations qui précèdent que, dans la lettre du 14 février 2011, le directeur général a apprécié la capacité contributive des requérantes en prenant en considération des éléments de fait et de droit différents de ceux qui avaient été examinés dans la décision initiale et que le motif du refus de réduire l’amende mise à leur charge qui a été retenu par le directeur général est distinct de celui qui avait fondé le rejet de leur première demande de réduction dans la décision
initiale. Dès lors, la lettre du 14 février 2011 ne saurait, comme le prétend la Commission, être considérée comme purement confirmative de la décision initiale (voir, en ce sens, arrêts du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, Rec, EU:T:2001:42, points 44 à 51, et du 22 mai 2012, Sviluppo Globale/Commission, T‑6/10, EU:T:2012:245, points 22 à 24).
108 En tout état de cause, il convient de rappeler que, dans le délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, les requérantes ont présenté leur demande d’annulation de la lettre du 14 février 2011, et ce dans le cadre du présent recours, lequel est également dirigé contre la décision attaquée. Dès lors, à la date à laquelle les requérantes ont demandé à étendre l’objet du présent recours à la lettre du 14 février 2011, la décision initiale n’était pas devenue définitive. Or, il
résulte de la jurisprudence rappelée au point 101 ci‑dessus que, dans ces conditions, même à supposer que la lettre du 14 février 2011 doive être considérée comme un acte purement confirmatif de la décision initiale, cette circonstance ne serait pas de nature à rendre une telle demande d’annulation irrecevable.
109 Enfin, il convient de relever que l’exercice, par le juge de l’Union, de sa compétence de pleine juridiction n’exclut pas, mais suppose qu’il exerce, dans la mesure où il y est incité par la partie requérante et sous réserve des moyens d’ordre public qu’il lui appartient, dans le respect du contradictoire, de soulever d’office, le contrôle des appréciations de droit et de fait opérées par la Commission (voir arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P,
Rec, EU:C:2014:2062, points 51 à 57 et jurisprudence citée). Or, si le juge de pleine juridiction, ainsi que le soutient à bon droit la Commission, doit, en principe, tenir compte de la situation de droit et de fait qui prévaut à la date à laquelle il statue lorsqu’il estime qu’il est justifié d’exercer son pouvoir de réformation (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec, EU:C:1974:18, points 51 et 52 ; du
14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec, EU:T:1995:141, point 61, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, Rec, EU:T:2011:560, points 282 à 285), cette obligation n’a pas pour conséquence de priver les entreprises sanctionnées par la Commission pour violation de l’article 101 TFUE de tout intérêt à ce que le contrôle juridictionnel porte également sur le bien‑fondé des appréciations de fait et de droit opérées par la Commission, au regard de la situation de droit et de
fait qui prévalait à la date de ces appréciations. Dès lors, la seule éventualité que, s’agissant de l’appréciation de la capacité contributive des requérantes, le Tribunal décide d’exercer sa compétence de pleine juridiction n’a pas pour conséquence, ainsi que le soutient la Commission, de rendre sans objet le contrôle des appréciations contenues dans la lettre du 14 février 2011.
110 Il s’ensuit que les fins de non‑recevoir opposées par la Commission à la demande d’annulation de la lettre du 14 février 2011 doivent être écartées.
[omissis]
A – Sur les premier et deuxième moyens, tirés de ce que la Commission a considéré à tort que les requérantes ont participé, sans interruption, à une infraction unique et continue depuis le 1er janvier 1984
121 Dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérantes font valoir que, en raison, d’une part, de l’interruption de près d’un an et demi entre la fin du club Zurich et le début du club Europe, et, d’autre part, des différences en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de ces deux arrangements, la Commission ne pouvait considérer que ces deux infractions distinctes ont constitué une infraction unique et continue. Il s’ensuivrait que les infractions commises
antérieurement au début du club Europe, le 12 mai 1997, étaient prescrites en application de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003.
122 Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, les requérantes soutiennent que la Commission n’a tenu aucun compte de ce que, ainsi que l’attesteraient les cahiers contenant les notes prises par Emesa, WDI s’est distanciée, d’une manière évidente pour toutes les autres entreprises qui assistaient à la réunion du 9 janvier 1996, des accords mis en œuvre dans le cadre du club Zurich. Dès lors, toutes les infractions commises par WDI avant le 12 mai 1997 seraient, pour cette raison également
prescrites en application de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003.
123 Par le deuxième moyen, présenté à titre subsidiaire, les requérantes font valoir que l’infraction qui leur est reprochée aurait dû, à tout le moins, être considérée comme répétée et que la Commission aurait dû tenir compte, au titre de la durée retenue pour le calcul des amendes, de l’interruption de l’entente durant la période transitoire.
124 Il convient donc d’examiner, tout d’abord, si la Commission a pu constater à juste titre que WDI a participé à une infraction unique et continue.
1. Sur l’existence d’une infraction unique et continue
a) Composantes de l’entente et caractérisation de l’infraction unique dans la décision attaquée
125 Si la Commission soutient, dans le mémoire en défense et dans la duplique, que l’infraction en cause en l’espèce est « continue ou répétée », il convient de rappeler d’emblée que, dans la décision attaquée, ladite infraction n’a été qualifiée que d’« unique et continue » (considérant 609 de la décision attaquée) et non de répétée. Ainsi, les requérantes ont été sanctionnées pour une infraction commise, sans interruption, par Klöckner Draht, devenue WDI, depuis le 1er janvier 1984 et par WDV et
Pampus, à compter des dates auxquelles ces sociétés ont acquis le contrôle de WDI (voir points 54 à 57 ci‑dessus).
126 Au considérant 122 de la décision attaquée, en effet, la Commission a décrit l’entente à laquelle il est reproché aux requérantes d’avoir participé comme un « arrangement paneuropéen consistant en une phase dite de Zurich et une phase dite européenne et/ou en arrangements nationaux/régionaux selon le cas ».
127 Les considérants 123 à 135 de la décision présentent brièvement ces différents accords et pratiques concertées, qui sont par la suite exposés plus en détail et appréciés au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE. Selon la Commission, ainsi qu’il a été rappelé aux points 40 à 53 ci‑dessus, l’entente se compose, en particulier et dans l’ordre chronologique, de sept composantes essentielles.
128 Premièrement, le club Zurich, soit la première phase de l’accord paneuropéen, a duré du 1er janvier 1984 au 9 janvier 1996 et portait sur la fixation de quotas par pays (Allemagne, Autriche, Benelux, France, Italie et Espagne), le partage de clients, les prix et l’échange d’informations commerciales sensibles. Ses membres étaient, dans un premier temps, Tréfileurope, Nedri, WDI, DWK et Redaelli, laquelle représentait en outre plusieurs autres entreprises italiennes – au moins à partir de 1993 –,
rejoints ensuite par Emesa, en 1992, et Tycsa, en 1993.
129 Deuxièmement, le club Italia, un arrangement national qui a duré du 5 décembre 1995 au 19 septembre 2002, portait sur la fixation de quotas pour l’Italie ainsi que sur les exportations de ce pays vers le reste de l’Europe. Ses membres étaient les entreprises italiennes Redaelli, ITC, CB et Itas, rejoints ensuite par Tréfileurope et Tréfileurope Italia, le 3 avril 1995, SLM, le 10 février 1997, Trame, le 4 mars 1997, Tycsa, le 17 décembre 1996, DWK, le 24 février 1997, et Austria Draht, le
15 avril 1997.
130 Troisièmement, l’accord du Sud est un arrangement régional négocié et conclu en 1996 par les entreprises italiennes, Redaelli, ITC, CB et Itas, avec Tycsa et Tréfileurope, afin de déterminer le taux de pénétration de chacun des participants dans les pays du Sud (Espagne, Italie, France, Belgique et Luxembourg) et de s’engager à négocier ensemble les quotas avec les autres producteurs de l’Europe du Nord.
131 Quatrièmement, le club Europe, soit la seconde phase de l’accord paneuropéen, a réuni, en mai 1997, Tréfileurope, Nedri, WDI, DWK, Tycsa et Emesa. Les réunions du club Europe, auxquelles d’autres producteurs européens ont pu s’associer occasionnellement (voir point 48 ci‑dessus), ont pris fin en septembre 2002. L’accord visait à surmonter la crise du club Zurich et portait sur le partage de nouveaux quotas (calculés sur la période allant du quatrième trimestre 1995 au premier trimestre 1997), la
répartition de clientèle et la fixation des prix. Les membres permanents sont convenus de règles de coordination incluant la désignation de coordonnateurs responsables de la mise en œuvre des arrangements dans plusieurs pays et de la coordination avec d’autres entreprises intéressées, actives dans ces pays ou concernant les mêmes clients. Leurs représentants se sont réunis régulièrement à différents niveaux, afin de surveiller la mise en œuvre des arrangements. Ils ont échangé des informations
commerciales sensibles. En cas d’écart par rapport au comportement convenu, un système de compensation était appliqué.
132 Cinquièmement, dans le cadre des volets paneuropéens de l’entente, les six membres permanents, rejoints occasionnellement par les producteurs italiens et Fundia, entretenaient également des contacts, bilatéraux ou multilatéraux, et participaient à la fixation de prix et à l’attribution de clientèle sur une base ad hoc, s’ils y avaient un intérêt. Ainsi, Tréfileurope, Nedri, WDI, Tycsa, Emesa, CB et Fundia ont coordonné ensemble les prix et les volumes pour le client Addtek. Ces projets
concernaient principalement la Finlande, la Suède et la Norvège, mais aussi les Pays‑Bas, l’Allemagne, les États baltes ainsi que l’Europe centrale et orientale. La coordination concernant Addtek a débuté durant le club Zurich de l’arrangement paneuropéen et s’est poursuivie au moins jusqu’à la fin 2001.
133 Sixièmement, au cours de la période allant, au moins, de septembre 2000 à septembre 2002, les six membres permanents, ITC, CB, Redaelli, Itas et SLM se sont réunis régulièrement dans le but d’intégrer les entreprises italiennes dans le club Europe en tant que membres permanents. Les entreprises italiennes souhaitaient accroître leurs quotas en Europe, alors que le club Europe soutenait le statu quo. À cette fin, se sont tenues des réunions au sein du club Italia, aux fins de définir une position
commune aux entreprises italiennes, des réunions au sein du club Europe, pour examiner les prétentions des entreprises italiennes, et des réunions entre des participants du club Europe et des représentants italiens, pour parvenir à un rapprochement entre les membres de ces deux arrangements. Au cours de ces négociations, les entreprises impliquées échangeaient des informations commerciales sensibles. Pour les besoins de la redistribution des quotas européens dans le but d’inclure les producteurs
italiens, ces entreprises ont convenu d’utiliser une nouvelle période de référence (30 juin 2000‑30 juin 2001). Elles se sont également entendues sur un volume d’exportation global des entreprises italiennes vers le reste de l’Europe. Parallèlement, elles ont discuté des prix, les membres du club Europe cherchant à étendre, à l’échelle de l’Europe, le mécanisme de fixation des prix appliqué par les producteurs italiens au sein du club Italia.
134 Septièmement, la Commission a également relevé l’existence du club España, un arrangement parallèle aux autres éléments de l’entente et portant sur les marchés espagnol et portugais (voir point 52 ci‑dessus).
135 La Commission, aux considérants 610 à 612 de la décision attaquée, a indiqué les raisons pour lesquelles elle considérait que l’ensemble de ces éléments infractionnels avaient constitué un ensemble cohérent de mesures visant l’unique objectif de restreindre la concurrence sur le marché de l’APC aux niveaux européen et nationaux. Ainsi, la Commission a estimé que l’ensemble des arrangements anticoncurrentiels identifiés concourait à un unique but commercial anticoncurrentiel, à savoir fausser ou
supprimer les conditions concurrentielles normales du marché de l’APC et instaurer un équilibre global par des mécanismes communs aux différents niveaux auxquels l’infraction a été commise, c’est‑à‑dire la fixation des prix, l’allocation de quotas, la répartition de la clientèle et l’échange d’informations commerciales sensibles.
136 Plus particulièrement, au considérant 613 de la décision attaquée, elle a précisé les raisons pour lesquelles les phases du club Zurich et du club Europe avaient constitué une infraction unique, en dépit de la période transitoire. La Commission a, en particulier, relevé que des réunions dont l’objet était de porter atteinte à la libre concurrence et de remettre en place un arrangement paneuropéen durable ont eu lieu dès la fin du club Zurich. Elle a aussi indiqué que les effets des contrats
conclus sous l’égide du club Zurich avaient perduré durant la période transitoire et que le fonctionnement des arrangements régionaux, lesquels contribuaient au même but unique que celui qui était poursuivi par chacune des composantes de l’entente, s’était poursuivi durant cette même période.
137 Aux considérants 614 et 615 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que des mécanismes concrets de fonctionnement des différents éléments de l’entente assuraient la coordination entre les arrangements paneuropéens et les différents accords nationaux. Ainsi, selon la Commission, le système de quotas mis en place au sein du club Italia aurait inspiré le système retenu par le club Zurich. Par ailleurs, la coordination entre le club Europe et les producteurs italiens était assurée par
Tréfileurope et celle entre le club Europe et le club España était assurée par Tycsa et par Emesa, qui participaient aux deux clubs.
138 Au total, selon les considérants 616 à 621, tous les participants aux arrangements concurrentiels ont participé, à des degrés divers, à un plan anticoncurrentiel commun, dont la mise en œuvre a été continue, tant dans ses objectifs que dans ses caractéristiques essentielles, de 1984 à la fin 2002.
139 Au considérant 622 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, même si tous les participants à l’entente n’avaient pas participé chacun à tous les éléments de l’infraction, ils avaient tous bénéficié des échanges d’information intervenus entre les participants et savaient que leur participation s’inscrivait dans un plan d’ensemble.
140 Les requérantes contestent l’appréciation selon laquelle le club Zurich et le club Europe, auxquels elles ne nient pas avoir participé, constituent deux éléments d’une infraction unique.
b) Notion d’infraction unique
141 Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux‑mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un
plan d’ensemble, en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec, EU:C:1999:356, point 81 ; du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec,
EU:C:2004:6, point 258, et du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, Rec, EU:C:2012:778, point 41).
142 Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa
participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêts Commission/Anic Partecipazioni,
point 141 supra, EU:C:1999:356, points 83, 87 et 203 ; Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, point 83, et Commission/Verhuizingen Coppens, point 141 supra, EU:C:2012:778, point 42).
143 Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de
l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle‑ci dans son ensemble (arrêt Commission/Verhuizingen
Coppens, point 141 supra, EU:C:2012:778, point 43).
144 En revanche, si une entreprise a directement pris part à un ou plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, mais qu’il n’est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’entente et qu’elle avait connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants dans la poursuite des mêmes
objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, la Commission n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (arrêt
Commission/Verhuizingen Coppens, point 141 supra, EU:C:2012:778, point 44).
145 Cela ne saurait néanmoins conduire à exonérer cette entreprise de sa responsabilité pour les comportements dont il est constant qu’elle y a pris part ou dont elle peut effectivement être tenue pour responsable. Il n’est toutefois envisageable de diviser ainsi une décision de la Commission qualifiant une entente globale d’infraction unique et continue que si, d’une part, ladite entreprise a été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu’il lui était également
reproché chacun des comportements la composant, et donc de se défendre sur ce point, et si, d’autre part, ladite décision est suffisamment claire à cet égard (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, point 141 supra, EU:C:2012:778, points 45 et 46).
146 À cet égard, plusieurs critères ont été identifiés par la jurisprudence comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction, à savoir l’identité des objectifs des pratiques en cause, l’identité des produits et des services concernés, l’identité des entreprises qui y ont pris part et l’identité des modalités de sa mise en œuvre. En outre, l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et l’identité du champ d’application géographique des
pratiques en cause sont également des éléments susceptibles d’être pris en considération aux fins de cet examen (voir arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, Rec, EU:T:2013:259, point 60 et jurisprudence citée).
147 Enfin, le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé doit être pris en considération lors de l’appréciation de gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 141 supra, EU:C:1999:356, point 90, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, point 86).
c) Éléments retenus en ce qui concerne les requérantes
148 Aux considérants 796 à 799, la Commission a indiqué que la responsabilité des requérantes était retenue en ce qui concerne, premièrement, la participation Klöckner Draht, puis de WDI au club Zurich du 1er janvier 1984 au 9 janvier 1996 (voir point 128 ci‑dessus), deuxièmement, la participation de WDI aux réunions intervenues durant la période transitoire (du 9 janvier 1996 au 12 mai 1997), troisièmement, la participation de WDI au club Europe du 12 mai 1997 au 19 septembre 2002 (voir point 131
ci‑dessus), notamment en tant que coordinateur pour l’Allemagne et, quatrièmement, la coordination en ce qui concerne le client Addtek de 1984 à 2002.
149 Au regard des critères posés par la jurisprudence rappelée aux points 141 à 147 ci‑dessus, les requérantes ne contestent ni leur participation au club Zurich et au club Europe ni leur connaissance des différents éléments de l’infraction. Elles considèrent, en revanche, que ces différents éléments infractionnels ne s’inscrivent pas dans un plan d’ensemble et que WDI a interrompu ses agissements anticoncurrentiels durant la période transitoire.
En ce qui concerne l’existence d’un plan d’ensemble
150 Les requérantes considèrent que la Commission ne pouvait se contenter, pour démontrer l’existence d’un plan d’ensemble, de relever que les différents éléments de l’infraction concernaient le même secteur économique, sans établir un rapport de complémentarité entre les différents éléments concernés, par exemple l’existence d’un accord‑cadre. La Commission ne saurait, à cet égard, se fonder sur la présence de participants communs. En revanche, c’est à tort qu’elle n’aurait tiré aucune conséquence
du fait que la portée géographique des décisions prises en matière de quotas concernait les marchés nationaux dans le cadre du club Zurich et la totalité du marché européen dans le cadre du club Europe. Par ailleurs, les modalités de la coordination étaient différentes, puisque les directeurs des ventes participaient aux réunions du club Europe alors que seuls les cadres dirigeants assistaient aux réunions du club Zurich. Par ailleurs, des coordinateurs nationaux auraient été mis en place au
sein du club Europe, alors que le club Zurich fonctionnait avec un bureau central de notification unique.
151 Cependant, aucun de ces arguments n’est de nature à ébranler la démonstration opérée dans la décision attaquée.
152 En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, l’entente sanctionnée dans la décision attaquée était constituée d’un ensemble d’accords qui se sont succédé dans le temps aux niveaux tant local (national ou régional) qu’européen, dont l’objectif commun était d’assurer un équilibre non concurrentiel du marché européen de l’APC, caractérisé par une surcapacité structurelle.
153 Il est, en outre, constant que les moyens employés pour viser cet objectif, à savoir la fixation des prix, l’allocation de quotas, la répartition de clientèle et l’échange d’informations commerciales sensibles étaient communs à tous les éléments de l’entente. Les principaux participants au club Zurich et au club Europe, dont les requérantes, étaient les mêmes entreprises. La Commission fait valoir sans être contredite que ces entreprises étaient dans la plupart des cas représentées par les mêmes
personnes physiques dans le cadre du club Zurich, puis dans celui du club Europe.
154 En outre, des mécanismes de coordination entre le club Zurich, puis le club Europe, d’une part, et les arrangements nationaux et régionaux (accords du Sud, club Italia et club España), d’autre part, bien qu’ils ne soient pas rigoureusement identiques ont dans tous les cas été mis en place. En effet, d’une part, il est constant que les producteurs italiens participaient directement au club Zurich, alors que la coordination entre le club Europe et le club Italia a été assurée par Tréfileurope.
D’autre part, la coordination entre le club España et le club Europe a été réalisée par l’intégration d’Emesa et de Tycsa au sein de ce dernier.
155 Ces constations de fait, opérées par la Commission dans la décision attaquée et non contestées par les requérantes, permettent de conclure à l’unicité d’une infraction constituée de plusieurs éléments au sens de la jurisprudence citée au point 146 ci‑dessus.
156 Quant aux différences entre le club Zurich et le club Europe sur lesquelles s’appuient les requérantes, lesquelles ont au demeurant également été relevées dans la décision attaquée, il convient d’observer que, loin de faire obstacle au constat d’une infraction unique, elles traduisent au contraire la volonté de mettre en place des moyens plus efficaces pour atteindre le même objectif que celui poursuivi par l’ensemble des participants aux différents arrangements de l’entente, à savoir limiter
les effets de la concurrence dans un marché en surcapacité structurelle, notamment par le biais d’accords portant sur les prix, les quotas de production et la répartition des principaux clients.
157 Ce constat permet d’expliquer la contradiction apparente relevée par les requérantes entre les considérants 186 et 629 de la décision attaquée. En effet, bien que l’unicité de l’objet général poursuivi par l’entente dans ses composantes successives soit avérée, chacun des accords, dont l’ensemble constitue l’infraction unique, était caractérisé par sa dimension géographique, plus ou moins restreinte, ainsi que par les méthodes mises en œuvre pour assurer le suivi des engagements, lesquels, quant
à eux, sont demeurés identiques et portaient sur les prix, les quotas de livraison, la répartition des clients et des échanges d’information commerciales sensibles.
158 Dès lors, les différences de fonctionnement entre les deux phases successives des arrangements paneuropéens ne s’opposent pas à la reconnaissance de l’existence d’un plan d’ensemble, caractérisé par une identité d’objet anticoncurrentiel, dans lequel se sont successivement inscrits le club Zurich et le club Europe (voir, en ce sens, arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, point 258 ; du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op
Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec, EU:C:2006:592, point 110, et Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, point 146 supra, EU:T:2013:259, point 60 et jurisprudence citée).
En ce qui concerne l’incidence des allégations des requérantes relatives à l’interruption de l’entente sur la qualification de l’infraction et sur l’acquisition de la prescription
159 Les requérantes ont soutenu, dans leurs écritures que, à la suite de fortes dissensions intervenues au sein du club Zurich dès 1995, celui‑ci a cessé de fonctionner avant que ne débute le club Europe. Il y aurait donc interruption, pendant une période d’un an et quatre mois, dans le fonctionnement de l’entente, ce qui ferait obstacle à ce que le club Zurich et le club Europe puissent être considérés comme des éléments distincts d’une infraction unique.
160 Sans même qu’il soit nécessaire d’avoir égard au fait que, dans leur réponse à la communication des griefs et lors de l’audience, les requérantes ont reconnu que les arrangements régionaux et nationaux ne s’étaient pas interrompus durant la période transitoire, il convient de rappeler que, pour les raisons indiquées aux points 152 à 158 ci‑dessus, la communauté d’objectifs poursuivis et de moyens mis en œuvre par chacun des accords anticoncurrentiels identifiés par la Commission ainsi que, a
fortiori dans le cas du club Zurich et du club Europe, la présence des mêmes producteurs principaux permettent de caractériser l’existence d’un plan d’ensemble, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 141 à 147 ci‑dessus, dans lequel se sont successivement inscrits ces deux clubs.
161 Or, les requérantes ne contestent pas avoir participé au club Zurich jusqu’au 9 janvier 1996 et admettent avoir participé au club Europe à compter du 12 mai 1997. Dès lors, même à supposer que la période transitoire constitue une rupture du fonctionnement de l’entente ou, seulement, une période de cessation de toute activité infractionnelle de la part des requérantes, c’est à bon droit, compte tenu de la continuité d’objectifs et de moyens constatée ci‑dessus, qu’elles ont été tenues pour
responsables d’avoir participé à une infraction unique. En outre, la durée de la période transitoire ayant été inférieure à celle de cinq ans prévue à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003, l’infraction unique à laquelle ont participé les requérantes devrait tout au plus, si l’on admettait que cette période constitue une interruption, être considérée comme répétée plutôt que comme continue (voir, en ce sens, arrêt Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission,
point 146 supra, EU:T:2013:259, points 70 à 95 et jurisprudence citée).
162 Il s’ensuit que le premier moyen, dès lors que celui‑ci est tiré de l’acquisition de la prescription en ce qui concerne la période antérieure au 12 mai 1996, doit être écarté dans son ensemble, et ce que la période transitoire ait ou non constitué une interruption de l’infraction.
163 Cependant, si l’argument que les requérantes tirent de l’interruption de l’infraction durant la période transitoire s’avérait fondé, elles pourraient en ce cas, prétendre à ne pas être sanctionnées au titre de la période durant laquelle a eu lieu l’interruption (voir, en ce sens, arrêt Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, point 146 supra, EU:T:2013:259, point 88). Il convient donc de se prononcer également sur cette argumentation et d’examiner, dans un premier temps, les allégations
relatives à l’interruption de l’entente en général et, dans un second temps, celles relatives à la cessation de participation des requérantes à l’entente.
2. En ce qui concerne le bien‑fondé des allégations des requérantes relatives à l’interruption de leur participation à l’entente
164 Pour estimer que les agissements anticoncurrentiels des participants au club Zurich s’étaient poursuivis durant la période transitoire, la Commission s’est fondée, au considérant 613 de la décision attaquée, sur les arguments rappelés au point 136 ci‑dessus. Par ailleurs, l’annexe 2 de la décision attaquée fait état de onze réunions au cours desquelles auraient eu lieu des échanges d’information et seraient intervenus des accords sur les prix et des répartitions de quotas. Les requérantes ont eu
l’occasion de consulter les preuves documentaires auxquelles la Commission a renvoyé dans l’annexe 2, une première fois dans les locaux de la Commission à la suite de la communication des griefs et, une seconde fois, au greffe du Tribunal à la suite de mesures d’instructions adressées avant l’audience à la Commission.
165 Il convient de rappeler que, lors de l’audience, les requérantes ont précisé qu’elles ne contestaient pas que les accords régionaux aient perduré durant la période transitoire, mais qu’elles soutenaient que le volet paneuropéen de l’entente avait connu une interruption entre la fin du club Zurich et le début du club Europe.
a) Rappel des principes en matière de charge et d’administration de la preuve
166 Selon une jurisprudence constante en matière de charge de la preuve, d’une part, il incombe à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation du droit de la concurrence d’en apporter la preuve en établissant, à suffisance de droit, les faits constitutifs d’une infraction et, d’autre part, il appartient à l’entreprise invoquant le bénéfice d’un moyen de défense contre une constatation d’infraction d’apporter la preuve que les conditions d’application de ce moyen de défense sont remplies, de
sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve (arrêt du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T‑120/04, Rec, EU:T:2006:350, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec, EU:C:1998:608, point 58, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, point 78). La durée de l’infraction est un élément constitutif de la notion d’infraction au titre de l’article 101, paragraphe 1,
TFUE, élément dont la charge de la preuve incombe, à titre principal, à la Commission (arrêts du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec, EU:T:1994:79, point 79, et Peróxidos Orgánicos/Commission, précité, EU:T:2006:350, point 51).
167 Cette répartition de la charge de la preuve est toutefois susceptible de varier dans la mesure où les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la preuve a été apportée (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, point 79, et arrêt Peróxidos Orgánicos/Commission, point 166 supra, EU:T:2006:350, point 53).
168 S’agissant des moyens de preuve pouvant être retenus par la Commission, le principe qui prévaut en droit de la concurrence est celui de la libre administration des preuves (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec, EU:C:2007:53, point 63, et du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec, EU:T:2004:221, point 273). L’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les
contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est en effet usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, le plus souvent dans un pays tiers, et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, telles que les comptes rendus d’une réunion, celles‑ci ne
seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation du droit de la concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission,
point 141 supra, EU:C:2004:6, points 55 à 57). De tels indices et coïncidences permettent de révéler non seulement l’existence de comportements ou d’accords anticoncurrentiels, mais également la durée d’un comportement anticoncurrentiel continu et la période d’application d’un accord conclu en violation du droit de la concurrence (arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec, EU:C:2006:593, point 166).
169 Il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise (voir arrêts du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec, EU:T:2000:180, points 43 et 72 et jurisprudence citée, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec, EU:T:2005:367, point 217). Toutefois, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément
de l’infraction. Il suffit, en effet, que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêts JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra, EU:T:2004:221, point 180, et Groupe Danone/Commission, précité, EU:T:2005:367, point 218 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec,
EU:T:1999:80, points 768 à 778). En ce qui concerne la durée de l’infraction, la jurisprudence exige que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée d’une infraction, la Commission se fonde, au moins, sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêts Technische Unie/Commission,
point 168 supra, EU:C:2006:593, point 169 ; Dunlop Slazenger/Commission, point 166 supra, EU:T:1994:79, point 79, et Peróxidos Orgánicos/Commission, point 166 supra, EU:T:2006:350, point 51).
170 S’agissant de la valeur probante qu’il convient d’accorder aux différents éléments de preuve, il convient de souligner que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves librement produites réside dans leur crédibilité (arrêt Dalmine/Commission, point 168 supra, EU:C:2007:53, point 63 ; voir, également, arrêts du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren‑Werke/Commission, T‑44/00, Rec, EU:T:2004:218, point 84 et jurisprudence citée, et JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra,
EU:T:2004:221, point 273). Selon les règles généralement applicables en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document, dépend de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de son contenu (arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec, EU:T:2000:77,
point 1053 ; conclusions du juge Vesterdorf faisant fonction d’avocat général dans l’affaire Rhône‑Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec, EU:T:1991:38). Il convient, notamment, d’accorder une grande importance à la circonstance qu’un document a été établi en liaison immédiate avec les faits (arrêt du 11 mars 1999, Ensidesa/Commission, T‑157/94, Rec, EU:T:1999:54, point 312) ou par un témoin direct de ces faits (voir, en ce sens, arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra, EU:T:2004:221,
point 207). Les documents dont il résulte que des contacts ont eu lieu entre plusieurs entreprises et que celles‑ci ont précisément poursuivi le but d’éliminer par avance l’incertitude relative au comportement futur de leurs concurrents démontrent, à suffisance de droit, l’existence d’une pratique concertée (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec, EU:C:1975:174, points 175 et 179). En outre, les
déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables (voir, en ce sens, arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra, EU:T:2004:221, points 207, 211 et 212).
171 Par ailleurs, il a été jugé de manière constante que le fait de communiquer des renseignements à ses concurrents en vue de préparer un accord anticoncurrentiel suffisait à prouver l’existence d’une pratique concertée au sens de l’article 101 TFUE (arrêts du 5 décembre 2013, Solvay/Commission, C‑455/11 P, EU:C:2013:796, point 40 ; du 6 avril 1995, Trefilunion/Commission, T‑148/89, Rec, EU:T:1995:68, point 82, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec, EU:T:2008:254, point 178 ).
172 Enfin, il importe de rappeler que le rôle du juge saisi d’un recours dirigé contre une décision de la Commission constatant l’existence d’une infraction au droit de la concurrence et infligeant des amendes à ses destinataires consiste à apprécier si les éléments de preuve dont la Commission fait état dans sa décision sont suffisants pour établir l’existence de l’infraction (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra, EU:T:2004:221, points 174 et 175 ; voir également, en ce sens,
arrêt PVC II, point 169 supra, EU:T:1999:80, point 891). L’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter aux destinataires de la décision, de sorte que le juge ne peut pas conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question (arrêts JFE Engineering e.a./Commission, point 168 supra, EU:T:2004:221, point 177, et Groupe Danone/Commission, point 169 supra, EU:T:2005:367, point 215). En
effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, sont protégés dans
l’ordre juridique de l’Union. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique, notamment, aux procédures relatives à des violations du droit de la concurrence susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (arrêts du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec, EU:C:1999:358, points 149 et 150 ; Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec,
EU:C:1999:362, points 175 et 176, et Groupe Danone/Commission, point 169 supra, EU:T:2005:367, point 216).
b) En ce qui concerne les réunions intervenues durant la période transitoire et la poursuite de l’infraction durant cette période
173 La poursuite de réunions dont l’objet était l’échange d’informations, la fixation de prix et l’allocation de quotas est considérée comme établie dans la décision attaquée et l’annexe 2 de la décision attaquée fait état de onze réunions au cours desquelles auraient eu lieu des échanges d’information ainsi que des accords sur les prix et les quotas. Les requérantes, quant à elles, après avoir reconnu dans leur réponse à la communication des griefs que certains autres participants au club Zurich,
notamment DWK et Tréfileurope France, avaient poursuivi leurs agissements anticoncurrentiels durant la période transitoire, ne présentent aucune critique circonstanciée à l’égard de ces réunions, mais se bornent à soutenir que les éléments de preuve avancés par la Commission ne sont pas suffisants pour établir la poursuite de l’infraction durant la période transitoire.
174 À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’est nullement inhabituel que, compte tenu des conflits d’intérêts inhérents à ce type d’accords, une entente pratiquée sur une longue période subisse des évolutions tant en ce qui concerne l’identité des participants que les formes et l’intensité de leur collusion.
175 Dans la décision attaquée (considérant 613), pour affirmer que les agissements anticoncurrentiels des anciens membres du club Zurich s’étaient poursuivis durant la période transitoire, la Commission a retenu six réunions.
176 Premièrement, selon la Commission, une réunion se serait tenue à Paris (France) le 1er mars 1996. Lors de cette réunion, auraient eu lieu des discussions portant sur les quotas et les prix en Europe.
177 Il ressort, en effet, de la demande de clémence présentée par ITC, dans laquelle cette entreprise se réfère à un compte rendu de réunion établi le 12 mars 1996, c’est‑à‑dire peu après la réunion elle‑même, qu’une réunion s’est tenue à cette date à Paris entre des représentants d’ITC, de Tycsa, de Tréfileurope, de DWK, de Redaelli, de Nedri et de WDI. Selon la demande de clémence d’ITC, les sujets abordés lors de cette réunion ont concerné les prix et les quotas en Europe ainsi que l’état des
stocks des entreprises présentes. Il ressort de la jurisprudence rappelée au point 170 ci‑dessus que cette déclaration d’ITC, laquelle est auto‑incriminante et se fonde sur un compte rendu contemporain des faits relatés, présente une valeur probante élevée. Les requérantes, quant à elles, n’ont présenté aucun élément de preuve contraire et l’inexactitude de ces informations ne ressort d’aucune des pièces du dossier soumis au Tribunal. L’existence de cette réunion, l’identité des participants et
les sujets abordés doivent, dès lors, être tenus pour établis.
178 Deuxièmement, selon la Commission, une réunion se serait tenue le 8 octobre 1996 à Rosmalen (Pays‑Bas).
179 Cette réunion est attestée par Nedri dans la demande de clémence que cette société a présentée à la Commission. Selon Nedri, outre elle‑même, à cette réunion ont assisté des représentants de DWK, de Fontaine Union ainsi que de WDI et les discussions ont porté sur la situation du marché néerlandais. Cette déclaration, auto‑incriminante, n’est contredite par aucun élément de preuve contraire présenté par les requérantes ni par aucune des pièces du dossier. Il y a donc lieu de considérer comme
établis l’existence de cette réunion, l’identité des participants ainsi que le sujet abordé.
180 Troisièmement, la Commission se réfère à une réunion intervenue le 4 novembre 1996 à Düsseldorf.
181 À cet égard, il ressort de la demande de clémence de Nedri que les participants à cette réunion étaient les mêmes que ceux qui avaient participé à une réunion organisée dans cette même ville, le 8 janvier 1996, et que l’objet de ces deux réunions était identique. Or, il résulte de ladite demande de clémence que la première réunion, à laquelle avait participé DWK, Nedri, Tréfileurope, Tycsa ainsi que WDI, avait porté sur la situation consécutive aux difficultés rencontrées depuis le mois de
mai 1995 dans la mise en œuvre des accords de marché conclus dans le cadre du club Zurich. En revanche, il ne ressort pas de la demande de clémence de Nedri, le seul élément de preuve avancé à cet égard par la Commission, que la réunion du 4 novembre ait également porté, ainsi qu’il est indiqué dans la décision attaquée, sur la situation du marché au Pays‑Bas.
182 Quatrièmement, la Commission fait état d’une réunion, intervenue le 4 décembre 1996 à Bruxelles (Belgique), portant sur un « nouveau système de quotas ».
183 Nedri, dans sa demande de clémence, a indiqué, au sujet de cette réunion, qu’elle s’était tenue entre elle‑même, Emesa, DWK, Tréfileurope, Tycsa ainsi que WDI. Selon Nedri, l’objet de cette réunion a été de discuter de la mise en place d’un nouveau système paneuropéen de quotas. Ces discussions, toutefois, n’ont pas abouti. Ces déclarations, auto‑incriminantes, ne sont contredites par aucun élément de preuve contraire.
184 Cinquièmement, la Commission renvoie, dans la décision attaquée, à une réunion intervenue le 3 avril 1997 à Paris, portant sur un « nouveau système de quotas ».
185 Il ressort effectivement de la demande de clémence présentée par DWK que cette réunion s’est tenue à l’initiative de Nedri et de Tréfileurope. À cette réunion, ont participé, outre ces trois entreprises, Tycsa, Emesa ainsi que WDI. Au cours de cette réunion, selon DWK, les discussions sur la mise en place d’un nouveau système de quotas ont été poursuivies, sans toutefois aboutir. DWK ajoute que, lors de cette réunion et par la suite, des informations commerciales sensibles ont été échangées
entre les participants. Dans leur réponse à la communication des griefs ainsi que dans une réponse qu’elles ont donnée à une question écrite que leur a posée le Tribunal dans le cadre de la présente procédure, les requérantes ont confirmé avoir assisté à cette réunion.
186 Sixièmement, enfin, la Commission a fait allusion à une réunion intervenue le 9 avril 1997 à Düsseldorf, portant également sur un « nouveau système de quotas ».
187 L’existence de cette réunion est attestée par Nedri dans sa demande de clémence. Nedri confirme ainsi que les participants à la réunion du 3 avril 1997 (voir points 184 et 185 ci‑dessus) ont poursuivi leurs discussions tendant à la mise en place d’un nouveau système de quotas paneuropéen, incluant la Norvège et la Suisse, mais excluant le Royaume‑Uni et l’Irlande. Dans leur réponse à la communication des griefs ainsi que dans une réponse qu’elles ont donnée à une question écrite que leur a posée
le Tribunal dans le cadre de la présente procédure, les requérantes ont confirmé avoir assisté à cette réunion.
188 Il résulte de ce qui précède qu’il doit être considéré comme établi que, au moins à six reprises durant une période d’un an et quatre mois, les principaux producteurs européens, à savoir les membres tant du club Zurich jusqu’à sa dissolution que du club Europe à partir de sa constitution, dont les requérantes, se sont réunis pour échanger des informations commerciales sensibles et tenter de mettre en place un nouveau système de quotas paneuropéen contraignant. Il résulte de la jurisprudence
(voir point 171 ci‑dessus) que de tels agissements suffisent à caractériser une infraction à l’article 101 TFUE. Dès lors, l’argument tiré par les requérantes de ce que chacun des producteurs européens a adopté un comportement autonome sur le marché durant la période transitoire n’est pas de nature à réfuter l’affirmation de la Commission selon laquelle l’infraction unique à laquelle elles ont participé s’est poursuivie durant la période transitoire.
189 Au surplus, d’une part, les requérantes ne contestent pas que, durant la période transitoire, les réunions des clubs Italia et España se sont poursuivies (voir annexes 3 et 4 de la décision attaquée). Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 152 à 154 ci‑dessus, ces accords régionaux s’inscrivaient, en raison de leur communauté d’objectif et de moyens ainsi que de l’existence de mécanismes visant à la coordination entre les différents éléments de l’entente, dans un plan d’ensemble permettant de
caractériser une infraction unique. En outre, durant la période transitoire elle‑même, des membres du club Italia ont participé à la réunion du 1er mars 1996 (voir points 176 et 177 ci‑dessus) et des membres du club España ont été associés à toutes les réunions dont l’existence a été considérée comme établie, à l’exception de celle qui s’est tenue le 8 octobre 1996 à Rosmalen. Pour ce motif supplémentaire, la Commission était également en droit de considérer, comme elle l’a fait dans la décision
attaquée, que l’infraction unique ne s’est pas interrompue.
190 D’autre part, la Commission est fondée à soutenir que la poursuite des effets des accords conclus entre les producteurs d’APC et leur clients à l’époque du club Zurich suffit à démontrer que l’infraction s’est poursuivie après la dissolution de ce club. À cet égard, l’argument tiré par les requérantes de ce que les contrats en cause étaient négociés à des dates variables durant l’année et de ce que certains de ces contrats ont pu venir à expiration au début de l’année 1996 ne saurait infirmer
l’analyse de la Commission, dès lors que les requérantes n’ont ni démontré, ni même soutenu, qu’aucun contrat n’avait été conclu peu avant la dissolution du club Zurich.
191 Il résulte de tout ce qui précède que la Commission était fondée à considérer que l’entente qu’elle a caractérisée dans la décision attaquée ne s’était pas interrompue durant la période transitoire et qu’elle a, dès lors, constitué une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE.
192 Il convient donc d’examiner à présent l’allégation des requérantes selon lesquelles elles ont, du moins, mis fin à tout agissement infractionnel durant la période transitoire.
c) En ce qui concerne l’interruption alléguée de la participation des requérantes à l’infraction
193 En ce qui concerne la participation de WDI à des agissements anticoncurrentiels durant la période transitoire, les requérantes font valoir, premièrement, que WDI s’est distanciée au sens de la jurisprudence lors de la réunion du 9 janvier 1996 et, deuxièmement, que la Commission n’est pas parvenue à apporter la preuve de sa participation à des agissements anticoncurrentiels durant cette période.
Sur la distanciation alléguée
– Rappel des principes applicables en matière de distanciation
194 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, afin de mettre fin à sa responsabilité, l’entreprise doit se distancier ouvertement et sans équivoque de l’entente, de sorte que les autres participants soient conscients du fait qu’elle ne soutient plus les objectifs généraux de l’entente. En outre, la charge de la preuve de cette distanciation incombe à l’entreprise qui y prétend (arrêts du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T‑168/01, Rec, EU:T:2006:265, point 86, et du
3 mars 2011, Siemens/Commission, T‑110/07, Rec, EU:T:2011:68, point 176 ; voir également, en ce sens, arrêts du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C‑2/01 P et C‑3/01 P, Rec, EU:C:2004:2, point 63, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 141 supra, EU:C:2004:6, points 81 à 84).
– Sur le bien‑fondé de l’allégation des requérantes
195 Les requérantes estiment que WDI s’est valablement distanciée de l’entente au sens de la jurisprudence, dès lors que son représentant lors de la réunion du 9 janvier 1996, aurait indiqué :
« Actuellement, le club n’a aucun sens pour nous. »
196 Il convient de constater d’emblée que la véracité de cette déclaration, laquelle n’est, au demeurant, pas contestée par la Commission, est attestée par Emesa, dont les requérantes et la Commission ont produit un extrait du carnet de notes. Une telle déclaration, cependant, ne saurait être considérée comme une manifestation claire et sans équivoque de la volonté de WDI de se distancier de l’entente.
197 En effet, il résulte de la lecture des notes prises par Emesa lors de la réunion du 9 janvier 1996 que les propos du représentant de WDI ont été tenus dans le cadre d’une discussion relative aux remèdes que les participants à cette réunion pouvaient envisager pour pallier la crise du club Zurich. Ainsi, après avoir émis des doutes sur la possibilité d’appliquer de nouveau les engagements du club Zurich, le représentant de WDI a indiqué, lors d’un tour de table portant sur la question de savoir
s’il convenait d’instaurer un nouveau système de quotas et en réponse à la position exprimée par les représentants de Tréfileurope qui proposaient de s’en tenir au système existant – à savoir, à l’époque, le club Zurich – que, à ses yeux, le club Zurich n’avait plus de sens. Pour cette raison, WDI a été comptée par le représentant d’Emesa au nombre des entreprises qui, à l’époque, étaient en faveur de la mise en place d’un nouveau système. Une telle déclaration ne saurait, dès lors, être
interprétée comme une preuve de la volonté de WDI de mettre un terme à sa participation à l’infraction et d’adopter un comportement concurrentiel sur le marché de l’APC.
198 Cette interprétation de la déclaration du représentant de WDI est, en outre, corroborée par l’inscription par le représentant d’Emesa, à la suite des notes relatives à la discussion sur l’opportunité de la mise en place d’un nouveau système de quotas, d’un tableau présentant le résultat d’une discussion sur la répartition de quotas, dans lequel WDI figure. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’interprétation de la Commission selon laquelle l’inscription par le représentant
d’Emesa de ce tableau après les notes relatant la déclaration du représentant de WDI indique que la discussion sur les quotas a suivi cette déclaration est la plus plausible, de telles notes étant, en général, prises dans un ordre chronologique.
199 Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas apporté la preuve, qui leur incombe, de la distanciation de WDI lors de la réunion du 9 janvier 1996.
Sur la participation des requérantes aux réunions intervenues durant la période transitoire
200 Sans formellement contester leur présence aux réunions mentionnées au considérant 613 de la décision attaquée, les requérantes font valoir toutefois qu’elles n’ont pas, lors de ces réunions, adopté de comportements anticoncurrentiels.
201 Il convient toutefois de rappeler que, ainsi qu’il a été constaté aux points 173 à 188 ci‑dessus, les requérantes ont participé, durant la période transitoire, à six réunions aux cours desquelles des informations commerciales sensibles ont été échangées et la mise en place d’un nouveau système de quotas pour pallier l’échec du club Zurich a été discutée. Or, selon la jurisprudence mentionnée au point 171 ci‑dessus, l’objet de ces réunions suffit à caractériser une infraction à
l’article 101 TFUE. Dès lors, la Commission doit être considérée comme étant parvenue à démontrer que les requérantes, qui n’ont pas établi s’être distanciées lors de la réunion du 9 janvier 1996 et qui ont été mentionnées à l’instar des autres participants dans les demandes de clémence d’ITC, de DWK et de Nedri faisant état de ces réunions, n’ont pas interrompu leur participation à l’infraction durant la période transitoire. Par suite, elles ne sauraient prétendre à aucune réduction d’amende au
titre de la durée retenue dans la décision attaquée.
3. Conclusion sur les deux premiers moyens du recours
202 Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a retenu l’existence d’une infraction unique, constituée par un plan d’ensemble dans lequel s’inscrivaient les différents accords dans le cadre desquels cette infraction a été mise en œuvre.
203 De plus, la Commission a établi l’absence d’interruption de cette infraction unique durant la période transitoire allant de la fin du club Zurich au début du club Europe, dès lors, premièrement, que, durant cette même période, les participants du club Zurich ont tenu des réunions à caractère anticoncurrentiel, deuxièmement, que les composantes locales et régionales de l’entente se sont poursuivies et, troisièmement, que les effets anticoncurrentiels des mesures adoptées dans le cadre du club
Zurich ont perduré au‑delà de la cessation de cet élément de l’entente.
204 En outre, la Commission a également démontré que WDI, qui n’établit pas s’être valablement distanciée lors de la dernière réunion du club Zurich, intervenue le 9 janvier 1996, avait poursuivi ses agissements anti‑concurrentiels durant la période transitoire.
205 Par suite, le premier moyen du recours, ainsi que le deuxième, présenté à titre subsidiaire, doivent être écartés.
[omissis]
E – Sur l’appréciation de la capacité contributive des requérantes
267 Les requérantes contestent l’appréciation de leur capacité contributive dans le cadre de quatre moyens du recours.
268 D’une part, elles remettent en cause la légalité externe de la décision attaquée. À cette fin, dans le cadre du septième moyen du recours, elles allèguent l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’application du point 35 des lignes directrices de 2006. Dans le cadre du huitième moyen, elles font valoir que, en n’organisant pas une audition et en ne leur permettant pas de faire valoir leur point de vue en ce qui concerne la position que la Commission envisageait
de prendre sur l’appréciation de leur capacité contributive préalablement à l’adoption de la décision attaquée, la Commission a violé l’article 27 du règlement no 1/2003 et l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux.
269 D’autre part, elles remettent en cause le bien‑fondé des appréciations de leur capacité contributive opérées tant dans la décision attaquée (sixième moyen du recours) que dans la lettre du 14 février 2011 (neuvième moyen du recours).
270 À cet égard, il convient de rappeler que, pour les motifs exposés aux points 96 à 110 ci‑dessus, la lettre du 14 février 2011 est un acte susceptible de recours. Cependant, ainsi que l’a fait valoir la Commission en réponse aux questions écrites qui lui ont été adressées par le Tribunal et lors de l’audience, la décision contenue dans cette lettre, qui constitue une appréciation de la situation des requérantes postérieure à celle qui avait été envisagée dans la décision attaquée et opérée par le
directeur général et non par le collège des membres de la Commission, lequel est l’auteur de la décision attaquée, ne saurait s’être substituée à cette dernière. Il s’ensuit que les appréciations opérées dans la décision attaquée et dans la lettre du 14 février 2011 doivent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel distinct et que l’intervention de la lettre du 14 février 2011 n’a pas privé de leur objet les conclusions et les moyens du recours dirigés contre la décision attaquée.
1. En ce qui concerne l’appréciation de la capacité contributive des requérantes dans la décision attaquée
271 L’appréciation particulière de la capacité contributive des requérantes a été présentée au point 19.5.11 de la décision attaquée (considérants 1176 à 1179), ci‑après reproduit :
« 19.5.11 [WDI], [WDV] et [Pampus]
1176 Étant donné que [WDI], [WDV] et [Pampus] ont soumis une demande invoquant l’absence de capacité contributive, ces demandes sont examinées conjointement au niveau de [Pampus], qui unit WDI et [WDV]. Ainsi, pour évaluer la capacité financière de [Pampus], le montant global des amendes imposées à WDI, [WDV] et [Pampus] est pris en compte, sans tenir compte de l’éventuelle responsabilité de [Pampus]. Cela équivaut à un montant de 56050000 EUR, qui correspond à la somme de 15485 00 EUR,
représentant la somme pour laquelle WDI, [WDV] et [Pampus] devraient être tenues conjointement responsables, 30115000 EUR, représentant la somme pour laquelle WDI et [WDV] devraient être tenues conjointement responsables et 10450000 EUR, représentant la somme pour laquelle WDI devrait être tenue responsable seule.
1177 Les demandes de [Pampus], [WDV] et WDI invoquant l’absence de capacité contributive doivent être rejetées pour les raisons énoncées aux considérants 1178 et 1179.
1178 Les éléments suivants montrent à l’égard de [Pampus] et de WDI des difficultés financières sérieuses telles, qu’elles apparaissent incapables de payer l’amende : (i) [Pampus] n’a plus de capitaux propres ; (ii) [Pampus] a un fonds de roulement négatif d’environ 100 millions EUR, amende incluse ; (iii) [Pampus] a prêté de l’argent à d’autres sociétés du groupe pour un montant d’environ 140 millions EUR, prêts qui n’ont pas été inscrits au compte des pertes, mais pour lesquels [Pampus]
n’entrevoit aucun remboursement, étant donné que chacune d’entre elles ont des capitaux propres négatifs et (iv) WDI a dû contracter un emprunt à court‑terme de 20 millions EUR en février 2010, afin de maintenir son activité. Un plan de restructuration est attendu par les banques pour la fin du mois de juin, afin de les aider à décider du maintien des lignes de crédit jusqu’à la fin de l’année 2010.
1179 Une réduction de l’amende en application du point 35 des [lignes directrices de 2006] peut seulement être accordée s’il existe un lien de causalité entre les difficultés financières et l’existence de l’amende. L’information soumise par [Pampus], [WDV] et WDI n’indique pas que ce lien de causalité est présent. Premièrement, les données financières résumées au considérant 1178 indiquent que PIB et WDI ne survivront probablement pas, indépendamment du paiement de l’amende. En d’autres termes,
il ne semble pas probable qu’une réduction du montant de l’amende augmente les chances de survie du groupe dans un avenir prévisible. La survie de l’entreprise ne dépendra donc pas du montant de l’amende, mais plutôt des décisions prises par les actionnaires (qui incluent, au niveau de WDI, ArcelorMittal pour un tiers). Deuxièmement, une grande partie des problèmes financiers rencontrés par [Pampus] et WDI ont été causés par de récents mouvements de fonds de [Pampus] en direction d’autres
sociétés détenues par les mêmes actionnaires. Au regard de la jurisprudence constante et de la pratique selon lesquelles la Commission est en droit d’apprécier dans quelle mesure les actionnaires peuvent assister financièrement des sociétés invoquant des difficultés pour payer une amende, il n’y a aucune raison d’accorder une réduction dans une situation où les moyens financiers sont transférés à des sociétés liées, après la réception d’une communication des griefs, avec la volonté
apparente ou l’effet de nier les politiques de sanction de la Commission. »
a) Sur le septième moyen, tiré d’un défaut de motivation en ce qui concerne l’appréciation de la capacité contributive des requérantes
272 Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte,
de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de
l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec, EU:C:1998:154, point 63 ; du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec, EU:C:2003:509, point 87, et du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, Rec, EU:C:2004:379, point 66).
273 Il convient de constater que les critiques relatives à l’appréciation de leur capacité contributive que les requérantes présentent dans le cadre du septième moyen relèvent de la remise en cause du bien‑fondé des appréciations de la Commission et doivent, pour cette raison, être rattachées au sixième moyen.
274 En revanche, la lecture des considérants de la décision attaquée reproduits au point 271 ci‑dessus permet de constater, ainsi que, de plus, la contestation circonstanciée du bien‑fondé de ces motifs par les requérantes le démontre, que la Commission a indiqué, avec une précision suffisante pour permettre aux requérantes de les comprendre et au Tribunal d’exercer son contrôle, les raisons pour lesquelles elle estimait ne pas devoir accorder de réduction d’amende en application du point 35 des
lignes directrices de 2006.
275 Il s’ensuit que le septième moyen doit être écarté.
b) Sur le huitième moyen, tiré de ce que, en n’auditionnant pas les requérantes préalablement à son refus de faire droit à leur demande de prise en compte de leur absence de capacité contributive dans la décision attaquée, la Commission a violé l’article 27 du règlement no 1/2003 et l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux
276 Dans le cadre du huitième moyen, les requérantes font valoir que, en ne les entendant pas sur les raisons du refus de tenir compte de leur absence de capacité contributive avant l’adoption de la décision attaquée, la Commission leur a indûment refusé le droit à une audition qui découle de l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux.
277 Aux termes de l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, avant de prendre les décisions prévues aux articles 7, 8 et 23 et à l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement, la Commission donne aux entreprises visées par la procédure l’occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission. Aux termes de cette même disposition, la Commission est tenue de ne fonder ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire
valoir leurs observations.
278 Par ailleurs, l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux dispose que le droit de toute personne à voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable, lequel est garanti à l’article 41, paragraphe 1, comporte notamment celui d’être entendu avant l’adoption de toute mesure individuelle l’affectant défavorablement.
279 En premier lieu, il convient de constater que les requérantes ne contestent pas qu’une audition ait été organisée avant l’adoption de la décision attaquée, à laquelle elles ont d’ailleurs participé (voir point 34 ci‑dessus). Elles font valoir, cependant, qu’une nouvelle audition aurait dû être tenue et porter sur la position que la Commission envisageait d’adopter en ce qui concerne leur demande de réduction fondée sur l’appréciation de leur capacité contributive.
280 Or, l’organisation d’une telle audition n’est pas prévue à l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, puisque seul est reconnu par cette disposition le droit des entreprises à faire connaître leur opinion en ce qui concerne les « griefs » sur lesquels la Commission envisage de fonder ses décisions. Toutefois, l’appréciation de la capacité contributive des entreprises ne constitue pas un grief susceptible de fonder une décision sanctionnant une infraction à l’article 101 TFUE, mais
permet à la Commission de prendre en considération un certain nombre d’éléments avancés à l’appui d’une demande de réduction de l’amende reposant sur des motifs indépendants des éléments constitutifs de l’infraction.
281 En second lieu, l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux ne fonde pas davantage un droit des entreprises à être entendues avant que ne soit prise une décision sur leur demande de réduction fondée sur l’appréciation de leur capacité contributive au vu des éléments d’information fournis par celles‑ci.
282 Une telle décision constitue, certes, une mesure individuelle défavorable au sens de cette disposition. Il n’en demeure pas moins que le droit d’être entendu qui y est prévu doit être considéré comme ayant été respecté dans les situations dans lesquelles, comme en l’espèce, la décision prise n’est fondée que sur des éléments communiqués par le demandeur et au vu d’un contexte juridique et factuel connu de lui (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, Euris Consult/Parlement, T‑637/11, Rec,
EU:T:2014:237, point 119). En effet, il ressort des pièces du dossier soumis au Tribunal et il n’est pas contesté par les parties que les informations sur lesquelles la Commission a fondé son appréciation de la capacité contributive des requérantes sont celles qui lui ont été fournies par celles‑ci, en réponse au questionnaire que la Commission leur avait adressé ou de leur propre initiative.
283 Il est vrai que, en vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, la Commission serait tenue de permettre à une entreprise ayant présenté une demande de réduction en raison de sa capacité contributive de présenter son point de vue sur les éléments de fait ou de droit qu’elle entendrait retenir pour rejeter cette demande, au cas où ces éléments ne lui auraient pas été communiqués par cette entreprise. En revanche, le seul fait que la Commission estime que les
éléments qui lui ont été présentés ne sont pas convaincants ne la contraint pas à communiquer cette appréciation avant de statuer sur la demande.
284 Il s’ensuit qu’il convient de rejeter le huitième moyen.
c) Sur le sixième moyen, tiré de ce que, dans la décision attaquée, la Commission a méconnu l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, en ce qu’elle a « abusé de son pouvoir d’appréciation » et violé le principe de proportionnalité en ne tenant pas compte de l’absence de capacité contributive des requérantes
285 Dans le cadre du sixième moyen, les requérantes contestent les motifs pour lesquels la Commission, dans la décision initiale, a rejeté leur demande de réduction d’amende en raison de la prise en compte de leur capacité contributive.
Considérations générales relatives à l’appréciation de la capacité contributive des entreprises sanctionnées pour avoir enfreint l’article 101 TFUE
286 Le point 35 des lignes directrices de 2006 envisage l’incidence que peut avoir la capacité contributive d’une entreprise sanctionnée pour avoir enfreint l’article 101 TFUE sur le calcul de l’amende susceptible de lui être infligée. Ce point est rédigé comme suit :
« Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission peut, sur demande, tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans un contexte social et économique particulier. Aucune réduction d’amende ne sera accordée à ce titre par la Commission sur la seule constatation d’une situation financière défavorable ou déficitaire. Une réduction ne pourrait être accordée que sur le fondement de preuves objectives que l’imposition d’une amende, dans les conditions fixées par les
présentes lignes directrices, mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur. »
287 Selon une jurisprudence constante, en adoptant des règles de conduite telles que des lignes directrices et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles‑ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance
légitime (arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 251 supra, EU:C:2005:408, point 211, et du 12 décembre 2012, Ecka Granulate et non ferrum Metallpulver/Commission, T‑400/09, EU:T:2012:675, point 40).
288 Il y a lieu de relever d’emblée qu’une réduction d’amende ne peut être accordée au titre du point 35 des lignes directrices de 2006 que dans des circonstances exceptionnelles et aux conditions qui sont définies dans ces orientations. Ainsi, d’une part, il doit être démontré que l’amende infligée « mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur ». D’autre part, l’existence d’un « contexte économique et social
particulier » doit également être établie. Il convient de rappeler, en outre, que ces deux ensembles de condition ont été dégagées au préalable par les juridictions de l’Union.
289 S’agissant du premier ensemble de conditions, il a été jugé que la Commission n’est pas, en principe, obligée de tenir compte, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger pour une violation des règles de concurrence, de la situation financière déficitaire d’une entreprise, étant donné que la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêts Dansk
Rørindustri e.a./Commission, point 251 supra, EU:C:2005:408, point 327, et Ecka Granulate et non ferrum Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 94).
290 En effet, si tel devait être le cas, ces entreprises risqueraient d’être favorisées aux dépens d’autres entreprises, plus efficaces et mieux gérées. De ce fait, la seule constatation d’une situation financière défavorable ou déficitaire de l’entreprise concernée ne saurait suffire à fonder une demande visant à obtenir de la Commission qu’elle tienne compte de l’absence de sa capacité contributive pour accorder une réduction d’amende.
291 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, le fait qu’une mesure prise par une autorité de l’Union provoque la faillite ou la liquidation d’une entreprise n’est pas interdit, en tant que tel, par le droit de l’Union. Si une telle opération peut porter atteinte aux intérêts financiers des propriétaires ou des actionnaires, cela ne signifie pas pour autant que les éléments personnels, matériels et immatériels représentés par l’entreprise perdraient eux aussi leur valeur (arrêts du 29 avril
2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec, EU:T:2004:118, point 372, et Ecka Granulate et non ferrum Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 50).
292 Il peut être déduit de cette jurisprudence que seule l’hypothèse d’une perte de la valeur des éléments personnels, matériels et immatériels représentés par une entreprise, en d’autres termes, de ses actifs, pourrait justifier la prise en considération, lors de la fixation du montant de l’amende, de l’éventualité de sa faillite ou de sa liquidation, à la suite de l’imposition de cette amende (arrêt Ecka Granulate et non ferrum Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 51).
293 En effet, la liquidation d’une société n’implique pas nécessairement la disparition de l’entreprise en cause. Celle‑ci peut continuer à subsister en tant que telle, soit en cas de recapitalisation de la société, soit en cas de reprise globale des éléments de son actif par une autre entité. Une telle reprise peut intervenir soit par un rachat volontaire, soit par une vente forcée des actifs de la société avec poursuite d’exploitation (voir, en ce sens, arrêt Ecka Granulate et non ferrum
Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 97).
294 Il convient donc de comprendre la référence qui est faite, au point 35 des lignes directrices de 2006, à la privation des actifs de l’entreprise concernée de toute valeur comme envisageant la situation dans laquelle la reprise de l’entreprise dans les conditions évoquées au point précédent paraît improbable, voire impossible. Dans une telle hypothèse, les éléments d’actif de cette entreprise seront offerts à la vente séparément et il est probable que beaucoup d’entre eux ne trouveront aucun
acheteur ou, au mieux, ne seront vendus qu’à un prix considérablement réduit (arrêt Ecka Granulate et non ferrum Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 98).
295 Quant au second ensemble de conditions, relatif à l’existence d’un contexte économique et social particulier, il renvoie, selon la jurisprudence, aux conséquences que le paiement de l’amende pourrait entraîner, notamment en termes d’augmentation du chômage ou de détérioration des secteurs économiques situés en amont et en aval de l’entreprise concernée (arrêts du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec, EU:C:2006:433, point 106, et Ecka Granulate et non ferrum
Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 99).
296 Dès lors, si les conditions cumulatives envisagées précédemment sont réunies, l’imposition d’une amende qui risquerait de provoquer la disparition d’une entreprise s’avérerait contraire à l’objectif poursuivi par le point 35 des lignes directrices de 2006. L’application dudit point aux entreprises concernées constitue, de la sorte, une traduction concrète du principe de proportionnalité en matière de sanctions des infractions au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Ecka Granulate et
non ferrum Metallpulver/Commission, point 287 supra, EU:T:2012:675, point 100).
297 Enfin, ainsi que la Commission l’a rappelé à juste titre devant le juge des référés ainsi que, à plusieurs reprises, dans le cadre des procédures écrite et orale devant le Tribunal, dès lors que l’application du point 35 des lignes directrices de 2006 constitue le dernier élément pris en considération lors de la détermination du montant des amendes infligées pour violation des règles de concurrence applicables aux entreprises, l’appréciation de la capacité contributive des entreprises
sanctionnées relève de la compétence de pleine juridiction qui est prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003.
298 Quant à la portée de cette compétence, il convient de rappeler qu’elle constitue une modalité de mise en œuvre du principe de protection juridictionnelle effective, principe général du droit de l’Union qui est maintenant exprimé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et correspond, dans le droit de l’Union, à l’article 6 de la CEDH (arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, Rec, EU:C:2011:815, point 51 ; du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, Rec, EU:C:2012:684,
point 47, et du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, Rec, EU:C:2013:522, point 36).
299 Selon la jurisprudence, en effet, le respect de l’article 6 de la CEDH n’exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative. Il suppose cependant que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle‑même les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH subisse le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel de pleine juridiction. Parmi les caractéristiques d’un organe juridictionnel de
pleine juridiction, figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise. Un tel organe doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (arrêt Schindler Holding e.a./Commission, point 298 supra, EU:C:2013:522, point 35 ; voir Cour EDH, Menarini Diagnostics c. Italie, no 43509/08, § 59, 27 septembre 2011, et Segame c. France, no 4837/06, § 55, 7 juin 2012).
300 Par ailleurs, l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision litigieuse ne méconnaît pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier (arrêt Chalkor/Commission, point 298 supra, EU:C:2011:815, point 66).
301 Ainsi, sous réserve des moyens d’ordre public qu’il lui appartient d’examiner et, le cas échéant, de soulever d’office, le juge de l’Union doit effectuer son contrôle sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués et ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait (voir, en ce sens, arrêt Chalkor/Commission,
point 298 supra, EU:C:2011:815, point 62).
302 Enfin, ainsi qu’il a été rappelé au point 109 ci‑dessus et que le soutient à bon droit la Commission, le juge de pleine juridiction, doit, en principe et sous réserve de l’examen des éléments qui lui sont soumis par les parties, tenir compte de la situation de droit et de fait qui prévaut à la date à laquelle il statue lorsqu’il estime qu’il est justifié d’exercer son pouvoir de réformation (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial
Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec, EU:C:1974:18, points 51 et 52 ; du 14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec, EU:T:1995:141, point 61, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, Rec, EU:T:2011:560, points 282 à 285). A fortiori, il doit en être ainsi dans les cas dans lesquels, comme en l’espèce, le montant de l’amende dont doit s’acquitter la société sanctionnée prenant en compte sa capacité contributive est celui qui résulte de la décision adoptée par le Tribunal à
la suite du recours introduit par celle‑ci, le paiement effectif de l’amende ayant été différé.
303 C’est à l’aune de ces considérations générales et au vu des moyens de fait et de droit présentés par les parties devant le Tribunal qu’il convient d’apprécier le raisonnement figurant dans la décision attaquée.
2. En ce qui concerne le bien‑fondé de l’appréciation de la capacité contributive des requérantes dans la décision attaquée
304 Aux considérants 1176 à 1178 de la décision attaquée (voir point 271 ci‑dessus), la Commission a rejeté les demandes des requérantes en relevant que WDI et Pampus connaissaient des difficultés financières sérieuses telles qu’elles apparaissaient incapables de payer l’amende. Ce diagnostic était fondé sur les éléments suivants.
305 Premièrement, WDI avait dû contracter un emprunt à court terme de 20 millions d’euros en février 2010, indispensable pour lui permettre de poursuivre ses activités. Un plan de restructuration était attendu par les banques pour la fin du mois de juin 2010, date à laquelle les banques prendraient une décision sur le maintien des lignes de crédit jusqu’à la fin de l’année.
306 Deuxièmement, Pampus n’avait plus de capitaux propres. Selon la Commission, le fonds de roulement de cette société était négatif pour environ 100 millions d’euros, amende incluse.
307 Troisièmement, Pampus avait prêté de l’argent à d’autres sociétés du groupe pour un montant d’environ 140 millions d’euros. Bien que ces prêts n’aient pas été inscrits à un compte de pertes, Pampus n’envisageait pas de remboursement, étant donné que les capitaux propres de chacune des sociétés débitrices étaient négatifs.
308 En considération de cette estimation de la situation financière des requérantes, au considérant 1179 de la décision attaquée (voir point 271 ci‑dessus), la Commission a rejeté la demande de réduction d’amende présentée par les requérantes pour les trois motifs suivants.
309 Premièrement, la Commission a considéré qu’une réduction éventuelle du montant de l’amende n’augmenterait pas les chances de survie du groupe dans un avenir prévisible. Ainsi, même si l’amende était réduite à néant, Pampus et WDI ne survivraient probablement pas.
310 Deuxièmement, selon la Commission, quel que soit le montant de l’amende infligée, la survie du groupe dépendrait des décisions prises par les actionnaires, dont ArcelorMittal, qui détenait le tiers du capital de WDI.
311 Troisièmement, une grande partie des problèmes financiers rencontrés par Pampus et par WDI trouveraient leur origine dans de récents mouvements de fonds de Pampus en direction d’autres sociétés du groupe. Pour la Commission, il n’y aurait aucune raison d’accorder une réduction dans une situation où, après la réception d’une communication des griefs, les moyens financiers sont transférés à des sociétés liées avec la « volonté apparente ou l’effet de réduire à néant la politique de sanction de la
Commission ». Lors de l’audience, la Commission a précisé que ce dernier motif suffisait à lui seul à justifier le rejet de toute demande de réduction d’amende présentée par les requérantes, l’absence de capacité contributive alléguée trouvant son origine dans des décisions de gestion discrétionnaires qu’elles ont elles‑mêmes adoptées.
312 Or, à la différence de ce qui était envisagé dans la décision attaquée, les requérantes n’ont pas disparu après le mois de juin 2010. Cette circonstance demeure, certes, sans incidence sur la légalité de l’appréciation effectuée dans la décision attaquée. Il n’en demeure pas moins qu’elle est susceptible de créer un doute, du moins dans l’esprit du juge, sur le sérieux et le bien‑fondé de l’analyse des perspectives qu’offrait la situation financière des requérantes à la date de l’adoption de la
décision attaquée, eu égard à la teneur des informations qui avaient alors été communiquées à la Commission.
313 À cet égard, les requérantes exposent, quant à elles, de manière convaincante les raisons pour lesquelles, eu égard à la teneur des éléments qu’elles ont présentés à l’appui de leur demande tendant à l’appréciation de leur capacité contributive, les appréciations opérées par la Commission ne correspondent pas au scénario qui était le plus probable à l’époque.
314 En premier lieu, les requérantes établissent à suffisance que leurs perspectives à moyen et à long terme étaient positives et leur permettaient ainsi d’obtenir le soutien de leurs créanciers tout au long de la période de crise entamée en 2009. Les pièces fournies à ce propos par les requérantes traduisent les efforts significatifs faits pour réduire leurs coûts et restructurer le groupe Pampus après la chute du chiffre d’affaires liée à la crise économique. Il ressort également de ces documents
que le groupe Pampus a toujours su préserver une bonne relation avec ses banques, en cherchant à obtenir continuellement les meilleures conditions de financement possible pour préserver et continuer son activité en dépit des difficultés sérieuses rencontrées.
315 Il en est ainsi du prêt de 20 millions d’euros accordé par les banques aux requérantes en février 2010 qui a leur permis d’obtenir la trésorerie nécessaire pour éviter la cessation de paiements. Cet accord de statu quo (standstill), dont la prorogation était sérieusement envisagée avant l’adoption de la décision attaquée et est intervenue le 2 juillet 2010, constituait un exemple de la volonté des établissements financiers de pallier les difficultés de trésorerie rencontrées par le groupe. Or,
dans la décision attaquée, la Commission n’a tiré aucune conséquence de l’éventualité de ce renouvellement. Dans le contexte des suites de la crise économique générale intervenue en 2008, le soutien continu apporté aux requérantes par leurs banques pouvait cependant laisser supposer que celles‑ci ne considéraient pas que le groupe Pampus était confronté à un défaut structurel de rentabilité, mais plutôt à des problèmes de liquidités. En dépit de ces considérations, la Commission a manifestement
omis dans son analyse d’envisager comme suffisamment probable le maintien des facilités de trésorerie accordées aux requérantes par leurs banques au cas où leur rentabilité ne se détériorerait pas de manière significative. L’imposition d’une amende d’un montant tel que celui qui était envisagé dans la décision initiale était en revanche susceptible d’entraîner une détérioration de ce type. Dès lors, c’est, en outre, à tort que, sur l’appréciation de cet élément de contexte qu’elle a retenu au
titre des motifs fondant le rejet de la demande de réduction d’amende présentée par les requérantes, la Commission a estimé que le montant de l’amende finalement infligée aux requérantes ne jouait aucun rôle.
316 En deuxième lieu, premièrement, les requérantes exposent également, de manière détaillée et convaincante les raisons pour lesquelles les transferts correspondant aux sommes de plus de 100 millions d’euros [prêt de Pampus à Pampus Stahlbeteiligungsgesellschaft mbH (ci‑après « PSB »), correspondant à une créance de PSB sur le groupe Ovako] et de plus de 140 millions d’euros [créances de Pampus sur Pampus Automotive GmbH & Co. KG (ci‑après « PAM »), pour environ 55 millions d’euros, TSW Trierer
Stahlwerk GmbH (ci‑après « TSW »), pour 79 millions d’euros, et Speralux SA, pour 10 millions d’euros] ne pouvaient pas, au vu des éléments qu’elles ont soumis à l’appui de leur demande, être considérés comme des pertes pures et simples, ainsi que la Commission l’a pourtant fait dans la décision attaquée. En effet, la Commission ne pouvait se contenter, pour parvenir à la conclusion radicale de la perte totale de la valeur des créances détenues par Pampus sur les autres sociétés du groupe, d’une
analyse de la situation financière des sociétés débitrices limitée à l’examen des soldes de leurs comptes annuels, sans même chercher à évaluer leur rentabilité, même à court terme. En n’opérant pas une telle analyse, la Commission a négligé un déterminant essentiel des chances de remboursement des prêts en cause.
317 D’ailleurs, les faits postérieurs à l’adoption de la décision attaquée – même s’ils ne peuvent être retenus pour apprécier la légalité de celle‑ci – corroborent la légèreté de l’analyse opérée par la Commission. Ainsi, il est constant que le prêt de Pampus à PSB n’a pas été déprécié dans sa totalité, mais simplement pour moitié, soit un montant de 50,5 millions d’euros, ce qui a entraîné, comme la Commission le reconnaît, une « nette amélioration de l’état des capitaux propres de Pampus ». Il
est de même constant que la créance de Pampus sur PAM n’a été dépréciée qu’à hauteur de 26,5 millions d’euros, soit la moitié et non la totalité du prêt accordé.
318 Deuxièmement, les requérantes sont fondées à soutenir que la Commission ne pouvait, sans commettre une erreur d’appréciation, estimer que toute demande de réduction d’amende de leur part ne pouvait qu’être rejetée en raison des transferts financiers réalisés entre Pampus et d’autres sociétés du même groupe après la notification de la communication des griefs.
319 D’une part, la Commission ne pouvait refuser, comme elle l’a fait, de tenir compte des raisons pour lesquelles ces transferts intragroupes ont été réalisés. Or, il ressort des éléments de fait communiqués à la Commission avant l’adoption de la décision attaquée que ces financements accordés à des sociétés du groupe visaient à répondre à la nécessité de financer des acquisitions réalisées avant l’envoi de la communication des griefs ainsi que, s’agissant des transferts réalisés après la
notification de la communication des griefs, de permettre la poursuite des activités de ces sociétés.
320 En effet, alors que la communication des griefs a été adoptée le 30 septembre 2008 (considérant 115 de la décision attaquée), elle a été notifiée aux requérantes, selon leurs déclarations, non contestées par la Commission, le 2 octobre 2008. Or, il résulte des renseignements fournis par les requérantes en réponse aux questions que la Commission leur a adressées durant la procédure administrative que le groupe Ovako avait été acquis en 2006, et que les transferts financiers intervenus pour
permettre cette acquisition, dont le prêt litigieux accordé à PSB, avaient eu lieu de 2007. De même, PAM avait été acquise en 2007 et TSW en 2005. Les transferts litigieux intervenus après la communication des griefs, tels les prêts accordés à Speralux, visaient ainsi à couvrir les besoins en liquidités de sociétés qui, à la date à laquelle ladite communication des griefs a été notifiée, faisaient partie du groupe Pampus.
321 D’autre part, la Commission, ainsi que le font valoir à juste titre les requérantes, ne pouvait s’abstenir de prendre en compte la situation financière du groupe Pampus dans son ensemble et la viabilité de ce groupe. Il s’avère que, ainsi que les requérantes en ont informé la Commission avant l’adoption de la décision attaquée, à l’exception de TSW, l’ensemble des sociétés ayant bénéficié des transferts financiers litigieux étaient sous le contrôle exclusif de sociétés de holding familiales,
telle Pampus, lesquelles étaient toutes détenues, dans les mêmes proportions, par les mêmes associés, à savoir M. Pa. et ses deux filles. Quant à TSW, elle était directement détenue aux deux tiers par M. Pa. et l’une de ses deux filles et pouvait ainsi être considérée, aux fins de l’appréciation de la capacité contributive de Pampus, comme faisant partie du même groupe. Dans les circonstances de l’espèce, la Commission aurait donc dû considérer que les transferts financiers réalisés au bénéfice
d’autres sociétés appartenant au même groupe demeuraient sans aucune incidence sur l’appréciation de la capacité contributive de Pampus.
322 En troisième lieu, il découle des erreurs d’appréciation qui viennent d’être relevées que la Commission ne pouvait considérer à juste titre, comme elle l’a fait dans la décision attaquée, que le montant de l’amende qu’elle envisageait d’infliger aux requérantes n’était pas susceptible d’avoir d’incidence sur leur viabilité. C’est donc également à tort qu’elle a estimé que le montant en cause était dépourvu de pertinence pour l’appréciation de leur capacité contributive.
323 En quatrième lieu, enfin, les arguments des requérantes tendant à établir que l’intervention de leurs actionnaires était improbable procèdent d’une lecture inexacte de la décision attaquée et, à ce titre, sont inopérants. En effet, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas estimé qu’une telle intervention était probable, mais elle s’est contentée, à titre incident, de relever que, selon elle, la survie des requérantes ne pouvait dépendre que de telles interventions (voir le
considérant 1179 de la décision attaquée, reproduit au point 271 ci‑dessus).
324 Il résulte de ce qui précède que, en appréciant la capacité contributive des requérantes, la Commission a commis des erreurs de nature à entacher la décision attaquée d’illégalité. Un tel constat justifie en principe que le Tribunal apprécie s’il convient, en conséquence et ainsi que les requérantes l’y invitent, de réformer le montant des amendes mises à leur charge. Tel pourrait ne pas être le cas, cependant, ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, si l’analyse à laquelle
le directeur général a procédé dans la lettre du 14 février 2011 pouvait fournir un fondement en fait et en droit au rejet de la demande de réduction d’amende présentée par les requérantes. Celles‑ci contestant également cette seconde analyse, il convient d’en examiner le bien‑fondé.
3. En ce qui concerne le bien‑fondé de l’appréciation de la capacité contributive des requérantes dans la lettre du 14 février 2011
325 Il convient de rappeler que la nouvelle demande d’appréciation de leur capacité contributive présentée par les requérantes a été de nouveau rejetée dans la lettre du 14 février 2011, pour des motifs opposés à ceux qui avaient été retenus dans la décision attaquée. Les passages pertinents de la lettre du 14 février 2011 se lisent comme suit :
« Le 12 août 2010, WDI, WDV et [Pampus] […] ont sollicité une réduction du montant de leurs amendes conformément aux conditions énoncées au point 35 des lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes, conditions qui s’appliqueraient par analogie en raison de l’insolvabilité qu’elles allèguent.
Se fondant sur cette demande et sur les autres renseignements fournis par les parties jusqu’au 7 février 2011, les services compétents de la Commission ont contrôlé ces renseignements et données et vérifié que les trois entreprises susvisées ne seraient pas en mesure de payer les amendes comme elles l’affirment. Ils ont en particulier analysé les effets des amendes sur la viabilité de ces trois entreprises et tenu compte également de leurs relations avec les banques et avec leurs actionnaires
ainsi que de la capacité de ces derniers à aider les entreprises financièrement afin qu’elles puissent payer les amendes imposées par la [décision attaquée].
Il résulte de cet examen que WDI n’a fourni aucune information ni preuve nouvelles qui démontreraient que payer l’amende de 46550000 euros compromettrait irrémédiablement sa viabilité. Au contraire, il résulte des renseignements que WDI a fournis jusqu’au 7 février 2011 qu’elle est en mesure de payer le montant total de l’amende. Nous renvoyons en particulier aux prévisions du cash‑flow net des prochaines années que vous nous avez transmises pour WDI : 13,3 millions d’euros pour 2011 (y compris
1,37 millions pour le remboursement d’un prêt à long terme), 17,7 millions d’euros pour 2012 (y compris 0,7 millions d’euros pour le remboursement d’un prêt à long terme), 14,8 millions d’euros pour 2013, 21,5 millions d’euros pour 2014, 22,3 millions pour 2015 et 25,4 millions pour 2016. Ces prévisions du cash‑flow net sont le résultat de l’analyse du cash‑flow positif des activités en cours et d’investissements limités. WDI n’a pas démontré qu’avec des prévisions de cash‑flow aussi solides,
elle ne serait pas en mesure de payer l’amende.
Ces prévisions de cash‑flow net ne tiennent pas compte des remboursements, fussent‑ils partiels, des prêts consentis par WDI à des sociétés lui appartenant, bien que de tels remboursements ne puissent pas être exclus. Il résulte en outre des renseignements qui ont été fournis que les banques de WDI peuvent faire imputer d’autres dettes foncières sur des immobilisations corporelles de WDI.
Nous considérons également qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la capacité contributive de WDV et de [Pampus] en l’espèce dès lors que WDI, qui est la seule société du groupe Pampus à avoir été condamnée à répondre de la totalité de l’amende de 46550000 euros, est en mesure de financer l’ensemble de cette amende ou d’obtenir une caution bancaire pour ce même montant total. Nous estimons qu’un paiement provisoire ou une caution acceptable pour les services comptables de la Commission couvrant
le montant de 46550000 euros sur toute la durée de la procédure juridictionnelle suffiront à la Commission pour garantir la dette individuelle et solidaire des trois entreprises concernées jusqu’à la clôture de la procédure juridictionnelle.
Je souhaite également souligner que, selon nous, aucune des entreprises n’a, à ce jour, démontré un lien causal ou clair, au sens du point 1179 de la [décision attaquée], entre l’amende infligée et la situation financière prétendument très délicate de WDI. Les nouvelles informations qui ont été fournies à la Commission entre l’adoption de la [décision attaquée] et le 7 février 2011 indiquent clairement, au contraire, que, après la notification de la communication des griefs, WDI a consenti des
prêts à des entreprises tierces du groupe Pampus sans avoir imposé de plans de remboursement aux bénéficiaires. Ces prêts, à hauteur d’environ 115 millions d’euros, excèdent manifestement le montant de l’amende imposée à WDI.
Je dois dès lors vous informer que, après examen attentif des nouvelles informations et données que vous nous avez fournies entre la date à laquelle vous avez reçu la décision attaquée et le 7 février 2011, nous ne voyons aucune raison de revoir ou de réduire le montant des amendes infligées à WDI, WDV et [Pampus] par l’article 2 de la [décision attaquée] et ne pouvons dès lors donner suite à votre demande. »
326 Pour contester le raisonnement exposé dans la lettre du 14 février 2011, qui prend principalement en considération les prévisions de cash‑flow net de WDI, les requérantes font essentiellement valoir que ce seul critère ne pourrait pas fonder l’analyse de la capacité contributive d’une entreprise au regard du point 35 des lignes directrices 2006.
327 Il est vrai que les prévisions de cash‑flow net présentent un caractère nettement aléatoire dont ne peut dépendre exclusivement l’analyse de la capacité contributive d’une entreprise. Toutefois, contrairement à ce qu’estiment les requérantes, ce caractère aléatoire ne saurait suffire à remettre en cause les déductions qui pouvaient être tirées de ces informations, qu’elles ont fournies dans le cadre de leur demande de réappréciation de leur capacité contributive, quant à la capacité
vraisemblable de WDI à dégager des bénéfices.
328 En revanche, les requérantes sont fondées à faire valoir que, pour rejeter leur demande de réduction d’amende, le directeur général ne pouvait faire abstraction de ce qu’elles avaient suffisamment établi, par la production de nombreux refus émanant de banques qui leur avaient déjà consenti des prêts ainsi que par la production de plusieurs rapports d’analyse financière, être dans l’impossibilité aussi bien d’acquitter en un seul versement le montant total des amendes finalement mis à leur
charge, tel qu’il résultait de la première décision modificative, que d’obtenir un financement ou même une garantie bancaire à hauteur de ce montant.
329 À cet égard, ainsi que l’a déjà constaté le juge des référés (ordonnance Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, point 65 supra, EU:T:2011:178, points 35 et 43), les requérantes ont produit plus d’une dizaine de refus de prêt motivé et il doit être présumé qu’une banque, lorsqu’elle adopte une décision, positive ou négative, en matière de crédit et de garantie, poursuit toujours ses propres intérêts en tant qu’établissement de crédit et doit d’ailleurs agir de la sorte pour le bien de ses
actionnaires.
330 Au surplus, les raisons pour lesquelles le motif pris de l’intervention de transferts financiers intragroupes ne pouvait suffire en l’espèce pour justifier le rejet de la demande de réduction d’amendes présentée par les requérantes ont été exposées aux points 316 à 321 ci‑dessus.
331 Il s’ensuit que, pour rejeter la demande de réappréciation de leur capacité contributive présentée par les requérantes, le directeur général a commis des erreurs de nature à entacher d’illégalité la lettre du 14 février 2011.
332 Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis des erreurs lorsque, à deux reprises, elle a apprécié la capacité contributive des requérantes. Ces erreurs sont de nature, d’une part, à entraîner l’annulation de la décision attaquée en tant qu’une amende y est infligée aux requérantes ainsi que de la lettre du 14 février 2011, et, d’autre part, à justifier que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction.
4. En ce qui concerne l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction
333 Ainsi qu’il a été rappelé aux points 286 à 303 ci‑dessus, les conditions prévues au point 35 des lignes directrices de 2006 découlent de la jurisprudence et rien ne s’oppose à ce que le Tribunal, bien qu’il ne soit pas lié par les orientations générales adoptées par la Commission (voir point 227 ci‑dessus), fasse application de ces mêmes conditions dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.
334 L’examen des quatre premiers moyens du recours n’ayant révélé aucune erreur de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée et le Tribunal ne décelant aucune raison de considérer comme inapproprié le montant des amendes infligées aux requérantes tel qu’il résulte de l’article 2, point 8, de la décision attaquée, c’est donc eu égard à ce montant que la nouvelle appréciation de la capacité contributive des requérantes doit intervenir.
335 Par ailleurs, pour assurer l’effet utile de l’appréciation de la capacité contributive d’une entreprise au regard du montant de l’amende qui doit être mise à sa charge, il convient que le Tribunal, lorsqu’il entend exercer sa compétence de pleine juridiction, apprécie la situation qui prévaut à la date à laquelle il adopte sa décision (voir points 109 et 302 ci‑dessus), au regard des documents que les parties peuvent lui présenter, sous réserve des conditions de recevabilité prévues à
l’article 48 du règlement de procédure du 2 mai 1991, jusqu’à la clôture de la procédure orale.
336 À cet égard, les parties ont eu la possibilité de verser au dossier de l’affaire des documents postérieurs à la clôture de la procédure écrite dont elles avaient toutes deux évoqué l’existence durant l’audience publique. Elles ont fait usage de cette possibilité et présenté chacune des observations sur lesdits documents. Chaque partie s’est, en outre prononcée sur les observations de la partie adverse.
337 Les requérantes soutiennent que l’examen des données les plus récentes démontre qu’elles ne disposent pas de liquidités suffisantes pour assurer le paiement de l’intégralité de l’amende qui leur a été infligée dans la décision attaquée. Elles ne pourraient pas non plus compter sur un recours à des établissements de crédit. Dans ces conditions, l’exigibilité du paiement de l’amende entraînerait leur liquidation, dans le cadre de laquelle la créance de la Commission ne serait pas prioritaire.
338 Les établissements qui leur ont déjà consenti des crédits ne seraient pas disposés à augmenter leur soutien, comme en témoignerait leur refus d’accorder la prorogation des facilités de crédit qu’elles avaient demandé pour trois ans en 2013. Ainsi, les banques n’auraient accepté de proroger les lignes de crédit accordées aux requérantes que du 14 septembre 2014 au 30 novembre 2015.
339 Par ailleurs, les requérantes ne seraient pas parvenues à vendre les actifs dont elles escomptaient affecter le produit à leur désendettement. Cette situation attesterait la faible rentabilité des terrains et des installations et, partant, la faible valeur des actifs dont elles envisageaient de se défaire.
340 L’amélioration de leur résultat comptable résulterait en grande partie de la réintégration des provisions qu’elles avaient constituées en vue du paiement de l’amende. De plus, le désendettement de Pampus serait sans incidence sur leur capacité contributive. En outre, les effets de réduction de la charge fiscale entraînés par les amortissements relatifs aux investissements réalisés il y a cinq ans seraient sur le point de s’épuiser.
341 Les versements échelonnés auxquels elles procèdent en application de l’ordonnance Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, point 65 supra, (EU:T:2011:178), représenterait une charge financière annuelle de 3,6 millions d’euros, ce qui les empêcheraient de réaliser les investissements nécessaires pour maintenir leur compétitivité.
342 Les requérantes estiment que leur liquidation entraînerait la perte de valeur de leurs actifs. Selon elles, il y aurait lieu de considérer que, si un unique acquéreur envisageait de les racheter, la valeur de leurs actifs diminuerait immédiatement d’environ 25 %.
343 Enfin, il conviendrait de ne pas tenir compte des déclarations effectuées par le groupe Penta/Equinox en ce qui concerne la viabilité de leur bilan, de telles déclarations répondant à des préoccupations d’image et n’offrant aucune garantie de sincérité.
344 Par conséquent, les requérantes font valoir que le Tribunal devait réduire substantiellement le montant de l’amende, dès lors que le cumul d’une réduction avec un échelonnement des paiements ne pourrait présenter qu’un caractère exceptionnel. Selon elles, toute amende pourrait être payée, et ce quel qu’en soit le montant, si les paiements pouvaient être échelonnés sur une période suffisamment longue. En outre, le Tribunal devrait se placer à la date à laquelle la Commission a réalisé
l’appréciation de leur capacité contributive, sous peine de violer le principe d’égalité de traitement, la capacité contributive des autres entreprises ayant été appréciée à cette même date.
345 La Commission conteste cette argumentation.
346 Force est de constater, à titre liminaire, que, dans l’ordonnance Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, point 65 supra, (EU:T:2011:178), les requérantes ont été condamnées à verser, à titre provisoire, un montant de 2 millions d’euros ainsi qu’un montant mensuel représentant une charge annuelle supplémentaire de 3,6 millions d’euros. Il est constant que les requérantes se sont jusqu’à présent acquittées de cette obligation, si bien que la question de savoir si leur situation financière
leur permet de s’acquitter de l’amende ne porte plus que sur une somme représentant environ les deux-tiers du montant initialement mis à la charge de WDI. Il est constant, en effet, que les montants déjà versés représentent plus de 15 millions d’euros.
347 Il est également constant que, entre 2011 et 2013, les requérantes ont procédé à leur propre restructuration, au terme de laquelle Pampus apparaît désendettée à l’égard des établissements de crédit. La Commission fait valoir, en outre, sans être contredite par les requérantes, qu’il résulte de la lettre que celles-ci lui ont adressée le 28 mai 2014, que l’endettement cumulé du groupe Pampus est passé de 350 millions d’euros en 2010 à 160 millions d’euros en 2013, en raison, notamment de
renoncements à des créances consenties par des établissements de crédits et d’échanges de créances (swap) avec l’investisseur Penta/Equinox, lequel a, à cet époque, envisagé de se porter acquéreur du groupe en transformant ses créances en prises de participations. À cet occasion, Penta/Equinox a publié un communiqué de presse, produit par la Commission, aux termes duquel il estimait que le bilan des requérantes était « viable » (sustainable balance sheet).
348 La Commission indique également, sans être contredite, que les requérantes ont vendu des participations qu’elles détenaient dans d’autres sociétés, dont le produit a été affecté à leur désendettement. Il est également constant que, depuis l’adoption de la décision attaquée, les lignes de crédit consenties aux requérantes ont été à chaque fois prorogées avant leur échéance. La Commission fait également valoir que les requérantes ont réussi à réduire leurs coûts de production, tant par la
négociation de conditions commerciales favorables (stocks en consignation auprès de leurs clients, extension de délais de paiement consentie par leur fournisseur) que par la conclusion de conventions avec leurs employés visant à diminuer le coût du travail.
349 Il ressort également des rapports annuels relatifs à l’exercice 2013, versés au dossier par les parties, que les perspectives opérationnelles de WDI tant en ce qui concerne les prévisions de commandes que la viabilité de l’entreprise étaient favorables.
350 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il convient de considérer que l’ensemble de ces indices témoignent de la confiance de leurs partenaires financiers et commerciaux en ce qui concerne leur viabilité, alors que, ainsi qu’il a été rappelé au point 288 ci‑dessus, il incombe à l’entreprise qui en fait la demande de démontrer que sa situation financière est telle que le paiement de l’amende qui lui est infligée entraînerait la perte de toute valeur de ses actifs. Or, les requérantes
elles‑mêmes font valoir que, dans le cas, hypothétique, dans lequel le paiement de l’amende entraînerait leur liquidation, il conviendrait de s’attendre à ce que la valeur de leurs actifs diminue d’environ 25 %, ce qui ne saurait constituer une perte de valeur totale.
351 En outre, il convient d’écarter comme inopérant l’argument tiré par les requérantes de ce qu’elles ne disposent pas des liquidités nécessaires pour faire face au paiement de l’amende, aucune réduction d’amende ne pouvant être accordée pour ce motif.
352 Par ailleurs, ainsi qu’il a été constaté aux points 347 et 348 ci‑dessus, les requérantes sont parvenues, entre 2011 et 2013, à réaliser leur désendettement pour un montant représentant chaque année plus du montant initial de l’amende, alors que les établissements de crédit ont toujours accepté de proroger les facilités accordées. Dans ces conditions, leur allégation selon laquelle aucun établissement de crédit ne serait plus disposé à les soutenir au cas où le montant de l’amende qu’il leur
reste à payer devait être exigé ne saurait être considérée comme établie, et ce sans préjudice de la possibilité pour les requérantes de demander à la Commission de leur accorder elle‑même des facilités de paiement.
353 De plus, l’incapacité des requérantes à trouver des acheteurs pour l’ensemble des éléments d’actifs, dont elles soutiennent elles‑mêmes que certains ne sont pas suffisamment rentables, ne saurait suffire à démontrer leur incapacité à assumer le paiement de l’amende.
354 Quant à l’argument des requérantes selon lequel l’amélioration de leurs résultats résulte de la réintégration de la provision qu’elles avaient constituée pour faire face au paiement de l’amende, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que cette réintégration correspond aux montants déjà acquittés à titre provisoire, en exécution de l’ordonnance Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission, point 65 supra, (EU:T:2011:178), et que les provisions correspondant aux montants qui
resteraient à payer en cas de rejet de leur recours par le Tribunal n’ont pas été reprises.
355 En ce qui concerne les conséquences négatives entraînées par le paiement de l’amende, il convient de rappeler que la possibilité pour une entreprise d’obtenir une réduction en raison de l’absence de sa capacité contributive n’a pas pour objet de la prémunir de toutes les conséquences défavorables susceptibles de s’attacher au paiement de l’amende, y compris même sa liquidation, mais uniquement, dans une telle hypothèse, de la perte de toute valeur de ses actifs.
356 Quant à l’argument tiré par les requérantes de la violation du principe d’égalité de traitement qui résulterait de ce que le Tribunal apprécie leur capacité contributive à la date à laquelle il se prononce alors que la capacité contributive des autres entreprises a été appréciée à la date de l’adoption de la décision attaquée, celui‑ci ne peut qu’être écarté. En effet, les requérantes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des autres entreprises qui n’ont pas introduit de
recours visant à contester l’appréciation de leur capacité contributive opérée par la Commission, dès lors, notamment, que, en l’espèce, l’introduction par les requérantes du présent recours ainsi que l’admission partielle de leur demande en référé a eu pour effet de suspendre l’exigibilité du paiement de la totalité de l’amende mise à leur charge jusqu’au prononcé du présent arrêt.
357 Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à prétendre qu’une réduction d’amende doit leur être accordée en raison de leur capacité contributive, pour des motifs analogues à ceux envisagés par la Commission au point 35 des lignes directrices.
358 Il s’ensuit qu’il convient, d’une part, d’annuler l’article 2, point 8), de la décision attaquée ainsi que la lettre du 14 février 2011 et, d’autre part, de condamner les requérantes au paiement d’une amende d’un montant identique à celui de l’amende qui leur a été infligée dans la décision attaquée.
Sur les dépens
359 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront la moitié de leur
dépens et que la Commission supportera ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux des requérantes, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours à concurrence de la réduction de l’amende accordée à Westfälische Drahtindustrie GmbH et à Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG dans la décision C (2010) 6676 final de la Commission, du 30 septembre 2010.
2) L’article 2, point 8, de la décision C (2010) 4387 final de la Commission, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38344 – Acier de précontrainte), telle que modifiée par la décision C (2010) 6676 final de la Commission, du 30 septembre 2010, et par la décision C (2011) 2269 final de la Commission, du 4 avril 2011, est annulé.
3) La lettre du directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission du 14 février 2011 est annulée.
4) Westfälische Drahtindustrie, Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. sont solidairement condamnées au paiement d’une amende de 15485000 euros.
5) Westfälische Drahtindustrie et Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. sont solidairement condamnées au paiement d’une amende de 23370000 euros.
6) Westfälische Drahtindustrie est condamnée au paiement d’une amende de 7695000 euros.
7) Le recours est rejeté pour le surplus.
8) Westfälische Drahtindustrie, Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. supporteront la moitié de leur propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé. La Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de Westfälische Drahtindustrie, de Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. et de Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co., y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Frimodt Nielsen
Dehousse
Collins
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2015.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.