ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
8 octobre 2014 ( *1 )
«Aides d’État — Aluminium — Tarif préférentiel d’électricité octroyé par contrat — Décision déclarant l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur — Résiliation du contrat — Suspension judiciaire, en référé, des effets de la résiliation du contrat — Aide nouvelle»
Dans l’affaire T‑542/11,
Alouminion AE, établie à Maroussi (Grèce), représentée par Mes G. Dellis, N. Korogiannakis, E. Chrysafis, D. Diakopoulos et N. Keramidas, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. D. Triantafyllou et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents, assistés de Me V. Chatzopoulos, avocat,
partie défenderesse,
soutenue par
Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes E. Bourtzalas, D. Waelbroeck, A. Oikonomou, E. Salaka et C. Synodinos, avocats,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2012/339/UE de la Commission, du 13 juillet 2011, concernant l’aide d’État SA.26117 – C 2/2010 (ex NN 62/2009) mise en œuvre par la Grèce en faveur d’Aluminium of Greece SA (JO 2012, L 166, p. 83),
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. V. Kreuschitz, juges,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2014,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 En 1960, Alouminion tis Ellados AE (ci-après «AtE»), à laquelle la requérante, Alouminion AE, a succédé en juillet 2007 dans la production de l’aluminium en Grèce, a conclu un contrat (ci-après le «contrat») avec l’intervenante, la compagnie publique d’électricité, Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), en vertu duquel lui était appliqué un tarif préférentiel d’électricité (ci-après le «tarif préférentiel»).
2 L’article 2, paragraphe 3, du contrat stipulait, dans ses différentes versions, sa reconduction pour des périodes successives de cinq ans, à moins d’être résilié par l’une des parties, avec un préavis de deux ans par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée à l’autre partie.
3 En vertu d’un accord passé par AtE avec l’État grec et formalisé par un décret législatif de 1969, le contrat, tel que modifié, devait prendre fin le 31 mars 2006 sauf s’il était prolongé conformément à ses dispositions.
4 Dans la décision SG (92) D/867, du 23 janvier 1992, Aide litigieuse en faveur de l’entreprise A[tE], aide NN 83/91, la Commission des Communautés européennes a considéré que le tarif préférentiel n’était pas constitutif d’une aide d’État.
5 En février 2004, DEI a avisé AtE de sa résiliation du contrat (ci-après la «résiliation») et a cessé, à compter de la fin du mois de mars 2006, de lui appliquer le tarif préférentiel.
6 AtE a contesté la résiliation devant les juridictions nationales compétentes.
7 Par ordonnance no 80/2007, du 5 janvier 2007, le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce), statuant en référé, a suspendu, à titre provisoire et ex nunc, les effets de la résiliation, dans l’attente qu’il soit statué sur le fond (ci-après la «première ordonnance de référé» ou la «mesure en cause»).
8 Dans la première ordonnance de référé, le Monomeles Protodikeio Athinon a considéré que la résiliation n’était pas valide sur la base des termes du contrat et du cadre juridique national applicable.
9 DEI a contesté la première ordonnance de référé devant le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes), qui, statuant en référé, a fait droit, ex nunc, à sa demande par ordonnance no 72/2008, de mars 2008 (ci-après la «seconde ordonnance de référé»).
10 Ainsi, d’une part, entre la résiliation et la première ordonnance de référé, de même qu’à partir de la seconde ordonnance de référé, DEI n’a pas appliqué le tarif préférentiel. D’autre part, entre la première ordonnance de référé et la seconde ordonnance de référé (ci-après la «période en cause»), AtE et, par la suite, la requérante ont bénéficié du tarif préférentiel.
11 En juillet 2008, la Commission a été saisie de plaintes concernant des mesures présumées d’aides d’État en faveur de la requérante et constituées, notamment, du tarif préférentiel.
12 Par lettre du 27 janvier 2010, la Commission a informé la République hellénique de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard, notamment, du tarif préférentiel, par laquelle elle a invité les parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai d’un mois à compter de sa date de publication (ci-après la «décision d’ouverture»).
13 La décision d’ouverture a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 16 avril 2010 (JO C 96, p. 7).
14 Dans la décision d’ouverture, la Commission a exprimé des doutes quant au fait de savoir si le tarif préférentiel facturé par DEI à AtE puis à la requérante, durant la période en cause, se situait au même niveau que le tarif appliqué aux autres grands consommateurs industriels d’électricité haute tension, dès lors que le tarif préférentiel devait cesser en mars 2006, mais qu’il avait été prolongé par la première ordonnance de référé.
15 La Commission a reçu les observations de la République hellénique le 31 mars 2010.
16 La Commission a reçu les observations de la requérante les 12 mai 2010, 3 mars et 4 mai 2011 ainsi que de DEI, le 17 mai 2010. La Commission a transmis ces observations à la République hellénique en lui donnant la possibilité d’y réagir, ce qu’elle a fait les 16 juillet et 6 août 2010 et le 16 mai 2011.
17 La Commission a demandé des renseignements supplémentaires aux autorités grecques le 1er décembre 2010. La République hellénique a répondu à cette demande par lettre du 11 février 2011.
18 La Commission a reçu d’autres observations de la requérante les 31 mai et 4 juillet 2011.
19 Le 13 juillet 2011, la Commission a adopté la décision 2012/339/UE concernant l’aide d’État SA.26117 – C 2/2010 (ex NN 62/2009) mise en œuvre par la Grèce en faveur d’AtE et d’Alouminion (JO 2012, L 166, p. 83, ci-après la «décision attaquée»).
20 Par l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a décidé que la République hellénique avait illégalement octroyé à AtE et à la requérante, qui lui a succédé, une aide d’État d’un montant de 17,4 millions d’euros par l’application du tarif préférentiel durant la période en cause, à savoir de janvier 2007 à mars 2008, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
21 La Commission a également décidé que ladite aide était incompatible avec le marché intérieur et enjoint à la République hellénique de la récupérer auprès de la requérante (voir article 1er et article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée).
Procédure et conclusions des parties
22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 2011, la requérante a introduit le présent recours.
23 Dans la requête, la requérante a demandé au Tribunal, au titre des mesures d’instruction en application de l’article 65, sous d), de son règlement de procédure, de recourir à une expertise.
24 Par demande déposée au greffe du Tribunal le 30 janvier 2012, DEI a demandé à intervenir au litige au soutien des conclusions de la Commission.
25 Il a été fait droit à la demande d’intervention de DEI par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 27 mars 2012.
26 L’intervenante a déposé son mémoire en intervention le 11 juin 2012.
27 La Commission et la requérante ont soumis leurs observations sur ledit mémoire le 19 et le 23 novembre 2012, respectivement.
28 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
29 En application de l’article 64, paragraphe 2, sous a), du règlement de procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire certains documents. La Commission a déféré à cette demande dans les délais impartis.
30 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— annuler la décision attaquée ;
— condamner la Commission aux dépens.
31 La Commission, soutenue par l’intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours dans son intégralité ;
— condamner la requérante aux dépens.
En droit
32 Au soutien du recours, la requérante invoque dix moyens qui visent à contester, premièrement et à titre principal, la qualification de la mesure en cause d’aide nouvelle (premier, deuxième, troisième et quatrième moyens) ; deuxièmement et à titre subsidiaire, la qualification du tarif préférentiel d’aide d’État (cinquième, sixième, septième et huitième moyens) et, troisièmement et à titre plus subsidiaire, l’obligation de récupération de l’aide nouvelle résultant de la mesure en cause (neuvième
et dixième moyens).
33 Il convient d’examiner tout d’abord le premier moyen du recours, tiré d’erreurs quant à l’existence d’une aide nouvelle.
34 Pour ce qui est de la qualification de la mesure en cause d’aide nouvelle, la Commission a, dans la décision attaquée, considéré ce qui suit :
«8 A[tE] bénéficiait, depuis sa création en 1960, de plusieurs avantages accordés par l’État grec, notamment la fourniture d’électricité à un tarif réduit. D’après les dispositions des statuts fixant les avantages, la fourniture d’électricité à un tarif réduit devait prendre fin en mars 2006, pour autant qu[e DEI] en informe A[tE] en temps utile (deux ans à l’avance). Le 26 février 2004 (soit plus de deux ans avant l’expiration de l’avantage), [DEI] a dûment informé A[tE] et a ensuite cessé
d’appliquer le [tarif] préférentiel à la fin du mois de mars 2006.
9 De mars 2006 à janvier 2007, A[tE] a donc payé le tarif [normal].
10 A[tE] a toutefois contesté en justice la résiliation du tarif préférentiel et, en janvier 2007, un tribunal de première instance a ordonné, à titre de mesure provisoire, le rétablissement du tarif préférentiel dans l’attente d’un jugement sur le fond. [DEI] a ensuite introduit un recours contre cette décision provisoire, qui a été annulée en mars 2008 (le jugement sur le fond doit encore être rendu).
11 Les décisions de justice ont eu pour effet pratique le rétablissement du tarif préférentiel en faveur d’A[tE, puis, de la requérante] de janvier 2007 à mars 2008. Pendant [la] période [en cause], d’après les données fournies par les autorités grecques, A[tE puis la requérante ont] versé 17,4 millions d’EUR de moins que ce qu’elle[s] aurai[en]t dû payer en vertu du tarif [normal].
[…]
f) La mesure [en cause] constitue une aide illégale
34 [La requérante] soutient que la première [ordonnance de référé] n’a pas impliqué de modification substantielle d[u tarif] préférentiel [convenu par le contrat]. Par conséquent, d’après [la requérante], la [première ordonnance de référé] ne lui a pas octroyé une nouvelle aide et l[e] tarif préférentiel [...] a été mainten[u] en tant qu’aide existante.
35 La Commission ne peut admettre l’argument d[e la requérante]. Les conditions initiales du tarif préférentiel, qui constituait une aide existante, prévoyaient que l’aide prendrait fin en mars 2006 à condition qu[e DEI] l’en informe en temps utile. Dès que cette condition a été remplie, l’aide existante a cessé d’exister, ainsi que le prévoyaient les conditions de l’octroi initial du tarif préférentiel. Par conséquent, tout octroi d’un tarif réduit d’électricité répondant à la définition de
l’aide d’État (comme c’est le cas en l’espèce) constitue une nouvelle aide, même si ses conditions peuvent être similaires à celles de l’aide existante antérieure. La jurisprudence de la [Cour] énonce clairement que la prolongation d’une aide existante constitue une nouvelle aide et qu’elle doit être notifiée [arrêts du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70/72, Rec, EU:C:1973:87, point 14, et du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, Rec, EU:C:2003:444, point 109]. Tel est
également le cas, a fortiori, lorsqu’une aide existante arrivée à expiration est réactivée quelques mois plus tard.
36 Cette nouvelle aide n’ayant pas été notifiée à la Commission conformément à l’article 108 TFUE, elle est illégale.»
35 Selon la requérante, la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que, en premier lieu, la Commission y a considéré que le contrat a expiré en mars 2006, dès lors que le contrat prévoyait également sa reconduction par périodes de cinq ans, sauf résiliation dans des délais et selon des formes précis, de sorte que le contrat n’aurait pas automatiquement expiré en mars 2006.
36 Or, la résiliation aurait été contraire à la législation nationale instituant une obligation de fourniture d’électricité et constitutive d’un abus de position dominante.
37 En deuxième lieu, la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que la Commission a considéré que la première ordonnance de référé a prolongé le tarif préférentiel, dès lors que ladite ordonnance n’a aucunement préjugé le fond du litige et n’a eu qu’une autorité de la chose jugée au provisoire avec pour seul effet de suspendre, ex nunc, les effets de la résiliation.
38 En troisième lieu, la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que la Commission a considéré que la première ordonnance de référé avait été «annulée» par la seconde ordonnance de référé, dès lors que, selon le droit procédural national, la seconde ordonnance de référé a procédé à la «révocation» de la première, c’est-à-dire sans effets rétroactifs.
39 En quatrième lieu, la décision attaquée serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que la Commission a considéré que la mesure en cause avait été adoptée en vertu d’un régime juridique «similaire à» celui de l’aide existante, alors que la mesure en cause a maintenu à l’identique le tarif préférentiel, de sorte que la mesure en cause ne pouvait constituer une aide nouvelle.
40 Pour sa part, la Commission soutient qu’elle a établi, dans la décision attaquée, que la première ordonnance de référé avait constitué une aide nouvelle, qui devait, sous peine d’illégalité, lui être notifiée.
41 Ainsi, en premier lieu, le contrat aurait, conformément à ses termes, effectivement expiré en mars 2006, contrairement à ce qui ressortirait de la première ordonnance de référé, laquelle aurait procédé d’une interprétation erronée du droit national applicable.
42 En deuxième lieu, la première ordonnance de référé aurait constitué une mesure, certes provisoire et, en l’espèce, de facto limitée dans le temps, mais constitutive de droits, avec des effets ex nunc, de sorte qu’elle aurait constitué une mesure nouvelle.
43 En troisième lieu, tout en admettant que le mode de calcul du tarif préférentiel n’a pas changé, la Commission avance plusieurs arguments pour établir le caractère nouveau de l’aide, à savoir, premièrement, la base juridique et contractuelle de l’aide est devenue judiciaire ; deuxièmement, la base matérielle de l’aide ne résulte plus d’un accord entre les parties, mais est imposée unilatéralement par l’entreprise bénéficiaire à l’État, indirectement (par ricochet), par le biais d’un litige
civil ; troisièmement, les motifs d’intérêt général qui existaient en 1960 n’existent plus et seule est en jeu la rentabilité de l’entreprise bénéficiaire et, quatrièmement, la durée de l’aide est incertaine et, en tout état de cause, sans rapport avec la logique économique qui prévalait lors de la fixation de la durée de validité initiale du contrat.
44 Il en résulterait, à la lumière de la jurisprudence, que, en prolongeant le tarif préférentiel, la première ordonnance de référé a constitué une mesure d’aide nouvelle.
45 Dans son mémoire en intervention, l’intervenante fait valoir différents éléments au soutien des arguments de la Commission.
46 D’une part, elle affirme que, contrairement à ce que soutient la requérante, les termes du contrat lui permettaient de le résilier avec effet au 31 mars 2006, ainsi que cela ressortirait de la seconde ordonnance de référé, cette dernière ayant été définitive pour ce qui est du contentieux au provisoire.
47 D’autre part, la Commission aurait, à bon droit, considéré que la mesure en cause a prolongé une aide existante, de sorte que ladite mesure a octroyé une aide nouvelle.
48 De manière liminaire, d’une part, le Tribunal rappelle que, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, tout projet d’aide nouvelle doit être notifié à la Commission avant sa mise en œuvre et que toute aide nouvelle octroyée sans autorisation de la Commission est illégale.
49 D’autre part, aux termes de l’article 1er, sous c) et b), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), une aide nouvelle est constituée de «toute aide, c’est-à-dire [de] tout régime d’aides ou [de] toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante» et qu’une aide existante est constituée de «toute aide autorisée, c’est-à-dire [d]es régimes d’aides et
[d]es aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil [de l’Union européenne]».
50 Doivent ainsi être considérées comme des aides nouvelles les mesures prises après l’entrée en vigueur du traité qui tendent à instituer ou à modifier des aides, étant précisé que ces modifications peuvent porter sur des aides existantes (arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C‑138/09, Rec, EU:C:2010:291, point 46).
51 En l’espèce, la Commission a reconnu, au considérant 35 de la décision attaquée, que le tarif préférentiel convenu par le contrat, conclu en 1960, soit bien avant l’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes, avait constitué une aide existante, pour le moins jusqu’à ce que fût prise la mesure en cause, c’est-à-dire avant l’adoption de la première ordonnance de référé.
52 En revanche, la Commission a retenu, au même considérant 35 de la décision attaquée, que la mesure en cause avait prolongé l’aide existante en modifiant la durée du contrat et, partant, celle de l’avantage constitué du tarif préférentiel.
53 Certes, il résulte de la jurisprudence que la prolongation d’une aide existante crée une aide nouvelle distincte de l’aide prolongée et que la modification de la durée d’une aide existante doit être considérée comme une aide nouvelle (voir, en ce sens, arrêts du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C‑111/10, Rec, EU:C:2013:785, point 58, et Commission/Conseil, C‑121/10, Rec, EU:C:2013:784, point 59 et jurisprudence citée ; arrêt du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, Τ‑127/99,
T‑129/99 et T‑148/99, Rec, EU:T:2002:59, point 175).
54 Il a toutefois également été jugé que, pour l’application des paragraphes 1 et 3 de l’article 108 TFUE, l’apparition d’une aide nouvelle ou la modification d’une aide existante doit être appréciée par référence aux dispositions qui la prévoient, à leurs modalités et à leurs limites (voir, en ce sens, arrêt du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit, C‑44/93, Rec, EU:C:1994:311, point 28). C’est donc seulement dans l’hypothèse où la modification affecte le régime initial dans sa substance même
que ce régime se trouve transformé en un régime d’aides nouveau (voir, en ce sens, arrêt Todaro Nunziatina & C., point 50 supra, EU:C:2010:291, points 46 et 47).
55 Or, en l’espèce, il est constant que la première ordonnance de référé a suspendu les effets de la résiliation du contrat en vertu duquel était octroyé le tarif préférentiel, de sorte que, de facto, la première ordonnance de référé a maintenu, provisoirement, le tarif préférentiel durant la période en cause. Force est cependant de constater que cette intervention du juge des référés n’a eu ni pour objet ni pour effet de modifier la substance de l’aide existante. En effet, celle-ci n’a ni modifié
les dispositions contractuelles ou législatives relatives au tarif préférentiel, ni modifié les modalités ou les limites dudit tarif, mais a seulement consisté en une appréciation de la régularité de la résiliation du contrat.
56 Partant, le juge des référés, plutôt que d’octroyer une nouvelle aide, comme l’a retenu la Commission, s’est contenté de trancher au provisoire le litige dont il était saisi, portant sur le point de savoir si le contrat à l’origine du tarif préférentiel avait cessé de produire ses effets. Il s’en déduit nécessairement que la suspension de la résiliation du contrat à la suite de la première ordonnance de référé ne s’apprécie pas en un nouvel avantage distinct de l’aide existante.
57 Par conséquent, la première ordonnance de référé ne saurait être regardée comme l’institution ou la modification d’une aide, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
58 Admettre le contraire contraindrait, en fait et en droit, la juridiction nationale statuant en référé sur un litige portant sur un contrat, comme en l’espèce, à notifier à la Commission et à soumettre à son contrôle préventif non seulement les aides nouvelles ou les modifications d’aides proprement dites accordées à une entreprise bénéficiaire d’une aide existante, mais toutes les mesures qui affectent l’interprétation et l’exécution dudit contrat qui peuvent avoir des incidences sur le
fonctionnement du marché intérieur, sur le jeu de la concurrence ou simplement sur la durée effective, pendant une période déterminée, d’aides qui demeurent existantes dans leur principe et alors que la Commission n’a pris aucune décision d’autorisation ou d’incompatibilité.
59 Partant, il convient de juger que, en qualifiant la mesure en cause d’aide nouvelle, la Commission a entaché la décision attaquée d’illégalité.
60 Les arguments de la Commission et de l’intervenante dans leurs écrits devant le Tribunal ne sauraient remettre en cause cette conclusion.
61 En effet, tout d’abord, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 53 supra (EU:T:2002:59), le Tribunal a, certes, jugé que, même si les avantages en cause ne constituaient que la prolongation d’une mesure constituant une aide existante, il n’en restait pas moins que, en raison de la modification de la durée de l’aide en cause, celle-ci devait également être considérée comme une aide nouvelle.
62 De même, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juillet 2010, Italie/Commission (Τ‑53/08, Rec, EU:T:2010:267), qui concernait les prorogations d’un tarif préférentiel en faveur d’une entreprise, le Tribunal a, certes, jugé que lesdites prorogations constituaient une «nouvelle» aide.
63 Cependant, le Tribunal n’est parvenu à ces appréciations que parce que lesdites prolongations, loin d’être automatiques, avaient nécessité des interventions législatives afin de modifier l’avantage initialement fixé (arrêts Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 53 supra, EU:T:2002:59, points 11 à 20, et Italie/Commission, point 62 supra, EU:T:2010:267, point 70).
64 Or, force est de constater que, en l’espèce, aucune intervention législative n’est venue modifier le tarif préférentiel et que la première ordonnance de référé n’en a aucunement modifié le cadre juridique national initial.
65 Ensuite, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna/Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, Rec, EU:T:2011:493), le Tribunal a, certes, jugé que les aides accordées sur une base juridique substantiellement différente du régime approuvé par la décision d’approbation devaient être considérées comme des aides nouvelles.
66 Il n’en demeure pas moins que, dans cette dernière affaire, d’une part, l’aide initiale avait été approuvée par la Commission et, d’autre part, l’aide nouvelle avait été octroyée par un nouvel acte réglementaire contraire à la décision d’approbation de la Commission (arrêt Regione autonoma della Sardegna/Commission, point 65 supra, EU:T:2011:493, points 175 à 177).
67 Or, en l’espèce, il ne saurait être sérieusement contesté que la mesure en cause n’a pas eu pour objet de modifier le cadre juridique du tarif préférentiel par rapport à celui approuvé par une décision de la Commission, indépendamment de la question de l’incidence, dans la présente affaire, de la décision du 23 janvier 1992 (voir point 4 ci-dessus), s’agissant d’une aide existante non en ce qu’elle a été autorisée par la Commission, mais en ce qu’elle a été octroyée avant l’entrée en vigueur du
traité.
68 Enfin, non seulement la base juridique et contractuelle de l’aide n’a pas été judiciarisée en l’espèce par l’effet de la première ordonnance de référé, mais elle est demeurée le contrat et le droit national pertinent, tel qu’interprété, à titre provisoire, dans la première ordonnance de référé, indépendamment de la question du contexte économique prévalant lors de la conclusion du contrat et de celle de la possibilité et de la régularité de la résiliation, laquelle n’avait pas fait l’objet, à la
date d’adoption de la décision attaquée, d’une décision judiciaire sur le fond.
69 Partant, le premier moyen du recours doit être accueilli et la décision attaquée annulée, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du recours, ni sur la demande de mesure d’instruction de la requérante.
Sur les dépens
70 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.
71 En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision 2012/339/UE de la Commission, du 13 juillet 2011, concernant l’aide d’État SA.26117 – C 2/2010 (ex NN 62/2009) mise en œuvre par la Grèce en faveur d’Aluminium of Greece SA, est annulée.
2) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Alouminion AE.
3) Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) supportera ses propres dépens.
Prek
Labucka
Kreuschitz
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 octobre 2014.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le grec.