ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
1er août 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Remboursement ou remise des droits à l’importation ou à l’exportation – Règlement (CEE) no 1430/79 – Droits de douane perçus en violation du droit de l’Union – Article 2, paragraphe 2, troisième alinéa – Conditions du remboursement d’office – Constat du caractère indûment perçu de ces droits avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte de ceux-ci – Constat impliquant la connaissance, par les autorités douanières
nationales, de l’identité des opérateurs concernés ainsi que du montant à rembourser à chacun d’eux – Obligation, pour ces autorités, de prendre les mesures nécessaires et appropriées afin d’obtenir les informations nécessaires pour effectuer un tel remboursement »
Dans l’affaire C‑206/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 13 mars 2024, parvenue à la Cour le 14 mars 2024, dans la procédure
YX,
Logística i Gestió Caves Andorranes i Vidal SA
contre
Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance,
Directeur général des douanes et droits indirects,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer et B. Smulders, juges,
avocat général : M. R. Norkus,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement français, par Mmes P. Chansou et B. Travard, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Demeneix et B. Eggers, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 mars 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation (JO 1979, L 175, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986 (JO 1986, L 286, p. 1) (ci‑après le « règlement no 1430/79 »), et de l’article 236, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil,
du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1, ci‑après le « code des douanes communautaire »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YX et Logística i Gestió Caves Andorranes i Vidal SA (ci‑après « Caves Andorranes »), une société de droit andorran, au ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance (France) ainsi qu’au directeur général des douanes et droits indirects (France) au sujet du remboursement d’office de droits de douane indûment perçus au titre d’importations de marchandises en provenance de pays tiers et à destination d’Andorre.
Le cadre juridique
Le règlement no 1430/79
3 L’article 1er du règlement no 1430/79 prévoyait :
« 1. Le présent règlement détermine les conditions auxquelles les autorités compétentes accordent le remboursement ou la remise des droits à l’importation ou à l’exportation.
2. Au sens du présent règlement, on entend par :
[...]
e) “prise en compte” : l’acte administratif par lequel est dûment établi le montant des droits à l’importation ou des droits à l’exportation à percevoir par les autorités compétentes ;
[...] »
4 L’article 2 de ce règlement disposait :
« 1. Il est procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation dans la mesure où il est établi, à la satisfaction des autorités compétentes, que le montant pris en compte de ces droits :
– est relatif à des marchandises pour lesquelles aucune dette douanière n’a pris naissance ou pour lesquelles la dette douanière s’est éteinte autrement que par le paiement de son montant ou par prescription,
– est supérieur, pour un motif quelconque, à celui qui était légalement à percevoir.
2. Le remboursement ou la remise des droits à l’importation pour l’un des motifs visés au paragraphe 1 est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte desdits droits par l’autorité chargée du recouvrement.
Ce délai n’est susceptible d’aucune prorogation, sauf si l’intéressé a apporté la preuve qu’il a été empêché de déposer sa demande dans ledit délai par suite d’un cas fortuit ou de force majeure.
Les autorités compétentes procèdent d’office au remboursement ou à la remise lorsqu’elles constatent d’elles-mêmes, pendant ce délai, l’existence de l’une ou l’autre des situations décrites au paragraphe 1. »
5 L’article 15, premier alinéa, dudit règlement était libellé comme suit :
« Le remboursement ou la remise des droits à l’importation ou à l’exportation n’est accordé qu’à la personne même qui a acquitté ces droits ou est tenue de les acquitter, ou aux personnes qui lui ont succédé dans ses droits et obligations. »
6 Le règlement no 1430/79 a été abrogé par l’article 251 du code des douanes communautaire.
Le code des douanes communautaire
7 L’article 236 du code des douanes communautaire disposait :
« 1. Il est procédé au remboursement des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans la mesure où il est établi qu’au moment de son paiement leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220 paragraphe 2.
Il est procédé à la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation dans la mesure où il est établi qu’au moment de leur prise en compte leur montant n’était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l’article 220 paragraphe 2.
Aucun remboursement ni remise n’est accordé, lorsque les faits ayant conduit au paiement ou à la prise en compte d’un montant qui n’était pas légalement dû résultent d’une manœuvre de l’intéressé.
2. Le remboursement ou la remise des droits à l’importation ou des droits à l’exportation est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la communication desdits droits au débiteur.
Ce délai est prorogé si l’intéressé apporte la preuve qu’il a été empêché de déposer sa demande dans ledit délai par suite d’un cas fortuit ou de force majeure.
Les autorités douanières procèdent d’office au remboursement ou à la remise lorsqu’elles constatent d’elles-mêmes, pendant ce délai, l’existence de l’une ou l’autre des situations décrites au paragraphe 1 premier et deuxième alinéa. »
8 Conformément à son article 253, deuxième alinéa, ce code était applicable à partir du 1er janvier 1994.
9 Ledit code a été abrogé par l’article 186 du règlement (CE) no 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO 2008, L 145, p. 1), ce dernier code ayant lui-même été abrogé par l’article 286 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, et rectificatif JO 2016, L 267, p. 2).
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Entre l’année 1988 et l’année 1991, des sociétés de droit andorran ont importé en Andorre, par l’intermédiaire de la société Ysal, commissionnaire en douane établi en France, des marchandises provenant, notamment, de pays tiers. Ces importations ont donné lieu au paiement de droits de douane en France. En effet, à cette époque, les autorités douanières françaises exigeaient que les marchandises provenant de pays tiers et à destination d’Andorre soient mises en libre pratique lorsqu’elles
traversaient le territoire français.
11 Le 23 janvier 1991, la Commission européenne a publié l’avis motivé COM(90) 2042 final, par lequel, d’une part, elle a constaté que la République française, en prévoyant une telle exigence de mise en libre pratique, avait manqué à ses obligations en vertu de certaines dispositions du droit de l’Union et, d’autre part, elle a invité cet État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de 30 jours.
12 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, le 27 mars 1991, les autorités françaises ont indiqué à la Commission qu’elles avaient décidé de répondre favorablement à la demande de celle-ci en supprimant ladite exigence de mise en libre pratique, ce qu’elles ont fait au moyen d’un avis aux importateurs et aux exportateurs du ministère de l’Économie, des Finances et du Budget (France), publié au Journal officiel de la République française le 6 juin 1991.
13 Le 20 mai 2008, Ysal a assigné l’administration des douanes française devant une juridiction de première instance française afin d’obtenir le remboursement des droits de douane que cette administration aurait indûment perçus au titre d’importations de marchandises en provenance de pays tiers et à destination d’Andorre entre l’année 1988 et l’année 1991 (ci-après les « droits de douane en cause »).
14 Par un jugement du 15 juin 2010, cette juridiction de première instance a déclaré l’action d’Ysal irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir. Ce jugement a été confirmé en appel le 13 décembre 2011.
15 Par un arrêt du 21 janvier 2014, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi formé par Ysal contre cette décision d’appel. Il découle du dossier dont dispose la Cour que, dans cet arrêt, la Cour de cassation a notamment relevé que les importateurs andorrans avaient remboursé à Ysal les droits de douane en cause, que cette dernière avait réglés pour leur compte, et que, par conséquent, seuls ces importateurs avaient qualité et intérêt à agir.
16 Le 16 juillet 2015, ces importateurs, aux droits desquels viennent Caves Andorranes et YX, ont assigné l’administration des douanes française devant le tribunal de grande instance de Toulouse (France) afin d’obtenir le paiement d’une somme correspondant aux droits de douane en cause, indûment perçus par cette administration. Par un jugement du 4 juillet 2017, cette juridiction a rejeté cette demande.
17 Par un arrêt du 10 février 2020, la cour d’appel de Toulouse (France) a confirmé ce jugement. À cet égard, elle a retenu que l’administration des douanes française devait disposer, pour procéder au remboursement d’office des droits de douane en cause sur le fondement de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1430/79 et de l’article 236, paragraphe 2, troisième alinéa, du code des douanes communautaire, des éléments nécessaires à la détermination aussi bien du montant des droits à rembourser
que de l’identité de chaque redevable, et ce sans avoir à effectuer des recherches disproportionnées.
18 Caves Andorranes et YX ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation, qui est la juridiction de renvoi, à l’appui duquel ils avancent, en substance, que la cour d’appel de Toulouse, par son arrêt du 10 février 2020, a violé l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1430/79. L’obligation de remboursement d’office prévue à cette disposition serait uniquement subordonnée au respect d’un délai de trois ans à compter de la date de communication des droits de douane au débiteur. En
revanche, ladite disposition ne prévoirait pas que les autorités douanières devraient disposer des éléments nécessaires à la détermination aussi bien du montant des droits à rembourser que de l’identité de chaque redevable. La cour d’appel de Toulouse aurait ainsi ajouté à la même disposition une condition qu’elle ne contient pas.
19 La juridiction de renvoi indique que l’administration des douanes française soutient qu’elle ne peut rembourser d’office les droits de douane en cause que si elle dispose de tous les éléments lui permettant de constater que ceux-ci ont été indûment perçus et qu’ils doivent être restitués. Il ne pourrait lui être demandé d’effectuer des recherches approfondies pour déterminer le montant des droits devant être remboursés à chacun des opérateurs concernés.
20 Cette juridiction s’interroge ainsi sur le point de savoir si l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1430/79 et l’article 236, paragraphe 2, du code des douanes communautaire doivent être interprétés en ce sens que l’autorité nationale compétente n’est tenue de procéder d’office au remboursement des droits de douane indûment perçus que si, pour ce faire, elle dispose de tous les éléments nécessaires, et, à défaut, que si elle ne doit pas se livrer à des recherches disproportionnées.
21 Selon ladite juridiction, se pose également la question de savoir si le remboursement d’office par une autorité douanière nationale peut intervenir au-delà d’un délai de trois ans à compter de la date de la communication des droits au débiteur. Au regard de l’arrêt du 14 juin 2012, CIVAD (C‑533/10, EU:C:2012:347), au point 21 duquel la Cour a jugé que l’article 236, paragraphe 2, premier alinéa, du code des douanes communautaire enferme dans une limite de trois ans le remboursement des droits de
douane non dus légalement, la juridiction de renvoi se demande si l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1430/79 doit être interprété en ce sens que les autorités compétentes ne pourraient plus, passé ce délai, procéder à un remboursement d’office, et ce même s’il est établi qu’elles ont constaté, au cours dudit délai, que ces droits n’étaient pas légalement dus.
22 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le paragraphe 2 de l’article 2 du [règlement no 1430/79,] repris par l’article 236, paragraphe 2, [troisième alinéa], du [code des douanes communautaire, doit-il être interprété] en ce sens que le remboursement d’office des droits de douane perçus par une autorité douanière est enfermé dans un délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte desdits droits par l’autorité chargée du recouvrement ou que l’administration des douanes doit être en mesure de constater, dans les trois
ans suivant le fait générateur des droits, que les droits n’étaient pas dus ?
2) Le paragraphe 2 de l’article 2 du [règlement no 1430/79,] repris par l’article 236, paragraphe 2, [troisième alinéa], du [code des douanes communautaire, doit-il être interprété] en ce sens que le remboursement d’office des droits de douane perçus par une autorité douanière est subordonné à la connaissance, par cette dernière, de l’identité des opérateurs concernés ainsi que des montants à rembourser à chacun d’eux sans qu’elle ait à réaliser des recherches approfondies ou
disproportionnées ? »
Sur les questions préjudicielles
23 À titre liminaire, il convient de relever que, eu égard à la date à laquelle il est allégué que le droit au remboursement d’office des droits de douane en cause serait né, ce sont les dispositions du règlement no 1430/79 qui trouvent exclusivement à s’appliquer au litige au principal.
24 Dès lors, il y a lieu de considérer que, par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1430/79 doit être interprété en ce sens que l’existence d’une obligation de procéder au remboursement d’office des droits de douane par une autorité douanière nationale est subordonnée, d’une part, au fait que cette dernière ait constaté d’elle-même, avant l’expiration d’un délai de
trois ans à compter de la prise en compte de ces droits, que ceux-ci ont été indûment perçus et, d’autre part, à la connaissance, par cette autorité, de l’identité des opérateurs concernés ainsi que du montant à rembourser à chacun d’eux. Dans ce cadre, cette juridiction s’interroge sur les mesures que ladite autorité doit, le cas échéant, prendre afin d’obtenir de telles informations.
25 Il découle de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, notamment, qu’il est procédé au remboursement des droits de douane dans la mesure où il est établi, à la satisfaction des autorités compétentes, que le montant pris en compte de ces droits est relatif à des marchandises pour lesquelles aucune dette douanière n’a pris naissance ou est supérieur au montant qui était légalement dû.
26 L’article 2, paragraphe 2, dudit règlement prévoit deux modalités distinctes pour procéder à un tel remboursement, à savoir soit sur demande, soit d’office (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, Aqua Pro, C‑407/16, EU:C:2017:817, point 41).
27 Ainsi, en premier lieu, conformément à l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1430/79, le remboursement est accordé sur demande déposée auprès du bureau de douane concerné avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte desdits droits. En second lieu, conformément à l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, de ce règlement, les autorités compétentes procèdent d’office au remboursement lorsqu’elles constatent d’elles-mêmes, pendant ce
délai, l’existence de l’une ou l’autre des situations décrites à l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement.
28 Eu égard aux situations décrites à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1430/79, il en découle que ces autorités procèdent d’office au remboursement de droits de douane lorsqu’elles constatent d’elles‑mêmes, pendant ledit délai, que ceux-ci ont été indûment perçus, à savoir lorsque, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, il est établi, à la satisfaction de ces autorités, notamment, que le montant pris en compte de ces droits est relatif à des marchandises pour lesquelles
aucune dette douanière n’a pris naissance ou est supérieur au montant qui était légalement dû.
29 À cet égard, l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, dudit règlement, en ce qu’il prévoit dans des termes catégoriques que les autorités douanières nationales « procèdent d’office au remboursement », institue une obligation de remboursement dans le chef de ces autorités sans que l’importateur concerné en ait à faire la demande.
30 Or, étant donné que, dans cette disposition, les termes « pendant ce délai » se rapportent au verbe « constater », ces termes doivent se comprendre en ce sens que, pour que cette obligation de remboursement naisse, un tel constat doit intervenir avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte des droits de douane. Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 1430/79, cette date correspond à la date d’adoption de l’acte administratif
par lequel le montant de ces droits a été initialement établi par les autorités compétentes.
31 Dès lors, l’existence d’une obligation de remboursement d’office des droits de douane par une autorité douanière nationale doit être considérée comme étant subordonnée au fait que cette dernière ait constaté d’elle‑même, avant l’expiration d’un tel délai de trois ans à compter de la date de la prise en compte des droits de douane concernés, que ces droits ont été indûment perçus.
32 Ce délai délimite ainsi la période au cours de laquelle les autorités douanières nationales qui ont d’elles-mêmes constaté que des droits de douane ont été indûment perçus sont tenues de s’engager à procéder d’office au remboursement de ces droits. En revanche, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 46 à 50 de ses conclusions, le remboursement en tant que tel ne doit pas nécessairement intervenir dans ledit délai, si bien qu’il peut être effectué au-delà de
l’expiration de celui-ci.
33 Par ailleurs, dans la mesure où les droits de douane sont imposés pour des montants précis, établis par l’autorité douanière nationale sur la base de déclarations en douane soumises pour le compte d’une personne déterminée, le constat, par cette autorité, que de tels droits ont été indûment perçus implique nécessairement celui selon lequel une personne connue de ladite autorité a indûment acquitté un montant déterminé, également connu de la même autorité. Par conséquent, lorsque l’autorité
douanière nationale constate que des droits de douane ont été indûment perçus et doivent être remboursés, elle a, en principe, connaissance tant de l’identité de la personne à laquelle elle doit effectuer le remboursement que du montant exact à rembourser.
34 En effet, cette autorité ne saurait invoquer le fait qu’elle ne dispose plus des déclarations en douane soumises par les intéressés, ou des décisions individuelles arrêtées à leur égard, pour justifier une éventuelle omission de rembourser à ces intéressés les droits de douane dont elle a constaté, dans le délai de trois ans prévu à l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1430/79, qu’ils ont été indûment perçus, car, aussi longtemps que ce délai n’a pas expiré, les autorités
douanières sont tenues de conserver les documents et informations susceptibles d’être pertinentes pour procéder à un éventuel remboursement des droits de douane ayant été perçus.
35 Ces considérations valent également dans l’hypothèse où le caractère indu de la perception de droits de douane trouve son origine dans une erreur de l’autorité douanière nationale quant à la possibilité d’exiger des droits de douane sur les importations en provenance ou à destination d’un pays tiers déterminé. Certes, une telle erreur est susceptible de concerner un nombre important d’opérateurs et de décisions individuelles et, par conséquent, de nécessiter, de la part de l’autorité douanière de
l’État membre concerné, des recherches quantitativement importantes pour identifier les personnes ayant droit à un remboursement. Toutefois, il est de jurisprudence constante que les autorités d’un État membre ne sauraient exciper de difficultés pratiques, administratives ou financières pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union [arrêt du 27 février 2020, Commission/Belgique (Comptables), C‑384/18, EU:C:2020:124, point 58 et jurisprudence citée].
36 Il est vrai que, dans certains cas, pour effectuer le remboursement de droits de douane dont elle a constaté qu’ils ont été indûment perçus, l’autorité douanière nationale peut avoir besoin de certaines informations qui ne se trouvent pas ni ne pouvaient se trouver en sa possession. Il peut en aller ainsi, par exemple, de l’identité de la personne ou des personnes qui ont succédé à la personne qui a acquitté les droits devant être remboursés, dès lors que, conformément à l’article 15, premier
alinéa, du règlement no 1430/79, le remboursement de droits de douane n’est accordé qu’à la personne même qui a acquitté ces droits ou aux personnes qui lui ont succédé dans ses droits et obligations. Il peut également en aller ainsi des coordonnées d’un compte bancaire sur lequel effectuer le remboursement.
37 Toutefois, cette circonstance est, le cas échéant, pertinente non pas pour établir l’existence d’une obligation de remboursement, étant donné qu’une telle obligation naît dès que l’autorité douanière nationale constate, dans les conditions visées au point 31 du présent arrêt, le caractère indu du versement de droits de douane, mais afin de déterminer si, en tardant à procéder, voire en ne procédant pas, à un tel remboursement, cette autorité a méconnu son obligation d’agir d’office.
38 Concrètement, lorsque ladite autorité douanière ne dispose pas, sans faute de sa part, des informations nécessaires pour procéder au remboursement de droits de douane indûment perçus, telles que celles mentionnées au point 36 du présent arrêt, il lui appartient, pour se conformer à son obligation de remboursement découlant de l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1430/79, de prendre les mesures nécessaires et appropriées pour obtenir ces informations. Certes, de telles
mesures n’incluent pas des recherches disproportionnées, à savoir des recherches qui nécessiteraient l’emploi de ressources humaines et matérielles sans aucun rapport avec ce qui peut raisonnablement être attendu d’une administration diligente. Toutefois, une attitude passive de l’autorité douanière, sous prétexte qu’elle ne dispose pas desdites informations, n’est compatible ni avec son obligation de remboursement susmentionnée ni avec les exigences découlant du droit à une bonne administration,
qui constitue un principe général du droit de l’Union ayant vocation à s’appliquer aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság e.a., C‑159/21, EU:C:2022:708, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
39 Dans l’affaire au principal, il appartient donc à la juridiction de renvoi de déterminer s’il peut être considéré que les autorités douanières françaises avaient constaté d’elles-mêmes, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la prise en compte des droits de douane en cause, que ceux-ci ont été indûment perçus. Toutefois, afin de guider cette juridiction dans cette appréciation, la Cour peut lui fournir tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient
lui être utiles (arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 46 et jurisprudence citée).
40 À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, le 23 janvier 1991, la Commission a adressé à la République française un avis motivé par lequel elle soutenait que la pratique consistant à exiger le paiement de droits de douane pour les marchandises provenant de pays tiers et à destination d’Andorre était contraire au droit de l’Union. Par lettre du 27 mars 1991, les autorités françaises ont répondu à la Commission qu’elles avaient décidé de répondre favorablement à la demande de la
Commission et, en tenant compte des dispositions d’un accord passé entre la Communauté économique européenne et ce pays tiers qui devait entrer en application le 1er juillet 1991, de modifier de façon anticipée le régime d’exportation de produits agricoles vers Andorre. Par un avis ministériel du 6 juin 1991, les autorités françaises ont mis fin à ladite pratique, à l’égard de l’ensemble des marchandises provenant de pays tiers et à destination d’Andorre.
41 Si la juridiction de renvoi devait considérer qu’il peut être déduit de ces événements que les autorités douanières françaises ont, implicitement mais nécessairement, constaté que les droits de douane perçus à l’occasion de l’importation de marchandises depuis des pays tiers à destination d’Andorre l’avaient été illégalement, étant donné qu’un avis motivé émis par la Commission n’entraîne pas, en lui-même, d’effet juridique contraignant (voir, notamment, arrêt du 29 septembre 1998,
Commission/Allemagne, C‑191/95, EU:C:1998:441, point 44), un tel constat serait à considérer comme ayant été réalisé d’« elles-mêmes » par ces autorités douanières, si bien que ces dernières auraient eu l’obligation, afin de se conformer à l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1430/79, de procéder d’office au remboursement des droits de douane en cause, dès lors que ceux-ci ont été perçus pendant les trois années précédant ce constat.
42 S’il s’avère que, pour procéder au remboursement des droits de douane en cause, les autorités douanières françaises avaient besoin d’informations supplémentaires, telles que celles envisagées au point 36 du présent arrêt, qui ne se trouvaient pas ni ne pouvaient se trouver en leur possession, la juridiction de renvoi devra, afin de déterminer si ces autorités se sont à tort abstenues de se conformer à leur obligation de procéder d’office à ce remboursement découlant de cet article 2,
paragraphe 2, troisième alinéa, examiner si, après avoir constaté que les droits de douane en cause avaient été perçus illégalement, lesdites autorités ont alors pris des mesures qui, sans être disproportionnées, étaient nécessaires et appropriées pour obtenir ces informations. À cet égard, sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, il y a lieu néanmoins de constater qu’il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que de telles mesures ont été prises.
43 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1430/79 doit être interprété en ce sens que l’existence d’une obligation de procéder au remboursement d’office des droits de douane par une autorité douanière nationale est subordonnée au fait que cette dernière ait constaté d’elle-même, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la prise en compte de ces droits, que ceux-ci ont
été indûment perçus, ce constat impliquant que cette autorité a connaissance de l’identité des personnes ayant acquitté lesdits droits ainsi que du montant à rembourser à chacune d’elles. Lorsque ladite autorité ne dispose pas ni ne pouvait disposer de l’ensemble des informations nécessaires pour effectuer un tel remboursement à la personne qui a versé les droits de douane indûment perçus ou aux personnes qui lui ont succédé dans ses droits et obligations, il appartient à la même autorité, pour
se conformer à son obligation de remboursement, de prendre les mesures qui, sans être disproportionnées, sont nécessaires et appropriées afin d’obtenir ces informations et procéder au remboursement.
Sur les dépens
44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement (CEE) no 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation, tel que modifié par le règlement (CEE) no 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986,
doit être interprété en ce sens que :
l’existence d’une obligation de procéder au remboursement d’office des droits de douane par une autorité douanière nationale est subordonnée au fait que cette dernière ait constaté d’elle-même, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la prise en compte de ces droits, que ceux-ci ont été indûment perçus, ce constat impliquant que cette autorité a connaissance de l’identité des personnes ayant acquitté lesdits droits ainsi que du montant à rembourser à chacune d’elles. Lorsque ladite
autorité ne dispose pas ni ne pouvait disposer de l’ensemble des informations nécessaires pour effectuer un tel remboursement à la personne qui a versé les droits de douane indûment perçus ou aux personnes qui lui ont succédé dans ses droits et obligations, il appartient à la même autorité, pour se conformer à son obligation de remboursement, de prendre les mesures qui, sans être disproportionnées, sont nécessaires et appropriées afin d’obtenir ces informations et procéder au remboursement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.