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15/07/2025 | CJUE | N°C-777/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Banque centrale européenne et Commission européenne contre Francesca Corneli., 15/07/2025, C-777/22


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 juillet 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Directive 2014/59/UE – Redressement et résolution des établissements de crédit – Articles 27 à 29 – Mesures d’intervention précoce – Règlement (UE) no 1024/2013 – Mécanisme de surveillance unique – Article 4, paragraphe 3 – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de placer une banque sous administration temporaire – Recours en annulation formé par un actionnaire – Article 263, quatrième alinéa, TFUE 

Personne physique directement et
individuellement concernée par un acte d’une institution de l’Union européenne – Ach...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 juillet 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Directive 2014/59/UE – Redressement et résolution des établissements de crédit – Articles 27 à 29 – Mesures d’intervention précoce – Règlement (UE) no 1024/2013 – Mécanisme de surveillance unique – Article 4, paragraphe 3 – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de placer une banque sous administration temporaire – Recours en annulation formé par un actionnaire – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Personne physique directement et
individuellement concernée par un acte d’une institution de l’Union européenne – Achèvement du placement sous administration temporaire – Persistance de l’intérêt à agir – Application du droit de l’Union et du droit national par la BCE – Obligation d’interprétation conforme du droit national »

Dans les affaires jointes C‑777/22 P et C‑789/22 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 21 et 22 décembre 2022,

Banque centrale européenne (BCE), représentée initialement par Mmes C. Hernández Saseta et A. Pizzolla, en qualité d’agents, assistées de Me M. Lamandini, avvocato, puis par Mme C. Hernández Saseta, M. M. Ioannidis, Mmes A. Pizzolla et C. Zilioli, en qualité d’agents, assistés de Me M. Lamandini, avvocato,

partie requérante dans l’affaire C‑777/22 P,

Commission européenne, représentée initialement par MM. V. Di Bucci, A. Nijenhuis et D. Triantafyllou, en qualité d’agents, puis par MM. P. A Messina, A. Nijenhuis et D. Triantafyllou, en qualité d’agents, et enfin par MM. P. A. Messina et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire C‑789/22 P,

soutenues par :

République italienne, représentée initialement par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato, puis par M. S. Fiorentino, en qualité d’agent, assisté de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Francesca Corneli, demeurant à Velletri (Italie), représentée initialement par Mes L. Boggio et F. Ferraro, avvocati, puis par Mes L. Boggio, F. Ferraro et C. E. Tuo, avvocati,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice‑président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen et D. Gratsias (rapporteur), présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer et Z. Csehi, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 juin 2024,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 21 novembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs pourvois respectifs, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 octobre 2022, Corneli/BCE (T‑502/19, ci‑après l’  arrêt attaqué , EU:T:2022:627), par lequel celui-ci a fait partiellement droit au recours introduit par Mme Francesca Corneli, en annulant la décision ECB-SSM-2019-ITCAR-11 de la BCE, du 1er janvier 2019, plaçant Banca Carige SpA sous administration temporaire (ci‑après la
« décision de placement sous administration temporaire »), ainsi que la décision ECB-SSM-2019-ITCAR-13 de la BCE, du 29 mars 2019, prorogeant jusqu’au 30 septembre 2019 la durée du placement sous administration temporaire (ci‑après la « décision de prorogation » et, ensemble avec la décision de placement sous administration temporaire, les « décisions litigieuses »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (UE) no 1024/2013

2 Le « mécanisme de surveillance unique » (MSU) est, aux fins du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), défini à l’article 2, point 9, de celui-ci comme étant « le système de surveillance financière composé de la BCE et des autorités compétentes nationales des États membres participants, tel
qu’il est décrit à l’article 6 du présent règlement ».

3 L’article 4 de ce règlement dispose :

« 1.   Dans le cadre de l’article 6, la BCE est, conformément au paragraphe 3 du présent article, seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les missions suivantes à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants :

[...]

e) veiller au respect des actes visés à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, qui imposent aux établissements de crédit des exigences en vertu desquelles ceux-ci devront disposer de dispositifs solides en matière de gouvernance, y compris les exigences d’honorabilité, de connaissances, de compétences et d’expérience nécessaires à l’exercice des fonctions des personnes chargées de la gestion des établissements de crédit, de processus de gestion des risques, de mécanismes de contrôle interne,
de politiques et de pratiques de rémunération ainsi que de procédures efficaces d’évaluation de l’adéquation du capital interne, y compris des modèles fondés sur les notations internes ;

[...]

i) exécuter des missions de surveillance concernant les plans de redressement et l’intervention précoce lorsqu’un établissement de crédit ou un groupe pour lequel la BCE est l’autorité à laquelle incombe la surveillance consolidée ne répond pas ou est susceptible de ne plus répondre aux exigences prudentielles applicables ainsi que, dans les seuls cas explicitement prévus où les dispositions pertinentes du droit de l’Union permettent aux autorités compétentes d’agir, concernant les changements
structurels requis des établissements de crédit pour qu’ils préviennent les difficultés financières ou les défaillances, à l’exclusion de tout pouvoir de résolution.

2.   Pour les établissements de crédit établis dans un État membre non participant qui établissent une succursale ou fournissent des services transfrontaliers dans un État membre participant, la BCE s’acquitte, dans la limite de la liste figurant au paragraphe 1, des missions pour lesquelles les autorités compétentes nationales sont compétentes en vertu des dispositions pertinentes du droit de l’Union.

3.   Aux fins de l’accomplissement des missions qui lui sont confiées par le présent règlement, et en vue d’assurer des normes de surveillance de niveau élevé, la BCE applique toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, lorsque celui-ci comporte des directives, le droit national transposant ces directives. Lorsque le droit pertinent de l’Union comporte des règlements et que ces règlements laissent expressément aux États membres un certain nombre d’options, la BCE applique également
la législation nationale faisant usage de ces options.

[...] »

4 L’article 9, paragraphes 1 et 2, dudit règlement prévoit :

« 1.   Aux seules fins de l’accomplissement des missions que lui confient l’article 4, paragraphes 1 et 2, et l’article 5, paragraphe 2, la BCE est considérée, selon le cas, comme l’autorité compétente ou l’autorité désignée des États membres participants, conformément aux dispositions pertinentes du droit de l’Union.

À ces seules et mêmes fins, la BCE est investie de l’ensemble des pouvoirs et soumise à l’ensemble des obligations prévus dans le présent règlement. Elle est également investie de l’ensemble des pouvoirs et soumise à l’ensemble des obligations qui incombent aux autorités compétentes et désignées en vertu des dispositions pertinentes du droit de l’Union, sauf disposition contraire du présent règlement. La BCE est notamment investie des pouvoirs énumérés dans les sections 1 et 2 du présent chapitre.

[...]

2.   La BCE exerce les pouvoirs visés au paragraphe 1 du présent article conformément aux actes visés à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa. Dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs respectifs de surveillance et d’enquête, la BCE et les autorités compétentes nationales coopèrent étroitement. »

La directive 2014/59/UE

5 L’article 2, paragraphe 1, point 21, de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil
(UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), définit une « autorité compétente », aux fins de cette directive, comme visant notamment la BCE « pour les missions spécifiques qui lui sont confiées par le règlement [no 1024/2013] ».

6 L’article 27 de la directive 2014/59, intitulé « Mesures d’intervention précoce », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si un établissement [de crédit ou une entreprise d’investissement] enfreint ou est susceptible, dans un proche avenir, d’enfreindre les exigences du [règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1)], de la [directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013,
concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338),] ou du titre II de la [directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173,
p. 349),] ou d’un des articles 3 à 7, 14 à 17 et 24, 25 et 26 du [règlement (UE) no 600/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 84)], en raison, entre autres, d’une dégradation rapide de sa situation financière, y compris une détérioration de ses liquidités, une augmentation du niveau de levier, des prêts non performants ou une concentration des expositions, conformément
à une évaluation fondée sur un ensemble de facteurs de déclenchement, au rang desquels peuvent figurer les exigences de fonds propres d’un établissement plus 1,5 point de pourcentage, les États membres veillent à ce que les autorités compétentes puissent prendre [...] au moins les mesures suivantes :

[...] »

7 L’article 28 de cette directive, intitulé « Destitution de la direction générale et de l’organe de direction », dispose :

« Si la situation financière d’un établissement se détériore de façon significative ou s’il se produit de sérieuses infractions à la loi, à la réglementation, aux statuts de l’établissement ou de graves irrégularités administratives, et si les autres mesures prises conformément à l’article 27 ne sont pas suffisantes pour mettre un terme à cette détérioration, les États membres veillent à ce que les autorités compétentes puissent exiger la destitution, en bloc ou à titre individuel, de la direction
générale ou de l’organe de direction de l’établissement. La nomination d’une nouvelle direction générale ou d’un nouvel organe de direction est effectuée conformément au droit national et au droit de l’Union, et est sujette à l’approbation ou au consentement de l’autorité compétente. »

8 L’article 29 de ladite directive, intitulé « Administrateur temporaire », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si le remplacement de la direction générale ou de l’organe de direction visés à l’article 28 est jugé insuffisant par l’autorité compétente pour remédier à la situation, les États membres veillent à ce que les autorités compétentes puissent nommer un ou plusieurs administrateurs temporaires pour l’établissement. Les autorités compétentes peuvent, en fonction des circonstances, nommer tout administrateur temporaire soit pour remplacer temporairement l’organe de direction de l’établissement soit
pour travailler temporairement avec celui-ci, l’autorité compétente précisera sa décision au moment de la nomination. Si l’autorité compétente nomme un administrateur temporaire pour travailler avec l’organe de direction de l’établissement, elle précise en outre, au moment de cette nomination, le rôle, les fonctions et les compétences de l’administrateur temporaire, ainsi que toute obligation faite à la direction de l’établissement de consulter celui‑ci ou d’obtenir son accord avant de prendre
certaines décisions ou mesures. L’autorité compétente est tenue de rendre publique la nomination de tout administrateur temporaire, sauf lorsque celui-ci n’a pas le pouvoir de représenter l’établissement. Les États membres veillent en outre à ce que tout administrateur temporaire possède les qualifications, les capacités et les connaissances requises pour exercer ses fonctions et ne connaisse aucun conflit d’intérêts. »

Le droit italien

9 L’article 69 octiesdecies du decreto legislativo n. 385 – Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (décret législatif no 385 portant texte unique des lois en matière bancaire et de crédit), du 1er septembre 1993 (GURI no 230, du 30 septembre 1993, supplément ordinaire no 92), dans sa version applicable au présent litige (ci-après le « texte unique bancaire »), qui transpose l’article 28 de la directive 2014/59 dans l’ordre juridique italien, prévoit, à son paragraphe 1 :

« La Banque d’Italie peut prendre les mesures suivantes à l’égard d’une banque ou de la société mère d’un groupe bancaire :

[...]

(b) le limogeage [des membres des organes d’administration et de contrôle ainsi que de la direction générale], en cas de violation grave de dispositions législatives, réglementaires ou statutaires ou de graves irrégularités dans le cadre de l’administration, ou encore lorsque la détérioration de la situation de la banque ou du groupe bancaire est particulièrement significative, à condition que les mesures visées au point a) ou prévues aux articles 53 bis et 67 ter ne suffisent pas à remédier à la
situation. »

10 L’article 70 du texte unique bancaire, intitulé « Administrateur temporaire », transpose l’article 29 de la directive 2014/59 dans l’ordre juridique italien et dispose, à son paragraphe 1 :

« La Banque d’Italie peut ordonner la dissolution des organes exerçant des fonctions d’administration et de contrôle des banques en cas de violation ou irrégularité visées à l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), ou si de graves pertes patrimoniales sont attendues, ou lorsque la dissolution est demandée par requête motivée des organes d’administration ou de l’assemblée extraordinaire. »

Les antécédents du litige

11 Aux points 2 à 19 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé les antécédents du litige et les faits postérieurs à l’introduction du recours devant lui. Ceux‑ci peuvent, pour les besoins des présentes affaires jointes, être résumés de la manière suivante.

12 Banca Carige était un établissement de crédit établi en Italie, coté en Bourse et soumis à la surveillance prudentielle directe de la BCE depuis l’année 2014. Elle avait cumulé des pertes de plus de 1,6 milliard d’euros entre le mois de décembre 2014 et le 1er janvier 2019. Mme Corneli était actionnaire minoritaire de Banca Carige. Lors de l’introduction du recours devant le Tribunal, elle détenait 200000 actions ordinaires, correspondant à 0,000361 % du capital social de Banca Carige.

13 Étant donné que Banca Carige ne respectait pas, au 1er janvier 2018, les exigences minimales relatives au ratio de fonds propres, elle a entrepris, durant l’année 2018, plusieurs tentatives visant à remédier à cette situation. Toutefois, ces tentatives n’ont pas été couronnées de succès. À la suite de l’opposition à une augmentation de capital par échange d’obligations subordonnées contre des actions nouvellement émises, manifestée par des actionnaires détenant 70 % du capital de Banca Carige
lors d’une assemblée générale extraordinaire de celle‑ci tenue le 22 décembre 2018, sept membres du conseil d’administration de Banca Carige, dont le président, le vice‑président et le directeur général, ont démissionné, avec effet immédiat, les 23 décembre 2018 et 2 janvier 2019. Ces démissions ont entraîné la destitution du conseil d’administration, en application des statuts de Banca Carige et de la disposition applicable du droit italien. Conformément à ces statuts, les quatre membres non
démissionnaires du conseil d’administration sont restés en fonction pour assurer l’administration courante de Banca Carige.

14 Le 1er janvier 2019, la BCE a adopté la décision de placement sous administration temporaire, laquelle a eu pour conséquences, premièrement, la dissolution du conseil d’administration de Banca Carige et le remplacement des anciens membres par trois administrateurs temporaires, deuxièmement, la dissolution du comité de surveillance de Banca Carige ainsi que le remplacement des anciens membres de ce comité par trois autres personnes et, troisièmement, l’attribution aux nouveaux organes de la
mission consistant à prendre les mesures nécessaires afin de garantir que Banca Carige se conforme à nouveau aux exigences patrimoniales de manière durable.

15 Le 29 mars 2019, la BCE a adopté la décision de prorogation.

16 Par décision du 30 septembre 2019, la BCE a prorogé jusqu’au 31 décembre 2019 le placement sous administration temporaire de Banca Carige. Par décision du 20 décembre 2019, elle l’a prorogé une nouvelle fois, jusqu’au 31 janvier 2020, afin de permettre la finalisation de l’opération de renforcement des fonds propres de Banca Carige.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2019, Mme Corneli a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de placement sous administration temporaire ainsi que « de tout acte consécutif ou postérieur », y compris, notamment, la décision de prorogation ainsi que les décisions ultérieures, portant nouvelle prorogation du placement sous administration temporaire de Banca Carige.

18 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 2 octobre 2019, la BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité de ce recours, laquelle a été jointe au fond par une ordonnance du Tribunal du 29 avril 2020.

19 Par décision du 24 juin 2020, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la BCE.

20 En ce qui concerne la recevabilité du recours, le Tribunal a, dans un premier temps, aux points 22 à 28 de l’arrêt attaqué, examiné si la demande d’annulation des différentes décisions de la BCE mentionnées au point 17 du présent arrêt était en tout point conforme aux exigences de forme prescrites par les articles 76 et 86 du règlement de procédure du Tribunal et si les actes dont l’annulation était demandée étaient existants et faisaient grief à Mme Corneli. À l’issue de cet examen, il a
considéré, au point 29 de l’arrêt attaqué, que le recours de Mme Corneli était recevable en tant qu’il était dirigé contre les décisions litigieuses, mais ne l’était pas à l’égard de « tout acte consécutif ou postérieur », y compris les décisions adoptées par la BCE postérieurement à l’introduction de ce recours et portant nouvelle prorogation du placement de Banca Carige sous administration temporaire.

21 Dans un second temps, statuant sur la fin de non-recevoir soulevée par la BCE, soutenue par la Commission, tirée de l’absence de qualité pour agir de Mme Corneli, le Tribunal, aux points 33 à 54 de l’arrêt attaqué, s’est penché, en premier lieu, sur la question de savoir si Mme Corneli était directement concernée par les décisions litigieuses.

22 Ainsi qu’il ressort des points 34 et 35 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que la relation juridique entre Banca Carige et ses actionnaires, au nombre desquels figurait Mme Corneli, avait été modifiée, sans intervention d’un quelconque acte intermédiaire, par les décisions litigieuses, qui modifiaient par elles-mêmes les droits dont disposait Mme Corneli pour participer, en qualité d’actionnaire, à la gestion de Banca Carige conformément aux règles applicables. En particulier, le Tribunal a
considéré que ces décisions portaient atteinte aux droits de Mme Corneli d’élire, en tant qu’actionnaire, les organes de direction et de surveillance de Banca Carige, de convoquer l’assemblée générale des actionnaires ainsi que de fixer l’ordre du jour et modifiaient les conditions dans lesquelles la responsabilité des organes de direction et de surveillance pouvait être engagée par les actionnaires, tels que Mme Corneli.

23 Après avoir écarté les arguments de la BCE et de la Commission en sens contraire, le Tribunal a jugé, au point 54 de l’arrêt attaqué, que les décisions litigieuses concernaient directement Mme Corneli.

24 En deuxième lieu, aux points 55 à 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la question de savoir si Mme Corneli était individuellement concernée par les décisions litigieuses. Ainsi qu’il ressort des points 58 à 64 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que les critères établis par l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), étaient satisfaits dans le chef de Mme Corneli, étant donné que, d’une part, cette dernière était identifiable, en sa qualité d’actionnaire de
Banca Carige, au moment où avaient été prises les décisions litigieuses car, à la date de leur adoption respective, la liste des actionnaires qui allaient être affectés par ces décisions était déterminée, a fortiori s’agissant de la décision de placement sous administration temporaire qui avait été adoptée un jour où les établissements de crédit étaient fermés, de telle sorte que les actions n’étaient pas négociables ce jour-là. D’autre part, le Tribunal a constaté que les actionnaires de Banca
Carige, dont Mme Corneli, s’étaient trouvés affectés personnellement par l’adoption des décisions litigieuses dans une qualité qui les caractérisait en propre, à savoir celle de détenteurs d’actions dans le capital de Banca Carige qui allaient se trouver empêchés, par l’effet de ces décisions, d’exercer certains droits attachés à ces actions.

25 Le Tribunal a, notamment, relevé, au point 63 de l’arrêt attaqué, que Mme Corneli figurait au nombre de ceux parmi les actionnaires qui avaient émis un vote négatif contre la proposition qui avait été présentée à l’assemblée générale du 22 décembre 2018, lequel vote, même s’il exprimait seulement une demande de report, avait entraîné la démission de membres du conseil d’administration, puis la dissolution de ce dernier, Banca Carige étant alors placée dans la situation qui, dans le contexte
qu’elle connaissait, avait entraîné, comme l’indiquait la décision de placement sous administration temporaire, l’intervention de la BCE, assortie d’une suspension des fonctions de l’assemblée générale et donc de la possibilité, pour les actionnaires, d’influencer par leur vote la stratégie qui serait suivie par Banca Carige.

26 Après avoir écarté les objections de la BCE et de la Commission, le Tribunal a jugé, au point 76 de l’arrêt attaqué, que Mme Corneli était individuellement concernée par les décisions litigieuses et, partant, qu’elle satisfaisait aux exigences inhérentes à la qualité pour agir .

27 En troisième lieu, aux points 77 à 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté la fin de non‑recevoir soulevée par la BCE, tirée de l’absence d’intérêt à agir de Mme Corneli. À cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 81 de cet arrêt, que, pour justifier son recours, Mme Corneli mettait en avant l’incidence des décisions litigieuses sur les droits qu’elle détenait personnellement, en sa qualité d’actionnaire de Banca Carige, notamment celui de convoquer une assemblée générale pour proposer
l’introduction d’un recours ou encore le droit d’ajouter un point en ce sens à l’ordre du jour d’une telle assemblée. Le Tribunal en a déduit, au point 82 de l’arrêt attaqué, que, si les décisions litigieuses étaient annulées, l’effet sur la situation des actionnaires ne serait pas identique à celui que produirait une annulation de celles-ci sur la situation de Banca Carige et que, partant, agissant au titre de l’effet produit par ces décisions sur ses propres droits, Mme Corneli pouvait faire
état d’un intérêt distinct à demander l’annulation desdites décisions, lequel ne se confondait pas avec celui de Banca Carige.

28 Par voie de conséquence, le Tribunal a jugé le recours recevable et l’a examiné au fond. À l’appui de son recours en première instance, Mme Corneli présentait sept moyens, tirés, le premier, d’une violation des règles relatives à la proportionnalité, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu, le troisième, de la nomination, comme administrateurs temporaires, de personnes ayant antérieurement exercé d’importantes fonctions dans la direction et
l’administration de Banca Carige, le quatrième, d’une erreur de droit commise dans la détermination de la base juridique utilisée pour adopter les décisions litigieuses, le cinquième, du fait que la BCE avait essayé de résoudre des problèmes de gouvernance en nommant des personnes qui les avaient créés, le sixième, de la violation, d’une part, des règles relatives aux droits de l’actionnaire et, d’autre part, des principes fondamentaux portant sur la protection de la propriété et de l’épargne, la
liberté de l’initiative économique privée ainsi que l’autodétermination du citoyen dans ses choix personnels et, le septième, du caractère inadéquat de l’administration temporaire pour résoudre le problème constaté.

29 Le Tribunal a décidé d’examiner, en premier lieu, le quatrième moyen du recours en première instance, tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la base juridique utilisée pour adopter les décisions litigieuses. Ainsi qu’il ressort du point 86 de l’arrêt attaqué, Mme Corneli faisait valoir, par ce moyen, que la BCE avait commis une erreur de droit en fondant les décisions litigieuses sur l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, alors que cette disposition ne visait pas la
situation invoquée pour justifier le placement de Banca Carige sous administration temporaire, à savoir une « détérioration significative » de la situation de cette dernière.

30 À cet égard, au point 95 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déduit d’une analyse comparative des dispositions de l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), et de l’article 70 du texte unique bancaire que la seconde de celles-ci ne prévoyait pas la dissolution des organes d’administration ou de contrôle des banques et la mise en place d’une administration temporaire dans le cas d’une détérioration particulièrement significative de la situation de la banque ou du groupe bancaire concerné.

31 Ainsi, le Tribunal a considéré, au point 100 de cet arrêt, que la BCE avait violé l’article 70 du texte unique bancaire en se fondant, alors que cette condition n’était pas prévue par cette disposition, sur la détérioration significative de la situation de Banca Carige pour prononcer la dissolution des organes d’administration ou de contrôle de celle‑ci, mettre en place une administration temporaire et maintenir cette administration en vigueur durant la période visée dans la décision de
prorogation.

32 Pour les motifs exposés aux points 102 à 108 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’argument avancé par la BCE et par la Commission selon lequel, dès lors que le placement sous administration temporaire était prévu à l’article 29 de la directive 2014/59, l’article 70 du texte unique bancaire devait être lu à la lumière de cette disposition, qu’il avait pour mission de transposer dans le droit italien. À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 106 et 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a
rappelé que l’obligation d’interprétation conforme du droit national ne pouvait servir de fondement à une interprétation allant à l’encontre des termes utilisés dans la disposition nationale de transposition d’une directive. Or, selon le Tribunal, tel serait le résultat obtenu si cette méthode d’interprétation était utilisée dans l’affaire dont il était saisi.

33 En outre, aux points 111 à 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argument, avancé lors de l’audience devant lui par la BCE et par la Commission, selon lequel, lorsque la BCE intervient en tant qu’autorité compétente au titre de la réglementation bancaire, elle est tenue d’appliquer, outre le droit national, l’ensemble des règles de droit de l’Union, y compris celle, figurant dans la directive 2014/59, qui prévoit le placement sous administration temporaire en cas de détérioration
significative de la situation de l’établissement considéré.

34 À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 112 de l’arrêt attaqué, qu’il résultait de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013 que, lorsque le droit de l’Union pertinent aux fins de l’accomplissement des missions confiées à la BCE comporte des directives, c’est le droit national transposant ces directives qui doit être appliqué. Selon le Tribunal, cette disposition ne peut être lue comme comportant deux sources distinctes d’obligations, à savoir l’ensemble du droit de l’Union, y
compris les directives, auquel il conviendrait d’ajouter le droit national les transposant. Le Tribunal a estimé qu’une telle interprétation supposerait que la portée des dispositions nationales diffère de celle des directives qu’elles sont censées transposer dans le droit interne et que, dans un tel cas, les deux types de normes s’imposent à la BCE comme étant des sources normatives distinctes, ce qui irait à l’encontre de l’article 288 TFUE. Le Tribunal a, par ailleurs, rappelé la jurisprudence
de la Cour selon laquelle une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations pour un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son égard.

35 Dans ces conditions, le Tribunal a jugé, au point 113 de l’arrêt attaqué, qu’il ne saurait être remédié à l’erreur commise par la BCE dans l’application de l’article 70 du texte unique bancaire par une interprétation libre des textes qui permettrait de reconstruire les conditions d’application de dispositions conçues de manière distincte dans la directive 2014/59 et dans le droit national. Le Tribunal a, partant, accueilli le moyen du recours tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la
base juridique utilisée pour adopter les décisions litigieuses et a annulé ces dernières, sans examiner les autres moyens soulevés par Mme Corneli.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

36 Par son pourvoi dans l’affaire C‑777/22 P, la BCE demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué, en ce qu’il a annulé les décisions litigieuses ;

– de déclarer irrecevable le recours en première instance ;

– à titre subsidiaire, de constater la légalité des décisions litigieuses et, le cas échéant, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur les moyens du recours non examinés dans l’arrêt attaqué, et

– de condamner Mme Corneli aux dépens tant de la procédure en première instance que du pourvoi.

37 Par son pourvoi dans l’affaire C‑789/22 P, la Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de rejeter le recours en première instance comme étant irrecevable ou, à tout le moins, dénué de fondement ;

– de condamner Mme Corneli aux dépens, et

– à titre subsidiaire, après annulation, de renvoyer l’affaire au Tribunal.

38 Dans son mémoire en réponse, Mme Corneli demande à la Cour :

– à titre principal, de déclarer les pourvois irrecevables et, en tout état de cause, de les rejeter comme étant non fondés et

– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les pourvois seraient accueillis, de faire droit à son recours en première instance ou, à titre encore plus subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

39 Dans son mémoire en réponse dans l’affaire C‑777/22 P, la Commission indique soutenir intégralement les conclusions de la BCE et conclut à ce qu’il soit fait droit à celles-ci.

40 Par décision du président de la Cour du 8 février 2023, les affaires C‑777/22 P et C‑789/22 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

41 Par décision du président de la Cour du 17 avril 2023, la République italienne a été admise, à sa demande, à intervenir au soutien des conclusions de la BCE et de la Commission dans les affaires C‑777/22 P et C‑789/22 P.

42 Dans son mémoire en intervention, la République italienne demande à la Cour de faire droit aux pourvois de la BCE et de la Commission et, partant, de déclarer irrecevable ou, à titre subsidiaire, de rejeter au fond le recours en annulation introduit par Mme Corneli.

43 Conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la BCE et la République italienne ont demandé, respectivement les 3 et 6 novembre 2023, à ce que les présentes affaires jointes soient déférées à la grande chambre, ce dont la Cour a pris acte le 7 mai 2024.

Sur les pourvois

44 À l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑777/22 P, la BCE invoque deux moyens tirés, le premier, de la dénaturation des faits par le Tribunal s’agissant des prétendus droits dont Mme Corneli pourrait se prévaloir en tant qu’actionnaire de Banca Carige et, le second, d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 70 du texte unique bancaire.

45 Pour sa part, la Commission invoque, à l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑789/22 P, cinq moyens tirés, le premier, de la violation de l’article 263 TFUE, en ce que le Tribunal a considéré que les décisions litigieuses concernaient directement et individuellement Mme Corneli, le deuxième, de la violation de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal et de l’interdiction de soulever d’office un moyen d’annulation tiré de la légalité au fond de l’acte attaqué, le troisième, de la
violation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013 et de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, le quatrième, de la violation de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, en ce que le Tribunal a considéré que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire ne pouvait pas être interprété de manière conforme à l’article 29 de la directive 2014/59, et, le cinquième, de la violation tant de l’article 288, deuxième et troisième alinéas, TFUE que de l’article 4,
paragraphe 3, du règlement no 1024/2013, en ce que le Tribunal a considéré que la BCE ne pouvait pas se fonder sur des dispositions des directives produisant un effet direct et devait appliquer la réglementation nationale contraire à des directives.

46 Dans son mémoire en intervention, la République italienne indique soutenir tous les moyens avancés par la BCE et par la Commission, à l’exception du cinquième moyen de pourvoi de cette dernière, sur lequel elle ne prend pas position.

Sur le premier moyen de pourvoi de la BCE et sur le premier moyen de pourvoi de la Commission

Argumentation des parties

47 Par leurs premiers moyens de pourvoi, la BCE et la Commission, soutenues par la République italienne, contestent les motifs de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a considéré que Mme Corneli disposait de la qualité pour agir, au motif que les décisions litigieuses la concernaient de manière directe et individuelle, et que celle‑ci disposait également de l’intérêt à agir requis, si bien que son recours était recevable. Ces moyens s’articulent en quatre branches pour la BCE et en trois
branches pour la Commission.

48 Les deux premières branches du premier moyen de la BCE et la première branche du premier moyen de la Commission visent les points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, sur la base desquels le Tribunal a considéré que les décisions litigieuses concernaient directement Mme Corneli, dès lors que les effets produits par celles-ci sur une société et sur ses organes équivalent à des effets produits sur la situation de chaque actionnaire de cette société, y compris ceux qui, comme Mme Corneli, détiennent un
pourcentage minime du capital. À cet égard, la BCE reproche au Tribunal, par la première branche de son premier moyen, d’avoir dénaturé les faits. En outre, la BCE, par la deuxième branche de son premier moyen, et la Commission, par la première branche de son premier moyen, font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit.

49 Ces institutions soulignent que les droits énumérés au point 34 de l’arrêt attaqué n’appartiennent pas, de manière individuelle, à chaque actionnaire et considèrent que le Tribunal s’est fondé sur une interprétation erronée des dispositions applicables du droit italien et des statuts de Banca Carige. Il ressortirait de ces dispositions et statuts, premièrement, que le droit de présenter des listes pour l’élection des membres du conseil d’administration et du comité de surveillance est réservé aux
actionnaires détenant au moins 1 % des actions ordinaires, deuxièmement, que le droit d’élire les membres de ces organes appartient à l’assemblée générale des actionnaires, troisièmement, que le droit de convoquer l’assemblée générale des actionnaires et de fixer l’ordre du jour de celle‑ci peut seulement être exercé par un groupe d’actionnaires représentant 5 % du capital social de la société et, quatrièmement, que l’action en responsabilité contre les administrateurs d’une société ne peut être
exercée que par l’assemblée générale des actionnaires ou par un groupe d’actionnaires représentant 2,5 % du capital social.

50 La BCE fait valoir, au demeurant, que le présent litige présente une analogie avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, du 7 juillet 2020, Albert et autres c. Hongrie (CE:ECHR:2020:0707JUD000529414), par lequel, selon la BCE, cette juridiction a estimé que les effets des actes en cause dans cette affaire concernaient directement non pas les parties requérantes dans ladite affaire, actionnaires de deux banques, mais ces banques elles‑mêmes, leurs
actionnaires n’ayant subi que des effets indirects et accessoires.

51 Par, respectivement, les troisième et deuxième branches de leurs premiers moyens, la BCE et la Commission, soutenues par la République italienne, critiquent les points 58, 61 à 63, 74 et 75 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a examiné la question de savoir si les décisions litigieuses concernaient Mme Corneli de manière individuelle.

52 À cet égard, elles reprochent au Tribunal d’avoir méconnu la jurisprudence citée au point 56 de l’arrêt attaqué. La simple possibilité d’identifier les actionnaires de Banca Carige à la date du 1er janvier 2019, alors que les marchés étaient fermés, n’impliquerait pas que la décision de placement sous administration temporaire, adoptée ce même jour, concernait individuellement ces actionnaires. Il en irait de même s’agissant de la décision de prorogation, qui n’aurait pas été adoptée un jour
férié, comme le Tribunal l’aurait lui-même reconnu. Le placement sous administration temporaire aurait concerné Banca Carige, destinataire des décisions litigieuses, ainsi que les administrateurs de celle‑ci, et non pas ses actionnaires. En outre, le Tribunal n’aurait pas expliqué pour quel motif le vote négatif émis par Mme Corneli à l’égard d’une proposition de résolution présentée à l’assemblée générale des actionnaires aurait eu pour conséquence d’individualiser cette personne d’une manière
analogue à celle des destinataires des décisions litigieuses.

53 Par ailleurs, les motifs exposés aux points 74 et 75 de l’arrêt attaqué ne permettraient pas de considérer que Mme Corneli appartenait à un « groupe fermé », au sens de la jurisprudence de la Cour citée au point 71 de cet arrêt. L’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873), mentionné par le Tribunal au point 74 de l’arrêt attaqué, serait dépourvu de
pertinence, les décisions litigieuses n’étant pas des actes réglementaires.

54 Plus généralement, la jurisprudence de la Cour relative aux « groupes fermés » aurait été développée dans le contexte particulier d’affaires dans lesquelles des actes de l’Union ayant une portée générale ne concernaient, en réalité, qu’un faible nombre d’opérateurs, de telle sorte que ceux-ci étaient d’emblée identifiables. En revanche, les quelque 35000 actionnaires de Banca Carige ne pourraient pas raisonnablement être considérés comme constituant un tel groupe restreint d’opérateurs
économiques. Au demeurant, cette jurisprudence ne s’appliquerait pas lorsque les personnes concernées par un acte sont identifiables en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte concerné lui‑même. Or, tel serait le cas de Mme Corneli et de tout autre actionnaire de Banca Carige.

55 Par, respectivement, les quatrième et troisième branches de leurs premiers moyens de pourvoi, la BCE et la Commission, soutenues par la République italienne, font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a considéré que Mme Corneli disposait de l’intérêt à agir requis pour introduire un recours en annulation contre les décisions litigieuses. La Cour n’aurait qu’exceptionnellement reconnu un tel intérêt aux actionnaires d’une société destinataire d’un acte d’une institution
de l’Union, à savoir lorsqu’un tel acte a également eu pour conséquence une modification des statuts de la société concernée ou produit des effets directs importants, de nature confiscatoire, au préjudice des actionnaires. La mise en place d’une structure transitoire de gouvernance d’une banque ne constituerait pas un tel cas exceptionnel.

56 Par ailleurs, le Tribunal n’aurait pas démontré que les décisions litigieuses étaient de nature à porter atteinte aux intérêts de Mme Corneli. D’une part, au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal attribuerait, à tort, à chaque actionnaire des droits qui appartiendraient à des minorités qualifiées d’actionnaires. D’autre part, au point 82 de cet arrêt, il affirmerait qu’il existe des différences entre les effets produits respectivement sur Banca Carige et sur les actionnaires de celle-ci par
une éventuelle annulation des décisions litigieuses, sans, toutefois, identifier ces différences. La Commission ajoute que le Tribunal a omis d’examiner, au besoin d’office, si un éventuel intérêt à agir de Mme Corneli avait perduré après l’achèvement de la période d’administration temporaire de Banca Carige.

57 Mme Corneli conteste la recevabilité du premier moyen de pourvoi de la BCE, au motif que cette dernière n’a pas précisé si elle invoquait une erreur de droit ou une dénaturation des faits. En tout état de cause, Mme Corneli estime que tant le premier moyen de pourvoi de la BCE que le premier moyen de pourvoi de la Commission doivent être rejetés comme étant non fondés.

Appréciation de la Cour

58 En ce qui concerne la recevabilité du premier moyen de pourvoi de la BCE, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui
soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 50 et jurisprudence citée).

59 En l’espèce, le premier moyen de pourvoi de la BCE remplit ces exigences, de sorte qu’il est recevable, ce que ne saurait remettre en cause, contrairement à ce que fait valoir, en substance, Mme Corneli, la circonstance que la BCE reproche au Tribunal à la fois une erreur de droit et une dénaturation des faits.

60 Pour ce qui est de l’examen au fond des premiers moyens de pourvoi de la BCE et de la Commission, il y a lieu de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la
concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui‑ci la concerne directement (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 59).

61 Les présentes affaires ne correspondant pas au second cas de figure, il convient d’examiner si le Tribunal a, à juste titre, considéré que les décisions litigieuses concernaient Mme Corneli directement et individuellement.

62 En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si ces décisions concernaient directement Mme Corneli, il ressort d’une jurisprudence constante, également rappelée par le Tribunal au point 33 de l’arrêt attaqué, que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée,
d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a., C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, EU:C:2019:923, point 103 ainsi que jurisprudence
citée).

63 En l’espèce, au point 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les décisions litigieuses portaient atteinte aux droits des actionnaires de Banca Carige, dont Mme Corneli. D’une part, selon le Tribunal, ces décisions portaient atteinte au droit de ces actionnaires d’élire les organes de direction et de surveillance de cette banque ainsi qu’à leur droit de convoquer l’assemblée générale des actionnaires et de fixer l’ordre du jour de celle‑ci. D’autre part, elles auraient affecté les
conditions dans lesquelles la responsabilité des organes de direction et de surveillance de Banca Carige pouvait être engagée par ses actionnaires, étant donné que des actions de nature civile n’auraient pu être engagées contre les administrateurs temporaires nommés par la BCE qu’en cas de dol ou de faute grave et seulement avec l’autorisation de la BCE, alors que les recours en responsabilité contre des membres des organes dissous de Banca Carige ou contre le directeur général de celle‑ci
n’auraient pu être engagés que par les administrateurs temporaires, ce qui aurait privé l’assemblée des actionnaires ou les actionnaires qui, ensemble, détenaient une certaine proportion du capital social du droit d’engager un tel recours.

64 Sur la base de ces constatations, le Tribunal a considéré, au point 35 de l’arrêt attaqué, que la relation juridique entre Banca Carige et ses actionnaires, dont Mme Corneli, avait été modifiée, sans intervention d’un quelconque acte intermédiaire, par les décisions litigieuses, lesquelles concernaient, par conséquent, directement Mme Corneli.

65 Au soutien de leurs allégations tirées d’une erreur de droit entachant les points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, la BCE et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir omis de tenir compte du fait que le droit de présenter une liste de candidats pour l’élection des membres du conseil d’administration et du comité de surveillance de Banca Carige, le droit de convoquer l’assemblée générale de cette banque et le droit d’engager une action en responsabilité contre les membres des organes de direction
et de surveillance de ladite banque ne pouvaient être exercés que par des actionnaires détenant, individuellement ou collectivement, une proportion du capital de Banca Carige supérieure à celle détenue par Mme Corneli.

66 Or, dès le placement sous administration temporaire de Banca Carige et aussi longtemps que cette situation a perduré, Mme Corneli a été privée, à tout le moins, de la possibilité d’exercer le droit qu’elle détenait, en tant qu’actionnaire de cette banque, de s’associer à d’autres actionnaires de celle‑ci pour exercer collectivement l’un ou l’autre des droits mentionnés au point précédent. Il s’agit là d’un effet sur la situation juridique de Mme Corneli qui découle directement de l’adoption des
décisions litigieuses, lesquelles ne laissaient, à cet égard, aucune marge d’appréciation à leur destinataire, si bien que les conditions posées par la jurisprudence citée au point 62 du présent arrêt étaient bien remplies, comme le Tribunal l’a jugé à bon droit.

67 En outre, s’agissant de la première branche du premier moyen de pourvoi de la BCE tirée de la dénaturation, par le Tribunal, des dispositions applicables du droit italien ou des statuts de Banca Carige, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments,
C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 142 et jurisprudence citée).

68 En l’espèce, contrairement à ce que fait valoir la BCE, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que Mme Corneli aurait pu, en vertu des dispositions applicables du droit italien ou des statuts de la banque, exercer seule l’un ou l’autre des droits énumérés au point 34 de l’arrêt attaqué. Au contraire, en réponse à un argument avancé devant lui par la BCE et par la Commission, tiré du fait que les droits prétendument affectés par les décisions litigieuses appartenaient non
pas, de manière individuelle, à chaque actionnaire de la société concernée, mais à l’assemblée générale des actionnaires de celle-ci, le Tribunal a relevé, aux points 44 et 45 de l’arrêt attaqué, que cet argument faisait abstraction, à tout le moins, du droit de vote permettant à chaque actionnaire de participer, de manière individuelle, à l’élection des membres appelés à siéger au sein des organes de direction et de surveillance de Banca Carige, droit qui devait faire l’objet d’une protection
juridictionnelle et qui ne pouvait plus être exercé à la suite du placement de Banca Carige sous administration temporaire.

69 La motivation de l’arrêt attaqué, telle que résumée au point précédent, fait apparaître que le Tribunal a bien eu égard au fait que certaines décisions mentionnées au point 34 de l’arrêt attaqué ne pouvaient, en vertu des dispositions applicables du droit italien ou des statuts de la banque, être adoptées que collectivement, par l’assemblée générale de Banca Carige ou par des actionnaires de celle‑ci détenant une certaine proportion de son capital social. Le Tribunal a, toutefois, estimé, en
substance et à bon droit, que cette circonstance ne permettait pas de considérer que les décisions litigieuses ne concernaient pas directement un actionnaire déterminé, tel que Mme Corneli.

70 Enfin, la prise en considération de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, du 7 juillet 2020, Albert et autres c. Hongrie (CE:ECHR:2020:0707JUD000529414), invoqué par la BCE, ne saurait remettre en cause le constat que les décisions litigieuses concernaient de manière directe Mme Corneli.

71 En effet, pour considérer que les parties requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, lesquelles étaient des actionnaires de deux banques d’épargne hongroises, ne pouvaient pas prétendre à la qualité de « victime », au sens de l’article 34 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, la Cour européenne des droits de l’homme s’est fondée sur la distinction consacrée dans sa jurisprudence entre les
mesures affectant les intérêts d’une société et celles portant atteinte aux droits attachés à la qualité d’actionnaire de cette société.

72 En jugeant que la législation en cause dans cette affaire relevait de la première catégorie de mesures, cette juridiction a appliqué le principe général qui se dégage de sa jurisprudence et qui a été rappelé au § 124 dudit arrêt, selon lequel les actionnaires d’une société ne peuvent se prévaloir de la qualité de « victime », au sens susvisé, d’actes ou de mesures touchant leur société. À cet égard, elle a notamment relevé, en substance, au § 151 du même arrêt, que cette législation n’avait pas
eu pour effet d’empêcher, ne fût-ce que temporairement, les actionnaires des deux banques concernées d’exercer les droits dont ils disposaient en leur qualité propre.

73 Ces considérations, qui ont trait aux critères permettant de se prévaloir de la qualité de « victime », au sens de l’article 34 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sont dépourvues de pertinence en vue d’apprécier si, en l’espèce, Mme Corneli est directement concernée par les décisions litigieuses.

74 En deuxième lieu, pour ce qui est de la question de savoir si les décisions litigieuses concernaient Mme Corneli de manière individuelle, comme le Tribunal l’a rappelé au point 56 de l’arrêt attaqué, il est de jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si l’acte dont l’annulation est demandée les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont
particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (voir arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, ainsi que du 4 octobre 2024, Commission et Conseil/Front Polisario, C‑779/21 P et C‑799/21 P, EU:C:2024:835, point 107 et jurisprudence citée).

75 Certes, la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que cette application est effectuée en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 157 ainsi
que jurisprudence citée).

76 Cependant, lorsqu’un acte affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables à la date où cet acte a été pris et en fonction de critères propres aux membres de ce groupe, ces personnes doivent être considérées comme étant individuellement concernées par ledit acte (arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 158 ainsi que jurisprudence citée).

77 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 56 à 59 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que Mme Corneli était individuellement concernée par les décisions litigieuses dès lors que, en sa qualité d’actionnaire de Banca Carige, deux conditions étaient réunies dans son chef. D’une part, elle faisait partie d’un groupe dont les membres étaient identifiés ou identifiables au moment où les décisions litigieuses avaient été adoptées et, d’autre part, cette identification pouvait être fondée sur
des critères propres aux membres de ce groupe, à savoir le fait de détenir des actions dans le capital de cette banque et de se trouver empêchés, par l’effet de ces décisions, d’exercer certains droits attachés à ces actions.

78 S’agissant de cette seconde condition, le Tribunal a relevé, au point 61 de l’arrêt attaqué, que Mme Corneli avait, avant l’adoption des décisions litigieuses, des droits acquis attachés à ses actions auxquels il avait été porté atteinte au cours de la période pendant laquelle les décisions litigieuses étaient applicables. En particulier, le Tribunal a fait référence, au point 62 de cet arrêt, à la suspension des fonctions de l’assemblée générale de Banca Carige qui, en tant que premier effet
produit par la décision de placement sous administration temporaire, a privé les actionnaires de cette banque de la possibilité de faire valoir leur position à l’égard des propositions qui les concernaient pourtant.

79 Ces motifs de l’arrêt attaqué constituent une application correcte de la jurisprudence de la Cour, citée aux points 74 à 76 du présent arrêt, et ils ne sont donc pas entachés d’une erreur de droit. Les arguments de la BCE et de la Commission critiquant ces motifs ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion.

80 Premièrement, si le Tribunal a, certes, mentionné, au point 58 de l’arrêt attaqué, le fait que la décision de placement sous administration temporaire avait été adoptée un 1er janvier, à savoir un jour où, les établissements de crédit étant fermés, les parts détenues par les actionnaires de Banca Carige dans le capital de celle-ci ne pouvaient être négociées, il ne s’est pas fondé sur cette seule circonstance pour considérer que Mme Corneli était individuellement concernée par les décisions
litigieuses, ainsi qu’en témoigne le fait qu’il a considéré que Mme Corneli était aussi individuellement concernée par la décision de prorogation, laquelle, comme le Tribunal l’a relevé au même point de l’arrêt attaqué, n’avait pas été adoptée un jour férié.

81 En d’autres termes, le point 58 de l’arrêt attaqué ne saurait être lu en ce sens que le Tribunal a motivé la considération selon laquelle Mme Corneli était individuellement concernée, en particulier, par la décision de placement sous administration temporaire parce que celle-ci avait été adoptée un jour férié. Il doit être compris comme visant simplement à souligner, de manière surabondante, la circonstance que, du fait de la fermeture des Bourses ce jour-là, les actionnaires de Banca Carige,
individuellement concernés par cette décision, s’en trouvaient d’autant plus facilement identifiables.

82 De même, le point 63 de l’arrêt attaqué ne saurait être lu en ce sens que c’est sur la base de la considération selon laquelle Mme Corneli figurait au nombre des actionnaires de Banca Carige ayant émis un vote négatif lors de l’assemblée générale du 22 décembre 2018 que le Tribunal aurait décidé que celle-ci était individuellement concernée par les décisions litigieuses, d’autant que, à ce point 63, celui-ci a précisé que ce vote « exprimait seulement une demande de report ». Par ces
considérations, le Tribunal visait plutôt à souligner l’importance que revêtait, pour Mme Corneli, le droit de participer à l’assemblée générale de Banca Carige, droit qu’elle ne pouvait pas exercer tant que les décisions litigieuses étaient en vigueur.

83 Deuxièmement, contrairement à ce que font valoir la BCE et la Commission, la jurisprudence de la Cour citée au point 76 du présent arrêt, relative aux groupes de personnes identifiées ou identifiables en fonction de critères propres aux membres du groupe concerné, trouve à s’appliquer en l’espèce. La circonstance, invoquée par la BCE et par la Commission, que Banca Carige aurait compté quelque 35000 actionnaires qui auraient tous été individuellement concernés par les décisions litigieuses est, à
cet égard, dépourvue de pertinence. L’application de cette jurisprudence dépend uniquement de la possibilité d’identifier les personnes qu’un acte affecte en fonction de critères propres à ces personnes, et non pas du nombre, plus ou moins important, des personnes identifiées.

84 La jurisprudence de la Cour mentionnée au point 75 du présent arrêt, invoquée par la BCE et par la Commission, ne concerne pas un cas comme celui en cause dans les présentes affaires. En effet, cette jurisprudence concerne des situations où l’application d’une mesure est effectuée en vertu d’une situation de droit ou de fait définie par l’acte en cause, de telle sorte qu’elle vise, par définition, des actes de portée générale, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 66 de ses
conclusions, et non pas des actes individuels, tels que les décisions litigieuses.

85 Troisièmement, s’agissant des griefs dirigés contre les points 74 et 75 de l’arrêt attaqué, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort des points 77 à 79 du présent arrêt, les motifs exposés aux points 56 à 62 de l’arrêt attaqué démontrent à suffisance de droit que Mme Corneli était individuellement concernée par les décisions litigieuses. Dans ces conditions, ces griefs, fussent-ils fondés, ne sauraient entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué et doivent être écartés comme étant inopérants,
car dirigés contre des motifs surabondants de cet arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, point 211 et jurisprudence citée).

86 En troisième lieu, en ce qui concerne l’intérêt à agir de Mme Corneli, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, tout recours en annulation formé, au titre de l’article 263 TFUE, par une personne physique ou morale doit reposer sur un intérêt à agir dans le chef de celle-ci. L’existence d’un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle-même, de procurer un bénéfice à cette personne (arrêt du 13 juillet 2023, D & A Pharma/EMA, C‑136/22 P,
EU:C:2023:572, point 43 et jurisprudence citée).

87 En l’espèce, au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, pour justifier d’un intérêt à agir contre les décisions litigieuses, Mme Corneli s’était prévalue de l’incidence de ces décisions sur les droits qu’elle détenait personnellement, en sa qualité d’actionnaire de Banca Carige, notamment celui de convoquer une assemblée générale pour proposer l’introduction d’un recours ou encore le droit d’ajouter un point en ce sens à l’ordre du jour d’une telle assemblée.

88 Le Tribunal en a déduit, au point 82 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait pas être considéré que, en cas d’annulation des décisions litigieuses, l’effet de celle-ci sur la situation des actionnaires serait identique à celui produit sur la situation de Banca Carige et que, par conséquent, l’exigence, dans le chef d’un actionnaire, d’un intérêt à agir distinct de celui de la société dont il détiendrait des actions était satisfait en l’espèce.

89 Ces motifs de l’arrêt attaqué justifient à suffisance de droit l’existence de l’intérêt à agir requis pour justifier l’introduction, par Mme Corneli, d’un recours en annulation, au titre de l’article 263 TFUE, contre les décisions litigieuses, aussi longtemps que celles‑ci étaient en vigueur.

90 La référence, au point 81 de l’arrêt attaqué, au droit « de convoquer une assemblée générale » ou « d’ajouter un point » à l’ordre du jour d’une telle assemblée ne signifie pas, contrairement à ce que soutiennent la BCE et la Commission, que le Tribunal a reconnu à Mme Corneli des droits qui n’étaient pas prévus par les statuts de Banca Carige ou par les dispositions applicables du droit italien. Cette référence doit être lue en combinaison avec les motifs de l’arrêt attaqué selon lesquels les
décisions litigieuses concernaient directement Mme Corneli. Replacée dans ce contexte, ladite référence ne peut qu’être comprise en ce sens que le Tribunal a considéré, à bon droit, que Mme Corneli disposait d’un intérêt à agir contre les décisions litigieuses, dès lors que, en cas d’annulation de ces décisions, le placement sous administration temporaire de Banca Carige prendrait fin et Mme Corneli récupérerait son droit de s’associer à d’autres actionnaires de cette banque afin, notamment,
d’être en mesure de convoquer une assemblée générale ou d’ajouter un point à l’ordre du jour de cette dernière.

91 Quant au point 82 de l’arrêt attaqué, celui‑ci constitue la suite logique et la confirmation du point 81 de celui-ci, comme en témoigne le fait qu’il commence par le terme « ainsi ».

92 En quatrième lieu, il convient d’examiner l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal a omis de vérifier d’office si l’intérêt à agir de Mme Corneli avait perduré après l’achèvement de la période d’administration temporaire de Banca Carige.

93 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’un requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité et perdurer, tout comme l’objet du recours, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêts du 7 juin 2007,
Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42, et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 26).

94 En principe, une partie conserve son intérêt à poursuivre un recours en annulation dès lors que ce dernier peut constituer la base d’un recours éventuel en responsabilité. L’éventualité d’un recours en indemnité suffit à fonder un tel intérêt à agir, pour autant que celui‑ci n’est pas hypothétique (arrêt du 7 novembre 2018, BPC Lux 2 e.a./Commission, C‑544/17 P, EU:C:2018:880, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

95 L’intérêt à agir peut découler de toute action devant les juridictions nationales dans le cadre de laquelle l’éventuelle annulation de l’acte attaqué devant le juge de l’Union est susceptible de procurer un avantage au requérant (arrêt du 7 novembre 2018, BPC Lux 2 e.a./Commission, C‑544/17 P, EU:C:2018:880, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

96 Il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice. En particulier, pour que le recours en annulation d’un acte, présenté par une personne physique ou morale, soit recevable, il faut que la partie requérante justifie de façon pertinente l’intérêt que présente pour elle l’annulation de cet acte (arrêt du 7 novembre 2018, BPC Lux 2 e.a./Commission, C‑544/17 P, EU:C:2018:880, point 34 ainsi
que jurisprudence citée).

97 En l’espèce, il ressort des points 1 et 17 de l’arrêt attaqué que les décisions litigieuses ont cessé de produire leurs effets le 30 septembre 2019.

98 Certes, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 94 et 95 du présent arrêt, cette circonstance ne signifie pas nécessairement que l’intérêt à agir de Mme Corneli et, partant, l’objet du litige devant le Tribunal avaient disparu en cours d’instance. Toutefois, il incombait au Tribunal, avant de statuer sur le fond de l’affaire portée devant lui, de vérifier, au besoin d’office, que tel n’avait pas été le cas. En omettant de le faire, le Tribunal a commis une erreur de droit.

99 Néanmoins, cette erreur de droit ne saurait entraîner, à elle seule, l’annulation de l’arrêt attaqué.

100 En effet, ainsi qu’il résulte des points 94 à 96 du présent arrêt, Mme Corneli conserverait son intérêt à poursuivre l’annulation des décisions litigieuses si une telle annulation pouvait constituer la base d’un éventuel recours indemnitaire.

101 Or, en réponse à une question écrite que lui a posée la Cour, Mme Corneli a, en substance, confirmé qu’elle considérait avoir subi un préjudice du fait des décisions prises par les administrateurs temporaires de Banca Carige, nommés par la BCE, préjudice dont elle entendait obtenir la réparation. Selon Mme Corneli, ces décisions ont provoqué la dilution de sa propre participation dans le capital de Banca Carige et, en définitive, la vente obligatoire des actions qu’elle détenait, à la suite
d’une offre publique d’achat obligatoire, lancée par BPR Banca SpA, qui avait acquis une participation majoritaire dans le capital de Banca Carige.

102 Il ressort aussi de la réponse de Mme Corneli qu’elle envisage l’introduction de recours indemnitaires tant devant le Tribunal, contre la BCE, que devant les juridictions nationales compétentes, contre les autres personnes physiques ou morales impliquées, à la suite des décisions litigieuses, dans l’administration temporaire de Banca Carige, puis dans la vente de celle-ci.

103 À cet égard, il convient de relever que, dans sa réponse à la question écrite posée par la Cour, la BCE a confirmé que les administrateurs temporaires de Banca Carige ont effectivement pris, durant leur mandat, une série de décisions importantes, notamment la signature, le 9 août 2019, avec plusieurs acteurs, d’un accord‑cadre contraignant concernant la recapitalisation de Banca Carige, cet acte ayant été approuvé, le 20 septembre 2019, par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires
de Banca Carige, convoquée par lesdits administrateurs temporaires.

104 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, à l’instar de Mme l’avocate générale aux points 77 et 78 de ses conclusions, que, au regard de la jurisprudence citée au point 94 du présent arrêt, l’intérêt de Mme Corneli à agir contre les décisions litigieuses ne saurait être considéré comme étant purement hypothétique, même après que la période d’administration temporaire de Banca Carige s’est achevée et que Mme Corneli a vendu ses actions.

105 Partant, bien que les effets des décisions litigieuses et l’administration temporaire de Banca Carige aient pris fin en cours d’instance devant le Tribunal, l’intérêt de Mme Corneli à obtenir l’annulation de ces décisions n’a pas pour autant disparu.

106 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, les premiers moyens de pourvoi respectifs de la BCE et de la Commission doivent être rejetés comme étant non fondés.

Sur le deuxième moyen de pourvoi de la Commission

Argumentation des parties

107 Par son deuxième moyen de pourvoi, la Commission, soutenue par la BCE et par la République italienne, fait valoir que ce fut pour la première fois dans sa réplique devant le Tribunal que Mme Corneli a allégué que, conformément à l’article 70 du texte unique bancaire, la BCE ne pouvait pas ordonner le placement d’un établissement bancaire sous administration temporaire en cas de détérioration significative de sa situation. En effet, au point 67 de sa requête en première instance, Mme Corneli
aurait soutenu exactement le contraire, interprétant l’article 70 du texte unique bancaire de la même manière que la BCE.

108 Selon la Commission, l’interprétation correcte de l’article 70 du texte unique bancaire ne nécessitait pas la prise de connaissance de l’intégralité du texte de la décision de placement sous administration temporaire, auquel Mme Corneli n’a eu accès qu’après l’introduction de son recours. La Commission estime, dès lors, que Mme Corneli a soulevé, pour la première fois dans sa réplique devant le Tribunal, un moyen nouveau, qui n’était pas fondé sur des éléments de droit et de fait révélés pendant
la procédure. En omettant d’écarter ce moyen nouveau comme étant irrecevable, le Tribunal aurait violé l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure.

109 Mme Corneli soutient que ce moyen doit être rejeté.

Appréciation de la Cour

110 Il résulte de l’article 84, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure du Tribunal que doivent être déclarés irrecevables les moyens exposés pour la première fois au stade de la réplique et qui ne sont pas fondés sur des éléments de droit ou de fait révélés pendant la procédure. Toutefois, un moyen ou un argument qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement dans la requête introductive d’instance ne saurait être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté (voir, en ce sens,
arrêt du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 41 et jurisprudence citée).

111 En l’espèce, et sans que cela soit contesté par la Commission au stade de son pourvoi, il ressort de la requête en première instance que, à l’appui de son recours, Mme Corneli a, notamment, invoqué un moyen tiré de la violation, par la BCE, de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire.

112 Certes, comme le fait valoir la Commission, c’est pour la première fois dans sa réplique en première instance que Mme Corneli a soutenu que cette dernière disposition ne permettait pas le placement sous administration temporaire d’une banque en cas de détérioration significative de sa situation.

113 Toutefois, il ne saurait être fait grief à Mme Corneli d’avoir fait valoir, au stade de cette réplique, un moyen nouveau, dans la mesure où ledit argument constituait une ampliation, au sens de la jurisprudence citée au point 110 du présent arrêt, du moyen tiré de la violation de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, invoqué dans sa requête introductive d’instance. En effet, si, dans sa requête, elle a notamment soutenu qu’aucune détérioration particulièrement importante de la
situation de Banca Carige n’avait été démontrée, elle a précisé, dans sa réplique, que cette disposition ne permettait pas de placer une banque sous administration temporaire dans une telle situation. Or, ce faisant, Mme Corneli n’a fait que compléter son argumentation tendant à démontrer que, comme elle l’avait déjà allégué dans cette requête, la BCE avait adopté la décision de placement sous administration temporaire en violation de ladite disposition.

114 Partant, la question de savoir si Mme Corneli était, ou non, en mesure d’avancer utilement ledit argument sans avoir accès au texte intégral de la décision de placement sous administration temporaire, puisqu’elle n’avait obtenu ce document qu’après le dépôt de sa requête, est sans pertinence.

115 Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir violé l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure, en omettant d’écarter d’office comme étant irrecevable, pour cause de tardiveté, l’argument de Mme Corneli mentionné au point 112 du présent arrêt. Par conséquent, il convient d’écarter le deuxième moyen de pourvoi de la Commission comme étant non fondé.

Sur le second moyen de pourvoi de la BCE ainsi que sur les troisième et quatrième moyens de pourvoi de la Commission

Argumentation des parties

116 La BCE, par son second moyen de pourvoi, et la Commission, par son troisième moyen de pourvoi, font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la BCE avait violé l’article 70 du texte unique bancaire en adoptant les décisions litigieuses.

117 En premier lieu, la Commission fait valoir qu’il convient de lire le membre de phrase « en cas de violation ou irrégularité visées à l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), [du texte unique bancaire] », figurant à l’article 70, paragraphe 1, de ce texte, en ce sens qu’il couvre non seulement la « violation grave de dispositions législatives, réglementaires ou statutaires » ainsi que les « graves irrégularités dans le cadre de l’administration », mais aussi la « détérioration de la
situation de la banque ou du groupe bancaire [...] particulièrement significative », également visée par l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), du texte unique bancaire.

118 En deuxième lieu, la BCE et la Commission soutiennent qu’une interprétation contextuelle et systématique des dispositions en cause plaide également en ce sens que le renvoi à l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), du texte unique bancaire, opéré à l’article 70, paragraphe 1, de ce texte, couvre aussi le cas d’une détérioration particulièrement significative de la situation de la banque concernée. En effet, il existerait une suite logique entre le « limogeage », au sens de la première
de ces dispositions, et la « dissolution », au sens de la seconde, des organes d’administration ou de contrôle d’une banque. Il serait, dès lors, déraisonnable de considérer que, en cas de détérioration particulièrement significative de la situation d’une banque, le législateur italien ait entendu autoriser uniquement la première mesure et non pas la seconde.

119 En troisième lieu, la BCE et la Commission considèrent que l’interprétation de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire qu’elles défendent est confirmée par la genèse de cette disposition ainsi que par les travaux préparatoires y afférents. Cette interprétation correspondrait, en outre, à l’objectif poursuivi par le législateur italien ainsi qu’à la nécessité de respecter la Constitution de la République italienne. En effet, l’article 70, paragraphe 1, du texte unique
bancaire résulterait d’une modification introduite par un décret législatif du 16 novembre 2015, adopté par le gouvernement italien sur la base d’une délégation conférée par le Parlement italien, pour assurer la transposition des directives de l’Union. Il ressortirait de la jurisprudence constante de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) que, en exerçant cette délégation, ce gouvernement est tenu de respecter scrupuleusement l’ensemble du droit de l’Union. Par ailleurs, la BCE
et la Commission soulignent que l’interprétation de l’article 70 du texte unique bancaire qu’elles défendent est aussi confirmée par la jurisprudence des juridictions italiennes.

120 Par son quatrième moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que le Tribunal a violé le droit de l’Union et, plus particulièrement, l’article 288, troisième alinéa, TFUE en excluant, aux points 105 à 107 de l’arrêt attaqué, toute possibilité d’interpréter l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire de manière conforme à l’article 29 de la directive 2014/59. Selon la Commission, la référence, au point 105 de cet arrêt, à une interprétation contra legem du droit national est « discutable
sur le plan sémantique », l’expression « contra legem » n’étant pas applicable lorsqu’il est question d’interpréter la portée d’un renvoi opéré par une disposition à une autre disposition, comme c’est le cas de l’article 70 du texte unique bancaire, qui renvoie à l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), de ce texte.

121 La Commission fait valoir que, pour apprécier si l’interprétation d’une disposition de droit national revêt un caractère contra legem, il faut tenir compte non seulement de l’interprétation littérale de la disposition concernée, mais aussi des autres critères d’interprétation ainsi que du droit national dans son ensemble. Or, selon la Commission, il ne fait aucun doute que, sur la base des règles d’interprétation reconnues en droit italien, l’article 70 du texte unique bancaire peut être
interprété de manière conforme à la directive 2014/59.

122 La République italienne soutient l’interprétation des dispositions pertinentes du droit italien défendue par la BCE et par la Commission. Selon elle, la notion de « graves pertes patrimoniales », au sens de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, constitue l’un des types de « détérioration particulièrement significative de la situation d’une banque », au sens de l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, de ce texte, de telle sorte que la BCE était en droit de se référer, dans les
décisions litigieuses, à la seconde notion, plus générale, plutôt qu’à la première.

123 Mme Corneli fait valoir que les présents moyens doivent être écartés comme étant irrecevables, dès lors que la BCE et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir fait une application prétendument erronée non pas du droit de l’Union, mais du droit italien. Or, au stade du pourvoi, le contrôle, par la Cour, de l’interprétation du droit national retenue par le Tribunal serait limité à la vérification que ce dernier n’a pas dénaturé ce droit, ce qui ne serait pas soutenu en l’espèce.

124 Quant au fond, Mme Corneli conteste l’interprétation de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire défendue par la BCE et par la Commission. Elle considère que, conformément aux règles d’interprétation du droit italien, la priorité doit être accordée à l’interprétation littérale de cette disposition. Elle ajoute que l’interprétation défendue par la BCE et par la Commission n’est pas confirmée par la jurisprudence italienne.

125 Mme Corneli considère, en outre, que la directive 2014/59 a été correctement transposée dans le droit italien. Conformément au principe de proportionnalité, cette directive instaurerait une gradation des mesures d’intervention de l’autorité compétente dans la gestion d’une banque, prévoyant la destitution de la direction générale ou de l’organe de direction d’un établissement bancaire dans des situations moins graves que celles dans lesquelles la nomination d’un ou de plusieurs administrateurs
temporaires serait justifiée. L’argumentation de la BCE et de la Commission méconnaîtrait le libellé clair de l’article 29, paragraphe 1, de ladite directive, lequel établirait une distinction entre les situations justifiant la destitution de la direction générale ou de l’organe de direction d’un établissement bancaire et celles justifiant la nomination d’un ou de plusieurs administrateurs temporaires.

126 Mme Corneli ajoute que la directive 2014/59 procède seulement à une harmonisation minimale et fait observer que la Commission, qui s’était vu notifier les dispositions du droit italien transposant cette directive, n’a pas engagé de procédure en manquement contre la République italienne, ce qui aurait été le cas si cette transposition n’avait pas été correctement effectuée. Quand bien même cela aurait été le cas, Mme Corneli estime que cette circonstance ne saurait justifier une interprétation de
l’article 70 du texte unique bancaire contraire à son libellé.

Appréciation de la Cour

127 La BCE, par son second moyen de pourvoi, ainsi que la Commission, par ses troisième et quatrième moyens de pourvoi, font valoir, en substance, que le Tribunal a erronément considéré, aux points 107 et 108 de l’arrêt attaqué, que la BCE avait, afin d’appliquer en l’espèce l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, procédé à une interprétation contra legem de cette disposition nationale et, partant, méconnu la limite prévue par le droit de l’Union à l’obligation d’interpréter ladite
disposition de manière conforme à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2014/59.

128 S’agissant de la recevabilité de ces moyens, il convient de rappeler que la compétence de la Cour statuant sur un pourvoi formé contre une décision rendue par le Tribunal est définie par l’article 256, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Celui-ci indique que le pourvoi doit être limité aux questions de droit et qu’il doit s’inscrire « dans les conditions et limites prévues par le statut ». Dans une liste énumérative des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre, l’article 58, premier alinéa,
du statut de la Cour de justice de l’Union européenne précise que le pourvoi peut être fondé sur la violation du droit de l’Union par le Tribunal (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 46).

129 Or, la question, soulevée par lesdits moyens, de savoir si le Tribunal a méconnu le droit de l’Union en considérant que la BCE avait excédé les limites de l’obligation, lui incombant en vertu de ce droit, de procéder à une interprétation conforme du droit national revient à solliciter de la Cour une appréciation portant sur l’existence d’une violation du droit de l’Union par le Tribunal. Il s’agit donc d’une question de droit soumise comme telle au contrôle de la Cour saisie d’un pourvoi.

130 Partant, contrairement à ce que fait valoir Mme Corneli, ces mêmes moyens sont recevables.

131 Quant au fond, il ressort du point 2 de l’arrêt attaqué que Banca Carige était soumise à la surveillance prudentielle directe de la BCE. Cette dernière, en adoptant les décisions litigieuses, s’est fondée, ainsi que le confirme le point 111 de l’arrêt attaqué, sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013.

132 Conformément à l’article 4, paragraphe 3, première phrase, de ce règlement, aux fins de l’accomplissement des missions qui lui sont confiées par ce dernier, au nombre desquelles figure la surveillance prudentielle de certains établissements de crédit, la BCE applique toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, lorsque celui-ci comporte des directives, le droit national transposant ces directives. Aux termes de la seconde phrase de cet article 4, paragraphe 3, lorsque le droit
pertinent de l’Union comporte des règlements et que ces règlements laissent expressément aux États membres un certain nombre d’options, la BCE applique également la législation nationale faisant usage de ces options.

133 Il ressort ainsi d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013 que l’application, par la BCE, du droit national vise à respecter les choix opérés par le législateur national dans le cadre établi par les dispositions pertinentes du droit de l’Union, que celles‑ci figurent dans des règlements ou dans des directives.

134 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en appliquant leur droit interne à la situation d’une banque qui ne relève pas de la surveillance prudentielle directe de la BCE, les autorités administratives et judiciaires d’un État membre chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences respectives, les dispositions du droit de l’Union ont, selon une jurisprudence constante, l’obligation d’assurer le plein effet de ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21,
EU:C:2022:790, point 41 et jurisprudence citée).

135 En particulier, lorsque le droit de l’Union applicable comporte des directives, le principe d’interprétation conforme implique, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 103 de l’arrêt attaqué, l’exigence d’interpréter le droit national dans toute la mesure possible en tenant compte du texte et de la finalité de ces directives, afin d’atteindre le résultat visé par celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, T Danmark et Y Denmark, C‑116/16 et C‑117/16, EU:C:2019:135, point 87 et
jurisprudence citée).

136 De même, la BCE est tenue, lorsque, conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013, elle applique à une banque relevant, à l’instar de Banca Carige, de sa surveillance prudentielle directe une réglementation nationale transposant une directive, de procéder à une interprétation des dispositions de cette réglementation sur lesquelles elle s’appuie qui soit conforme à cette directive.

137 Ainsi qu’il l’a lui-même souligné au point 103 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il est conduit, comme en l’espèce, à faire application du droit national, le Tribunal a la même obligation d’interprétation conforme de ce droit, en tenant compte de la directive que celui‑ci est censé transposer.

138 Comme le Tribunal l’a aussi rappelé au point 105 de l’arrêt attaqué, l’obligation pour le juge de tenir compte du contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique ainsi que de non‑rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (voir arrêts du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, EU:C:2005:386,
points 44 et 47, ainsi que du 21 décembre 2023, BMW Bank e.a., C‑38/21, C‑47/21 et C‑232/21, EU:C:2023:1014, point 222 et jurisprudence citée).

139 C’est au regard des considérations exposées aux points 132 à 138 du présent arrêt ainsi que de la nécessité de respecter la primauté du droit de l’Union et l’exigence d’une application uniforme de celui‑ci, dans le contexte de l’exercice, par la BCE, des compétences que lui confère le règlement no 1024/2013, que la notion d’« interprétation contra legem » doit être appréhendée.

140 Par ailleurs, il convient de présumer que, lorsque des dispositions internes ont été spécialement introduites en vue de transposer une directive, l’État membre concerné a eu l’intention d’exécuter pleinement les obligations découlant de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 112 et jurisprudence citée).

141 Par conséquent, l’interdiction, résultant de la jurisprudence citée au point 138 du présent arrêt, d’une interprétation contra legem du droit national ne couvre que l’hypothèse dans laquelle le droit national ne peut pas recevoir une application telle qu’il aboutit à un résultat compatible avec celui visé par la disposition du droit de l’Union concernée (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 76 et jurisprudence citée).

142 En l’espèce, il ressort des points 107 et 108 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a, en substance, estimé que la BCE avait méconnu la limite, fixée par le droit de l’Union, d’une interprétation de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire conforme à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2014/59, en procédant à une interprétation contra legem de la disposition nationale en cause.

143 Il appartient, dès lors, à la Cour d’examiner si, par ces motifs, le Tribunal a violé le droit de l’Union, comme le font valoir la BCE, par son second moyen de pourvoi, et la Commission, par ses troisième et quatrième moyens de pourvoi.

144 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la directive 2014/59 prévoit l’obligation des États membres de veiller à ce que les autorités compétentes puissent exiger la destitution, en bloc ou à titre individuel, de la direction générale ou de l’organe de direction d’un établissement bancaire, notamment si la situation financière de cet établissement « se détériore de façon significative ».

145 L’article 29, paragraphe 1, de cette directive dispose, pour sa part, que si le remplacement de la direction générale ou de l’organe de direction visés à l’article 28 de celle-ci est jugé insuffisant par l’autorité compétente pour remédier à une telle situation, les États membres veillent à ce que cette autorité puisse nommer un ou plusieurs administrateurs temporaires pour l’établissement.

146 Il ressort ainsi d’une lecture combinée de ces deux dispositions que les États membres doivent veiller à ce que, lorsque la situation d’un établissement bancaire se détériore de façon significative, l’autorité compétente puisse notamment, en fonction de cette situation, soit se limiter à exiger la destitution, en bloc ou à titre individuel, de la direction générale ou de l’organe de direction, soit nommer également un ou plusieurs administrateurs temporaires.

147 Il découle de l’article 9, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, et paragraphe 2, du règlement no 1024/2013 que, aux fins de l’accomplissement des missions que lui confie, notamment, l’article 4, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, la BCE est considérée comme l’« autorité compétente », investie de l’ensemble des pouvoirs incombant à de telles autorités en vertu des dispositions pertinentes du droit de l’Union, et qu’elle doit exercer ces pouvoirs conformément aux actes visés à l’article 4,
paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement.

148 À cet égard, s’agissant de l’argument de Mme Corneli tiré, en substance, de la nécessité de prévoir, dans le respect du principe de proportionnalité, une « gradation » des mesures d’intervention de l’autorité compétente dans la gestion d’un établissement bancaire, il y a lieu de constater que le système de mesures d’intervention prévu aux articles 27 à 29 de la directive 2014/59 respecte ce principe.

149 Pour ce qui concerne, plus particulièrement, la mesure d’administration temporaire prévue à l’article 29, paragraphe 1, de cette directive, il ressort de cette disposition que cette mesure peut être adoptée seulement après que la mesure moins contraignante prévue à l’article 28 de ladite directive, à savoir le remplacement de la direction générale ou de l’organe de direction de l’établissement bancaire concerné, a été jugée insuffisante au vu de la situation de ce dernier.

150 Il ressort des points 144 à 149 du présent arrêt que, en transposant la directive 2014/59 dans son ordre juridique interne, le législateur national doit prévoir la possibilité, pour l’autorité compétente, de mettre en place une administration temporaire d’un établissement bancaire, notamment en cas de détérioration significative de la situation de cet établissement.

151 Partant, conformément au principe d’interprétation conforme et à la jurisprudence de la Cour visée aux points 134 et 135 du présent arrêt, les dispositions pertinentes du droit national doivent, dans toute la mesure possible, être interprétées de manière à atteindre ce résultat.

152 En l’espèce, certes, ainsi qu’il ressort des points 92 à 95 de l’arrêt attaqué, l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), du texte unique bancaire, relatif au « limogeage », à savoir à la destitution des organes d’administration ou de contrôle d’une banque, d’une part, et l’article 70, paragraphe 1, de ce texte, relatif à l’administration temporaire d’une banque, d’autre part, prévoient des conditions d’application libellées en des termes pour partie différents.

153 En particulier, si la détérioration particulièrement significative de la situation d’une banque figure parmi les conditions alternatives justifiant la destitution des organes d’administration ou de contrôle d’une banque, prévues à l’article 69 octiesdecies, paragraphe 1, sous b), du texte unique bancaire, elle ne figure pas, en ces termes, parmi les conditions d’application de l’article 70, paragraphe 1, de ce texte, relatif à l’administration temporaire d’une banque.

154 Toutefois, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 107 et 108 de l’arrêt attaqué, il ne saurait être déduit de cette seule circonstance qu’une interprétation de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire conforme à l’article 29 de la directive 2014/59, en ce sens que cette disposition trouve à s’appliquer en cas de détérioration significative de la situation d’une banque, revêtirait pour autant un caractère contra legem, au sens de la jurisprudence de la Cour citée aux
points 138 et 141 du présent arrêt.

155 En effet, une telle interprétation ne contrevient pas à ladite disposition , dès lors que, ainsi que le Tribunal l’a lui-même constaté au point 93 de l’arrêt attaqué, parmi les conditions alternatives justifiant l’application de la même disposition, figure celle tenant au fait que « de graves pertes patrimoniales » d’une banque « sont attendues ».

156 Or, la notion de « détérioration significative » de la situation d’une banque, pertinente dans le cadre de l’article 29 de la directive 2014/59, et celle d’attente de « graves pertes patrimoniales », figurant à l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, constituent des notions juridiques formulées en des termes généraux et proches.

157 En effet, une détérioration de la situation d’une banque implique nécessairement l’éventualité, dans un futur proche, de pertes patrimoniales de celle‑ci, lesquelles, si la détérioration est « significative », sont susceptibles d’être qualifiées de « graves ». Inversement, s’il peut être escompté qu’une banque subisse de graves pertes patrimoniales, cela ne peut que signifier que la situation de cette banque connaît une détérioration susceptible d’être qualifiée de « significative ».

158 Il s’ensuit que, en considérant, en substance, aux points 107 et 108 de l’arrêt attaqué, que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire ne saurait, en droit italien, servir de fondement à l’adoption d’une mesure de placement sous administration temporaire d’une banque confrontée à une détérioration significative de sa situation, sans que soit violée l’interdiction d’une interprétation contra legem du droit national, au sens de la jurisprudence citée aux points 138 et 141 du présent
arrêt, le Tribunal a commis une erreur de droit.

159 Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ni les autres griefs formulés par la BCE à l’appui de son second moyen de pourvoi, ni ceux avancés par la Commission à l’appui des troisième et quatrième moyens de son pourvoi, ni le cinquième moyen de pourvoi de cette dernière, il convient d’accueillir les pourvois et d’annuler l’arrêt attaqué.

Sur le recours devant le Tribunal

160 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

161 En l’espèce, le litige est en état d’être jugé en ce qui concerne, d’une part, l’exception d’irrecevabilité du recours en première instance, soulevée par la BCE, soutenue par la Commission, et, d’autre part, le quatrième moyen de ce recours, en ce qu’il est tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la base juridique retenue pour adopter les décisions litigieuses.

162 En ce qui concerne, en premier lieu, l’exception d’irrecevabilité du recours en première instance soulevée par la BCE, tirée de ce que Mme Corneli n’est pas directement et individuellement concernée par les décisions litigieuses et ne dispose pas de l’intérêt requis pour demander l’annulation de ces dernières, il y a lieu de considérer, pour les mêmes motifs que ceux retenus par le Tribunal aux points 33 à 83 de l’arrêt attaqué, ainsi que pour les motifs figurant aux points 62 à 105 du présent
arrêt, par lesquels la Cour a rejeté comme étant non fondés les premiers moyens de pourvoi respectifs de la BCE et de la Commission, que l’intéressée est bien directement et individuellement concernée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par les décisions litigieuses et qu’elle dispose d’un intérêt à agir contre ces décisions. Partant, l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.

163 En second lieu, par le quatrième moyen de son recours, Mme Corneli fait valoir, notamment, que la BCE a commis une erreur de droit en fondant les décisions litigieuses sur l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, alors que cette disposition ne vise pas la situation invoquée pour justifier le placement de Banca Carige sous administration temporaire, à savoir la « détérioration significative » de la situation de cette banque.

164 À cet égard, il ressort des points 144 à 158 du présent arrêt que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire doit faire l’objet d’une interprétation conforme à l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2014/59.

165 D’une part, la « détérioration significative » de la situation d’une banque ne figure certes pas, en ces termes, parmi les conditions alternatives mentionnées à l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire comme étant susceptibles de justifier la mise en œuvre de cette disposition.

166 Néanmoins, ainsi qu’il a été relevé aux points 157 et 158 du présent arrêt, la notion de « détérioration significative » de la situation d’une banque est proche de la condition d’application de l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire, tenant à ce que « de graves pertes patrimoniales sont attendues ».

167 D’autre part, il y a lieu de tenir compte du fait que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire fait partie d’un ensemble de dispositions visant à permettre le redressement de banques en difficulté.

168 Par ailleurs, il est constant que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire est issu d’une modification de la législation italienne en vertu d’un décret législatif adopté avec l’objectif exprès de transposer dans le droit italien la directive 2014/59.

169 Dans ces conditions, il convient de considérer que l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire doit être interprété en ce sens que la condition tenant au fait que l’on puisse s’attendre à ce que la banque concernée subisse de graves pertes patrimoniales est remplie en cas de détérioration significative de sa situation et, partant, justifie le placement de cette banque sous administration temporaire.

170 Il s’ensuit que la BCE n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant, pour adopter les décisions litigieuses, sur l’article 70, paragraphe 1, du texte unique bancaire et que, partant, le quatrième moyen du recours en première instance, en ce qu’il est tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la base juridique retenue pour adopter les décisions litigieuses, doit être rejeté comme étant non fondé.

171 Pour le surplus, le litige n’est pas en état d’être jugé, les autres moyens et arguments invoqués par Mme Corneli à l’appui de son recours n’ayant pas été examinés par le Tribunal.

172 Par conséquent, il y a lieu de renvoyer le litige devant le Tribunal pour qu’il statue sur ces moyens.

Sur les dépens

173 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents aux présents pourvois.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

  1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 octobre 2022, Corneli/BCE (T‑502/19, EU:T:2022:627), est annulé.

  2) Le recours introduit par Mme Francesca Corneli tendant à l’annulation de la décision ECB-SSM-2019-ITCAR-11 de la Banque centrale européenne (BCE), du 1er janvier 2019, plaçant Banca Carige SpA sous administration temporaire ainsi que de la décision ECB-SSM-2019-ITCAR-13 de la BCE, du 29 mars 2019, prorogeant jusqu’au 30 septembre 2019 la durée du placement sous administration temporaire, est recevable.

  3) Le quatrième moyen du recours en première instance, en ce qu’il est tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la base juridique retenue pour adopter les décisions litigieuses, est rejeté. L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les autres moyens et arguments avancés à l’appui de ce recours.

  4) Les dépens sont réservés.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-777/22
Date de la décision : 15/07/2025
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Politique économique et monétaire – Directive 2014/59/UE – Redressement et résolution des établissements de crédit – Articles 27 à 29 – Mesures d’intervention précoce – Règlement (UE) no 1024/2013 – Mécanisme de surveillance unique – Article 4, paragraphe 3 – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de placer une banque sous administration temporaire – Recours en annulation formé par un actionnaire – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Personne physique directement et individuellement concernée par un acte d’une institution de l’Union européenne – Achèvement du placement sous administration temporaire – Persistance de l’intérêt à agir – Application du droit de l’Union et du droit national par la BCE – Obligation d’interprétation conforme du droit national.


Parties
Demandeurs : Banque centrale européenne et Commission européenne
Défendeurs : Francesca Corneli.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:580

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