ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
10 juillet 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Propriété intellectuelle – Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins – Directive 2006/115/CE – Article 8, paragraphe 2 – Radiodiffusion et communication au public – Directive 2014/26/UE – Article 16, paragraphe 2, second alinéa – Octroi de licences – Radiodiffusion – Notions de “rémunération équitable” et de “rémunération appropriée” – Critères d’appréciation du caractère équitable ou approprié – Article 17, paragraphe 2, et
article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit fondamental à la protection de la propriété intellectuelle – Portée et interprétation des droits et des principes – Réglementation nationale abrogeant un système de rémunération minimale forfaitaire »
Dans l’affaire C‑37/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 23 mai 2023, parvenue à la Cour le 19 janvier 2024, dans la procédure
Uniunea Producătorilor de Fonograme din România (UPFR)
contre
DADA Music SRL,
en présence de :
Asociaţia Radiourilor Locale şi Regionale (ARLR),
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele (rapporteure) et M. S. Gervasoni, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : Mme R. I. Şereş, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour l’Uniunea Producătorilor de Fonograme din România (UPFR), par Mes G. Cracea et A. Strătulă, avocaţi,
– pour DADA Music SRL, par Me M.-C. Furtună, avocat,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, L. Ghiţă et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, par Mme D. Elkan, M. M. D. B. Jespersen et Mme C. A.‑S. Maertens, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. A. Biolan et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 2006, L 376, p. 28), et de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, concernant la gestion
collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur (JO 2014, L 84, p. 72), lus en combinaison avec les articles 17 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Uniunea Producătorilor de Fonograme din România (UPFR) [Union des producteurs de phonogrammes de Roumanie (UPFR)], un organisme de gestion collective des droits voisins des producteurs de phonogrammes, à DADA Music SRL, l’exploitante d’une station de radio locale, au sujet du paiement par cette dernière d’une rémunération minimale forfaitaire.
Le cadre juridique
Le droit international
La convention de Berne
3 La convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne »), qui a été signée par tous les États membres, prévoit, à son article 11 bis, paragraphes 1 et 2 :
« 1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser :
1° la radiodiffusion de leurs œuvres ou la communication publique de ces œuvres par tout autre moyen servant à diffuser sans fil les signes, les sons ou les images ;
[...]
2) Il appartient aux législations des pays de l’Union [instituée par cette convention] de régler les conditions d’exercice des droits [des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques] [...] Elles ne pourront en aucun cas porter atteinte au droit [...] qui appartient à l’auteur d’obtenir une rémunération équitable fixée, à défaut d’accord amiable, par l’autorité compétente. »
Le TIEP
4 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (ci-après le « TIEP »). Ces traités ont été approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les
interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (JO 2000, L 89, p. 6), et sont entrés en vigueur, en ce qui concerne l’Union, le 14 mars 2010.
5 L’article 15 du TIEP, intitulé « Droit à rémunération au titre de la radiodiffusion et de la communication au public », stipule, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1) Les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes ont droit à une rémunération équitable et unique lorsque des phonogrammes publiés à des fins de commerce sont utilisés directement ou indirectement pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public.
2) Les Parties contractantes peuvent prévoir dans leur législation nationale que la rémunération équitable unique doit être réclamée à l’utilisateur par l’artiste interprète ou exécutant ou par le producteur du phonogramme, ou par les deux. Les Parties contractantes peuvent adopter des dispositions législatives fixant les conditions de répartition de la rémunération équitable unique entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes faute d’accord entre les
intéressés. »
Le droit de l’Union
La directive 2006/115
6 Les considérants 5, 7 et 12 de la directive 2006/115 énoncent :
« (5) La continuité du travail créateur et artistique des auteurs et artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié et les investissements, en particulier ceux qu’exige la production de phonogrammes et de films, sont extrêmement élevés et aléatoires. Seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits concernés permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d’amortir ces investissements.
[...]
(7) Il convient de rapprocher les législations des États membres dans le respect des conventions internationales sur lesquelles sont fondées les législations relatives au droit d’auteur et aux droits voisins de nombreux États membres.
[...]
(12) Il est nécessaire d’introduire un régime qui assure une rémunération équitable, à laquelle il ne peut être renoncé, aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants, qui doivent conserver la possibilité de confier la gestion de ce droit à des sociétés de gestion collective qui les représentent. »
7 L’article 8 de cette directive, intitulé « Radiodiffusion et communication au public », dispose, à son paragraphe 2 :
« Les États membres prévoient un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés. Ils peuvent, faute
d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération. »
La directive 2014/26
8 Les considérants 2 et 31 de la directive 2014/26 énoncent :
« (2) [...] Il appartient normalement au titulaire de droits de choisir entre la gestion individuelle ou collective de ses droits, à moins que les États membres n’en disposent autrement, conformément au droit de l’Union et aux obligations internationales de l’Union et de ses États membres. [...]
[...]
(31) [...] Il convient d’imposer que la redevance de licence ou la rémunération déterminée par les organismes de gestion collective soit raisonnable par rapport, entre autres, à la valeur économique de l’utilisation des droits dans un contexte particulier. [...] »
9 L’article 12 de cette directive, intitulé « Déductions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’un titulaire de droits autorise un organisme de gestion collective à gérer ses droits, l’organisme de gestion collective soit tenu de fournir au titulaire de droits des informations concernant les frais de gestion et autres déductions effectuées sur les revenus provenant des droits et sur toute recette résultant de l’investissement des revenus provenant des droits, avant d’obtenir son consentement pour gérer ses droits. »
10 L’article 16 de ladite directive, intitulé « Octroi de licences », dispose, à son paragraphe 2, second alinéa :
« Les titulaires de droits perçoivent une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs droits. Les tarifs appliqués pour les droits exclusifs et les droits à rémunération sont raisonnables, au regard, entre autres, de la valeur économique de l’utilisation des droits négociés, compte tenu de la nature et de l’ampleur de l’utilisation des œuvres et autres objets, ainsi qu’au regard de la valeur économique du service fourni par l’organisme de gestion collective. Les organismes de gestion
collective informent l’utilisateur concerné des critères utilisés pour fixer ces tarifs. »
11 L’article 17 de la même directive, intitulé « Obligations des utilisateurs », est rédigé comme suit :
« Les États membres adoptent des dispositions pour veiller à ce que les utilisateurs fournissent à l’organisme de gestion collective, dans un format et un délai convenus ou préétablis, les informations pertinentes dont ils disposent concernant l’utilisation des droits représentés par l’organisme de gestion collective qui sont nécessaires à la perception des revenus provenant des droits et à la distribution et au versement des sommes dues aux titulaires de droits. [...] »
Le droit roumain
La loi sur le droit d’auteur
12 L’article 112 de la Legea nr. 8/1996 privind dreptul de autor și drepturile conexe) (loi no 8/1996, sur le droit d’auteur et les droits connexes), du 14 mars 1996 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 60 du 26 mars 1996, republiée au Monitorul Oficial al României, partie I, no 489 du 14 juin 2018, ci-après la « loi sur le droit d’auteur »), dispose :
« 1. Les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes ont droit à une rémunération unique et équitable pour l’utilisation directe ou indirecte de phonogrammes publiés à des fins commerciales ou pour leur reproduction par radiodiffusion ou par tout moyen de communication au public.
2. Le montant de cette rémunération est déterminé par des méthodologies, conformément à la procédure prévue aux articles 163 à 165.
[...] »
13 L’article 145 de la loi sur le droit d’auteur prévoit :
« La gestion collective est obligatoire pour l’exercice des droits suivants :
[...]
c) le droit de radiodiffusion des œuvres musicales ;
d) le droit à une rémunération équitable unique reconnu aux artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes pour la communication au public et la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins commerciales ou de reproductions de ces phonogrammes ;
[...] »
14 L’article 164 de cette loi se lit comme suit :
« 1. La méthodologie est négociée par les organismes de gestion collective avec les représentants visés à l’article 163, paragraphe 3, sous b) et c), dans le respect des critères principaux suivants :
a) la catégorie des titulaires de droits, les types d’œuvres et autres objets protégés, ainsi que le domaine dans lequel la négociation est menée ;
b) la catégorie d’utilisateurs représentés dans les négociations par les structures associatives ou par les autres utilisateurs désignés pour négocier ;
c) le répertoire géré par l’organisme de gestion collective, pour ses propres membres ainsi que pour les membres d’autres organismes étrangers similaires, sur la base de contrats de réciprocité ;
d) la proportion dans laquelle est utilisé le répertoire géré par un organisme de gestion collective ;
e) la proportion des utilisations pour lesquelles l’utilisateur a rempli ses obligations de paiement par des contrats passés directement avec les titulaires de droits ;
f) les revenus tirés par les utilisateurs de l’activité qui utilise le répertoire pour l’utilisation duquel les méthodologies sont négociées ;
g) la pratique européenne concernant les résultats des négociations entre les utilisateurs et les organismes de gestion collective.
2. Les organismes de gestion collective peuvent, dans le cadre de négociations, demander à la même catégorie d’utilisateurs soit des rémunérations forfaitaires soit des rémunérations en pourcentage des recettes tirées par chaque utilisateur de l’activité dans le cadre de laquelle le répertoire est utilisé ou, en l’absence de recettes, des dépenses encourues dans le cadre de son utilisation. Pour l’activité de radiodiffusion, les organismes de gestion collective ne peuvent demander que des
rémunérations en pourcentage, différenciées de manière directement proportionnelle à la part de l’utilisation par chaque utilisateur, organisme de télédiffusion ou de radiodiffusion, du répertoire géré collectivement dans le cadre de cette activité.
3. Les rémunérations prévues au paragraphe 2 doivent être raisonnables au regard de la valeur économique et de la part de l’utilisation des droits en question, compte tenu de la nature et de l’ampleur de l’utilisation des œuvres et autres objets protégés, ainsi qu’au regard de la valeur économique du service fourni par l’organisme de gestion collective. Les organismes de gestion collective et les utilisateurs doivent motiver le mode de fixation de ces rémunérations. »
15 Aux termes de l’article 166 de ladite loi :
« 1. Les organismes de gestion collective, les utilisateurs ou les structures associatives des utilisateurs visés à l’article 163, paragraphe 3, sous b) et c), peuvent présenter une nouvelle demande d’ouverture des procédures de négociation des tarifs et des méthodologies seulement trois ans après leur publication en version définitive au Monitorul Oficial al României, partie I.
2. Dans le cas des négociations prévues à l’article 114, paragraphe 4, l’une ou l’autre des parties peut présenter une nouvelle demande d’ouverture de procédures de négociation des méthodologies seulement trois ans après leur publication en version définitive au Monitorul Oficial al României, partie I.
3. Jusqu’à la publication des nouvelles méthodologies, les anciennes méthodologies restent valables. »
La loi no 74/2018
16 L’article II de la Legea nr. 74/2018 pentru modificarea si completarea legii nr. 8/1996 privind dreptul de autor și drepturile conexe (loi no 74/2018 modifiant et complétant la loi no 8/1996 sur le droit d’auteur et les droits connexes), du 22 mars 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 268 du 27 mars 2018), en vigueur depuis le 30 mars 2018, prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. Les méthodologies prévues à l’article 131 de la [loi sur le droit d’auteur], telle que modifiée et complétée, restent en vigueur jusqu’à l’expiration de la durée pour laquelle elles ont été conclues.
3. Les dispositions des méthodologies élaborées conformément aux articles 131 et 1311 de la [loi sur le droit d’auteur], telle que modifiée et complétée, qui prévoient des sommes/rémunérations fixes ou minimales applicables dans le cas de la radiodiffusion, contraires aux dispositions de l’article 1311, paragraphe 2, telles que modifiées par la présente loi, ne s’appliquent plus après l’expiration d’un délai de 90 jours à compter de la publication de la présente loi au Monitorul Oficial al
României, partie I. »
La méthodologie relative à la rémunération
17 La metodologia privind remunerația datorata artiștilor interpreți sau executanți și producătorilor de fonograme pentru radiodifuzarea fonogramelor publicate în scop comercial ori a reproducerilor acestora de către organismele de radiodifuziune (méthodologie relative à la rémunération des artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes pour la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins commerciales ou de leurs reproductions par les organismes de radiodiffusion,
ci-après la « méthodologie relative à la rémunération ») prévoit, à ses points 4 à 6 :
« 4. Les organismes de radiodiffusion, appelés “utilisateurs” aux fins de la présente méthodologie, sont tenus de verser trimestriellement aux organismes de gestion collective désignés par [l’Oficiul Român pentru Drepturile de Autor (Office roumain du droit d’auteur)] comme collecteurs pour le compte des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes une rémunération représentant des droits patrimoniaux voisins pour l’utilisation des phonogrammes commerciaux ou de leurs
reproductions, établis par l’application d’un pourcentage, conformément au tableau ci-dessous, à la base de calcul visé au point 5 de la méthodologie, pour chaque station de radio détenue.
Part de l’utilisation de phonogrammes commerciaux dans les programmes Artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes
Jusqu’à 35 % inclus 1,8 %
De 35 % à 65 % inclus 2,4 %
Au-delà de 65 % 3 %
Les organismes de radiodiffusion sont tenus de verser chaque trimestre aux organismes de gestion collective désignés par l’[Office roumain du droit d’auteur] comme collecteurs pour les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes une rémunération représentant des droits voisins patrimoniaux pour l’utilisation des phonogrammes publiés à des fins commerciales ou de leurs reproductions, calculée en appliquant au revenu mensuel brut total provenant de l’activité de
radiodiffusion un pourcentage de 3 % dans le cas d’une utilisation des phonogrammes à hauteur de 100 % du temps total d’émission des programmes. Dans le cas d’une utilisation moindre, le pourcentage de 3 % est réduit de manière directement proportionnelle à la part de l’utilisation des phonogrammes dans le temps total de diffusion des programmes.
[...]
5. La base de calcul à laquelle s’appliquent les pourcentages indiqués au point 3 est le revenu mensuel brut total, déduction faite de la taxe sur la valeur ajoutée, que les utilisateurs tirent de l’activité de radiodiffusion, y compris, mais sans s’y limiter, les recettes provenant de la publicité, du troc, des abonnements, des annonces et de l’information, des appels téléphoniques et des SMS surtaxés, du parrainage, des concours et jeux radiodiffusés, de la location d’espaces d’émission, des
autres contributions financières, des autorisations de réception, les recettes provenant de radiodiffusions effectuées sur commande, les recettes provenant d’associations ou d’autres activités liées à la radiodiffusion. Les recettes des sociétés tierces, notamment des sociétés de production et d’achat de publicité, sont également incluses dans la base de calcul dans la mesure où elles sont perçues pour l’activité de radiodiffusion de l’utilisateur correspondant au ou aux phonogrammes publié(s) à
des fins commerciales, radiodiffusé(s), et dans la mesure où il existe un transfert inéquitable, contraire aux pratiques honnêtes dans les relations commerciales, spécifiques au domaine en question.
En l’absence de recettes, la base de calcul est constituée par l’ensemble des dépenses encourues par l’utilisateur pour l’activité de radiodiffusion (telles que les frais de personnel, les frais pour des services fournis par des tiers, les achats de toute nature, etc.) au cours du trimestre pour lequel la rémunération est due.
6. Les montants résultant de l’application des pourcentages à la base de calcul ne peuvent être inférieurs à l’équivalent en [lei roumains] (RON), calculé au taux de change de la BNR [Banca Națională a României (Banque Nationale de Roumanie)] à la date d’échéance, de 500 euros/trimestre, représentant la rémunération minimale due par les utilisateurs pour chaque station de radio locale détenue, ou de 1000 euros/trimestre, représentant la rémunération minimale due par les utilisateurs pour chaque
station de radio nationale détenue. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 20 octobre 2011, l’UPFR, un organisme de gestion collective des droits voisins des producteurs de phonogrammes, a conclu avec DADA Music un contrat de licence non exclusive pour la radiodiffusion de phonogrammes commerciaux. En vertu de ce contrat, DADA Music a acquis le droit de diffuser de tels phonogrammes par l’intermédiaire de sa chaîne de radio, en assumant l’obligation corrélative de s’acquitter de la rémunération prévue par la méthodologie qui en fixe le calcul.
19 Ledit contrat prévoyait que, en fonction de la part de l’utilisation des phonogrammes dans les programmes radiophoniques, DADA Music était redevable à l’UPFR d’une rémunération en pourcentage, calculée sur l’ensemble de ses recettes ou, en l’absence de recettes, sur l’ensemble de ses dépenses pour l’activité de radiodiffusion.
20 Selon le même contrat, la rémunération ainsi due ne pouvait être inférieure à un montant forfaitaire correspondant à l’équivalent en lei roumains de 250 euros par trimestre, au titre de la rémunération minimale due par les utilisateurs pour chaque station de radio locale détenue, ou de 500 euros par trimestre, représentant la rémunération minimale forfaitaire due par les utilisateurs pour chaque station de radio nationale détenue, conformément à la méthodologie relative à la rémunération.
21 À la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 74/2018, qui a abrogé, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales applicables à la radiodiffusion, DADA Music a refusé de continuer à payer la rémunération forfaitaire, considérant que cette loi était immédiatement applicable et qu’elle n’était tenue de verser une rémunération qu’en fonction des recettes effectivement perçues.
22 L’UPFR, pour sa part, a soutenu que la rémunération minimale forfaitaire, calculée conformément à la méthodologie relative à la rémunération, restait due jusqu’à ce qu’une nouvelle méthodologie soit adoptée.
23 Le 24 juin 2019, l’UPFR a saisi le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) d’un recours par lequel elle a demandé que DADA Music soit condamnée à lui verser les sommes dues au titre du contrat de licence, conformément à la méthodologie relative à la rémunération.
24 Le 28 janvier 2022, ce tribunal a accueilli partiellement ce recours et a condamné DADA Music à verser à l’UPFR une somme de 16,13 RON (environ 3 euros) ainsi qu’une somme de 70,68 RON (environ 14 euros) à titre d’intérêts de retard. En substance, le tribunal a jugé que tant l’article 164, paragraphe 2, de la loi sur le droit d’auteur que l’article II de la loi no 74/2018 étaient applicables au litige au principal. Eu égard au fait que les dispositions relatives à la rémunération minimale
forfaitaire n’étaient plus en vigueur au cours de la période litigieuse, il a estimé que, pour cette période, seule était due une rémunération en pourcentage, afférente aux revenus effectivement perçus, à l’exclusion de toute rémunération minimale forfaitaire.
25 L’UPFR et DADA Music ont interjeté appel contre ce jugement devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.
26 Au soutien de son appel, l’UPFR a fait valoir, en substance, que les dispositions de l’article II de la loi no 74/2018 n’étaient applicables que dans le contexte de l’adoption d’une nouvelle méthodologie. Jusqu’à l’adoption d’une telle méthodologie, la méthodologie relative à la rémunération demeurerait pleinement applicable. Selon l’UPFR, si ces dispositions devaient être interprétées comme directement applicables en l’occurrence, celles-ci seraient contraires à l’article 8, paragraphe 2, de la
directive 2006/115 et à l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2014/26.
27 La juridiction de renvoi relève que se pose, en l’occurrence, la question de savoir si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, lus en combinaison avec les articles 17 et 52 de la Charte, s’opposent à une législation nationale qui n’assure pas une rémunération minimale forfaitaire aux titulaires de droits représentés par les organismes de gestion collective, indépendamment des recettes obtenues ou des dépenses
exposées par les organismes de radiodiffusion et de télévision.
28 À cet égard, cette juridiction fait observer, premièrement, que rien dans les dispositions précitées ne semble justifier une interprétation selon laquelle il serait obligatoire de prévoir une rémunération minimale forfaitaire.
29 Deuxièmement, ladite juridiction souligne que l’article II de la loi no 74/2018 abroge avec effet immédiat, au profit des radiodiffuseurs, une composante du système de rémunération applicable, sans modifier les critères de calcul de la rémunération et sans prévoir un délai maximal pour la conclusion de nouveaux accords en vue de la détermination du montant de la rémunération équitable, la situation existante étant modifiée en faveur des radiodiffuseurs, sans que soit prévu de système assurant que
les rémunérations dues au producteur de phonogrammes soient raisonnables.
30 Troisièmement, s’agissant du caractère équitable et raisonnable de la rémunération, la même juridiction s’interroge sur les critères qui peuvent être utilisés aux fins d’une telle appréciation, lesquels relèveraient du droit de l’Union. En particulier, elle cherche à savoir si, dans l’hypothèse où elle constate que la rémunération due en application des critères fixés dans la réglementation présente un caractère dérisoire, elle peut ou doit appliquer des critères alternatifs afin de garantir que
les titulaires de droits perçoivent une rémunération adéquate.
31 Dans ces conditions, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« [1)] L’article 8, paragraphe 2, de la directive [2006/115] ainsi que l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive [2014/26], lus en combinaison avec les articles 17 et 52 de la [Charte], doivent-ils être interprétés en ce sens que [...] [c]es dispositions s’opposent à une législation nationale qui n’assure pas une rémunération équitable minimale (forfaitaire) aux titulaires de droits (producteurs de phonogrammes) représentés par des organismes de gestion collective, indépendamment
des recettes obtenues ou des dépenses exposées par les organismes de radiodiffusion et de télévision ?
2) En cas de réponse négative à la première question, ces dispositions s’opposent-elles à une législation nationale qui supprime, avec effet immédiat, les rémunérations minimales (forfaitaires) établies conformément à une méthodologie préalablement négociée entre l’organisme de gestion collective et les utilisateurs, sans modifier les critères de calcul de la rémunération et sans prévoir un délai maximal pour la négociation de nouveaux accords (méthodologies) en vue de la détermination du montant
des rémunérations équitables ?
3) En cas de réponse négative aux deux premières questions, le juge national a-t-il le droit et, le cas échéant, l’obligation de vérifier si les rémunérations en pourcentage calculées par rapport aux recettes effectives déclarées par les organismes de radiodiffusion et de télévision ont un caractère équitable et raisonnable pour les titulaires de droits, d’une part, et pour les utilisateurs, d’autre part, ou, au contraire, si elles ont un caractère manifestement dérisoire ou, le cas échéant,
manifestement excessif et quels sont les critères qui peuvent être utilisés aux fins d’une telle appréciation ?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question, si la juridiction nationale constate que la rémunération due conformément à la méthodologie modifiée par la nouvelle législation nationale a un caractère dérisoire, a-t-elle le droit ou l’obligation d’appliquer des critères alternatifs à celui des recettes déclarées – tels que la détermination de la rémunération sur la base des dépenses exposées par les radiodiffuseurs pour l’activité de radiodiffusion, la rémunération versée par des
radiodiffuseurs similaires ou d’autres critères similaires – afin de garantir que les titulaires de droits reçoivent une rémunération adéquate, qui ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes des utilisateurs, c’est-à-dire qui n’est pas dérisoire, mais qui ne constitue pas non plus une charge excessive pour les organismes de radiodiffusion et de télévision ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
32 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 ainsi que l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de cette dernière, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne garantit pas une rémunération minimale
forfaitaire aux producteurs de phonogrammes au titre de la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce et qui abroge, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales forfaitaires applicables à la radiodiffusion établies par une méthodologie précédemment applicable, sans toutefois modifier les critères de calcul de la rémunération et sans prévoir de durée maximale pour l’adoption d’une nouvelle méthodologie visant à en
déterminer le montant.
33 À titre liminaire, il convient de relever que ni l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ni l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 ne renvoient au droit des États membres concernant le sens à donner aux notions qui y figurent.
34 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la
réglementation en cause (arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, EU:C:1984:11, point 11, et du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
35 En premier lieu, s’agissant du libellé des dispositions en cause, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 dispose que les États membres ont l’obligation de prévoir un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer
que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés. Les États membres peuvent, faute d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération.
36 Selon le libellé de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, les titulaires de droits perçoivent une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs droits. Les tarifs appliqués pour les droits exclusifs et les droits à rémunération doivent être raisonnables, au regard, entre autres, de la valeur économique de l’utilisation des droits négociés, compte tenu de la nature et de l’ampleur de l’utilisation des œuvres et autres objets, ainsi qu’au regard de la valeur
économique du service fourni par l’organisme de gestion collective. Il incombe aux organismes de gestion collective d’informer l’utilisateur concerné des critères utilisés pour fixer ces tarifs.
37 Ainsi, il ne ressort ni du libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ni de celui de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 que les États membres devraient garantir aux titulaires de droits une rémunération minimale forfaitaire au titre de la radiodiffusion d’un phonogramme publié à des fins de commerce, ces dispositions prévoyant, respectivement, que la rémunération doit être « équitable » ou « appropriée ». En effet, les termes « rémunération
minimale forfaitaire » impliquent, selon leur sens habituel dans le langage courant, une rémunération susceptible d’être dépourvue de tout lien avec la valeur économique de la prestation rémunérée, sans considération de son caractère équitable ou approprié.
38 À cet égard, d’une part, si, certes, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 se réfère à la notion de « rémunération équitable », tandis que l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 comporte les termes de « rémunération appropriée », force est de constater que ces dispositions ont, l’une et l’autre, pour objet de garantir le versement aux titulaires de droits d’une rémunération comportant un lien avec la valeur économique de la prestation fournie. D’autre
part, ainsi que la Cour l’a jugé, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les notions utilisées par les directives 2006/115 et 2014/26 doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l’Union n’ait exprimé, dans un contexte législatif précis, une volonté différente (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 28), de sorte que les notions de « rémunération équitable » et de « rémunération
appropriée », visées dans ces directives, doivent recevoir une interprétation uniforme.
39 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’insèrent l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, il y a lieu de rappeler que les dispositions de ces directives doivent être interprétées à la lumière du droit international, et en particulier du droit conventionnel que lesdites directives visent précisément à mettre en œuvre, ainsi que le rappelle le considérant 7 de cette première directive et, en substance,
le considérant 2 de la directive 2014/26 (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, C‑147/19, EU:C:2020:935, point 34).
40 Dans ce contexte, d’une part, l’article 15, paragraphe 1, du TIEP prévoit spécifiquement que les producteurs de phonogrammes ont droit à une rémunération équitable et unique lorsque des phonogrammes publiés à des fins de commerce sont utilisés pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public. La Cour a jugé que la transposition de cette obligation dans le droit de l’Union était, lors de l’entrée en vigueur du TIEP pour l’Union, à savoir le 14 mars 2010, d’ores et déjà assurée
par l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 (arrêt du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 63).
41 D’autre part, il y a lieu de constater que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 coïncident en substance avec l’article 11 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne, qui vise spécifiquement, au paragraphe 1 de cet article, la radiodiffusion des œuvres littéraires et artistiques. En effet, l’article 11 bis, paragraphe 2, de cette convention prévoit, en substance, que les auteurs d’œuvres littéraires et
artistiques disposent du droit d’obtenir, en cas de radiodiffusion de ces œuvres, une « rémunération équitable ». Or, lorsque la Cour procède à l’interprétation de cette notion, au sens de ces dispositions du droit de l’Union, celle-ci est opérée en conformité avec ladite disposition conventionnelle en vertu d’une jurisprudence constante (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2017, AKM, C‑138/16, EU:C:2017:218, point 21 et jurisprudence citée).
42 À cet égard, il ressort du « guide des traités sur le droit d’auteur et les droits connexes administrés par l’OMPI », un document interprétatif élaboré par l’OMPI qui, sans avoir force obligatoire de droit, contribue cependant à l’interprétation de la convention de Berne (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 201 ainsi que jurisprudence citée), que la rémunération peut être considérée comme équitable
seulement si elle correspond plus ou moins au montant du paiement dont l’auteur aurait pu convenir, après négociation, en l’absence d’une licence obligatoire.
43 En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par les directives 2006/115 et 2014/26, d’une part, les considérants 5 et 12 de la directive 2006/115 précisent, en substance, qu’une protection juridique appropriée des titulaires des droits doit garantir à ces titulaires la possibilité tant de percevoir une rémunération équitable, à laquelle il ne peut être renoncé, que d’amortir les investissements afférents notamment à la production de phonogrammes et de films. D’autre part, ainsi
qu’il ressort du considérant 31 de la directive 2014/26, la rémunération des titulaires de droits, lorsqu’elle est déterminée par un organisme de gestion collective, doit être raisonnable, par rapport, entre autres, à la valeur économique de l’utilisation des droits dans un contexte particulier.
44 Au regard de ces objectifs, les notions de « rémunération équitable » ou de « rémunération appropriée » doivent s’analyser comme visant à permettre d’atteindre un équilibre adéquat entre l’intérêt des producteurs de phonogrammes à percevoir une rémunération au titre de la radiodiffusion d’un phonogramme déterminé et l’intérêt des tiers à pouvoir radiodiffuser ce phonogramme dans des conditions raisonnables (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, EU:C:2003:68, point 36).
45 Cette rémunération, qui représente la contre-prestation de l’utilisation d’un phonogramme commercial, en particulier à des fins de radiodiffusion, implique que son caractère équitable soit, notamment, analysé au regard de la valeur de cette utilisation dans les échanges économiques (arrêt du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, EU:C:2003:68, point 37).
46 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, il n’appartient toutefois pas à cette dernière de se substituer aux États membres, qui disposent d’une marge d’appréciation pour fixer les critères d’une rémunération équitable ou de poser des limites générales et préétablies à la fixation de tels critères. En revanche, elle peut fournir à la juridiction de renvoi les éléments lui permettant d’apprécier si les critères nationaux servant à fixer la rémunération des producteurs de phonogrammes
sont de nature à assurer leur rémunération équitable dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, EU:C:2003:68, point 40).
47 C’est ainsi que la Cour a jugé que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ne s’oppose pas à un modèle de calcul de la rémunération équitable des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes pour autant, notamment, qu’il n’est contraire à aucun principe du droit de l’Union (arrêt du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, EU:C:2003:68, point 46).
48 Partant, la définition des critères au titre desquels est fixée la rémunération équitable ou appropriée doit s’opérer dans le respect du droit de l’Union. En particulier, les États membres ne sauraient méconnaître, ce faisant, les dispositions de la Charte.
49 Or, aux termes des première et deuxième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi s’interroge explicitement sur la compatibilité des modalités de détermination de la rémunération des titulaires de droits fixées par la loi no 74/2018, qui a abrogé, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales forfaitaires applicables à la radiodiffusion, avec l’article 17, paragraphe 2, de la Charte. Néanmoins, il convient de rappeler que,
en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, les dispositions de cette dernière s’adressent aux États membres seulement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
50 Afin de déterminer si une mesure nationale relève de la « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, il y a lieu de vérifier, parmi d’autres éléments, si la réglementation nationale en cause au principal a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union (arrêt du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
51 En l’occurrence, lorsque les titulaires de droits et les utilisateurs ne parviennent pas à un accord quant aux modalités de détermination de la rémunération de ces titulaires, celles-ci sont fixées par la loi no 74/2018 selon des critères que la Roumanie a définis dans l’exercice de la marge d’appréciation dont elle dispose à cet égard. Or, il paraît résulter de la décision de renvoi que les dispositions de cette loi constituent une mise en œuvre du droit de l’Union et, en particulier, de
l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de confirmer.
52 Dans de telles conditions, il appartiendrait à l’État membre de respecter les dispositions de la Charte et, en particulier, l’article 17 de celle-ci, lors de la mise en œuvre de ces dispositions.
53 À cet égard, il convient de souligner que l’article 17 de la Charte, qui s’inspire de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, prévoit, à son paragraphe 1, que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, et que nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus
par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. La protection de la propriété intellectuelle est explicitement mentionnée au paragraphe 2 de cet article, en raison de son importance, et les garanties prévues au paragraphe 1 s’appliquent, le cas échéant, à la propriété intellectuelle.
54 Il ressort de la jurisprudence que le droit à une rémunération équitable constitue, dans l’Union, un droit voisin du droit d’auteur et fait, dès lors, partie intégrante de la protection de la propriété intellectuelle consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 85 et jurisprudence citée).
55 L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 garantissant le droit à rémunération des titulaires de droits en cas d’utilisation de leurs droits, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui a abrogé, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales forfaitaires applicables à la radiodiffusion est, partant, susceptible de constituer
une limitation de la protection du droit de propriété intellectuelle, consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte.
56 Cela étant, il ne ressort ni de cette disposition ni de la jurisprudence de la Cour que le droit de propriété intellectuelle, consacré à ladite disposition, serait intangible et que sa protection devrait dès lors être assurée de manière absolue (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil, C‑401/19, EU:C:2022:297, point 92 ainsi que jurisprudence citée).
57 À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations peuvent être apportées à l’exercice de droits tels que ceux consacrés par celle-ci, pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui
(arrêts du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C-93/09, EU:C:2010:662, point 50, et du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
58 S’il appartient, en dernier lieu, au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si les exigences qu’elle prévoit répondent aux conditions posées par le droit de l’Union, la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, est compétente, sur la base du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, pour fournir à la juridiction de renvoi des indications utiles, de
nature à lui permettre de trancher le litige dont elle est saisie (arrêt du 4 octobre 2024, Tecno*37, C‑242/23, EU:C:2024:831, point 67 et jurisprudence citée).
59 Premièrement, il est constant que les limitations à l’exercice des droits visés à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte que comporte le régime en cause au principal sont prévues par la loi no 74/2018.
60 Deuxièmement, pour autant qu’une législation nationale qui ne garantit pas une rémunération minimale forfaitaire pour les producteurs de phonogrammes, en tant qu’elle a abrogé, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives à une telle rémunération applicables à la radiodiffusion, n’entraîne pas une privation de propriété, elle ne saurait porter atteinte à la substance même du droit de propriété (voir, par analogie, arrêt du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20,
EU:C:2022:346, point 53 ainsi que jurisprudence citée). En effet, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les modalités prévues par la législation en cause au principal pour fixer les rémunérations des titulaires de droits ont conduit au versement à ces derniers de rémunérations proportionnelles aux revenus effectivement perçus par les stations de radio locales.
61 Troisièmement, il ressort de ce dossier que l’objectif de la loi no 74/2018 est d’établir un système tenant compte de la situation économique des stations de radio locales qui, en raison de leur audience restreinte et de leurs revenus souvent limités, ne sont pas en mesure de supporter des coûts excessifs par rapport à leurs recettes. Sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, un tel objectif apparaît légitime, dès lors qu’il vise à assurer la
viabilité économique de ces stations.
62 Quatrièmement, en ce qui concerne le caractère proportionné de la limitation au droit consacré à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte par rapport à l’objectif poursuivi par la législation en cause au principal, il apparaît, tout d’abord, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que la détermination de la rémunération due aux titulaires de droits sur le fondement des seules recettes des radiodiffuseurs est apte à réaliser l’objectif poursuivi par la législation en cause au
principal, dès lors qu’elle permet de tenir compte de la capacité économique des stations locales.
63 Ensuite, s’agissant de la nécessité de la mesure prévue par cette législation, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant compte de la marge d’appréciation dont dispose la Roumanie rappelée au point 51 du présent arrêt, s’il apparaît avec évidence qu’il existe des mesures moins restrictives permettant la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite législation.
64 Enfin, concernant la proportionnalité au sens strict de la même législation, afin d’apporter à la juridiction de renvoi des éléments lui permettant de procéder à un tel examen, il convient de souligner que la détermination de la rémunération équitable ou appropriée qui doit être versée aux titulaires de droits doit tenir compte de la valeur économique de l’utilisation des œuvres dans le cadre de la radiodiffusion. En effet, ce n’est que sous cette condition qu’un juste équilibre entre, d’une
part, l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins à la protection de leur droit de propriété intellectuelle, consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, et, d’autre part, la protection des intérêts des utilisateurs de phonogrammes peut être garanti (voir, par analogie, arrêt du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 32 et jurisprudence citée).
65 En particulier, une rémunération dont le montant serait bien en deçà de cette valeur ne saurait être considérée comme équitable ou appropriée au regard du principe de proportionnalité.
66 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26 ainsi que l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de cette dernière, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui ne garantit pas une rémunération minimale forfaitaire aux
producteurs de phonogrammes au titre de la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce et qui abroge, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales forfaitaires applicables à la radiodiffusion établies par une méthodologie précédemment applicable, sans toutefois modifier les critères de calcul de la rémunération et sans prévoir de durée maximale pour l’adoption d’une nouvelle méthodologie visant à en déterminer le
montant, pour autant que cette législation garantisse le caractère équitable ou approprié de la rémunération versée aux titulaires de droits et qu’elle soit conforme au principe de proportionnalité.
Sur les troisième et quatrième questions
Sur la recevabilité
67 DADA Music fait valoir que les troisième et quatrième questions sont irrecevables, au motif que ces questions ne présenteraient pas de lien avec la solution du litige au principal. En effet, l’UPFR n’aurait pas demandé au juge national de vérifier si les rémunérations en pourcentage calculées par rapport aux recettes effectives déclarées par les organismes de radiodiffusion et de télévision ont un caractère équitable et raisonnable.
68 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêts du 20 juin 2013, Impacto Azul, C‑186/12, EU:C:2013:412, point 26, et du 1er août 2022, Vyriausioji tarnybinės etikos komisija, C‑184/20,
EU:C:2022:601, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
69 Il importe de rappeler, à cet égard, que, dans le cadre de cette procédure, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Par conséquent, dès lors que les questions posées portent sur
l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est ainsi possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore
lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 3 juin 2021, BalevBio, C‑76/20, EU:C:2021:441, point 46 et jurisprudence citée).
70 Il résulte également d’une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit, en outre, indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur
l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 1er août 2022, Roma Multiservizi et Rekeep, C‑332/20, EU:C:2022:610, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
71 En l’occurrence, la juridiction de renvoi a exposé de manière suffisamment claire les raisons pour lesquelles elle considère qu’une réponse aux troisième et quatrième questions préjudicielles est nécessaire pour lui permettre de statuer sur le litige au principal. En particulier, ainsi qu’il a été relevé au point 30 du présent arrêt, cette juridiction a indiqué qu’elle s’interrogeait sur les critères qui peuvent être utilisés aux fins de l’appréciation du caractère équitable et raisonnable de la
rémunération devant être versée aux titulaires de droits et sur le point de savoir si, dans l’hypothèse où elle constaterait que la rémunération due en application des critères fixés dans la réglementation présente un caractère dérisoire, elle pourrait ou devrait appliquer des critères alternatifs afin de garantir que les titulaires de droits perçoivent une rémunération adéquate.
72 Il s’ensuit que les troisième et quatrième questions sont recevables.
Sur le fond
73 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, et dans quelles conditions, il lui incombe de vérifier si le montant de la rémunération versée aux titulaires de droits, calculée selon les modalités définies par la législation nationale, garantit un équilibre adéquat entre l’intérêt des titulaires de droits et celui des utilisateurs de phonogrammes et, dans l’affirmative, si, saisie d’un litige entre particuliers,
elle peut appliquer directement les dispositions de la directive 2006/115 et de la directive 2014/26 pour écarter une législation nationale qui ne garantirait pas un tel équilibre.
74 Eu égard aux considérations rappelées aux points 45 et 46 du présent arrêt, il appartient ainsi au juge national saisi d’un litige concernant le caractère équitable ou approprié de la rémunération due aux titulaires de droits de procéder aux vérifications en ce sens, en ayant égard notamment, ainsi qu’il ressort de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, à la valeur économique de l’utilisation des droits négociés, compte tenu de la nature et de l’ampleur de
l’utilisation des œuvres et autres objets, ainsi qu’à la valeur du service fourni par l’organisme de gestion.
75 Dans ce contexte, il incombe, notamment, au juge national de prendre en considération la nature particulière du droit d’auteur ainsi que de rechercher un équilibre adéquat entre l’intérêt des titulaires de droits à percevoir une rémunération au titre de l’utilisation de leurs droits et celui des utilisateurs des phonogrammes à pouvoir utiliser les œuvres et autres objets en cause dans des conditions raisonnables (voir, par analogie, arrêt du 25 novembre 2020, SABAM, C-372/19, EU:C:2020:959,
point 30 et jurisprudence citée).
76 À cet égard, le principe de primauté du droit de l’Union consacre la prééminence du droit de l’Union sur le droit des États membres et impose à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant porter atteinte à l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 25 et jurisprudence citée).
77 Ce principe impose notamment aux juridictions nationales, en vue de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, d’interpréter, dans toute la mesure possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union et de reconnaître aux particuliers la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit de l’Union imputable à un État membre (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 26
et jurisprudence citée).
78 Plus précisément, la Cour a itérativement jugé qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées afin de transposer les obligations prévues par une directive, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution conforme à
l’objectif poursuivi par celle-ci (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 27 et jurisprudence citée).
79 Cependant, le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 28 et jurisprudence citée).
80 En outre, c’est également en vertu du principe de primauté que, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à
demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 30 et jurisprudence citée).
81 Cela étant, il convient encore de tenir compte des autres caractéristiques essentielles du droit de l’Union, et, en particulier, de la nature et des effets juridiques des directives (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 31 et jurisprudence citée).
82 Ainsi, une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations à l’égard d’un particulier, et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre de celui-ci devant une juridiction nationale. En effet, en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, le caractère contraignant d’une directive, sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci, n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire », l’Union n’ayant le pouvoir d’édicter, de manière générale et abstraite,
avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements. Partant, même claire, précise et inconditionnelle, une disposition d’une directive ne permet pas au juge national d’écarter une disposition de son droit interne qui y est contraire, si, ce faisant, une obligation supplémentaire venait à être imposée à un particulier (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 32 et jurisprudence
citée).
83 Il s’ensuit qu’une juridiction nationale n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquée une disposition de son droit national contraire à une disposition du droit de l’Union si cette dernière disposition est dépourvue d’effet direct, sans préjudice toutefois de la possibilité, pour cette juridiction, ainsi que pour toute autorité administrative nationale compétente, d’écarter, sur le fondement du droit interne, toute disposition du droit national contraire à
une disposition du droit de l’Union dépourvue d’un tel effet (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 33 et jurisprudence citée).
84 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions qu’il appartient au juge national, saisi d’un litige entre particuliers relatif au caractère équitable ou approprié de la rémunération versée aux titulaires de droits au titre de la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce, calculée selon les modalités définies par la législation nationale, de vérifier si cette rémunération est équitable ou appropriée, au sens de
l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26, à savoir qu’elle garantit l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux des utilisateurs de ces phonogrammes. Si l’application de cette législation ne permet pas la fixation d’une telle rémunération, les dispositions de ces directives ne sauraient être invoquées pour écarter ladite législation, sauf si le droit interne en dispose autrement.
Sur les dépens
85 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multiterritoriales de
droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur, ainsi que l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de cette dernière,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui ne garantit pas une rémunération minimale forfaitaire aux producteurs de phonogrammes au titre de la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce et qui abroge, avec effet à compter de 90 jours après sa publication, les dispositions relatives aux rémunérations minimales forfaitaires applicables à la radiodiffusion établies par une méthodologie précédemment applicable, sans toutefois modifier les critères de calcul de la
rémunération et sans prévoir de durée maximale pour l’adoption d’une nouvelle méthodologie visant à en déterminer le montant, pour autant que cette législation garantisse le caractère équitable ou approprié de la rémunération versée aux titulaires de droits et qu’elle soit conforme au principe de proportionnalité.
2) Il appartient au juge national, saisi d’un litige entre particuliers relatif au caractère équitable ou approprié de la rémunération versée aux titulaires de droits au titre de la radiodiffusion de phonogrammes publiés à des fins de commerce, calculée selon les modalités définies par la législation nationale, de vérifier si cette rémunération est équitable ou appropriée, au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et de l’article 16, paragraphe 2, second alinéa, de la
directive 2014/26, à savoir qu’elle garantit l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et ceux des utilisateurs de ces phonogrammes. Si l’application de cette législation ne permet pas la fixation d’une telle rémunération, les dispositions de ces directives ne sauraient être invoquées pour écarter ladite législation, sauf si le droit interne en dispose autrement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.