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03/07/2025 | CJUE | N°C-534/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Instituto Cervantes contre Commission européenne., 03/07/2025, C-534/23


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

3 juillet 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Passation de marchés publics par l’Union européenne – Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Marché de services de formation linguistique – Obligation de soumettre les offres au moyen de l’application électronique eSubmission – Utilisation, par un soumissionnaire, d’un lien hypertexte renvoyant à un site Internet comprenant des documents descriptifs de l’offre – Refus de l’administration de tenir compte de ces documents – Principes de sécurité juridique et de pro

tection de la confiance
légitime – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union europée...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

3 juillet 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Passation de marchés publics par l’Union européenne – Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Marché de services de formation linguistique – Obligation de soumettre les offres au moyen de l’application électronique eSubmission – Utilisation, par un soumissionnaire, d’un lien hypertexte renvoyant à un site Internet comprenant des documents descriptifs de l’offre – Refus de l’administration de tenir compte de ces documents – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance
légitime – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Impartialité objective – Obligation de motivation – Méthode d’évaluation comparative des offres »

Dans les affaires jointes C‑534/23 P et C‑539/23 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 18 et 23 août 2023,

Instituto Cervantes, établi à Madrid (Espagne), représenté par Me E. van Nuffel d’Heynsbroeck, avocat,

partie requérante dans l’affaire C‑534/23 P,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mme M. Ilkova et M. P. Ortega Sánchez de Lerín, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. I. Herranz Elizalde et Mme A. Pérez-Zurita Gutiérrez, puis par Mmes M. Morales Puerta et A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

et

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. I. Herranz Elizalde et Mme A. Pérez-Zurita Gutiérrez, puis par Mmes M. Morales Puerta et A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire C‑539/23 P,

les autres parties à la procédure étant :

Instituto Cervantes, établi à Madrid (Espagne), représenté par Me E. van Nuffel d’Heynsbroeck, avocat,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme M. Ilkova et M. P. Ortega Sánchez de Lerín, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de juge de la huitième chambre, et Mme O. Spineanu‑Matei, juge,

avocat général : M. R. Norkus,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs pourvois, Instituto Cervantes (ci-après « IC ») et le Royaume d’Espagne demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 juin 2023, Instituto Cervantes/Commission (T‑376/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:331), par lequel celui-ci a rejeté le recours de IC tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne du 19 avril 2021 par laquelle cette dernière a attribué le lot no 3 (apprentissage de l’espagnol) du marché portant sur les
contrats-cadres relatifs à la formation linguistique pour les institutions, les organes et les agences de l’Union européenne (HR/2020/OP/0014), au premier rang, au groupement CLL Centre de Langues-Allingua (ci-après le « groupement CLL ») et, au second rang, à IC (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

La directive 2014/24/UE

2 Le considérant 90 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), énonce :

« Le marché devrait être attribué selon des critères objectifs qui assurent le respect des principes de transparence, de non-discrimination et d’égalité de traitement, dans le but de garantir une comparaison objective de la valeur relative des offres afin de déterminer, dans des conditions de concurrence effective, quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse. [...]

[...] »

3 Aux termes de l’article 67 de cette directive :

« 1.   [...] [L]es pouvoirs adjudicateurs se fondent, pour attribuer les marchés publics, sur l’offre économiquement la plus avantageuse.

2.   L’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur est déterminée sur la base du prix ou du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût/efficacité, [...] et peut tenir compte du meilleur rapport qualité/prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux liés à l’objet du marché public concerné. [...]

[...] »

Le règlement (UE, Euratom) 2018/1046

4 Le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1), a été abrogé par le règlement (UE, Euratom) 2024/2509
du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2024, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO L, 2024/2509). C’est toutefois le règlement 2018/1046 qui était applicable à la procédure de passation du marché public en cause dans les présentes affaires.

5 Le considérant 106 de ce règlement énonçait :

« Les marchés devraient être attribués sur la base de l’offre économiquement la plus avantageuse conformément à l’article 67 de la directive 2014/24/UE. »

6 L’article 149 dudit règlement, intitulé « Présentation des documents relatifs à la demande » et relevant de la section 3 (« Systèmes informatiques et administration en ligne ») du chapitre 2 (« Règles applicables en matière de gestion directe et indirecte ») du titre V (« Règles communes ») du même règlement, disposait, à son paragraphe 1 :

« Les modalités de présentation des documents relatifs à la demande sont déterminées par l’ordonnateur compétent, qui peut choisir un mode exclusif de communication.

Les moyens de communication retenus permettent de garantir une mise en concurrence réelle ainsi que le respect des conditions suivantes :

a) chaque soumission contient toute l’information nécessaire pour son évaluation ;

b) l’intégrité des données est préservée ;

c) la confidentialité des documents relatifs à la demande est préservée ;

d) la protection des données à caractère personnel est assurée, [...] »

7 L’article 160 du règlement 2018/1046, intitulé « Principes applicables aux marchés et champ d’application », relevait du chapitre 1 (« Dispositions communes ») du titre VII (« Passation des marchés et concessions ») de celui-ci et prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Tous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination. »

8 L’article 167 de ce règlement, intitulé « Attribution des marchés », relevant également du chapitre 1, énonçait, à son paragraphe 4 :

« Pour attribuer les marchés, le pouvoir adjudicateur se fonde sur l’offre économiquement la plus avantageuse, en fonction de l’une des trois méthodes d’attribution suivantes : le prix le plus bas, le coût le plus bas ou le meilleur rapport qualité-prix.

[...]

Pour déterminer le meilleur rapport qualité-prix, le pouvoir adjudicateur tient compte du prix ou du coût et d’autres critères de qualité liés à l’objet du marché. »

9 L’article 170 dudit règlement, figurant dans le même chapitre 1, intitulé « Décision d’attribution et information des candidats ou des soumissionnaires », disposait, à son paragraphe 3 :

« Le pouvoir adjudicateur communique à tout soumissionnaire [...] dont l’offre est conforme aux documents de marché et qui en fait la demande par écrit :

a) le nom du soumissionnaire, ou des soumissionnaires dans le cas d’un contrat-cadre, à qui le marché est attribué et, sauf dans le cas d’un marché spécifique relevant d’un contrat-cadre avec remise en concurrence, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, le prix payé ou la valeur du marché, selon ce qui convient ;

b) les progrès des négociations et du dialogue avec les soumissionnaires.

[...] »

10 Aux termes du point 16, intitulé « Documents de marché », de l’annexe I du même règlement :

« [...]

16.2. L’invitation à soumissionner précise :

a) les modalités de soumission des offres, notamment les conditions du maintien de leur confidentialité jusqu’à l’ouverture, la date et l’heure de clôture pour la réception et l’adresse à laquelle elles doivent être envoyées ou remises ou l’adresse [I]nternet si la soumission s’effectue par voie électronique ;

[...]

16.3. Le cahier des charges précise :

a) les critères d’exclusion et de sélection ;

b) les critères d’attribution du marché et leur pondération relative [...]

[...] »

Le règlement de procédure du Tribunal

11 L’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose :

« Les mesures d’organisation de la procédure et les mesures d’instruction peuvent être prises ou modifiées à tout stade de la procédure, soit d’office, soit à la demande d’une partie principale. »

12 L’article 145 de ce règlement de procédure dispose :

« 1.   L’intervenant peut présenter un mémoire en intervention dans le délai fixé par le président.

2.   Le mémoire en intervention contient :

[...]

c) les preuves et offres de preuve, s’il y a lieu.

[...] »

Les antécédents du litige

13 Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 20 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

14 Le 20 novembre 2020, la Commission européenne a lancé, selon la procédure ouverte, l’appel d’offres HR/2020/OP/0014, intitulé « Contrats-cadres relatifs à la formation linguistique pour les institutions, les organes et les agences de l’Union européenne ». Le marché était divisé en huit lots, dont le lot no 3, intitulé « apprentissage de l’espagnol (ES) ».

15 Le cahier des charges indiquait que, pour attribuer le marché, le pouvoir adjudicateur se fonderait sur l’offre économiquement la plus avantageuse, en fonction du prix (pondéré à 30 %) et de la qualité (pondérée à 70 %).

16 La qualité, pour laquelle la note maximale était de 100 points, devait être appréciée sur le fondement de deux critères, à savoir le critère no 1, intitulé « Qualité des cours proposés » (note maximale de 70 points), et le critère no 2, intitulé « Contrôle de la qualité et suivi des travaux » (note maximale de 30 points).

17 Ces deux critères se déclinaient, chacun, en trois sous-critères :

– sous-critère 1.1 : « Contenu » (30 points) ;

– sous-critère 1.2 : « Pédagogie » (30 points) ;

– sous-critère 1.3 : « Plateformes en ligne » (10 points) ;

– sous-critère 2.1 : « Méthode de sélection du personnel » (6 points) ;

– sous-critère 2.2 : « Contrôle de la qualité » (15 points), et

– sous-critère 2.3 : « Gestion de la procédure » (9 points).

18 Le cahier des charges précisait que, afin d’être conformes aux exigences minimales, les offres devaient obtenir au moins une « note minimale » pour chaque critère et sous-critère, qui était précisée dans ce cahier. Par ailleurs, les offres devaient obtenir au moins un nombre total de points égal à 70 sur 100.

19 Selon ledit cahier, les offres devaient être classées selon le meilleur rapport qualité/prix. Par ailleurs, le contrat devait être attribué aux deux offres classées premières, qui, premièrement, respectaient les exigences minimales précisées dans les documents de marché et étaient soumises par des soumissionnaires ayant accès à la procédure de passation de marché, deuxièmement, ne se trouvaient pas dans une situation d’exclusion et, troisièmement, satisfaisaient aux critères de sélection. Le
classement devait déterminer l’ordre dans lequel les contrats spécifiques seraient offerts aux contractants pendant l’exécution du contrat-cadre.

20 S’agissant des modalités de soumission des offres, le cahier des charges prévoyait, notamment, que les offres devaient être déposées au moyen de l’application électronique eSubmission.

21 Six soumissionnaires, dont IC, ont déposé une offre pour le lot no 3.

22 Le 10 mars 2021, le rapport d’évaluation des offres a été établi par le comité institué à cette fin. Les contractants proposés pour le lot no 3 étaient le groupement CLL au premier rang et IC au second rang.

23 Le 19 avril 2021, la Commission a adopté la décision litigieuse suivant les recommandations du comité d’évaluation. Le même jour, elle a envoyé une lettre de notification à IC, informant celui-ci, entre autres, de ce que son offre pour le lot no 3 avait été retenue et qu’il était classé au second rang avec un score qualitatif de 82 points sur 100, un prix de l’offre de 2670560 euros et un score total de 87,40 points sur 100. La Commission précisait, par ailleurs, qu’elle appliquerait un délai
d’attente de dix jours avant de signer le contrat-cadre.

24 Une annexe jointe à cette lettre précisait, sous la forme d’une grille d’évaluation, les motifs de l’appréciation de l’offre de IC, au regard des critères de qualité énoncés dans le cahier des charges.

25 Après avoir reçu ladite lettre, IC a demandé à la Commission de lui communiquer l’identité, les caractéristiques et les avantages de l’entité la mieux classée.

26 Par courriel du 26 avril 2021, en réponse à cette demande, la Commission a informé IC de ce que le groupement CLL avait été classé au premier rang avec un score qualitatif de 94 points sur 100, un prix de l’offre de 3469020 euros et un score total de 88,89 points sur 100.

27 Ces communications des 19 et 26 avril 2021 divulguaient que, s’agissant des sous-critères, l’attribution des points avait été la suivante :

– sous-critère 1.1 : 28/30 pour le groupement CLL et 22/30 pour IC ;

– sous-critère 1.2 : 27/30 pour le groupement CLL et 21/30 pour IC ;

– sous-critère 1.3 : 10/10 tant pour le groupement CLL que pour IC ;

– sous-critère 2.1 : 6/6 tant pour le groupement CLL que pour IC ;

– sous-critère 2.2 : 14/15 pour le groupement CLL et 15/15 pour IC, et

– sous-critère 2.3 : 9/9 pour le groupement CLL et 8/9 pour IC.

28 Par courriel du 10 mai 2021, en réponse à une demande de IC, qui faisait valoir une communication insuffisante au regard des exigences de l’article 170, paragraphe 3, du règlement 2018/1046, la Commission a précisé les motifs de l’appréciation de l’offre du groupement CLL au regard des critères de qualité. Ce courriel contenait en annexe la grille d’évaluation de l’offre de ce groupement. Cette grille reprenait des commentaires du comité d’évaluation pour chacun des critères et des sous-critères
annoncés dans le cahier des charges. Dans ledit courriel, la Commission s’est également engagée à respecter un nouveau délai d’attente de dix jours avant la signature du contrat-cadre.

29 Par lettre du 25 mai 2021, la Commission a fourni des explications supplémentaires en renvoyant, pour le surplus, aux informations déjà transmises et a indiqué que le délai d’attente était désormais écoulé.

30 Dans la grille d’évaluation communiquée le 19 avril 2021, ainsi que dans ses communications des 10 et 25 mai 2021, la Commission a informé IC du fait qu’elle n’avait pas évalué les éléments que celui-ci, afin de décrire son offre, avait rendus accessibles uniquement au moyen de liens hypertexte intégrés dans cette offre. La Commission a précisé qu’elle avait rejeté ces éléments au motif que l’utilisation de liens hypertexte n’était pas conforme au cahier des charges et qu’il existait, en cas
d’utilisation de tels liens, un risque de modification après l’expiration du délai de dépôt des offres. Dans la mesure où les éléments rendus accessibles au moyen de liens hypertexte correspondaient à des documents dont la soumission était exigée par le cahier des charges, la Commission a considéré que ces documents faisaient défaut (ci-après le « défaut documentaire »).

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

31 Par recours introduit le 2 juillet 2021, IC a demandé l’annulation de la décision litigieuse.

32 Par décision du 3 février 2022, le Royaume d’Espagne a été admis à intervenir au soutien des conclusions de IC.

33 Par acte séparé déposé le 29 septembre 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au motif de la tardiveté du recours.

34 Cette exception a été rejetée dans l’arrêt attaqué, dès lors que ce n’est que par la communication du 10 mai 2021 que IC a obtenu des informations relatives à l’évaluation des qualités de l’offre du groupement CLL. Ce serait donc à partir de cette date que IC a pu exercer utilement son droit de recours et que le délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE a commencé à courir.

35 Sur le fond, IC, soutenu par le Royaume d’Espagne, a soulevé cinq moyens à l’appui de son recours.

36 Par son premier moyen, il a reproché à la Commission un défaut de motivation de la décision litigieuse, en ce qu’il ne serait pas possible de connaître les avantages relatifs de l’offre du groupement CLL.

37 Par son deuxième moyen, IC a reproché à la Commission une violation de l’article 167, paragraphe 4, du règlement 2018/1046, en ce que cette institution n’a effectué qu’une évaluation isolée de chacune des offres, au lieu de les comparer directement les unes par rapport aux autres.

38 Par son troisième moyen, IC a reproché à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en ayant exclu les éléments descriptifs de l’offre rendus accessibles au moyen de liens hypertexte.

39 Le quatrième moyen était subsidiaire par rapport au premier moyen et était subdivisé en trois branches. Premièrement, la décision litigieuse aurait été entachée d’un défaut de motivation dans le cadre de l’évaluation individuelle de l’offre de IC, en ce qu’il ne serait pas possible de comprendre la corrélation entre les commentaires formulés et la note attribuée, ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation, en raison du caractère illogique du lien entre l’évaluation et la note attribuée dans
le cadre des sous-critères 1.1 et 1.2. Deuxièmement, la décision litigieuse aurait été entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission aurait conféré une importance disproportionnée au défaut documentaire. Troisièmement, en conférant cette importance disproportionnée au défaut documentaire, la Commission aurait créé une nouvelle règle d’évaluation a posteriori.

40 Le cinquième moyen se fondait sur une violation de plusieurs principes relatifs à la passation des marchés publics, à savoir le principe de l’ouverture des marchés à la concurrence la plus large, le principe de transparence et le principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission a attribué tous les lots au même soumissionnaire, à savoir le groupement CLL.

41 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens et, par conséquent, le recours dans son intégralité.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

42 Par son pourvoi dans l’affaire C‑534/23 P, IC demande :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens.

43 Par son pourvoi dans l’affaire C‑539/23 P, le Royaume d’Espagne demande :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer, après l’annulation de l’arrêt attaqué, l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci procède à l’administration de la preuve indûment refusée et statue sur le fond.

44 La Commission demande :

– de rejeter les pourvois et

– de condamner IC et le Royaume d’Espagne aux dépens.

45 Par décision du président de la Cour du 20 novembre 2023, les affaires C‑534/23 P et C‑539/23 P ont été jointes.

Sur les pourvois

46 IC soulève deux moyens à l’appui de son pourvoi, tirés, le premier, d’une dénaturation de faits et d’un défaut de motivation dans l’appréciation du troisième moyen du recours devant le Tribunal et, le second, d’une erreur de droit et d’une dénaturation de faits dans l’appréciation du deuxième moyen de ce recours.

47 Le Royaume d’Espagne soulève quatre moyens à l’appui de son pourvoi, tirés, le premier, d’une méconnaissance de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’omission, de la part du Tribunal, de constater un défaut de motivation de la décision litigieuse, le deuxième, d’une méconnaissance des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, le troisième, d’une méconnaissance des principes
d’égalité de traitement et de l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des offres, ainsi que d’une violation de l’article 145, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, et, le quatrième, d’une méconnaissance de l’exigence d’impartialité objective et du principe de transparence.

48 Il convient, tout d’abord, d’examiner conjointement le premier moyen de pourvoi de IC et le deuxième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne. Lors de cet examen, il sera tenu compte de ce que le premier moyen de IC, qui se fonde, selon son intitulé, sur une dénaturation de faits et un défaut de motivation, comporte en réalité des arguments tirés d’erreurs de droit, qui se chevauchent dans une large mesure avec les arguments présentés dans le deuxième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne, tiré
d’une méconnaissance des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Sur le premier moyen de pourvoi de IC et le deuxième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne

Argumentation des parties

49 IC rappelle, à titre liminaire, que, dans le cadre du troisième moyen de son recours devant le Tribunal, il a soutenu qu’il avait légitimement pu croire que toute offre déposée au moyen de l’application eSubmission pouvait contenir des liens hypertexte renvoyant à des documents descriptifs de l’offre disponibles sur un site Internet. Ce serait sur le fondement de cette confiance légitime qu’il a effectué, au moyen de liens hypertexte, des renvois à plusieurs documents pertinents pour l’évaluation
de son offre, tels que des documents décrivant comment, dans l’exécution de ce marché de services de formation linguistique, l’interaction à distance entre l’apprenant et l’enseignant serait assurée.

50 IC relève également que, en réponse à une question posée par le Tribunal, il a déposé des éléments de preuve dont il ressortirait que d’autres soumissionnaires avaient, eux aussi, intégré des liens hypertexte dans leurs offres.

51 IC conteste l’appréciation du Tribunal, exposée au point 142 de cet arrêt et fondée sur l’interdiction de modification desdits documents après l’expiration du délai de dépôt des offres, selon laquelle un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent ne pouvait pas considérer qu’il était permis d’inclure dans son offre des liens hypertexte renvoyant à des documents figurant sur un site Internet demeurant sous son contrôle. Selon IC, ni le règlement 2018/1046 ni le cahier des
charges ne permettaient de savoir que l’utilisation de liens hypertexte était irrégulière.

52 IC souligne que les documents qu’il a rendus accessibles au moyen de liens hypertexte se trouvaient dans un espace électronique fermé, exclusivement dédié au marché en cause. La Commission aurait donc pu s’assurer, en demandant à IC de soumettre des preuves à cet égard, que ces documents avaient été joints à ces liens hypertexte avant l’expiration du délai de dépôt des offres et qu’ils n’avaient pas été modifiés par la suite. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en jugeant, au
point 142 de l’arrêt attaqué, que, en cas d’utilisation de liens hypertexte, il n’est pas possible de garantir que les documents concernés demeurent inchangés après l’expiration de ce délai.

53 Partant, IC conteste également l’appréciation figurant au point 143 de cet arrêt, selon laquelle la Commission pouvait refuser de tenir compte des documents rendus accessibles au moyen de liens hypertexte, même dans les cas où il s’avère, après vérification, que ces documents n’ont pas été modifiés après l’expiration du délai de dépôt des offres.

54 IC critique également le point 144 de l’arrêt attaqué, qui mentionne la présentation faite par le responsable informatique de IC lors de l’audience devant le Tribunal, dont il aurait découlé que les documents descriptifs de l’offre pouvaient, d’un point de vue technique, encore être modifiés par IC. Selon ce dernier, cet élément serait dépourvu de pertinence, puisqu’il importerait seulement de déterminer si ces documents ont été modifiés et non pas s’ils pouvaient l’être. Dès lors que toute
modification laisserait une trace dans le système informatique, IC aurait pu démontrer qu’il n’a pas modifié ces documents après l’expiration du délai de dépôt des offres.

55 En tout état de cause, il serait inacceptable qu’un pouvoir adjudicateur écarte des documents au seul motif qu’il n’est pas en mesure de déterminer si ces documents sont intègres. Des documents déposés à l’appui d’une offre ne pourraient être écartés qu’en cas d’irrégularité avérée, et non sur le fondement d’une simple hypothèse d’irrégularité.

56 IC précise qu’il a, précédemment, participé à la procédure de passation du marché HR/2020/OP/0004, pour laquelle le cahier des charges exigeait, dans des termes qui correspondent à ceux employés dans le cahier des charges en cause en l’espèce, le dépôt des offres au moyen de l’application eSubmission. Dans cette procédure, l’offre déposée sur cette application par IC comportait un lien hypertexte renvoyant à des annexes. Or, dans l’appréciation de cette offre, notifiée à IC par la Commission le
7 septembre 2020, le contenu de ces annexes était décrit et évalué.

57 IC fait valoir que, en raison de cette notification de la Commission, qui lui est parvenue alors qu’il préparait son offre pour le marché en cause en l’espèce, d’une part, et de l’absence, dans les documents de marché, d’une précision explicite selon laquelle l’utilisation de liens hypertexte était désormais interdite, d’autre part, il a légitimement pu croire qu’une telle utilisation était autorisée. Contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 148 de l’arrêt attaqué, il y aurait lieu de
considérer que IC peut se prévaloir, dans de telles circonstances, d’une confiance légitime.

58 IC observe, dans ce contexte, tout d’abord, que l’obligation d’utiliser l’application eSubmission, à l’époque des faits de l’espèce, était récente. Dans ces circonstances, ce serait à tort que le Tribunal a exigé, au point 148 de l’arrêt attaqué, qu’il soit démontré que la Commission avait fourni à IC des assurances « concordantes ». À cet égard, le Tribunal aurait dénaturé les faits en méconnaissant la circonstance que la procédure de passation du marché HR/2020/OP/0004 constituait le seul cas
où la question de l’utilisation de liens hypertexte dans une offre déposée sur l’application eSubmission avait pu précédemment se présenter.

59 Ensuite, le point 148 de l’arrêt attaqué se fonderait erronément sur une jurisprudence qui concerne l’hypothèse où une assurance donnée par la Commission n’est pas conforme à une norme. En l’espèce, une telle « norme » ferait défaut, le dépôt des offres sur l’application eSubmission n’étant exigé ni par le règlement 2018/1046 ni par un quelconque autre instrument législatif de l’Union.

60 Enfin, tout en admettant que l’utilisation, en l’espèce, de liens hypertexte dans l’offre peut être considérée comme étant erronée, IC fait valoir qu’un nombre significatif de soumissionnaires ont été conduits, notamment par la pratique antérieure de la Commission, à commettre cette erreur. Cet élément serait essentiel afin de caractériser l’existence d’une « confiance légitime », au sens de la jurisprudence de la Cour.

61 IC ajoute qu’il a demandé au Tribunal d’obliger la Commission à produire des informations permettant de déterminer si d’autres soumissionnaires avaient également utilisé des liens hypertexte dans le cadre de leurs offres et si la Commission avait systématiquement refusé de tenir compte des documents auxquels ces liens renvoyaient. Selon IC, contrairement à ce que le Tribunal a exposé au point 150 de l’arrêt attaqué pour motiver le rejet de cette demande de mesure d’instruction, ces informations
étaient indispensables pour statuer sur l’argument tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.

62 Sur ce point, IC observe que le principe de protection de la confiance légitime est le corollaire du principe de sécurité juridique. Il serait donc impératif que les règles formulées par le pouvoir adjudicateur en vue de la passation d’un marché public soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les soumissionnaires. Or, cette exigence ne saurait être considérée comme étant satisfaite lorsque plusieurs soumissionnaires ont interprété une règle, telle que l’obligation
de déposer les offres sur l’application eSubmission, dans un sens différent de celui préconisé par la Commission.

63 IC estime, au demeurant, que le Tribunal n’a pas motivé à suffisance de droit le rejet du troisième moyen du recours.

64 Selon le Royaume d’Espagne, le rejet du troisième moyen du recours de IC devant le Tribunal est incompatible avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

65 Cet État membre observe qu’il existait, d’une part, une situation d’incertitude due au silence du cahier des charges en ce qui concerne la possibilité de joindre des documents à une offre au moyen de liens hypertexte et, d’autre part, une pratique administrative de la Commission, communiquée par celle-ci à IC, qui a fait naître chez cette dernière une confiance légitime selon laquelle il était admissible de procéder de cette manière.

66 Le Royaume d’Espagne reproche au Tribunal, tout d’abord, d’avoir limité son analyse à la possibilité que des documents joints à une offre au moyen de liens hypertexte soient modifiés après l’expiration du délai de dépôt des offres. Il aurait ainsi transformé l’hypothèse d’un risque éventuel de comportement illégal en un obstacle insurmontable, qui empêcherait totalement l’utilisation de liens hypertexte pour le dépôt des documents descriptifs d’une offre.

67 Même à supposer que l’utilisation de tels liens soit irrégulière, ce serait à tort que le Tribunal a, au point 147 de l’arrêt attaqué, déduit de l’arrêt du 10 octobre 2013, Manova (C‑336/12, EU:C:2013:647), qui concerne la possibilité de corriger ou de compléter une offre à des fins de clarification ou de rectification d’erreurs matérielles manifestes, que la Commission n’était pas tenue d’inviter IC à soumettre à nouveau les documents, en les téléversant sur l’application eSubmission.
Contrairement à ce que le Tribunal a jugé, cette jurisprudence aurait pu être appliquée par analogie pour conclure qu’il convenait de permettre à IC de soumettre directement, sur l’application eSubmission, les documents qu’il avait initialement rendus accessibles au moyen de liens hypertexte ou de prouver que ces documents n’avaient pas été modifiés après l’expiration du délai pour le dépôt des offres.

68 Ensuite, ce serait à tort que le Tribunal a jugé qu’étaient dénués de pertinence, d’une part, le fait que, dans le cadre de la procédure de passation du marché HR/2020/OP/0004, la Commission avait accepté la soumission de documents au moyen de liens hypertexte, et d’autre part, le fait que la Commission avait, comme cela ressort du point 133 de l’arrêt attaqué, évalué, en vertu du sous-critère 1.3, les plateformes en ligne des soumissionnaires, qui sont hébergées sur des serveurs extérieurs et
accessibles au moyen de tels liens. À ce dernier égard, le Tribunal se serait, également à tort, contenté d’indiquer, au point 145 de l’arrêt attaqué, que IC a reçu le maximum de points pour ce sous‑critère 1.3.

69 Enfin, le Royaume d’Espagne rappelle que, devant le Tribunal, il a relevé que certains documents rendus accessibles au moyen de liens hypertexte étaient enregistrés sous un numéro ISBN (International Standard Book Number) et ne pouvaient donc pas être modifiés. Au point 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dénaturé cet argument et aurait omis de se prononcer sur l’absence d’évaluation de tels documents.

70 La Commission conteste l’argumentation de IC et du Royaume d’Espagne.

Appréciation de la Cour

71 Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que la possibilité de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime est ouverte à toute personne à l’égard de laquelle l’administration de l’Union a fait naître des espérances fondées. Constituent des assurances susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables (voir, en ce sens,
arrêt du 19 septembre 2024, Coppo Gavazzi e.a./Parlement, C‑725/20 P, EU:C:2024:766, point 95 et jurisprudence citée).

72 En revanche, lorsqu’une personne prudente et avisée est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à porter atteinte à ses intérêts, elle ne saurait invoquer le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime lorsque cette mesure est adoptée (arrêt du 19 septembre 2024, Coppo Gavazzi e.a./Parlement, C‑725/20 P, EU:C:2024:766, point 96 et jurisprudence citée).

73 En l’espèce, le Tribunal a constaté, au point 142 de l’arrêt attaqué, que dans la procédure de passation du marché public en cause, tout soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent était en mesure de savoir qu’il ne lui était pas permis d’inclure, à l’appui de son offre, des liens hypertexte renvoyant à des documents accessibles sur un site Internet qui restent sous son contrôle et peuvent donc, techniquement, être modifiés après l’expiration du délai de dépôt des offres.

74 Cette appréciation repose sur les éléments exposés aux points 138 à 141 de cet arrêt, qui ne sont pas contestés par IC.

75 Parmi ces éléments figure la citation, au point 138 dudit arrêt, d’un passage de la page 79 du cahier des charges, aux termes duquel « [l]es offres doivent être soumises au moyen de l’application eSubmission, en suivant les instructions indiquées dans l’invitation à soumissionner et dans le guide pratique du système eSubmission ».

76 Ainsi que le Tribunal l’a relevé, en substance, au point 139 de l’arrêt attaqué, cette consigne dans le cahier des charges permettait de savoir que les documents descriptifs de l’offre devaient être téléversés sur l’application eSubmission.

77 Est dépourvue de pertinence à cet égard la circonstance, soulignée par le Royaume d’Espagne, qu’il était nécessaire, en vertu du sous-critère 1.3 figurant dans les documents de marché, relatif aux « Plateformes en ligne », d’évaluer un élément par excellence modifiable, à savoir la plateforme de formation linguistique en ligne proposée par le soumissionnaire. En effet, le présent litige concerne non pas l’application du sous-critère 1.3, mais le point de savoir si les éléments intégrés dans
l’offre pour documenter le contenu et la pédagogie de la formation linguistique proposée (sous-critères 1.1 et 1.2) devaient être téléversés sur l’application eSubmission ou pouvaient être rendus accessibles au moyen de liens hypertexte.

78 Au regard des éléments exposés aux points 138 à 141 de l’arrêt attaqué, et en particulier de ceux soulignés aux points 75 et 76 du présent arrêt, ni la circonstance, invoquée par IC et par le Royaume d’Espagne, selon laquelle la Commission a, dans le cadre d’un appel d’offres précédent, pris en compte des documents rendus accessibles au moyen de liens hypertexte, ni le fait, à le supposer établi, que d’autres soumissionnaires auraient, à l’instar de IC, considéré que des documents fournis à
l’appui de leur offre pouvaient être soumis de cette manière, ne peuvent être qualifiés d’« espérances fondées » découlant de « renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables », au sens de la jurisprudence rappelée au point 71 du présent arrêt. C’est, par conséquent, à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 150 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire pour la résolution du litige d’examiner dans quelle mesure les autres
soumissionnaires avaient intégré dans leurs offres des liens hypertexte donnant accès à des documents descriptifs de celles-ci.

79 Par ailleurs, force est de constater que, dans une situation telle que celle décrite par IC, où la Commission aurait, dans la première et – au moment des faits à l’origine du présent litige – unique procédure de passation de marché ayant fait suite à l’utilisation obligatoire de l’application eSubmission, évalué les documents rendus accessibles au moyen de liens hypertexte, le caractère nécessairement isolé d’une telle première pratique de l’administration empêche, en principe, de constater, sur
la base de ce seul élément, l’existence d’assurances concordantes.

80 Au regard de ce qui précède, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 148 de l’arrêt attaqué, que IC n’a pas démontré l’existence d’assurances concordantes de la Commission qui permettraient l’utilisation de liens hypertexte.

81 Ensuite, dans la mesure où IC et le Royaume d’Espagne excipent d’une méconnaissance du principe de sécurité juridique, dont le principe de protection de la confiance légitime est le corollaire, il convient de rappeler que ce premier principe exige que les règles de droit soient claires et précises, afin que leur application soit prévisible pour les justiciables. Toute réglementation doit permettre aux intéressés de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et de prendre leurs
dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 48 et jurisprudence citée).

82 Or, il y a lieu de considérer que les règles en matière de soumission de documents à l’appui d’une offre déposée dans le cadre d’un appel d’offres de l’Union sont suffisamment claires et précises.

83 À cet égard, il y a lieu de relever que, conformément au point 16.2 de l’annexe I du règlement 2018/1046, les modalités de soumission des offres doivent être énoncées dans l’invitation à soumissionner. En l’espèce, il est constant que cette invitation prévoyait que les offres devaient être soumises au moyen de l’application eSubmission et que, à cette fin, les soumissionnaires devaient suivre les instructions figurant dans le guide pratique de cette application. Cette consigne était réitérée dans
le passage, susmentionné, de la page 79 du cahier des charges, qui renvoyait à ces instructions, lesquelles précisent que tout document déposé à l’appui de l’offre doit être téléversé dans l’espace dédié de l’application eSubmission.

84 L’absence d’ambiguïté de ladite consigne est renforcée par l’existence d’une exigence d’« intégrité des données », qui est consacrée, pour ce qui concerne la présentation en ligne de documents soumis à l’appui d’une demande adressée à l’administration de l’Union, à l’article 149, paragraphe 1, du règlement 2018/1046. Conformément à cette exigence, le système de dépôt en ligne utilisé par les soumissionnaires doit être aménagé de manière à ce que les documents relatifs à la demande restent
inchangés pendant toute la procédure administrative. Les procédures de passation de marchés publics par l’Union ne font pas exception à cette règle. L’intégrité des données doit donc être assurée dès avant l’expiration du délai de dépôt des offres, ce qui exige que tout document soumis à l’appui d’une offre soit soumis dans une forme et selon des modalités qui excluent toute modification ultérieure d’un tel document.

85 L’inscription de l’exigence d’intégrité des données dans le règlement 2018/1046 infirme par ailleurs l’argument de IC selon lequel la soumission de documents à l’appui d’une offre dans le cadre d’une procédure de passation de marchés publics par l’Union ne relève d’aucune « norme ». C’est, partant, à bon droit que le Tribunal a constaté, en substance, au point 148 de l’arrêt attaqué, que même à supposer que la Commission ait donné à IC des assurances en ce sens que les documents descriptifs du
contenu et de la pédagogie pouvaient être déposés au moyen de liens hypertexte, ces assurances auraient été incompatibles avec les normes en vigueur. Parmi ces normes figurent, d’ailleurs, non seulement l’exigence d’intégrité des données, mais également les principes régissant la passation de marchés publics, parmi lesquels les principes de transparence et d’égalité de traitement, dont l’article 160 du règlement 2018/1046 exige le respect.

86 Lesdites normes, ainsi que des considérations de bonne administration, peuvent justifier que la consigne de téléverser les documents soumis à l’appui de l’offre s’applique à l’ensemble de ces documents, sans que soient prévues des exceptions pour certaines catégories de documents dont la modification ultérieure serait, pour des raisons techniques ou juridiques, extrêmement difficile, voire impossible. Dès lors, même à supposer que l’argument du Royaume d’Espagne tiré du caractère non modifiable
des documents enregistrés sous un numéro ISBN (International Standard Book Number) soit exact et ait, ainsi que cet État membre l’affirme, été mal interprété par le Tribunal, une telle circonstance ne serait pas susceptible d’entacher d’erreur le raisonnement, à lui seul déterminant, suivi dans l’arrêt attaqué, selon lequel IC ne pouvait pas attendre de la Commission que celle-ci évalue des documents non téléversés sur l’application eSubmission, mais rendus accessibles uniquement au moyen de
liens hypertexte.

87 Le Tribunal ayant conclu, sans méconnaissance des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, que, au regard du besoin de garantir que l’ensemble du dossier déposé par chaque soumissionnaire demeure inchangé, les documents rendus accessibles au moyen de liens hypertexte ne pouvaient pas être pris en compte dans l’évaluation des offres, c’est également à bon droit qu’il a considéré, aux points 143, 144, 146 et 147 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas
tenue d’examiner, en sollicitant des preuves des soumissionnaires ayant fait usage de liens hypertexte, si les documents rendus accessibles au moyen de tels liens étaient restés inchangés après l’expiration du délai de dépôt des offres.

88 À cet égard, le Tribunal a exposé à juste titre, au point 147 de l’arrêt attaqué, que la jurisprudence issue de l’arrêt du 10 octobre 2013, Manova (C‑336/12, EU:C:2013:647), ne pouvait être comprise en ce sens que la Commission devait inviter IC à régulariser le dépôt des documents en cause. En effet, cet arrêt concerne la possibilité, pour le pouvoir adjudicateur, d’inviter un soumissionnaire à régulariser le dépôt de son offre en introduisant des documents descriptifs de la situation de ce
soumissionnaire. Or, outre que les documents concernés dans l’affaire qui a donné lieu audit arrêt ne concernaient pas, contrairement à la présente espèce, l’offre elle-même, le même arrêt n’introduit pas une obligation pour le pouvoir adjudicateur de demander une régularisation.

89 Enfin, il ressort des considérations qui précèdent que le Tribunal a motivé ses appréciations de façon claire et non équivoque, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel. Dès lors, l’allégation de IC selon laquelle l’arrêt attaqué est insuffisamment motivé, laquelle est exclusivement fondée sur les arguments de fond qui viennent d’être rejetés et avec lesquels elle se confond, doit être écartée
comme étant manifestement non fondée.

90 Il ressort de tout ce qui précède que le premier moyen de pourvoi de IC et le deuxième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne doivent être rejetés.

Sur le second moyen de pourvoi de IC

Argumentation des parties

91 IC rappelle que, par son deuxième moyen soulevé devant le Tribunal, il a reproché à la Commission d’avoir omis d’effectuer un examen comparatif de la qualité des offres concurrentes. Cette institution se serait, en effet, limitée à procéder à une évaluation isolée de chacune des offres et à classer ces offres suivant les résultats obtenus au terme de ces évaluations isolées.

92 Le Tribunal aurait rejeté ce moyen en exposant, pour l’essentiel, que la comparaison des offres n’impose pas la mise en relation des propositions des soumissionnaires pour identifier les caractéristiques et avantages des unes par rapport aux autres.

93 Ce raisonnement serait reflété, en particulier, au point 165 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a constaté que l’offre du groupement CLL avait été évaluée au regard des critères d’attribution figurant dans le cahier des charges, tout comme l’avait été l’offre de IC, de sorte que rien ne permettait de considérer que la Commission ne se serait pas conformée à l’exigence d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs qui assurent le respect des
principes de transparence et d’égalité de traitement.

94 Selon IC, une telle approche de comparaison des offres est erronée en droit. Lorsque, comme en l’espèce, l’application du critère d’attribution de l’offre économiquement la plus avantageuse exige d’identifier l’offre qui présente le meilleur rapport qualité/prix, il faudrait mettre en relation la qualité des offres respectives. Seule cette approche de confrontation directe des offres garantirait la « comparaison objective de la valeur relative des offres afin de déterminer, dans des conditions de
concurrence effective, quelle est l’offre économiquement la plus avantageuse », au sens du considérant 90 de la directive 2014/24. Ce considérant 90 serait pertinent pour interpréter la portée de l’article 67 de cette directive, cet article 67 étant lui-même pertinent, ainsi qu’il ressort du considérant 106 du règlement 2018/1046, pour comprendre le sens du critère d’attribution de l’offre économiquement la plus avantageuse imposé par l’article 167, paragraphe 4, de ce règlement.

95 L’offre déposée par le groupement CLL pour l’ensemble des lots aurait dû faire l’objet d’une comparaison effective avec les offres des autres soumissionnaires, séparément pour chaque lot. Un tel examen comparatif aurait pu conduire à une évaluation différente de l’offre du groupement CLL pour chaque lot. Or, le comité d’évaluation aurait attribué une note identique à l’offre de ce groupement pour chacun des lots, alors même que le cahier des charges précisait que, en cas de soumission d’une offre
pour plusieurs lots, une évaluation de chaque lot serait effectuée. Ainsi, ce serait à tort que le Tribunal a accepté, au point 166 de l’arrêt attaqué, l’évaluation uniforme de l’offre du groupement CLL.

96 Le fait que l’offre du groupement CLL était, en substance, identique pour chacun des lots serait à cet égard indifférent, puisque les offres des autres soumissionnaires étaient différentes d’un lot à l’autre, ce qui devrait garantir une valeur relative distincte, d’un lot à l’autre, de l’offre du groupement CLL par rapport à celle de ses concurrents.

97 Le rejet du deuxième moyen du recours serait, en outre, entaché d’une motivation contradictoire.

98 À cet égard, IC observe qu’il est constaté, au point 174 de l’arrêt attaqué, que « la Commission a mis en confrontation les propositions techniques. En ce sens, la Commission a effectivement constaté que l’offre [de IC] présentait un défaut concernant l’autoapprentissage. En l’espèce, il y a lieu de constater que l’offre a été évaluée comme étant de moins haute qualité que celle du groupement CLL, dès lors que celle‑ci n’a pas spécifié l’autoapprentissage ». Selon IC, en s’exprimant ainsi, le
Tribunal a laissé entendre que le pouvoir adjudicateur doit évaluer les propositions concurrentes les unes par rapport aux autres, ce qui serait contradictoire avec les autres motifs de l’arrêt attaqué conduisant au rejet du deuxième moyen du recours. Par défaut, il faudrait considérer que, à ce point 174, le Tribunal a constaté que la Commission a effectivement comparé les offres concurrentes les unes par rapport aux autres. Ce constat serait, en pareille hypothèse, incohérent avec les autres
constatations du Tribunal dans l’arrêt attaqué et constituerait, en tout état de cause, une dénaturation des faits puisque, en réalité, la Commission n’a pas mis en relation les propositions techniques concurrentes afin de déterminer leurs caractéristiques et leurs avantages relatifs.

99 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

100 Ainsi qu’il ressort des faits constatés par le Tribunal et résumés au point 15 du présent arrêt, la Commission devait, aux fins de l’attribution du marché public en cause, se fonder, conformément à l’article 167, paragraphe 4, du règlement 2018/1046, sur le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse, ce critère pouvant, selon cette disposition, être appliqué selon la méthode du prix le plus bas, celle du coût le plus bas ou celle du meilleur rapport qualité/prix.

101 Il ressort également de ces faits que la méthode suivie en l’espèce a été celle du meilleur rapport qualité/prix.

102 Il est vrai, comme le souligne IC, que cette méthode exige une comparaison objective de la « valeur relative » des offres. Cette exigence ressort notamment du considérant 90 de la directive 2014/24, qui est pertinent pour interpréter la portée de l’article 67 de cette directive, cet article 67 étant lui-même, ainsi qu’il ressort du considérant 106 du règlement 2018/1046, pertinent pour interpréter l’article 167, paragraphe 4, de ce règlement.

103 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir IC, l’appréciation du Tribunal selon laquelle une telle comparaison objective en fonction de la valeur relative des offres a été réalisée en l’espèce n’est pas entachée d’une erreur de droit ou d’une dénaturation des faits.

104 À cet égard, le Tribunal a constaté, aux points 165 et 166 de l’arrêt attaqué, que les offres du groupement CLL et de IC ont, chacune, été évaluées au regard des critères fixés par le cahier des charges. Ainsi qu’il est rappelé aux points 23 et 26 du présent arrêt, ces évaluations ont conduit à un score total de 88,89 points sur 100 pour le groupement CLL et de 87,40 points sur 100 pour IC.

105 Ces faits ne sont pas contestés par IC.

106 Il apparaît ainsi que la « valeur relative » des offres a effectivement été évaluée, la valeur de l’offre du groupement CLL ayant été estimée comme étant supérieure de 1,49 point par rapport à la valeur de l’offre de IC.

107 En outre, IC n’a apporté aucun élément permettant de démontrer que la réglementation de l’Union impose au pouvoir adjudicateur de comparer d’une autre manière les offres des soumissionnaires ou d’étayer son affirmation selon laquelle le point 174 de l’arrêt attaqué devrait être interprété en ce sens. À ce dernier égard, il convient de relever que, à ce point 174, qui se réfère aux points 165 à 168 de cet arrêt, le Tribunal ne formule aucune appréciation qui contredirait celles figurant dans ces
derniers points. En effet, il y est uniquement constaté que, en évaluant chacune des offres techniques au regard du cahier des charges, la Commission a « mis en confrontation les propositions techniques », c’est-à-dire qu’elle a pu les comparer. Cela correspond, en substance, à ce qui figure à ces points 165 à 168.

108 IC n’a pas davantage étayé son allégation selon laquelle l’évaluation de la valeur de l’offre du groupement CLL a été uniforme pour l’ensemble des lots du marché public en cause. S’il est certes apparu que tous les lots de ce marché ont été attribués, au premier rang, au groupement CLL, il ne ressort, en revanche, ni des faits constatés par le Tribunal ni de ceux invoqués par IC que les scores obtenus par les soumissionnaires classés au second rang pour les différents lots dudit marché aient été
identiques. Rien ne permet donc de considérer que la « valeur relative » de l’offre du groupement CLL ait été uniforme pour l’ensemble des lots.

109 Par conséquent, aucun des arguments présentés par IC à l’appui du second moyen de son pourvoi ne permet d’établir que le Tribunal a commis une erreur de droit ou a dénaturé les faits en constatant, au point 165 de l’arrêt attaqué, que rien ne permettait de considérer que la Commission ne se serait pas conformée à l’exigence d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs qui assurent le respect des principes de transparence, de non-discrimination et
d’égalité de traitement.

110 Il s’ensuit que le second moyen de pourvoi de IC est non fondé.

Sur le premier moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne

Argumentation des parties

111 Le Royaume d’Espagne fait valoir que, en omettant de constater que la décision litigieuse est entachée d’un défaut de motivation, le Tribunal a méconnu la portée de l’obligation de motivation consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.

112 Cet État membre relève, d’une part, que le score total attribué à l’offre du groupement CLL n’a été supérieur que de 1,49 point à celui de l’offre de IC. D’autre part, le défaut documentaire n’aurait concerné que certains éléments des sous-critères 1.1 et 1.2. Ce défaut documentaire aurait été l’une des raisons pour lesquelles IC a obtenu les notes de 22/30 et de 21/30 dans le cadre de l’évaluation de ces sous-critères.

113 Or, la décision litigieuse ne permettrait pas de savoir pour quelles raisons précises ces notes ont été attribuées à l’offre de IC.

114 Le fait de donner accès à une grille d’évaluation qui contient une succession de commentaires sur différents éléments d’un sous-critère, sans indication des points ajoutés ou déduits pour chacun de ces éléments, serait insuffisant.

115 Le Tribunal aurait certes rappelé à juste titre, au point 65 de l’arrêt attaqué, que, pour que l’obligation de motivation soit satisfaite, il suffit que le soumissionnaire évincé puisse comprendre pourquoi l’offre retenue est supérieure à l’offre non retenue. En l’espèce, toutefois, le Tribunal aurait, à tort, omis de constater que la décision litigieuse ne permettait précisément pas à IC de comprendre pourquoi l’offre du groupement CLL avait été notée plus favorablement.

116 Le Royaume d’Espagne souligne qu’il ne remet pas en cause la large marge d’appréciation du pouvoir adjudicateur pour répartir les points de chaque sous-critère entre les différents éléments de celui-ci. Il affirme cependant que la Commission doit préciser combien de points elle attribue à chacun de ces éléments. À l’appui de cet argument, il se réfère aux points 247 à 254 de l’arrêt du 27 avril 2016, European Dynamics Luxembourg e.a./EUIPO (T‑556/11, EU:T:2016:248).

117 Il ressortirait de cet arrêt que l’absence de corrélation entre, d’une part, les commentaires positifs et négatifs attribués à chaque élément évalué et, d’autre part, une attribution ou une déduction spécifique de points constitue une violation de l’obligation de motivation.

118 Dès lors, en jugeant en substance, aux points 63, 102, 117 et 118 de l’arrêt attaqué, que cette absence de corrélation est dépourvue de pertinence, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

119 Le Tribunal aurait constaté, au point 90 de l’arrêt attaqué, que, en l’espèce, le cahier des charges est moins détaillé que celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 avril 2016, European Dynamics Luxembourg e.a./EUIPO (T‑556/11, EU:T:2016:248). Selon le Royaume d’Espagne, ce raisonnement du Tribunal est erroné en droit, puisqu’il revient à affirmer que c’est la précision avec laquelle le cahier des charges est rédigé qui détermine la portée de l’obligation de motivation. Or,
la portée de cette obligation ne saurait dépendre des documents de marché. En l’espèce, ce serait le fait, constaté aux points 76 à 78 et 90 de l’arrêt attaqué, que chaque sous-critère contenait différents éléments et que ces éléments ont fait l’objet d’une appréciation spécifique par des commentaires positifs ou négatifs qui aurait dû être considéré par le Tribunal comme étant déterminant.

120 En définitive, selon le Royaume d’Espagne, il conviendrait que la décision prise par l’administration indique le poids effectivement attribué lors de l’appréciation de chacun des éléments qui a fait l’objet d’une évaluation indépendante.

121 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

122 En ce qui concerne l’obligation de motivation qui incombe à la Commission en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, il importe de rappeler que la motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de cet acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications dudit acte et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2024,
Agentsia  Patna infrastruktura  (Financement européen d’infrastructures routières), C‑471/22, EU:C:2024:99, point 25 et jurisprudence citée].

123 La portée précise de l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est donc pas exigé que la motivation d’un acte spécifie tous les éléments de fait et de droit qui pourraient être considérés comme étant pertinents [arrêt du 30 janvier 2024, Agentsia
 Patna infrastruktura  (Financement européen d’infrastructures routières), C‑471/22, EU:C:2024:99, point 26 et jurisprudence citée].

124 Le Royaume d’Espagne reproche au Tribunal d’avoir omis de constater une violation, par la Commission, de son obligation de motivation à l’égard de IC. Tout en ne contestant pas que IC a été informé, d’une part, des scores obtenus par lui-même et par le groupement CLL au titre de chaque critère et de chaque sous-critère d’attribution et, d’autre part, des commentaires positifs et négatifs ayant été formulés par le comité d’évaluation, cet État membre estime que la Commission était tenue de
préciser la corrélation existant entre chacun de ces commentaires et le score obtenu, de manière à ce que IC soit en mesure de connaître le nombre de points qui ont spécifiquement été ajoutés ou déduits en fonction de chacun desdits commentaires.

125 Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, il ne saurait être exigé du pouvoir adjudicateur qu’il transmette à un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue, d’une part, outre les motifs du rejet de cette dernière, un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle-ci et, d’autre part, dans le cadre de la communication des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, une analyse comparative
minutieuse de cette dernière et de l’offre du soumissionnaire évincé (arrêt du 3 mai 2018, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a., C‑376/16 P, EU:C:2018:299, point 57 et jurisprudence citée).

126 En outre, l’obligation de motivation n’exige en principe pas qu’un poids spécifique soit attaché à chaque commentaire négatif ou positif dans l’évaluation. Cela étant, dans le cas où les documents de marché contiennent des poids chiffrés spécifiques attachés aux critères ou aux sous-critères, le principe de transparence exige qu’une évaluation chiffrée soit accordée à ces critères ou sous‑critères (arrêt du 3 mai 2018, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a., C‑376/16 P, EU:C:2018:299,
point 63).

127 En l’espèce, il est constant que le cahier des charges prévoyait une pondération de points au niveau des critères et des sous-critères, mais qu’il distinguait également, à l’intérieur de chaque sous-critère, divers éléments qui n’étaient, quant à eux, pas individuellement assortis d’une pondération spécifique de points.

128 Dans ces conditions, ainsi que le Tribunal l’a exposé au point 102 de l’arrêt attaqué, la Commission n’était pas tenue de calculer ni, partant, d’indiquer, dans sa décision ou dans les grilles d’évaluation transmises à IC, dans quelle mesure précise, exprimée en points, chaque commentaire portant sur un élément individuel d’un sous-critère, contribuait au score obtenu au titre de ce sous-critère.

129 Il peut, certes, en aller autrement lorsqu’il est prévu d’attribuer des fractions de point pour un ou plusieurs éléments d’un sous-critère. Dans ce cas, le principe de transparence et l’obligation de motivation exigent que les fractions de point attribuées en fonction des commentaires positifs et négatifs sur ces éléments de ce sous-critère soient divulguées à l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2018, EUIPO/European Dynamics Luxembourg e.a., C‑376/16 P, EU:C:2018:299, points 65 à 67).
Toutefois, en l’espèce, il apparaît que les différents éléments des sous-critères n’étaient pas individuellement assortis d’une pondération spécifique de points. Ainsi qu’il a été rappelé au point 126 du présent arrêt, il est loisible au pouvoir adjudicateur de limiter l’évaluation chiffrée au seul niveau des critères et des sous-critères. Partant, il n’est pas tenu d’identifier, à l’intérieur du score attribué pour un sous-critère, des fractions de score au titre de chaque composante
individuelle de ce sous-critère. C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu constater que les commentaires positifs et négatifs exprimés au regard de ces composantes ne devaient pas conduire à l’attribution d’un poids chiffré au titre de chacun de ces commentaires.

130 Partant, le deuxième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne doit être rejeté.

Sur le troisième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne

Argumentation des parties

131 Le Royaume d’Espagne observe que le deuxième moyen du recours de IC devant le Tribunal concernait l’absence de comparaison entre les offres du groupement CLL et de IC, et que, par son cinquième moyen de recours, IC reprochait à la Commission d’avoir attribué tous les lots du marché à un seul prestataire de services.

132 Cet État membre rappelle qu’il a, afin de soutenir ces moyens de IC, invoqué devant le Tribunal une violation du principe d’égalité de traitement, en illustrant de manière concrète la différence de traitement subie par IC.

133 Cette argumentation aurait été examinée de manière erronée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

134 À cet égard, premièrement, le Royaume d’Espagne observe qu’il a souligné, au cours de la procédure devant le Tribunal, que la Commission n’avait procédé à aucune appréciation spécifique du contenu de l’offre du groupement CLL portant sur l’étape de la formation linguistique dite « évaluations sommatives finales ». S’agissant de l’offre de IC, elle aurait, en revanche, exprimé un commentaire négatif sur cet aspect.

135 Au point 176 de l’arrêt attaqué, tout en reconnaissant cette différence, le Tribunal se serait contenté de considérer que celle-ci était justifiée par le défaut documentaire dans l’offre de IC. Or, selon le Royaume d’Espagne, si le défaut documentaire peut expliquer le commentaire négatif relatif à cette offre, il ne peut pas expliquer l’absence de commentaire, au sujet des évaluations sommatives finales, sur l’offre du groupement CLL.

136 Deuxièmement, le Royaume d’Espagne fait valoir qu’il avait invoqué, devant le Tribunal, le fait que, dans l’évaluation du sous-critère 1.1, la Commission avait positivement commenté l’offre du groupement CLL en ce qui concerne certains outils numériques proposés par ce groupement, tandis que, au sujet des outils numériques proposés dans l’offre de IC, cette institution s’était bornée à indiquer, sans évaluation, que cette offre énumérait de tels outils.

137 Le Tribunal aurait, aux points 179 et 180 de l’arrêt attaqué, rejeté cet argument en considérant que, à propos des outils numériques, le commentaire relatif à l’offre de IC était équivalent à celui relatif à l’offre du groupement CLL. Une telle appréciation du Tribunal serait erronée puisque la Commission, concernant cet élément du sous‑critère 1.1, aurait omis de formuler une évaluation de l’offre de IC.

138 En réalité, vu l’absence de mesure d’instruction visant à contraindre la Commission à s’expliquer à ce sujet, le Tribunal n’aurait pas été en mesure de savoir si la Commission a attribué la même note au groupement CLL et à IC pour ledit élément du sous-critère 1.1.

139 Le Royaume d’Espagne rappelle qu’il avait, dès lors, demandé au Tribunal de solliciter de la Commission la production de l’évaluation complète des sous-critères 1.1 et 1.2. Selon cet État membre, cette mesure d’instruction était nécessaire pour étayer l’argument selon lequel la Commission, lors de l’évaluation du sous-critère 1.1, a spécifiquement mentionné et évalué les outils numériques proposés par le groupement CLL, mais pas ceux proposés par IC, ces derniers n’ayant pas été évalués pour
déterminer, notamment, s’ils facilitent la consolidation des apprentissages ou s’ils permettent une évaluation continue.

140 Ledit État membre ajoute que, au point 150 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté cette demande de mesure d’instruction au motif qu’il ressortirait de l’article 88 du règlement de procédure du Tribunal qu’une telle demande ne peut pas être présentée par une partie intervenante. Toutefois, une telle interprétation de cet article 88 serait erronée, puisqu’elle se fonde isolément sur cette disposition sans tenir compte du contexte dans lequel celle-ci s’inscrit. Ce contexte inclurait
l’article 145, paragraphe 2, sous c), de ce règlement de procédure, qui permettrait aux parties intervenantes de soumettre des preuves et des offres de preuve.

141 Troisièmement, le Royaume d’Espagne observe qu’il a soutenu devant le Tribunal que la Commission avait évalué les méthodes d’apprentissage proposées dans l’offre de IC, mais non celles proposées dans l’offre du groupement CLL.

142 En rejetant cet argument au point 178 de l’arrêt attaqué au motif que l’acceptation de celui-ci « reviendrait à réserver un traitement encore plus favorable [à IC] », le Tribunal aurait dénaturé ledit argument. En l’absence de cette dénaturation, le Tribunal aurait pu constater que la différence de traitement mentionnée au point précédent du présent arrêt est inacceptable, puisque, si la Commission avait évalué les méthodes d’apprentissage proposées par le groupement CLL, elle aurait pu parvenir
à une évaluation négative de celles-ci.

143 Quatrièmement, le Royaume d’Espagne relève qu’il a soutenu devant le Tribunal que la Commission s’était limitée, dans son appréciation de l’offre du groupement CLL relative à l’élément « organisation du contenu » visé au sous-critère 1.1, à une analyse formelle conduisant au commentaire que cette organisation était détaillée et présentait une structure très claire, tandis que, dans son appréciation de l’offre de IC, elle avait commenté le contenu des cours.

144 Au point 182 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait erronément écarté cet argument au motif que la Commission avait émis un commentaire positif sur le contenu des cours, alors que le Royaume d’Espagne contestait le fait que la Commission n’avait procédé à aucune évaluation s’agissant de l’organisation de ce contenu.

145 Au regard de ces quatre illustrations, le Royaume d’Espagne conclut que le Tribunal a omis de constater que la Commission a appliqué une méthodologie différente dans l’évaluation des offres de IC et du groupement CLL. En outre, l’arrêt attaqué violerait l’article 145, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

146 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

147 Ainsi que l’expose le Royaume d’Espagne, les points de l’arrêt attaqué qu’il conteste par le troisième moyen de son pourvoi répondent à des arguments qu’il avait soulevés à l’appui des deuxième et cinquième moyens du recours de IC, par lesquels ce dernier critiquait, notamment, le fait que tous les lots du marché public en cause avaient été attribués au groupement CLL. Ce résultat favorable au groupement CLL aurait été la conséquence de lacunes, voire d’un traitement arbitraire, dans la
comparaison des offres. Selon ces arguments du Royaume d’Espagne présentés devant le Tribunal, il ressortait des grilles d’évaluation des offres du groupement CLL et de IC concernant le lot no 3 que l’évaluation de l’offre du groupement CLL n’avait, sur certains aspects, pas été aussi approfondie que l’évaluation de l’offre de IC et avait, sur d’autres aspects, été plus approfondie que celle-ci.

148 À cet égard, il y a lieu de relever que le fait qu’il existe des divergences, en termes de contenu ou de degré de détail, entre les commentaires formulés par le comité d’évaluation sur les différentes offres n’est pas, en soi, un indice de l’existence d’une inégalité de traitement ou d’un traitement arbitraire. Dès lors que les offres diffèrent l’une de l’autre, elles conduisent à la formulation de commentaires qui peuvent, sur certains aspects, être plus détaillés à l’égard d’un soumissionnaire
qu’à l’égard d’un autre.

149 Si, certes, l’existence d’une inégalité de traitement ou d’un traitement arbitraire doit être constatée lorsque sont apportés des indices précis et concordants d’un tel comportement illégal, force est toutefois de constater qu’il ne ressort pas des points de l’arrêt attaqué visés par le troisième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne que de tels indices aient été trouvés dans les grilles d’évaluation des offres du groupement CLL et de IC concernant le lot no 3.

150 Cette évaluation opérée par le Tribunal, qui est de nature factuelle, échappe au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

151 En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la
Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 13 mars 2025, PKK/Conseil, C‑72/23 P, EU:C:2025:182, point 113 et jurisprudence citée). En l’espèce, les arguments du Royaume d’Espagne concernent l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal, sans indication d’éléments de fait qui auraient été dénaturés.

152 Par conséquent, dans la mesure où le troisième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne est tiré d’une méconnaissance du principe d’égalité de traitement et de l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des offres, ce moyen est irrecevable.

153 En revanche, pour autant que le Royaume d’Espagne fait valoir que le rejet, au point 150 de l’arrêt attaqué, de sa demande de mesure d’instruction est fondé sur une lecture erronée de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et prive ainsi d’effet utile l’article 145, paragraphe 2, sous c), de ce règlement de procédure, cet État membre soulève une question de droit.

154 L’article 88, paragraphe 1, dudit règlement de procédure énonce que les mesures d’instruction peuvent être prises soit d’office, soit à la demande d’une partie principale.

155 Ainsi qu’il ressort sans ambiguïté de cette disposition, les parties intervenantes ne sont pas autorisées à introduire des demandes de mesures d’instruction devant le Tribunal.

156 Contrairement à ce que fait valoir le Royaume d’Espagne, cette exclusion des parties intervenantes ne prive pas d’effet utile l’article 145, paragraphe 2, sous c), du même règlement de procédure. En effet, cette disposition, qui exige que le mémoire en intervention contienne les preuves et offres de preuves sur lesquels s’appuient les moyens et arguments invoqués par l’intervenant, concerne les preuves produites ou offertes par la partie intervenante elle-même et non les preuves qu’une autre
partie produirait à la suite d’une mesure d’instruction prise par le Tribunal.

157 Par conséquent, en tant qu’il est tiré d’une violation de l’article 145, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, le troisième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne est non fondé.

158 Il ressort de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

Sur le quatrième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne

Argumentation des parties

159 Le Royaume d’Espagne rappelle que le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, comporte notamment les exigences d’impartialité objective et de transparence. En rejetant le cinquième moyen du recours de IC, le Tribunal aurait méconnu ces exigences.

160 À cet égard, le Royaume d’Espagne fait valoir que, dans une procédure de passation de marché public qui se fonde sur le critère d’attribution du meilleur rapport qualité/prix, l’évaluation de la qualité de l’offre doit être effectuée séparément de l’évaluation du prix. Une telle séparation garantirait que l’évaluation de la qualité ne soit pas influencée par le prix. Ainsi serait-il évité qu’une offre plus chère soit considérée, par ce fait même, comme étant de meilleure qualité.

161 Au point 209 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait constaté à juste titre que, par cet argument, le Royaume d’Espagne n’entendait pas invoquer une partialité subjective des membres du comité d’évaluation. Toutefois, au point 208 de cet arrêt, le Tribunal aurait erronément interprété ledit argument, qui est fondé sur l’exigence d’impartialité objective, en ce sens que par celui-ci, le Royaume d’Espagne reprochait à la Commission d’avoir d’abord évalué le prix et ensuite la qualité des offres.
Cette lecture de son argumentation serait erronée puisque, en réalité, la préoccupation de cet État membre porterait sur le risque que ne soit pas garantie la séparation entre ces deux évaluations.

162 Selon le Royaume d’Espagne, le Tribunal aurait dû constater qu’il ne pouvait être exclu que la Commission ait évalué simultanément le prix et la qualité des offres, et qu’elle ait, de cette manière, été influencée par le prix élevé de l’offre du groupement CLL pour conclure, sur la base du prix, que cette offre était de qualité élevée.

163 À cet égard, cet État membre rappelle que, pour démontrer que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité. Il suffirait qu’un doute légitime existe et ne puisse pas être dissipé.

164 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

165 Le droit fondamental à une bonne administration, énoncé à l’article 41 de la Charte, inclut, aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, le droit de voir ses affaires traitées impartialement. Cette exigence d’impartialité comporte une composante subjective et une composante objective. Conformément à cette dernière composante, chaque institution, organe et organisme de l’Union doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (arrêt du 14 mars
2024, D & A Pharma/Commission et EMA, C‑291/22 P, EU:C:2024:228, points 72 et 73 ainsi que jurisprudence citée).

166 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des faits constatés par le Tribunal au sujet des critères d’évaluation, résumés aux points 15 à 19 du présent arrêt, le cahier des charges prévoyait une évaluation distincte du prix, pondéré à 30 %, et de la qualité, pondérée à 70 %. Cette distinction prévue par le cahier des charges est stricte. Il résulte, en effet, de la description des critères et des sous-critères concernant la qualité que chacun de ceux-ci est totalement étranger au prix de l’offre.

167 Aux points 208 et 209 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le Royaume d’Espagne n’avait apporté aucune preuve ni aucun indice de ce que la Commission n’aurait pas respecté cette distinction ou aurait organisé la procédure de manière à ce que l’évaluation fondée sur la qualité soit influencée par celle fondée sur le prix.

168 Le Royaume d’Espagne n’invoque aucune dénaturation de faits pour contester cette appréciation du Tribunal.

169 Or, ladite appréciation du Tribunal a dûment permis d’écarter l’argument du Royaume d’Espagne tiré d’une violation de l’exigence d’impartialité. En effet, à supposer même que la préoccupation exprimée par cet État membre sur un éventuel préjugé en faveur de l’offre la plus chère ait une quelconque pertinence, il demeurerait qu’une distinction, telle que celle opérée par les documents de marché, entre l’évaluation fondée sur le prix et celle fondée sur la qualité fournit des garanties suffisantes
pour exclure tout doute légitime quant à un tel éventuel préjugé.

170 Par conséquent, en tant que le quatrième moyen de pourvoi du Royaume d’Espagne est tiré d’une méconnaissance de l’exigence d’impartialité objective, il doit être écarté comme étant non fondé.

171 Enfin, le Royaume d’Espagne soutient que le Tribunal a méconnu l’exigence de transparence, sans toutefois présenter aucune argumentation spécifique à cet égard. Or, conformément à une jurisprudence constante, il ressort de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments
critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 4 octobre 2024, thyssenkrupp/Commission, C‑581/22 P, EU:C:2024:821, points 57 et 58). Il s’ensuit que le grief du Royaume d’Espagne tiré d’une méconnaissance de l’exigence de transparence est irrecevable.

172 Il s’ensuit que ce moyen doit être rejeté.

173 Aucun moyen soulevé à l’appui des pourvois n’ayant été accueilli, ces pourvois doivent être rejetés dans leur intégralité.

Sur les dépens

174 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

175 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

176 La Commission ayant conclu à la condamnation de IC et du Royaume d’Espagne aux dépens et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission dans le cadre des pourvois.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

  1) Les pourvois dans les affaires C‑534/23 P et C‑539/23 P sont rejetés.

  2) Instituto Cervantes et le Royaume d’Espagne supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, afférents aux pourvois.

Rodin

Lycourgos

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juillet 2025.
 
Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

S. Rodin

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( *1 ) Langue de procédure : le français


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-534/23
Date de la décision : 03/07/2025
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

3 juillet 2025 *Langue de procédure : le français«Pourvoi – Passation de marchés publics par l’Union européenne – Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Marché de services de formation linguistique – Obligation de soumettre les offres au moyen de l’application électronique eSubmission – Utilisation, par un soumissionnaire, d’un lien hypertexte renvoyant à un site Internet comprenant des documents descriptifs de l’offre – Refus de l’administration de tenir compte de ces documents – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Impartialité objective – Obligation de motivation – Méthode d’évaluation comparative des offres».


Parties
Demandeurs : Instituto Cervantes
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Norkus
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:523

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