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12/06/2025 | CJUE | N°C-7/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Deutsche Rentenversicherung Nord et BG Verkehr contre Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège en tant que représentant de Marius Pedersen A/S et Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège., 12/06/2025, C-7/24


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

12 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 85, paragraphe 1 – Prestations dues en vertu de la législation d’un État membre pour des dommages survenus sur le territoire d’un autre État membre – Droit de recours des institutions débitrices contre le tiers responsable – Droits détenus par la victime – Subrogation – Limites »

Dans l’affaire C‑7

/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Retten i Svend...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

12 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 85, paragraphe 1 – Prestations dues en vertu de la législation d’un État membre pour des dommages survenus sur le territoire d’un autre État membre – Droit de recours des institutions débitrices contre le tiers responsable – Droits détenus par la victime – Subrogation – Limites »

Dans l’affaire C‑7/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Retten i Svendborg (tribunal de Svendborg, Danemark), par décision du 2 janvier 2024, parvenue à la Cour le 4 janvier 2024, dans la procédure

Deutsche Rentenversicherung Nord,

BG Verkehr

contre

Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège, en tant que représentant de Marius Pedersen A/S,

Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. A. Arabadjiev (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges,

avocat général : M. R. Norkus,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mars 2025,

considérant les observations présentées :

– pour Deutsche Rentenversicherung Nord et BG Verkehr, par Me T. Birch, advokat,

– pour Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège, en tant que représentant de Marius Pedersen A/S, et Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège, par Me H. Saugmandsgaard Øe, advokat,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme J. Benešová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme M.‑L. Ehlers Defontaine et M. B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 85, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Deutsche Rentenversicherung Nord (ci-après « DRV‑N ») et BG Verkehr (ci-après « BG‑V ») à Gjensidige Forsikring (ci-après « GF »), filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège, agissant en tant que représentant de Marius Pedersen A/S (ci-après « MP ») et en son nom propre, au sujet d’une action récursoire relative à des prestations versées à la veuve d’un ressortissant allemand décédé à la suite d’un accident du travail
survenu au Danemark.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 dispose :

« Si une personne bénéficie de prestations en vertu de la législation d’un État membre pour un dommage résultant de faits survenus dans un autre État membre, les droits éventuels de l’institution débitrice à l’encontre du tiers tenu à la réparation du dommage sont réglés de la manière suivante :

a) lorsque l’institution débitrice est subrogée, en vertu de la législation qu’elle applique, dans les droits que le bénéficiaire détient à l’égard du tiers, cette subrogation est reconnue par chaque État membre ;

b) lorsque l’institution débitrice a un droit direct à l’égard du tiers, chaque État membre reconnaît ce droit. »

Le droit danois

4 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de l’erstatningsansvarslov (loi sur la responsabilité civile), du 24 août 2018 :

« Toute personne responsable d’un dommage corporel doit verser une indemnité pour la perte de revenus, les frais médicaux et autres pertes résultant du dommage, ainsi qu’une indemnité pour le préjudice moral. »

5 L’article 13, paragraphe 1, de cette loi prévoit :

« L’indemnité pour perte d’un soutien de famille du conjoint ou du concubin s’élève à 30 % de l’indemnité que le défunt aurait dû percevoir en cas d’incapacité professionnelle totale [...]. Toutefois, l’indemnité doit être d’au moins 644000 [couronnes danoises (DKK) (environ 83720 euros)], sauf circonstances particulières. »

6 L’article 17, paragraphe 1, de ladite loi dispose :

« Les prestations fournies au titre de la législation sociale, notamment les indemnités journalières, l’aide aux personnes malades, les pensions prévues par la législation sociale en matière de pension ainsi que les prestations versées au titre de la loi relative à la couverture des accidents du travail ne peuvent pas donner lieu à une action récursoire contre l’auteur d’un dommage ayant engagé sa responsabilité. [...] »

7 L’article 26a, paragraphe 1, de la même loi prévoit :

« Toute personne qui, délibérément ou par négligence grave, cause la mort d’une autre personne peut être condamnée à verser une indemnité aux survivants qui avaient une relation particulièrement étroite avec le défunt. »

8 Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, de l’arbejdsskadesikringslov (loi sur l’assurance contre les accidents du travail), du 19 août 2022 :

« Si un accident du travail a entraîné la mort, le conjoint survivant a droit à un montant transitoire de 191000 [DKK (environ 28830 euros)] (valeur 2024) si la conclusion du mariage est antérieure à l’accident du travail et que la cohabitation était effective au moment du décès de la victime. Le montant est régularisé conformément à l’article 25. »

9 L’article 20, paragraphe 1, de cette loi est libellé comme suit :

« Toute personne qui a droit à un montant transitoire en vertu de l’article 19, paragraphes 1 à 3, et qui a perdu un soutien de famille à la suite du décès de la personne accidentée ou dont les moyens de subsistance ont été altérés d’une autre manière à la suite du décès, a droit à une indemnisation à ce titre. L’indemnité est déterminée en fonction de l’ampleur du soutien et de la capacité du survivant à subvenir à ses besoins, compte tenu de son âge, de son état de santé, de son éducation, de
son emploi ainsi que de sa dépendance et de sa situation financière. »

10 L’article 77, paragraphe 1, de ladite loi énonce :

« Les prestations prévues par la loi ne peuvent servir de base à une action récursoire contre l’auteur d’un dommage ayant engagé sa responsabilité à l’égard des personnes accidentées ou de leurs survivants [...] Les droits des personnes accidentées ou de leurs survivants contre le responsable du dommage sont réduits dans la mesure où des prestations leur ont été versées ou leur sont dues en vertu de la présente loi. [...] »

Le droit allemand

11 L’article 46 du Sozialgesetzbuch, Sechstes Buch (VI) – Gesetzliche Rentenversicherung (livre VI du code de la sécurité sociale – Régime légal d’assurance retraite, ci-après le « SGB VI ») prévoit l’octroi aux veuves ou aux veufs d’une pension de veuve ou de veuf lorsque le conjoint décédé a été assuré pendant la période minimale généralement requise.

12 L’article 116 du Sozialgesetzbuch, Zehntes Buch (X) – Sozialverwaltungsverfahren und Sozialdatenschutz (livre X du code de la sécurité sociale – Procédure administrative en matière sociale et protection des données sociales, ci-après le « SGB X ») confère aux institutions de sécurité sociale un droit de subrogation dans les droits éventuellement détenus par les bénéficiaires à l’égard des tiers responsables pour les prestations que les institutions étaient tenues d’octroyer à la suite du dommage
subi.

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Le 15 juillet 2015, un ressortissant allemand, qui travaillait comme chauffeur à l’exportation pour une société allemande, a été blessé lors d’un accident qui s’est produit alors qu’il aidait au chargement de marchandises sur son camion à l’une des adresses commerciales de MP au Danemark. Ces blessures ont entraîné son décès peu de temps après.

14 MP a reconnu sa responsabilité civile concernant ce décès. GF, assureur de cette société au titre de la responsabilité civile, a versé à la veuve du travailleur défunt, à la demande de l’avocat de celle‑ci, une indemnité pour perte de soutien de famille, calculée conformément au droit danois.

15 Par ailleurs, DRV‑N et BG‑V, auprès desquelles le défunt était assuré en tant que travailleur allemand, ont versé une pension de veuvage à sa veuve, conformément à l’article 46 du SGB VI.

16 L’article 116 du SGB X prévoyant un droit de subrogation dans les droits de la veuve du travailleur défunt à l’égard du tiers responsable en ce qui concerne la pension ainsi versée, DRV‑N et BG‑V ont demandé le remboursement de cette pension auprès de MP et de GF.

17 MP et GF ont refusé de faire droit à cette demande, au motif que celle‑ci n’était pas fondée au regard du droit danois. En effet, d’une part, le droit à une pension de veuvage en vertu de la législation allemande, laquelle est versée indépendamment de la cause du décès, ne correspondrait pas au droit à une indemnité pour perte de soutien de famille prévu par la législation danoise. D’autre part, GF ayant déjà versé cette indemnité à la veuve du travailleur défunt, celle-ci ne pourrait prétendre à
aucune autre indemnisation en vertu du droit danois.

18 Les 6 et 12 juillet 2018, DRV‑N et BG‑V ont respectivement saisi le Retten i Svendborg (tribunal de Svendborg, Danemark), qui est la juridiction de renvoi, d’une action récursoire contre MP et GF, afin que ces sociétés soient reconnues débitrices des prestations versées à la veuve du travailleur défunt.

19 Tout en admettant que l’indemnité pour perte de soutien de famille versée à la veuve du travailleur défunt a été calculée conformément au droit danois et que cette veuve ne peut prétendre à aucune autre indemnisation en vertu de ce droit, DRV‑N et BG‑V estiment que cette indemnité n’a pas été versée avec effet libératoire dans la mesure où MP et GF n’étaient pas de bonne foi concernant l’action récursoire de DRV‑N et de BG‑V.

20 Par ailleurs, elles soutiennent que les conditions et l’étendue des droits dans lesquels elles sont subrogées doivent être déterminées conformément au droit allemand. Même si l’étendue de leur créance à l’égard de MP et de GF devait être déterminée conformément au droit danois, l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 devrait être interprété en ce sens que les prestations sociales qu’elles ont versées à la veuve du travailleur défunt ne doivent pas être identiques ou comparables,
quant à leur nature, aux prestations prévues par le droit danois pour pouvoir faire l’objet d’une indemnisation. En effet, cette disposition n’aurait pas pour objet d’exclure le recours d’une institution de sécurité sociale débitrice contre l’auteur du dommage en raison d’une absence d’identité entre les prestations qui peuvent être réclamées en vertu respectivement de la législation de l’État membre dans lequel l’institution de sécurité sociale débitrice est établie et de la législation de
l’État membre dans lequel le dommage s’est produit.

21 La juridiction de renvoi relève que, dans l’affaire au principal, se pose, tout d’abord, la question de savoir laquelle des législations nationales en cause détermine l’étendue des droits dans lesquels une institution de sécurité sociale débitrice est subrogée. Ensuite, cette juridiction se demande si une action récursoire présuppose que les prestations sociales dont le remboursement est demandé présentent, par leur nature, un caractère comparable à celui des prestations auxquelles la victime du
dommage pourrait prétendre en vertu du droit de l’État membre dans lequel le dommage s’est produit. Enfin, elle s’interroge sur la signification qui doit être accordée aux termes « par leur nature » employés par la Højesteret (Cour suprême, Danemark) dans sa jurisprudence concernant le domaine en cause.

22 Le droit danois aurait précisé de manière exhaustive la nature des différentes indemnisations auxquelles la victime d’un dommage corporel ou ses survivants peuvent prétendre, telles que l’indemnisation de la perte de revenus professionnels, du pretium doloris, de l’altération permanente de la santé, de la douleur et du préjudice moral, des blessures permanentes, de l’incapacité professionnelle, de la perte d’un soutien de famille, le montant transitoire en cas de décès et l’indemnisation pour
délit civil. La plupart de ces indemnisations seraient plafonnées.

23 L’article 77 de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail prévoirait en outre que l’indemnisation calculée conformément à la loi sur la responsabilité civile est subsidiaire par rapport à l’indemnisation à laquelle la victime ou les survivants peuvent prétendre en vertu de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail et que l’indemnisation des accidents du travail ne peut servir de base à une action récursoire contre l’auteur d’un préjudice débiteur d’une obligation
d’indemnisation.

24 Ni la loi sur la responsabilité civile ni la loi sur l’assurance contre les accidents du travail ne prévoiraient, pour les survivants, un droit à une pension de veuvage de même nature que celle du droit visé au SGB VI et suivant les modalités qui en découlent. Il ne serait donc pas possible d’établir d’emblée une identité entre les demandes d’indemnisation de DRV‑N et de BG‑V et les indemnisations visées par la loi sur la responsabilité civile et la loi sur l’assurance contre les accidents du
travail.

25 La juridiction de renvoi estime ainsi qu’il ne ressort pas clairement de la jurisprudence de la Cour si les règles matérielles de la législation de l’État membre dans lequel le dommage est survenu peuvent limiter l’action récursoire de l’institution de sécurité sociale débitrice dans l’hypothèse où les prestations de sécurité sociale dont l’indemnisation est demandée ne sont pas identiques ou, à tout le moins, ne sont pas comparables, par leur nature, à la créance dont la victime du dommage
pourrait demander l’indemnisation en vertu de ces règles matérielles.

26 Dans ces conditions, le Retten i Svendborg (tribunal de Svendborg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 85, paragraphe 1, du règlement [no 883/2004] doit-il être interprété en ce sens que l’action récursoire de l’institution débitrice en vertu de cette disposition est subordonnée à l’existence, dans l’État membre où le dommage est survenu, d’une base juridique pour le type de compensation ou d’indemnité au titre de laquelle l’action récursoire est exercée, ou pour une prestation équivalente, à la suite du fait dont l’auteur du dommage est responsable en vertu de la loi du lieu où le
dommage est survenu ? »

Sur la question préjudicielle

27 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une personne bénéficie, en vertu de la législation de l’État membre où elle est domiciliée, d’une pension de veuvage à la suite du décès de son conjoint consécutif à un accident du travail survenu dans un autre État membre, et que la législation du premier État membre prévoit, en faveur de l’institution débitrice de cette pension, un
droit de subrogation à l’égard du tiers tenu à la réparation du dommage résultant de cet accident du travail, l’action récursoire de cette institution débitrice est subordonnée à l’existence, dans le second État membre, d’une base juridique permettant l’obtention d’une telle pension ou d’une prestation équivalente.

28 L’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 vise à permettre à une institution de sécurité sociale d’un État membre qui a versé des prestations de sécurité sociale à la suite d’un dommage survenu sur le territoire d’un autre État membre, d’exercer contre le tiers responsable du dommage les voies de recours prévues par le droit qu’elle applique, qu’il s’agisse de la voie de la subrogation ou de l’action directe. Le droit ainsi conféré aux institutions nationales de sécurité sociale
constitue le complément logique et équitable de l’extension des obligations desdites institutions sur l’ensemble du territoire de l’Union, extension qui découle des dispositions de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 1994, DAK, C‑428/92, EU:C:1994:222, point 16).

29 Cette disposition s’analyse ainsi comme une règle de conflit de lois qui impose à la juridiction nationale saisie d’une action en indemnité contre l’auteur du dommage d’appliquer le droit de l’État membre dont relève l’institution débitrice non seulement pour déterminer si cette institution est subrogée légalement dans les droits de la victime ou de ses ayants droit, mais aussi pour déterminer la nature et l’étendue des créances dans lesquelles l’institution débitrice se trouve subrogée (voir, en
ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Kordel e.a., C‑397/96, EU:C:1999:432, point 22).

30 En effet, si la juridiction nationale appliquait le droit de l’État membre sur le territoire duquel est survenu le dommage pour déterminer l’étendue du droit de recours de l’institution débitrice, elle pourrait être conduite à priver l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 de tout ou partie de son effet utile. Tel serait, en particulier, le cas si la législation de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu prévoyait que la subrogation légale ou l’action directe ne
recouvre pas certains types de créances que l’institution débitrice peut faire valoir, par la voie de la subrogation ou de l’action directe, dans l’État membre dont elle relève (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 1994, DAK, C‑428/92, EU:C:1994:222, point 19).

31 II en découle que des dispositions telles que celles de l’article 17, paragraphe 1, de la loi sur la responsabilité civile, qui sont relatives aux droits de recours des institutions de sécurité sociale danoises contre des tiers tenus à la réparation de dommages ayant entraîné le versement de prestations de sécurité sociale, ne peuvent pas être appliquées pour déterminer si et dans quelle mesure une institution débitrice d’un autre État membre que le Royaume de Danemark dispose d’un droit de
recours contre l’auteur d’un dommage survenu sur le territoire danois où s’appliquent ces dispositions. De telles dispositions ne font donc pas obstacle au recours d’une institution débitrice d’un État membre autre que celui dans lequel elles s’appliquent (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 1994, DAK, C‑428/92, EU:C:1994:222, point 22).

32 Cela étant, l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 vise seulement à assurer que le droit d’action dont peut bénéficier l’institution débitrice en vertu de la législation qu’elle applique est reconnu par les autres États membres. Il n’a pas pour objet de modifier les règles applicables pour déterminer si et dans quelle mesure la responsabilité extracontractuelle du tiers auteur du dommage doit être engagée. La responsabilité du tiers reste soumise aux règles de fond que doit
normalement appliquer la juridiction nationale saisie par la victime ou ses ayants droit, c’est-à-dire, en principe, à la législation de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Kordel e.a., C‑397/96, EU:C:1999:432, point 15).

33 Il s’ensuit que les droits que la victime ou ses ayants droit détiennent contre l’auteur du dommage ainsi que les conditions d’ouverture de l’action en réparation devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu sont déterminés selon le droit de cet État, y compris les règles de droit international privé qui sont applicables (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Kordel e.a., C‑397/96, EU:C:1999:432, point 16).

34 Ce n’est que dans les droits ainsi déterminés que l’institution débitrice peut être subrogée. En effet, une telle subrogation ne peut avoir pour conséquence de créer, dans le chef du bénéficiaire des prestations, des droits additionnels à l’égard d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Kordel e.a., C‑397/96, EU:C:1999:432, point 17).

35 En outre, le droit de subrogation ne couvre, parmi les indemnisations reconnues à la victime ou à ses ayants droit par la législation de l’État membre sur le territoire duquel le dommage est survenu, que celles qui correspondent aux prestations versées par l’institution débitrice, à l’exclusion des indemnisations allouées pour dommage moral ou en fonction d’autres éléments de préjudice de caractère personnel (arrêt du 16 février 1977, Töpfer e.a., 72/76, EU:C:1977:27, point 19).

36 En l’occurrence, il découle de la jurisprudence rappelée aux points 28 à 35 du présent arrêt, premièrement, que l’existence et l’étendue de la subrogation dans les droits de la veuve du travailleur défunt, dont bénéficient DRV‑N et BG‑V en vertu de l’article 116 du SGB X au titre des prestations que ces dernières lui versent en application de l’article 46 du SGB VI, sont déterminées par le droit allemand et que, contrairement à ce que prétendent MP et GF, l’article 17, paragraphe 1, de la loi sur
la responsabilité civile ne saurait faire obstacle à l’action récursoire de DRV‑N et de BG‑V fondée sur ces droits subrogés.

37 Deuxièmement, cette subrogation ne saurait en revanche créer, ni pour la veuve du travailleur défunt ni pour DRV‑N ou BG‑V, des droits additionnels à ceux conférés à la veuve par le droit danois.

38 À cet égard, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le droit danois ne connaît pas un droit à pension de veuvage tel que celui institué par le droit allemand. En revanche, ce droit dispose, tout d’abord, à l’article 13, paragraphe 1, de la loi sur la responsabilité civile et à l’article 20 de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail, qu’une indemnité pour perte de soutien de famille est due au conjoint survivant, laquelle a déjà été versée par GF à la veuve du travailleur
défunt. Ensuite, l’article 26a, paragraphe 1, de la loi sur la responsabilité civile prévoit une indemnité pour le préjudice moral subi par des survivants qui avaient une relation particulièrement étroite avec le défunt. Enfin, l’article 19, paragraphe 1, de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail prévoit, sous certaines conditions, l’octroi d’une indemnité transitoire au conjoint survivant.

39 Il convient de relever, d’une part, qu’il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si l’indemnité pour le préjudice moral subi était, en l’occurrence, due à la veuve du travailleur défunt ni si elle a été versée par GF. En outre, si la juridiction de renvoi a indiqué dans cette décision que, selon l’Arbejdsmarkedets Erhvervssikring i Danemark (assurance professionnelle du marché du travail au Danemark), l’accident à l’origine de l’affaire au principal n’ouvrait pas, au bénéfice de cette
veuve, un droit à des prestations en vertu de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail, telles que l’indemnité transitoire et l’indemnité pour perte de soutien de famille, prévues respectivement à l’article 19, paragraphe 1, et à l’article 20 de cette loi, il n’en ressort pas que cette appréciation a un caractère définitif et qu’elle exclut, partant, la pertinence de ces indemnités dans le cadre du litige au principal.

40 D’autre part, pour autant que GF a déjà versé une ou, le cas échéant, plusieurs de ces indemnités à la veuve du travailleur défunt, il incombe à la seule juridiction de renvoi de déterminer si de tels versements ont eu, en vertu du droit national applicable, un effet libératoire pour MP et GF à l’égard des demandes présentées par DRV‑N et BG‑V dans le cadre de leur action récursoire.

41 Troisièmement, s’agissant du point de savoir si l’indemnité pour perte de soutien de famille, prévue par le droit danois et versée par GF à la veuve du travailleur défunt, correspond, au sens de la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt, à la pension de veuvage versée par DRV‑N et BG‑V, il convient de rappeler que le règlement no 883/2004 n’instaure pas un régime commun de sécurité sociale et que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union en ce domaine, il appartient à
chaque État membre de déterminer dans sa législation, notamment, les conditions qui donnent droit à des prestations sociales (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 61 et jurisprudence citée).

42 Par conséquent, ainsi que le font valoir à bon droit le gouvernement tchèque et la Commission européenne, les prestations versées à la suite d’un événement déclencheur, tel qu’un accident du travail, sont susceptibles de varier considérablement d’un État membre à l’autre et des exigences trop strictes quant à la correspondance requise entre les prestations prévues par les droits des différents États membres en cause risqueraient de priver l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 de
son effet utile.

43 Il y a lieu de considérer, partant, que le droit de subrogation prévu par la législation d’un État membre pour une prestation versée en vertu de cette même législation, au sens de l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, peut s’étendre à une prestation prévue par la législation de l’État membre sur le territoire duquel sont survenus les faits à l’origine d’un événement déclencheur, tel un accident du travail, lorsque l’une et l’autre de ces prestations sont suffisamment comparables
quant à leurs objets et à leurs finalités respectifs.

44 En l’occurrence, il apparaît que les prestations danoise et allemande sont accordées à la suite du décès du soutien de famille et visent, toutes les deux, à indemniser les survivants proches pour, notamment, le manque à gagner lié à la disparition des revenus du défunt.

45 En outre, selon la juridiction de renvoi, l’article 77, paragraphe 1, de la loi sur l’assurance contre les accidents du travail prévoit, notamment, que les droits des survivants des personnes accidentées à l’égard du responsable du dommage sont réduits dans la mesure où des prestations leur ont été versées ou leur sont dues en vertu de cette loi. Il en découle que l’objet et les finalités de l’indemnité pour perte de soutien de famille peuvent être considérés comme correspondant, en vertu de la
législation danoise, à ceux des prestations sociales fournies en vertu de cette législation par suite d’un accident du travail.

46 Dans ces conditions, il convient de considérer que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, les deux prestations en cause au principal sont, quant à leurs objets et à leurs finalités, suffisamment comparables pour que le droit de subrogation prévu à l’article 116 du SGB X et visé à l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 puisse s’étendre à l’indemnité pour perte de soutien de famille, dans les limites des plafonds prévus par la législation danoise.

47 Quatrièmement, s’agissant de l’indemnité transitoire prévue par le droit danois et de l’indemnité visant à réparer le préjudice moral subi, qui ont fait l’objet d’un débat entre les parties lors de l’audience devant la Cour, il suffit de relever, d’une part, que le dossier soumis à la Cour ne contient pas les éléments nécessaires pour lui permettre de fournir à la juridiction de renvoi des indications utiles concernant le caractère suffisamment comparable ou non de l’objet et de la finalité de
l’indemnité transitoire à ceux des prestations versées par DRV‑N et BG‑V à la veuve du travailleur défunt. D’autre part, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt que l’objet et les finalités d’une indemnité visant à réparer le préjudice moral subi ne sauraient être considérés comme étant suffisamment comparables à ceux de la pension de veuvage versée en l’occurrence par DRV‑N et BG‑V.

48 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 85, paragraphe 1, du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une personne bénéficie, en vertu de la législation de l’État membre où elle est domiciliée, d’une pension de veuvage à la suite du décès de son conjoint consécutif à un accident du travail survenu sur le territoire d’un autre État membre, et que la législation du premier État membre prévoit, en
faveur de l’institution débitrice de cette pension, un droit de subrogation à l’égard du tiers tenu à la réparation du dommage résultant de cet accident du travail, l’action récursoire de cette institution débitrice n’est pas subordonnée à l’existence, dans le second État membre, d’une base juridique permettant l’obtention d’une telle pension ou d’une prestation équivalente, dans la mesure où il suffit que les prestations prévues à la suite d’un événement déclencheur, tel un accident du travail,
par les législations des États membres concernés soient suffisamment comparables quant à leur objet et à leurs finalités respectifs pour que le droit de subrogation prévu par la législation du premier État membre et visé à cet article 85, paragraphe 1, puisse s’étendre à la prestation prévue par le second État membre.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  L’article 85, paragraphe 1, du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,

  doit être interprété en ce sens que :

lorsqu’une personne bénéficie, en vertu de la législation de l’État membre où elle est domiciliée, d’une pension de veuvage à la suite du décès de son conjoint consécutif à un accident du travail survenu sur le territoire d’un autre État membre, et que la législation du premier État membre prévoit, en faveur de l’institution débitrice de cette pension, un droit de subrogation à l’égard du tiers tenu à la réparation du dommage résultant de cet accident du travail, l’action récursoire de cette
  institution débitrice n’est pas subordonnée à l’existence, dans le second État membre, d’une base juridique permettant l’obtention d’une telle pension ou d’une prestation équivalente, dans la mesure où il suffit que les prestations prévues à la suite d’un événement déclencheur, tel un accident du travail, par les législations des États membres concernés soient suffisamment comparables quant à leur objet et à leurs finalités respectifs pour que le droit de subrogation prévu par la législation du
premier État membre et visé à cet article 85, paragraphe 1, puisse s’étendre à la prestation prévue par le second État membre.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le danois.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-7/24
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 85, paragraphe 1 – Prestations dues en vertu de la législation d’un État membre pour des dommages survenus sur le territoire d’un autre État membre – Droit de recours des institutions débitrices contre le tiers responsable – Droits détenus par la victime – Subrogation – Limites.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Deutsche Rentenversicherung Nord et BG Verkehr
Défendeurs : Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège en tant que représentant de Marius Pedersen A/S et Gjensidige Forsikring, filiale danoise de Gjensidige Forsikring ASA, Norvège.

Composition du Tribunal
Avocat général : Norkus
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:439

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