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05/06/2025 | CJUE | N°C-685/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Corner and Border S.A. contre Autoridade Tributária e Aduaneira., 05/06/2025, C-685/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2008/7/CE – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Article 6, paragraphe 1, sous d) – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Notion de “privilèges” – Droit de timbre frappant les garanties contractées aux fins de la bonne exécution d’un emprunt obligataire »

Dans l’affaire C‑685/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Ar

bitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage admi...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

5 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2008/7/CE – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Article 6, paragraphe 1, sous d) – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Notion de “privilèges” – Droit de timbre frappant les garanties contractées aux fins de la bonne exécution d’un emprunt obligataire »

Dans l’affaire C‑685/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD), Portugal], par décision du 10 novembre 2023, parvenue à la Cour le 15 novembre 2023, dans la procédure

Corner and Border S.A.

contre

Autoridade Tributária e Aduaneira,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias (rapporteur), E. Regan, J. Passer et B. Smulders, juges,

avocat général : M. A. Biondi,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 novembre 2024,

considérant les observations présentées :

– pour Corner and Border S.A., par Mes A. P. Braga et M. Moreira, advogados,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa, H. Magno et A. Rodrigues, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. P. Caro de Sousa, A. Ferrand et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 février 2025,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous b), et de l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7/CE du Conseil, du 12 février 2008, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO 2008, L 46, p. 11).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Corner and Border S.A. à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, Portugal) au sujet de l’imposition d’un droit de timbre frappant les garanties contractées aux fins de la bonne exécution d’un emprunt obligataire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 2, 3 et 9 de la directive 2008/7 se lisent comme suit :

« (2) Les impôts indirects qui frappent les rassemblements de capitaux, à savoir le droit d’apport (droit auquel sont soumis les apports en société), le droit de timbre sur les titres et le droit exigible sur les opérations de restructuration, que ces opérations s’accompagnent ou non d’une augmentation de capital, donnent naissance à des discriminations, à des doubles impositions et à des disparités qui entravent la libre circulation des capitaux. Il en va de même en ce qui concerne les autres
impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le droit d’apport ou le droit de timbre sur les titres.

(3) Par conséquent, il y a lieu, pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, d’harmoniser les législations relatives aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux en vue d’éliminer, dans toute la mesure du possible, les facteurs qui sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence ou d’entraver la libre circulation des capitaux.

[...]

(9) Il y a lieu qu’aucun impôt indirect ne soit perçu sur les rassemblements de capitaux en dehors du droit d’apport. En particulier, aucun droit de timbre ne devrait être perçu sur les titres, que ceux-ci soient représentatifs des capitaux propres de sociétés ou de capitaux d’emprunt, et quelle que soit leur provenance. »

4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Société de capitaux », dispose, à son paragraphe 1, sous a) :

« Aux fins de la présente directive, on entend par “société de capitaux” :

a) toute société revêtant une des formes énumérées à l’annexe I ».

5 Les points 16 et 22 de l’annexe I de ladite directive se réfèrent, notamment et respectivement, à la société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois et à la société anonyme (sociedade anónima) de droit portugais.

6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Apports de capital », dispose :

« Aux fins de la présente directive, sous réserve des dispositions de l’article 4, sont considérées comme des apports de capital les opérations suivantes :

[...]

i) l’emprunt que contracte une société de capitaux, si le créancier a droit à une quote-part des bénéfices de la société ;

j) l’emprunt que contracte une société de capitaux auprès d’un associé, du conjoint ou d’un enfant d’un associé, ainsi que celui contracté auprès d’un tiers, lorsqu’il est garanti par un associé, à la condition que ces emprunts aient la même fonction qu’une augmentation du capital social. »

7 L’article 5 de la directive 2008/7, intitulé « Opérations non soumises à la fiscalité indirecte », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres exonèrent les sociétés de capitaux de toute forme d’imposition indirecte :

a) sur les apports de capital ;

[...]

2.   Les États membres ne soumettent à aucune imposition indirecte, sous quelque forme que ce soit :

a) la création, l’émission, l’admission en Bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions, de parts ou autres titres de même nature, ainsi que de certificats représentatifs de ces titres, quel qu’en soit l’émetteur ;

b) les emprunts, y compris les rentes, contractés sous forme d’émission d’obligations ou autres titres négociables, quel qu’en soit l’émetteur, et toutes les formalités y afférentes, ainsi que la création, l’émission, l’admission en Bourse, la mise en circulation ou la négociation de ces obligations ou autres titres négociables. »

8 Aux termes de l’article 6 de cette directive, intitulé « Droits et taxe sur la valeur ajoutée » :

« 1.   Nonobstant l’article 5, les États membres peuvent percevoir les droits et taxes suivants :

[...]

d) droits frappant la constitution, l’inscription ou la mainlevée des privilèges et des hypothèques ;

[...] »

9 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Nonobstant l’article 5, paragraphe 1, point a), les États membres qui percevaient un droit sur les apports à des sociétés de capitaux, ci-après dénommé “droit d’apport”, au 1er janvier 2006, peuvent continuer à percevoir ce droit, pour autant qu’ils se conforment aux dispositions des articles 8 à 14. »

Le droit portugais

10 L’article 1er, point 1, du Código do Imposto do Selo (code du droit de timbre) prévoit :

« Le droit de timbre est perçu sur tous les actes, contrats, documents, titres, papiers et autres faits ou situations juridiques prévus au Tabela Geral do Imposto do Selo [(tarif général relatif au droit de timbre)], y compris les transferts de biens à titre gratuit. »

11 Le tarif général relatif au droit de timbre comprend une rubrique 10, relative aux garanties des obligations, qui est libellée comme suit :

« Les garanties des obligations, quelle que soit leur nature ou leur forme, à savoir les cautionnements, les dépôts de garantie, les garanties bancaires autonomes, les garanties autonomes, les hypothèques, les nantissements et les assurances-caution, à moins qu’elles ne soient matériellement accessoires à des contrats spécialement imposés dans le présent tarif et qu’elles soient constituées simultanément avec l’obligation garantie, fût-ce dans un instrument ou un titre différent – sur la valeur
respective, en fonction de la durée, en considérant toujours la prorogation de la durée du contrat comme étant une nouvelle opération :

[...]

10.3 Garanties sans indication de durée ou d’une durée de cinq ans ou plus 0,6 % »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Corner and Border est une société anonyme de droit portugais dont le capital social est entièrement détenu par Onex Renewables Sàrl (ci-après « Onex »), une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois. Le 21 juillet 2021, Onex a acquis, auprès d’EDP Renewables SGPS S.A., qui est une société anonyme de droit portugais, l’intégralité du capital social d’Éolica Do Sincelo S.A. (ci-après « ES ») et d’Éolica da Linha S.A. (ci-après « EL »), deux autres sociétés anonymes de droit
portugais. Le 29 juillet 2021, Onex a cédé à Corner and Border sa position contractuelle dans le contrat d’achat des actions de ces deux sociétés.

13 Le 27 janvier 2022, Corner and Border a conclu un accord de financement (ci-après l’« accord de financement ») en vertu duquel elle a émis un emprunt avec émission d’obligations nominatives pour un montant total de 348900000 euros entièrement souscrit par Banco Santander Totta S.A. (ci-après l’« emprunt obligataire »). Cet accord de financement a été conclu dans le but de financer le paiement du prix d’achat des actions d’ES et d’EL ainsi que pour refinancer la dette existante de ces sociétés.
Selon l’accord de financement, Corner and Border pouvait transférer la position contractuelle de souscripteur assumée par Banco Santander Totta moyennant le paiement de pénalités ou de commissions.

14 Afin de garantir la bonne exécution de l’accord de financement, Onex, Corner and Border, ES et EL ont fourni diverses garanties de nature réelle et personnelle. Ces garanties ont été fournies en vertu d’un contrat conclu entre ces sociétés, en qualité de garants, et Banco Santander Totta, en tant que bénéficiaire et « agent des garanties » (ci-après le « contrat d’octroi de garanties »).

15 Dans le cadre du contrat d’octroi de garanties, Onex a fourni une série de garanties sous forme, premièrement, de nantissements sur les actions de Corner and Border et sur les créances d’Onex à titre de prêts d’actionnaires consentis à Corner and Border et, deuxièmement, de promesses de nantissement sur les actions de Corner and Border qui pourraient être émises à l’avenir ainsi que sur les futures créances d’Onex à titre de prêts d’actionnaires consentis à Corner and Border.

16 En application de ce contrat, Corner and Border a également fourni une série de garanties, et ce sous trois formes. Il s’agit, premièrement, de nantissements sur les actions d’ES et d’EL, sur les créances de Corner and Border à titre, notamment, de prêts d’actionnaires consentis à ces sociétés et sur le solde des comptes bancaires de Corner and Border, deuxièmement, de promesses de nantissement sur les actions d’ES et d’EL qui pourraient être émises à l’avenir, sur de futures créances détenues
par Corner and Border sur ces sociétés et sur le solde des futurs comptes bancaires de Corner and Border et, enfin, troisièmement, de cession de créances.

17 En vertu dudit contrat, ES et EL ont, elles aussi, fourni une série de garanties et de promesses de garanties sous forme, premièrement, de nantissements sur le solde de leurs comptes bancaires existants et sur les créances qu’elles détiennent, deuxièmement, de promesses de nantissement sur le solde de leurs futurs comptes bancaires et, troisièmement, de cession de créances.

18 La juridiction de renvoi précise que l’octroi de ces garanties était nécessaire et essentiel à la conclusion de l’accord de financement et à l’émission de l’emprunt obligataire.

19 Le 27 janvier 2022, le notaire qui a rédigé et authentifié l’accord de financement et le contrat d’octroi de garanties a établi le droit de timbre, conformément à l’article 10.3 du tarif général relatif au droit de timbre, au taux de 0,6 % appliqué sur le montant de 348900000 euros, donnant ainsi lieu à un droit évalué à 2093400 euros.

20 Corner and Border a introduit un recours gracieux contre l’imposition du droit de timbre aux garanties octroyées. Ce recours ayant été rejeté, Corner and Border a introduit une demande d’arbitrage auprès du Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD), Portugal], qui est la juridiction de renvoi.

21 À l’appui de sa demande, Corner and Border fait valoir, notamment, que l’acte d’imposition au titre du droit de timbre enfreint l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7, dès lors que les garanties ayant fait l’objet de cette imposition étaient strictement essentielles pour la conclusion de l’emprunt obligataire, de sorte que l’imposition en question revient à frapper l’opération de rassemblement de capitaux en cause au principal dans sa globalité. En outre, l’exception établie à
l’article 6, paragraphe 1, sous d), de cette directive ne concernerait que les garanties grevant des biens immobiliers.

22 La juridiction de renvoi exprime des doutes quant à la question de savoir si la constitution de garanties dans le cadre de la réalisation d’opérations de rassemblement de capitaux doit être considérée comme faisant partie intégrante de ces opérations ou encore comme constituant une formalité y afférente et si l’interdiction de soumettre lesdites opérations à des impositions indirectes prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7 s’étend, par conséquent, à ces garanties. La
juridiction de renvoi s’interroge également sur la question de savoir si lesdites garanties relèvent de la notion de « privilèges », au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous d), de cette directive.

23 Dans ces conditions, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7 [...] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’imposition, au titre du droit de timbre, de garanties consistant en des nantissements financiers d’actions, de soldes de comptes bancaires, de prêts d’actionnaires et en la cession de créances à des fins de garantie, fournies dans le cadre d’une opération d’émission d’obligations ?

2) La réponse à la première question diffère-t-elle selon que la fourniture des garanties est légalement obligatoire ou facultative et volontaire ?

3) La réponse à la première question diffère-t-elle si les garanties ont été fournies dans le cadre d’une opération d’émission d’obligations soumise à souscription privée par une banque, dont la position en tant que souscripteur peut être transférée, selon la volonté de l’entité émettrice, même si ce transfert est soumis à des conditions et à des pénalités/commissions ?

4) L’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7 doit-il être interprété en ce sens qu’il vise les garanties consistant en des nantissements financiers d’actions, de soldes de comptes bancaires, de prêts d’actionnaires et en la cession de créances à des fins de garantie, fournies dans le cadre d’une opération d’émission d’obligations relevant de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive ? »

Sur les questions préjudicielles

24 Par ses quatre questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 2, sous b), et l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit l’imposition d’un droit de timbre sur les garanties octroyées sous forme de nantissements d’actions, de soldes de comptes bancaires ou de créances résultant de prêts d’actionnaires ainsi que
sous forme de cessions de créances, aux fins de la bonne exécution des obligations découlant d’un emprunt obligataire émis par une société de capitaux.

25 À titre liminaire, il convient d’observer qu’Onex, acquéreur initial des actions dont l’achat a été financé par l’émission de l’emprunt obligataire, et Corner and Border, société émettrice des obligations en cause au principal, sont, en tant que, respectivement, société à responsabilité limitée et société anonyme, des « sociétés de capitaux » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/7, lu en combinaison avec les points 16 et 22 de l’annexe I de celle-ci. Elles relèvent,
par conséquent, du champ d’application de cette directive.

26 Ainsi que l’indique son considérant 9, ladite directive a pour objet d’exclure toute imposition indirecte sur les rassemblements de capitaux en dehors des apports à des sociétés de capitaux, qui peuvent être grevés d’un droit dans les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, de la même directive. En particulier, il ressort du même considérant qu’aucun droit de timbre ne devrait être perçu sur les titres, que ceux-ci soient représentatifs des capitaux propres de sociétés ou de capitaux
d’emprunt, et quelle que soit leur provenance.

27 Dans ce cadre, l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7 interdit l’imposition indirecte, sous quelque forme que ce soit, des emprunts contractés sous forme d’émission d’obligations ou autres titres négociables, quel qu’en soit l’émetteur, et de toutes les formalités y afférentes, ainsi que de la création, de l’émission, de l’admission en Bourse, de la mise en circulation ou de la négociation de ces obligations ou autres titres négociables.

28 À cet égard, s’agissant, premièrement, de la notion de « formalités » afférentes à un emprunt sous forme d’émission d’obligations, qui doivent être exonérées de toute imposition indirecte, il convient de relever que cette notion vise les éventuelles actions qu’une société de capitaux est, en vertu de la législation nationale, obligée d’entreprendre afin de procéder à la constitution d’un tel emprunt ainsi qu’à la création, à l’émission, à l’admission en Bourse, à la mise en circulation ou à la
négociation des titres négociables concernés [voir, en ce sens, ordonnance du 19 juillet 2023, EDP (Imposition frappant la commercialisation de titres), C‑416/22, EU:C:2023:604, point 28 et jurisprudence citée].

29 En ce qui concerne, en particulier, les garanties telles que celles en cause au principal, il convient d’observer, d’une part, que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le droit portugais ne soumet pas la conclusion d’un emprunt obligataire à la fourniture de telles garanties et, d’autre part, que celles-ci se rattachent à la substance de l’opération de rassemblement des capitaux. Il s’ensuit que, même lorsque le prêteur érige l’octroi de garanties en condition pour qu’il
souscrive l’emprunt obligataire, situation évoquée par la juridiction de renvoi, cet octroi ne relève pas des « formalités » visées à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7.

30 S’agissant, deuxièmement, de l’interdiction d’imposer les opérations de rassemblement de capitaux en tant que telles, il convient de relever que, eu égard à l’objectif poursuivi par la directive 2008/7, l’article 5 de celle-ci doit faire l’objet d’une interprétation large, afin d’éviter que cette interdiction ne soit privée d’effet utile. Ainsi, l’interdiction d’une imposition de ces opérations s’applique également aux opérations non expressément visées par cette interdiction lorsqu’une telle
imposition revient à taxer une opération faisant partie intégrante d’une opération globale au regard d’un rassemblement de capitaux (arrêt du 22 décembre 2022, IM Gestão de Ativos e.a., C‑656/21, EU:C:2022:1024, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

31 Il résulte également de la jurisprudence de la Cour que, dès lors qu’une émission de titres négociables n’a de sens qu’à partir du moment où ces titres trouvent des acquéreurs, une taxe frappant la première acquisition d’un titre nouvellement émis frappe en réalité l’émission elle-même de ce titre en tant qu’elle fait partie intégrante d’une opération globale au regard d’un rassemblement de capitaux. L’objectif de préserver l’effet utile de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive
2008/7 implique, dès lors, que l’« émission », au sens de cette disposition, inclue la première acquisition de titres s’effectuant dans le cadre de l’émission de ceux-ci (arrêt du 22 décembre 2022, IM Gestão de Ativos e.a., C‑656/21, EU:C:2022:1024, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

32 De manière similaire, vu que les garanties sont fournies aux fins de la bonne exécution des obligations résultant d’un emprunt obligataire, elles présentent, de ce fait, un lien étroit avec l’émission dudit emprunt, au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/7, si bien qu’elles doivent être considérées comme faisant partie intégrante d’une opération globale au regard d’un rassemblement de capitaux, et ce indépendamment de la question de savoir si elles sont fournies en
exécution d’une obligation légale ou volontairement (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2022, IM Gestão de Ativos e.a., C‑656/21, EU:C:2022:1024, points 31 et 35). Dans ce contexte, la possibilité dont peut jouir l’emprunteur de substituer, à un stade ultérieur, un autre prêteur à la position du prêteur initial, situation évoquée par la juridiction de renvoi, n’influe pas sur le lien entre ces garanties et l’emprunt obligataire, et est, dès lors, dénuée de pertinence.

33 Il s’ensuit que, en principe, l’octroi desdites garanties devrait être soumis à l’interdiction d’imposition indirecte d’un rassemblement de capitaux au sens de l’article 5 de la directive 2008/7.

34 Toutefois, l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7 dispose que, nonobstant les interdictions d’imposition prévues à l’article 5 de celle-ci, les États membres peuvent percevoir des droits frappant « la constitution, l’inscription ou la mainlevée des privilèges et des hypothèques ».

35 La directive 2008/7 ne définissant pas le terme « privilèges » ni ne renvoyant au droit des États membres à cette fin, il découle des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union et du principe d’égalité que le sens et la portée des termes d’une disposition du droit de l’Union doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère
et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 20 mars 2025, Lindenbaumer, C‑61/24, EU:C:2025:197, point 38 et jurisprudence citée).

36 À cet égard, il convient de faire observer, en premier lieu, que l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7 utilise, dans la grande majorité des versions linguistiques, l’expression « des privilèges et des hypothèques ». Or, dès lors que le législateur a fait usage de termes distincts pour désigner des instruments créant des droits préférentiels constitués sur le patrimoine d’une personne, il n’y a pas lieu de considérer a priori que ces termes concernent uniquement un type de ces
droits, à savoir ceux de nature immobilière.

37 En deuxième lieu, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/7 détermine les droits et taxes que les États membres peuvent percevoir « [n]onobstant l’article 5 » de celle-ci. Ainsi, pour établir, en ce qui concerne en particulier la conclusion d’un emprunt obligataire, le sens et la portée de la notion de « privilèges » visée à l’article 6, paragraphe 1, sous d), de cette directive, il y a lieu de tenir compte, en tant qu’éléments de contexte, des caractéristiques
de l’interdiction établie par l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle-ci.

38 En particulier, cette dernière disposition n’interdit pas aux États membres de soumettre à une imposition indirecte tout emprunt contracté par une société de capitaux, mais uniquement ceux « contractés sous forme d’émission d’obligations ou autres titres négociables », à savoir, ainsi que l’énonce le considérant 9 de cette directive, sous forme de titres représentatifs de capitaux d’emprunt.

39 Or, à l’instar des opérations de rassemblement de capitaux donnant lieu à l’émission de titres représentatifs des capitaux propres d’une société, qui sont couvertes par l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/7, les opérations de rassemblement de capitaux sous forme d’emprunts obligataires, exemptées de toute imposition indirecte conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive, sont de nature à inciter le prêteur à privilégier, pour apprécier la fiabilité de
la promesse d’un certain retour sur son investissement, la performance future de l’entité émettrice plutôt que le patrimoine de cette entité en tant que garantie de remboursement.

40 Cette analyse est confirmée par l’article 3, sous i) et j), de la directive 2008/7, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive. Il ressort de ces dispositions que les apports de capital sous forme d’emprunt sont exonérés de toute forme d’imposition indirecte uniquement si le créancier a droit à une quote-part des bénéfices de la société ou si ces emprunts ont la même fonction qu’une augmentation du capital social.

41 Ces conditions reflètent, par ailleurs, en troisième lieu, l’objectif de la directive 2008/7 qui est, ainsi que cela ressort de ses considérants 2 et 3, d’éliminer, dans toute la mesure du possible, les discriminations, les doubles impositions et les disparités susceptibles de fausser les conditions de concurrence ou d’entraver la libre circulation des capitaux, qui peuvent résulter des impositions indirectes frappant spécifiquement le rassemblement de capitaux et non des impositions indirectes
frappant toute forme d’emprunt accordé à une société de capitaux.

42 S’il est vrai que, en adoptant la directive 2008/7, le législateur de l’Union n’a en rien affecté la possibilité des parties contractantes de constituer des droits préférentiels sur des biens mobiliers ou immobiliers pour garantir le remboursement d’un emprunt relevant des dispositions de celle-ci, il n’en demeure pas moins que l’article 6, paragraphe 1, sous d), de cette directive a préservé la compétence fiscale des États membres pour ce qui est des instruments contractuels que constituent les
privilèges et hypothèques établis dans le cadre d’une opération de rassemblement de capitaux d’emprunt.

43 En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7, lequel s’applique « nonobstant » les interdictions d’imposition prévues à l’article 5 de celle-ci, est en étroite corrélation avec le champ d’application de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive et témoigne de ce que le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention d’exclure de la compétence fiscale des États membres une catégorie
de droits, de nature immobilière ou mobilière, qui visent à garantir le remboursement d’un emprunt obligataire. Dans ces conditions, ainsi que l’a, en substance, considéré M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, l’expression « des privilèges et des hypothèques », visée à cet article 6, paragraphe 1, sous d), englobe l’ensemble des instruments contractuels faisant partie intégrante d’une opération de rassemblement de capitaux d’emprunt qui permettent au titulaire d’une créance
d’obtenir le paiement préférentiel ou prioritaire de celle-ci au cas où le débiteur n’honore pas ses obligations.

44 Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, à la lumière des considérations exposées au point 43 du présent arrêt, si les nantissements, les promesses de nantissement et les cessions de créances en cause au principal, dès lors qu’ils ne constituent pas des hypothèques, sont susceptibles d’être qualifiés de « privilèges » au sens dudit article 6, paragraphe 1, sous d).

45 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 5, paragraphe 2, sous b), et l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit l’imposition d’un droit de timbre sur les garanties octroyées sous forme de nantissements d’actions, de soldes de comptes bancaires ou de créances résultant de prêts d’actionnaires ainsi que sous forme de cessions de créances, aux fins
de la bonne exécution des obligations découlant d’un emprunt obligataire émis par une société de capitaux, pour autant que ces garanties, même si elles font partie intégrante d’un tel emprunt obligataire, constituent des privilèges, au sens de cet article 6, paragraphe 1, sous d), en ce qu’elles permettent au titulaire d’une créance d’obtenir le paiement préférentiel ou prioritaire de celle-ci au cas où le débiteur n’honore pas ses obligations.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  L’article 5, paragraphe 2, sous b), et l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2008/7/CE du Conseil, du 12 février 2008, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit l’imposition d’un droit de timbre sur les garanties octroyées sous forme de nantissements d’actions, de soldes de comptes bancaires ou de créances résultant de prêts d’actionnaires ainsi que sous forme de cessions de créances, aux fins de la bonne exécution des obligations découlant d’un emprunt obligataire émis par une société de capitaux, pour autant que ces garanties, même si elles font partie intégrante d’un tel emprunt
obligataire, constituent des privilèges, au sens de cet article 6, paragraphe 1, sous d), en ce qu’elles permettent au titulaire d’une créance d’obtenir le paiement préférentiel ou prioritaire de celle-ci au cas où le débiteur n’honore pas ses obligations.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le portugais


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-685/23
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD).

Renvoi préjudiciel – Directive 2008/7/CE – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Article 6, paragraphe 1, sous d) – Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux – Notion de “privilèges” – Droit de timbre frappant les garanties contractées aux fins de la bonne exécution d’un emprunt obligataire.

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Corner and Border S.A.
Défendeurs : Autoridade Tributária e Aduaneira.

Composition du Tribunal
Avocat général : Biondi
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:398

Source

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