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03/06/2025 | CJUE | N°C-460/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, OB contre Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bologna., 03/06/2025, C-460/23


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Directive 2002/90/CE – Infraction générale d’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers – Article 1er, paragraphe 1, sous a) – Interprétation conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 7 – Respect de la vie privée et familiale – Article 24 – Droits de l’enfant – Article 52, paragraphe 1 –

Atteinte au contenu essentiel des droits
fondamentaux – Article 18 – Droit d’asile – Personne faisant entrer irrégulièrement sur ...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

3 juin 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Directive 2002/90/CE – Infraction générale d’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers – Article 1er, paragraphe 1, sous a) – Interprétation conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 7 – Respect de la vie privée et familiale – Article 24 – Droits de l’enfant – Article 52, paragraphe 1 – Atteinte au contenu essentiel des droits
fondamentaux – Article 18 – Droit d’asile – Personne faisant entrer irrégulièrement sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective »

Dans l’affaire C‑460/23 [Kinsa] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Bologna (tribunal de Bologne, Italie), par décision du 17 juillet 2023, parvenue à la Cour le 21 juillet 2023, dans la procédure pénale contre

OB,

en présence de :

Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bologna,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice‑président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, M. C. Lycourgos, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, A. Kumin et M. Gavalec, présidents de chambre, MM. E. Regan, N. Piçarra (rapporteur), Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2024,

considérant les observations présentées :

– pour OB, par Me F. Cancellaro, avvocata,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Faraci et Mme W. Ferrante, avvocati dello Stato,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

– pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. R. Meyer, K. Pleśniak et A. Ştefănuc, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme A. Katsimerou, M. P. A. Messina et Mme J. Vondung en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 novembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte, d’une part, sur l’interprétation de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), lu en combinaison avec les articles 2, 3, 6, 7, 17 et 18 de celle‑ci, et, d’autre part, sur la validité, au regard de ces dispositions, de la directive 2002/90/CE du Conseil, du 28 novembre 2002, définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (JO 2002, L 328, p. 17), et de la
décision‑cadre 2002/946/JAI du Conseil, du 28 novembre 2002, visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (JO 2002, L 328, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre OB, ressortissante d’un pays tiers, pour aide à l’entrée irrégulière sur le territoire italien de deux mineures ressortissantes de ce pays tiers qui l’accompagnaient et à l’égard desquels elle exerce la garde effective.

Le cadre juridique

Le droit international

La convention de Genève

3 L’article 31 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 et complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci‑après la « convention de Genève »), intitulé « Réfugiés en situation irrégulière dans le pays d’accueil », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. »

Le protocole de Palerme sur le trafic de migrants

4 Le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée a été signé par la Communauté européenne le 12 décembre 2000, conformément à la décision 2001/87/CE du Conseil, du 8 décembre 2000 (JO 2001, L 30, p. 44, ci‑après le « protocole de Palerme sur le trafic des migrants »). Ce protocole a été approuvé par la décision 2006/616/CE du Conseil, du 24 juillet 2006 (JO 2006, L 262, p. 24),
dans la mesure où les dispositions dudit protocole relevaient des articles 179 et 181A CE, et par la décision 2006/617/CE du Conseil, du 24 juillet 2006 (JO 2006, L 262, p. 34), dans la mesure où ces dispositions relevaient de la troisième partie, titre IV, du traité CE. L’article 2 du protocole de Palerme sur le trafic des migrants dispose :

« Le présent Protocole a pour objet de prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, ainsi que de promouvoir la coopération entre les États Parties à cette fin, tout en protégeant les droits des migrants objet d’un tel trafic. »

La convention relative aux droits de l’enfant

5 L’article 27, paragraphe 2, de la convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1577, p. 3), stipule :

« C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant. »

Le droit de l’Union

La Charte

6 Aux termes de l’article 7 de la Charte, intitulé « Respect de la vie privée et familiale » :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

7 L’article 18 de la Charte est libellé comme suit :

« Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [convention de Genève] et conformément au traité [UE] et au traité [FUE] [...] »

8 L’article 24 de la Charte, intitulé « Droits de l’enfant », dispose :

« 1.   Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien‑être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle‑ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2.   Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3.   Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

9 L’article 52 de la Charte, intitulé « Portée et interprétation des droits et des principes », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

La directive 2002/90

10 Les considérants 1 à 5 de la directive 2002/90 énoncent :

« (1) L’un des objectifs de l’Union européenne est la mise en place progressive d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, impliquant notamment la lutte contre l’immigration clandestine.

(2) Il convient par conséquent de s’attaquer à l’aide apportée à l’immigration clandestine, non seulement lorsqu’elle concerne le franchissement irrégulier de la frontière à proprement parler, mais aussi lorsqu’elle a pour but d’alimenter des réseaux d’exploitation des êtres humains.

(3) Dans cette perspective, il est essentiel de parvenir à un rapprochement des dispositions juridiques existantes, notamment en ce qui concerne, d’une part, la définition précise de l’infraction considérée et des exemptions, qui fait l’objet de la présente directive, et, d’autre part, les règles minimales en matière de sanctions, [...] qui font l’objet de la décision‑cadre [2002/946].

(4) La présente directive a pour objectif de définir la notion d’aide à l’immigration clandestine et de rendre ainsi plus opérante la mise en œuvre de la décision-cadre [2002/946], afin de prévenir cette infraction.

(5) La présente directive complète d’autres instruments adoptés pour lutter contre l’immigration clandestine, l’emploi illégal, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants. »

11 L’article 1er de cette directive, intitulé « Infraction générale », dispose :

« 1.   Chaque État membre adopte des sanctions appropriées :

a) à l’encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d’un État membre à pénétrer sur le territoire d’un État membre ou à transiter par le territoire d’un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l’entrée ou au transit des étrangers ;

[...]

2.   Tout État membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l’égard du comportement défini au paragraphe 1, point a), en appliquant sa législation et sa pratique nationales, dans les cas où ce comportement a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée. »

La décision‑cadre 2002/946

12 L’article 1er de la décision‑cadre 2002/946, intitulé « Sanctions », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour assurer que les infractions visées aux articles 1er et 2 de la directive [2002/90] fassent l’objet de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives susceptibles de donner lieu à extradition. »

13 Aux termes de l’article 6 de cette décision‑cadre, intitulé « Droit international relatif aux réfugiés » :

« La présente décision‑cadre est applicable sans préjudice de la protection accordée aux réfugiés et aux demandeurs d’asile conformément au droit international relatif aux réfugiés ou à d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier sans préjudice du respect par les États membres des obligations internationales qui leur incombent en vertu des articles 31 et 33 de la [convention de Genève]. »

La directive 2011/95/UE

14 Les considérants 16 et 18 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), sont libellés comme suit :

« (16) [...] En particulier, la présente directive vise à garantir le plein respect de la dignité humaine et du droit d’asile des demandeurs d’asile et des membres de leur famille qui les accompagnent et à promouvoir l’application des articles 1er, 7, 11, 14, 15, 16, 18, 21, 24, 34 et 35 de [la Charte], et devrait être mise en œuvre en conséquence.

[...]

(18) “L’intérêt supérieur de l’enfant” devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, conformément à la [convention relative aux droits de l’enfant]. Lorsqu’ils apprécient l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres devraient en particulier tenir dûment compte du principe de l’unité familiale [...] »

15 L’article 23 de cette directive, intitulé « Maintien de l’unité familiale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. »

La directive 2013/33/UE

16 Le considérant 9 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96), énonce :

« En appliquant la présente directive, les États membres devraient veiller à ce que les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité de la famille soient pleinement respectés, conformément à la [Charte], à la [convention relative aux droits de l’enfant] et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[, signée à Rome le 4 novembre 1950,] respectivement. »

Le code frontières Schengen

17 L’article 3 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1, ci‑après le « code frontières Schengen »), intitulé « Champ d’application », est libellé comme suit :

« Le présent règlement s’applique à toute personne franchissant les frontières intérieures ou extérieures d’un État membre, sans préjudice :

[...]

b) des droits des réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non‑refoulement. »

18 L’article 4 du code frontières Schengen, intitulé « Droits fondamentaux », dispose :

« Lorsqu’ils appliquent le présent règlement, les États membres agissent dans le plein respect des dispositions pertinentes du droit de l’Union, y compris de la [Charte], du droit international applicable, dont la [convention de Genève], des obligations liées à l’accès à la protection internationale, en particulier le principe de non‑refoulement, et des droits fondamentaux. [...] »

Le droit italien

19 L’article 12 du decreto legislativo n. 286 – Testo unico delle disposizioni concernenti la disciplina dell’immigrazione e norme sulla condizione dello straniero (décret législatif no 286, portant texte unique des dispositions concernant la réglementation de l’immigration et les règles relatives à la condition de l’étranger), du 25 juillet 1998 (GURI no 191, du 18 août 1998, supplément ordinaire no 139), dans sa version applicable aux faits au principal (ci‑après le « texte unique sur
l’immigration »), intitulé « Dispositions contre l’immigration clandestine », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Sauf si les faits constituent un délit plus grave, quiconque, en violation des dispositions de ce texte unique, favorise, dirige, organise, finance ou réalise le transport d’étrangers sur le territoire de l’État ou accomplit d’autres actes visant à assurer illégalement leur entrée sur le territoire de l’État, ou d’un autre État dont ils ne possèdent pas la nationalité ou dans lequel ils n’ont pas de droit de résidence permanente, sera puni d’une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et
d’une amende de 15000 euros par personne concernée.

2.   Sans préjudice des dispositions de l’article 54 du [Codice penale (code pénal)], les activités de secours et d’aide humanitaire fournies en Italie à des étrangers en situation de vulnérabilité et se trouvant en tout état de cause sur le territoire de l’État ne constituent pas une infraction. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20 Le 27 août 2019, OB s’est présentée à la frontière aéroportuaire de Bologne (Italie), à l’arrivée d’un vol en provenance d’un pays tiers, accompagnée de deux mineures, âgées de huit et treize ans. Toutes étaient munies de faux passeports.

21 Le 28 août 2019, OB a été arrêtée et, sur décision du Tribunale per i minorenni (tribunal des mineurs, Italie), les deux mineures ont été placées dans un foyer d’accueil. Une procédure a été ouverte contre OB devant le Tribunale di Bologna (tribunal de Bologne, Italie), qui est la juridiction de renvoi, pour le délit d’aide à l’entrée irrégulière de ressortissants d’un pays tiers, prévu à l’article 12, paragraphe 1, du texte unique sur l’immigration, en concours avec le délit de détention de faux
documents d’identité, prévu à l’article 497 bis du code pénal. En revanche, OB ne fait pas l’objet de poursuites pénales du chef d’une entrée irrégulière sur le territoire italien.

22 Le 29 août 2019, lors de l’audience de validation de son arrestation devant le juge chargé de l’enquête pénale du Tribunale di Bologna (tribunal de Bologne), OB a déclaré avoir fui son pays d’origine pour se soustraire aux menaces de mort dont elle et sa famille faisaient l’objet de la part de son ancien compagnon. OB a également déclaré qu’elle craignait pour l’intégrité physique des mineures qui l’accompagnaient, à savoir, selon elle, sa fille et sa nièce, cette dernière ayant été confiée à sa
garde à la suite du décès de sa mère.

23 Par ordonnance du même jour, le juge chargé de l’enquête pénale a validé l’arrestation de OB et rejeté la demande du ministère public visant à la placer en détention préventive. Ce rejet a été confirmé en appel, au motif qu’aucun élément ne permettait de douter de la véracité des déclarations faites par OB au stade de l’enquête.

24 Le 9 octobre 2019, OB a présenté une demande de protection internationale. La procédure afférente à cette demande n’était pas clôturée à la date d’introduction de la demande de décision préjudicielle.

25 Par décision du 30 septembre 2021, le Tribunale per i minorenni (tribunal des mineurs) a constaté, à la suite d’un examen médico‑légal, l’existence d’un lien de filiation entre OB et l’une des deux mineures, de sorte que OB s’est vu reconnaître l’autorité parentale sur cette mineure. En revanche, cette juridiction n’a pu établir l’existence d’un lien de parenté entre OB et l’autre mineure, celle-ci ayant, le 10 septembre 2019, quitté de sa propre initiative le foyer d’accueil où elle avait été
placée.

26 La juridiction de renvoi relève que, selon le rapport des services sociaux dressé à la suite des entretiens menés avec les deux mineures, la seconde mineure est effectivement la nièce de OB et a été confiée à cette dernière à la suite du décès de sa mère. Il constate que les deux mineures sont « placées sous [la] responsabilité et [la] protection » de OB.

27 Cette juridiction considère que le comportement de OB visant à faire pénétrer irrégulièrement les deux mineures sur le territoire italien relève, sur le plan matériel, de l’infraction prévue au paragraphe 1 de l’article 12 du texte unique sur l’immigration et non pas du paragraphe 2 de cet article 12, dans la mesure où cette dernière disposition prévoit que seules « les activités de secours et d’aide humanitaire fournies en Italie à des étrangers en situation de vulnérabilité et se trouvant en
tout état de cause sur le territoire de l’État » ne constituent pas une infraction.

28 La juridiction de renvoi déduit de ce qui précède que ledit article 12 est contraire au principe de proportionnalité découlant de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte du point de vue non seulement de la nécessité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux garantis aux articles 2, 3, 6, 7, 17 et 18 de la Charte, afin de poursuivre les objectifs visés par la directive 2002/90 et par la décision‑cadre 2002/946, mais aussi de la mise en balance des intérêts en conflit appelant une protection.

29 Si, selon cette juridiction, un comportement tel que celui de OB est exclu du champ d’application de l’article 12, paragraphe 2, du texte unique sur l’immigration, il pourrait cependant être qualifié d’acte commis à des fins d’« aide humanitaire », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2002/90. Partant, ce comportement ne devrait pas relever de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de cette directive, dès lors qu’il consiste à faciliter l’exercice, par les mineures concernées,
premièrement, de leur droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’à la liberté et à la sûreté, garantis respectivement par les articles 2, 3 et 6 de la Charte, dès lors que ces droits sont menacés dans leur pays d’origine, deuxièmement, de leur droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 7 de la Charte, compte tenu des liens de filiation et de parenté existant entre OB et ces mineures, et troisièmement, de leur droit d’asile, garanti par l’article 18 de la Charte, en lien avec
la demande de protection internationale présentée par OB.

30 Toutefois, compte tenu de la conformité de l’article 12, paragraphe 1, du texte unique sur l’immigration au « cadre réglementaire tracé par la directive 2002/90 et par la décision‑cadre 2002/946 », la juridiction de renvoi estime inapproprié d’écarter l’application de cette disposition, au motif qu’elle violerait l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Il lui semble plutôt nécessaire d’interroger la Cour tant sur l’interprétation de cet article 52, paragraphe 1, par rapport à l’article 12,
paragraphe 1, du texte unique sur l’immigration, que sur la validité, au regard de la Charte, de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, de la directive 2002/90 ainsi que de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/946, dans la mesure où il résulte de ces trois dernières dispositions qu’elles se bornent à prévoir le droit, et non pas l’obligation, pour les États membres, de ne pas ériger en infraction pénale les comportements visant à fournir une aide à l’entrée
irrégulière sur leur territoire lorsque ces comportements ont pour but d’apporter une aide humanitaire.

31 Dans ces conditions, le Tribunale di Bologna (tribunal de Bologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La [Charte] et en particulier le principe de proportionnalité énoncé à son article 52, paragraphe 1, lu conjointement avec le droit à la liberté personnelle et le droit de propriété énoncés [à ses] articles 6 et 17, ainsi qu’avec les droits à la vie et à l’intégrité physique consacrés [à ses] articles 2 et 3, le droit d’asile prévu à [son] article 18 et le respect de la vie familiale prévu à [son] article 7, s’oppose‑t‑elle aux dispositions de la directive [2002/90] et de la
décision‑cadre [2002/946] (transposées en droit italien par les règles énoncées à l’article 12 du texte unique sur l’immigration), dans la mesure où celles‑ci imposent aux États membres l’obligation de prévoir des sanctions de nature pénale à l’encontre de quiconque sciemment aide ou accomplit des actes visant à aider l’entrée d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire de l’Union, même lorsque ces actes sont accomplis sans but lucratif, sans prévoir dans le même temps
l’obligation pour les États membres d’exclure la qualification pénale pour les actes d’aide à l’entrée irrégulière commis dans le but d’apporter une aide humanitaire à l’étranger ?

2) La [Charte] et en particulier le principe de proportionnalité énoncé à [son] article 52, paragraphe 1, lu conjointement avec le droit à la liberté personnelle et le droit de propriété énoncés [à ses] articles 6 et 17, ainsi que les droits à la vie et à l’intégrité physique consacrés par [ses] articles 2 et 3, le droit d’asile prévu à [son] article 18 et le respect de la vie familiale prévu à [son] article 7, s’oppose‑t‑elle à l’incrimination instituée à l’article 12 du texte unique sur
l’immigration, en ce que celle‑ci sanctionne les agissements de la personne qui commet des actes visant à assurer l’entrée illégale d’un étranger sur le territoire de l’État, même lorsque ces actes sont commis sans but lucratif, sans exclure dans le même temps la qualification pénale pour les actes d’aide à l’entrée irrégulière commis dans le but d’apporter une aide humanitaire à l’étranger ? »

32 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. Par ordonnance du 10 octobre 2023, Kinsa (C‑460/23, EU:C:2023:784), le président de la Cour a rejeté cette dernière demande au motif que la nature de l’affaire n’exige pas son traitement dans de brefs délais.

Sur les questions préjudicielles

33 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la validité de l’article 1er de la directive 2002/90 et de l’article 1er de la décision‑cadre 2002/946 au regard de la Charte, ainsi que sur l’interprétation de cette dernière afin de déterminer si elle s’oppose aux dispositions nationales ayant transposé ces articles dans l’ordre juridique italien.

34 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions dont elle est saisie (arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C‑88/99, EU:C:2000:652, point 18, et du 20 mars 2025,
Porcellino Grasso, C‑116/24, EU:C:2025:198, point 34). En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question, en extrayant de l’ensemble des éléments fournis par celui‑ci, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, EU:C:1986:143,
point 9, et du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée].

35 En l’occurrence, il est constant que OB est poursuivie devant la juridiction de renvoi du chef, notamment, du délit d’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire italien, prévu à l’article 12, paragraphe 1, du texte unique sur l’immigration – lequel transpose dans l’ordre juridique italien l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/946 –, pour avoir fait pénétrer irrégulièrement sur ce territoire deux mineures
ressortissantes d’un pays tiers qui l’accompagnaient. Par ailleurs, il ressort des constatations de cette juridiction que ces deux mineures, respectivement fille et nièce de OB, étaient placées sous la « responsabilité » et la « protection » de celle-ci.

36 Dans ces conditions, il importe de relever, d’une part, que les questions posées reposent sur la prémisse que ce comportement de OB relève de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière, telle qu’elle est définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, et que l’article 12 du texte unique sur l’immigration se limite à transposer cette disposition de droit de l’Union dans l’ordre juridique italien. Partant, si une disposition de la Charte s’opposait à ce que cet
article 1er, paragraphe 1, sous a), s’applique à un comportement tel que celui de OB, une telle incompatibilité affecterait nécessairement cet article 12, s’il devait être interprété comme s’appliquant à ce comportement.

37 Cela étant, il convient de rappeler que, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remette pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire, notamment avec les dispositions de la Charte. Ainsi, lorsqu’un texte de droit dérivé exige une interprétation, il doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité aux dispositions des traités et aux principes
généraux du droit de l’Union [arrêts du 21 mars 1991, Rauh, C‑314/89, EU:C:1991:143, point 17, et du 13 juin 2024, Commission/Pays-Bas (Appréciation de compatibilité d’une mesure non qualifiée d’aide d’État), C‑40/23 P, EU:C:2024:492, point 40].

38 D’autre part, il y a lieu de constater que, au regard de l’exposé des faits au principal, tel qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, non seulement l’article 7 de la Charte, qui consacre le droit au respect de la vie familiale, et l’article 18 de la Charte, relatif à la garantie du droit d’asile, auxquels la juridiction de renvoi se réfère, mais également, ainsi que la Commission européenne l’a souligné dans ses observations écrites, l’article 24 de la Charte, qui consacre les
droits de l’enfant, revêtent une importance déterminante pour répondre aux interrogations de ladite juridiction.

39 Il convient ainsi de comprendre que, par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, lu à la lumière, notamment, des articles 7, 18 et 24 de la Charte, doit être interprété en ce sens que ne relève pas de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières par les personnes, fait entrer sur le territoire d’un
État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective et, d’autre part, si ces articles de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale réprimant pénalement un tel comportement.

40 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, chaque État membre doit adopter des sanctions pénales appropriées « à l’encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d’un État membre à pénétrer sur le territoire d’un État membre ou à transiter par le territoire d’un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l’entrée ou au transit des étrangers ».

41 Il résulte du libellé de cette disposition, notamment des termes « quiconque » et « aide » qui y figurent, que le législateur de l’Union a défini l’« infraction générale » visée à ladite disposition de manière abstraite, en n’excluant, a priori, aucune des formes que peut revêtir l’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre ni aucune des personnes susceptibles de fournir cette aide. Il en va de même des personnes susceptibles de recevoir une telle aide.

42 Cette définition ouverte de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière s’explique par le fait que, ainsi que le confirment les considérants 1 et 2 de la directive 2002/90, le législateur de l’Union a entendu « s’attaquer à l’aide apportée à l’immigration clandestine », sous ses différentes formes, et ce afin de lutter de manière effective contre une telle immigration, non seulement lorsque celle-ci concerne le franchissement irrégulier de la frontière à proprement parler, mais aussi
lorsqu’elle a pour but d’alimenter des réseaux d’exploitation des êtres humains. En outre, il ressort des considérants 3 et 4 de cette directive que celle-ci vise à définir de manière précise l’infraction d’aide à l’immigration clandestine, afin d’assurer une mise en œuvre effective de la décision-cadre 2002/946, qui établit des règles minimales en matière de sanctions, de responsabilité des personnes morales et de compétence. Enfin, il découle du considérant 5 de ladite directive que celle‑ci
complète d’autres instruments adoptés pour lutter contre l’immigration clandestine, l’emploi illégal, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants.

43 Certes, à première vue, le libellé ouvert de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 se prête à différentes interprétations. En particulier, si cette disposition ne vise pas explicitement le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières par les personnes, fait entrer sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective, ladite disposition,
en tant que telle, n’exclut pas non plus expressément une interprétation selon laquelle un tel comportement relève de l’infraction générale qu’elle prévoit.

44 Toutefois, cette dernière interprétation ne saurait être retenue.

45 En premier lieu, les objectifs de la directive 2002/90 militent contre une telle interprétation. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé dans ses observations écrites, un tel comportement constitue non pas une aide à l’immigration clandestine, que cette directive a pour finalité de combattre, mais résulte de la prise en charge, par cette personne, de la responsabilité personnelle qui lui incombe au titre de la garde qu’elle exerce à l’égard de ces mineurs.

46 Cette conclusion s’impose d’autant plus, en deuxième lieu, au regard des articles 7 et 24 de la Charte.

47 L’article 7 de la Charte garantit à toute personne le droit, notamment, au respect de sa vie familiale, étant précisé que l’existence d’une vie familiale est une question de fait dépendant de la réalité pratique de liens personnels étroits et que la possibilité pour un parent et son enfant d’être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (arrêt du 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon  Pancharevo , C‑490/20, EU:C:2021:1008, point 61).

48 Quant à l’article 24 de la Charte, son paragraphe 1 dispose, notamment, que les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien‑être. En outre, cet article 24 prévoit, à son paragraphe 2, que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte en tant que considération primordiale dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées. Cette disposition s’applique également à des décisions qui n’ont pas
pour destinataire le mineur, mais qui emportent des conséquences importantes pour ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, GN (Motif de refus fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant), C‑261/22, EU:C:2023:1017, point 41 et jurisprudence citée]. Enfin, ledit article 24, à son paragraphe 3, reconnaît en principe à tout enfant le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents.

49 Selon une jurisprudence constante, l’article 7 de la Charte doit être lu en combinaison avec l’obligation de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, et en tenant compte de la nécessité pour un enfant d’entretenir régulièrement les relations visées à l’article 24, paragraphe 3, de celle‑ci [voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 2022, Belgische Staat (Réfugiée mineure mariée), C‑230/21, EU:C:2022:887, point 48, ainsi que du
30 janvier 2024, Landeshauptmann von Wien (Regroupement familial avec un mineur réfugié), C‑560/20, EU:C:2024:96, point 49 et jurisprudence citée].

50 En outre, dès lors que l’article 24 de la Charte constitue, ainsi que le rappellent les explications relatives à celle‑ci, une intégration dans le droit de l’Union des principaux droits de l’enfant consacrés dans la convention relative aux droits de l’enfant, qui a été ratifiée par l’ensemble des États membres, il y a lieu, dans l’interprétation de cet article, de tenir dûment compte des dispositions de cette convention (arrêt du 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon  Pancharevo , C‑490/20,
EU:C:2021:1008, point 63). En particulier, en vertu de l’article 27, paragraphe 2, de ladite convention, c’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant.

51 Au regard des articles 7 et 24 de la Charte, à la lumière desquels l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 doit être interprété, le comportement d’une personne qui fait entrer irrégulièrement sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective ne saurait relever de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière, visée à cette dernière disposition, y compris lorsque cette
personne est, elle-même, entrée irrégulièrement sur ce territoire.

52 Une interprétation contraire de ladite disposition entraînerait une ingérence particulièrement grave dans le droit au respect de la vie familiale et des droits de l’enfant, consacrés, respectivement, aux articles 7 et 24 de la Charte, au point qu’elle porterait atteinte au contenu essentiel de ces droits fondamentaux, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

53 En effet, admettre qu’une personne puisse être punie pour avoir simplement aidé des mineurs, à l’égard desquels elle exerce la garde effective, à entrer irrégulièrement sur le territoire d’un État membre, constituerait une atteinte à ce contenu essentiel.

54 Une personne, telle que OB, qui fait entrer irrégulièrement sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective se limite, en principe, à assumer concrètement une obligation inhérente à sa responsabilité personnelle, fondée sur sa relation familiale avec ces mineurs, en vue de leur assurer la protection et les soins nécessaires à leur bien‑être ainsi qu’à leur développement. Le comportement de cette
personne est, avant tout, l’expression concrète de sa responsabilité générale à l’égard desdits mineurs.

55 Par conséquent, sous peine de porter atteinte au contenu essentiel du droit au respect de la vie familiale et aux droits de l’enfant consacrés, respectivement, aux articles 7 et 24 de la Charte, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 ne saurait être interprété en ce sens qu’il viserait à ce que le comportement d’une personne telle que OB, consistant à emmener avec elle, lors de son entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre, son enfant ou un autre mineur à
l’égard duquel elle exerce la garde effective soit qualifié d’« aide à l’entrée irrégulière » sur ce territoire et pénalement réprimé à ce titre.

56 Il s’ensuit que, à la lumière des articles 7 et 24 de la Charte, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 doit être interprété en ce sens que le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières par les personnes, fait entrer sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective ne relève pas du champ d’application de l’infraction générale
d’aide à l’entrée irrégulière.

57 En troisième lieu, cette interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 s’impose également à la lumière de l’article 18 de la Charte, qui est pertinent lorsque, comme en l’occurrence, la personne concernée, une fois entrée sur le territoire de l’État membre en cause, a présenté une demande de protection internationale.

58 À cet égard, il importe de souligner, premièrement, que, aux termes de l’article 18 de la Charte, le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève et conformément au traité UE et au traité FUE. Le respect de telles règles s’impose aux États membres dans la mise en œuvre tant de la directive 2002/90 que de la décision‑cadre 2002/946.

59 Ainsi que le confirme l’article 6 de cette décision‑cadre, tant celle-ci que la directive 2002/90 sont dès lors applicables sans préjudice de la protection accordée aux réfugiés et aux demandeurs d’asile et, en particulier, du respect, par les États membres, des obligations internationales qui leur incombent en vertu, notamment, de l’article 31 de la convention de Genève. Ce dernier article interdit à ces États d’appliquer des sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour
irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée, entrent ou se trouvent sur le territoire desdits États sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.

60 Deuxièmement, le code frontières Schengen qui, conformément à son article 3, sous b), s’applique à toute personne franchissant les frontières intérieures ou extérieures d’un État membre, sans préjudice des droits des réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non refoulement, fait obligation aux États membres, en vertu de son article 4, d’agir « dans le plein respect des dispositions pertinentes du droit de l’Union, y compris de la [Charte],
du droit international applicable, dont la [convention de Genève], des obligations liées à l’accès à la protection internationale, en particulier le principe de non refoulement [...] ».

61 Troisièmement, le droit de tout ressortissant de pays tiers ou apatride de présenter une demande de protection internationale sur le territoire d’un État membre, y compris à ses frontières ou dans ses zones de transit, même s’il se trouve en séjour irrégulier sur ce territoire, doit lui être reconnu, quelles que soient les chances de succès de sa demande. Dès la présentation d’une telle demande, le demandeur ne peut, en principe, être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire
de l’État membre concerné, tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande en premier ressort, sauf à compromettre l’effectivité du droit d’asile, tel qu’il est garanti par l’article 18 de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 102, ainsi que du 16 novembre 2021, Commission/Hongrie (Incrimination de l’aide aux demandeurs d’asile), C‑821/19, EU:C:2021:930, points 136 et 137].

62 En outre, il découle de la jurisprudence de la Cour que sont susceptibles de porter atteinte à l’effectivité du droit d’asile, tel qu’il est garanti à l’article 18 de la Charte, des mesures qui, sans justification raisonnable, aboutissent à dissuader un ressortissant d’un pays tiers à présenter sa demande de protection internationale aux autorités compétentes [voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18,
EU:C:2020:1029, points 102, 103, 118 et 119, ainsi que du 22 juin 2023, Commission/Hongrie (Déclaration d’intention préalable à une demande d’asile), C‑823/21, EU:C:2023:504, points 47 à 51].

63 Quatrièmement, il ressort du considérant 9 de la directive 2013/33 que les États membres devraient veiller à ce que, dans le cadre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, les principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’unité de la famille soient pleinement respectés.

64 Par ailleurs, l’acte final de la conférence de plénipotentiaires des Nations unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, du 25 juillet 1951, laquelle a élaboré le texte de la convention de Genève, souligne que « l’unité de la famille [...] est un droit essentiel du réfugié ». De même, la directive 2011/95 vise, conformément à son considérant 16, à garantir le plein respect du droit d’asile des demandeurs et des membres de leur famille qui les accompagnent et à promouvoir l’application,
entre autres, des articles 7 et 24 de la Charte. Le considérant 18 de cette directive précise que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ladite directive et que, lorsqu’ils apprécient cet intérêt, ils devraient en particulier tenir dûment compte du principe de l’unité familiale. Ainsi, l’article 23, paragraphe 1, de la même directive impose explicitement aux États membres de veiller à ce que l’unité familiale puisse
être maintenue.

65 En l’occurrence, dans la mesure où OB a présenté une demande de protection internationale, elle bénéficie des droits découlant de la présentation d’une telle demande et, partant, ne saurait être exposée à des sanctions pénales ni du fait de sa propre entrée irrégulière sur le territoire italien ni du fait d’avoir été accompagnée, lors de cette entrée, de sa fille et de sa nièce à l’égard desquelles elle exerce la garde effective.

66 En quatrième lieu, ainsi que l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, retenue aux points 45 à 65 du présent arrêt, est corroborée par le protocole de Palerme sur le trafic des migrants, à la lumière duquel cette directive doit être lue. En effet, conformément à l’article 2 de ce protocole, celui‑ci a pour objectif de criminaliser le trafic illicite des migrants, tout en protégeant les droits des
migrants eux‑mêmes.

67 Cette interprétation n’a nullement pour effet de soustraire au champ d’application du droit pénal des comportements qui, sous couvert d’être justifiés par des liens familiaux, pourraient, en réalité, poursuivre d’autres finalités, telles que l’immigration clandestine, l’emploi illégal, la traite des êtres humains ou l’exploitation sexuelle des enfants, exposant ainsi ces derniers à des atteintes graves à leurs droits fondamentaux. Il convient, à cet égard, de souligner que la directive 2002/90,
ainsi que le précise son considérant 5, vient compléter d’autres instruments adoptés pour lutter contre l’immigration clandestine, l’emploi illégal, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des enfants, sans se substituer à ceux-ci.

68 En cinquième et dernier lieu, dès lors qu’une interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 conforme aux articles 7 et 24 de la Charte ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, de celle‑ci a pour conséquence d’exclure du champ d’application de l’infraction d’aide à l’entrée irrégulière, au sens de la première disposition, un comportement tel que celui en cause au principal, il n’y a pas lieu d’examiner la validité de l’article 1er de la directive 2002/90 ni
d’interpréter le paragraphe 2 de ce dernier, qui porte sur l’exemption de responsabilité pénale dans les cas où le comportement en cause a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée.

69 En outre, au vu des interrogations de la juridiction de renvoi quant à la compatibilité avec le droit de l’Union de la disposition nationale ayant transposé notamment l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90 dans l’ordre juridique italien, il importe de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition d’une directive, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit
national d’une manière conforme à cette directive, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation de celle‑ci qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union ou avec les autres principes généraux reconnus dans cet ordre juridique (arrêts du 29 janvier 2008, Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, point 68, ainsi que du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C‑817/19, EU:C:2022:491, point 87 et jurisprudence citée).

70 Dans ce contexte, il convient également de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 42 du présent arrêt, il résulte des considérants 3 et 4 de la directive 2002/90 que l’article 1er, paragraphe 1, de celle‑ci vise à définir de manière précise l’infraction d’aide à l’immigration clandestine pour rendre ainsi plus opérante la mise en œuvre de la décision‑cadre 2002/946.

71 Partant, lors de la transposition de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, les États membres ne sauraient instaurer, dans le droit national, des règles qui iraient au-delà de la portée de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière, telle que définie par cette disposition, en y incluant des comportements non visés par celle-ci, en violation des articles 7 et 24 ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

72 Par ailleurs, ces articles 7 et 24 se suffisent à eux-mêmes et ne doivent pas être précisés par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers des droits invocables en tant que tels. Dès lors, si la juridiction de renvoi devait constater qu’il n’est pas envisageable d’interpréter son droit national de manière conforme au droit de l’Union, elle serait tenue d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant pour les justiciables
de ces articles et de garantir le plein effet de ceux‑ci en laissant au besoin inappliqué l’article 12 du texte unique sur l’immigration (voir, par analogie, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, points 78 et 79).

73 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90, lu à la lumière des articles 7 et 24 ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens que, d’une part, ne relève pas de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières par les personnes, fait entrer sur le territoire
d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective et, d’autre part, ces articles s’opposent à une législation nationale réprimant pénalement un tel comportement.

Sur les dépens

74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2002/90/CE du Conseil, du 28 novembre 2002, définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, lu à la lumière des articles 7 et 24 ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

  doit être interprété en ce sens que :

  d’une part, ne relève pas de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière le comportement d’une personne qui, en violation du régime de franchissement des frontières par les personnes, fait entrer sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective et, d’autre part, ces articles s’opposent à une législation nationale réprimant pénalement un tel comportement.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-460/23
Date de la décision : 03/06/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Tribunale di Bologna.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Directive 2002/90/CE – Infraction générale d’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers – Article 1er, paragraphe 1, sous a) – Interprétation conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 7 – Respect de la vie privée et familiale – Article 24 – Droits de l’enfant – Article 52, paragraphe 1 – Atteinte au contenu essentiel des droits fondamentaux – Article 18 – Droit d’asile – Personne faisant entrer irrégulièrement sur le territoire d’un État membre des mineurs ressortissants de pays tiers qui l’accompagnent et à l’égard desquels elle exerce la garde effective.

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : OB
Défendeurs : Procura della Repubblica presso il Tribunale di Bologna.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Piçarra

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:392

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