ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
8 mai 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Article 4, paragraphe 1, et article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b) – Procédures d’octroi de la protection internationale – Prolongation par l’autorité responsable de la détermination du délai d’examen de six mois – Grand nombre de demandes de protection internationale introduites simultanément – Notion – Prise en compte d’autres circonstances »
Dans l’affaire C‑662/23 [Zimir] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 8 novembre 2023, parvenue à la Cour le 9 novembre 2023, dans la procédure
Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid
contre
X,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer (rapporteur) et B. Smulders, juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : Mme A. Lamote, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 octobre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour X, par Me M. F. Wijngaarden, advocaat, et Mme S. Rafi, experte,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard, Mmes B. Dourthe, O. Duprat-Mazaré et M. B. Fodda, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hongrois, par Mme Zs. Biró-Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azema, A. Baeckelmans, F. Blanc et S. Van den Bogaert, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de cette directive.
2 Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) à X, un ressortissant de pays tiers, au sujet de l’absence de prise de décision par celui-ci, dans le délai légal de six mois, sur la demande d’octroi d’un permis de séjour temporaire au titre de l’asile.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 3 et 18 de la directive 2013/32 énoncent :
« (3) Le Conseil européen, lors de sa réunion spéciale de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, est convenu d’œuvrer à la mise en place d’un régime d’asile européen commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951[Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 (ci-après dénommée “convention de Genève”), et d’assurer ainsi que nul ne sera
renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire d’affirmer le principe de non-refoulement.
[...]
(18) Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif. »
4 Aux termes de l’article 1er, intitulé « Objet », de cette directive :
« La présente directive a pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire,
et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)]. »
5 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Autorités responsables », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. Les États membres veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches conformément à la présente directive. »
6 L’article 31 de la même directive, intitulé « Procédure d’examen », prévoit :
« 1. Les États membres traitent les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II.
2. Les États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d’un examen approprié et exhaustif.
3. Les États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les six mois à compter de l’introduction de la demande.
Lorsqu’une demande est soumise à la procédure définie par le règlement (UE) no 604/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31)], le délai de six mois commence à courir à partir du moment où l’État membre responsable de son examen a
été déterminé conformément à ce règlement et où le demandeur se trouve sur le territoire de cet État membre et a été pris en charge par l’autorité compétente.
Les États membres peuvent prolonger le délai de six mois visé au présent paragraphe d’une durée ne pouvant excéder neuf mois supplémentaires lorsque :
[...]
b) du fait qu’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides demandent simultanément une protection internationale, il est très difficile, en pratique, de conclure la procédure dans le délai de six mois ;
[...]
Exceptionnellement, les États membres peuvent, dans des circonstances dûment justifiées, dépasser de trois mois au maximum les délais prescrits au présent paragraphe lorsque cela est nécessaire pour assurer un examen approprié et exhaustif de la demande de protection internationale.
[...]
5. En tout état de cause, les États membres concluent la procédure d’examen dans un délai maximal de vingt‑et‑un mois à partir de l’introduction de la demande.
6. Lorsqu’une décision ne peut pas être prise dans un délai de six mois, les États membres veillent à ce que le demandeur concerné :
a) soit informé du retard ; et
b) reçoive, lorsqu’il en fait la demande, des informations concernant les raisons du retard et le délai dans lequel sa demande est susceptible de faire l’objet d’une décision.
[...] »
Le droit néerlandais
7 L’article 42 de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers de 2000), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, no 495), prévoit :
« 1. La décision sur la demande d’octroi d’un permis de séjour temporaire tel que visé à l’article 28 ou d’un permis de séjour à durée illimitée tel que visé à l’article 33 est adoptée dans les six mois suivant la réception de la demande.
[...]
4. Le délai visé au paragraphe 1 peut être prolongé d’une durée ne pouvant pas excéder neuf mois supplémentaires lorsque :
[...]
b. du fait qu’un grand nombre d’étrangers déposent simultanément une demande, il est très difficile, en pratique, de conclure la procédure dans le délai de six mois ; ou
[...] »
8 Le 21 septembre 2022, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité a adopté, sur le fondement de l’article 42, paragraphe 4, sous b), de la loi sur les étrangers de 2000, qui transpose le point b) de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 2013/32 en droit néerlandais, le Besluit houdende wijziging van de Vreemdelingencirculaire 2000 (arrêté portant modification de la circulaire de 2000 sur les étrangers, ci-après le « WBV 2022/22 »), qui est entré en vigueur le
27 septembre 2022. Au moyen du WBV 2022/22, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité a prolongé de neuf mois le délai d’examen de six mois des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile. Cet arrêté s’applique à toutes les demandes introduites avant le 1er janvier 2023 et dont le délai d’examen n’était pas expiré à la date du 27 septembre 2022.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 X, un ressortissant turc, a déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas le 10 avril 2022.
10 Le 21 septembre 2022, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité a adopté le WBV 2022/22 prolongeant de neuf mois le délai légal de six mois d’examen des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile.
11 Le 13 octobre 2022, X a adressé une mise en demeure au secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité du fait de l’absence de prise de décision dans le délai de six mois.
12 Le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité ayant gardé le silence au cours des deux semaines qui ont suivi cette mise en demeure, X a introduit un recours devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays‑Bas).
13 Par un jugement du 6 janvier 2023, cette juridiction a déclaré le recours de X fondé et a considéré que, par le WBV 2022/22, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité n’avait pas légalement prolongé le délai d’examen des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile. Par ce jugement, cette juridiction a également ordonné à cette autorité de procéder, dans les huit semaines suivant la date du jugement, à une première audition et de prendre, dans les huit semaines
suivant cette première audition, une décision sur la demande de X et ce sous peine d’une astreinte de 100 euros par jour de retard.
14 Le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi.
15 À l’appui de ce recours, il a fait valoir que, aux fins de l’application de l’article 42, paragraphe 4, sous b), de la loi sur les étrangers de 2000 et de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, il n’est pas exigé que l’autorité nationale soit confrontée à une augmentation subite ou à la constatation d’un « pic » du nombre de demandes de protection internationale introduites simultanément. Cette autorité pourrait également prolonger le délai d’examen de ces
demandes dans le cas d’un accroissement progressif de ce nombre, conjointement avec d’autres circonstances, lorsqu’une telle prolongation serait nécessaire pour assurer un examen approprié et exhaustif des demandes de protection internationale comme l’exige l’article 31, paragraphe 2, de la directive 2013/32. Le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité soutient, en outre, que, lorsqu’il envisage de prolonger le délai d’examen des demandes de protection internationale, il est en droit de
prendre en considération le nombre de dossiers en attente de traitement, parce que ce dernier fait peser des contraintes sur sa capacité de traitement de ces demandes et contribue à ce qu’il soit très difficile, en pratique, de conclure la procédure de manière soigneuse dans les six mois de l’introduction de celles-ci.
16 Le 14 avril 2023, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité a délivré à X un permis de séjour temporaire au titre de l’asile et lui a versé la somme due au titre de l’astreinte.
17 La juridiction de renvoi considère que le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité conserve néanmoins un intérêt à son appel, dès lors que ce recours vise à contester le jugement du 6 janvier 2023, dans lequel le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye) a jugé que, par le WBV 2022/22, cette autorité n’avait pas légalement prolongé le délai d’examen des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile visées dans cet acte.
18 Cette juridiction observe que le terme « simultanément » figurant à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, s’il est interprété de manière large, signifierait « dans un court laps de temps », étant donné que les demandes de protection internationale sont, de fait, rarement introduites littéralement au même moment. Toutefois, selon ladite juridiction, il demeure nécessaire d’opérer une délimitation du temps au cours duquel survient une augmentation du nombre
de ces demandes pouvant caractériser un pic de celles-ci. De surcroît, compte tenu du fait que ces augmentations ne sont pas perceptibles de manière immédiate, le Raad van State (Conseil d’État) relève que la mise en œuvre de cette disposition ne peut utilement intervenir qu’après l’écoulement d’un certain temps.
19 La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la directive 2013/32, dans le cadre d’une interprétation plus large, permet de prolonger le délai d’examen des demandes de protection internationale lorsque leur nombre ne s’accroît que progressivement alors que, dans ce cas, le secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité aurait amplement le temps et la possibilité d’augmenter sa capacité de traitement de ces demandes. Cette interprétation pourrait être retenue, car correspondant
à la finalité de la directive 2013/32, laquelle viserait à ce que l’autorité responsable de la détermination prenne une décision sur les demandes de protection internationale dans les meilleurs délais, mais en procédant avec soin.
20 En outre, cette juridiction relève que l’article 31, paragraphe 2, de la directive 2013/32 joue également un rôle dans l’interprétation de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de celle-ci, car il prévoit que la procédure d’examen doit être menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d’un examen approprié et exhaustif. La corrélation entre ces deux exigences serait donc importante, mais peu claire.
21 Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que l’expression « un grand nombre », associée aux ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant des demandes de protection internationale est également dépourvue de clarté. Elle se demande si ce nombre doit être déterminé en termes absolus ou s’il est possible de prendre en compte des données chiffrées relatives aux flux de ces demandes dans un État membre donné.
22 Cette juridiction se demande encore si la difficulté de conclure, en pratique, la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois, visée à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, peut avoir pour origine des circonstances autres que le seul grand nombre de ces demandes introduites simultanément.
23 C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) a) Dans le cas d’un grand nombre de demandes de protection internationale qui sont introduites simultanément au sens de l’article 31, paragraphe 3, troisième [alinéa,] sous b), de la directive 2013/32, l’autorité responsable de la détermination peut-elle faire usage de sa faculté de prolonger le délai de décision de six mois si l’accroissement du grand nombre de ces demandes se produit progressivement sur une certaine période et qu’il est en conséquence très difficile, en pratique, de
conclure la procédure dans le délai de six mois ? Comment faut-il, à cet égard, interpréter le terme “simultanément” ?
b) Sur la base de quels critères faut-il apprécier s’il est question d’“un grand nombre” de demandes de protection internationale, tel que visé à l’article 31, paragraphe 3, troisième [alinéa,] sous b), de la directive 2013/32 ?
2) Une limitation dans le temps de la période au cours de laquelle un accroissement du nombre de demandes de protection internationale doit se produire s’applique‑t‑elle pour pouvoir encore relever du champ d’application de l’article 31, paragraphe 3, troisième [alinéa,] sous b), de la directive 2013/32 ? Dans l’affirmative, combien de temps cette période peut-elle durer ?
3) Pour déterminer s’il est très difficile, en pratique, de conclure la procédure dans le délai de six mois, au sens de l’article 31, paragraphe 3, troisième [alinéa,] sous b), de la directive 2013/32, peut-il être tenu compte – eu égard également à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive – de circonstances qui ne se résument pas à l’accroissement du nombre de demandes de protection internationale, telles que le fait que l’autorité responsable de la détermination se heurte à des arriérés
préexistants à l’accroissement du nombre de ces demandes ou à un manque de capacité en personnel ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
24 Dans ses observations écrites, le gouvernement français a émis des doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, faisant valoir, en substance, que le litige au principal était devenu théorique, puisque X avait obtenu un permis de séjour temporaire au titre de l’asile.
25 Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou
hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).
26 La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence
citée).
27 Partant, la Cour est susceptible de vérifier d’office la persistance du litige au principal (arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín, C‑165/14, EU:C:2016:675, point 24).
28 À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le jugement du 6 janvier 2023 par lequel le rechtbank den Haag (tribunal de La Haye) a déclaré le recours de X fondé et a ordonné au secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité de procéder à une audition et de prendre une décision sur la demande de X, dans les délais qu’il a fixés, est contesté en appel devant la juridiction de renvoi. Il en ressort également que la délivrance à X, par cette autorité, d’un permis de séjour temporaire
au titre de l’asile, le 14 avril 2023, n’a pas mis fin à ce litige, lequel, à la date d’introduction de la demande de décision préjudicielle, était pendant, et que la juridiction de renvoi considère que ladite autorité conserve un intérêt à son appel, au motif que le jugement faisant l’objet de ce dernier a considéré qu’elle n’avait pas légalement prolongé le délai de décision en matière d’asile.
29 Il convient, en conséquence, de considérer que le litige au principal est toujours pendant devant la juridiction de renvoi, laquelle est tenue de statuer sur la légalité de cette prolongation et qu’une réponse de la Cour aux questions posées est nécessaire pour la solution de ce litige.
30 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
31 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens que le délai de six mois prévu pour l’examen des demandes de protection internationale, visé à cette disposition, peut être prolongé d’une durée de neuf mois par l’autorité responsable de la détermination en cas d’accroissement progressif du nombre de ces
demandes sur une période prolongée ou si, aux fins de l’application de cette disposition, la période au cours de laquelle un accroissement de ce nombre doit survenir est limitée dans le temps.
32 L’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 prévoit que les États membres peuvent prolonger le délai d’examen de six mois des demandes de protection internationale lorsque, du fait qu’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides demandent simultanément une protection internationale, il est très difficile, en pratique, de conclure la procédure dans ce délai.
33 Ainsi, la possibilité pour les États membres de prolonger le délai d’examen de six mois des demandes de protection internationale, au titre de cette disposition, est subordonnée à la réunion de trois conditions étroitement liées entre elles et cumulatives, à savoir, premièrement, que des demandes d’une telle protection soient introduites « simultanément », deuxièmement, que ces demandes soient introduites par « un grand nombre » de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides et, troisièmement,
qu’il soit alors « très difficile pour les autorités de l’État membre, en pratique, de conclure la procédure dans le délai de six mois ». Ces conditions, interdépendantes, doivent être interprétées de manière conjointe.
34 En premier lieu, en ce qui concerne la condition tenant à ce que des demandes de protection internationale soient introduites simultanément, il convient de relever qu’aucune disposition de la directive 2013/32 ne définit le sens et la portée du terme « simultanément ». Celui-ci doit donc être interprété conformément à son sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie [voir,
par analogie, arrêt du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Crime particulièrement grave), C‑402/22, EU:C:2023:543, point 24 et jurisprudence citée].
35 Selon son sens habituel en langage courant, ce terme est synonyme de l’expression « concomitamment », ce qui implique, en principe, que le grand nombre de demandes de protection internationale auquel il est fait référence à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 doit être introduit au même moment.
36 Cela étant, dès lors que, ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 45 de ses conclusions, les demandes de protection internationale sont en pratique rarement introduites exactement au même moment, afin que cette disposition ne soit pas privée de tout effet utile, le terme « simultanément » doit être compris comme signifiant « dans un court laps de temps », ce qui tend à indiquer que ladite disposition ne vise pas le cas d’un accroissement progressif du nombre de ces
demandes sur une période prolongée.
37 En deuxième lieu, s’agissant de la condition tenant à ce que les demandes de protection internationale soient introduites par un « grand » nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides, selon son sens habituel en langage courant, le terme « grand » renvoie à un nombre « élevé » de demandeurs de protection internationale.
38 La directive 2013/32 ne comportant pas de critères permettant de quantifier, même de manière relative, un tel nombre, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé en substance aux points 46 et 48 de ses conclusions, l’appréciation de l’existence d’un « grand nombre » de ces demandeurs doit être effectuée au regard du flux habituel et prévisible des demandes de protection internationale dans l’État membre concerné, sur la base des tendances statistiques actuelles et historiques. Pour qu’il s’agisse
d’« un grand nombre » de demandes de protection internationale introduites « simultanément », au sens de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, l’autorité responsable de la détermination doit ainsi établir, sur la base d’une analyse comparative de données chiffrées, l’existence d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre desdites demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné.
39 En troisième lieu, pour ce qui est de la condition relative à l’existence de difficultés pratiques pour conclure, dans le délai de six mois, le traitement d’un grand nombre de demandes de protection internationale introduites simultanément, l’appréciation de l’existence de telles difficultés doit être effectuée au regard notamment des obligations qui incombent aux États membres conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2013/32.
40 À cet égard, il convient de rappeler que cette disposition prévoit que les États membres, d’une part, désignent, pour toutes les procédures, une autorité responsable de la détermination chargée de procéder à un examen approprié des demandes de protection internationale conformément à cette directive et, d’autre part, veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches conformément à ladite directive.
41 Or, dès lors que l’autorité responsable de la détermination doit disposer des moyens nécessaires pour être en mesure de traiter le flux habituel et prévisible des demandes de protection internationale dans le délai de six mois, ce n’est qu’en cas de survenance d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, de telles demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans cet État membre, que ladite autorité est susceptible de se heurter à un problème de capacité de
traitement de ces demandes de façon appropriée et exhaustive dans ce délai.
42 En revanche, si le nombre de demandes de protection internationale s’accroît progressivement sur une période prolongée, l’État membre concerné doit prendre des mesures, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2013/32, pour adapter sa capacité de traitement de ces demandes. Ainsi, la durée de la période à prendre en considération au titre de l’interprétation de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 ne peut pas excéder le temps nécessaire à
un État membre pour accroître les moyens mis à la disposition de l’autorité responsable de la détermination et disposer à nouveau d’une capacité suffisante pour traiter ces demandes conformément à cette directive.
43 En quatrième lieu, il résulte des considérants 3 et 18 de la directive 2013/32 que cette dernière vise à mettre en place un régime d’asile européen commun, dans lequel les demandes de protection internationale devraient faire l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.
44 Certes, les possibilités de prolongation du délai de six mois énoncées à l’article 31, paragraphe 3, de la directive 2013/32 ont été instaurées pour répondre à des situations particulières qui justifient un délai d’examen plus long, afin de pouvoir garantir un examen approprié et exhaustif de celles-ci.
45 Or, ainsi qu’il ressort des points 41 et 42 du présent arrêt, ce n’est que si le nombre de demandes de protection internationale s’est accru d’une manière significative et dans un court laps de temps que l’autorité responsable de la détermination est susceptible de se heurter à un problème de capacité de traitement de ces demandes au cours des six mois de la période d’examen, qui justifierait une prolongation de ce délai en vertu de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la
directive 2013/32.
46 Dès lors, une interprétation de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 permettant à un État membre de prolonger le délai d’examen de six mois des demandes de protection internationale en cas d’accroissement progressif du nombre de ces demandes sur une période prolongée compromettrait l’objectif poursuivi par cette directive.
47 Il résulte de tout ce qui précède que l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 est applicable en cas de survenance d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre des demandes de protection internationale par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné et que, par voie de conséquence, elle ne couvre pas un cas d’accroissement progressif du nombre de ces demandes sur une période prolongée.
48 Ainsi, il existe une limitation de la période au cours de laquelle un accroissement du nombre de demandes de protection internationale doit survenir pour pouvoir relever du champ d’application de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, dont la durée ne peut pas dépasser le temps nécessaire à un État membre pour accroître les moyens mis à la disposition de l’autorité responsable de la détermination et disposer à nouveau d’une capacité suffisante pour traiter
les demandes de protection internationale reçues dans le délai de six mois prévu à cette disposition, conformément aux obligations découlant de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive. Ce temps nécessaire doit être apprécié au regard du temps requis pour recruter et former du personnel compétent pour effectuer le traitement des demandes de protection internationale reçues d’une façon appropriée et exhaustive.
49 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens que le délai de six mois prévu pour l’examen des demandes de protection internationale, visé à cette disposition, peut être prolongé d’une durée de neuf mois par l’autorité responsable de la détermination en cas de survenance d’un accroissement significatif, dans un court laps de
temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné, ce qui exclut la situation caractérisée par un accroissement progressif du nombre desdites demandes sur une longue période.
Sur la troisième question
50 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que la difficulté, en pratique, de conclure la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois peut avoir pour origine des circonstances autres que le grand nombre de ces demandes introduites
simultanément, telles que l’existence préalable d’un volume important de demandes non traitées ou l’insuffisance de personnel de l’autorité responsable de la détermination.
51 Il ressort du libellé de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 que les difficultés pratiques pour respecter le délai d’examen de six mois des demandes de protection internationale, qui justifient la prolongation de ce délai au titre de cette disposition, doivent être dues au grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides ayant demandé simultanément une protection internationale.
52 Admettre d’autres circonstances que le grand nombre des demandes de protection internationale introduites simultanément pour justifier une prolongation du délai d’examen au titre de ladite disposition compromettrait les obligations que les États membres doivent respecter en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, telles qu’énoncées au point 40 du présent arrêt.
53 Dans la mesure où cette disposition implique que l’État membre concerné s’assure que l’autorité responsable de la détermination soit en mesure de faire face aux fluctuations du nombre de demandes de protection internationale, lorsque le nombre de ces demandes correspond à une tendance habituelle et prévisible, cet État membre est censé avoir prévu des moyens conférant à cette autorité une capacité de traitement appropriée. En revanche, lorsque surviennent des circonstances imprévisibles, telles
qu’une forte augmentation du nombre desdites demandes introduites simultanément, il ne saurait être attendu d’un État membre qu’il satisfasse à ses obligations dans le délai requis de six mois dès lors que les moyens initialement prévus peuvent ne pas être suffisants et que cet État membre n’est pas nécessairement en mesure de répondre immédiatement aux besoins supplémentaires, notamment en effectif, requis par cette augmentation.
54 En effet, bien que les États membres doivent assurer un renforcement des ressources humaines de l’autorité responsable de la détermination en cas d’augmentation du nombre des demandes de protection internationale, il ne saurait être attendu d’eux qu’ils soient immédiatement en mesure de répondre aux besoins supplémentaires en effectif qu’entraînerait un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État
membre concerné. Partant, ils doivent disposer du temps nécessaire pour accroître les moyens mis à la disposition de l’autorité responsable de la détermination et disposer à nouveau d’une capacité suffisante pour traiter ces demandes conformément à cette directive. C’est pourquoi l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 prévoit la possibilité de prolonger le délai d’examen desdites demandes d’une durée ne pouvant excéder neuf mois supplémentaires.
55 Il s’ensuit que le nombre de demandes de protection internationale en attente d’être traitées au moment de la survenance de l’accroissement significatif du nombre de ces demandes introduites simultanément ne peut pas constituer en soi une circonstance justifiant une prolongation au titre de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32. Lorsque le nombre de ces demandes demeure constamment élevé pendant une longue période, il appartient à l’État membre de prévoir
au profit de l’autorité responsable de la détermination des moyens appropriés afin de lui assurer une capacité de traitement suffisante, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive.
56 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que la difficulté, en pratique, de conclure la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois ne peut avoir pour origine des circonstances autres que le grand nombre de ces demandes
introduites simultanément, telles que l’existence préalable d’un volume important de demandes non traitées ou l’insuffisance de personnel de l’autorité responsable de la détermination.
Sur les dépens
57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale,
doit être interprété en ce sens que :
le délai de six mois prévu pour l’examen des demandes de protection internationale, visé à cette disposition, peut être prolongé d’une durée de neuf mois par l’autorité responsable de la détermination en cas de survenance d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné, ce qui exclut la situation caractérisée par un accroissement progressif du nombre desdites demandes sur une
longue période.
2) L’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, de cette directive,
doit être interprété en ce sens que :
la difficulté, en pratique, de conclure la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois ne peut avoir pour origine des circonstances autres que le grand nombre de ces demandes introduites simultanément, telles que l’existence préalable d’un volume important de demandes non traitées ou l’insuffisance de personnel de l’autorité responsable de la détermination.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.