La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/05/2025 | CJUE | N°C-530/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre K.P., 08/05/2025, C-530/23


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 mai 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/1919 – Aide juridictionnelle – Directive 2013/48/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables – Détermination de la vulnérabilité de ces personnes – Absence de présomption légale – Effet direct – Interrogatoire d’un suspect en l’absence d’un avocat – Admissibilité des preuves obtenues en

violation des droits procéduraux »

Dans l’affaire C‑530/23 [Barało] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision p...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 mai 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/1919 – Aide juridictionnelle – Directive 2013/48/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables – Détermination de la vulnérabilité de ces personnes – Absence de présomption légale – Effet direct – Interrogatoire d’un suspect en l’absence d’un avocat – Admissibilité des preuves obtenues en violation des droits procéduraux »

Dans l’affaire C‑530/23 [Barało] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy we Włocławku (tribunal d’arrondissement de Włocławek, Pologne), par décision du 17 août 2023, parvenue à la Cour le 17 août 2023, dans la procédure pénale contre

K.P.,

en présence de :

Prokurator Rejonowy we Włocławku,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. M. Gavalec, Z. Csehi et F. Schalin, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le Prokurator Rejonowy we Włocławku, par Mme T. Rutkowska‑Szmydyńska,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, Mme T. Suchá et M. J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme J. Hottiaux et M. M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 novembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation :

– de l’article 6, paragraphes 1 à 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ;

– des articles 4 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ;

– de l’article 1er, paragraphe 2, de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, ainsi que des articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/1919 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2016, concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen (JO 2016, L 297, p. 1) ;

– de l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), et paragraphe 3, sous a) et b), de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1) ;

– des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation (2013/C 378/02) de la Commission, du 27 novembre 2013, relative à des garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables soupçonnées ou poursuivies dans le cadre des procédures pénales (JO 2013, C 378, p. 8, ci-après la « recommandation de la Commission »), ainsi que

– des principes de primauté, d’effectivité et d’effet direct du droit de l’Union.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre K.P. pour, d’une part, détention de stupéfiants et de substances psychotropes et, d’autre part, conduite sous l’emprise de stupéfiants.

Le cadre juridique

Le droit international

3 Les points 23 et 32 des Principes et lignes directrices des Nations Unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale, adoptés le 20 décembre 2012 par la résolution 67/187 de l’Assemblée générale, sont ainsi libellés :

« 23. Il incombe à la police, aux procureurs et aux juges de veiller à ce que les personnes comparaissant devant eux qui n’ont pas les moyens de rémunérer un avocat et/ou qui sont vulnérables bénéficient d’une assistance juridique.

[...]

32. Des mesures spéciales doivent être prises pour que l’assistance juridique soit réellement accessible aux femmes, aux enfants et aux groupes ayant des besoins particuliers, notamment, mais non exclusivement, [...] les malades mentaux [et] les usagers de drogues [...]. Ces mesures doivent tenir compte des besoins particuliers de ces groupes et doivent être adaptées au sexe et à l’âge. »

Le droit de l’Union

La directive 2013/48

4 Aux termes des considérants 50 et 51 de la directive 2013/48 :

« (50) Les États membres devraient veiller à ce que les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à la présente directive. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a établi
qu’il serait, en principe, porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. Cela devrait s’entendre sans préjudice de l’utilisation de ces déclarations à d’autres fins autorisées par le droit national, telles que la nécessité de procéder à des actes d’instruction urgents ou d’éviter la commission d’autres infractions
ou des atteintes graves à une personne, ou liées à une nécessité urgente d’éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale lorsque l’accès à un avocat ou un retard dans le déroulement de l’enquête porterait irrémédiablement atteinte aux enquêtes en cours concernant une infraction grave. En outre, cela devrait s’entendre sans préjudice des dispositifs ou régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves et ne devrait pas empêcher les États membres de conserver un système en
vertu duquel tous les éléments de preuve existants peuvent être produits devant une juridiction ou un juge, sans qu’il y ait une appréciation distincte ou préalable quant à leur admissibilité.

(51) L’obligation d’accorder une attention particulière aux suspects ou aux personnes poursuivies se trouvant dans une situation de faiblesse potentielle est à la base d’une bonne administration de la justice. Le ministère public, les autorités répressives et judiciaires devraient donc faciliter l’exercice effectif par ces personnes des droits prévus dans la présente directive, par exemple en tenant compte de toute vulnérabilité éventuelle affectant leur capacité d’exercer leur droit d’accès à un
avocat et d’informer un tiers dès leur privation de liberté, et en prenant les mesures appropriées pour garantir l’exercice de ces droits. »

5 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. Elle s’applique jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir s’ils ont
commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

6 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

2.   Les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à partir de la survenance du premier en date des événements suivants :

a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b) lorsque des autorités chargées des enquêtes ou d’autres autorités compétentes procèdent à une mesure d’enquête ou à une autre mesure de collecte de preuves conformément au paragraphe 3, point c) ;

c) sans retard indu après la privation de liberté ;

d) lorsqu’ils ont été cités à comparaître devant une juridiction compétente en matière pénale, en temps utile avant leur comparution devant ladite juridiction.

3.   Le droit d’accès à un avocat comprend les éléments suivants :

a) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de rencontrer en privé l’avocat qui les représente et de communiquer avec lui, y compris avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire. Cette participation a lieu conformément aux procédures prévues par le droit national, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte à l’exercice effectif et à l’essence même des droits concernés. Dans le cas où l’avocat participe à un interrogatoire, le fait que cette participation ait eu lieu est consigné
conformément à la procédure de constatation prévue par le droit de l’État membre concerné ;

[...] »

7 L’article 12 de la même directive, intitulé « Voies de recours », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que les personnes dont la remise est demandée dans le cadre de procédures relatives au mandat d’arrêt européen, disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive.

2.   Sans préjudice des règles et régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves, les États membres veillent à ce que, dans le cadre des procédures pénales, les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat, ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à l’article 3, paragraphe 6. »

8 Aux termes de l’article 13 de la directive 2013/48 :

« Les États membres veillent à ce que, lors de l’application de la présente directive, soient pris en compte les besoins spécifiques des personnes vulnérables qui sont soupçonnées ou poursuivies. »

La directive 2016/1919

9 Les considérants 1, 3, 4, 6, 17 à 19, 23 et 24 de la directive 2016/1919 énoncent :

« (1) La présente directive a pour objet de garantir l’effectivité du droit d’accès à un avocat prévu par la [directive 2013/48] en permettant aux suspects et aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales [...] de bénéficier de l’assistance d’un avocat rémunéré par les États membres.

[...]

(3) L’article 47, troisième alinéa, de la [Charte consacre] le droit à l’aide juridictionnelle dans le cadre des procédures pénales conformément aux conditions fixées dans [cette disposition]. [...]

(4) Le 30 novembre 2009, le Conseil [de l’Union européenne] a adopté une résolution relative à la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales [(JO 2009, C 295, p. 1)] (ci-après dénommée “feuille de route”). Dans le cadre d’une approche progressive, la feuille de route demande l’adoption de mesures relatives au droit à la traduction et à l’interprétation (mesure A), au droit à l’information concernant les
droits et l’accusation (mesure B), au droit à l’assistance d’un conseiller juridique et à une aide juridictionnelle (mesure C), au droit à la communication avec les proches, les employeurs et les autorités consulaires (mesure D) et à des garanties particulières pour les suspects ou les personnes poursuivies qui sont vulnérables (mesure E).

[...]

(6) À ce jour, cinq mesures relatives aux droits procéduraux dans les procédures pénales ont été adoptées en application de la feuille de route, à savoir [la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1), la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales
(JO 2012, L 142, p. 1), la directive 2013/48, la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), et la directive (UE) 2016/800 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes
poursuivies dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 132, p. 1)].

[...]

(17) Conformément à l’article 6, paragraphe 3, point c), de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la “CEDH”)], les suspects et les personnes poursuivies qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour obtenir l’assistance d’un avocat doivent avoir droit à l’aide juridictionnelle lorsque les intérêts de la justice l’exigent. En vertu de cette règle minimale, les États membres peuvent appliquer un
critère de ressources ou un critère de bien-fondé, ou les deux. L’application de ces critères ne saurait limiter les droits et les garanties procédurales qui sont accordés en vertu de la [C]harte et de la CEDH, tels qu’ils sont interprétés par la [Cour] et la Cour européenne des droits de l’homme, ou y déroger.

(18) Les États membres devraient arrêter les modalités pratiques concernant l’octroi de l’aide juridictionnelle. Ces modalités pourraient établir que l’aide juridictionnelle est octroyée à la demande du suspect, de la personne poursuivie ou de la personne dont la remise est demandée. Étant donné, en particulier, les besoins des personnes vulnérables, une telle demande ne devrait toutefois pas constituer une condition de fond pour l’octroi de l’aide juridictionnelle.

(19) Les autorités compétentes devraient octroyer l’aide juridictionnelle sans retard indu, et au plus tard avant l’interrogatoire de la personne concernée par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves visées dans la présente directive. Si les autorités compétentes ne sont pas en mesure de le faire, elles devraient au moins octroyer une aide juridictionnelle d’urgence ou provisoire avant
un tel interrogatoire ou avant l’exécution de telles mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves.

[...]

(23) Lors de la mise en œuvre de la présente directive, les États membres devraient garantir le respect du droit fondamental à l’aide juridictionnelle tel qu’il est prévu par la [C]harte et par la CEDH. Ce faisant, ils devraient respecter les principes et les lignes directrices des Nations unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale.

(24) Sans préjudice des dispositions du droit national concernant la présence obligatoire d’un avocat, une autorité compétente devrait prendre la décision d’octroyer ou non l’aide juridictionnelle sans retard indu. L’autorité compétente devrait être une autorité indépendante compétente pour prendre des décisions en ce qui concerne l’octroi de l’aide juridictionnelle, ou une juridiction, y compris une juridiction à juge unique. Dans des situations urgentes, la participation temporaire de la police
et du ministère public devrait toutefois être également possible, dans la mesure où cette participation est nécessaire pour octroyer l’aide juridictionnelle en temps utile. »

10 Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet » :

« 1.   La présente directive établit des règles minimales communes concernant le droit à l’aide juridictionnelle pour :

a) les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales ; [...]

[...]

2.   La présente directive complète les directives [2013/48] et [2016/800]. Aucune disposition de la présente directive ne peut être interprétée comme limitant les droits prévus dans lesdites directives. »

11 L’article 2 de la directive 2016/1919, intitulé « Champ d’application », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   La présente directive s’applique aux suspects et aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales qui bénéficient du droit d’accès à un avocat en vertu de la [directive 2013/48] et qui sont :

a) privés de liberté ;

b) tenus d’être assistés par un avocat conformément au droit de l’Union ou au droit national ; ou

c) tenus d’assister à une mesure d’enquête ou de collecte de preuves ou autorisés à y assister, dont, au minimum, les mesures suivantes :

i) les séances d’identification des suspects ;

ii) les confrontations ;

iii) les reconstitutions de la scène d’un crime.

2.   La présente directive s’applique également aux personnes dont la remise est demandée qui bénéficient du droit d’accès à un avocat en vertu de la [directive 2013/48], dès leur arrestation dans l’État membre d’exécution. »

12 L’article 4 de la directive 2016/1919, intitulé « Aide juridictionnelle dans le cadre des procédures pénales », est ainsi rédigé :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour obtenir l’assistance d’un avocat aient droit à l’aide juridictionnelle lorsque les intérêts de la justice l’exigent.

2.   Les États membres peuvent appliquer un critère de ressources ou un critère de bien-fondé, ou les deux, pour déterminer si l’aide juridictionnelle doit être accordée en vertu du paragraphe 1.

[...]

5.   Les États membres veillent à ce que l’aide juridictionnelle soit accordée sans retard indu, et au plus tard avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves visées à l’article 2, paragraphe 1, point c).

[...] »

13 Aux termes de l’article 8 de cette directive, intitulé « Voies de recours » :

« Les États membres veillent à ce que les suspects, les personnes poursuivies et les personnes dont la remise est demandée disposent d’une voie de recours effective conformément au droit national en cas de violation des droits prévus au titre de la présente directive. »

14 L’article 9 de ladite directive, intitulé « Personnes vulnérables », est libellé comme suit :

« Les États membres veillent à ce que, lors de la mise en œuvre de la présente directive, soient pris en compte les besoins spécifiques des personnes vulnérables qui sont soupçonnées, poursuivies ou dont la remise est demandée. »

15 L’article 11 de la même directive, intitulé « Non‑régression », prévoit :

« Aucune disposition de la présente directive ne saurait être interprétée comme limitant les droits et les garanties procédurales conférés par la [C]harte, la CEDH ou d’autres dispositions pertinentes du droit international ou du droit de tout État membre qui offrent un niveau de protection plus élevé, ni comme dérogeant à ces droits et à ces garanties procédurales. »

La recommandation de la Commission

16 Les considérants 1, 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission énoncent :

« (1) L’objectif de la présente recommandation est d’encourager les États membres à renforcer les droits procéduraux de l’ensemble des personnes soupçonnées ou poursuivies qui ne sont pas aptes à comprendre et à participer effectivement à la procédure pénale du fait de leur âge, de leur état mental ou physique ou d’un handicap (“personnes vulnérables”).

[...]

(6) Il est essentiel que la vulnérabilité d’une personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale soit promptement décelée et reconnue. À cette fin, les officiers de police et les autorités judiciaires ou répressives devraient procéder à une première évaluation. Les autorités compétentes devraient également pouvoir demander à un expert indépendant d’évaluer le degré de vulnérabilité et les besoins de la personne vulnérable ainsi que l’opportunité de toute mesure qu’elles ont
prise ou envisagent de prendre à l’égard de cette personne.

(7) Les personnes soupçonnées ou poursuivies, ou leur avocat, devraient avoir le droit de contester, conformément au droit interne, l’évaluation de leur vulnérabilité potentielle dans le cadre des procédures pénales, notamment si cette évaluation devait entraver ou restreindre considérablement l’exercice de leurs droits fondamentaux. Ce droit n’oblige pas les États membres à prévoir une procédure d’appel spécifique, un mécanisme séparé ou une procédure de réclamation permettant cette
contestation.

[...]

(11) Les personnes qui sont reconnues comme étant particulièrement vulnérables ne sont pas aptes à suivre et à comprendre la procédure pénale. Afin de veiller à la protection de leur droit à un procès équitable, elles ne devraient pas pouvoir renoncer à leur droit à l’assistance d’un avocat.

[...]

(13) Les personnes vulnérables ne sont pas toujours aptes à comprendre le contenu des interrogatoires de police auxquels elles sont soumises. Afin d’éviter toute contestation relative à la teneur d’un interrogatoire et, partant, la répétition indue de celui-ci, chaque interrogatoire devrait faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. »

17 Le point 4 de cette recommandation figure dans la section 2 de celle-ci, intitulée « Repérage des personnes vulnérables ». Aux termes de ce point 4 :

« Les personnes vulnérables devraient être rapidement repérées et reconnues comme telles. Les États membres devraient veiller à ce que les autorités compétentes puissent toutes faire effectuer un examen médical par un expert indépendant, afin de repérer les personnes vulnérables et de déterminer le degré de leur vulnérabilité et leurs besoins spécifiques. Cet expert peut formuler un avis motivé sur l’opportunité des mesures qui ont été prises ou qu’il est envisagé de prendre à l’égard de la
personne vulnérable. »

18 La section 3 de ladite recommandation, intitulée « Droits des personnes vulnérables », comprend dix parties, dont quatre sont intitulées « Non‑discrimination », « Présomption de vulnérabilité », « Droit d’accès à un avocat » et « Enregistrement des interrogatoires ». Le point 6 de la même recommandation, qui figure dans la première de ces quatre parties, est libellé en ces termes :

« Les droits procéduraux accordés aux personnes vulnérables devraient être respectés tout au long de la procédure pénale, compte étant tenu de la nature et du degré de vulnérabilité de celles-ci. »

19 Le point 7 de la recommandation de la Commission, qui figure dans la partie intitulée « Présomption de vulnérabilité », dispose :

« Les États membres devraient prévoir une présomption de vulnérabilité en particulier pour les personnes qui présentent des incapacités psychologiques, intellectuelles, physiques ou sensorielles graves, ou encore qui souffrent de troubles psychiques ou cognitifs, qui les empêchent de comprendre et de participer effectivement à la procédure. »

20 Aux termes du point 11 de cette recommandation, qui figure dans la partie intitulée « Droit d’accès à un avocat » :

« Si une personne vulnérable est inapte à comprendre et à suivre la procédure, elle ne devrait pas pouvoir renoncer au droit d’accès à un avocat prévu par la [directive 2013/48]. »

21 Le point 13 de ladite recommandation, qui figure dans la partie intitulée « Enregistrement des interrogatoires », prévoit :

« Tout interrogatoire de personnes vulnérables au cours de l’enquête préliminaire devrait faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. »

Le droit polonais

22 Conformément à l’article 6 de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego (loi portant code de procédure pénale), du 6 juin 1997 (Dz. U. de 2022, position 1375), dans sa version applicable à la procédure pénale au principal (ci-après le « CPP »), la personne poursuivie bénéficie des droits de la défense, y compris le droit d’être assistée par un avocat. Elle est informée de ce droit.

23 L’article 79 du CPP prévoit, à son paragraphe 1, que, dans le cadre d’une procédure pénale, la personne poursuivie doit être assistée d’un avocat s’il existe un doute légitime quant à l’absence ou à l’altération substantielle de son discernement ou du contrôle de ses actes lors de la commission de l’infraction (point 3) et s’il existe un doute légitime quant à la capacité que lui permet sa santé mentale de participer à la procédure ou d’assurer sa défense de façon indépendante et raisonnable
(point 4). L’article 79, paragraphe 3, du CCP dispose par ailleurs que, dans les cas visés, notamment, au paragraphe 1 de cet article 79, la présence de l’avocat est obligatoire à l’audience ainsi qu’aux séances auxquelles la personne poursuivie est tenue de participer.

24 En vertu de l’article 168a du CPP, un élément de preuve ne peut être déclaré irrecevable au seul motif qu’il a été obtenu en violation des règles de procédure ou par des voies délictueuses visées à l’article 1er, paragraphe 1, du code pénal, à moins que cet élément de preuve n’ait été obtenu par un fonctionnaire public dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, à la suite d’un homicide, de coups et blessures volontaires ou d’une privation de liberté.

25 L’article 300 du CPP concerne le droit à l’information d’un suspect. À ce titre, le suspect doit, avant son premier interrogatoire, être informé de ses droits d’être entendu, de garder le silence ou de refuser de répondre à des questions, du contenu de l’inculpation et de ses modifications, de présenter des demandes en vue de la réalisation de devoirs d’enquête préliminaire ou d’instruction, d’être assisté par un avocat, y compris de solliciter la désignation d’office d’un avocat dans certaines
hypothèses dont il doit être informé, de prendre connaissance des éléments du dossier final de l’enquête pénale et des droits énoncés à l’article 301 du CPP, ainsi que des obligations et des conséquences énoncées à l’article 74 du CPP. Le suspect doit obtenir ces informations par écrit et confirmer qu’il les a reçues en signant un accusé de réception du document d’information.

26 Conformément à l’article 301 du CPP, à la demande du suspect, celui-ci est interrogé en présence de l’avocat désigné. L’absence de ce dernier n’empêche pas de procéder à l’interrogatoire.

27 En vertu de l’article 344a du CPP, la juridiction saisie renvoie l’affaire au procureur afin de compléter l’enquête si le dossier révèle des lacunes importantes dans la procédure, en particulier la nécessité de rechercher des preuves, et si cette juridiction rencontre des difficultés considérables pour effectuer les actes nécessaires. Lorsqu’elle renvoie l’affaire au procureur, ladite juridiction précise l’orientation que doit prendre le complément d’enquête et, si nécessaire, les mesures
appropriées à prendre. Cette ordonnance est susceptible de recours par les parties.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

28 Le Sąd Rejonowy we Włocławku (tribunal d’arrondissement de Włocławek, Pologne), la juridiction de renvoi dans la présente affaire, est saisi d’une procédure pénale ouverte contre K.P.

29 Selon les indications données par la juridiction de renvoi, les poursuites pénales ont été engagées dans le contexte suivant. Le 22 juillet 2022, informés d’une collision impliquant deux véhicules, des agents de police ont interpellé K.P. Il était à l’extérieur de son véhicule, nerveux, et parlait de manière confuse et incohérente.

30 Les agents de police lui ont demandé de leur remettre tout objet en sa possession dont la détention était potentiellement prohibée. K.P. a sorti d’un sac des sachets de plastique contenant de la poudre blanche et une substance sèche de couleur verte. Ces substances ont été saisies et, par la suite, identifiées comme étant susceptibles d’être, respectivement, de l’amphétamine et de la marijuana.

31 Après son interpellation, K.P. a été arrêté et conduit à l’hôpital où une prise de sang a été effectuée pour vérifier s’il avait consommé des stupéfiants. Il a été inculpé pour avoir détenu un produit stupéfiant et une substance psychotrope.

32 K.P. a été informé de son droit d’être assisté d’un avocat de son choix et de celui de se voir désigner un avocat commis d’office si sa situation économique ne lui permettait pas d’en choisir un. Il a également été informé de son droit d’être entendu, de garder le silence et de refuser de répondre aux questions. Le procès-verbal de l’interrogatoire contient l’annotation d’un officier de police selon laquelle, « d’après ses déclarations, [K.P.] est sain d’esprit, il ne suit pas ou n’a pas suivi de
traitement psychiatrique, médicamenteux ou neurologique ».

33 K.P. n’aurait pas renoncé à son droit d’être assisté d’un avocat, mais n’aurait pas non plus demandé à en contacter un. Il n’existerait aucune preuve de ce que l’officier de police a examiné K.P. pour déterminer si, lors de son interrogatoire, celui-ci se trouvait sous l’emprise de produits ou de substances altérant son discernement ou sa capacité de se remémorer les faits, ou s’il était sous l’influence de produits stupéfiants.

34 Les substances que K.P. détenait et qui ont été saisies ainsi que les échantillons de son sang prélevés à l’hôpital ont fait l’objet d’une expertise scientifique. Compte tenu de la concentration d’amphétamine présente dans ces échantillons, il a été conclu que K.P., lors de la prise de sang, se trouvait « sous l’influence d’une drogue ayant un effet similaire à celui de l’alcool ». Le 7 août 2022, il a ainsi été inculpé pour avoir conduit une voiture sous l’influence d’une drogue ayant un effet
similaire à celui de l’alcool.

35 L’acte d’inculpation lui a été remis, le 14 octobre 2022, au service psychiatrique de l’hôpital où il séjournait. Il y a été entendu, sans la présence d’un avocat, le procureur n’ayant, par ailleurs, pas demandé à ce qu’un avocat commis d’office soit désigné pour l’assister. Son audition n’a pas non plus fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel.

36 Préalablement à cette audition, le 22 août 2022, un médecin psychiatre qui avait traité K.P. auparavant, aurait déclaré, lors de sa propre audition, que l’état psychique de l’intéressé, c’est-à-dire la gravité des symptômes de sa maladie mentale, ne lui permettait pas de prendre part à des actes de procédure, cet état étant susceptible de persister pendant au moins plusieurs semaines. Il ressortirait, par ailleurs, du dossier médical de K.P., transmis au procureur à sa demande le 23 septembre
2022, que l’intéressé aurait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique entre le 30 juin 2021 et le 22 juillet 2022 pour traiter une schizophrénie et des troubles schizo-affectifs. Il en ressortirait également qu’il avait été initialement diagnostiqué comme souffrant d’un trouble mental et d’un trouble causé par l’usage alterné de stupéfiants et de substances psychoactives, ainsi que d’un trouble mental psychotique.

37 Le 15 décembre 2022, la juridiction de renvoi a été saisie du réquisitoire introductif d’instance.

38 Le 28 février 2023, cette juridiction a décidé, sur le fondement de l’article 344a, paragraphe 1, du CPP, de renvoyer l’affaire au ministère public pour complément d’enquête, aux fins que K.P. soit interrogé en présence d’un avocat et de recueillir l’avis d’experts psychiatres quant à l’état de santé mentale de K.P. lors de l’infraction et pendant la procédure pénale engagée contre lui.

39 Cette décision a, néanmoins, été annulée par le Sąd Okręgowy we Włocławku (tribunal régional de Włocławek, Pologne) à la suite d’un recours du ministère public. L’affaire a été renvoyée à la juridiction de renvoi pour la suite de la procédure.

40 Dans le cadre de celle-ci, cette juridiction indique avoir constaté, notamment, qu’aucune évaluation individuelle n’a été effectuée au cours de la procédure d’enquête afin de vérifier si K.P. était dans une situation de vulnérabilité nécessitant la désignation d’un avocat commis d’office. Il n’aurait pas non plus été établi si sa santé mentale lui permettait de prendre part à la procédure ou d’assurer sa défense de manière indépendante et raisonnable.

41 La juridiction de renvoi déduit de ces constatations que K.P. aurait été ainsi privé, d’une part, de la protection minimale à laquelle il aurait droit, au titre de la directive 2016/1919, en tant que suspect et personne potentiellement vulnérable, et, d’autre part, des droits auxquels tous les suspects pourraient prétendre, en vertu des directives 2012/13 et 2013/48. Il s’agirait, principalement, de la garantie du droit à l’assistance d’un avocat pour les personnes présumées vulnérables, ainsi
que du droit de ces dernières de bénéficier d’une aide juridictionnelle dès qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction.

42 Selon la juridiction de renvoi, cette situation découle de l’absence de transposition correcte et complète de ces directives ainsi que de l’absence de mise en œuvre de la recommandation de la Commission dans l’ordre juridique polonais. Il conviendrait donc, en premier lieu, de déterminer si les dispositions pertinentes des directives précitées répondent aux critères de l’effet direct.

43 La juridiction de renvoi relève, par ailleurs, que les règles de la procédure pénale en vigueur n’offrent pas de solutions suffisamment précises garantissant à toute personne relevant du champ d’application des directives 2013/48 et 2016/1919 la plénitude des droits que ces directives prévoient, tels que le droit d’accès immédiat à un avocat, le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat au stade le plus précoce de la phase préalable au procès ou encore le droit de voir ses besoins
identifiés sans délai avant d’être interrogé en qualité de suspect. À défaut de pouvoir interpréter ces règles d’une manière conforme au droit de l’Union, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en deuxième lieu, si non seulement les juridictions nationales, mais, plus largement, toutes les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la loi, sont tenues de laisser lesdites règles inappliquées.

44 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique, en troisième lieu, qu’elle cherche à « établir une voie de recours effective » susceptible de supprimer les effets de la violation des droits dont le suspect aurait dû bénéficier aux stades antérieurs de la procédure au titre de la directive 2016/1919. Elle se réfère, à cette fin, à l’article 8 de cette directive et à l’article 12 de la directive 2013/48, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme.

45 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge quant à la situation d’un suspect ou d’une personne poursuivie qui est identifié comme étant une personne vulnérable à laquelle une aide juridictionnelle doit être fournie, sans délai, conformément à la directive 2016/1919. Cette juridiction se demande si les autorités nationales, telles que le procureur, qui participent à la phase préalable au procès pénal et qui la dirigent, sont tenues d’assurer une protection juridique effective au titre
de cette directive lorsque l’infraction en cause est passible d’une peine privative de liberté. L’application effective du droit de l’Union exigerait, en outre, l’indépendance et l’impartialité des juridictions, mais également des autorités chargées des poursuites pénales dans les affaires présentant un élément de rattachement avec le droit de l’Union.

46 C’est dans ces conditions que le Sąd Rejonowy we Włocławku (tribunal d’arrondissement de Włocławek) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 ainsi que des considérants 18, 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 3, paragraphe 2, sous a) et [b)], et l’article 3, paragraphe 3, sous a), de la [directive 2013/48], et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles instituent une règle d’effet
direct et impérative voulant que, lorsqu’il existe des raisons factuelles objectives d’accorder l’aide juridictionnelle, il soit illicite de procéder à l’interrogatoire d’une personne vulnérable ou en situation de vulnérabilité sans la présence d’un avocat, lorsque, concomitamment, l’autorité d’enquête s’abstient d’octroyer l’aide juridictionnelle (y compris d’urgence ou provisoire) sans retard indu et avant qu’il ait été procédé à l’interrogatoire de cette personne (la personne vulnérable
in concreto) par la police, par une autre autorité chargée de l’application de la loi ou par une autorité judiciaire, ou avant que des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves aient été prises ?

2) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 ainsi que des considérants 18, 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens que [i)] le fait, au cours de la procédure, de ne pas déceler la situation de vulnérabilité potentielle
d’une personne ou de ne pas reconnaître la vulnérabilité de celle‑ci, en dépit de motifs factuels justifiant son prompt repérage, et [ii)] l’absence de possibilité de contester l’évaluation de la situation de vulnérabilité potentielle de cette personne et d’octroyer à celle-ci l’aide juridictionnelle sans retard indu, ne sont aucunement licites dans des affaires relatives à des infractions passibles d’une peine d’emprisonnement, et en ce sens que les circonstances qui ont conduit à conclure à
l’absence de situation de vulnérabilité et au non‑octroi de l’aide juridictionnelle doivent être explicitement indiquées dans la décision de procéder à l’interrogatoire en l’absence d’un avocat, laquelle décision doit en principe être susceptible de recours ?

3) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 ainsi que des considérants 18, 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens que la non‑introduction par un État membre d’une présomption de vulnérabilité dans le cadre des
procédures pénales doit être considérée comme empêchant le suspect de bénéficier de la garantie prévue à l’article 9 de la [directive 2016/1919], analysée à la lumière [du point 11 de la recommandation de la Commission], de sorte que les autorités judiciaires sont tenues d’appliquer directement les dispositions de [cette] directive dans une telle situation ?

4) En cas de réponse affirmative à l’une au moins des [trois premières] questions, les dispositions des deux directives qui y sont citées doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à des dispositions nationales telles que :

a) l’article 301, deuxième phrase, du [CPP], qui prévoit que ce n’est qu’à sa demande que le suspect est interrogé en présence de l’avocat désigné, et que l’absence de ce dernier à l’interrogatoire du suspect n’empêche pas l’interrogatoire [;]

b) l’article 79, paragraphe 1, points 3 et 4, du [CPP], aux termes duquel, dans le cadre d’une procédure pénale, une personne poursuivie (soupçonnée) doit être assistée d’un avocat s’il existe un doute légitime quant à l’absence ou à l’altération substantielle de son discernement ou du contrôle de ses actes lors de la commission de l’infraction, ou quant à la capacité que lui permet sa santé mentale de participer à la procédure ou d’assurer sa défense de façon indépendante et raisonnable [?]

5) Les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 2, sous a), et de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la directive [2013/48], lues en conjonction avec le principe de primauté et d’effet direct des directives, imposent-elles aux autorités d’enquête, aux juridictions et à tous les organes de l’État d’écarter les dispositions nationales non conformes à [cette] directive, telles que celles mentionnées dans la [quatrième question], et, partant, eu égard à l’expiration du délai de mise en
œuvre, de substituer à la règle nationale les normes susvisées d’effet direct de [ladite] directive ?

6) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 et des considérants 19, 24 et 27 de la directive [2016/1919] doivent-elles être interprétées de telle sorte que, si une décision sur l’octroi de l’aide juridictionnelle n’est pas prise, ou que l’aide juridictionnelle n’est pas accordée à une personne vulnérable ou à une personne bénéficiant d’une présomption de vulnérabilité, conformément au libellé [du point 7 de la recommandation de
la Commission], et que, ensuite, des mesures d’enquête sont exécutées, avec la participation de cette personne, par un service de police ou une autre autorité chargée de l’application de la loi, y compris des mesures non susceptibles d’être répétées devant un tribunal, la juridiction nationale saisie de l’affaire dans le cadre d’une procédure pénale, ainsi que toute autre autorité de l’État chargée d’administrer la justice pénale (et, partant, les autorités d’enquête) sont tenues d’écarter les
dispositions nationales non conformes à [cette] directive, telles que celles mentionnées dans la [quatrième question], et, partant, eu égard à l’expiration du délai de mise en œuvre, de substituer à la règle nationale les normes susvisées d’effet direct de [ladite] directive, même lorsque cette personne a désigné un avocat de son choix après l’achèvement de l’enquête (ou de l’instruction) et le dépôt devant le tribunal de l’acte introductif d’instance par le ministère public ?

7) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 et des considérants 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un État membre est tenu de veiller à ce que soit promptement décelée et reconnue la vulnérabilité d’un suspect,
et de garantir l’aide juridictionnelle aux suspects et aux personnes qui sont poursuivies dans le cadre des procédures pénales et qui bénéficient d’une présomption de vulnérabilité ou qui sont vulnérables, et en ce sens que cette aide est obligatoire, même lorsque l’autorité compétente n’a pas demandé à un expert indépendant d’évaluer le degré de vulnérabilité, les besoins de la personne vulnérable et l’adéquation de l’ensemble des mesures prises ou envisagées à l’égard de la personne
vulnérable, jusqu’à ce qu’un expert indépendant ait valablement procédé à l’évaluation ?

8) En cas de réponse affirmative à la [septième question], les dispositions susvisées de la directive [2016/1919] et de la recommandation de la Commission doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à des règles nationales telles que celles prévues à l’article 79, paragraphe 1, points 3 et 4, [du CPP] en vertu desquelles, dans le cadre d’une procédure pénale, une personne poursuivie doit être assistée d’un avocat uniquement s’il existe un doute légitime quant à l’absence ou à
l’altération substantielle de son discernement ou du contrôle de ses actes lors de la commission de l’infraction, ou s’il existe un doute légitime quant à la capacité que lui permet sa santé mentale de participer à la procédure ou d’assurer sa défense de façon indépendante et raisonnable ?

9) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 et des considérants 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], ainsi que du principe de présomption de vulnérabilité, doivent-elles être interprétées en ce sens que, au plus tard avant le premier interrogatoire d’un
suspect par la police ou une autre autorité compétente, les autorités compétentes (ministère public, police) sont tenues de promptement déceler et de reconnaître au cours de la procédure la vulnérabilité du suspect dans le cadre d’une procédure pénale, et de lui garantir l’aide juridictionnelle et une aide d’urgence (provisoire), ainsi que de s’abstenir d’interroger le suspect jusqu’à ce que l’aide juridictionnelle ait été mise en place ou que lui ait été accordée une aide d’urgence
(provisoire) ?

10) En cas de réponse affirmative à la [neuvième question], les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 et des considérants 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, et analysées à la lumière [des points 6, 7, 11 et 13 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles contraignent les États membres à préciser dans
leur droit national les motifs et les critères des dérogations à l’obligation de promptement déceler et de reconnaître au cours de la procédure la vulnérabilité du suspect dans le cadre d’une procédure pénale, en lui garantissant l’aide juridictionnelle ou une aide d’urgence (provisoire), et que toute dérogation éventuelle doit être proportionnée, limitée dans le temps et ne pas porter atteinte au principe d’équité de la procédure, tout en étant adoptée sous la forme procédurale d’une
décision autorisant une dérogation temporaire et ouvrant en principe droit à une partie de la soumettre à l’appréciation d’un tribunal ?

11) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la [Charte], lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 3, sous a) et b), de la [directive 2013/48/], et en conjonction avec l’article 1er, paragraphe 2, et le considérant 27 ainsi qu’avec l’article 8 de la [directive 2016/1919], doivent-ils être interprétés en ce sens que, si l’autorité compétente, sans préciser les raisons de sa décision, n’accorde pas l’aide juridictionnelle à une
personne bénéficiant d’une présomption de vulnérabilité et/ou vulnérable (conformément [aux points 7 et 11 de la recommandation de la Commission]), cette personne a droit à un recours effectif, étant entendu que doit être considérée comme tel l’institution du droit procédural interne prévue à l’article 344a du [CPP], qui impose de renvoyer l’affaire au procureur aux fins suivantes :

a) faire en sorte que l’autorité d’enquête décèle et reconnaisse la vulnérabilité d’un suspect dans le cadre d’une procédure pénale ;

b) permettre au suspect de consulter son avocat avant qu’il ne soit procédé à l’interrogatoire ;

c) effectuer l’interrogatoire du suspect en présence de son avocat, en procédant à l’enregistrement audiovisuel de cet interrogatoire ;

d) permettre à la défense de se familiariser avec le dossier de la procédure et de présenter d’éventuelles offres de preuve de la part de la personne vulnérable et d’un avocat commis d’office ou d’un avocat désigné par le suspect ?

12) Les dispositions combinées de l’article 4 de la [Charte], de l’article 6, paragraphes 1 et 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 3, TUE, lues en combinaison avec l’article 3 de la [CEDH] [...] et en conjonction avec la présomption de vulnérabilité énoncée [au point 7 de la recommandation de la Commission], doivent-elles être interprétées en ce sens que l’interrogatoire d’un suspect par un officier de police ou par une autre personne autorisée à procéder à une mesure d’enquête, effectué dans
les conditions d’un hôpital psychiatrique, sans tenir compte de la situation d’insécurité, et dans des conditions de liberté d’expression particulièrement limitée et de fragilité psychique spécifique, et en l’absence d’un avocat, constitue un traitement inhumain, disqualifiant en tant que tel totalement cet acte procédural d’interrogatoire, en le rendant contraire aux droits fondamentaux de l’Union ?

13) En cas de réponse affirmative à la [douzième question], les dispositions qui y sont visées doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles autorisent (ou obligent) [i)] une juridiction nationale saisie d’une affaire dans le cadre d’une procédure pénale relevant du champ d’application de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec [le point 7 de la recommandation de la Commission], ainsi que relevant du champ d’application de la [directive 2013/48], mais aussi [ii)] toute autre
autorité pénale adoptant des actes de procédure dans l’affaire, à écarter les dispositions du droit national incompatibles avec la directive [2016/1919], y compris, notamment, à écarter l’article 168a du [CPP], et, partant, eu égard à l’expiration du délai de mise en œuvre, à substituer à la règle nationale les normes d’effet direct susmentionnées de [cette] directive, même lorsque cette personne a désigné un avocat de son choix après la clôture de l’enquête (ou de l’instruction) et le dépôt
devant le tribunal de l’acte introductif d’instance par le ministère public ?

14) Les dispositions combinées de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de l’article 4, paragraphe 5, de l’article 9 et des considérants 19, 24 et 27 de la [directive 2016/1919], lues en conjonction avec l’article 3, paragraphe 2, sous [a) à c)], et l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la [directive 2013/48], et en combinaison avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que le principe d’effectivité du droit de l’Union, doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsqu’il agit
au stade de l’enquête dans une affaire pénale, le procureur est tenu de pleinement respecter les exigences de la directive 2016/1919 ayant un effet direct, et donc de veiller à ce qu’un suspect ou une personne poursuivie qui bénéficie de la protection desdites directives se voie garantir, dans le cadre de la procédure, une protection juridique effective dès la première des dates suivantes :

a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi ou une autorité judiciaire ;

b) lorsque des autorités chargées des enquêtes ou d’autres autorités compétentes procèdent à une mesure d’enquête ou à une autre mesure de collecte de preuves conformément [à l’article 3,] paragraphe 3, sous c), de la directive [2013/48] ;

c) immédiatement après la privation de liberté (par laquelle il convient également d’entendre un séjour dans un hôpital psychiatrique), en étant tenu, si nécessaire, d’écarter les instructions des procureurs de rang supérieur s’il est convaincu que l’application de ces instructions porterait atteinte à la protection effective d’un suspect bénéficiant d’une présomption de vulnérabilité, notamment à son droit à un procès équitable ou à tout autre droit accordé par la directive 2016/1919, en
conjonction avec la [directive 2013/48] ?

15) En cas de réponse affirmative à la [quatorzième question], l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, qui énonce le principe de la protection juridique effective, lu en conjonction avec le principe du respect de l’État de droit, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456], ainsi que le principe de l’indépendance des juges que consacrent l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE et l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour (arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117), doivent-ils être interprétés en ce sens que, du fait de la possibilité pour le procureur général ou les parquets de rang supérieur d’adresser des instructions contraignantes aux procureurs de rang inférieur qui obligent ces derniers à écarter des règles d’effet direct du droit de l’Union ou qui font
obstacle à l’application de celles-ci, ces principes s’opposent à une législation nationale prévoyant que le ministère public est directement dépendant d’un organe exécutif, à savoir le ministre de la Justice, ainsi qu’à des dispositions nationales qui restreignent l’indépendance du procureur dans le champ d’application du droit de l’Union, en particulier [...] l’article 1er, paragraphe 2, l’article 3, paragraphe 1, points 1 et 3, et l’article 7, paragraphes 1 à 6 et 8, ainsi que
l’article 13, paragraphes 1 et 2, du prawo o prokuraturze (loi relative au ministère public), du 28 janvier 2016 (Dz. U. de 2016, position 176, telle que modifiée), dont il ressort que le ministre de la Justice, qui est également procureur général et la plus haute instance du parquet, peut adresser des instructions contraignantes aux procureurs de rang inférieur, y compris pour limiter ou entraver l’application directe du droit de l’Union ? »

Sur la procédure devant la Cour

47 La juridiction de renvoi a également demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Par ordonnance du 8 novembre 2023, Barało (C‑530/23, EU:C:2023:927), le président de la Cour a décidé, la juge rapporteure et l’avocate générale entendues, de rejeter cette demande.

Sur les questions préjudicielles

48 Les questions posées par la juridiction de renvoi portent, essentiellement, sur l’interprétation de plusieurs dispositions des directives 2013/48 et 2016/1919. Par ces questions, la juridiction de renvoi cherche, principalement, à déterminer la portée du droit d’accès à un avocat et du droit à l’aide juridictionnelle d’une personne vulnérable.

49 Toutefois, des interrogations relatives à plusieurs notions du droit de l’Union ainsi qu’à différents aspects procéduraux, tels que la détermination de l’effet direct de certaines dispositions des directives 2013/48 et 2016/1919 ou l’obligation éventuelle d’instaurer de voies de recours qu’imposeraient ces directives, s’ajoutent à l’objet principal de la demande de décision préjudicielle et se recoupent dans le libellé des différentes questions préjudicielles.

50 Compte tenu de la manière dont l’ensemble de ces questions s’articulent entre elles, il convient d’examiner conjointement, en premier lieu, les première à dixième, treizième et quatorzième questions, en ce qu’elles concernent la portée du droit d’accès à un avocat et du droit à l’aide juridictionnelle d’une personne vulnérable ainsi que sur les conséquences d’un éventuel défaut de conformité d’une législation nationale aux obligations qui découlent des directives 2013/48 et 2016/1919, en deuxième
lieu, les deuxième, dixième et onzième questions, en ce qu’elles portent sur l’exigence d’une voie de recours effective en cas de violation des droits prévus au titre de ces directives et sur l’admissibilité des preuves, en troisième lieu, la douzième question, et, enfin, en quatrième lieu, la quinzième question.

Sur les première à dixième, treizième et quatorzième questions, en ce qu’elles concernent la portée du droit d’accès à un avocat et du droit à l’aide juridictionnelle d’une personne vulnérable ainsi que sur les conséquences d’un éventuel défaut de conformité d’une législation nationale aux obligations qui découlent des directives 2013/48 et 2016/1919

51 Par ses première à dixième, treizième et quatorzième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, l’article 2, paragraphe 1, sous b), l’article 4, paragraphe 5, et l’article 9 de la directive 2016/1919, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive 2013/48, doivent être interprétés en ce sens que les États membres ont l’obligation, d’une part, de veiller à ce
que la vulnérabilité d’une personne poursuivie ou d’un suspect soit décelée et reconnue avant que cette personne ou ce suspect ne soient interrogés dans le cadre d’une procédure pénale ou avant que des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves aient été prises les concernant et, d’autre part, de garantir à ceux-ci l’accès à un avocat sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux fins de cette procédure.

52 Par ces questions, la juridiction de renvoi aborde plusieurs problématiques qu’il convient d’examiner successivement. Il s’agit, tout d’abord, de déterminer les champs d’application respectifs des directives 2013/48 et 2016/1919 et la manière dont elles s’articulent entre elles. Ensuite, il y a lieu d’apprécier la portée du droit d’accès à un avocat et du droit à l’aide juridictionnelle d’une personne vulnérable. Il faut, enfin, pour donner une réponse complète à cette juridiction, envisager les
conséquences d’un éventuel défaut de conformité d’une législation nationale aux obligations qui découlent des directives 2013/48 et 2016/1919.

Sur les champs d’application respectifs des directives 2013/48 et 2016/1919 ainsi que leur articulation

53 Il ressort expressément de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2016/1919 que celle-ci complète la directive 2013/48, le droit à l’aide juridictionnelle étant lié à l’exercice du droit d’accéder à un avocat. L’article 2, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 2016/1919 prévoit, en outre, qu’elle s’applique aux suspects et aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales qui bénéficient du droit d’accès à un avocat en vertu de la directive 2013/48 et qui sont soit privés
de liberté, soit tenus d’être assistés par un avocat conformément au droit de l’Union ou au droit national, soit tenus ou autorisés à assister à certaines mesures d’enquête ou de collecte de preuves.

54 Or, l’article 3, paragraphe 2, sous a) à d), de la directive 2013/48 énonce que les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale ont, en tout état de cause, accès à un avocat dans quatre hypothèses. Ce droit doit ainsi leur être garanti, premièrement, avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire, deuxièmement, lorsqu’il est procédé à certaines mesures d’enquête ou de collecte de preuves, troisièmement, sans retard
indu après avoir été privés de liberté ou, quatrièmement, en temps utile avant leur comparution devant une juridiction compétente.

55 Il ressort donc de ces différentes dispositions que la survenance des événements énumérés à l’article 3, paragraphe 2, sous a) à d), de la directive 2013/48 conditionne non seulement le déclenchement du droit d’accès à un avocat, mais aussi, concomitamment, l’applicabilité de la directive 2016/1919 et le droit à l’aide juridictionnelle qu’elle instaure.

56 Cette concomitance dans la protection offerte par ces deux directives découle également de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2016/1919, lequel impose expressément aux États membres de veiller à ce que l’aide juridictionnelle soit accordée sans retard indu et, au plus tard, avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves visées à l’article 2, paragraphe 1, sous c),
de cette directive.

57 L’importance d’un octroi précoce de l’aide juridictionnelle est confirmée par le considérant 24 de ladite directive. Il découle de celui-ci que la participation temporaire de la police et du ministère public, lors de la procédure d’octroi de cette aide, devrait être possible lorsque cette participation s’avère nécessaire, dans des situations urgentes, pour octroyer ladite aide en temps utile.

58 L’article 4, paragraphe 5, de la directive 2016/1919 met ainsi en œuvre l’objectif poursuivi par cette directive qui vise, comme l’énonce son premier considérant, à garantir l’effectivité du droit d’accès à un avocat prévu par la directive 2013/48, en permettant aux suspects et aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales de bénéficier de l’assistance d’un avocat rémunéré par les États membres.

59 En effet, le droit d’accès à un avocat est un principe fondamental qui doit permettre aux suspects et aux personnes poursuivies d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective. C’est pourquoi ces suspects et ces personnes doivent avoir accès à un avocat sans retard indu et, en tout état de cause, à partir de la survenance du premier en date des quatre événements spécifiques énumérés à l’article 3, paragraphe 2, sous a) à d), de la directive 2013/48, parmi lesquels figure le
fait d’être interrogé par la police (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2024, Stachev, C‑15/24 PPU, EU:C:2024:399, points 47 et 48). Il s’ensuit que, pour que cette assistance soit effective, l’aide juridictionnelle doit elle-même intervenir à un stade précoce de la procédure (voir, par analogie, arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 50).

Sur la portée du droit d’accès à un avocat et du droit à l’aide juridictionnelle d’une personne vulnérable

60 S’agissant de la situation des personnes vulnérables, l’article 13 de la directive 2013/48 et l’article 9 de la directive 2016/1919 imposent aux États membres, en des termes similaires, de veiller à ce que, lors de la mise en œuvre de ces directives, les besoins spécifiques des personnes vulnérables qui sont soupçonnées ou poursuivies soient pris en compte.

61 Premièrement, la Cour a jugé, à cet égard, que les personnes souffrant de troubles mentaux relèvent de la catégorie des personnes vulnérables visées à cet article 13 (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, point 48). Dès lors que, comme indiqué au point 53 du présent arrêt, la directive 2016/1919 complète la directive 2013/48 et que ces deux directives poursuivent l’objectif commun d’assurer la protection des droits des personnes
soupçonnées ou poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale, leurs champs d’application ratione personae respectifs ne sauraient diverger. Il s’ensuit que les personnes souffrant de troubles mentaux font également partie de la catégorie des personnes vulnérables, au sens de l’article 9 de la directive 2016/1919.

62 Deuxièmement, en ce qui concerne une prétendue obligation, pour les États membres, d’instaurer une présomption de vulnérabilité dans le cadre des procédures pénales, évoquée par la juridiction de renvoi dans sa troisième question, il doit être constaté que le législateur de l’Union n’a pas donné de précision sur la portée de l’obligation mise à la charge des États membres au titre de l’article 13 de la directive 2013/48 ou de l’article 9 de la directive 2016/1919. Dès lors, il ne saurait être
déduit de ces deux dispositions que les États membres sont tenus d’établir, dans certaines circonstances, une présomption de vulnérabilité du suspect ou de la personne poursuivie.

63 Il est certes exact que la recommandation de la Commission, dont la juridiction de renvoi fait état à l’appui de sa demande de décision préjudicielle, incite les États membres à prévoir une telle présomption, notamment s’agissant des personnes qui présentent des troubles psychiques qui les empêchent de comprendre et de participer effectivement à la procédure.

64 Toutefois, cette recommandation est un acte non contraignant qui ne saurait être la source d’obligations pour les États membres. Il en est d’autant plus ainsi dans le contexte d’une harmonisation minimale où le projet d’adoption d’un texte contraignant relatif aux garanties particulières pour les suspects ou les personnes poursuivies qui sont vulnérables, rappelé au considérant 9 de la directive 2013/48 et au considérant 4 de la directive 2016/1919, n’a pas été concrétisé par le législateur de
l’Union.

65 Cela étant, le considérant 23 de la directive 2016/1919 énonce que les États membres devraient respecter les Principes et lignes directrices des Nations unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système de justice pénale.

66 Or, aux termes du point 23 de ces principes et lignes directrices, il incombe à la police, aux procureurs et aux juges de veiller à ce que les personnes comparaissant devant eux qui n’ont pas les moyens de rémunérer un avocat et/ou qui sont vulnérables bénéficient d’une assistance juridique. Le point 32 desdits principes et lignes directrices précise encore que des mesures spéciales doivent être prises pour que l’assistance juridique soit réellement accessible aux groupes ayant des besoins
particuliers, notamment les malades mentaux et les usagers de drogue.

67 En outre, le considérant 51 de la directive 2013/48 énonce que tant le ministère public que les autorités répressives et judiciaires devraient faciliter l’exercice effectif, par les personnes qui sont dans une situation de faiblesse potentielle, des droits que prévoit cette directive. Pour ce faire, ils devraient, notamment, ainsi qu’il ressort de ce considérant 51, tenir compte de toute vulnérabilité éventuelle affectant leur capacité d’exercer leur droit d’accès à un avocat et prendre les
mesures appropriées pour garantir l’exercice de ces droits.

68 Il s’ensuit que les autorités d’enquête, ou toute autre autorité chargée de l’application de la loi, telle que les procureurs, doivent s’assurer que la vulnérabilité d’un suspect ou d’une personne poursuivie soit décelée et reconnue avant qu’il ne soit procédé à l’interrogatoire de ce suspect ou de cette personne dans le cadre d’une procédure pénale ou avant que des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves aient été prises les concernant, afin de leur permettre, comme indiqué au
point 59 du présent arrêt, d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

69 En outre, il découle du considérant 18 de la directive 2016/1919 que, étant donné, notamment, les besoins spécifiques des personnes vulnérables, une demande d’aide juridictionnelle formulée par le suspect ou par la personne poursuivie ne devrait pas constituer une condition de fond pour l’octroi de cette aide.

70 Il apparaît ainsi que, sans aller jusqu’à instaurer une présomption de vulnérabilité dans le chef des suspects ou des personnes poursuivies, le législateur de l’Union n’a pas entendu subordonner l’octroi de l’aide juridictionnelle à une demande de la personne en situation de vulnérabilité.

71 Troisièmement, le choix d’un État membre d’appliquer, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2016/1919, un critère de ressources pour déterminer si l’aide juridictionnelle doit être accordée ne saurait retarder l’octroi de cette aide à une personne vulnérable. En effet, ainsi que l’énonce le considérant 19 de cette directive, les autorités compétentes qui ne seraient pas en mesure d’octroyer ladite aide à la personne concernée avant son interrogatoire par la police ou par une
autre autorité chargée de l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves, devraient octroyer une aide juridictionnelle d’urgence ou provisoire avant un tel interrogatoire ou avant l’exécution de telles mesures spécifiques.

72 Il s’ensuit qu’une personne vulnérable, telle qu’une personne souffrant de troubles mentaux, doit se voir accorder l’accès à un avocat sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle sans retard indu et, au plus tard, avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves à laquelle cette personne est tenue, ou autorisée, de participer.

Sur les conséquences d’un éventuel défaut de conformité d’une législation nationale aux obligations qui découlent des directives 2013/48 et 2016/1919

73 En l’occurrence, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que les dispositions pertinentes du droit national, en particulier l’article 79, paragraphe 1, points 3 et 4, du CPP, prévoient l’assistance obligatoire d’un avocat s’il existe un doute légitime quant à l’absence ou à l’altération substantielle du discernement de la personne poursuivie ou du contrôle de ses actes lors de la commission de l’infraction, ou quant à la capacité que lui permet sa santé mentale de
participer à la procédure ou d’assurer sa défense de façon indépendante et raisonnable. En vertu de l’article 301 du CPP, un suspect doit également être interrogé en présence de l’avocat désigné lorsqu’il en fait la demande, l’absence de ce dernier n’empêchant pas l’interrogatoire.

74 La juridiction de renvoi interroge la Cour sur la compatibilité de telles dispositions avec l’article 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/48 ainsi que l’article 1er, paragraphe 2, l’article 2, paragraphe 1, sous b), l’article 4, paragraphe 5, et l’article 9 de la directive 2016/1919. Cette juridiction se demande, en outre, si les autorités d’enquête, les juridictions ou tout autre organe de l’État sont tenus d’écarter les dispositions nationales qui seraient incompatibles avec le droit de
l’Union et substituer à celles-ci les dispositions des directives 2013/48 et 2016/1919 qui seraient d’effet direct.

75 À cet égard, dans le cadre de la répartition des fonctions entre la Cour et les juridictions nationales qui est à la base de l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour d’interpréter les dispositions du droit national ou de statuer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 1977, Benedetti, 52/76, EU:C:1977:16, point 25 ; du 21 janvier 1993, Deutsche Shell, C‑188/91, EU:C:1993:24, point 27, et du 15 octobre 2024, KUBERA,
C‑144/23, EU:C:2024:881, point 53).

76 C’est donc à la juridiction de renvoi qu’il revient de vérifier si les dispositions du droit national précitées sont compatibles avec le droit de l’Union. Cela étant, il appartient à la Cour de donner à cette juridiction certaines indications utiles à la lumière des éléments figurant dans la décision de renvoi [arrêts du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C‑582/21, EU:C:2024:282, point 64, et du 15 octobre 2024, KUBERA, C‑144/23,
EU:C:2024:881, point 53].

77 Dans ce cadre, il convient de rappeler, en premier lieu, que, afin de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions de ce droit, le principe de primauté impose, notamment, aux juridictions nationales d’interpréter leur droit interne, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de l’acte du droit de l’Union en cause afin d’atteindre une solution conforme à l’objectif poursuivi par celui-ci [voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01
à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 119 ; du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 31, ainsi que du 5 septembre 2024, M.S. e.a. (Droits procéduraux d’une personne mineure), C‑603/22, EU:C:2024:685, point 116].

78 L’obligation d’interprétation conforme du droit national connaît toutefois certaines limites et ne peut notamment pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national [voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 33, ainsi que du 5 septembre 2024, M.S. e.a. (Droits procéduraux d’une personne mineure), C‑603/22, EU:C:2024:685, point 117].

79 À défaut de pouvoir procéder à une interprétation du droit national conforme aux exigences du droit de l’Union, le principe de primauté impose alors au juge national d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi. Pour ce faire, ce juge doit, au besoin, laisser inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à
attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2024, M.S. e.a. (Droits procéduraux d’une personne mineure), C‑603/22, EU:C:2024:685, point 118].

80 En effet, les autorités nationales compétentes sont tenues d’assurer le respect des droits que les personnes physiques ou morales directement concernées tirent d’une disposition du droit de l’Union qui apparaît, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise [voir, par analogie, arrêts du 3 octobre 2019, Wasserleitungsverband Nördliches Burgenland e.a., C‑197/18, EU:C:2019:824, point 32, ainsi que du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite),
C‑569/20, EU:C:2022:401, point 28].

81 Dans cette perspective, à défaut de mesures d’application prises dans les délais ou en cas de transposition incorrecte d’une directive, il incombe aux juridictions nationales ainsi qu’à tous les organes de l’État d’assurer ce respect. En effet, tout comme le juge national, ces organes, parmi lesquels figurent les autorités chargées de l’application de la loi, telles que la police et le ministère public, ont l’obligation, d’une part, d’écarter toute disposition de droit national non conforme aux
dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive et, d’autre part, d’appliquer ces dispositions en ce qu’elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État [voir, en ce sens, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, EU:C:1982:7, point 25 ; du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, EU:C:1989:256, points 30 et 31 ; du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428, point 11, ainsi que du 20 avril
2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Commune de Ginosa), C‑348/22, EU:C:2023:301, point 77].

82 En second lieu, s’agissant de l’effet direct des dispositions de droit de l’Union visées au point 74 du présent arrêt, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une disposition du droit de l’Union est, d’une part, inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres, autre que l’acte qui la transpose en droit national
et, d’autre part, suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques [voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 1968, Molkerei-Zentrale Westfalen/Lippe, 28/67, EU:C:1968:17, p. 226 ; du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 18, et du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 50].

83 La Cour a en outre jugé que, même si une directive laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les modalités de sa mise en œuvre, une disposition de cette directive peut être considérée comme ayant un caractère inconditionnel et précis dès lors qu’elle met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’elle énonce [voir, en ce sens,
arrêts du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 19, et du 1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 51]. L’essentiel, à cet égard, est que la marge d’appréciation conférée aux États membres par la directive concernée n’empêche pas de déterminer le contenu de protection minimale ou la garantie minimale dont doivent bénéficier les personnes visées par cette directive [voir, en ce
sens, arrêts du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C‑91/92, EU:C:1994:292, point 17, et du 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Commune de Ginosa), C‑348/22, EU:C:2023:301, point 65].

84 En ce qui concerne, premièrement, l’article 3, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/48, d’une part, il ressort du libellé même de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive que les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu et, en tout état de cause, au plus tard à partir de la survenance du premier en date de l’un des quatre événements énoncés successivement aux points a) à d) de cette disposition. Celle-ci est donc d’effet direct, en ce qu’elle impose
aux États membres, en des termes non équivoques, de garantir l’accès à un avocat dès la survenance d’événements spécifiques, sans que ces États disposent d’une quelconque marge d’appréciation ou puissent assortir cette obligation d’une quelconque condition et sans qu’une intervention d’un acte de l’Union ou des États membres soit nécessaire.

85 En énonçant les éléments constitutifs de ce droit d’accès à un avocat, l’article 3, paragraphe 3, de ladite directive bénéficie également d’un effet direct, dès lors qu’il prescrit, de manière inconditionnelle et suffisamment précise, un contenu de protection minimale en faveur des suspects ou des personnes poursuivies.

86 Deuxièmement, l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2016/1919 énonce, lui aussi, une obligation clairement identifiée et dont l’accomplissement est défini de manière inconditionnelle.

87 En effet, selon le libellé de cette disposition, l’aide juridictionnelle doit être accordée aux suspects et aux personnes poursuivies sans retard indu et, au plus tard, avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autorité chargée de l’application de la loi ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves visées à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

88 Il s’ensuit que, si, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, les États membres peuvent choisir d’appliquer un critère de ressources ou un critère de bien-fondé, voire les deux, pour déterminer si l’aide juridictionnelle doit être accordée, cette marge d’appréciation ne peut avoir d’incidence sur le moment auquel cette aide doit être accordée, celui-ci étant circonscrit par l’indication d’une limite temporelle précise à l’article 4, paragraphe 5, de la même directive.

89 Troisièmement, concernant l’article 9 de la directive 2016/1919, en imposant aux États membres de veiller à ce que les besoins spécifiques des personnes vulnérables, qui sont soupçonnées ou poursuivies, soient pris en compte, cette disposition énonce, à charge des États membres, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’elle énonce.

90 En effet, la marge d’appréciation reconnue aux États membres, pour définir la façon dont les besoins spécifiques des suspects ou des personnes poursuivies qui sont dans une situation de vulnérabilité particulière doivent être pris en compte, trouve ses limites dans l’obligation de ces États membres, énoncée de manière générale et dans des termes dépourvus d’équivoque par la même disposition, d’assurer, lors de cette mise en œuvre, une prise en compte spécifique de ces personnes.

91 Il découle de l’ensemble des motifs qui précèdent qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’interpréter, dans toute la mesure du possible, les dispositions nationales, visées notamment au point 73 du présent arrêt, de manière conforme au droit de l’Union afin d’en assurer la pleine effectivité. À défaut de pouvoir procéder à une telle interprétation, il lui reviendra d’écarter, de sa propre autorité, les dispositions nationales qui apparaîtraient incompatibles avec l’article 3, paragraphes 2
et 3, de la directive 2013/48 ainsi qu’avec l’article 4, paragraphe 5, et l’article 9 de la directive 2016/1919 et de faire application desdites dispositions de ces directives, les obligations qu’elles énoncent s’imposant à tous les organes des États membres, parmi lesquels figurent les autorités chargées de l’application de la loi, telles que la police et le ministère public.

Conclusion sur les première à dixième, treizième et quatorzième questions

92 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à dixième, treizième et quatorzième questions que l’article 2, paragraphe 1, sous b), l’article 4, paragraphe 5, et l’article 9 de la directive 2016/1919, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2013/48, doivent être interprétés en ce sens que les États membres ont l’obligation, d’une part, de veiller à ce que la vulnérabilité d’une personne
poursuivie ou d’un suspect soit décelée et reconnue avant que cette personne ou ce suspect ne soient interrogés dans le cadre d’une procédure pénale ou avant que des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves aient été prises les concernant et, d’autre part, de garantir à ceux-ci l’accès à un avocat sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux fins de cette procédure sans retard indu et, au plus tard, avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autre autorité chargée de
l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves à laquelle ladite personne ou ledit suspect sont tenus, ou autorisés, de participer.

Sur les deuxième, dixième, onzième et treizième questions, en ce qu’elles portent sur l’exigence d’une voie de recours effective et sur l’admissibilité des preuves

93 À titre liminaire, il convient de relever que, dans le libellé de sa onzième question, la juridiction de renvoi vise l’article 8 de la directive 2016/1919 et non l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48. Cette juridiction fait cependant référence à cette dernière disposition dans la motivation de sa demande de décision préjudicielle, les deux articles étant relatifs aux voies de recours et rédigés dans des termes similaires.

94 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre que, par ses deuxième, dixième, onzième et treizième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 de la directive 2013/48 et l’article 8 de la directive 2016/1919 doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent que les décisions relatives, d’une part, à l’examen de la vulnérabilité éventuelle d’un suspect ou d’une personne poursuivie et, d’autre part, au refus d’octroyer l’aide juridictionnelle à une personne
vulnérable et au choix d’interroger cette personne en l’absence d’un avocat, soient motivées et puissent faire l’objet d’une voie de recours effective. Par ailleurs, cette juridiction demande si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure pénale, ne permet pas à un juge de déclarer comme étant irrecevables des preuves incriminantes tirées de déclarations faites par une personne vulnérable au cours d’un
interrogatoire conduit par la police ou une autre autorité chargée de l’application de la loi en violation des droits prévus par les directives 2013/48 ou 2016/1919.

95 À cet égard, il découle, tout d’abord, du libellé même de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 et de l’article 8 de la directive 2016/1919 que les suspects ou les personnes poursuivies doivent disposer d’une voie de recours effective, conformément au droit national, en cas de violation des droits prévus au titre desdites directives.

96 La Cour a déjà jugé que la première de ces dispositions impose aux États membres d’assurer le respect du droit à un procès équitable et des droits de la défense, consacrés respectivement à l’article 47 et à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, en prévoyant une voie de recours effective permettant à tout suspect ou à toute personne poursuivie de saisir une juridiction chargée d’examiner si les droits qu’elle tire de la directive 2013/48 n’ont pas été violés [voir, en ce sens, arrêt du
7 septembre 2023, Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (Fouille corporelle), C‑209/22, EU:C:2023:634, point 51].

97 La même interprétation s’impose en ce qui concerne l’article 8 de la directive 2016/1919. En effet, l’octroi d’une aide juridictionnelle est un aspect du droit à un recours effectif qui est expressément garanti à l’article 47, troisième alinéa, de la Charte, l’objectif de cette directive étant de garantir l’effectivité du droit d’accès à un avocat prévu par la directive 2013/48. Par leur action combinée, ces deux directives contribuent ainsi à la réalisation du droit à un recours effectif
consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte dès lors que l’octroi d’une aide juridictionnelle facilite le droit d’accès à un avocat [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 44].

98 Il s’ensuit que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 et l’article 8 de la directive 2016/1919 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à toute mesure nationale faisant obstacle à l’exercice de voies de recours effectives en cas de violation des droits que ces directives mettent en œuvre [voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2019, Rayonna prokuratura Lom, C‑467/18, EU:C:2019:765, points 57 et 58, ainsi que du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le
domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 37].

99 Ensuite, il convient de préciser que les articles 47 et 48 de la Charte n’imposent pas aux États membres de créer des recours autonomes que les suspects ou les personnes poursuivies pourraient introduire en vue de défendre les droits qui leur sont conférés par lesdites directives. En effet, selon une jurisprudence constante, le droit de l’Union, en ce compris les dispositions de la Charte, n’a pas pour effet de contraindre les États membres à instituer des voies de droit autres que celles
établies par le droit interne, à moins, toutefois, qu’il ne ressorte de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours juridictionnelle permettant, fût-ce de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 71 ; du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 62, et du 7 septembre 2023, Rayonna
prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (Fouille corporelle), C‑209/22, EU:C:2023:634, point 54].

100 À ce propos, il convient d’ajouter que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2013/48 et l’article 8 de la directive 2016/1919 disposent que le droit de faire constater les éventuelles violations des droits conférés par ces directives est accordé conformément « au droit national », l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2013/48 précisant que l’admissibilité des preuves reste du ressort des règles et régimes nationaux.

101 Lesdites dispositions ne déterminent donc pas les modalités selon lesquelles les violations de ces droits doivent pouvoir être alléguées, laissant ainsi aux États membres une certaine marge d’appréciation pour déterminer les procédures spécifiques qui seront applicables à cet égard [voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Rayonna prokuratura Lovech, teritorialno otdelenie Lukovit (Fouille corporelle), C‑209/22, EU:C:2023:634, point 52], sous réserve, ainsi qu’il ressort de l’article 12,
paragraphe 2, de la directive 2013/48, du respect des droits de la défense et de l’équité de la procédure lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat.

102 Partant, rien dans ces directives n’oblige le juge national à écarter automatiquement l’ensemble des éléments de preuve obtenus en violation des droits conférés par les directives 2013/48 et 2016/1919. Toutefois, en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il convient de tenir compte, comme cela ressort des considérants 50 et 53 de la première de ces directives ainsi que des considérants 17 et 30 de la seconde, lorsqu’un vice de procédure est constaté, il
incombe aux juridictions internes de vérifier s’il a été remédié à ce vice au cours de la procédure qui s’en est suivie (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2024, Stachev, C‑15/24 PPU, EU:C:2024:399, point 96).

103 Ainsi, dans l’hypothèse où des éléments de preuve auraient été recueillis en méconnaissance des prescriptions desdites directives, il doit être déterminé si, malgré cette lacune, au moment où le juge saisi doit statuer, la procédure pénale dans son ensemble peut être considérée comme étant équitable, en tenant compte d’une série de facteurs parmi lesquels figurent le point de savoir si les propos recueillis en l’absence d’un avocat sont une partie intégrante ou importante des pièces à charge,
ainsi que la force des autres éléments du dossier (arrêt du 14 mai 2024, Stachev, C‑15/24 PPU, EU:C:2024:399, point 97).

104 Il s’ensuit que le droit de l’Union n’impose pas aux États membres de prévoir la possibilité pour un juge de déclarer comme étant irrecevables des preuves incriminantes tirées de déclarations faites par une personne vulnérable au cours d’un interrogatoire conduit par la police ou une autre autorité chargée de l’application de la loi en violation des droits prévus par les directives 2013/48 ou 2016/1919, à condition cependant que, dans le cadre du procès pénal, ce juge soit en mesure de vérifier
que ces droits, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, ont été respectés et de tirer toutes les conséquences qui résultent de cette violation, en particulier en ce qui concerne la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions [voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2024, M.S. e.a. (Droits procéduraux d’une personne mineure), C‑603/22, EU:C:2024:685, point 174].

105 Enfin, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les États membres mettent en œuvre les directives 2013/48 et 2016/1919, ils sont tenus d’assurer le respect des exigences découlant tant du droit à un recours effectif et du droit à voir sa cause entendue équitablement consacrés à l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte que des droits de la défense consacrés à l’article 48, paragraphe 2, de celle‑ci [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé
d’office dans le domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 40].

106 Or, conformément à une jurisprudence constante, la communication des motifs est un aspect du droit à un recours effectif en ce qu’elle permet d’assurer un contrôle juridictionnel efficace. En outre, pour qu’un suspect ou une personne poursuivie puissent défendre les droits que leur confèrent ces directives dans les meilleures conditions et décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile pour eux d’introduire un recours juridictionnel, l’autorité nationale compétente a l’obligation de
leur faire connaître les motifs sur lesquels son refus est fondé (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, EU:C:1987:442, point 15, ainsi que du 17 mars 2011, Peñarroja Fa, C‑372/09 et C‑373/09, EU:C:2011:156, point 63).

107 Eu égard aux motifs qui précèdent, l’article 12 de la directive 2013/48 et l’article 8 de la directive 2016/1919 doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent que les décisions relatives, d’une part, à l’examen de la vulnérabilité éventuelle d’un suspect ou d’une personne poursuivie et, d’autre part, au refus d’octroyer l’aide juridictionnelle à une personne vulnérable et au choix d’interroger cette personne en l’absence d’un avocat, soient motivées et puissent faire l’objet d’une voie de
recours effective.

108 En revanche, ces dispositions ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure pénale, ne permet pas à un juge de déclarer comme étant irrecevables des preuves incriminantes tirées de déclarations faites par une personne vulnérable au cours d’un interrogatoire conduit par la police ou une autre autorité chargée de l’application de la loi en violation des droits prévus par les directives 2013/48 ou 2016/1919, à condition cependant que, dans le cadre du procès
pénal, ce juge soit en mesure, d’une part, de vérifier que ces droits, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, ont été respectés et, d’autre part, de tirer toutes les conséquences qui résultent de cette violation, en particulier en ce qui concerne la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions.

Sur la douzième question

109 Par sa douzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’interrogatoire d’un suspect, mené dans l’hôpital psychiatrique dans lequel ce suspect se trouve, sans que ce dernier soit assisté d’un avocat et sans tenir compte de la situation d’insécurité dudit suspect, dans des conditions de liberté d’expression particulièrement limitée et de fragilité psychique spécifique, constitue un traitement inhumain au sens, notamment, de l’article 4 de la Charte.

110 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour la juridiction de renvoi exige que celle-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose ou que, à tout le moins, elle explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Cette juridiction doit, en outre, indiquer les raisons précises qui l’ont conduites à s’interroger sur
l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire d’interroger la Cour à titre préjudiciel (voir, en ce sens, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C‑320/90 à C‑322/90, EU:C:1993:26, point 6 ; du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, EU:C:2009:519, point 40, ainsi que du 29 juillet 2024, LivaNova, C‑713/22, EU:C:2024:642, point 54).

111 Ainsi que l’énonce l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure, une demande de décision préjudicielle doit contenir, notamment, un exposé sommaire des faits pertinents, ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées, de même qu’un exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union et le lien qu’elle établit entre ces dispositions et
la législation nationale applicable au litige au principal.

112 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle ne comporte aucune information relative aux conditions dans lesquelles l’interrogatoire de K.P. en milieu hospitalier aurait été effectué. Cette demande ne permet pas davantage de comprendre en quoi une réponse à la douzième question serait nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de trancher le litige au principal.

113 Dans ces conditions, la douzième question est irrecevable.

Sur la quinzième question

114 Par sa quinzième question, la juridiction de renvoi demande si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que le ministère public est directement dépendant d’un organe exécutif et, dans l’affirmative, si, lors de la phase préalable au procès pénal, le procureur doit laisser inappliquées les dispositions d’une telle réglementation.

115 En l’occurrence, il ressort des indications de la juridiction de renvoi que, dans le cadre de l’affaire au principal, la phase préalable au procès pénal est achevée. Dans ces conditions, la question de savoir si, dans le cadre de cette phase, le procureur a l’obligation de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires au droit de l’Union afin de garantir l’effectivité des droits de ces personnes ne vise donc pas à ce que soit interprété le droit de l’Union pour les besoins
objectifs de la solution de l’affaire au principal, mais revêt un caractère général et hypothétique.

116 Or il est de jurisprudence constante que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou
hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, point 18 ; du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 33 ; du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44, ainsi que du 5 septembre 2024, M.S. e.a. (Droits procéduraux d’une personne mineure), C‑603/22, EU:C:2024:685, point 75].

117 Dans ces conditions, la quinzième question est irrecevable.

Sur les dépens

118 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 2, paragraphe 1, sous b), l’article 4, paragraphe 5, et l’article 9 de la directive (UE) 2016/1919 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2016, concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, lus en combinaison avec l’article 3, paragraphe 2, sous a) à c), ainsi qu’avec l’article 3,
paragraphe 3, de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires,

doivent être interprétés en ce sens que :

les États membres ont l’obligation, d’une part, de veiller à ce que la vulnérabilité d’une personne poursuivie ou d’un suspect soit décelée et reconnue avant que cette personne ou ce suspect ne soient interrogés dans le cadre d’une procédure pénale ou avant que des mesures spécifiques d’enquête ou de collecte de preuves aient été prises les concernant et, d’autre part, de garantir à ceux-ci l’accès à un avocat sous le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux fins de cette procédure sans retard
indu et, au plus tard, avant l’interrogatoire mené par la police ou par une autre autorité chargée de l’application de la loi, ou avant l’exécution des mesures d’enquête ou de collecte de preuves à laquelle ladite personne ou ledit suspect sont tenus, ou autorisés, de participer.

  2) L’article 12 de la directive 2013/48 et l’article 8 de la directive 2016/1919

doivent être interprétés en ce sens que :

ils imposent que les décisions relatives, d’une part, à l’examen de la vulnérabilité éventuelle d’un suspect ou d’une personne poursuivie et, d’autre part, au refus d’octroyer l’aide juridictionnelle à une personne vulnérable et au choix d’interroger cette personne en l’absence d’un avocat, soient motivées et puissent faire l’objet d’une voie de recours effective.

En revanche, ces dispositions ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure pénale, ne permet pas à un juge de déclarer comme étant irrecevables des preuves incriminantes tirées de déclarations faites par une personne vulnérable au cours d’un interrogatoire conduit par la police ou une autre autorité chargée de l’application de la loi en violation des droits prévus par les directives 2013/48 ou 2016/1919, à condition cependant que, dans le cadre du procès
pénal, ce juge soit en mesure, d’une part, de vérifier que ces droits, lus à la lumière de l’article 47 et de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ont été respectés et, d’autre part, de tirer toutes les conséquences qui résultent de cette violation, en particulier en ce qui concerne la valeur probante des éléments de preuve obtenus dans ces conditions.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le polonais.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-530/23
Date de la décision : 08/05/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Rejonowy we Włocławku.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/1919 – Aide juridictionnelle – Directive 2013/48/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Garanties procédurales en faveur des personnes vulnérables – Détermination de la vulnérabilité de ces personnes – Absence de présomption légale – Effet direct – Interrogatoire d’un suspect en l’absence d’un avocat – Admissibilité des preuves obtenues en violation des droits procéduraux.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : K.P.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:322

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award