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08/05/2025 | CJUE | N°C-212/24,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, L.T. s.s. e.a. contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS)., 08/05/2025, C-212/24,


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

8 mai 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Travail à durée déterminée – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4, point 1 – Principe de non-discrimination des travailleurs à durée déterminée – Champ d’application – Notion de “condition d’emploi” – Ouvriers agricoles à durée déterminée – Cotisations de sécurité sociale calculées en fonction des rémunérations – Rémunérations des travailleurs

agricoles à durée déterminée établies en fonction
des heures de travail journalières accomplies – Rémunérations des travailleurs a...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

8 mai 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Travail à durée déterminée – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4, point 1 – Principe de non-discrimination des travailleurs à durée déterminée – Champ d’application – Notion de “condition d’emploi” – Ouvriers agricoles à durée déterminée – Cotisations de sécurité sociale calculées en fonction des rémunérations – Rémunérations des travailleurs agricoles à durée déterminée établies en fonction
des heures de travail journalières accomplies – Rémunérations des travailleurs agricoles à durée indéterminée établies en fonction d’une durée de travail journalière forfaitaire »

Dans les affaires jointes C‑212/24, C‑226/24 et C‑227/24,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence, Italie), par décisions du 8 janvier 2024, parvenues à la Cour les 19 et 26 mars 2024, dans les procédures

L. T. s.s. (C‑212/24),

A.M. (C‑226/24),

XXX (C‑227/24)

contre

Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),

en présence de :

Agenzia delle entrate – Riscossione,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. E. Regan et B. Smulders (rapporteur), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour L.T. s.s., A.M., XXX, par Mes L. Giraldi et I. Pagni, avvocati,

– pour l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), par Mes C. D’Aloisio, E. De Rose, E. A. Sciplino et A. Sgroi, avvocati,

– pour la Commission européenne, par Mmes S. Delaude et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de trois litiges opposant L. T. s.s., A. M. et XXX à l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) [Institut national de prévoyance sociale (INPS), Italie] au sujet des cotisations de sécurité sociale à verser par les entreprises employant des travailleurs agricoles à durée déterminée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 1er de la directive 1999/70 dispose :

« La présente directive vise à mettre en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP). »

4 Le troisième alinéa du préambule de l’accord-cadre se lit comme suit :

« Le présent accord énonce les principes généraux et prescriptions minimales relatifs au travail à durée déterminée, reconnaissant que leur application détaillée doit prendre en compte les réalités des situations spécifiques nationales, sectorielles, et saisonnières. Il illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination et pour l’utilisation de contrats de
travail à durée déterminée sur une base acceptable pour les employeurs et les travailleurs. »

5 La clause 1 de l’accord-cadre, intitulée « Objet », prévoit :

« Le présent accord-cadre a pour objet :

a) d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination ;

b) d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. »

6 La clause 2 de l’accord-cadre, intitulée « Champ d’application », prévoit, à son point 1 :

« Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre. »

7 La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée « Définitions », stipule :

« Aux termes du présent accord, on entend par :

1. “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

2. “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à durée indéterminée comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à
la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales. »

8 Aux termes de la clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non‑discrimination » :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

2. Lorsque c’est approprié, le principe du “pro rata temporis” s’applique.

3. Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les États membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation [c]ommunautaire et la législation, des conventions collectives et pratiques nationales.

[...] »

Le droit italien

9 L’article 1er, paragraphe 1, du decreto-legge no 338 – Disposizioni urgenti in materia di evasione contributiva, di fiscalizzazione degli oneri sociali, di sgravi contributivi nel Mezzogiorno e di finanziamento dei patronati (décret-loi no 338, portant dispositions urgentes en matière d’évasion sociale, de fiscalisation des charges sociales, de réductions de cotisations sociales dans le Sud et de financement des instituts de patronage), du 9 octobre 1989 (GURI no 237, du 10 octobre 1989), dans sa
version applicable aux litiges au principal (ci-après le « décret-loi no 338/1989 »), prévoit :

« La rémunération à prendre en compte comme base pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ne peut être inférieure au montant des rémunérations établi par les lois, les règlements, les conventions collectives conclues par les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national, ou par les accords collectifs ou les contrats individuels, lorsqu’il en résulte une rémunération supérieure à celle prévue par la convention collective. »

10 Le contratto collettivo nazionale di lavoro per gli operai agricoli e florovivaisti (convention collective nationale de travail relative au secteur de l’agriculture et de la floriculture), du 6 juillet 2006 (ci-après la « CCNT »), définit, à son article 18, sous a), les travailleurs agricoles à durée déterminée comme étant « les travailleurs qui sont employés dans le cadre d’un rapport individuel d’emploi à durée déterminée, tels que, par exemple, ceux qui sont employés pour effectuer un travail
de courte durée, ou un travail saisonnier ou occasionnel, ou pour des phases de travail ou pour remplacer des travailleurs absents ayant le droit au maintien de l’emploi ».

11 L’article 30, paragraphe 1, de la CCNT stipule que « le temps de travail est fixé à 39 heures par semaine, soit [six] heures et demie par jour » et l’article 40, paragraphe 1, de la CCNT prévoit que « le travailleur à durée déterminée a droit au paiement des heures de travail effectivement prestées au cours de la journée ».

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

12 Au mois de décembre 2013, l’INPS a notamment enjoint aux requérantes au principal de lui verser des cotisations de sécurité sociale additionnelles à celles déjà versées pour les travailleurs agricoles à durée déterminée qu’elles avaient employés au cours des années 2006 et 2007. D’après l’INPS, ces requérantes avaient erronément calculé leurs cotisations de sécurité sociale dues pour lesdits travailleurs en ce qu’elles avaient tenu compte, pour ce calcul, des heures effectivement travaillées par
ces derniers au lieu de la durée de travail journalière de six heures et demie, telle que fixée à l’article 30, paragraphe 1, de la CCNT.

13 Les requérantes au principal ont introduit un recours contre cette injonction de l’INPS devant le Tribunale di Grosseto (tribunal de Grosseto, Italie), qui a accueilli ce recours.

14 L’INPS a interjeté appel du jugement de cette juridiction devant la Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence, Italie). Cette dernière juridiction a jugé fondées les demandes de paiement de l’INPS, au motif que, eu égard au principe de non-discrimination entre travailleurs à durée indéterminée et travailleurs à durée déterminée et à l’article 30, paragraphe 1, de la CCNT, le montant des cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs de ces derniers travailleurs devait être
calculé sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail de six heures et demie et non en fonction des heures de travail effectivement accomplies.

15 Les requérantes au principal ont formé des pourvois devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), laquelle a constaté, dans un premier temps, que, en application des dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 1, du décret-loi no 338/1989 et de l’article 40, paragraphe 1, de la CCNT, les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs du secteur agricole sur les rémunérations versées aux travailleurs agricoles à durée déterminée ne doivent être calculées qu’en
fonction des heures de travail effectivement accomplies, à moins que ces employeurs ne décident que, à l’occasion d’interruptions de l’activité dues à la force majeure, ces travailleurs doivent rester à leur disposition sur le site de l’exploitation.

16 À cet égard, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a rappelé que l’article 30, paragraphe 1, de la CCNT, qui prévoit que le temps de travail est fixé à 39 heures par semaine, soit à six heures et demie par jour, se borne à indiquer la durée maximale, hebdomadaire et quotidienne, du travail, sans toutefois préciser la durée minimale de travail. L’article 40, paragraphe 1, de la CCNT, en disposant que le travailleur à durée déterminée a droit au paiement des heures de travail
effectivement effectuées au cours de la journée, établirait une règle logiquement incompatible avec les notions de temps de travail hebdomadaire et de temps de travail quotidien, puisqu’il détacherait la rémunération due de la référence à un temps de travail préétabli susceptible d’être défini en termes généraux et abstraits. Cette disposition, qui s’inspirerait des spécificités du travail agricole à durée déterminée, serait conforme à la règle énoncée à l’article 16, paragraphe 1, sous g), du
decreto legislativo n. 66 – Attuazione delle direttive 93/104/CE e 2000/34/CE concernenti taluni aspetti dell’organizzazione dell’orario di lavoro (décret législatif no 66, portant mise en œuvre des directives 93/104/CE et 2000/34/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail), du 8 avril 2003 (GURI no 87, du 14 avril 2003, supplément ordinaire no 61), qui, en transposant la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du
temps de travail (JO 1993, L 307, p. 18), telle que modifiée par la directive 2000/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2000 (JO 2000, L 195, p. 41), prévoirait que les travailleurs agricoles à durée déterminée sont exclus du champ d’application de la réglementation relative au temps de travail hebdomadaire normal.

17 Dans un second temps, s’agissant du calcul des cotisations de sécurité sociale, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) précise, d’une part, que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du décret-loi no 338/1989, la rémunération qui doit servir de base pour ce calcul ne peut être inférieure au montant des rémunérations établi par les lois, les règlements et les conventions collectives. D’autre part, elle indique que, s’agissant des travailleurs agricoles à durée déterminée pour
lesquels les cotisations de sécurité sociale sont calculées sur la base des heures effectivement effectuées, la jurisprudence de la Cour relative à l’interdiction des discriminations à l’égard des travailleurs à durée déterminée, laquelle est énoncée à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, ne saurait servir de fondement au paiement de cotisations de sécurité sociale plus importantes pour les travailleurs agricoles à durée déterminée, dans la mesure où les rapports entre l’INPS et les
employeurs en ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale ne relèveraient pas du champ d’application du droit de l’Union.

18 En conséquence, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a annulé le jugement de la Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence) et a renvoyé l’affaire à celle-ci.

19 La Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence), qui est la juridiction de renvoi, s’interroge sur la compatibilité du constat opéré par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), tel qu’il est mentionné au point 15 du présent arrêt, selon lequel les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs du secteur agricole sur les rémunérations versées aux travailleurs agricoles à durée déterminée doivent être calculées uniquement en fonction des heures de travail
effectivement accomplies, avec la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.

20 À cet égard, la juridiction de renvoi estime, tout d’abord, que cette clause s’applique aux affaires au principal. En effet, le secteur agricole ne serait pas exclu du champ d’application de la directive 1999/70 et les conditions d’emploi visées par ladite clause incluraient les rémunérations. Or, les cotisations de sécurité sociale en cause au principal seraient liées à la rémunération due aux travailleurs agricoles à durée déterminée, étant donné que, premièrement, dans l’ordre juridique
interne, ces cotisations seraient dues sur l’ensemble de la rémunération devant être versée à ces travailleurs et, deuxièmement, lesdites cotisations contribueraient au paiement des prestations de sécurité sociale servies par les régimes professionnels de sécurité sociale. S’agissant de ce dernier aspect, la juridiction de renvoi précise que le montant desdites prestations est proportionnel à la durée du rapport d’emploi et est lié au montant de la rémunération, étant donné que le montant de ces
mêmes cotisations dépend de ce dernier montant. Elle en déduit qu’un travailleur agricole à durée déterminée, dont la rémunération est calculée en fonction des seules heures de travail effectivement accomplies, bénéficiera sans doute de prestations d’un montant moins élevé qu’un travailleur agricole à durée indéterminée qui est toujours assuré de recevoir une rémunération minimale fixée par la convention collective, indépendamment des heures effectivement effectuées.

21 Ensuite, la juridiction de renvoi estime que le constat opéré par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), tel que mentionné au point 15 du présent arrêt, est susceptible de violer la clause 4, point 1, de l’accord-cadre en ce qu’il aboutit à un traitement moins favorable des travailleurs agricoles à durée déterminée par rapport à celui réservé aux travailleurs agricoles à durée indéterminée, qui ne serait pas justifié par des raisons objectives.

22 En particulier, la juridiction de renvoi considère que les travailleurs agricoles à durée déterminée et ceux à durée indéterminée sont dans une situation comparable dès lors qu’ils effectuent les mêmes tâches. Or, ledit constat opéré par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) aboutirait à traiter les travailleurs agricoles à durée déterminée de manière moins favorable que les travailleurs agricoles à durée indéterminée effectuant pourtant un travail comparable. En effet, s’agissant
des travailleurs agricoles à durée déterminée, l’employeur serait libre de déterminer la durée de leur travail ainsi que leur rémunération et, par conséquent, le montant des cotisations de sécurité sociale ainsi que celui des prestations de sécurité sociale dont ils peuvent bénéficier. En revanche, les travailleurs agricoles à durée indéterminée se verraient garantir une rémunération quotidienne minimale, basée sur une durée de travail journalière de six heures et demie, indépendamment des heures
de travail effectivement effectuées. Partant, les cotisations de sécurité sociale versées par leurs employeurs ainsi que les prestations de sécurité sociale dont ils pourraient bénéficier sur la base de ces cotisations seraient garanties dès lors qu’elles sont fondées sur cette rémunération quotidienne minimale.

23 Enfin, la juridiction de renvoi estime que, en l’occurrence, il n’existe ni des raisons objectives liées à l’exécution du travail concerné ni d’éléments précis et concrets permettant de justifier la nécessité d’un traitement différent des travailleurs à durée déterminée par rapport aux travailleurs à durée indéterminée. Les risques propres à l’activité agricole qui dépendent de conditions météorologiques imprévisibles affecteraient tous les travailleurs agricoles, qu’ils soient embauchés à durée
déterminée ou à durée indéterminée.

24 Dans ces conditions, la Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielle suivantes, rédigées de manière identique dans les affaires jointes C‑212/24, C‑226/24 et C‑227/24 :

« 1) La clause 4, [point] 1, de l’accord-cadre doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à [la clause d’]une convention collective nationale, telle que celle contenue à l’article 40 de la [CCNT], telle qu’interprétée par la Corte [suprema] di cassazione (Cour de cassation, Italie) de manière contraignante pour la juridiction de renvoi, qui, en ce qui concerne les travailleurs agricoles à durée déterminée, reconnaît le droit au paiement des heures de travail effectivement [effectuées]
dans la journée, par opposition à l’article 30 de la CCNT qui, pour les travailleurs agricoles à durée indéterminée, reconnaît le droit à la rémunération en le basant sur une journée de travail de [six] heures et demie ?

2) En cas de réponse [affirmative] à la question précédente, la clause 4, [point] 1, de l’accord-cadre doit-elle être interprétée en ce sens que la détermination du montant des cotisations obligatoires de sécurité sociale dues pour les travailleurs agricoles à durée déterminée au titre d’un régime professionnel de sécurité sociale relève également des conditions d’emploi, de sorte que ce montant doit être déterminé en fonction du même critère que celui qui est prévu pour les travailleurs
agricoles à durée indéterminée et donc en fonction de la durée journalière de travail fixée par la [CCNT] et non des heures de travail effectivement [accomplies] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

25 En premier lieu, les requérantes au principal considèrent que les questions préjudicielles sont irrecevables au motif que l’INPS, en tant qu’émanation de l’État, ne pourrait invoquer une disposition d’une directive ayant un effet direct à leur égard.

26 À cet égard, il importe de rappeler, tout d’abord, que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient, en principe, au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions
qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2024, FA.RO. di YK & C., C‑16/23, EU:C:2024:886, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

27 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 17 octobre 2024, FA.RO. di YK & C., C‑16/23, EU:C:2024:886, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

28 Ensuite, il ressort de l’article 288, troisième alinéa, TFUE que le caractère contraignant d’une directive sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire ». Il s’ensuit, selon une jurisprudence constante, qu’une directive ne peut par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne devant une juridiction nationale (arrêt du 22 décembre
2022, Sambre & Biesme et Commune de Farciennes, C‑383/21 et C‑384/21, EU:C:2022:1022, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

29 Toutefois, la Cour a également itérativement jugé que l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles. En appliquant le droit national, les juridictions nationales appelées à l’interpréter
sont ainsi notamment tenues de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et de faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci afin de l’interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et de se conformer ainsi à l’article 288, troisième alinéa, TFUE [arrêt du 1er octobre 2020, A (Publicité et vente de médicaments en ligne), C‑649/18,
EU:C:2020:764, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée]. L’exigence d’interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le
droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 15 octobre 2024, KUBERA, C‑144/23, EU:C:2024:881, point 52 et jurisprudence citée).

30 Ainsi, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union, indépendamment du point de savoir si elles ont un effet direct ou non entre les parties au litige sous–jacent [arrêt du 14 octobre 2020, KG (Missions successives dans le cadre du travail intérimaire), C‑681/18, EU:C:2020:823, point 36 et jurisprudence citée].

31 Dès lors, la circonstance que la directive 1999/70 ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef des requérantes au principal n’est pas susceptible d’entraîner l’irrecevabilité des questions préjudicielles.

32 En deuxième lieu, les requérantes au principal font valoir que les questions préjudicielles sont irrecevables en ce qu’elles seraient devenues hypothétiques en raison de la décision de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) mentionnée au point 18 du présent arrêt. En effet, à la suite de cette décision, la juridiction de renvoi ne serait plus appelée à statuer sur l’existence d’une différence de traitement entre les travailleurs agricoles à durée déterminée et les travailleurs
agricoles à durée indéterminée, mais aurait uniquement à trancher la question de savoir si des heures de travail additionnelles doivent être prises en compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale dues pour les travailleurs agricoles à durée déterminée.

33 Or, il ressort des indications de la juridiction de renvoi résumées aux points 19 à 23 du présent arrêt que cette juridiction considère qu’elle est appelée à statuer sur l’existence d’une différence de traitement entre les travailleurs agricoles à durée déterminée et les travailleurs agricoles à durée indéterminée et qu’il y a donc lieu de saisir la Cour des présentes demandes de décision préjudicielle. Eu égard à la jurisprudence mentionnée aux points 26 et 27 du présent arrêt, il n’appartient
pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation, par la juridiction de renvoi, de l’objet des litiges restant à trancher.

34 Il s’ensuit que l’argumentation des requérantes au principal résumée au point 32 du présent arrêt ne peut justifier l’irrecevabilité des questions préjudicielles.

35 En troisième lieu, les requérantes au principal considèrent que la première question est hypothétique et donc irrecevable en ce que les litiges au principal portent non pas sur les rémunérations des travailleurs agricoles à durée déterminée, mais sur les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs de ces travailleurs.

36 À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la juridiction de renvoi, les cotisations de sécurité sociale faisant l’objet des litiges au principal sont calculées en fonction de ces rémunérations et, partant, sont susceptibles de relever des conditions d’emploi visées par la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. Par conséquent, la première question préjudicielle n’est pas hypothétique, dans la mesure où la réponse à cette question constitue un préalable nécessaire pour la réponse à la seconde
question, laquelle, selon son libellé, n’est posée qu’en cas de réponse affirmative à la première.

37 Il s’ensuit que les questions préjudicielles sont recevables.

Sur le fond

38 Par ses questions qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par une juridiction nationale suprême, en vertu de laquelle les cotisations de sécurité sociale, dues par des employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée déterminée, sont calculées en fonction des rémunérations versées à ces travailleurs
pour les heures de travail journalières qu’ils ont effectivement accomplies, tandis que les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée indéterminée sont calculées sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail journalière constituée d’un nombre d’heures prédéfini par le droit national.

39 Afin de répondre à ces questions, il importe, en premier lieu, de rappeler que, aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non‑discrimination et d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

40 La Cour en a déduit que l’accord-cadre, en particulier la clause 4 de celui-ci, vise à faire application dudit principe aux travailleurs à durée déterminée en vue d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature soit utilisée par un employeur pour priver ces travailleurs de droits qui sont reconnus aux travailleurs à durée indéterminée (arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22, EU:C:2023:933, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

41 Ainsi, la clause 4 de l’accord-cadre, qui a un effet direct, énonce, à son point 1, une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des « raisons objectives » (arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22, EU:C:2023:933,
point 52 ainsi que jurisprudence citée).

42 En deuxième lieu, s’agissant du champ d’application de cette clause, d’une part, il ressort de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que celui-ci s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini notamment par la législation ou les conventions collectives en vigueur dans chaque État membre.

43 En l’occurrence, la relation de travail des travailleurs agricoles à durée déterminée en cause au principal est régie par la législation italienne en matière d’emploi ainsi que par la CCNT et relève dès lors du champ d’application de l’accord-cadre.

44 D’autre part, il ressort d’une jurisprudence établie de la Cour que le critère décisif pour déterminer si une mesure relève de la notion de « condition d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, est précisément celui de l’emploi, à savoir la relation de travail établie entre un travailleur et son employeur (arrêt du 20 juin 2019, Ustariz Aróstegui, C‑72/18, EU:C:2019:516, point 25 et jurisprudence citée).

45 Or, selon la jurisprudence, cette notion doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe les conditions relatives aux rémunérations. En particulier, la Cour a considéré que, dans la détermination tant des éléments constitutifs de la rémunération que du niveau de ces éléments, les instances nationales compétentes se doivent d’appliquer aux travailleurs à durée déterminée le principe de non‑discrimination tel qu’il est consacré par la clause 4 de l’accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril
2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, points 130 et 134).

46 Par conséquent, relèvent de la notion de « rémunération » et donc des « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord-cadre, les pensions qui sont fonction de la relation d’emploi unissant le travailleur à l’employeur, à l’exclusion de celles découlant d’un système légal au financement duquel les travailleurs, les employeurs et, éventuellement, les pouvoirs publics contribuent dans une mesure qui est moins fonction d’une telle relation d’emploi que de considérations de politique
sociale [voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 131 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 36]. Une pension qui n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, qui est versée en raison de la relation de travail qui les unit à leur ancien employeur, qui est directement fonction du temps de service accompli et dont le montant est
calculé sur la base du dernier traitement est dès lors susceptible de relever de ladite clause 4 (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, points 46 et 47).

47 En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si les cotisations en cause au principal contribuent au paiement de prestations de sécurité sociale fournies par un régime professionnel de sécurité sociale ou plutôt par un système légal de sécurité sociale. Le fait que les cotisations en cause au principal doivent être versées par les employeurs à l’INPS et non pas aux travailleurs agricoles en cause au principal n’est pas déterminant à cet égard (voir, en ce sens, arrêt
du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 50). S’il est établi que les prestations de sécurité sociale financées par les cotisations en cause au principal n’intéressent que les travailleurs agricoles ou une catégorie de travailleurs à laquelle ils appartiennent, que ces prestations dépendent directement de ces cotisations et que lesdites cotisations sont calculées en fonction des rémunérations versées aux travailleurs agricoles en cause au principal pour le travail
accompli auprès de leur employeur, il y a lieu de considérer que ces mêmes cotisations peuvent relever des « conditions d’emploi », au sens de ladite clause.

48 En troisième lieu, s’agissant de l’application de la clause 4, point 1, de l’accord‑cadre aux conditions d’emploi des travailleurs à durée déterminée, il convient de rappeler que cette clause constitue une expression particulière du principe de non-discrimination qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, en ce
sens, arrêt du 20 juin 2019, Ustariz Aróstegui, C‑72/18, EU:C:2019:516, point 28 et jurisprudence citée).

49 Ainsi, pour que des travailleurs à durée déterminée soient fondés à revendiquer le bénéfice de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre en ce qui concerne leurs conditions d’emploi, il importe, dans un premier temps, d’apprécier si ces travailleurs sont traités de manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée et si lesdits travailleurs sont placés dans une situation comparable à celle des travailleurs à durée indéterminée. En ce qui concerne l’appréciation de la comparabilité
des situations, la clause 3, point 2, de l’accord-cadre définit le « travailleur à durée indéterminée comparable » comme un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. En outre, la Cour a précisé que, pour apprécier si les travailleurs exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord‑cadre, il y a lieu, conformément à la
clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail, ces travailleurs peuvent être considérés comme se trouvant dans une situation comparable (ordonnance du 9 février 2017, Rodrigo Sanz, C‑443/16, EU:C:2017:109, point 38 et jurisprudence citée).

50 En l’occurrence, s’agissant de l’existence d’un traitement moins favorable, il apparaît, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’il existe une différence de traitement entre les travailleurs agricoles à durée indéterminée et les travailleurs agricoles à durée déterminée au détriment de ces derniers.

51 En effet, pour les travailleurs agricoles à durée déterminée, les cotisations de sécurité sociale dues par leurs employeurs semblent être calculées, en vertu de l’article 1er du décret-loi no 338/1989, lu ensemble avec l’article 40, paragraphe 1, de la CCNT, en fonction de la rémunération versée pour les heures de travail journalières qu’ils ont effectivement effectuées, alors que, pour les travailleurs agricoles à durée indéterminée, ces mêmes cotisations semblent être calculées, en vertu de cet
article 1er, lu ensemble avec l’article 30, paragraphe 1, de la CCNT, sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail journalière de six heures et demie. Ainsi, la rémunération et, en conséquence, les cotisations de sécurité sociale pour ces derniers travailleurs semblent être calculées sur la base d’une durée de travail journalière établie forfaitairement, c’est-à-dire de façon générale et abstraite, et non pas en fonction des heures de travail effectivement accomplies par
ceux-ci comme cela est le cas pour les travailleurs à durée déterminée. Il est, ainsi, possible, que, pour les travailleurs agricoles à durée indéterminée, des cotisations de sécurité sociale soient versées pour des heures de travail non accomplies, alors que pour les travailleurs agricoles à durée déterminée cette possibilité est exclue.

52 Cette appréciation quant à l’existence d’un traitement moins favorable des travailleurs agricoles à durée déterminée n’est pas remise en cause par les arguments des requérantes au principal tirés de l’application du principe du « pro rata temporis ». En effet, si la clause 4, point 2, de l’accord-cadre prévoit que ce principe s’applique « [l]orsque c’est approprié », la Cour a considéré que cette clause ne fait que souligner l’une des conséquences susceptibles d’être, le cas échéant, attachées,
sous le contrôle éventuel du juge, à l’application du principe de non-discrimination en faveur des travailleurs à durée déterminée, sans aucunement porter atteinte à la teneur même de ce principe (arrêt du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, point 65).

53 Or, le principe du « pro rata temporis » ne peut justifier, en l’occurrence, l’application de méthodes de comptabilisation du nombre d’heures à prendre en compte pour le calcul des rémunérations et des cotisations à un régime professionnel de sécurité sociale différentes pour les travailleurs agricoles à durée déterminée et pour les travailleurs agricoles à durée indéterminée fondées, pour les premières, sur les heures de travail effectivement accomplies et, pour les secondes, sur un nombre
d’heures de travail établi forfaitairement. En effet, ces références temporelles distinctes pour le calcul des rémunérations et des cotisations à un régime professionnel de sécurité sociale ne sont pas la conséquence de l’application du principe de non-discrimination et désavantagent les travailleurs agricoles à durée déterminée.

54 Par ailleurs, s’agissant de la comparabilité des situations en cause, au vu des éléments du dossier dont dispose la Cour, il semble que les travailleurs agricoles à durée indéterminée et les travailleurs agricoles à durée déterminée se trouvent dans une situation comparable. En particulier, le fait que l’article 18, sous a), de la CCNT définisse ces derniers travailleurs comme des travailleurs qui sont employés notamment « pour remplacer des travailleurs absents ayant le droit au maintien de
l’emploi » indique que les travailleurs agricoles à durée déterminée et les travailleurs agricoles à durée indéterminée exercent un travail identique ou similaire. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de confirmer cette appréciation en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents tels qu’énoncés au point 49 du présent arrêt.

55 Pour autant que, en l’occurrence, les conditions mentionnées au point 49 du présent arrêt sont réunies, il convient, dans un second temps, d’apprécier si le traitement moins favorable des travailleurs agricoles à durée déterminée par rapport aux travailleurs agricoles à durée indéterminée est justifié par des « raisons objectives », ainsi qu’il est énoncé à la clause 4, point 1, de l’accord‑cadre.

56 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence établie de la Cour que la notion de « raison objective » requiert que l’inégalité de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est
nécessaire à cet effet. Lesdits éléments peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (ordonnance du 9 février 2017, Rodrigo Sanz, C‑443/16, EU:C:2017:109, point 45 et jurisprudence citée).

57 Ne constitue pas une « raison objective », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, de nature à justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée, le seul fait que cette différence est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle une loi ou une convention collective [arrêt du 7 avril 2022,Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 40, ainsi que
ordonnance du 9 février 2017, Rodrigo Sanz, C‑443/16, EU:C:2017:109, point 42 et jurisprudence citée].

58 Par ailleurs, une différence de traitement en ce qui concerne les conditions d’emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée ne saurait être justifiée par un critère qui, de manière générale et abstraite, se réfère à la durée même de l’emploi. Admettre que la seule nature temporaire d’une relation d’emploi suffit pour justifier une telle différence viderait de leur substance les objectifs de la directive 1999/70 et de l’accord-cadre. Au lieu d’améliorer la
qualité du travail à durée déterminée et de promouvoir l’égalité de traitement recherchée tant par la directive 1999/70 que par l’accord-cadre, le recours à un tel critère reviendrait à pérenniser le maintien d’une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée (ordonnance du 9 février 2017, Rodrigo Sanz, C‑443/16, EU:C:2017:109, point 44 et jurisprudence citée).

59 En l’occurrence, les requérantes au principal ont invoqué comme raisons objectives justifiant le traitement différencié des travailleurs agricoles à durée déterminée par rapport aux travailleurs agricoles à durée indéterminée, le fait que, comme cela ressort de l’article 18, sous a), de la CCNT, les premiers sont employés pour effectuer un travail de courte durée, un travail saisonnier ou occasionnel, pour des phases de travail ou pour remplacer des travailleurs absents. Ainsi, les raisons pour
lesquelles ils sont employés à durée déterminée et qui sont liées aux spécificités du travail agricole justifieraient que ces travailleurs ne soient pas nécessairement à la disposition de l’employeur pendant six heures et demie par jour ou 39 heures par semaine. Cette appréciation serait conforme au troisième alinéa du préambule de l’accord-cadre, aux termes duquel l’accord-cadre énonce les principes généraux et les prescriptions minimales relatifs au travail à durée déterminée, reconnaissant que
leur application détaillée doit prendre en compte les réalités des situations spécifiques nationales, sectorielles et saisonnières. Or, en Italie, 90 % de la main-d’œuvre agricole serait employée à durée déterminée compte tenu de la nature temporaire et discontinue des tâches à effectuer dans le secteur agricole.

60 Toutefois, au vu de la jurisprudence citée aux points 57 et 58 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que ces raisons ne constituent pas des raisons objectives permettant de différencier le traitement des travailleurs agricoles en cause dès lors qu’elles ne se fondent que sur la durée même de l’emploi. En effet, si les requérantes soutiennent qu’il existerait des considérations justifiant que les travailleurs employés à durée déterminée ne soient pas nécessairement à la disposition de
l’employeur pendant six heures et demie par jour ou 39 heures par semaine et que, par suite, des cotisations de sécurité sociale ne soient versées que pour le nombre d’heures de travail qu’ils ont effectivement accomplies au cours d’une journée, de tels arguments n’expliquent pas, en revanche, pourquoi, pour les travailleurs à durée indéterminée, effectuant un travail identique ou analogue à celui d’un travailleur à durée déterminée, le temps de travail est obligatoirement fixé à 39 heures par
semaine avec pour conséquence que des cotisations de sécurité sociale correspondant à six heures et demie de travail par jour doivent être versées indépendamment du nombre d’heures de travail effectivement accomplies sur une journée.

61 En l’absence de raisons objectives, il y a lieu de constater que la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre s’oppose à la différence de traitement en matière de rémunérations et de cotisations à un régime professionnel de sécurité sociale calculées sur la base de ces rémunérations entre des travailleurs agricoles à durée déterminée et des travailleurs agricoles à durée indéterminée tels que ceux en cause au principal.

62 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par une juridiction nationale suprême, en vertu de laquelle les cotisations de sécurité sociale, dues par des employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée déterminée en vue de financer des prestations d’un régime professionnel de sécurité
sociale, sont calculées en fonction des rémunérations versées à ces travailleurs pour les heures de travail journalières qu’ils ont effectivement accomplies, tandis que les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée indéterminée sont calculées sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail journalière forfaitaire, telle que fixée par le droit national, indépendamment des heures effectivement accomplies.

Sur les dépens

63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,

  doit être interprétée en ce sens que :

  elle s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par une juridiction nationale suprême, en vertu de laquelle les cotisations de sécurité sociale, dues par des employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée déterminée en vue de financer des prestations d’un régime professionnel de sécurité sociale, sont calculées en fonction des rémunérations versées à ces travailleurs pour les heures de travail journalières qu’ils ont effectivement accomplies, tandis que les
cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée indéterminée sont calculées sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail journalière forfaitaire, telle que fixée par le droit national, indépendamment des heures effectivement accomplies.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-212/24,
Date de la décision : 08/05/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par Corte di Appello di Firenze et Corte d'appello di Firenze.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Travail à durée déterminée – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4, point 1 – Principe de non-discrimination des travailleurs à durée déterminée – Champ d’application – Notion de “condition d’emploi” – Ouvriers agricoles à durée déterminée – Cotisations de sécurité sociale calculées en fonction des rémunérations – Rémunérations des travailleurs agricoles à durée déterminée établies en fonction des heures de travail journalières accomplies – Rémunérations des travailleurs agricoles à durée indéterminée établies en fonction d’une durée de travail journalière forfaitaire.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : L.T. s.s. e.a.
Défendeurs : Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS).

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Smulders

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:341

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