ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
30 avril 2025 (*)
« Pourvoi – Dumping – Importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie – Droits antidumping définitifs – Article 11, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/1036 – Demande de réexamen au titre de l’expiration de mesures antidumping – Délai prévu à cette disposition afin de présenter une telle demande – Caractère suffisant des éléments de preuve – Informations présentées après l’expiration de ce délai »
Dans les affaires jointes C‑554/23 P et C‑568/23 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits les 4 et 14 septembre 2023,
Fertilizers Europe, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M^e J. Beck, advocaat, et M^e L. Ruessmann, avocat,
partie requérante dans l’affaire C‑554/23 P,
les autres parties à la procédure étant :
AO Nevinnomysskiy Azot, établie à Nevinnomyssk (Russie),
AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot », établie à Novomoskovsk (Russie),
représentées par M^es A. de Moncuit, E. Gergondet, N. Mizulin, A. Nosowicz, avocats, et M^e P. Vander Schueren, advocaat,
parties demanderesses en première instance,
Commission européenne, représentée par M. G. Luengo et M^me P. Němečková, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
et
Commission européenne, représentée par M. G. Luengo et M^me P. Němečková, en qualité d’agents,
partie requérante dans l’affaire C‑568/23 P,
les autres parties à la procédure étant :
AO Nevinnomysskiy Azot, établie à Nevinnomyssk,
AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot », établie à Novomoskovsk,
représentées par M^es A. de Moncuit, E. Gergondet, N. Mizulin, A. Nosowicz, avocats, et M^e P. Vander Schueren, advocaat,
parties demanderesses en première instance,
Fertilizers Europe, établie à Bruxelles, représentée par M^e J. Beck, advocaat, et M^e L. Ruessmann, avocat,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), N. Piçarra, M^me O. Spineanu‑Matei et M. N. Fenger, juges,
avocat général : M^me L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 28 novembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leurs pourvois respectifs, Fertilizers Europe et la Commission européenne demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 juillet 2023, Nevinnomysskiy Azot et NAK « Azot »/Commission (T‑126/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:376), par lequel celui-ci a annulé le règlement d’exécution (UE) 2020/2100 de la Commission, du 15 décembre 2020, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite
d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil (JO 2020, L 425, p. 21, ci-après le « règlement litigieux »).
Le cadre juridique
Le règlement litigieux
2 Le considérant 20 du règlement litigieux énonce :
« La Commission a ouvert le réexamen au titre de l’expiration des mesures en s’appuyant sur la demande de réexamen qui avait été déposée initialement le 21 juin 2019 [(ci-après la « demande de réexamen initiale »)] et sur les informations complémentaires qui sont venues s’y ajouter ultérieurement (la demande [de réexamen] initiale et les informations complémentaires sont ci-après dénommées collectivement la « demande de réexamen consolidée »). Cette demande de réexamen consolidée à l’origine de
l’ouverture du présent réexamen au titre de l’expiration des mesures a été versée au dossier et mise à la disposition des parties intéressées pour consultation. Ainsi qu’il est expliqué au point 4.1 de l’avis d’ouverture, le requérant a fourni dans sa demande de réexamen [initiale] des éléments de preuve d’une valeur normale établie à partir des prix intérieurs réels et a également construit la valeur normale dans l’éventualité où les prix intérieurs ne seraient pas réputés fiables et représentatifs
d’opérations commerciales normales. Le fait que la demande [de réexamen] initiale ait été complétée par des valeurs normales estimées à partir des informations disponibles sur les prix intérieurs réels dans le pays concerné n’est pas pertinent dans la mesure où la Commission a ouvert le réexamen au titre de l’expiration des mesures sur la base de la demande de réexamen consolidée. »
Le règlement 2016/1036
3 L’article 1^er, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21), tel que modifié par le règlement (UE) 2018/825 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 143, p. 1) (ci-après le « règlement 2016/1036 »), intitulé « Principes », énonce :
« Peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans l’Union [européenne] cause un préjudice. »
4 L’article 2, paragraphes 1 et 3, du règlement 2016/1036 prévoit :
« 1. La valeur normale est normalement basée sur les prix payés ou à payer, au cours d’opérations commerciales normales, par des acheteurs indépendants dans le pays exportateur.
Toutefois, lorsque l’exportateur dans le pays exportateur ne produit pas ou ne vend pas le produit similaire, la valeur normale est établie sur la base des prix d’autres vendeurs ou producteurs.
Les prix pratiqués entre des parties paraissant être associées ou avoir conclu entre elles un arrangement de compensation ne peuvent être considérés comme des prix pratiqués au cours d’opérations commerciales normales et être utilisés pour établir la valeur normale que s’il est établi que ces prix ne sont pas affectés par cette relation.
Pour déterminer si deux parties sont associées, il peut être tenu compte de la définition des parties liées figurant à l’article 127 du règlement d’exécution (UE) 2015/2447 de la Commission[, du 24 novembre 2015, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement (UE) n^o 952/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant le code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 558)].
[...]
3. Lorsque aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales, ou lorsque ces ventes sont insuffisantes, ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale du produit similaire est calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et les autres frais généraux et d’une
marge bénéficiaire raisonnable, ou sur la base des prix à l’exportation, pratiqués au cours d’opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs.
Il peut être considéré qu’il existe une situation particulière du marché pour le produit concerné au sens de l’alinéa précédent, notamment lorsque les prix sont artificiellement bas, que l’activité de troc est importante ou qu’il existe des régimes de transformation non commerciaux. »
5 L’article 5, paragraphes 3 et 9, du règlement 2016/1036 dispose :
« 3. La Commission examine, dans la mesure du possible, l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans la plainte afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête.
[...]
9. Lorsqu’il apparaît qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une procédure, la Commission ouvre cette procédure dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date du dépôt de la plainte et en annonce l’ouverture dans le Journal officiel de l’Union européenne. Lorsque les éléments de preuve sont insuffisants, le plaignant en est avisé dans les quarante-cinq jours suivant la date à laquelle la plainte a été déposée auprès de la Commission. La Commission
fournit aux États membres des informations concernant son examen de la plainte normalement dans les vingt et un jours suivant la date à laquelle la plainte a été déposée auprès de la Commission. »
6 Aux termes de l’article 11, paragraphes 1, 2, 5 et 6, de ce règlement :
« 1. Une mesure antidumping ne reste en vigueur que le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer un dumping qui cause un préjudice.
2. Une mesure antidumping définitive expire cinq ans après son institution ou cinq ans après la date de la conclusion du réexamen le plus récent ayant couvert à la fois le dumping et le préjudice, à moins qu’il n’ait été établi lors d’un réexamen que l’expiration de la mesure favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice. Un réexamen de mesures parvenant à expiration a lieu soit à l’initiative de la Commission, soit sur demande présentée par des
producteurs de l’Union ou en leur nom, et la mesure reste en vigueur en attendant les résultats de ce réexamen.
Il est procédé à un réexamen de mesures parvenant à expiration lorsque la demande contient suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels l’expiration des mesures favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice. Cette probabilité peut, par exemple, être étayée par la preuve de la continuation du dumping et du préjudice, ou par la preuve que l’élimination du préjudice est totalement ou partiellement imputable à l’existence de mesures, ou encore par la preuve
que la situation des exportateurs ou les conditions du marché sont telles qu’elles impliquent la probabilité de nouvelles pratiques de dumping préjudiciable ou par la preuve de la continuation de distorsions sur les matières premières.
Lors des enquêtes effectuées en vertu du présent paragraphe, les exportateurs, les importateurs, les représentants des pays exportateurs et les producteurs de l’Union ont la possibilité de développer, de réfuter ou de commenter les thèses exposées dans la demande de réexamen, et les conclusions tiennent compte de tous les éléments de preuve pertinents et dûment documentés présentés en relation avec la question de savoir si la suppression des mesures serait ou non de nature à favoriser la
continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice.
Un avis d’expiration prochaine est publié dans le Journal officiel de l’Union européenne à une date appropriée au cours de la dernière année de la période d’application des mesures au sens du présent paragraphe. Par la suite, les producteurs de l’Union sont habilités à présenter une demande de réexamen conformément au deuxième alinéa, au plus tard trois mois avant la fin de la période de cinq ans. Un avis annonçant l’expiration effective des mesures en vertu du présent paragraphe est aussi publié.
[...]
5. Les dispositions pertinentes du présent règlement concernant les procédures et la conduite des enquêtes, à l’exclusion de celles qui concernent les délais, s’appliquent à tout réexamen effectué en vertu des paragraphes 2, 3 et 4.
Les réexamens effectués en vertu des paragraphes 2 et 3 sont effectués avec diligence et normalement menés à terme dans les douze mois à compter de la date de leur ouverture. En tout état de cause, les réexamens au titre des paragraphes 2 et 3 sont dans tous les cas menés à terme dans les quinze mois suivant leur ouverture.
Les réexamens au titre du paragraphe 4 sont dans tous les cas menés à terme dans les neuf mois suivant leur ouverture.
Si un réexamen au titre du paragraphe 2 est ouvert alors qu’un réexamen au titre du paragraphe 3 est en cours pour la même procédure, le réexamen au titre du paragraphe 3 est mené à terme dans le même délai que le réexamen au titre du paragraphe 2.
Si l’enquête n’est pas menée à terme dans les délais précisés aux deuxième, troisième et quatrième alinéas, les mesures :
– viennent à expiration dans le cadre des enquêtes au titre du paragraphe 2,
– viennent à expiration dans le cas d’enquêtes effectuées au titre des paragraphes 2 et 3 parallèlement, lorsque soit l’enquête au titre du paragraphe 2 a été entamée alors qu’un réexamen au titre du paragraphe 3 était pendant dans le cadre de la même procédure, soit de tels réexamens ont été ouverts en même temps, ou
– restent inchangées dans le cadre des enquêtes au titre des paragraphes 3 et 4.
Un avis annonçant l’expiration effective ou le maintien des mesures en vertu du présent paragraphe est alors [...] publié au Journal officiel de l’Union européenne.
[...]
6. Les réexamens en vertu du présent article sont ouverts par la Commission. La Commission décide d’ouvrir ou non des réexamens en vertu du paragraphe 2 du présent article conformément à la procédure consultative visée à l’article 15, paragraphe 2. La Commission fournit aussi des informations aux États membres lorsqu’un opérateur ou un État membre a présenté une demande justifiant l’ouverture d’un réexamen en vertu des paragraphes 3 et 4 du présent article et que la Commission a terminé
l’examen de celle-ci, ou lorsque la Commission a elle-même déterminé qu’il convenait de réexaminer la nécessité du maintien des mesures.
Lorsque les réexamens le justifient, conformément à la procédure d’examen visée à l’article 15, paragraphe 3, les mesures sont abrogées ou maintenues en vertu du paragraphe 2 du présent article ou abrogées, maintenues ou modifiées en vertu des paragraphes 3 et 4 du présent article.
Lorsque des mesures sont abrogées pour des exportateurs individuels, mais non pour l’ensemble du pays, ces exportateurs restent soumis à la procédure et peuvent automatiquement faire l’objet d’une nouvelle enquête lors de tout réexamen ultérieur effectué pour ledit pays en vertu du présent article. »
Les antécédents du litige
7 Les antécédents du litige figurent aux points 2 à 13 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins des présentes affaires jointes, être résumés de la manière suivante.
8 AO Nevinnomysskiy Azot et AO Novomoskovskaya Aktsionernaya Kompania NAK « Azot » (ci-après, ensemble, les « sociétés “Azot” »), sont des productrices et des exportatrices de nitrate d’ammonium, établies en Russie. Elles sont, en tant que telles, soumises au règlement (CE) n^o 2022/95 du Conseil, du 16 août 1995, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 1995, L 198, p. 1).
9 À la suite d’un premier réexamen au titre de l’expiration des mesures concernées ainsi que d’un premier réexamen intermédiaire, un droit antidumping définitif a été maintenu sur les importations de nitrate d’ammonium provenant de Russie par le règlement (CE) n^o 658/2002 du Conseil, du 15 avril 2002, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 2002, L 102, p. 1). Au terme d’un deuxième réexamen au titre de l’expiration de ces
mesures et d’un deuxième réexamen partiel intermédiaire, celles-ci ont été maintenues en vigueur par le règlement (CE) n^o 661/2008 du Conseil, du 8 juillet 2008, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures conformément à l’article 11, paragraphe 2, et d’un réexamen intermédiaire partiel conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) n^o 384/96 (JO 2008, L 185,
p. 1). Après un troisième réexamen au titre de l’expiration desdites mesures, la Commission a maintenu celles-ci en vigueur par son règlement d’exécution (UE) n^o 999/2014, du 23 septembre 2014, instaurant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) n^o 1225/2009 du Conseil (JO 2014, L 280, p. 19). À l’issue d’un
réexamen intermédiaire et conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement 2016/1036, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/1722, du 14 novembre 2018, modifiant le règlement d’exécution (UE) n^o 999/2014 instaurant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen intermédiaire effectué conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil (JO 2018,
L 287, p. 3).
10 Durant la totalité de la période au cours de laquelle ces procédures de réexamen ont eu lieu, les sociétés « Azot » ont été soumises à un droit antidumping applicable à l’ensemble du territoire russe.
11 Le 21 juin 2019, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036, Fertilizers Europe, une association européenne de fabricants d’engrais, a saisi la Commission de la demande de réexamen initiale au titre de l’expiration des mesures antidumping concernées. Par cette demande, Fertilizers Europe faisait valoir qu’il existait des éléments de preuve démontrant la probabilité d’une continuation du dumping en cas d’expiration de ces mesures. Elle se fondait, à cet égard, sur une
comparaison entre les prix à l’exportation et une valeur normale construite.
12 En réponse à ladite demande, la Commission a demandé à Fertilizers Europe de fournir des informations supplémentaires afin de compléter et de clarifier sa demande de réexamen initiale (ci-après les « informations supplémentaires »). Le 20 août 2019, Fertilizers Europe a déposé ces informations supplémentaires, qui ont été intégrées dans la demande de réexamen consolidée et qui s’appuyaient sur une valeur normale fondée sur les prix réels sur le marché intérieur russe.
13 Le 23 septembre 2019, la Commission a publié l’avis d’ouverture d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping applicables aux importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 2019, C 318, p. 6), estimant qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve pour ouvrir un tel réexamen et procéder à une enquête.
14 À l’issue de cette enquête, la Commission a conclu qu’il existait une probabilité de réapparition du dumping et du préjudice en cas d’expiration de ces mesures antidumping. Par l’adoption du règlement litigieux, elle a, en conséquence, prolongé lesdites mesures pour une période de cinq ans.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
15 Par leur recours devant le Tribunal, les sociétés « Azot » ont demandé l’annulation du règlement litigieux. À l’appui de leur recours, ces sociétés ont invoqué un moyen unique tiré, en substance, d’une violation de l’article 11, paragraphes 2 et 5, ainsi que de l’article 5, paragraphe 3, du règlement 2016/1036, en ce que la Commission aurait erronément procédé à un réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping applicables aux importations de nitrate d’ammonium originaire de
Russie, malgré l’absence d’éléments de preuve suffisants pour ce faire.
16 En ce qui concerne les critères juridiques applicables au contenu d’une demande de réexamen, le Tribunal a notamment constaté, en premier lieu, aux points 65 à 67 de l’arrêt attaqué, qu’« il résulte d’une lecture littérale de l’article 11, paragraphe 2, du règlement [2016/1036] que la demande de réexamen devant être présentée par des producteurs de l’Union ou en leur nom, au plus tard trois mois avant la fin de la période de cinq ans au terme de laquelle les mesures antidumping expirent
[(ci‑après le “délai légal”), doit déjà contenir suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels l’expiration des mesures favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice », dès lors que le quatrième alinéa de cette disposition, qui établit ce délai légal dans lequel cette demande doit être présentée, renvoie expressément à cet article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, qui précise les conditions portant sur le contenu de ladite demande permettant de procéder
à un réexamen.
17 En deuxième lieu, le Tribunal a considéré, aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué, que cette interprétation était nécessaire afin d’atteindre l’objectif de s’assurer que les éléments de preuve transmis à la Commission dans le délai légal sont suffisants pour établir une probable continuation ou réapparition du dumping et du préjudice en cas d’expiration des mesures antidumping concernées. Il a ainsi estimé que l’instauration de ce délai contribue à assurer la sécurité des situations
juridiques, en permettant aux opérateurs sur le marché de savoir, en temps utile, si ces mesures sont susceptibles d’être maintenues ainsi qu’à la Commission de disposer d’un délai utile afin d’évaluer les éléments de preuve contenus dans une demande de réexamen et de s’assurer de leur caractère suffisant et pertinent, afin d’éviter qu’une mesure antidumping ne soit indûment maintenue au-delà du temps prescrit.
18 En troisième lieu, aux points 71 à 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les producteurs de l’Union peuvent, après le délai légal et au cours des trois mois précédant l’expiration des mesures antidumping concernées, déposer des informations additionnelles sur le fondement de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 et que la Commission peut, au cours de ces trois mois, recevoir ou demander des clarifications supplémentaires complétant ou corroborant des éléments de preuve
suffisants transmis avant l’expiration de ce délai légal, aboutissant à une version consolidée de la demande de réexamen, sans que de telles informations additionnelles puissent toutefois constituer de nouveaux arguments, ni remplacer la demande de réexamen déposée dans ledit délai légal ou pallier le caractère insuffisant des éléments de preuve qui y sont contenus.
19 En quatrième lieu, aux points 78 à 101 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné et rejeté l’argument de la Commission selon lequel, en vertu de l’article 11, paragraphe 5, du règlement 2016/1036, elle serait habilitée à appliquer l’article 5, paragraphes 3 et 9, de ce règlement, qui régit la procédure d’enquête initiale.
20 Sur la base de ces considérations, le Tribunal a conclu, au point 104 de cet arrêt, que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a affirmé, au considérant 20 du règlement litigieux, qu’il n’était pas pertinent que la demande de réexamen initiale ait été complétée par les informations supplémentaires et que l’ouverture du réexamen pouvait être justifiée sur la base de la demande de réexamen consolidée.
21 S’agissant du caractère suffisant des éléments de preuve contenus dans la demande de réexamen initiale et de la nature des informations supplémentaires, le Tribunal a jugé, aux points 105 et 140 dudit arrêt, d’une part, que les informations obtenues en l’espèce par la Commission après l’expiration du délai légal, devaient être considérées comme étant non pas de simples éclaircissements de ces éléments, mais des éléments de preuve nouveaux et, d’autre part, qu’il ressortait du règlement
litigieux que la Commission avait considéré que les éléments de preuve figurant dans la demande de réexamen initiale étaient insuffisants pour procéder à un réexamen des mesures antidumping concernées.
22 En conséquence, au point 142 du même arrêt, le Tribunal a conclu que le règlement litigieux devait être annulé, sans qu’il fût besoin d’examiner les autres griefs invoqués par les sociétés « Azot ».
Les conclusions des parties au pourvoi et la procédure devant la Cour
23 Par son pourvoi dans l’affaire C‑554/23 P, Fertilizers Europe demande à la Cour :
– de déclarer le pourvoi recevable et fondé ;
– d’annuler l’arrêt attaqué et de rejeter le surplus des conclusions en première instance, et
– de condamner les sociétés « Azot » à supporter les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente procédure de pourvoi et de celle devant le Tribunal.
24 Par son pourvoi dans l’affaire C‑568/23 P, la Commission demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué et de rejeter les conclusions présentées en première instance pour le surplus et
– de condamner les sociétés « Azot » aux dépens afférents aux procédures de première instance et de pourvoi.
25 Par une décision du président de la Cour du 9 octobre 2023, les affaires C‑554/23 P et C‑568/23 P ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
26 Les sociétés « Azot » demandent à la Cour :
– de rejeter les pourvois dans leur intégralité et de confirmer l’arrêt attaqué ;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et
– de condamner la Commission et Fertilizers Europe à supporter les dépens que ces sociétés ont exposés dans le cadre de la présente procédure de pourvoi et de celle devant le Tribunal.
Sur les pourvois
27 À l’appui de leurs pourvois, Fertilizers Europe et la Commission soulèvent, respectivement, quatre et deux moyens.
28 Les premier et deuxième moyens de Fertilizers Europe ainsi que le premier moyen de la Commission sont tirés d’erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans l’interprétation de l’article 11 du règlement 2016/1036, tandis que les troisième et quatrième moyens de Fertilizers Europe ainsi que le second moyen de la Commission, soulevés à titre subsidiaire, sont tirés d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise dans l’application de cet article 11 ainsi que d’une dénaturation des
faits et éléments de preuve.
Sur les premier et deuxième moyens dans l’affaire C‑554/23 P et sur le premier moyen dans l’affaire C‑568/23 P
Argumentation des parties
29 Fertilizers Europe, par ses premier et deuxième moyens et la Commission, par son premier moyen, font valoir, en substance, que, aux points 65 à 67 et 71 à 104 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphes 3 et 9, de celui-ci, en ce sens que la Commission ne peut se fonder, lorsqu’elle examine la question de savoir s’il existe des éléments de preuve suffisants
pour procéder à un réexamen de mesures antidumping parvenant à expiration, que sur une demande de réexamen présentée par des producteurs de l’Union dans le délai légal, prévu à l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, du règlement 2016/1036, tout au plus complétée par des informations ne faisant que corroborer les éléments de preuve contenus dans cette demande.
30 En premier lieu, en ce qui concerne l’interprétation textuelle de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036, Fertilizers Europe considère que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 65 à 67 de l’arrêt attaqué, il ne ressort pas nécessairement du libellé de cet article 11, paragraphe 2, deuxième et quatrième alinéas, qu’une demande de réexamen, présentée dans le délai légal, doive déjà contenir suffisamment d’éléments de preuve afin de justifier qu’il soit procédé à un
réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping concernées.
31 Selon la Commission, l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, du règlement 2016/1036 est neutre quant à la question de savoir si la Commission doit limiter son appréciation aux éléments de preuve présentés dans le délai légal. Contrairement à ce que le Tribunal a considéré dans l’arrêt attaqué, il ne saurait, en particulier, être déduit des termes « conformément au deuxième alinéa » figurant à cette disposition que la Commission est tenue d’examiner le caractère suffisant des éléments
de preuve justifiant ou non l’ouverture d’un réexamen, uniquement sur la base d’une demande déposée dans le délai légal. En outre, cet article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, prévoirait seulement le critère juridique requis pour que la Commission puisse procéder à un réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping concernées, sans restreindre, de manière explicite ou implicite, les pouvoirs généraux dont dispose la Commission dans le cadre de son appréciation du caractère justifié d’un
tel réexamen.
32 En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’insère l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, du règlement 2016/1036, Fertilizers Europe soutient qu’aucune disposition de ce règlement n’affecte le large pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose dans le domaine de la politique commerciale commune.
33 La Commission fait valoir qu’il ressort des règlements antidumping antérieurs au règlement 2016/1036 que l’obligation lui incombant de déterminer si une plainte ou une demande contient des éléments de preuve suffisants pour justifier, respectivement, l’ouverture d’une enquête initiale ou d’une procédure de réexamen n’est pas subordonnée au respect d’un délai et que ce dernier règlement n’a introduit aucune modification à cet égard.
34 Par ailleurs, les requérantes soulignent que, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement 2016/1036, la Commission dispose de la faculté de procéder de sa propre initiative à un réexamen au titre de l’expiration de mesures antidumping.
35 Les requérantes considèrent également que l’article 5, paragraphes 3 et 9, du règlement 2016/1036, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 5, de celui-ci, instaure, pour les demandes de réexamen présentées en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de ce règlement, une procédure de complément d’information permettant la présentation de preuves supplémentaires et nouvelles après l’expiration du délai légal.
36 En troisième lieu, Fertilizers Europe soutient que l’interprétation donnée par le Tribunal de cet article 11, paragraphe 2, met en péril les moyens de subsistance des industries de l’Union et, partant, est contraire à l’objectif poursuivi par le règlement 2016/1036, à savoir protéger l’industrie de l’Union contre les importations déloyales de pays tiers. Cette interprétation conduirait également à une violation des droits procéduraux des producteurs de l’Union, à savoir le principe de
sécurité juridique et le respect des droits de la défense lors de l’appréciation d’une demande de réexamen déposée par ceux‑ci, le niveau de détail des preuves nécessaires variant d’une affaire à l’autre et dépendant de circonstances factuelles.
37 En outre, la procédure de réexamen au titre de l’expiration de mesures antidumping définitives parvenant à expiration prévue par le règlement 2016/1036 viserait à assurer que le maintien des mesures antidumping concernées soit dûment justifié sur la base des informations recueillies au cours de leur réexamen et non pas uniquement sur la base de la demande de réexamen. Ainsi, l’article 11, paragraphe 2, de ce règlement serait cohérent et conforme au principe de bonne administration si le
caractère suffisant des éléments de preuve était apprécié au moment de l’ouverture de ce réexamen, sans que la présentation de ces éléments doive intervenir dans un délai précis.
38 La Commission est d’avis que le Tribunal a constaté à bon droit que l’objectif du délai légal était de guider les producteurs de l’Union quant à la date à laquelle une demande de réexamen doit être déposée, en vue d’organiser de manière ordonnée soit la cessation des mesures antidumping concernées, soit l’ouverture d’un réexamen au titre de l’expiration de celles-ci, et d’informer les parties intéressées en conséquence. Toutefois, eu égard au fait que ledit règlement prévoit des délais plus
longs pour permettre à la Commission de se prononcer sur le caractère suffisant des éléments de preuve figurant dans une demande de réexamen que ceux qu’il prévoit pour lui permettre de se prononcer sur une plainte tendant à l’ouverture d’une enquête initiale, le Tribunal aurait dû en déduire que, afin d’apprécier ce caractère suffisant, la Commission devrait disposer au moins des mêmes pouvoirs que ceux dont elle dispose pour apprécier le caractère suffisant des éléments de preuve contenus dans une
telle plainte.
39 Selon la Commission, contrairement à ce que le Tribunal a constaté, cet objectif ne saurait être d’assurer la sécurité juridique des opérateurs économiques sur le marché de l’Union, dès lors qu’aucune partie intéressée ne se voit communiquer la demande de réexamen présentée par des producteurs de l’Union ni n’est informée du fait qu’une telle demande a été présentée avant que la Commission ne publie l’avis d’ouverture de l’enquête de réexamen au titre de l’expiration des mesures antidumping
concernées.
40 Les sociétés « Azot » rétorquent que le Tribunal a considéré à juste titre qu’il résulte d’une lecture littérale et du contexte de l’article 11, paragraphe 2, deuxième et quatrième alinéas, du règlement 2016/1036 qu’une demande de réexamen au titre de l’expiration de mesures antidumping doit contenir des éléments de preuve suffisants, au plus tard à la date d’expiration du délai légal, pour justifier l’ouverture d’un tel réexamen.
41 En premier lieu, ces sociétés font valoir, en substance, que le Tribunal a correctement interprété l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036, au regard de son libellé et du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit. Plus particulièrement, le droit, pour les producteurs de l’Union, de présenter une demande de réexamen serait régi par le quatrième alinéa de ladite disposition, lequel fait référence au deuxième alinéa de cet article 11, paragraphe 2. Lesdites sociétés
considèrent qu’une demande de réexamen, qui doit être présentée avant l’expiration du délai légal, doit, d’une part, contenir suffisamment d’éléments de preuve et, d’autre part, être susceptible d’indiquer une probabilité de dumping préjudiciable. Ce délai serait suffisant pour permettre à ces producteurs de rassembler les preuves pertinentes et à la Commission de procéder à une appréciation approfondie de celles-ci, tout en évitant que des mesures antidumping soient maintenues indûment pendant une
période trop longue. Selon elles, si le législateur de l’Union avait souhaité limiter les obligations desdits producteurs, il l’aurait fait de manière explicite.
42 En deuxième lieu, les sociétés « Azot » soutiennent que, même si le deuxième alinéa de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 ne précise pas à quel moment les producteurs de l’Union doivent présenter suffisamment d’éléments de preuve dans le cadre de leur demande de réexamen, cette disposition ne saurait être lue séparément de cet article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, qui fixe précisément un délai à cette fin.
43 En troisième lieu, les sociétés « Azot » soutiennent que l’interprétation effectuée par le Tribunal de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 respecte les droits de toutes les parties intéressées et n’a pas pour conséquence de limiter les obligations et les compétences de la Commission, qui, sous réserve du respect des délais de procédure, dispose du pouvoir d’apprécier le caractère suffisant des éléments de preuve contenus dans une demande de réexamen. Dans ce cadre, la
Commission ne pourrait cependant pas se prévaloir des règles régissant d’autres types de réexamens ou d’enquêtes ou des pouvoirs lui permettant d’agir d’office et cette institution devrait respecter tant les règles de procédure pertinentes que les principes généraux de l’Union, de sorte qu’elle ne devrait pas chercher à pallier le caractère insuffisant des éléments de preuve présentés par les producteurs de l’Union dans une demande de réexamen.
Appréciation de la Cour
44 Les premier et deuxième moyens de Fertilizers Europe ainsi que le premier moyen de la Commission sont dirigés contre les points 65 à 104 de l’arrêt attaqué. À ces points, le Tribunal a interprété l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 comme ne permettant pas à la Commission de se prononcer sur une demande de réexamen de mesures de dumping en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve fournis, à sa demande, par des producteurs de l’Union moins de trois mois avant l’expiration
de ces mesures, à l’exception des renseignements additionnels présentés par ces producteurs se limitant à compléter ou à corroborer les éléments de preuve contenus dans cette demande de réexamen. Ainsi qu’il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, le Tribunal a déduit de cette interprétation que la Commission aurait dû accorder une pertinence au fait que la demande de réexamen initiale a été complétée par des informations supplémentaires et que l’ouverture du réexamen des mesures antidumping
concernées ne pouvait être justifiée sur la base de la demande de réexamen consolidée.
45 En vue de déterminer si l’interprétation de cet article 11, paragraphe 2, ainsi retenue par le Tribunal est entachée, comme le soutiennent les requérantes, d’une erreur de droit, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les dispositions d’un acte de l’Union doivent être interprétées en tenant compte non seulement de leurs termes, mais également du contexte dans lequel elles s’inscrivent et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie
(arrêt du 28 novembre 2024, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics et Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission, C‑269/23 P et C‑272/23 P, EU:C:2024:984, point 69 ainsi que jurisprudence citée).
46 S’agissant, en premier lieu, du libellé des dispositions en cause, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, du règlement 2016/1036, « [i]l est procédé à un réexamen de mesures parvenant à expiration lorsque la demande contient suffisamment d’éléments de preuve selon lesquelles l’expiration des mesures favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice ».
47 En outre, l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, deuxième phrase, du règlement 2016/1036 prévoit que les producteurs de l’Union sont habilités à présenter une demande de réexamen « conformément au deuxième alinéa » de cet article 11, paragraphe 2, au plus tard trois mois avant la date d’expiration des mesures antidumping concernées.
48 Il découle d’une lecture combinée des dispositions mentionnées aux points 46 et 47 du présent arrêt que la Commission est tenue de procéder à un réexamen de mesures antidumping lorsqu’une demande de réexamen, d’une part, contient suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels l’expiration des mesures antidumping concernées favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice, conformément à l’article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, du
règlement 2016/1036 et, d’autre part, est introduite au plus tard trois mois avant la date d’expiration de ces mesures.
49 En revanche, il ne résulte de la combinaison de ces dispositions aucune exigence limitant les pouvoirs de la Commission de procéder à un tel réexamen.
50 En particulier, une telle limitation ne saurait être directement déduite de la précision, figurant à l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, du règlement 2016/1036, selon laquelle les producteurs de l’Union sont habilités à présenter une demande de réexamen « conformément au deuxième alinéa », dans la mesure où le texte de cet article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, se borne à établir une obligation de la Commission de procéder à un réexamen dans certaines situations et à fournir
des exemples de preuves pouvant présenter une pertinence à ce titre.
51 En outre, ainsi que M^me l’avocate générale l’a relevé au point 40 de ses conclusions, étant donné que le critère tenant au caractère suffisant des éléments de preuve énoncé audit article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, lie uniquement la Commission au moment de l’adoption d’une décision relative au réexamen, le renvoi à cette disposition qui figure au même article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, ne saurait être compris comme impliquant que les producteurs de l’Union sont tenus de
fournir de telles preuves dans le délai légal.
52 Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 65 à 67 de l’arrêt attaqué, le libellé de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 ne saurait être lu comme démontrant de manière univoque le bien-fondé de la conception restrictive des pouvoirs de la Commission qu’il a retenu dans cet arrêt.
53 S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’insèrent l’article 11, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, et l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, deuxième phrase, du règlement 2016/1036, il convient de tenir compte, ainsi que M^me l’avocate générale l’a relevé, en substance, aux points 44 à 50 de ses conclusions, de l’intégralité de cet article 11, paragraphe 2, et du paragraphe 1 dudit article.
54 Selon l’article 11, paragraphe 1, du règlement 2016/1036, une mesure antidumping ne doit rester en vigueur que le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer un dumping qui cause un préjudice. En outre, il découle de cet article 11, paragraphe 2, troisième alinéa, que les conclusions d’une enquête de réexamen menée par la Commission doivent tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents et dûment documentés présentés en relation avec la question de savoir si la
suppression des mesures antidumping concernées serait ou non de nature à favoriser la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice en cause.
55 Il ressort d’une lecture combinée de ces deux dispositions que la Commission est tenue, au cours de la procédure de réexamen, de prendre en compte tous les éléments de preuve visés au point précédent, sans que le délai dans lequel ces éléments de preuve ont été mis à sa disposition présente un caractère décisif. Le législateur de l’Union a ainsi établi une règle de portée générale destinée à assurer que le résultat de la procédure de réexamen sera conforme au principe établi à l’article 11,
paragraphe 1, du règlement 2016/1036. Or, comme M^me l’avocate générale l’a souligné au point 49 de ses conclusions, la portée de ce choix opéré par ce législateur serait sensiblement réduite s’il devait être considéré que, dans une phase préliminaire de la procédure de réexamen, la Commission est, en revanche, obligée d’écarter, sur la base d’un critère purement temporel, des preuves qui sont mises à disposition.
56 Conformément à l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, seconde phrase, de ce règlement, « [u]n réexamen de mesures parvenant à expiration a lieu soit à l’initiative de la Commission, soit sur demande présentée par des producteurs de l’Union ou en leur nom, et la mesure reste en vigueur en attendant les résultats de ce réexamen ». La Commission dispose ainsi du pouvoir de procéder à un réexamen de mesures antidumping indépendamment du fait qu’une demande de réexamen ait été présentée par
des producteurs de l’Union, et cela à n’importe quelle date avant celle de l’expiration de ces mesures. Par conséquent, considérer la Commission liée, lorsqu’elle se prononce sur une demande de réexamen, par les éléments de preuve figurant dans cette demande présentés au plus tard trois mois avant la date d’expiration desdites mesures pourrait la contraindre, lorsqu’elle dispose de preuves plus récentes, à rejeter ladite demande, alors même qu’elle peut toujours décider de procéder d’office à un
réexamen. Un tel résultat serait susceptible de nuire à l’efficacité des procédures menées sans en modifier pour autant l’issue.
57 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’objectif du règlement 2016/1036, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 1^er, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Principes », « [p]eut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans l’Union cause un préjudice ». La capacité de la Commission à assurer la pleine réalisation de cet objectif serait toutefois altérée si, comme l’a estimé le Tribunal dans l’arrêt
attaqué, afin de décider s’il y a lieu de procéder à un réexamen de mesures antidumping, cette institution ne pouvait, avant la date d’expiration de ces mesures, tenir compte de tous les éléments de preuve en relation avec la question de savoir si la suppression desdites mesures serait ou non de nature à favoriser la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice en cause.
58 En outre, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 70 de l’arrêt attaqué et comme la Commission le fait valoir, l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, deuxième phrase, du règlement 2016/1036 ne vise pas à permettre aux opérateurs sur le marché de savoir, en temps utile, si les mesures antidumping sont susceptibles d’être maintenues. D’une part, ainsi que la Commission le souligne dans son pourvoi, une demande de réexamen n’est communiquée à
aucune partie intéressée avant la publication de l’avis d’ouverture de l’enquête de réexamen au Journal officiel de l’Union européenne. D’autre part, ainsi qu’il est constaté au point 56 du présent arrêt, la Commission dispose du pouvoir de procéder à un réexamen de mesures antidumping indépendamment du fait qu’une demande de réexamen ait été présentée par des producteurs de l’Union et à n’importe quelle date avant celle de l’expiration de ces mesures.
59 En revanche, il n’est pas contesté que le Tribunal a constaté à bon droit, au point 70 de l’arrêt attaqué, que le délai légal pour introduire une demande de réexamen, prévu à l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, deuxième phrase, du règlement 2016/1036, a pour objectif, notamment, de permettre à la Commission de disposer d’un délai utile afin d’évaluer les éléments de preuve contenus dans cette demande ainsi que de s’assurer de leur caractère suffisant et pertinent, afin d’éviter
qu’une mesure antidumping ne soit indûment maintenue au-delà du temps prescrit.
60 Or, la faculté de la Commission de recueillir ou de solliciter, si elle l’estime opportun, des preuves complémentaires moins de trois mois avant l’expiration de mesures antidumping n’est pas de nature à nuire à la réalisation de l’objectif de l’article 11, paragraphe 2, quatrième alinéa, deuxième phrase, du règlement 2016/1036, exposé au point précédent, puisque l’existence d’une telle faculté n’implique pas que serait reconnu, à l’auteur d’une demande de réexamen, le droit de compléter
spontanément sa demande après l’expiration du délai légal ou d’introduire une telle demande après l’expiration de ce délai. Il apparaît ainsi que le Tribunal a considéré à tort, au point 77 de l’arrêt attaqué, que l’interprétation de cette disposition retenue par la Commission dans le règlement litigieux viderait ladite disposition de son sens en rendant sans objet l’obligation juridique qui y est prévue.
61 Il découle de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de prendre position sur les pouvoirs que la Commission pourrait éventuellement tirer de l’article 5 du règlement 2016/1036, que l’article 11, paragraphe 2, de ce règlement doit être interprété en ce sens que la Commission est habilitée à tenir compte d’éléments de preuve qui ont été produits, à sa demande, par des producteurs de l’Union, dans la période de trois mois précédant l’expiration de mesures antidumping, afin de décider s’il y a
lieu de procéder à un réexamen de ces mesures antidumping.
62 Partant, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 104 de l’arrêt attaqué, que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a affirmé, au considérant 20 du règlement litigieux, qu’il n’était pas pertinent que la demande de réexamen initiale ait été complétée par les informations supplémentaires et que l’ouverture du réexamen pouvait être justifiée sur la base de la demande de réexamen consolidée.
63 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les premier et deuxième moyens dans l’affaire C‑554/23 P ainsi que le premier moyen dans l’affaire C‑568/23 P. Dès lors que l’erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 11, paragraphe 2, du règlement 2016/1036 est suffisante pour priver de base le dispositif de l’arrêt attaqué, il y a lieu d’annuler cet arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les troisième et quatrième moyens dans
l’affaire C‑554/23 P ainsi que le deuxième moyen dans l’affaire C‑568/23 P.
Sur le recours devant le Tribunal
64 Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
65 Tel n’est pas le cas en l’espèce.
66 Le Tribunal n’a pas examiné le grief, invoqué dans le cadre du premier moyen du recours, selon lequel la Commission aurait erronément considéré, dans le règlement litigieux, que la demande de réexamen consolidée contenait des éléments de preuve suffisants d’une probabilité de continuation du dumping en cas d’expiration des mesures antidumping concernées.
67 L’examen de ce grief impliquant de procéder à des appréciations factuelles complexes, pour lesquelles la Cour ne dispose pas des éléments de fait nécessaires, le litige n’est pas en état d’être jugé et il convient, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.
Sur les dépens
68 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents au pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 juillet 2023, Nevinnomysskiy Azot et NAK « Azot »/Commission (T-126/21, EU:T:2023:376), est annulé.
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Signatures
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* Langue de procédure : l’anglais.