ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
30 avril 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière d’assurances – Article 11, paragraphe 1, sous b) – Article 13, paragraphe 2 – Action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur – Notion de “personne lésée” – Fonctionnaire victime d’un accident de la circulation – Rémunération maintenue durant son incapacité de travail – État membre agissant en tant qu’employeur subrogé dans les droits à réparation de ce fonctionnaire
– Compétence de la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile – Lieu du siège de l’entité administrative employant ledit fonctionnaire »
Dans l’affaire C‑536/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), par décision du 18 juillet 2023, parvenue à la Cour le 22 août 2023, dans la procédure
Bundesrepublik Deutschland
contre
Mutua Madrileña Automovilista,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur), A. Arabadjiev, M. Condinanzi et M^me R. Frendo, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour la Bundesrepublik Deutschland, par M^e C. Strasser, Rechtsanwalt,
– pour Mutua Madrileña Automovilista, par M^e O. Riedmeyer, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement espagnol, par M^mes A. Gavela Llopis et M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. S. Noë et M^me S. Van den Bogaert, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement (UE) n^o 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne) à Mutua Madrileña Automovilista, une société d’assurances espagnole, au sujet d’une demande d’indemnisation formée par cet État membre, au titre de la rémunération qu’il a versée à l’une de ses fonctionnaires durant son incapacité de travail consécutive à un accident impliquant un véhicule assuré auprès de cette société.
Le cadre juridique
3 Les considérants 15, 16, 18 et 34 du règlement n^o 1215/2012 sont libellés comme suit :
« (15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les
conflits de compétence.
(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. [...]
[...]
(18) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.
[...]
(34) Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »)], le règlement (CE) n^o 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention de Bruxelles [...] et des règlements qui la remplacent. »
4 L’article 1^er, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). »
5 Le chapitre II du règlement n^o 1215/2012, consacré à la « [c]ompétence », comporte une section 1, intitulée « Dispositions générales » et dans laquelle figurent les articles 4 à 6 de ce règlement.
6 L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement prévoit :
« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
7 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du même règlement :
« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »
8 La section 3 du chapitre II du règlement n^o 1215/2012, intitulée « Compétence en matière d’assurances », comprend les articles 10 à 16 de ce dernier.
9 L’article 10 de ce règlement est libellé comme suit :
« En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5). »
10 L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement dispose :
« L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait :
a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ;
b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; ou
[...] »
11 L’article 13, paragraphe 2, du même règlement prévoit :
« Les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. »
12 Aux termes de l’article 63, paragraphe 1, du règlement n^o 1215/2012 :
« Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé :
a) leur siège statutaire ;
b) leur administration centrale ; ou
c) leur établissement principal. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 Le 8 mars 2020, une fonctionnaire fédérale, affectée au bureau de Munich (Allemagne) du Deutsche Patent‑ und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques) et domiciliée dans cette ville, a été blessée dans un accident de la circulation survenu en Espagne. Un véhicule impliqué dans cet accident était assuré en responsabilité civile auprès de la société espagnole Mutua Madrileña Automovilista.
14 Pendant la période où cette fonctionnaire a été dans l’incapacité de travailler en raison de ses blessures, son employeur, la République fédérale d’Allemagne, a continué de lui verser sa rémunération. Par lettre du 25 janvier 2021, ce dernier a réclamé le remboursement du montant ainsi versé auprès du représentant chargé du règlement des sinistres désigné en Allemagne par Mutua Madrileña Automovilista, lequel a refusé cette indemnisation, en arguant que la fonctionnaire concernée aurait été
à l’origine de l’accident.
15 La République fédérale d’Allemagne, agissant en sa qualité d’employeur, a saisi l’Amtsgericht München (tribunal de district de Munich, Allemagne) d’une action civile tendant à obtenir que Mutua Madrileña Automovilista soit condamnée à lui verser une indemnisation au titre du préjudice résultant du versement de la rémunération garantie à la fonctionnaire concernée. Cette société ayant son siège en Espagne, elle a excipé du défaut de compétence internationale de la juridiction saisie. En
outre, elle a contesté le bien‑fondé du recours.
16 Par jugement du 16 février 2022, cette juridiction a décliné sa compétence internationale, aux motifs que la République fédérale d’Allemagne ne pouvait pas bénéficier des règles de compétence spéciales en matière d’assurances prévues à l’article 11, paragraphe 1, sous b), et à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012. En effet, après une évaluation des besoins de protection par catégories de sujets de droit, ladite juridiction a considéré qu’un employeur ayant la qualité
d’État, surtout si celui‑ci assume par ailleurs le rôle d’organisme de sécurité sociale, ne saurait se prévaloir de ces règles, qui, étant dérogatoires, devraient être interprétées de manière stricte.
17 La République fédérale d’Allemagne a interjeté appel de ce jugement devant le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi et qui s’interroge sur le point de savoir si le tribunal saisi en première instance a décliné sa compétence à bon droit, au regard de ces dispositions du règlement n^o 1215/2012.
18 À cet égard, la République fédérale d’Allemagne soutient qu’elle a acquis par voie de cession légale, découlant du maintien de la rémunération versée à la fonctionnaire blessée dont elle est l’employeur durant son incapacité de travail, les droits à réparation que cette fonctionnaire détiendrait contre l’assureur du véhicule impliqué dans l’accident dont celle‑ci a été victime. En cette qualité, elle pourrait, tout comme l’employé concerné, revendiquer la compétence des juridictions de
l’État membre où la personne lésée est domiciliée. Il découlerait de la jurisprudence de la Cour en ce domaine qu’il n’y aurait pas lieu de procéder à une appréciation au cas par cas et de mettre en œuvre un critère tenant à la position de faiblesse du demandeur. Au contraire, afin d’assurer une prévisibilité de la compétence, tout cessionnaire agissant au titre d’une telle subrogation légale, et non en tant qu’organisme de sécurité sociale ou assureur, devrait avoir la faculté de saisir ces
juridictions, en qualité de personne lésée.
19 En revanche, Mutua Madrileña Automovilista prétend qu’il résulte de l’objectif de protection visé par l’article 11, paragraphe 1, sous b), et par l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012 que seul un demandeur se trouvant en position de faiblesse par rapport à l’assureur attrait en justice peut bénéficier de ces dispositions pour se soustraire à la compétence de principe des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur. La Cour aurait, ainsi, déjà refusé ce bénéfice
tant à un organisme de sécurité sociale qu’à des professionnels du secteur de l’assurance. Il devrait en aller de même lorsque le demandeur est un État, singulièrement lorsque ce dernier fournit des prestations qui équivaudraient par nature à des prestations de sécurité sociale, ce qui serait le cas de la République fédérale d’Allemagne.
20 Selon la juridiction de renvoi, il n’est pas contesté par les parties au principal que la République fédérale d’Allemagne entend exercer, conformément aux dispositions du droit espagnol applicables, une action directe contre Mutua Madrileña Automovilista, en sa qualité d’assureur du véhicule impliqué dans l’accident au cours duquel la fonctionnaire concernée a été blessée. Il est également constant que cet État membre a saisi la justice au titre d’une cession de droits légale, qui découle
des dispositions du droit allemand en vertu desquelles, lorsqu’un fonctionnaire est blessé, l’employeur lui ayant versé sa rémunération durant son incapacité de travail due à ces blessures est subrogé dans le droit à réparation que la loi confère à ce fonctionnaire contre un tiers.
21 Compte tenu d’éléments tirés de la jurisprudence de la Cour et de la jurisprudence allemande, la juridiction de renvoi se demande si un État membre qui, en tant qu’employeur, intente une action directe contre un assureur, sur le fondement d’une subrogation légale dans les droits à réparation d’un fonctionnaire blessé dans un accident, peut se prévaloir des règles de compétence spéciales en matière d’assurances prévues, au profit de la « personne lésée », par les dispositions combinées de
l’article 11, paragraphe 1, sous b), et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lues à la lumière des considérants 15 et 18 de celui‑ci. Cette juridiction souligne le caractère dérogatoire de ces règles de compétence spéciales et le fait qu’un tel demandeur se trouve être un sujet de droit international public.
22 Dans ces conditions, le Landgericht München I (tribunal régional de Munich I) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 13, paragraphe 2, du règlement [n^o 1215/2012], lu conjointement avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), [de ce] règlement, doit‑il être interprété en ce sens qu’un État membre de l’Union européenne qui a, en qualité d’employeur, continué de verser sa rémunération à un fonctionnaire se trouvant en incapacité de travail (temporaire) à la suite d’un accident de la circulation et est subrogé dans les droits de ce dernier contre la société, établie dans un autre État membre, auprès de
laquelle le véhicule impliqué dans l’accident est assuré en responsabilité civile, peut lui‑même aussi attraire, en tant que “personne lésée” au sens de la [première] disposition susmentionnée, cette société d’assurances devant la juridiction du domicile du fonctionnaire en incapacité de travail, lorsqu’une telle action directe est possible ? »
Sur la question préjudicielle
23 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un État membre agissant en tant qu’employeur subrogé dans les droits d’un fonctionnaire blessé dans un accident de la circulation, dont il a maintenu la rémunération durant son incapacité de travail, peut, en qualité de « personne lésée » au sens de cet
article 13, paragraphe 2, attraire la société qui assure la responsabilité civile résultant de la circulation du véhicule impliqué dans cet accident devant la juridiction du lieu où ce fonctionnaire a son domicile, lorsqu’une action directe est possible.
24 À titre liminaire, il y a lieu de souligner que l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de la convention de Bruxelles et celles du règlement n^o 44/2001 vaut également pour celles du règlement n^o 1215/2012, ainsi que cela découle du considérant 34 de celui‑ci, lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes ». En l’occurrence, tel est le cas, d’une part, de l’article 8, premier alinéa, point 2, de la convention de Bruxelles, de l’article 9,
paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 44/2001 et de l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 1215/2012 ainsi que, d’autre part, de l’article 10, paragraphe 2, de la convention de Bruxelles, de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n^o 44/2001 et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2018, Hofsoe, C‑106/17, EU:C:2018:50, point 36, et du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, points 20 à 24 et
30).
25 S’agissant de la question posée, il convient de rappeler, en premier lieu, que l’article 4, paragraphe 1, du règlement n^o 1215/2012, lu à la lumière des considérants 15 et 16 de celui‑ci, pose une règle générale de compétence selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre doivent être attraites devant les juridictions de cet État, sauf dans quelques cas définis par ce règlement.
26 Ainsi, l’article 5, paragraphe 1, du règlement n^o 1215/2012 prévoit que, par dérogation à cette règle générale, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre II de ce règlement. En particulier, la section 3 de ce chapitre II contient des règles de compétence spéciales en matière d’assurances, qui figurent aux articles 10 à 16 dudit règlement et
constituent un système autonome de répartition des compétences juridictionnelles en cette matière (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).
27 Il ressort du considérant 18 du règlement n^o 1215/2012 que l’action en matière d’assurances est caractérisée par un certain déséquilibre entre les parties, que les dispositions de la section 3 du chapitre II de ce règlement visent à corriger en faisant bénéficier la partie plus faible de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales. Ainsi, ces dispositions ont pour but de garantir que cette partie puisse assigner en justice la partie plus forte
devant une juridiction d’un État membre facilement accessible [voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2023, A1 et A2 (Assurance d’un bateau de plaisance), C‑352/21, EU:C:2023:344, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée].
28 En particulier, l’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement n^o 1215/2012 prévoit qu’un assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions de cet État. L’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement ajoute qu’un tel assureur peut également être attrait dans un autre État membre, plus spécifiquement devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile, dans les cas où l’action est intentée par le preneur d’assurance, l’assuré ou
un bénéficiaire. En vertu de l’article 13, paragraphe 2, dudit règlement, les dispositions de son article 11 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsqu’une telle action est possible.
29 En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les règles de compétence dérogeant à la règle générale de la compétence du for du domicile du défendeur doivent être interprétées de manière stricte, ce qui exclut d’aller au‑delà des hypothèses envisagées de manière explicite par le règlement n^o 1215/2012, particulièrement s’agissant de la compétence du for du domicile du demandeur, telle que prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci (voir, en ce sens, arrêt du
30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée).
30 La Cour a également jugé que l’objectif de protection poursuivi par les règles de compétence spéciales figurant à la section 3 du chapitre II du règlement n^o 1215/2012, de même qu’auparavant celles figurant à la section 3 du chapitre II du règlement n^o 44/2001, implique que l’application de ces règles ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas [voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C‑347/08,
EU:C:2009:561, points 40 et 41, ainsi que du 21 octobre 2021, T. B. et D. (Compétence en matière d’assurances), C‑393/20, EU:C:2021:871, point 32 ainsi que jurisprudence citée].
31 En outre, la Cour a jugé que tant l’article 11, paragraphe 2, du règlement n^o 44/2001, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci, que l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci, devaient être interprétés en ce sens que les règles de compétence spéciales en matière d’assurances bénéficient aux personnes ayant subi un dommage, sans que le cercle de ces personnes soit restreint à
celles l’ayant subi directement (voir, en ce sens, s’agissant du premier de ces règlements, arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD, C‑340/16, EU:C:2017:576, point 33, et, s’agissant du second, arrêt du 31 janvier 2018, Hofsoe, C‑106/17, EU:C:2018:50, point 37).
32 Ainsi, certaines catégories de personnes subrogées dans les droits détenus par la personne directement lésée par un dommage peuvent également se prévaloir des règles de compétence prévues par les dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 2, et de l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 1215/2012 afin d’attraire un assureur devant une juridiction autre que celle du domicile de celui‑ci, lorsque ces personnes subrogées peuvent être qualifiées de « personnes lésées », au
sens de cet article 13, paragraphe 2.
33 Cependant, la Cour a précisé qu’il n’y a pas lieu d’effectuer une appréciation au cas par cas de la question de savoir si la personne qui a intenté l’action contre l’assureur concerné peut être considérée comme une « partie plus faible » afin de pouvoir relever de la notion de « personne lésée », au sens de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, une telle appréciation ferait naître un risque d’insécurité juridique et irait à
l’encontre de l’objectif du règlement n^o 1215/2012, énoncé au considérant 15 de celui‑ci, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité [voir, en ce sens, arrêts du 20 juillet 2017, MMA IARD, C‑340/16, EU:C:2017:576, point 34, ainsi que du 21 octobre 2021, T. B. et D. (Compétence en matière d’assurances), C‑393/20, EU:C:2021:871, point 40 ainsi que jurisprudence citée].
34 Dans le cadre ainsi défini, constatant qu’aucune protection spéciale ne se justifie s’agissant des rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre, la Cour a exclu l’application de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci, dans les cas où le cessionnaire des droits de la personne directement
lésée est un tel professionnel (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2018, Hofsoe, C‑106/17, EU:C:2018:50, points 41 à 43 et 47 ainsi que jurisprudence citée, et du 20 mai 2021, CNP, C‑913/19, EU:C:2021:399, points 40 à 43).
35 De même, la Cour a exclu l’application de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n^o 44/2001, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci, qui équivalent à ces dispositions du règlement n^o 1215/2012, dans les cas où le cessionnaire des droits de la personne directement lésée est un organisme de sécurité sociale agissant aux fins du remboursement des prestations fournies à son assuré lésé dans un accident de la circulation (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre
2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C‑347/08, EU:C:2009:561, points 33, 42, 43 et 47).
36 En revanche, la Cour a jugé, s’agissant de ces dispositions du règlement n^o 44/2001, qu’un employeur, subrogé dans les droits de son employé pour s’être acquitté de la rémunération de ce dernier pendant la durée d’une période d’incapacité de travail, qui, en cette seule qualité, introduit une action au titre du préjudice subi par celui‑ci peut être considéré comme plus faible que l’assureur qu’il attrait en justice (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD, C‑340/16,
EU:C:2017:576, point 36).
37 Elle a donc considéré que, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n^o 44/2001, les employeurs subrogés dans les droits à réparation de leurs employés peuvent, en tant que personnes ayant subi un dommage et quelles que soient leur taille et leur forme juridique, se prévaloir des règles de compétence spéciales prévues aux articles 8 à 10 de ce règlement (arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD, C‑340/16, EU:C:2017:576, point 35).
38 En l’occurrence, la juridiction de renvoi souhaite déterminer s’il résulte de cette jurisprudence qu’un État membre agissant en tant qu’employeur subrogé dans les droits à réparation d’une fonctionnaire directement lésée, en ce que celle‑ci a été blessée dans un accident impliquant un véhicule assuré, doit lui‑même se voir reconnaître la qualité de « personne lésée », au sens de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, en raison du fait qu’il a maintenu la rémunération de
cette fonctionnaire durant son incapacité de travail, de sorte qu’un tel État employeur bénéficierait de la faculté d’attraire l’assureur concerné devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lorsqu’une telle action directe est possible.
39 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 50 à 55 de ses conclusions, la situation examinée par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD (C‑340/16, EU:C:2017:576), est analogue à celle en cause au principal. En effet, cet arrêt a été rendu dans le c ontexte d’une action intentée par une entité de droit public qui agissait en qualité d’employeur, tout comme l’État membre demandeur dans le présent litige au principal. En outre, cette entité
était subrogée dans les droits à réparation de l’un de ses employés, dans des circonstances factuelles qui sont semblables à celles à l’origine de ce litige, dans la mesure où il s’agissait également d’une action en indemnisation fondée sur la rémunération maintenue à un employé, ici un fonctionnaire, blessé dans un accident de la circulation. Dès lors, les considérations ayant été retenues par la Cour dans cet arrêt sont transposables dans la présente affaire.
40 Cette analogie s’impose d’autant plus qu’un État membre qui agit aux fins de réparation, non pas en tant que sujet de droit international public, mais en sa seule qualité d’employeur subrogé dans les droits de l’un de ses employés, fonctionnaire ou non, est soumis aux mêmes règles, matérielles et procédurales, qu’un sujet de droit privé.
41 Par ailleurs, eu égard au champ d’application matériel du règlement n^o 1215/2012, tel que défini à l’article 1^er, paragraphe 1, de celui‑ci, pour qu’un État membre puisse se prévaloir des règles de compétence prévues par ce règlement, le litige doit par hypothèse être relatif à la « matière civile et commerciale », au sens de cette disposition, ce qui exclut, notamment, la manifestation de prérogatives de puissance publique et donc l’exercice de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles
de droit commun (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Mahá, C‑494/23, EU:C:2024:848, points 30 à 32).
42 Partant, il y a lieu d’interpréter l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de celui‑ci, en ce sens qu’un employeur, qui a maintenu la rémunération de son employé absent à la suite d’un accident de la circulation et qui est subrogé dans les droits de celui‑ci à l’égard de l’assureur du véhicule impliqué dans cet accident, doit être considéré comme étant une « personne lésée », au sens de cet article 13, paragraphe 2,
et cela y compris dans le cas où, comme en l’occurrence, la partie demanderesse est un État membre agissant en qualité d’employeur.
43 Dans ce contexte, est sans incidence la circonstance, évoquée par la défenderesse au principal, qu’un tel État membre exercerait par ailleurs les fonctions d’un organisme de sécurité sociale, étant donné que l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi concerne expressément la seule hypothèse dans laquelle l’État membre concerné intente son action aux fins d’indemnisation uniquement en qualité d’employeur subrogé dans les droits à réparation de son employé, et non en qualité
d’organisme de sécurité sociale.
44 En troisième lieu, il convient de relever que, eu égard au libellé de la question posée, la juridiction de renvoi semble considérer que, en application des dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 2, et de l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 1215/2012, dans le cas où le demandeur ayant attrait un assureur en justice est un État membre qui agit en qualité d’employeur subrogé dans les droits de son employé directement lésé, c’est la juridiction du domicile de cet
employé qui serait territorialement compétente.
45 Or, cette thèse ne peut être retenue. Premièrement, il importe de rappeler que, en désignant « la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile », l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement n^o 1215/2012 identifie directement une juridiction précise au sein d’un État membre, sans opérer de renvoi aux règles de répartition de la compétence territoriale en vigueur dans ce dernier, de sorte que, lorsque cette disposition est applicable, elle détermine tant la compétence
internationale que la compétence territoriale de la juridiction ainsi désignée (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, points 38 et 57).
46 Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un employeur subrogé dans les droits de son employé, en raison du fait qu’il s’est acquitté de la rémunération de ce dernier, a subi un dommage propre et est donc lui‑même une « personne lésée », au sens de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, de sorte qu’un tel employeur peut bénéficier de la possibilité, prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, d’introduire son action contre un assureur
devant la juridiction du lieu où il a son domicile (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2007, FBTO Schadeverzekeringen, C‑463/06, EU:C:2007:792, point 31, ainsi que du 20 juillet 2017, MMA IARD, C‑340/16, EU:C:2017:576, points 35 à 37 et 39).
47 Au demeurant, dès lors que cet employeur subrogé est le seul à pouvoir se prévaloir des droits à réparation résultant de la subrogation, il n’est pas nécessaire de lui imposer de saisir la juridiction du domicile de son employé afin de parer au risque d’une multiplication des fors. Conformément au constat opéré au point 42 du présent arrêt, ces considérations valent également dans le cas où, comme en l’occurrence, ledit employeur subrogé est un État membre.
48 Troisièmement, s’agissant spécifiquement de l’identification du lieu où un tel employeur subrogé est domicilié lorsque ce dernier est un État membre, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 63, paragraphe 1, du règlement n^o 1215/2012 que, aux fins de l’application de ce dernier, les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement. Dans une telle situation, il convient de définir le lieu où est
domicilié un tel État membre employeur comme étant le lieu du siège de l’entité administrative qui emploie le fonctionnaire concerné et qui a, en pratique, subi le préjudice lié à l’absence de ce dernier durant son incapacité de travail. Cette interprétation, en ce qu’elle assure un lien étroit entre la juridiction compétente et le litige, est conforme aux objectifs de prévisibilité des règles de compétence, de bonne administration de la justice et de sécurité juridique, qui ressortent des
considérants 15 et 16 dudit règlement.
49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 13, paragraphe 2, du règlement n^o 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’un État membre agissant en tant qu’employeur subrogé dans les droits d’un fonctionnaire blessé dans un accident de la circulation, dont il a maintenu la rémunération durant son incapacité de travail, peut, en qualité de
« personne lésée », au sens de cet article 13, paragraphe 2, attraire la société qui assure la responsabilité civile résultant de la circulation du véhicule impliqué dans cet accident devant la juridiction non pas du lieu où ce fonctionnaire a son domicile, mais du lieu du siège de l’entité administrative qui emploie ledit fonctionnaire, lorsqu’une action directe est possible.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
L’article 13, paragraphe 2, du règlement (UE) n^o 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement,
doit être interprété en ce sens que :
un État membre agissant en tant qu’employeur subrogé dans les droits d’un fonctionnaire blessé dans un accident de la circulation, dont il a maintenu la rémunération durant son incapacité de travail, peut, en qualité de « personne lésée », au sens de cet article 13, paragraphe 2, attraire la société qui assure la responsabilité civile résultant de la circulation du véhicule impliqué dans cet accident devant la juridiction non pas du lieu où ce fonctionnaire a son domicile, mais du lieu du siège de
l’entité administrative qui emploie ledit fonctionnaire, lorsqu’une action directe est possible.
Signatures
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* Langue de procédure : l’allemand.