ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
30 avril 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2011/83/UE – Notion de “consommateur” – Article 2, point 1 – Notion de “contrat de service” – Article 2, point 6 – Contrats d’enseignement portant sur la scolarisation d’enfants en âge de scolarité obligatoire – Enseignement privé – Article 27 – Fourniture non demandée de services – Matières obligatoires conformément aux normes nationales en matière d’éducation »
Dans l’affaire C‑429/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 3 juin 2024, parvenue à la Cour le 18 juin 2024, dans la procédure
St. Kliment Ohridski Primary Private School EOOD
contre
QX,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. M. Condinanzi et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,
avocat général : M. A. Biondi,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour St. Kliment Ohridski Primary Private School EOOD, par Mme S. A. Logofetova,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme S. Šindelková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et N. Scheffel, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes G. Koleva et I. Rubene, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, points 1 et 6, et de l’article 27 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant St. Kliment Ohridski Primary Private School EOOD (ci‑après « St. Kliment Ohridski »), un établissement d’enseignement privé, à QX, une personne physique, au sujet du paiement par cette dernière d’une pénalité contractuelle résultant de la résiliation unilatérale des contrats d’enseignement qu’elle avait conclus avec cet établissement pour la scolarisation de ses enfants en âge de scolarité obligatoire.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 93/13
3 L’article 2 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur”: toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;
c) “professionnel”: toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »
La directive 2011/83
4 Le considérant 60 de la directive 2011/83 énonce :
« Étant donné que la vente forcée, qui consiste en la fourniture de biens ou en la prestation de services au consommateur de manière non demandée, est interdite par la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur [et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le
règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil] (“directive sur les pratiques commerciales déloyales”) [(JO 2005, L 149, p. 22)], mais qu’aucun recours contractuel n’est prévu à cet effet, il est nécessaire d’introduire dans la présente directive un recours contractuel dispensant le consommateur de l’obligation de verser toute contreprestation en pareil cas de fourniture ou de prestation non demandée. »
5 L’article 2 de la directive 2011/83, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “consommateur”, toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ;
2) “professionnel”, toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale en ce qui concerne des contrats relevant de la présente directive ;
[...]
5) “contrat de vente”, tout contrat en vertu duquel le professionnel transfère ou s’engage à transférer la propriété des biens au consommateur et le consommateur paie ou s’engage à payer le prix de ceux-ci, y compris les contrats ayant à la fois pour objet des biens et des services ;
6) “contrat de service”, tout contrat autre qu’un contrat de vente en vertu duquel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s’engage à payer le prix de celui‑ci ;
[...] »
6 L’article 3 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 5 :
« 1. La présente directive s’applique, dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. [...]
[...]
5. La présente directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure ou les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive. »
7 L’article 27 de ladite directive, intitulé « Vente forcée », est libellé comme suit :
« Le consommateur est dispensé de l’obligation de verser toute contreprestation en cas de fourniture non demandée d’un bien, d’eau, de gaz, d’électricité, de chauffage urbain ou de contenu numérique, ou de prestation non demandée de services, en violation de l’article 5, paragraphe 5, et de l’annexe I, point 29, de la directive 2005/29/CE. Dans ces cas, l’absence de réponse du consommateur dans un tel cas de fourniture ou de prestation non demandée ne vaut pas consentement. »
Le droit bulgare
La loi relative à l’enseignement préscolaire et scolaire
8 L’article 8 du Zakon za preduchilishtnonto i uchilishtnoto obrazovanie (loi relative à l’enseignement préscolaire et scolaire) (DV no 79, du 13 octobre 2015), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après le « ZPUO »), prévoit, à son paragraphe 2 :
« La scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et commence à partir de l’année scolaire commençant l’année au cours de laquelle l’enfant atteint l’âge de 7 ans. »
9 L’article 29, paragraphe 3, du ZPUO dispose :
« Les jardins d’enfants privés et les écoles privées acquièrent la qualité de personne morale dans les conditions et selon les modalités prévues dans le Targovski zakon (loi sur le commerce) [(DV no 48, du 18 juin 1991)], le Zakon za yuridicheskite litsa s nestopanska tsel (loi relative aux personnes moralesà but non lucratif) [(DV no 81, du 6 octobre 2000)], le Zakon za kooperatsiite (loi sur les coopératives) [(DV no 113, du 28 décembre 1991)] ou la législation d’un autre État membre. »
10 Aux termes de l’article 301, paragraphes 1 et 2, du ZPUO :
« (1) Les activités autres que celles financées par l’État visées à l’article 10, paragraphe 3, exercées, en contrepartie d’un paiement, par des jardins d’enfants privés et des écoles privées, sont définies dans le règlement intérieur du jardin d’enfants ou de l’école privée concernés.
(2) Les conditions et les modalités de paiement des activités visées au paragraphe 1 et le montant du paiement sont définis dans un contrat conclu entre le jardin d’enfants privé ou l’école privée et le parent de l’enfant ou de l’élève. »
La loi relative à la protection des consommateurs
11 Le paragraphe 13 des dispositions supplémentaires du Zakon za zashtita na potrebitelite (loi relative à la protection des consommateurs) (DV no 99, du 9 décembre 2005), dans sa version applicable au litige au principal, transpose dans le droit bulgare, en des termes presque identiques, l’article 2 de la directive 2011/83.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 QX a conclu avec St. Kliment Ohridski deux contrats d’enseignement à temps plein pour la scolarisation de ses enfants au cours de l’année scolaire 2022/2023, moyennant le paiement de frais de scolarité annuels.
13 Ces enfants étaient en âge de scolarité obligatoire, selon la législation bulgare.
14 Les deux contrats comportaient une clause stipulant que QX pouvait les résilier unilatéralement, sous réserve de notification écrite préalable dans un délai d’un mois et du paiement d’une pénalité contractuelle. Cette clause précisait que, si QX n’avait pas acquitté la dernière échéance du contrat concerné au moment de la notification de sa résiliation, la pénalité contractuelle due correspondrait au montant de cette dernière échéance impayée à la date de la notification de cette résiliation.
15 Le 4 avril 2023, ces deux contrats ont été résiliés et les enfants de QX ont rejoint un nouvel établissement d’enseignement.
16 St. Kliment Ohridski a saisi le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre QX, tendant à faire condamner cette dernière au paiement de la pénalité contractuelle stipulée, au motif qu’elle avait résilié unilatéralement lesdits contrats en désinscrivant ses enfants de cet établissement.
17 La juridiction de renvoi indique qu’il est constant entre les parties au principal que la dernière échéance des contrats en cause au principal n’a pas été payée. Le montant de cette dernière échéance et celui de cette pénalité contractuelle seraient également constants entre celles‑ci.
18 Toutefois, QX conteste la validité de ladite pénalité contractuelle, soutenant que cette dernière est contraire aux bonnes mœurs, en ce qu’elle aboutirait à un enrichissement sans cause. Elle fait valoir que la même pénalité contractuelle excède sa finalité préventive, compensatoire et punitive.
19 Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi se demande, en premier lieu, si QX peut être qualifiée de consommateur, dans la mesure où elle est tenue par la loi de scolariser ses enfants pour y suivre un enseignement.
20 À cet égard, cette juridiction observe que, en Bulgarie, la scolarité est obligatoire pour les élèves jusqu’à l’âge de 16 ans. Selon leur mode de financement, les établissements d’enseignement bulgares peuvent être publics ou privés. Tandis que les établissements d’enseignement publics offrent un enseignement gratuit, les établissements d’enseignement privés exigent l’acquittement de frais de scolarité, à la charge des parents d’élèves. En outre, dans les établissements d’enseignement privés,
l’enseignement est dispensé en vertu d’un contrat d’enseignement conclu entre l’établissement concerné et les parents de l’élève scolarisé.
21 Ladite juridiction précise qu’il n’existe aucune différence entre les établissements d’enseignement publics et les établissements d’enseignement privés en ce qui concerne les matières dont l’enseignement est obligatoire, le volume horaire d’enseignement de ces matières et le contenu de cet enseignement. Dans les deux cas, l’enseignement est dispensé conformément aux normes d’enseignement nationales définies par des règlements émanant du ministre de l’Éducation et des Sciences.
22 Dans ce contexte, la même juridiction relève que St. Kliment Ohridski est un établissement d’enseignement privé qui est enregistré en tant que société commerciale. Cet établissement ne bénéficierait d’aucun financement de l’État ou de la commune concernée et financerait son fonctionnement uniquement par les frais de scolarité, des dons et d’autres sources de revenus. En outre, ledit établissement ne poursuivrait pas une activité à but non lucratif ni n’agirait en tant que société coopérative,
mais exercerait une activité commerciale.
23 Dès lors, selon la juridiction de renvoi, d’une part, les contrats en cause au principal ont été conclus dans le cadre de l’activité commerciale de St. Kliment Ohridski et, d’autre part, QX a agi à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
24 Par ailleurs, dans la mesure où c’est le parent concerné qui a conclu les contrats d’enseignement pour que ses enfants bénéficient d’un service d’enseignement, cette juridiction se demande si ces derniers peuvent être qualifiés de consommateurs dans le cadre de ces contrats.
25 En deuxième lieu, ladite juridiction s’interroge sur le point de savoir si un contrat portant sur la dispensation d’un enseignement par un établissement privé, alors que la scolarité est obligatoire, constitue un « contrat de service », au sens de l’article 2, point 6, de la directive 2011/83.
26 À cet égard, la même juridiction relève que le fait que ce service puisse être assuré tant par des établissements d’enseignement publics que par des établissements d’enseignement privés suscite des incertitudes quant à cette qualification. Dans ces circonstances, elle nourrit des doutes concernant le point de savoir si l’ensemble du contrat en cause doit être qualifié de « contrat de service », étant donné que la scolarité est obligatoire et l’enseignement dispensé selon les normes nationales en
matière d’éducation, ou si ladite qualification ne doit s’appliquer qu’aux prestations stipulées dans ce contrat, mais ne relevant pas du domaine de l’instruction obligatoire, telles que la fourniture de repas, le transport ou les activités périscolaires.
27 En troisième lieu, dans l’hypothèse où un contrat d’enseignement conclu avec un établissement privé devait être considéré comme étant un contrat conclu avec un consommateur, la juridiction de renvoi se demande s’il y a lieu de faire application de l’article 27 de la directive 2011/83, prévoyant la dispense de l’obligation de payer une prestation non demandée de services.
28 En effet, cette juridiction s’interroge sur la possibilité pour les parents ou les élèves de faire valoir qu’ils n’ont pas demandé l’enseignement de certaines matières dans le volume horaire d’enseignement prévu pour les matières obligatoires ou optionnelles. Plus précisément, elle se demande s’il est possible de limiter la responsabilité d’un consommateur quant au paiement des frais de scolarité, au motif que l’enfant concerné n’a pas sollicité l’enseignement d’une matière donnée dans le volume
horaire d’enseignement imposé.
29 En définitive, la juridiction de renvoi souligne l’importance de clarifier les points soulevés par ces trois interrogations, étant donné que, dans les litiges qui relèvent du droit de la consommation, le juge national peut appliquer d’office une règle de droit impérative visant à protéger le consommateur concerné.
30 C’est dans ces conditions que le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le terme “consommateur”, au sens de l’article 2, point 1, de la directive [2011/83,] doit-il être interprété en ce sens que constitue un consommateur un parent qui a conclu avec un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale un contrat d’enseignement ayant pour objet la scolarisation de ses enfants en âge de scolarité obligatoire ?
2) Le terme “consommateur”, au sens de l’article 2, point 1, de la directive [2011/83,] doit-il être interprété en ce sens que constitue un consommateur un élève en âge de scolarité obligatoire qui suit un enseignement, en contrepartie d’un paiement, conformément à un contrat d’enseignement conclu entre son parent et un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que commerçant ?
3) L’expression “contrat de service”, au sens de l’article 2, point 6, de la directive [2011/83], doit-elle être interprétée en ce sens que constitue un contrat de service un contrat d’enseignement portant sur la scolarisation d’un enfant en âge de scolarité obligatoire, conclu entre le parent de ce dernier et un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que commerçant, lorsque ce contrat prévoit que le financement de l’enseignement concerné est assuré par les frais de scolarité
acquittés par ce parent ?
4) En cas de réponse affirmative à au moins l’une de ces trois questions, l’article 27 de la directive [2011/83] doit-il être interprété en ce sens qu’un élève ou son parent peut être dispensé de l’obligation de payer des frais de scolarité lorsqu’il n’a pas demandé à suivre un enseignement dans une matière ou n’est pas satisfait de l’enseignement dans celle-ci, alors que cette matière est obligatoire conformément aux normes nationales en matière d’éducation ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
31 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 1, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens qu’un parent ayant conclu seul un contrat d’enseignement avec un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale pour la scolarisation de ses enfants en âge de scolarité obligatoire, ou un élève, scolarisé dans cet établissement dans le cadre d’un tel contrat,
relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition.
32 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2011/83, cette dernière s’applique, dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, à l’exception des contrats visés au paragraphe 3 de cet article. Les contrats d’enseignement conclus avec des établissements d’enseignement privés n’étant pas couverts par ce paragraphe 3, il y a lieu de considérer que ceux‑ci
relèvent, de par leur objet, du champ d’application de la directive 2011/83.
33 En vertu de l’article 2, point 1, de la directive 2011/83, la notion de « consommateur » est définie comme toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
34 Pour assurer le respect des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union dans le domaine des contrats conclus par les consommateurs ainsi que la cohérence du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte de la notion de « consommateur » figurant dans d’autres réglementations de ce droit [arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 40 et jurisprudence citée].
35 En particulier, afin d’interpréter l’article 2, point 1, de la directive 2011/83, il convient de tenir compte de l’interprétation déjà fournie par la Cour en ce qui concerne la notion de « consommateur » dans le cadre de la directive 93/13.
36 En effet, outre la circonstance que la directive 2011/83, qui a modifié la directive 93/13, définit à son article 2 la notion de « consommateur » de manière largement équivalente à celle de l’article 2 de la directive 93/13, elle poursuit le même objectif que cette dernière. La directive 2011/83 porte sur les droits des consommateurs concernant des contrats conclus avec des professionnels et vise à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en garantissant leur information et leur
sécurité dans les transactions avec les professionnels [voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2023, YYY. (Notion de « consommateur »), C‑570/21, EU:C:2023:456, point 42 et jurisprudence citée].
37 Dans le cadre de la directive 93/13, la Cour a jugé que la qualité de « consommateur » de la personne concernée doit être déterminée au regard d’un critère fonctionnel, consistant à apprécier si le rapport contractuel concerné s’inscrit dans le cadre d’activités étrangères à l’exercice d’une profession. La Cour a, en outre, eu l’occasion de préciser que la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de cette directive, a un caractère objectif et est indépendante des connaissances
concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (arrêt du 24 octobre 2024, Zabitoń, C‑347/23, EU:C:2024:919, point 25 et jurisprudence citée).
38 À l’instar de ce que la Cour a jugé s’agissant de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, il convient de considérer que cette interprétation vaut également pour la directive 2011/83. En effet, le caractère impératif des dispositions figurant dans la directive 2011/83 et les exigences particulières de protection du consommateur qui leur sont liées requièrent qu’une interprétation large de la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, point 1, de cette directive, soit privilégiée,
afin d’assurer l’effet utile de ladite directive (arrêt du 24 octobre 2024, Zabitoń, C‑347/23, EU:C:2024:919, point 28 et jurisprudence citée).
39 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle, en premier lieu, que QX a conclu deux contrats d’enseignement à temps plein avec St. Kliment Ohridski, pour la scolarisation de ses enfants au cours de l’année scolaire 2022/2023, en contrepartie du paiement de frais de scolarité annuels. Il en ressort également que cet établissement, financé par des fonds privés, est enregistré en tant que société commerciale.
40 Il apparaît ainsi que la conclusion des contrats d’enseignement en cause au principal ne poursuivait pas, pour QX, une finalité professionnelle, mais visait uniquement à assurer la scolarisation de ses enfants dans un établissement d’enseignement privé.
41 Cette appréciation ne saurait être infirmée par le fait que ces contrats avaient été conclus pour une période durant laquelle la scolarité est obligatoire en vertu de la législation bulgare. En effet, d’une part, la définition de la notion de « consommateur » figurant à l’article 2, point 1, de la directive 2011/83, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, est une notion objective, ne contient aucune exigence ou condition relative à l’objet du contrat, pour autant qu’il relève
du champ d’application de cette directive. En particulier, les motivations ayant conduit la personne concernée à conclure ce contrat, y compris lorsqu’elles résultent de la nécessité de satisfaire à une obligation légale, sont dénuées de pertinence pour déterminer si cette personne relève de la notion de consommateur. D’autre part, le caractère obligatoire de la scolarité n’impose aucunement la conclusion d’un contrat avec un établissement d’enseignement privé. En d’autres termes, bien que le
parent concerné soit tenu d’inscrire son enfant dans un établissement d’enseignement, il conserve l’entière liberté de choisir de confier l’instruction de cet enfant à un établissement public ou à un établissement privé.
42 En second lieu, selon les indications de la juridiction de renvoi, les contrats en cause au principal ont été conclus entre QX seule et ledit établissement, de sorte que les engagements contractuels lient QX, et non les enfants de cette dernière. Ceux-ci n’étant pas parties à ces contrats, ils ne sauraient être considérés comme avoir agi, au sens de l’article 2, point 1, de la directive 2011/83, et ne relèvent dès lors pas de la notion de « consommateur », conformément à cette disposition.
43 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 2, point 1, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens que :
– un parent ayant conclu seul un contrat d’enseignement avec un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale pour la scolarisation de ses enfants en âge de scolarité obligatoire relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition, et
– un élève, scolarisé dans cet établissement dans le cadre d’un tel contrat, ne relève pas de cette notion.
Sur la troisième question
44 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 6, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens qu’un contrat d’enseignement portant sur la scolarisation d’enfants en âge de scolarité obligatoire, conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale, en contrepartie du paiement de frais de scolarité par ce parent, relève de la notion de « contrat de service », au sens de cette
disposition.
45 À cet égard, il convient de rappeler que la notion de « contrat de service », visée à l’article 2, point 6, de cette directive, est définie de manière large comme correspondant à « tout contrat autre qu’un contrat de vente en vertu duquel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s’engage à payer le prix de celui-ci ». Il résulte du libellé de cette disposition que cette notion doit être comprise comme incluant tous les contrats qui ne
relèvent pas de la notion de « contrat de vente » (arrêt du 21 décembre 2023, BMW Bank e.a., C‑38/21, C‑47/21 et C‑232/21, EU:C:2023:1014, point 154 ainsi que jurisprudence citée).
46 Des contrats d’enseignement tels que ceux en cause au principal, par lesquels un établissement d’enseignement privé s’engage à fournir des prestations d’enseignement aux enfants d’un parent, conformément aux normes nationales en matière d’éducation, ainsi que des prestations supplémentaires, en contrepartie du paiement de frais de scolarité annuels par ce dernier, ne portent pas sur le transfert de la propriété de biens, au sens de l’article 2, point 5, de la directive 2011/83. Par conséquent,
ces contrats, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, relèvent de la notion de « contrat de service », au sens de l’article 2, point 6, de cette directive.
47 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 2, point 6, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens qu’un contrat d’enseignement portant sur la scolarisation d’enfants en âge de scolarité obligatoire, conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale, en contrepartie du paiement de frais de scolarité par ce parent, relève de la notion de « contrat de service », au sens de
cette disposition.
Sur la quatrième question
48 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27 de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat d’enseignement conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé, ce parent peut être dispensé de l’obligation de payer les frais de scolarité stipulés dans ce contrat au motif que lui‑même ou son enfant n’a pas demandé que ce dernier suive un enseignement dans une matière spécifique, lorsque cet
enseignement est obligatoire, conformément aux normes nationales en matière d’éducation, ou que ledit parent ou son enfant n’est pas satisfait de la qualité des services d’enseignement fournis dans le cadre dudit contrat.
49 Il convient de relever que, conformément à l’article 27 de la directive 2011/83, un consommateur est dispensé de l’obligation de verser toute contreprestation en cas de fourniture non demandée d’un bien, d’eau, de gaz, d’électricité, de chauffage urbain ou de contenu numérique, ou de prestation non demandée de services, en violation de l’article 5, paragraphe 5, et de l’annexe I, point 29, de la directive 2005/29, et que l’absence de réponse de ce consommateur dans un tel cas de figure ne vaut
pas consentement.
50 La vente forcée est définie au considérant 60 de la directive 2011/83 comme étant la « fourniture de biens ou la prestation de services au consommateur de manière non demandée ». À cet égard, la Cour a jugé que constitue une « fourniture non demandée », au sens du point 29 de l’annexe I de la directive 2005/29, auquel l’article 27 de la directive 2011/83 renvoie, notamment, un comportement consistant, pour le professionnel, à exiger du consommateur concerné le paiement d’un produit ou d’un
service qui a été fourni à ce consommateur sans qu’il l’ait demandé (arrêt du 5 décembre 2019, EVN Bulgaria Toplofikatsia et Toplofikatsia Sofia, C‑708/17 et C‑725/17, EU:C:2019:1049, point 64 ainsi que jurisprudence citée).
51 L’article 27 de la directive 2011/83 vise ainsi à empêcher un professionnel d’imposer au consommateur concerné une relation contractuelle à laquelle il n’a pas librement consenti (arrêt du 5 décembre 2019, EVN Bulgaria Toplofikatsia et Toplofikatsia Sofia, C‑708/17 et C‑725/17, EU:C:2019:1049, point 65).
52 En l’occurrence, il ressort des indications de la juridiction de renvoi que les contrats en cause au principal portent sur un enseignement à temps plein dispensé aux enfants de QX, en contrepartie du paiement de frais de scolarité annuels par celle-ci. Cet enseignement est assuré conformément aux normes nationales en matière d’éducation définies par des règlements du ministre de l’Éducation et des Sciences.
53 Il apparaît ainsi, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, que, selon ces normes nationales, dans le cadre des contrats d’enseignement conclus entre un parent et un établissement d’enseignement privé, ce parent souscrit librement à une prestation globale unique, sans possibilité de choisir les matières enseignées ni d’en moduler le volume horaire d’enseignement. Il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour qu’un paiement supplémentaire aurait
été exigé pour des services non sollicités. Dès lors, il ne saurait être question d’un service fourni sans que ledit parent l’ait demandé.
54 Dans ces conditions, la dispensation d’un enseignement obligatoire, conformément aux normes nationales en matière d’éducation, ne saurait être considérée comme constituant une « fourniture non demandée » de services, au sens de l’article 27 de la directive 2011/83.
55 S’agissant d’une situation d’insatisfaction du parent ou de son enfant en ce qui concerne la qualité des services d’enseignement fournis dans le cadre de ces contrats, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2011/83, celle-ci n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects
généraux du droit des contrats ne sont pas régis par cette directive. Partant, cette situation doit être appréciée conformément au droit national des contrats.
56 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 27 de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat d’enseignement conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé :
– ce parent ne peut être dispensé de l’obligation de payer les frais de scolarité stipulés dans ce contrat au motif que lui‑même ou son enfant n’a pas demandé que ce dernier suive un enseignement dans une matière spécifique, lorsque cet enseignement est obligatoire, conformément aux normes nationales en matière d’éducation ;
– cet article ne s’applique pas à une situation dans laquelle ledit parent ou son enfant n’est pas satisfait de la qualité des services d’enseignement fournis dans le cadre dudit contrat, cette situation relevant du droit national des contrats.
Sur les dépens
57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 2, point 1, de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil,
doit être interprété en ce sens que :
– un parent ayant conclu seul un contrat d’enseignement avec un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale pour la scolarisation de ses enfants en âge de scolarité obligatoire relève de la notion de « consommateur », au sens de cette disposition ;
– un élève, scolarisé dans cet établissement dans le cadre d’un tel contrat ne relève pas de cette notion.
2) L’article 2, point 6, de la directive 2011/83
doit être interprété en ce sens que :
un contrat d’enseignement portant sur la scolarisation d’enfants en âge de scolarité obligatoire, conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé enregistré en tant que société commerciale, en contrepartie du paiement de frais de scolarité par ce parent, relève de la notion de « contrat de service », au sens de cette disposition.
3) L’article 27 de la directive 2011/83
doit être interprété en ce sens que :
dans le cadre d’un contrat d’enseignement conclu entre un parent et un établissement d’enseignement privé,
– ce parent ne peut être dispensé de l’obligation de payer les frais de scolarité stipulés dans ce contrat au motif que lui‑même ou son enfant n’a pas demandé que ce dernier suive un enseignement dans une matière spécifique, lorsque cet enseignement est obligatoire, conformément aux normes nationales en matière d’éducation ;
– cet article ne s’applique pas à une situation dans laquelle ledit parent ou son enfant n’est pas satisfait de la qualité des services d’enseignement fournis dans le cadre dudit contrat, cette situation relevant du droit national des contrats.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.