ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
30 avril 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Directive 2009/103/CE – Article 13, paragraphe 2 – Régime d’indemnisation – Accident de la route impliquant un véhicule volé – Charge de la preuve concernant la connaissance par la personne lésée du vol de ce véhicule – Organisme chargé de l’indemnisation – Réglementation nationale interprétée de manière à faire peser la charge de la preuve sur la personne lésée – Obligation
d’interprétation conforme au droit de l’Union »
Dans l’affaire C‑370/24 [Nastolo] (i),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale ordinario di Lodi (tribunal ordinaire de Lodi, Italie), par décision du 20 mai 2024, parvenue à la Cour le 23 mai 2024, dans la procédure
AT
contre
CT,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, M. M. Condinanzi et M^me R. Frendo (rapporteure), juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour AT, par M^es A. Egidi et A. E. Lunghi, avvocati,
– pour CT, par M^e L. Leo, avvocata,
– pour la Commission européenne, par M. G. Conte, M^mes G. Goddin et A. Manzaneque Valverde, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AT, une personne physique blessée dans un accident de la circulation, à CT, l’entreprise désignée par le Fondo di garanzia per le vittime de la strada (fonds de garantie des victimes de la route, ci-après le « FGVS »), au sujet de l’indemnisation du préjudice subi par AT à la suite de cet accident.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 1, 2 et 20 de la directive 2009/103 énoncent :
« (1) La directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité [(JO 1972, L 103, p. 1)], la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile
résultant de la circulation des véhicules automoteurs [(JO 1984, L 8, p. 17)], la troisième directive 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs [(JO 1990, L 129, p. 33)] et la directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 mai 2000 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la
responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE du Conseil (quatrième directive sur l’assurance automobile) [(JO 2000, L 181, p. 65)] ont été modifiées à plusieurs reprises [...] et de façon substantielle. Il convient, dans un souci de clarté et de rationalité, de procéder à la codification de ces quatre directives ainsi que de la directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 modifiant les
directives 72/166/CEE, 84/5/CEE, 88/357/CEE et 90/232/CEE du Conseil et la directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil sur l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs [(JO 2005, L 149, p. 14)].
(2) L’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens, qu’ils soient preneurs d’assurance ou victimes d’un accident. Elle présente aussi une importance majeure pour les entreprises d’assurances, puisqu’elle représente une grande partie des contrats d’assurance non-vie conclus dans la Communauté [européenne]. L’assurance automobile a, par ailleurs, une incidence sur
la libre circulation des personnes et des véhicules. Le renforcement et la consolidation du marché intérieur de l’assurance automobile devraient donc représenter un objectif fondamental de l’action communautaire dans le domaine des services financiers.
[...]
(20) Il y a lieu de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable, quels que soient les endroits de la Communauté où les accidents se sont produits. »
4 L’article 3 de la directive 2009/103, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose :
« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance.
Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa.
[...]
L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels. »
5 L’article 10 de cette directive, intitulé « Organisme chargé de l’indemnisation », prévoit :
« 1. Chaque État membre crée ou agrée un organisme ayant pour mission d’indemniser, au moins dans les limites de l’obligation d’assurance, les dommages matériels ou corporels causés par un véhicule non identifié ou un véhicule pour lequel il n’a pas été satisfait à l’obligation d’assurance visée à l’article 3.
[...]
2. [...]
Les États membres peuvent toutefois exclure l’intervention de cet organisme en ce qui concerne les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l’organisme peut prouver qu’elles savaient que le véhicule n’était pas assuré.
[...] »
6 L’article 13 de ladite directive, intitulé « Clauses d’exclusion », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que, aux fins de l’application de l’article 3, soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d’assurance délivrée conformément à l’article 3 qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules par :
a) des personnes n’y étant ni expressément ni implicitement autorisées ;
b) des personnes non titulaires d’un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné ;
c) des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d’ordre technique concernant l’état et la sécurité du véhicule concerné.
Toutefois, la disposition ou la clause visée au premier alinéa, point a), peut être opposée aux personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l’assureur peut prouver qu’elles savaient que le véhicule était volé.
Les États membres ont la faculté – pour les sinistres survenus sur leur territoire – de ne pas appliquer la disposition du premier alinéa si et dans la mesure où la victime peut obtenir l’indemnisation de son préjudice d’un organisme de sécurité sociale.
2. Dans le cas de véhicules volés ou obtenus par la violence, les États membres peuvent prévoir que l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, interviendra en lieu et place de l’assureur dans les conditions prévues au paragraphe 1 du présent article. [...]
[...] »
Le droit italien
7 L’article 283, paragraphes 1 et 2, du decreto legislativo n. 209 – Codice delle assicurazioni private (décret législatif n^o 209, portant code des assurances privées), du 7 septembre 2005 (GURI n° 239, du 13 octobre 2005, supplément ordinaire n° 163), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit :
« 1. Le fonds de garantie pour les victimes de la route, constitué au sein de la [Concessionaria Servizi Assicurativi Pubblici SpA (Consap)], indemnise les dommages causés par la circulation des véhicules et des bateaux pour lesquels il existe une obligation d’assurance, dans les cas où :
[...]
d) le véhicule est mis en circulation contre la volonté de son propriétaire, [...]
2. Dans le cas visé au paragraphe 1, point d), l’indemnisation est due, pour les dommages tant corporels que matériels, uniquement aux tiers non transportés et aux personnes qui sont transportées contre leur volonté ou qui ignoraient que le véhicule circulait illégalement. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Le 6 janvier 2016, AT a été invitée à monter à bord, en tant que passagère, d’une voiture dont le conducteur disposait. Au cours du trajet, un accident de la circulation est survenu à Lodi (Italie). Les deux occupants de cette voiture ont dû être transportés à l’hôpital, AT ayant subi d’importantes blessures physiques.
9 Il ressort de la décision de renvoi que le conducteur a été testé positif à la cocaïne, aux opiacés et au tétrahydrocannabinol. En outre, dans leur rapport, les agents de la police locale ont constaté que ladite voiture avait été volée.
10 En conséquence, le conducteur et AT ont fait l’objet de poursuites pénales pour délit de recel. À l’issue de cette procédure, AT a été relaxée, car elle n’était pas l’auteur du délit. Entre-temps, le conducteur est décédé.
11 Le 11 février 2022, AT a introduit un recours devant le Tribunale ordinario di Lodi (tribunal ordinaire de Lodi, Italie), qui est la juridiction de renvoi, contre l’héritier du conducteur et CT, en sa qualité d’entreprise désignée par le FGVS, afin d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l’accident et chiffré à 233 076 euros, majorés des intérêts et de la réévaluation.
12 CT fait valoir devant la juridiction de renvoi, d’une part, que l’indemnisation prévue à l’article 283 du code des assurances privées, dans sa version applicable au litige au principal, n’est due qu’en faveur des personnes transportées qui ignoraient que, au moment de l’accident, elles se trouvaient à bord d’un véhicule qui circulait illégalement et, d’autre part, que, selon la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), il appartient à la personne lésée de
prouver qu’elle n’avait pas connaissance du fait que ce véhicule circulait illégalement. Dans ce contexte, CT soulève l’absence de pertinence du jugement ayant prononcé la relaxe de AT.
13 AT soutient que l’article 13 de la directive 2009/103 est suffisamment clair en ce sens qu’il imposerait la charge de la preuve au FGVS. En outre, elle demande à ce que la disposition nationale en conflit avec le droit de l’Union soit laissée inappliquée.
14 La juridiction de renvoi indique que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) et les juges du fond interprètent la réglementation nationale applicable au principal en ce sens que la charge de la preuve de l’ignorance de l’illégalité de la provenance du véhicule concerné pèse sur la personne lésée, en tant que fait constitutif de sa demande d’indemnisation.
15 À cet égard, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) aurait jugé que le fait d’imposer à la personne lésée la charge de la preuve de sa bonne foi relevait de la marge d’appréciation dont dispose l’État membre concerné dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2009/103. En outre, l’objectif poursuivi par le droit national resterait identique à celui poursuivi par le droit de l’Union, à savoir ne pas permettre l’indemnisation d’une personne qui aurait eu connaissance du fait
que le véhicule concerné provenait d’un vol.
16 Par conséquent, la juridiction de renvoi estime utile d’interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 13 de la directive 2009/103. En effet, cet article 13 permettrait aux États membres de prévoir que l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive interviendra pour indemniser la victime d’un accident causé par un véhicule volé. Cependant, même si le législateur national a prévu l’intervention de cet organisme, aucune disposition de ladite directive n’indiquerait
expressément que la charge de la preuve que la personne lésée avait connaissance du fait que le véhicule concerné circulait illégalement incomberait audit organisme. En effet, l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103 ne ferait référence qu’au cas spécifique de la demande dirigée contre la compagnie d’assurances.
17 Toutefois, selon cette juridiction, une lecture combinée de l’article 10, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2009/103 et de l’article 13, paragraphe 2, de cette directive suggère qu’il incombe à l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de ladite directive de prouver que le véhicule concerné était volé.
18 De même, le principe général selon lequel la personne lésée a toujours droit à réparation (vulneratus ante omnia reficiendus), qui sous-tendrait l’ensemble de la réglementation de l’Union sur l’assurance automobile obligatoire et sur lequel la Cour aurait fréquemment fondé ses décisions en la matière, militerait également en faveur d’une interprétation en ce sens de l’article 13 de la directive 2009/103. Ainsi, si la ratio legis de cet article 13 était de permettre à la personne lésée non
fautive d’avoir accès à une juste réparation, celle-ci pourrait difficilement être chargée de l’obligation de prouver une circonstance dont la démonstration est presque impossible.
19 En outre, le principe d’effectivité du droit de l’Union pourrait être compromis si la personne qui demande l’indemnisation de son préjudice était obligée de fournir la preuve d’une circonstance de nature négative, voire dont la constatation est presque impossible.
20 Enfin, selon la juridiction de renvoi, l’article 13 de la directive 2009/103 n’a pas encore fait l’objet d’une interprétation par la Cour. Cette dernière n’aurait été amenée à se prononcer que sur l’interprétation à donner de la réglementation antérieure en la matière, jugeant alors de manière récurrente que les dispositions législatives ou les clauses contractuelles qui ont pour effet d’exclure l’applicabilité d’une police d’assurance ne pouvaient être opposées aux victimes d’un accident
que « lorsque l’assureur peut prouver que les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage savaient qu’il était volé ».
21 Dans ces conditions, le Tribunale ordinario di Lodi (tribunal ordinaire de Lodi) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 13 de la directive [2009/103] en ce sens que, en cas d’accident de la route ayant impliqué une personne transportée à bord d’un véhicule volé, il appartient à l’organisme chargé de l’indemnisation au titre de l’article 10 de cette directive de prouver que la personne lésée savait que l’automobile était un véhicule volé ?
2) Dans l’affirmative, cette disposition, ainsi interprétée, s’oppose‑t‑elle à une réglementation telle que la réglementation italienne, interprétée et appliquée en ce sens que la charge de la preuve repose sur la personne transportée et lésée ? »
Sur les questions préjudicielles
22 Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que, d’une part, il appartient à l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive de prouver, afin de se décharger de son obligation d’indemnisation, que, en cas d’accident de la circulation, la personne lésée ayant de son plein gré pris place dans le véhicule qui a causé
le dommage savait qu’il était volé et, d’autre part, il s’oppose à une jurisprudence nationale qui interprète la réglementation nationale en ce sens que, dans une telle situation, il appartient à cette personne de prouver qu’elle n’avait pas connaissance du fait que ce véhicule avait été volé afin d’obtenir réparation de son préjudice.
23 L’article 3, premier alinéa, de la directive 2009/103 impose aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5 de cette directive, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur leur territoire soit couverte par une assurance.
24 À cet égard, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2009/103, chaque État membre crée ou agrée un organisme ayant pour mission d’indemniser, au moins dans les limites de l’obligation d’assurance, les dommages matériels ou corporels causés par un véhicule non identifié ou un véhicule pour lequel il n’a pas été satisfait à l’obligation d’assurance visée à l’article 3 de cette directive.
25 L’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2009/103 dispose que, dans le cas de véhicules volés ou obtenus par la violence, les États membres peuvent prévoir que l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de celle-ci « interviendra en lieu et place de l’assureur dans les conditions prévues au paragraphe 1 [de cet] article [13] ».
26 Il y a lieu de relever qu’il ressort expressément du libellé de l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2009/103 que le législateur de l’Union a entendu appliquer à cet organisme les conditions et limitations applicables aux assureurs en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de cette directive.
27 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la République italienne a opté pour l’intervention de l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2009/103 en cas de dommages causés par des véhicules mis en circulation contre la volonté de leur propriétaire.
28 Or, lorsqu’un État membre a opté pour l’intervention de cet organisme en cas de dommages causés par des véhicules volés, celui-ci est tenu, conformément à l’article 13, paragraphe 2, de cette directive, notamment, de respecter les conditions prévues à l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive.
29 À cet égard, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2009/103, une compagnie d’assurances couvrant la responsabilité civile automobile ne saurait refuser d’indemniser les tiers victimes d’un accident causé par un véhicule assuré, en se prévalant de dispositions légales ou de clauses contractuelles contenues dans une police d’assurance excluant de la couverture par l’assurance de la responsabilité civile automobile les dommages causés aux tiers victimes en
raison de l’utilisation ou de la conduite du véhicule assuré par des personnes non autorisées à conduire ce véhicule, par des personnes non titulaires d’un permis de conduire ou par des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d’ordre technique concernant l’état et la sécurité dudit véhicule (arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C‑236/23, EU:C:2024:761, point 33).
30 Par dérogation à ce premier alinéa, l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103 prévoit que certaines victimes pourront ne pas être indemnisées par la compagnie d’assurances, compte tenu de la situation qu’elles ont elles-mêmes créée, à savoir dans les cas où le véhicule qui a causé le dommage était utilisé ou conduit par des personnes n’y étant ni expressément ni implicitement autorisées et où les tiers victimes ont de leur plein gré pris place dans ce véhicule,
sachant que celui-ci avait été volé (arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C‑236/23, EU:C:2024:761, point 34).
31 À cet égard, il convient de relever que, dès lors que l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103 établit une dérogation à une règle générale, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte (ordonnance du 13 octobre 2021, Liberty Seguros, C‑375/20, EU:C:2021:861, point 61 et jurisprudence citée).
32 Toute autre interprétation permettrait aux États membres de limiter l’indemnisation des tiers victimes d’un accident de la circulation à certaines circonstances, ce que la directive 2009/103 vise précisément à éviter (ordonnance du 13 octobre 2021, Liberty Seguros, C‑375/20, EU:C:2021:861, point 62 et jurisprudence citée).
33 Au regard de ces considérations, la Cour a jugé que l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive doit être interprété en ce sens qu’une disposition légale ou une clause contractuelle qui est contenue dans une police d’assurance, qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules, ne peut être opposée aux tiers, victimes d’un accident de la circulation, que lorsque l’assureur peut prouver que les personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule
qui a causé le dommage savaient qu’il était volé (ordonnance du 13 octobre 2021, Liberty Seguros, C‑375/20, EU:C:2021:861, point 63 et jurisprudence citée).
34 Il s’ensuit que, au vu du libellé de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103, lorsqu’un État membre a opté pour l’intervention de l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2009/103 en cas de dommages causés par des véhicules volés, il appartient à celui-ci d’apporter la preuve que les personnes lésées ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage savaient que ce véhicule était volé pour pouvoir opposer à ces victimes une
disposition légale ou une clause contractuelle qui est contenue dans une police d’assurance, qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules, dans de telles circonstances.
35 Cette constatation est confirmée tant par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103 que par les objectifs poursuivis par cette directive, dont il convient de tenir compte, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de l’interprétation de cette disposition (voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2019, IT Development, C‑666/18, EU:C:2019:1099, point 37).
36 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103, la conclusion selon laquelle la charge de la preuve en question incombe à l’organisme visé à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive est également conforme à l’article 10, paragraphe 2, second alinéa, de ladite directive selon lequel il appartient à cet organisme, afin d’exclure son intervention, de prouver que les personnes lésées qui ont de leur plein gré pris place dans le véhicule
qui a causé le dommage savaient que ce véhicule n’était pas assuré. Ainsi, dans un tel cas de figure, la charge de prouver la connaissance du fait que ledit véhicule n’était pas assuré incombe également audit organisme et non à la victime de l’accident de circulation.
37 Quant aux objectifs poursuivis par la directive 2009/103, il convient de rappeler que, ainsi que l’énonce le considérant 1 de la directive 2009/103, celle-ci a codifié la directive 72/166, la deuxième directive 84/5, la troisième directive 90/232, la directive 2000/26 et la directive 2005/14. Ces directives ont progressivement précisé les obligations des États membres en matière d’assurance obligatoire. Elles tendaient, d’une part, à assurer la libre circulation tant des véhicules
stationnant habituellement sur le territoire de l’Union europénne que des personnes qui sont à leur bord et, d’autre part, à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficient d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit du territoire de l’Union où l’accident s’est produit (arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C‑236/23, EU:C:2024:761, point 29 et jurisprudence citée).
38 En outre, il ressort des considérants 2 et 20 de la directive 2009/103 que celle-ci poursuit, en substance, les mêmes objectifs que ceux desdites directives (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C‑236/23, EU:C:2024:761, point 30 et jurisprudence citée).
39 Il ressort de l’évolution de la réglementation de l’Union en matière d’assurance obligatoire que l’objectif de protection des victimes d’accidents causés par ces véhicules a constamment été poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union (arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C‑236/23, EU:C:2024:761, point 31 et jurisprudence citée).
40 Ainsi, eu égard à l’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation causés par les véhicules automoteurs, poursuivi par la directive 2009/103, il ne saurait être imposé à la victime d’un accident de la circulation de prouver qu’elle n’avait pas connaissance du fait que le véhicule dans lequel elle a pris place avait été volé dans la mesure où une telle charge de la preuve irait à l’encontre de cet objectif.
41 Partant, au vu des éléments dont dispose la Cour, une jurisprudence nationale qui fait peser la charge de la preuve de l’ignorance de l’illégalité de la provenance du véhicule ayant causé l’accident de la circulation sur la victime de cet accident, en tant que fait constitutif de sa demande d’indemnisation, n’apparaît pas, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, conforme aux exigences découlant de l’article 13, paragraphe 2, de la
directive 2009/103.
42 Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient d’apporter des précisions sur les obligations qui incombent au juge national dans l’hypothèse où la jurisprudence nationale ne serait pas conforme à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103.
43 Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en appliquant le droit interne, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci et, partant, se conformer à l’article 288, troisième alinéa, TFUE. Cette obligation d’interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du traité FUE en
ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies (arrêt du 5 mars 2020, OPRFinance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 41 et jurisprudence citée).
44 En outre, la Cour a jugé à de nombreuses reprises que le principe d’interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance,
C‑679/18, EU:C:2020:167, point 42).
45 Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’obligation d’interprétation conforme impose aux juridictions nationales, y compris celles statuant en dernier ressort, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence nationale établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit interne incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait, notamment, valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en
conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, points 43 et 44).
46 Ainsi, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’assurer le plein effet de la directive 2009/103 en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, l’interprétation retenue par les juridictions italiennes, pour autant que cette interprétation n’est pas compatible avec le droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 44 et jurisprudence citée).
47 Toutefois, cette obligation d’interprétation conforme trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans celui de sécurité juridique, en ce sens qu’elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 45).
48 À cet égard, s’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation du droit italien, il convient néanmoins de relever qu’il semble que, selon la jurisprudence nationale visée dans la décision de renvoi, la règle nationale en vertu de laquelle la charge de la preuve en question reposerait sur la personne lésée n’est pas clairement exprimée à l’article 283 du décret législatif n^o 209. Or, si tel est effectivement le cas, une interprétation conforme à la directive 2009/103 ne
saurait être considérée comme étant contra legem.
49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que, d’une part, il appartient à l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive de prouver, afin de se décharger de son obligation d’indemnisation, que, en cas d’accident de la circulation, la personne lésée ayant de son plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage
savait qu’il était volé et, d’autre part, il s’oppose à une jurisprudence nationale qui interprète la réglementation nationale en ce sens que, dans une telle situation, il appartient à cette personne de prouver qu’elle n’avait pas connaissance du fait que ce véhicule avait été volé afin d’obtenir réparation de son préjudice.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
L’article 13, paragraphe 2, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité,
doit être interprété en ce sens que :
d’une part, il appartient à l’organisme prévu à l’article 10, paragraphe 1, de cette directive de prouver, afin de se décharger de son obligation d’indemnisation, que, en cas d’accident de la circulation, la personne lésée ayant de son plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage savait qu’il était volé et, d’autre part, il s’oppose à une jurisprudence nationale qui interprète la réglementation nationale en ce sens que, dans une telle situation, il appartient à cette personne de
prouver qu’elle n’avait pas connaissance du fait que ce véhicule avait été volé afin d’obtenir réparation de son préjudice.
Signatures
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* Langue de procédure : l’italien.
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i Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.