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29/04/2025 | CJUE | N°C-181/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Malte., 29/04/2025, C-181/23


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 avril 2025 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale – Principe de confiance mutuelle entre les États membres – Octroi de la nationalité d’un État membre – Rapport particulier de solidarité et de loyauté – Mise en œuvre d’un programme de citoyenneté par investissement – Naturalisation en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés – Nature transactionnelle du régime de n

aturalisation, s’apparentant à une
“commercialisation” de la citoyenneté de l’Union »

Dans l’affaire C‑181/23,

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 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 avril 2025 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale – Principe de confiance mutuelle entre les États membres – Octroi de la nationalité d’un État membre – Rapport particulier de solidarité et de loyauté – Mise en œuvre d’un programme de citoyenneté par investissement – Naturalisation en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés – Nature transactionnelle du régime de naturalisation, s’apparentant à une
“commercialisation” de la citoyenneté de l’Union »

Dans l’affaire C‑181/23,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 mars 2023,

Commission européenne, représentée par M. C. Ladenburger, Mme E. Montaguti et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Malte, représentée par Mme A. Buhagiar, en qualité d’agent, assistée de Me D. Sarmiento Ramírez-Escudero, abogado,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice–président, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin (rapporteur), A. Kumin, N. Jääskinen et D. Gratsias, présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 juin 2024,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 octobre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en établissant et en mettant en œuvre un programme institutionnalisé de citoyenneté par investissement tel que le Maltese Citizenship by Naturalisation for Exceptional Services by Direct Investment (citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct, ci-après le « programme de citoyenneté par investissement de 2020 »), fondé sur l’article 10, paragraphe 9, du Maltese Citizenship
Act (Chapter 188 of the Laws of Malta) [loi sur la citoyenneté maltaise (chapitre 188 des lois de Malte)], tel que modifié par le Maltese Citizenship (Amendment No. 2) Act (Act XXXVIII of 2020) [loi portant modification no 2 à la loi sur la citoyenneté maltaise (loi no XXXVIII de 2020)] (The Malta Government Gazette no 20,452, du 31 juillet 2020, ci-après la « loi de 2020 »), et les Granting of citizenship for Exceptional Services Regulations, 2020 (Subsidiary Legislation 188.06 of the Laws of
Malta) [règlement de 2020 relatif à l’octroi de la citoyenneté pour services exceptionnels (législation dérivée 188.06 des lois de Malte)] (The Malta Government Gazette no 20,524, du 20 novembre 2020, ci-après le « règlement de 2020 ») (ci-après la « loi sur la citoyenneté maltaise »), qui offre la naturalisation malgré l’absence de lien réel entre les demandeurs et le pays en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent
en vertu de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Les traités UE et FUE

2 L’article 1er, deuxième alinéa, TUE se lit comme suit :

« Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. »

3 L’article 2 TUE dispose :

« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

4 Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, TUE :

« L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. »

5 L’article 4 TUE énonce :

« [...]

2.   L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule
responsabilité de chaque État membre.

3.   En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.

Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. »

6 L’article 9 TUE prévoit :

« Dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une égale attention de ses institutions, organes et organismes. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. »

7 L’article 10 TUE se lit comme suit :

« 1.   Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative.

2.   Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen.

Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens.

3.   Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens.

4.   Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union. »

8 L’article 11 TUE dispose :

« 1.   Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union.

[...]

4.   Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.

Les procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative sont fixées conformément à l’article 24, premier alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »

9 Aux termes de l’article 20 TFUE :

« 1.   Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2.   Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :

a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

b) le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;

c) le droit de bénéficier, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont ils sont ressortissants n’est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;

d) le droit d’adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s’adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l’Union dans l’une des langues des traités et de recevoir une réponse dans la même langue.

Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. »

10 L’article 21, paragraphe 1, TFUE énonce :

« Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. »

11 L’article 22 TFUE prévoit :

« 1.   Tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires
lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient.

2.   Sans préjudice des dispositions de l’article 223, paragraphe 1, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure
législative spéciale, et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient. »

12 L’article 23 TFUE se lit comme suit :

« Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État. Les États membres prennent les dispositions nécessaires et engagent les négociations internationales requises en vue d’assurer cette protection.

[...] »

13 L’article 24 TFUE dispose :

« Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une initiative citoyenne au sens de l’article 11 [TUE], y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir.

Tout citoyen de l’Union a le droit de pétition devant le Parlement européen conformément aux dispositions de l’article 227.

Tout citoyen de l’Union peut s’adresser au médiateur institué conformément aux dispositions de l’article 228.

Tout citoyen de l’Union peut écrire à toute institution ou organe visé au présent article ou à l’article 13 du traité sur l’Union européenne dans l’une des langues visées à l’article 55, paragraphe 1, dudit traité et recevoir une réponse rédigée dans la même langue. »

La déclaration no 2

14 La déclaration no 2 relative à la nationalité d’un État membre, jointe par les États membres à l’acte final du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 191, p. 98, ci-après la « déclaration no 2 »), est libellée comme suit :

« La Conférence déclare que, chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné. [...] »

La décision d’Édimbourg

15 Aux termes de la section A de la décision des chefs d’État et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 concernant certains problèmes soulevés par le Danemark à propos du traité sur l’Union européenne (JO 1992, C 348, p. 1, ci-après la « décision d’Édimbourg ») :

« Les dispositions de la deuxième partie du traité instituant la Communauté européenne, qui concerne la citoyenneté de l’Union, accordent aux ressortissants des États membres des droits et des protections supplémentaires, comme prévu dans cette partie. Elles ne se substituent en aucune manière à la citoyenneté nationale. La question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné. »

Le droit maltais

16 L’article 10 de la loi sur la citoyenneté maltaise, qui établit les conditions de la naturalisation ordinaire, prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, qu’un demandeur peut se voir délivrer un certificat de naturalisation en tant que citoyen maltais s’il démontre au ministre :

« a) qu’il a résidé à Malte tout au long d’[une] période de douze mois précédant immédiatement la date de la demande ; et

b) que, pendant les six années précédant immédiatement ladite période de douze mois, il a résidé à Malte au cours de périodes totalisant au moins quatre ans ; et

c) qu’il possède une connaissance suffisante de la langue maltaise ou de la langue anglaise ; et

d) qu’il est de bonne moralité ; et

e) qu’il serait un bon citoyen de Malte. »

17 Selon l’article 10, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette loi, le ministre peut, s’il le juge approprié dans les circonstances spécifiques d’un cas particulier, permettre que des périodes de résidence antérieures à sept ans avant la date de la demande soient prises en compte dans le calcul du nombre total d’années visé au point b) de cet article 10, paragraphe 1.

18 Le 15 novembre 2013, la République de Malte a adopté l’Act No. XV of 2013 : An Act to amend the Maltese Citizenship Act (Chapter 188 of the Laws of Malta) [loi no XV de 2013 modifiant la loi sur la citoyenneté maltaise (Chapitre 188 des lois de Malte)] (The Malta Government Gazette no 19,166, du 15 novembre 2013, ci-après la « modification de 2013 »). Parallèlement à la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise, la modification de 2013 a ouvert la
possibilité pour un demandeur de se voir délivrer un certificat de naturalisation par le biais de la participation à un « programme des investisseurs individuels », régi par un ensemble distinct de conditions et de procédures.

19 Le régime en faveur des investisseurs individuels était initialement prévu par les Individual Investor Programme of the Republic of Malta Regulations, 2014 (Subsidiary Legislation 188.03 of the Laws of Malta) [règlement de 2014 relatif au programme des investisseurs individuels de la République de Malte (législation dérivée 188.03 des lois de Malte)] (The Malta Government Gazette no 19,205, du 4 février 2014, ci-après le « règlement de 2014 »). En application de la modification de 2013 et du
règlement de 2014 (ci-après le « programme de citoyenneté par investissement de 2014 »), le nombre de demandeurs principaux retenus, hors personnes à charge, ne pouvait dépasser 1800 pour toute la durée du programme.

20 Le 28 juillet 2020, la République de Malte a adopté la loi de 2020.

21 À la suite de l’entrée en vigueur de cette loi, l’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la citoyenneté maltaise énonce :

« Nonobstant les dispositions de la présente loi ou de toute autre loi, le ministre peut délivrer un certificat de naturalisation en tant que citoyen de Malte à un étranger ou un apatride qui a rendu des services exceptionnels à la République de Malte ou à l’humanité, ou dont la naturalisation revêt un intérêt exceptionnel pour la République de Malte, et qui satisfait aux exigences prévues par la présente loi. Aux fins du présent sous-article, le terme “exceptionnel” signifie manifestement
supérieur et désigne principalement les contributions de scientifiques, de chercheurs, d’athlètes, de sportifs, d’artistes, d’interprètes culturels, d’investisseurs et d’entrepreneurs :

à condition que le ministre délivre également un certificat de naturalisation à une personne éligible à charge d’un étranger ou d’un apatride qui a rendu des services exceptionnels à la République de Malte au moyen d’investissements :

à condition également que cette personne présente une demande de la manière prescrite et en prêtant serment d’allégeance à Malte. »

22 L’article 9 de la loi de 2020, dont est issu l’article 27 de la loi sur la citoyenneté maltaise, prévoit, à titre de disposition transitoire, que la loi de 2020 ne s’applique pas aux demandes d’octroi de la citoyenneté maltaise par naturalisation déposées avant son entrée en vigueur.

23 Le 20 novembre 2020, la République de Malte a adopté le règlement de 2020 ainsi que des ordonnances établissant les agences compétentes pour gérer le programme de citoyenneté par investissement de 2020.

24 Selon l’article 15, paragraphe 3, l’article 16, paragraphe 1, sous a), b) et d), et paragraphe 7, du règlement de 2020, ainsi que la première annexe de ce règlement, les investisseurs étrangers peuvent demander la naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct lorsqu’ils remplissent ou s’engagent à remplir les conditions suivantes :

– verser une contribution de 600000 euros ou de 750000 euros au gouvernement maltais, dont 10000 euros à verser à titre d’acompte non remboursable en même temps que les demandes de séjour ou le formulaire d’éligibilité, le solde étant dû après l’accord de principe sur la demande de naturalisation ;

– acquérir et conserver à Malte un bien immobilier à usage résidentiel d’une valeur minimale de 700000 euros, ou prendre en location un bien immobilier à usage résidentiel à Malte pour un loyer annuel d’au moins 16000 euros (pour une durée minimale de cinq ans) ;

– faire un don d’au moins 10000 euros à une organisation ou à une société non gouvernementale philanthropique, culturelle, sportive, scientifique, artistique ou de protection du bien-être animal enregistrée, ou autrement approuvée par les autorités ;

– avoir été résident de Malte pendant une période de 36 mois (le paiement s’élevant alors à 600000 euros), qui peut être réduite à un minimum de douze mois sous réserve d’un investissement direct exceptionnel (le paiement s’élevant alors à 750000 euros) ;

– voir son éligibilité validée par les autorités, et avoir été autorisé à introduire une demande de naturalisation en vertu de l’article 10 dudit règlement.

25 Selon l’article 16, paragraphe 3, du règlement de 2020 et le point 1 b) de sa première annexe, les demandes peuvent également couvrir des membres de la famille d’un demandeur. Des versements supplémentaires doivent être effectués à cet effet, dont le montant a été porté à 50000 euros pour le conjoint et pour chaque enfant.

26 Aux termes de l’article 19 de ce règlement :

« Le nombre de certificats délivrés au titre du programme de citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct, hors personnes à charge, ne doit pas dépasser quatre cents (400) par an et, en tout état de cause, le nombre total cumulé de demandeurs retenus, hors personnes à charge, ne doit pas dépasser mille cinq cents (1500) ».

27 L’article 31, paragraphe 1, dudit règlement a abrogé le règlement de 2014 laissant, néanmoins, celui-ci en vigueur jusqu’à ce que le nombre maximal de demandes, fixé par l’article 12 du règlement de 2014 à 1800, à l’exclusion des personnes à charge, ait été atteint.

La procédure précontentieuse

28 Le programme de citoyenneté par investissement de 2014 permettait aux ressortissants étrangers d’obtenir la nationalité maltaise en échange de paiements et d’investissements prédéterminés prescrits dans le règlement de 2014. Conformément à ce règlement, un concessionnaire a été chargé de concevoir, de mettre en œuvre, de gérer, d’exploiter et de promouvoir ce programme.

29 Ayant eu connaissance dudit programme, la Commission a engagé un dialogue avec la République de Malte au sujet des répercussions de celui-ci sur l’Union et les autres États membres.

30 Par lettre du 1er avril 2020, la Commission a indiqué à la République de Malte que les programmes de citoyenneté par investissement tels que le programme de citoyenneté par investissement de 2014, qui conduisent à « vendre » la citoyenneté de l’Union, pouvaient être considérés comme exploitant la réalisation commune qu’est la citoyenneté de l’Union en violation du principe de coopération loyale entre celle-ci et les États membres.

31 Entre le mois d’avril et le mois d’octobre 2020, la République de Malte a fourni des précisions supplémentaires concernant le fonctionnement du programme de citoyenneté par investissement de 2014 et a informé la Commission de son intention de réviser le cadre juridique existant.

32 Le 20 octobre 2020, la Commission a adressé à la République de Malte une lettre de mise en demeure. Dans cette lettre, elle a réitéré sa préoccupation quant à l’incompatibilité d’un programme de citoyenneté par investissement tel que le programme de citoyenneté par investissement de 2014 avec l’article 20 TFUE et avec l’article 4, paragraphe 3, TUE.

33 Dans sa réponse du 18 décembre 2020 à cette lettre de mise en demeure, la République de Malte a informé la Commission qu’elle avait procédé à une révision du cadre législatif national applicable à l’octroi de la nationalité maltaise. Elle a ainsi précisé que, à la suite de l’adoption de la loi de 2020, les dispositions permettant l’octroi de la nationalité maltaise sur la base du règlement de 2014 n’étaient plus en vigueur. Elle a toutefois précisé que, compte tenu des attentes légitimes et des
engagements déjà pris, ces dispositions demeureraient en vigueur et applicables aux demandes reçues jusqu’au 15 août 2020.

34 Le 9 juin 2021, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure complémentaire à la République de Malte, dans laquelle elle a indiqué que les modifications apportées par la loi de 2020 et le règlement de 2020 ne remédiaient pas à la nature transactionnelle du programme de citoyenneté par investissement de 2014 et que le programme de citoyenneté par investissement de 2020 était également considéré comme contraire à l’article 20 TFUE et à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

35 Par une lettre du 6 août 2021, la République de Malte a répondu à la lettre de mise en demeure complémentaire, en exprimant son désaccord avec la Commission. Cet État membre a notamment fait valoir que la position de la Commission était incompatible avec le principe d’attribution des compétences, dans la mesure où cette position conduisait à empiéter sur un domaine relevant de la souveraineté des États membres.

36 Le 2 mars 2022, la République de Malte a suspendu jusqu’à nouvel ordre son programme de citoyenneté par investissement de 2020 pour les ressortissants russes et biélorusses, tout en le maintenant en vigueur pour les citoyens d’autres pays tiers, excepté les ressortissants afghans, nord-coréens, iraniens, congolais de la République démocratique du Congo, somaliens, soudanais, sud-soudanais, syriens, vénézuéliens et yéménites.

37 Le 28 mars 2022, la Commission a adopté la recommandation sur des mesures immédiates dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en ce qui concerne les programmes de citoyenneté par investissement et les programmes de résidence par investissement [C(2022) 2028 final]. Dans cette recommandation, la Commission a réitéré son point de vue selon lequel les programmes de citoyenneté par investissement reposant sur l’octroi de la naturalisation en échange de paiements ou d’investissements
prédéterminés sont contraires au droit de l’Union, et a invité tout État membre mettant en œuvre de tels programmes à procéder à leur abrogation.

38 Le 6 avril 2022, la Commission a adressé un avis motivé à la République de Malte dans lequel elle confirmait sa position selon laquelle le programme de citoyenneté par investissement de 2014 et le programme de citoyenneté par investissement de 2020 sont contraires à l’article 20 TFUE et à l’article 4, paragraphe 3, TUE, et invitait cet État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

39 Dans sa réponse du 6 juin 2022 à l’avis motivé, la République de Malte a, une nouvelle fois, exprimé son désaccord avec la position de la Commission.

40 Considérant que le programme de citoyenneté par investissement de 2014 et le programme de citoyenneté par investissement de 2020 mis en œuvre par la République de Malte sont incompatibles avec le droit de l’Union, la Commission a engagé la présente procédure en manquement, tout en précisant que cette procédure porte uniquement sur ce dernier programme. Cependant, la Commission ajoute que les dispositions du programme de citoyenneté par investissement de 2014 qui méconnaissent le droit de l’Union
ont, pour l’essentiel, été reproduites dans le cadre juridique régissant le programme de citoyenneté par investissement de 2020, de telle sorte que cette institution se réfère, dans son examen de ce dernier programme, à des éléments factuels qui étaient déjà présents dans le cadre de l’application du programme de citoyenneté par investissement de 2014.

Sur le recours

41 Le recours repose sur un moyen unique, tiré de la violation de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Argumentation des parties

42 En premier lieu, la Commission soutient que, si la définition des conditions d’octroi et de perte de la nationalité d’un État membre relève de la compétence de chaque État membre, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union. Puisque l’octroi de la nationalité d’un État membre entraîne automatiquement l’octroi du statut de citoyen de l’Union, chaque État membre, lorsqu’il exerce cette compétence exclusive, serait tenu de ne pas compromettre ni mettre en péril l’essence,
la valeur et l’intégrité de la citoyenneté de l’Union, afin de préserver la confiance mutuelle qui sous-tend ce statut. Ces exigences découleraient du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, et du statut de citoyen de l’Union, prévu à l’article 20 TFUE.

43 À cet égard, la nationalité d’un État membre serait l’unique condition requise pour être citoyen de l’Union, au sens de l’article 20 TFUE. La citoyenneté de l’Union s’accompagnerait de droits conférés directement par le système juridique de l’Union, notamment le droit de circuler et de résider librement dans le territoire de l’Union et le droit de ne pas être discriminé sur le fondement de la nationalité. En outre, la citoyenneté de l’Union comporterait une forte composante civique et inclurait
des droits politiques fondamentaux pour la participation à la vie démocratique de l’Union, visée à l’article 10, paragraphe 3, TUE, ainsi que le droit pour le ressortissant d’un État membre de bénéficier de la protection consulaire d’autres États membres dans un pays tiers où cet État membre n’est pas représenté. Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, le statut de citoyen de l’Union aurait vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres.

44 Contrairement à ce que fait valoir la République de Malte dans son mémoire en défense, le présent recours ne mettrait pas en cause tout un pan du cadre législatif national régissant la naturalisation des personnes, ce recours étant limité, selon la Commission, à un régime spécifique d’octroi de la nationalité d’un État membre en faveur des investisseurs qui, en procédant à une marchandisation de la citoyenneté de l’Union, porterait atteinte à l’intégrité de ce statut d’une manière qui constitue
une violation particulièrement grave du droit de l’Union.

45 En outre, l’affirmation de la République de Malte selon laquelle la Cour ne pourrait contrôler l’exercice des compétences nationales en matière d’octroi de sa nationalité que dans la mesure où elles constituent des violations graves des valeurs ou des objectifs de l’Union, de manière générale et systématique, ne trouverait pas d’appui dans les traités ou dans la jurisprudence de la Cour.

46 En deuxième lieu, la Commission fait valoir qu’un programme de citoyenneté par investissement, qui implique l’octroi systématique de la nationalité d’un État membre en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés et en l’absence d’exigence d’un lien réel entre l’État et les demandeurs, compromet et met en péril l’essence et l’intégrité de la citoyenneté de l’Union établie à l’article 20 TFUE, et viole le principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

47 Premièrement, l’Union serait fondée non pas uniquement sur l’intégration d’un groupe d’États européens partageant un ensemble de valeurs communes, mais également sur le rapprochement des peuples de chacun de ces États, ce qui aurait été mis en évidence par le traité de Lisbonne.

48 Ainsi, d’une part, les dispositions relatives aux principes démocratiques, insérées par ce traité dans le titre II du traité UE, confirmeraient le rôle central des citoyens de l’Union, laquelle serait non seulement une Union économique, mais aussi une Union politique. D’autre part, les dispositions relatives aux institutions de l’Union, figurant au titre III du traité UE, rappelleraient que les valeurs promues, les objectifs poursuivis et les intérêts servis par les institutions de l’Union sont à
la fois ceux des citoyens de l’Union et ceux des États membres.

49 Deuxièmement, la Commission relève que, ainsi qu’il ressort de l’avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 172), la citoyenneté de l’Union et les droits qui découlent de ce statut comptent parmi les dispositions les plus fondamentales des traités, qui s’insèrent dans le cadre d’un système propre à l’Union et sont structurées de manière à contribuer à la réalisation du processus d’intégration qui est la raison d’être de l’Union elle-même. Ainsi, la
citoyenneté de l’Union et les droits qui découlent de ce statut devraient être considérés comme une expression de la solidarité et de la confiance mutuelle entre les États membres.

50 S’agissant, plus particulièrement, de la confiance mutuelle, la Commission fait valoir que, en consentant à octroyer les droits attachés à la citoyenneté de l’Union et à étendre cette solidarité à d’autres, les États membres s’appuient sur une conception fondamentale commune de la nationalité d’un État membre, selon laquelle celle-ci traduit la manifestation d’un lien effectif entre un État membre et ses ressortissants. En effet, dès l’année 1980, la Cour aurait reconnu que le rapport particulier
de solidarité et de loyauté entre un État membre et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs sont le fondement du lien de nationalité.

51 La Commission ajoute que le consentement de chaque État membre à l’extension automatique et sans condition de certains droits aux ressortissants de tous les autres États membres, conformément au principe de confiance mutuelle, repose sur le postulat selon lequel ces autres États membres n’accordent la nationalité que sur la base d’un lien réel avec le demandeur concerné. Or, un tel consentement inconditionnel serait compromis si les États membres ne pouvaient pas se fier au fait que des décisions
relatives à l’octroi de la nationalité sont fondées sur cette notion commune de « nationalité d’un État membre ». À cet égard, la Commission fait valoir qu’il ressort de l’arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:295), qu’il existe, entre les États membres, une obligation de reconnaissance mutuelle des décisions en matière de nationalité d’un État membre.

52 Dans ces conditions, la mise en place d’un programme de citoyenneté par investissement de nature transactionnelle, qui permet l’octroi systématique, contre des paiements ou des investissements prédéterminés, de la nationalité d’un État membre à des demandeurs qui n’ont pas de lien réel avec un État membre et qui, de ce fait, n’appartiennent manifestement pas à la catégorie de personnes dont les auteurs des traités avaient prévu qu’elles bénéficient de la citoyenneté de l’Union, serait en
contradiction avec l’essence même du statut de citoyen de l’Union.

53 Troisièmement, la Commission rappelle que l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui consacre le principe de coopération loyale, comprend tant une obligation « positive » de faciliter la mission de l’Union qu’une obligation « négative » de s’abstenir de prendre des mesures susceptibles de mettre en péril les objectifs de l’Union. Or, l’établissement et la mise en œuvre d’un programme de citoyenneté par investissement permettant l’octroi systématique de la nationalité d’un État membre sur la base de
paiements ou d’investissements prédéterminés, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien réel avec l’État membre qui octroie cette nationalité, mettraient en péril l’intégrité du statut de citoyen de l’Union ainsi que la confiance mutuelle qui sous-tend ce statut et les droits qui y sont attachés.

54 Quant à la fixation d’un seuil opérationnel et fonctionnel pour décider ce qui constitue un « lien réel » aux fins de l’octroi de la nationalité d’un État membre, la Commission estime que la résidence effective constitue l’un des moyens d’établir un tel lien. Il n’appartiendrait toutefois pas à la Commission de prescrire les facteurs de rattachement devant être privilégiés par les États membres pour l’octroi de leur nationalité.

55 En troisième lieu, la Commission fait valoir que le programme de citoyenneté par investissement de 2020, qui permet l’octroi systématique de la nationalité maltaise en échange de paiements ou d’investissements substantiels prédéterminés et présente ainsi une nature transactionnelle, constitue un programme illégal de citoyenneté par investissement.

56 Premièrement, l’exigence de résidence légale imposée par le programme de citoyenneté par investissement de 2020 serait insuffisante pour garantir l’existence d’un lien réel avec la République de Malte.

57 À cet égard, la Commission estime que les documents et courriels obtenus par la Fondation Daphne Caruana Galizia et communiqués aux médias dans le cadre du projet nommé « Passport Papers » (ci-après les « Passport Papers ») démontrent l’absence d’exigence de résidence effective dans le programme de citoyenneté par investissement de 2014. Ces documents constitueraient non pas une preuve du manquement allégué, mais viseraient uniquement à corroborer l’argument de la Commission selon lequel les
défaillances majeures dans le cadre législatif maltais conduisent à l’octroi systématique de la citoyenneté de l’Union à des ressortissants de pays tiers qui n’ont pas prouvé qu’ils satisfont à une exigence de résidence préalable effective à Malte.

58 En outre, tout d’abord, il n’aurait pas été contesté, au cours de la phase précontentieuse de la procédure, qu’il n’est pas nécessaire d’établir une présence réelle significative sur le territoire maltais. Ensuite, l’absence de nécessité de prouver une présence physique pendant une période significative dans le cadre du programme de citoyenneté par investissement de 2020 serait étayée par une comparaison des exigences imposées par ce programme avec celles applicables aux naturalisations
« ordinaires », prévues à l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise, cette dernière disposition imposant une résidence à Malte « tout au long » d’une période spécifiée, sans comporter de règles relatives aux absences susceptibles d’interrompre les périodes de résidence. Par ailleurs, lors de cette phase précontentieuse, la République de Malte n’aurait pas été en mesure de communiquer des informations sur les demandes de citoyenneté rejetées ou retirées en raison du
non-respect de l’exigence de résidence. Enfin, la nature théorique de l’exigence de résidence se reflèterait également dans les règles qui permettent de réduire la durée de trois ans de résidence requise à un minimum de douze mois, moyennant le versement d’une somme additionnelle de 150000 euros.

59 Deuxièmement, le « lien réel » devrait exister au moment de l’octroi de la nationalité d’un État membre. À cet égard, d’une part, un régime prévoyant la possibilité d’octroyer la naturalisation moyennant la création d’un tel lien postérieurement à cet octroi ne serait pas conforme à l’objectif de renforcement de la solidarité entre les peuples de l’Union grâce à l’existence d’un lien réel avec un État membre de l’Union. Un programme de citoyenneté par investissement tel que celui en cause dans le
cadre du présent recours se distinguerait manifestement, sur ce plan, d’un régime visant à inciter des ressortissants de pays tiers à venir travailler et résider dans un État membre.

60 D’autre part, étant donné que les avantages conférés par la citoyenneté de l’Union prennent effet au moment de l’octroi de ce statut, il n’existerait aucune garantie qu’un citoyen maltais récemment naturalisé décide de rester à Malte afin de développer un « lien réel futur », plutôt que de se rendre dans un autre État membre de l’Union ou de résider dans un pays tiers tout en faisant usage des droits conférés par la citoyenneté de l’Union. À cet égard, la Commission souligne que le matériel
promotionnel publié par les agents agréés du programme de citoyenneté par investissement de 2020 présente la possibilité pour un citoyen naturalisé de s’installer notamment dans un autre État membre ou dans un pays associé à l’espace Schengen comme l’un des « avantages » de la nationalité maltaise.

61 La Commission ajoute qu’elle ne conteste pas que le processus de naturalisation inclut la mise en œuvre d’une procédure de vérification à l’égard des demandeurs. Il ressortirait toutefois du cadre législatif régissant le programme de citoyenneté par investissement de 2020 que cette procédure consiste à évaluer le risque que pourraient présenter les demandeurs en matière de sécurité ou encore leur réputation ainsi que l’étendue de leur richesse, et non pas à vérifier l’existence d’un véritable
lien entre de tels demandeurs et la République de Malte. L’existence de ce processus de vérification et le pouvoir discrétionnaire du ministre de refuser l’octroi d’un certificat de naturalisation ne modifieraient pas le caractère transactionnel de ce programme.

62 En outre, la Commission observe que la République de Malte ne conteste pas le fait que, pour relever du programme de citoyenneté par investissement de 2020, la présence physique effective à Malte du demandeur n’est exigée qu’à deux reprises, à savoir pour fournir des données biométriques aux fins de l’obtention d’un permis de séjour et pour prêter serment d’allégeance. La résidence légale que requiert ce programme ne serait donc pas susceptible de créer un véritable lien entre la République de
Malte et ce demandeur.

63 En défense, la République de Malte relève, en premier lieu, que la compétence des États membres en matière d’octroi de leur nationalité doit, certes, être exercée dans le respect du droit de l’Union, dans les domaines de compétence de l’Union, mais sans toutefois porter atteinte à l’obligation de respecter l’identité nationale des États membres.

64 À titre liminaire, la République de Malte fait observer que, dans son recours, la Commission entreprend de contrôler la totalité du cadre législatif régissant les exigences, les procédures et les effets d’un programme de naturalisation d’un État membre, ce qui revient à remettre en cause les choix politiques de cet État membre en matière de nationalité. À cet égard, plus le contrôle exercé dans un domaine de compétence nationale serait large, plus élevé serait le risque que l’Union outrepasse ses
compétences.

65 Premièrement, le contrôle de l’action des États membres dans des situations qui s’apparentent à une privation de jure ou de facto des droits et devoirs attachés au statut de citoyen de l’Union devrait être effectué au regard d’un critère différent de celui applicable dans des situations d’octroi de la nationalité d’un État membre. En effet, le pouvoir d’attribuer la nationalité serait au cœur même de la souveraineté nationale et serait étroitement lié à la conception ainsi qu’au développement de
l’identité nationale d’un État membre, que l’article 4, paragraphe 2, TUE impose à l’Union de protéger.

66 Ainsi, sous peine d’une mise en péril de la compétence exclusive des États membres en matière d’octroi de la nationalité, ce ne serait que lorsque la politique de naturalisation d’un État membre entraîne de manière générale et systématique une violation grave des valeurs et des objectifs de l’Union, tels que définis dans le droit de l’Union, que cette politique serait contraire au droit de l’Union. Selon la République de Malte, cette interprétation serait conforme à la jurisprudence de la Cour
selon laquelle le statut de citoyen de l’Union « a vocation » à être le statut fondamental des ressortissants des États membres, étant précisé qu’il s’agit non pas d’une réalité présente, mais d’un processus en cours qui, au stade actuel de l’intégration, coexiste étroitement avec la nationalité des États membres.

67 Deuxièmement, l’interprétation défendue par la Commission comporterait des risques sérieux. Tout d’abord, cette interprétation aurait une incidence immédiate sur les cadres législatifs régissant la nationalité dans tous les États membres, notamment dans les États dans lesquels la naturalisation est accordée de manière discrétionnaire. Ensuite, ladite interprétation reviendrait à permettre à la Commission, en tant que gardienne des traités, de contrôler à la lumière du droit de l’Union les
politiques, les lois et les pratiques des États membres en matière de naturalisation. Enfin, une telle interprétation permettrait aux États membres de contester le droit et la pratique des autres États membres dans ce domaine.

68 À cet égard, si le recours de la Commission était accueilli, la République de Malte serait tenue d’abroger un ensemble d’instruments législatifs et réglementaires. Ainsi, en contestant l’intégralité du cadre législatif d’un État membre régissant l’accès à la nationalité, la Commission inviterait la Cour à agir en tant que « législateur indirect », en exerçant un veto sur la législation nationale adoptée dans un domaine relevant de la compétence exclusive des États membres.

69 En deuxième lieu, la République de Malte soutient que le droit de l’Union n’impose pas aux États membres une obligation juridique d’exiger un « lien réel préalable » avec l’État membre de naturalisation, indépendamment de l’existence de paiements ou d’autres engagements de la part du demandeur. Certes, l’existence d’un tel lien pourrait légitimement inciter les États à reconnaître qu’un individu est suffisamment attaché à leur communauté politique. Toutefois, ce résultat découlerait non pas d’une
obligation au titre du droit international ou du droit de l’Union, mais d’une décision politique et souveraine prise par les institutions démocratiques des États membres.

70 À cet égard, premièrement, l’obligation d’exiger un « lien réel préalable » avant l’octroi de la nationalité d’un État membre ne découlerait pas des traités ou de la procédure ayant conduit à leur adoption. Il ressortirait d’ailleurs de la déclaration no 2 et de la décision d’Édimbourg que la question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné. En outre, les traités n’établiraient pas l’Union comme
une « entité politique unique ».

71 Deuxièmement, l’exigence d’un « lien réel préalable » ne découlerait pas du droit international. En particulier, elle ne saurait être déduite de l’arrêt du 6 avril 1955, Nottebohm (Lichtenstein contre Guatemala) (CIJ Recueil 1955, p. 4), sur lequel la Commission s’est appuyée pour fonder une obligation, au titre du droit de l’Union, imposant l’existence d’un tel lien comme condition d’octroi de la nationalité d’un État membre, une telle exigence ayant, par ailleurs, été rejetée par la Cour dans
l’arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:295).

72 Troisièmement, la Commission ne fournirait pas de seuil opérationnel et fonctionnel de ce qui constitue un « lien réel préalable », et il n’incomberait pas à la République de Malte de définir un tel seuil opérationnel.

73 En troisième lieu, la République de Malte soutient que le programme de citoyenneté par investissement de 2020 constitue un programme de naturalisation légitime, solide, efficace et géré de manière professionnelle, qui ne porte pas atteinte aux objectifs de l’Union. À cet égard, la présentation de ce programme par la Commission comme étant une voie d’accès automatique et inconditionnelle à la nationalité maltaise, prévoyant l’octroi systématique de la nationalité de cet État membre en contrepartie
de paiements ou d’investissements prédéterminés, dans les intérêts purement budgétaires de la République de Malte, constituerait une simplification excessive, dépourvue de tout fondement en droit ou en fait.

74 Premièrement, la République de Malte aurait toujours agi de bonne foi et conformément au principe de coopération loyale entre l’Union et les États membres, visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Cet État membre aurait opéré des modifications législatives à la suite du dialogue engagé avec la Commission.

75 Deuxièmement, la Commission fonderait son analyse sur une présentation erronée et déformée du cadre législatif maltais. Tout d’abord, ce cadre législatif instituerait non pas un régime de « transaction », mais une procédure exhaustive, complexe et en plusieurs étapes, qui implique diverses autorités publiques afin d’assurer des garanties strictes, et pouvant aboutir à une naturalisation.

76 Ensuite, ledit cadre législatif ne permettrait pas l’octroi systématique de la nationalité maltaise en échange de certains paiements, puisqu’il s’agirait d’un cadre discrétionnaire soumis à des mécanismes de contrôle stricts. En particulier, la procédure comporterait onze étapes procédurales dont le but est de fournir une vue d’ensemble du demandeur, facilitant ainsi la décision finale et discrétionnaire du ministre. À cet égard, le respect par un demandeur des exigences imposées ne lui
conférerait pas un droit automatique à être naturalisé.

77 Enfin, le même cadre législatif reposerait sur divers liens, rétrospectifs, présents et prospectifs, qui évoluent au fil du temps. Ainsi, serait exigée une période préalable de résidence légale de trois ans ou d’un an, selon l’ampleur de l’investissement, ce qui serait conforme à la pratique internationale en matière de résidence et de citoyenneté par investissement. En outre, la pratique administrative en matière de naturalisation « ordinaire », au titre de l’article 10, paragraphe 1, de la loi
sur la citoyenneté maltaise, serait que la présence physique n’est requise que pour des intervalles de temps spécifiques. Par ailleurs, le droit de l’immigration fournirait de nombreux exemples dans lesquels des mesures d’intégration doivent être développées à un stade ultérieur, tant dans les procédures de séjour que de naturalisation, faute de liens préalables avec l’État d’accueil.

78 Cet État membre s’oppose également à ce que la Commission introduise les Passport Papers comme éléments de preuve devant être pris en considération par la Cour, dès lors que ces documents concernent la mise en œuvre du programme de citoyenneté par investissement de 2014 et non celle du programme de citoyenneté par investissement de 2020, qui fait l’objet du présent recours.

Appréciation de la Cour

79 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 9 TUE et de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. Selon ces mêmes dispositions, la citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

80 En outre, la déclaration no 2 et la décision d’Édimbourg énoncent que la question de savoir si une personne a la nationalité d’un État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État membre concerné.

81 Cela étant, selon une jurisprudence constante, si la définition des conditions d’octroi et de perte de la nationalité d’un État membre relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union [arrêts du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C‑369/90, EU:C:1992:295, point 10 ; du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, point 45, et du 5 septembre 2023, Udlændinge- og Integrationsministeriet (Perte
de la nationalité danoise), C‑689/21, EU:C:2023:626, point 30 ainsi que jurisprudence citée].

82 À cet égard, il y a lieu, d’emblée, de rejeter l’argumentation, formulée à titre liminaire par la République de Malte, selon laquelle l’examen des procédures d’octroi de la nationalité des États membres devrait, à la différence de l’examen des situations de perte ou de retrait de cette nationalité, qui impliquent la privation des droits qu’une personne tire du droit de l’Union, être limité à la constatation de violations significatives des valeurs ou des objectifs de l’Union, présentant un
caractère général et systématique.

83 En effet, ni le texte des traités ni leur économie ne permettent d’inférer de ceux-ci une volonté de la part de leurs auteurs de prévoir, pour ce qui concerne l’octroi de la nationalité d’un État membre, une exception à l’obligation de respecter le droit de l’Union qui voudrait que seules de telles violations significatives des valeurs et des objectifs de l’Union soient susceptibles d’entraîner une violation du droit de l’Union lors de l’exercice par les États membres de leur compétence en la
matière. Dans ces conditions, une telle exception ne saurait être admise dès lors qu’elle s’apparenterait à une limitation des effets s’attachant à la primauté du droit de l’Union, qui relève des caractéristiques essentielles de celui-ci et, partant, du cadre constitutionnel de l’Union [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 166].

84 S’agissant de la violation alléguée de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, il convient d’observer, tout d’abord, que, selon les termes mêmes de l’article 3, paragraphe 2, TUE, l’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, qui est rendue possible par l’existence des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile,
d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.

85 À cet égard, la Cour a précisé que tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose sur le premier de ces principes, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien de cet espace sans frontières intérieures [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 191, et arrêt du 29 juillet 2024, Alchaster, C‑202/24, EU:C:2024:649,
point 63].

86 S’inscrit dans la réalisation de cet espace sans frontières intérieures le droit, conféré directement à tout citoyen de l’Union par l’article 20, paragraphe 2, sous a), et par l’article 21, paragraphe 1, TFUE, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, et dont la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le
territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, ainsi que JO 2005, L 197, p. 34), vise, selon une jurisprudence constante, à faciliter l’exercice (arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C‑456/12, EU:C:2014:135, point 35 ; du 18 décembre 2014, McCarthy e.a., C‑202/13, EU:C:2014:2450,
point 31, et du 22 février 2024, Direcţia pentru Evidenţa Persoanelor şi Administrarea Bazelor de Date, C‑491/21, EU:C:2024:143, point 37).

87 Ce droit trouve, au demeurant, une expression spécifique dans l’article 45 TFUE relatif à la liberté de circulation des travailleurs, dans l’article 49 TFUE relatif à la liberté d’établissement et dans l’article 56 TFUE relatif à la libre prestation de services [voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, MH et ILA (Droits à pension en cas de faillite), C‑168/20, EU:C:2021:907, point 61 et jurisprudence citée].

88 Ensuite, les citoyens de l’Union sont investis de droits politiques qui assurent la participation de ceux-ci à la vie démocratique de l’Union, visés aux articles 10 et 11 TUE et concrétisés dans les articles 20, 22 et 24 TFUE. Il s’agit, notamment, du droit de présenter une initiative citoyenne, du droit d’adresser des pétitions au Parlement, du droit de recourir au Médiateur, du droit de s’adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l’Union dans l’une des langues officielles de
l’Union, ainsi que du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre où résident les citoyens, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

89 À cet égard, en exerçant les droits politiques que leur confèrent les articles 10 et 11 TUE, les citoyens de l’Union participent directement à la vie démocratique de l’Union. En effet, son fonctionnement est fondé sur la démocratie représentative, laquelle concrétise la valeur de démocratie qui constitue, en vertu de l’article 2 TUE, l’une des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée [voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 65 ;
du 19 novembre 2024, Commission/République tchèque (Éligibilité et qualité de membre d’un parti politique), C‑808/21, EU:C:2024:962, points 114 et 115, ainsi que du 19 novembre 2024, Commission/Pologne (Éligibilité et qualité de membre d’un parti politique), C‑814/21, EU:C:2024:963, points 112 et 113]. Il en découle que l’exercice par les États membres de leur compétence pour définir les conditions d’octroi de la nationalité de ceux-ci influe sur le fonctionnement de l’Union en tant qu’ordre
juridique commun.

90 Enfin, la citoyenneté de l’Union confère également à tout ressortissant d’un État membre, dans un pays tiers où cet État membre n’est pas représenté, le droit, consacré à l’article 20, paragraphe 2, sous c), TFUE et concrétisé à l’article 23 TFUE, à la protection des autorités diplomatiques et consulaires des autres États membres, dans les mêmes conditions que les ressortissants de ceux-ci.

91 C’est au regard de ces différents droits que la Cour a jugé que les dispositions relatives à la citoyenneté de l’Union figurent parmi les dispositions fondamentales des traités qui, s’insérant dans le cadre d’un système propre à l’Union, sont structurées de manière à contribuer à la réalisation du processus d’intégration qui est la raison d’être de l’Union elle-même et font ainsi partie intégrante de son cadre constitutionnel [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du
18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 172].

92 De même, au regard tant de la portée des droits qui s’attachent au statut de citoyen de l’Union, exposés aux points 86 à 90 du présent arrêt, que de la circonstance que ce statut découle automatiquement de la qualité de ressortissant d’un État membre, la Cour a itérativement jugé que le statut de citoyen de l’Union constitue le statut fondamental des ressortissants des États membres [voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31 ; du 18 janvier 2022,
Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de naturalisation), C‑118/20, EU:C:2022:34, points 38 et 58, ainsi que du 5 septembre 2023, Udlændinge- og Integrationsministeriet (Perte de la nationalité danoise), C‑689/21, EU:C:2023:626, points 29 et 38 et jurisprudence citée].

93 La citoyenneté de l’Union est ainsi l’une des concrétisations majeures de la solidarité qui est au fondement même du processus d’intégration rappelé au point 91 du présent arrêt, relevant par conséquent de l’identité de l’Union en tant qu’ordre juridique propre, accepté par les États membres sur une base de réciprocité (arrêts du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, EU:C:1964:66, p. 1058 à 1060, et du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19,
EU:C:2021:1034, point 246).

94 De surcroît, en vertu du principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, il incombe à chaque État membre, notamment, de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union [arrêt du 4 juillet 2023, Meta Platforms e.a. (Conditions générales d’utilisation d’un réseau social), C‑252/21, EU:C:2023:537, point 53].

95 L’exercice de la compétence des États membres en matière de définition des conditions d’octroi de la nationalité d’un État membre n’est, dès lors, à l’instar de leur compétence en matière de définition des conditions de perte de la nationalité, pas sans limites. La citoyenneté de l’Union repose en effet sur les valeurs communes que contient l’article 2 TUE et sur la confiance mutuelle que s’accordent les États membres quant au fait qu’aucun de ceux-ci n’exerce cette compétence d’une manière qui
serait incompatible, de façon manifeste, avec la nature même de la citoyenneté de l’Union.

96 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie de la Cour que le fondement du lien de nationalité d’un État membre réside dans le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre cet État et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs [voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, 149/79, EU:C:1980:297, point 10 ; du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, EU:C:1986:284, point 27 ; du 26 avril 2007, Alevizos, C‑392/05, EU:C:2007:251,
point 70 ; du 2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, point 51, et du 25 avril 2024, Stadt Duisburg (Perte de la nationalité allemande), C‑684/22 à C‑686/22, EU:C:2024:345, point 37].

97 Dans le même ordre d’idées, il ressort des termes mêmes de l’article 20, paragraphe 2, première phrase, TFUE que les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Conformément au paragraphe 1 de cet article 20, le rapport particulier de solidarité et de loyauté existant entre chaque État membre et ses ressortissants constitue également le fondement des droits et obligations que les traités réservent aux citoyens de l’Union.

98 S’agissant de l’établissement d’un tel rapport particulier de solidarité et de loyauté, il découle de la jurisprudence rappelée au point 81 du présent arrêt que la définition des conditions d’octroi de la nationalité d’un État membre ne relève pas de la compétence de l’Union, mais de celle de chaque État membre qui dispose d’une large marge d’appréciation dans le choix des critères à appliquer, pourvu que ces critères soient appliqués dans le respect du droit de l’Union.

99 Or, un État membre méconnaît de façon manifeste l’exigence d’un tel rapport particulier de solidarité et de loyauté, caractérisé par la réciprocité de droits et de devoirs entre l’État membre et ses ressortissants, et rompt ainsi la confiance mutuelle sur laquelle repose la citoyenneté de l’Union, en violation de l’article 20 TFUE et du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, lorsqu’il institue et met en œuvre un programme de naturalisation reposant sur une
procédure transactionnelle entre ce même État membre et les personnes présentant une demande au titre de ce programme, au terme de laquelle la nationalité dudit État membre, et, partant, la qualité de citoyen de l’Union, est pour l’essentiel accordée en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés.

100 En effet, un tel programme s’apparente à une commercialisation de l’octroi du statut de ressortissant d’un État membre et, par extension, de celle du statut de citoyen de l’Union, incompatible avec la conception de ce statut fondamental telle qu’elle découle des traités.

101 En outre, il y a lieu de rappeler que les États membres sont tenus de reconnaître les effets s’attachant à l’attribution à une personne, par un autre État membre, de la nationalité de ce dernier en vue de l’exercice des droits et libertés découlant du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C‑369/90, EU:C:1992:295, point 10 ; du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C‑148/02, EU:C:2003:539, point 28, et du 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C‑200/02, EU:C:2004:639,
point 39]. Or, une naturalisation transactionnelle, qui est accordée en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés, non seulement est contraire au principe de coopération loyale, mais est également de nature à mettre en cause la confiance mutuelle qui sous-tend cette exigence de reconnaissance, cette confiance portant sur la prémisse que l’attribution de la nationalité d’un État membre est fondée sur un rapport particulier de solidarité et de loyauté justifiant l’octroi des droits
résultant, en particulier, du statut de citoyen de l’Union.

102 En l’espèce, il ressort des dispositions régissant le programme de citoyenneté par investissement de 2020, rappelées au point 24 du présent arrêt, que les conditions qui doivent être remplies afin qu’un investisseur puisse demander la nationalité maltaise sont, premièrement, le versement d’une contribution de 600000 ou de 750000 euros au gouvernement maltais, deuxièmement, l’acquisition d’un bien immobilier à usage résidentiel d’une valeur minimale de 700000 euros ou, alternativement, la prise
en location d’un tel bien pour un loyer annuel d’au moins 16000 euros pour une durée minimale de 5 ans, troisièmement, un don d’au moins 10000 euros à une organisation ou à une société non gouvernementale philanthropique, culturelle, sportive, scientifique, artistique ou de protection du bien-être animal enregistrée, ou autrement approuvée par les autorités, quatrièmement, la résidence légale à Malte d’une durée de 36 mois, étant précisé que cette durée peut être réduite à 12 mois si le
demandeur effectue une contribution supplémentaire de 150000 euros et, cinquièmement, l’obtention d’une validation de son éligibilité et d’une autorisation pour l’introduction d’une demande de naturalisation.

103 Ainsi, en premier lieu, les trois premières conditions posées par les dispositions régissant le programme de citoyenneté par investissement de 2020 tendent à indiquer que des paiements ou des investissements pour des montants minimaux prédéterminés occupent une place décisive dans ce programme, suggérant que ce dernier s’apparente à une commercialisation de l’octroi de la nationalité d’un État membre au terme d’une procédure transactionnelle.

104 Il convient néanmoins d’apprécier si une telle qualification est susceptible d’être remise en cause par les autres conditions auxquelles est soumis l’octroi de la nationalité maltaise au titre du programme de citoyenneté par investissement de 2020.

105 À cet égard, s’agissant, en deuxième lieu, de la condition tenant à une résidence légale d’une durée minimale à Malte préalablement à un tel octroi, il convient de constater d’emblée que la Commission ne saurait utilement invoquer les Passport Papers en vue de soutenir son argumentation selon laquelle cette condition porte exclusivement sur une telle résidence du demandeur et non sur une présence physique de celui-ci sur le territoire maltais. En effet, ces documents se rapportent au programme
de citoyenneté par investissement de 2014, qui ne fait pas l’objet du présent recours.

106 Cela étant, il ressort des explications fournies par la République de Malte que la condition tenant à une résidence préalable sur le territoire maltais, prévue dans le cadre du programme de citoyenneté par investissement de 2020, porte sur la résidence légale du demandeur. Or, selon les éléments du dossier soumis à la Cour, une telle condition n’équivaut pas à une exigence de résidence effective sur le territoire maltais, une présence physique du demandeur sur celui-ci étant seulement requise
lors de la collecte de données biométriques pour obtenir le permis de séjour et pour la prestation du serment d’allégeance.

107 Cette analyse ne saurait être remise en cause par l’affirmation de la République de Malte selon laquelle les demandeurs retenus auraient été physiquement présents pendant toute la durée de leur résidence légale, dès lors que cette affirmation ne correspond pas au cadre juridique décrit par cet État membre et qu’elle n’est, au demeurant, soutenue que par quelques exemples.

108 Dans ces conditions, au regard de la présence très limitée sur le territoire maltais qui est exigée au titre du programme de citoyenneté par investissement de 2020, il ne saurait être considéré que la résidence effective sur ce territoire a été considérée par la République de Malte comme constituant un critère essentiel en vue de l’octroi de la nationalité de cet État membre au titre de ce programme, s’ajoutant à celui des paiements ou des investissements prédéterminés visés au point 103 du
présent arrêt.

109 Cette conclusion est corroborée, d’une part, par la circonstance que la durée de la période de résidence légale préalable à l’octroi de la nationalité maltaise dans le cadre du programme de citoyenneté par investissement de 2020 peut être réduite de trois ans à un an par un paiement supplémentaire de 150000 euros, de sorte que la condition tenant à la résidence apparaît elle-même étroitement liée au caractère transactionnel de l’octroi de la nationalité maltaise au titre de ce programme, en
échange de paiements ou d’investissements prédéterminés.

110 Elle l’est aussi, d’autre part, par la comparaison, opérée par la Commission, du programme de citoyenneté par investissement de 2020 avec la procédure de naturalisation « ordinaire », au titre de l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise, qui exige que les demandeurs aient résidé à Malte « tout au long » d’une période de douze mois avant l’introduction de la demande de naturalisation, mais également au moins quatre ans sur les six années précédant immédiatement cette
période de douze mois.

111 Il découle, en effet, de cette comparaison que, lorsque la demande d’octroi de nationalité n’est pas accompagnée de paiements ou d’investissements prédéterminés, seule une résidence effective nettement plus longue à Malte est considérée par la République de Malte comme étant de nature à permettre que soit envisagé l’octroi de la nationalité maltaise.

112 S’agissant, en troisième lieu, de la dernière condition mentionnée au point 102 du présent arrêt, la République de Malte fait valoir que la procédure de contrôle de l’éligibilité d’un demandeur vise à effectuer des vérifications concernant ce demandeur, ses relations d’affaires et d’entreprise, son exposition politique, la source de sa fortune, sa réputation, les questions juridiques et réglementaires relatives à ce dernier et l’incidence relative sur le réseau immédiat dudit demandeur.

113 Or, il convient d’observer que, selon les précisions fournies par la République de Malte, de telles vérifications visent, pour l’essentiel, à s’assurer que la mise en œuvre du programme de citoyenneté par investissement de 2020 ne porte pas atteinte à certains objectifs d’intérêt public de la République de Malte, en particulier la sécurité publique et la sécurité nationale de cet État membre ainsi que son image sur les plans interne et externe. Ces vérifications ne sont en revanche pas
susceptibles de remettre en cause le constat selon lequel ce programme s’apparente à une commercialisation de l’octroi de la nationalité maltaise, au terme d’une procédure transactionnelle.

114 En effet, ces vérifications visent non pas à évaluer si la situation du demandeur justifie que celui-ci se voie octroyer la nationalité maltaise, mais uniquement à déterminer si certains risques dûment identifiés font obstacle à l’octroi de cette nationalité, malgré le fait que le demandeur est disposé à procéder à des paiements ou à des investissements permettant de répondre aux trois premières conditions visées au point 102 du présent arrêt. La fonction ainsi conférée auxdites vérifications
implique qu’elles ont pour effet de limiter le champ d’application du programme de citoyenneté par investissement de 2020, sans pour autant remettre en cause le caractère transactionnel de ce programme.

115 La République de Malte fait encore valoir que le programme de citoyenneté par investissement de 2020 tient compte de certains facteurs de rattachement des demandeurs, tels que les investissements dans l’économie locale, l’intégration dans le tissu social de ces demandeurs à travers leurs investissements, ou encore les liens futurs entre lesdits demandeurs et la République de Maltequi pourraient être développés après l’octroi de cette nationalité.

116 À cet égard, d’une part, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer que le programme de citoyenneté par investissement de 2020 prévoit un examen spécifique et concret de la pertinence de certains investissements pour établir la réalité et l’intensité des liens de rattachement d’un demandeur avec la République de Malte, ou pour permettre le développement de tels liens avec cet État membre, distinct de l’examen tenant à la satisfaction des conditions prévues par les
dispositions régissant ce programme et rappelées au point 102 du présent arrêt.

117 D’autre part, s’agissant de l’argumentation de la République de Malte selon laquelle elle tient compte des liens qui pourraient être développés par un demandeur au titre du programme de citoyenneté par investissement de 2020 après la décision de naturalisation, il y a lieu de relever qu’il ressort des précisions apportées par cet État membre que ses autorités peuvent retirer la nationalité maltaise octroyée dans le cadre de ce programme pour trois motifs, à savoir le non-respect d’une obligation
matérielle prévue par la réglementation applicable, l’existence d’une menace pour la sécurité nationale ou l’implication de la personne concernée dans un comportement gravement préjudiciable aux intérêts de la République de Malte.

118 Partant, si, pendant les cinq années suivant la date de la naturalisation, les autorités maltaises veillent, en substance, à ce que les demandeurs continuent à respecter les conditions applicables à leur naturalisation, il n’en reste pas moins qu’il ne saurait être considéré que le programme de citoyenneté par investissement de 2020 comporte une condition devant être satisfaite après la décision de naturalisation, qui s’ajouterait aux conditions mentionnées au point 102 du présent arrêt.

119 En quatrième et dernier lieu, il ressort des extraits de sites Internet d’agents agréés promouvant le programme de citoyenneté par investissement de 2020, produits par la Commission en annexe à la requête, que ce programme offrait aux demandeurs potentiels le « droit de résider, d’étudier et de travailler dans l’un des 27 pays de l’Union », ainsi que la « citoyenneté d’un pays de l’[Union] pour toute la famille du demandeur, y compris les enfants célibataires et financièrement dépendants âgés de
moins de 29 ans, ainsi que les parents âgés de plus de 55 ans ». Si la République de Malte avance que les activités de tiers privés ne sauraient être imputées aux autorités maltaises, il n’en demeure pas moins que cet État membre ne conteste pas que ces extraits proviennent de sites Internet d’agents agréés dans le cadre de la mise en œuvre du programme de citoyenneté par investissement de 2020, qui jouent un rôle essentiel à ce titre dans la mesure où les demandes de naturalisation au titre de
ce programme peuvent uniquement être présentées par l’intermédiaire de ces agents.

120 Ainsi, le programme de citoyenneté par investissement de 2020 a été publiquement présenté par la République de Malte comme un programme de naturalisation offrant principalement les avantages découlant de la citoyenneté de l’Union, notamment le droit de circuler et de séjourner librement dans les autres États membres. Une telle présentation contribue à établir que, par le biais de ce programme, cet État membre a institué une procédure transactionnelle s’apparentant à une commercialisation de
l’octroi de la nationalité d’un État membre, en exploitant les droits s’attachant à la qualité de citoyen de l’Union afin de promouvoir cette procédure.

121 Par conséquent, il y a lieu de constater que, en établissant et en mettant en œuvre le programme institutionnalisé de citoyenneté par investissement de 2020, fondé sur l’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la citoyenneté maltaise, qui institue une procédure transactionnelle de naturalisation en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés et s’apparente ainsi à une commercialisation de l’octroi de la nationalité d’un État membre ainsi que, par extension, de celle du statut de
citoyen de l’Union, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Sur les dépens

122 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Malte et cette dernière ayant succombé en son moyen unique, il y a lieu de condamner celle-ci aux dépens.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

  1) En établissant et en mettant en œuvre un programme institutionnalisé de citoyenneté par investissement tel que le Maltese Citizenship by Naturalisation for Exceptional Services by Direct Investment (citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct), fondé sur l’article 10, paragraphe 9, du Maltese Citizenship Act (Chapter 188 of the Laws of Malta) [loi sur la citoyenneté maltaise (chapitre 188 des lois de Malte)], tel que modifié par le Maltese
Citizenship (Amendment No. 2) Act (Act XXXVIII of 2020) [loi portant modification no 2 à la loi sur la citoyenneté maltaise (loi no XXXVIII de 2020)] et les Granting of citizenship for Exceptional Services Regulations, 2020 (Subsidiary Legislation 188.06 of the Laws of Malta) [règlement de 2020 relatif à l’octroi de la citoyenneté pour services exceptionnels (législation dérivée 188.06 des lois de Malte)], qui institue une procédure transactionnelle de naturalisation en échange de paiements ou
d’investissements prédéterminés et s’apparente ainsi à une commercialisation de l’octroi de la nationalité d’un État membre ainsi que, par extension, de celle du statut de citoyen de l’Union, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

  2) La République de Malte est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-181/23
Date de la décision : 29/04/2025
Type de recours : Recours en constatation de manquement

Analyses

Manquement d’État – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale – Principe de confiance mutuelle entre les États membres – Octroi de la nationalité d’un État membre – Rapport particulier de solidarité et de loyauté – Mise en œuvre d’un programme de citoyenneté par investissement – Naturalisation en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés – Nature transactionnelle du régime de naturalisation, s’apparentant à une “commercialisation” de la citoyenneté de l’Union.

Citoyenneté de l'Union


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Malte.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:283

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