ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
13 mars 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Article 1er, point 2, sous b) – Notion de “médicament par fonction” – Notion d’“action pharmacologique” – Substance se liant de manière réversible à des bactéries pour empêcher celles-ci de se lier aux cellules humaines – Article 2, paragraphe 2 – Cadre juridique applicable – Classement en tant que “dispositif médical” ou en tant que “médicament” – Dispositifs médicaux – Directive 93/42/CEE – Article 1er, paragraphe 2,
sous a) – Notion de “dispositif médical” »
Dans l’affaire C‑589/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 14 septembre 2023, parvenue à la Cour le 25 septembre 2023, dans la procédure
Cassella-med GmbH & Co. KG,
MCM Klosterfrau Vertriebsgesellschaft mbH
contre
Verband Sozialer Wettbewerb eV,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer (rapporteur) et B. Smulders, juges,
avocat général : M. R. Norkus,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Cassella-med GmbH & Co. KG, par Mes C. Giesen et U. Reese, Rechtsanwälte,
– pour MCM Klosterfrau Vertriebsgesellschaft mbH, par Me V. Lücker, Rechtsanwalt,
– pour Verband Sozialer Wettbewerb eV, par Me R. Welzel, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, Mme S. Šindelková et M. J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. Feola, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme E. Mathieu, MM. M. Noll-Ehlers et A. Spina, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO 2004, L 136, p. 34) (ci-après la « directive 2001/83 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cassella-med GmbH & Co. KG (ci-après « Cassella-med ») et MCM Klosterfrau Vertriebsgesellschaft mbH (ci-après « MCM Klosterfrau »), d’une part, à Verband Sozialer Wettbewerb eV (ci-après « VSW »), d’autre part, au sujet de la commercialisation, par Cassella-med, de deux produits, dénommés « Femannose » et « Femannose N », en tant que dispositifs médicaux destinés à prévenir et à traiter certaines infections des voies urinaires, ainsi
que de la publicité faite par MCM Klosterfrau pour promouvoir le second de ces produits.
Le cadre juridique
La directive 93/42
3 L’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (JO 1993, L 169, p. 1), telle que modifiée par la directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007 (JO 2007, L 247, p. 21) (ci-après la « directive 93/42 »), disposait :
« 2. Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “dispositif médical” : tout instrument, appareil, équipement, logiciel, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostique et/ou thérapeutique, et nécessaire au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins :
– de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie,
– de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap,
– d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique,
– de maîtrise de la conception,
et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ».
4 L’article 1er, paragraphe 5, sous c), de la directive 93/42 prévoyait :
« La présente directive ne s’applique pas :
[...]
c) aux médicaments couverts par la [directive 2001/83]. Pour décider si un produit relève de ladite directive ou de la présente directive, il est tenu compte tout particulièrement du mode d’action principal du produit ».
5 Cette directive a été abrogée avec effet, en ce qui concerne notamment son article 1er, à compter du 26 mai 2021 par le règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2017, relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) no 178/2002 et le règlement (CE) no 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE (JO 2017, L 117, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 241, p. 7), tel que modifié par le règlement (UE) 2020/561
du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2020, modifiant le règlement (UE) 2017/745 en ce qui concerne les dates d’application de certaines de ses dispositions (JO 2020, L 130, p. 18) (ci-après le « règlement 2017/745 »).
La directive 2001/83
6 L’article 1er, point 2, de la directive 2001/83 dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
2) médicament :
a) toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou
b) toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical ».
7 L’article 2, paragraphe 2, de cette directive dispose :
« En cas de doute, lorsqu’un produit, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d’un “médicament” et à la définition d’un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s’appliquent. »
La directive 2004/27
8 Le considérant 7 de la directive 2004/27 énonce :
« Il y a lieu, notamment du fait des progrès scientifiques et techniques, de clarifier les définitions et le champ d’application de la [directive 2001/83] de manière à assurer un niveau élevé d’exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité des médicaments à usage humain. Afin de prendre en compte, d’une part, l’émergence de nouvelles thérapies et, d’autre part, le nombre croissant de produits dits “frontière” entre le secteur des médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la
définition du médicament pour éviter, lorsqu’un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à la définition d’autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable. Cette définition devrait spécifier le type d’action que peut exercer le médicament sur les fonctions physiologiques. [...] »
Le règlement 2017/745
9 L’article 1er, paragraphe 6, du règlement 2017/745 dispose :
« Le présent règlement ne régit :
[...]
b) [...] les médicaments au sens de l’article 1er, point 2), de la [directive 2001/83]. Pour décider si un produit relève de la [directive 2001/83] ou du présent règlement, il est tenu compte tout particulièrement du mode d’action principal du produit ;
[...] »
10 L’article 2 de ce règlement est ainsi libellé :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
1) “dispositif médical”, tout instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif, matière ou autre article, destiné par le fabricant à être utilisé, seul ou en association, chez l’homme pour l’une ou plusieurs des fins médicales précises suivantes :
– diagnostic, prévention, surveillance, prédiction, pronostic, traitement ou atténuation d’une maladie,
– diagnostic, contrôle, traitement, atténuation d’une blessure ou d’un handicap ou compensation de ceux-ci,
– investigation, remplacement ou modification d’une structure ou fonction anatomique ou d’un processus ou état physiologique ou pathologique,
– communication d’informations au moyen d’un examen in vitro d’échantillons provenant du corps humain, y compris les dons d’organes, de sang et de tissus,
et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens.
[...] »
11 Ledit règlement est devenu applicable le 26 mai 2021, conformément à son article 123, paragraphe 2.
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Cassella-med a commercialisé en tant que dispositif médical « pour le traitement et la prévention de la cystite (inflammation de la vessie) ainsi que d’autres infections des voies urinaires » le produit Femannose, dont les composants principaux étaient le D‑mannose et l’extrait de canneberge. Depuis le mois d’octobre 2017, elle commercialise sous la dénomination « Femannose N » un produit qui, à la différence du Femannose, ne contient pas d’extrait de canneberge et dont l’emballage comporte
l’indication suivante : « pour la prévention et le traitement d’appoint de la cystite (inflammation de la vessie) ainsi que d’autres infections des voies urinaires ».
13 MCM Klosterfrau exploite un site Internet sur lequel le produit Femannose a fait l’objet de publicité jusqu’au mois d’octobre 2017.
14 VSW, association dont l’objet statutaire est, notamment, la défense des intérêts commerciaux de ses membres parmi lesquels un grand nombre commercialisent des médicaments et des dispositifs médicaux, a introduit devant le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne, Allemagne) un recours contre Cassella-med et MCM Klosterfrau afin de faire interdire la commercialisation et la publicité du Femannose et du Femannose N en tant que dispositifs médicaux.
15 VSW estime, en effet, que ces produits sont non pas des dispositifs médicaux, mais des médicaments dont il est constant qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché.
16 Par un jugement du 15 janvier 2020, le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne) a fait droit à ce recours.
17 L’appel interjeté par Cassella-med et MCM Klosterfrau contre ce jugement a été rejeté par l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne) dans un arrêt du 23 décembre 2020.
18 Cette juridiction a estimé que les produits en cause au principal étaient des médicaments par fonction, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, dont l’action pharmacologique est exercée par le D-mannose. Pour parvenir à cette conclusion, ladite juridiction s’est référée aux constatations d’un expert désigné par voie judiciaire (ci-après l’« expert judiciaire ») selon lequel cette substance active, en se liant, dans l’urine, à l’adhésine FimH présente sur la bactérie
Escherichia coli, empêche celle-ci de se fixer à certaines structures qui se trouvent sur la paroi de la vessie, ce qui constituerait une intervention dans les processus physiologiques de cette bactérie et dans les processus physiopathologiques de l’infection des voies urinaires.
19 La même juridiction s’est référée au document d’orientation adopté par la direction générale « Entreprises et industrie » de la Commission européenne et intitulé « Medical devices : Guidance document – Borderline products, drug-delivery products and medical devices incorporating, as an integral part, an ancillary medicinal substance or an ancillary human blood derivative – MEDDEV 2.1/3 rev. 3 » (« Dispositifs médicaux : document d’orientation – Produits “frontière”, produits destinés à
l’administration de médicaments et dispositifs médicaux contenant, en tant que partie intégrante, une substance médicamenteuse auxiliaire ou une substance auxiliaire dérivée du sang humain ») (ci-après le « document d’orientation Meddev »), qui définit la notion de « moyens pharmacologiques », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, comme supposant, notamment, une interaction entre les molécules de la substance concernée et une composante cellulaire, habituellement
appelée « récepteur », qui bloque la réaction à un autre agent.
20 Considérant que le D-mannose agit sur l’adhésine FimH en bloquant la réaction à un autre agent, au sens de cette définition, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) a estimé que cette substance active exerçait une action pharmacologique, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, en précisant que la question de savoir si la liaison du D-mannose à la bactérie est réversible n’était pas pertinente.
21 Cassella-med et MCM Klosterfrau ont saisi le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours en Revision contre l’arrêt du 23 décembre 2020.
22 Devant cette juridiction, Cassella-med et MCM Klosterfrau font valoir, notamment, qu’une liaison physique réversible entre une substance active et une composante cellulaire ne crée qu’une interdépendance, laquelle serait insuffisante pour établir l’interaction chimique et pharmacologique requise par la définition visée au point 19 du présent arrêt.
23 Ils soutiennent, en outre, que, afin de pouvoir considérer qu’il y a un blocage de la réaction à un « autre agent », au sens de cette définition, il faut, d’une part, que la substance bloquée soit un « agent », c’est-à-dire une substance censée exercer une action (nocive) déterminée sur une cellule cible et, d’autre part, ainsi qu’il ressort de l’emploi du terme « autre », que l’agent bloqué soit différent de la composante cellulaire impliquée dans l’interaction. Or, aucune de ces deux conditions
ne serait satisfaite en l’occurrence.
24 Par ailleurs, Cassella-med et MCM Klosterfrau contestent la position de l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) selon laquelle les produits en cause, lorsqu’ils sont utilisés conformément à leur destination, restaurent des fonctions physiologiques de manière significative, les corrigent ou les influencent, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83. Ils soutiennent que l’influence exercée sur les fonctions physiologiques qui est inhérente à une
action thérapeutique ou préventive n’est pas, à elle seule, suffisante pour que soit reconnue la qualification de médicament par fonction. En effet, le but thérapeutique recherché devrait être atteint par une intervention importante dans les fonctions physiologiques du corps humain, pouvant être qualifiée de « pharmacologique », ce qui ne serait pas le cas s’agissant du D-mannose.
25 La juridiction de renvoi estime que l’issue du litige pendant devant elle dépend de la réponse à la question de savoir si les produits concernés exercent une action pharmacologique et s’ils sont susceptibles d’influer sur les fonctions physiologiques humaines de manière significative, de sorte qu’ils devraient être qualifiés de médicaments par fonction, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83.
26 S’agissant, en particulier, de l’action pharmacologique de ces produits, cette juridiction expose que, selon l’expert judiciaire, la liaison entre le D‑mannose et les bactéries s’effectue au moyen de ponts d’hydrogène, ce qui, contrairement à ce que soutiennent les requérantes au principal, ne devrait pas être qualifié d’action purement mécanique ou physique. En ce sens, la formation de liaisons par ponts d’hydrogène pourrait constituer une « interaction », au sens de la définition visée au
point 19 du présent arrêt, qui serait à l’origine de l’action principale de la substance en cause au principal. Toutefois, ladite juridiction estime que cette question appelle une clarification par la Cour.
27 La juridiction de renvoi indique, en outre, que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler (C‑308/11, EU:C:2012:548, points 31 et 32), une substance dont les molécules n’interagissent pas avec une composante cellulaire humaine peut néanmoins, par son interaction avec d’autres composantes cellulaires présentes dans l’organisme de l’utilisateur, telles que des bactéries, des virus ou des parasites, avoir pour effet de restaurer, de corriger ou de
modifier des fonctions physiologiques chez l’homme.
28 Par ailleurs, cette juridiction estime qu’aucun élément dans le document d’orientation Meddev ne permet de conclure à l’exigence d’une liaison durable entre la substance en question et une composante cellulaire, ce qui étayerait la position de l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) en appel selon laquelle, lorsqu’il existe une telle interaction, le caractère réversible de la liaison établie avec une composante cellulaire est dépourvu de pertinence. Toutefois, ce point
devrait également être clarifié par la Cour.
29 La juridiction de renvoi indique qu’il lui appartiendra également de trancher la question de savoir si le mode d’action du D-mannose peut être considéré comme consistant à « bloquer la réaction à un autre agent », au sens de la définition visée au point 19 du présent arrêt.
30 À cet égard, d’une part, cette juridiction estime que, si l’acception défendue par les requérantes au principal, selon laquelle un agent est une substance qui est censée exercer une action déterminée sur une cellule cible, était retenue, il pourrait être objecté à juste titre que les glycoprotéines qui se trouvent sur les membranes cellulaires des voies urinaires ne peuvent pas être considérées comme étant des agents, puisqu’aucune action n’émane de celles-ci. Néanmoins, ladite juridiction
considère que l’acception large de la notion d’« agent » retenue par l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) en appel apparaît convaincante. En effet, de nombreux éléments existeraient en faveur d’une telle interprétation de cette notion, selon laquelle il faudrait entendre de manière générale un partenaire de liaison, sans que soient imposées des conditions sur la nature de la substance ou la structure de ce dernier. La juridiction de renvoi indique que de nombreux
médicaments agissent en bloquant la réaction d’une composante cellulaire à des éléments du corps humain. Tel serait le cas des bêta-bloquants et des « inhibiteurs d’attachement », dans le cadre du traitement des infections par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), cités en exemple par l’expert judiciaire.
31 D’autre part, selon la juridiction de renvoi, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) a constaté en appel que le D‑mannose bloquait la liaison entre l’adhésine FimH qui se trouve sur la bactérie (le récepteur) et certaines structures qui se trouvent sur la paroi de la vessie (l’autre agent), ce qui, selon cette dernière juridiction, correspondrait à la définition pertinente. Ainsi, même selon l’acception de l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de
Cologne), l’agent bloqué serait différent de la composante cellulaire impliquée dans l’interaction concernée.
32 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le fait que la substance concernée (en l’espèce le “D-mannose”), par une liaison réversible à des bactéries produite au moyen de ponts d’hydrogène, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines (en l’espèce celles de la paroi de la vessie) constitue-t-il une action pharmacologique, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), premier cas de figure, de la directive 2001/83 ? »
Sur la question préjudicielle
33 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’une substance qui, par une liaison réversible à des bactéries, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines doit être considérée comme exerçant une « action pharmacologique », au sens de cette disposition.
34 À titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, est considérée comme « médicament par fonction » toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical (arrêt du 13 octobre 2022,
M2Beauté Cosmetics, C‑616/20, EU:C:2022:781, point 28).
35 D’autre part, il découle de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42 que doit être qualifiée de « dispositif médical » une substance destinée à être utilisée chez l’homme à des fins, notamment, de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, pour autant que l’action principale de cette substance voulue dans ou sur le corps humain ne soit pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme.
36 Il s’ensuit qu’une substance ne saurait être qualifiée de « dispositif médical », au sens de cette disposition, si l’action principale voulue dans ou sur le corps humain est obtenue par des moyens pharmacologiques [voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2023, Bundesrepublik Deutschland (Gouttes nasales), C‑495/21 et C‑496/21, EU:C:2023:34, point 37 ainsi que jurisprudence citée].
37 Si les expressions « action pharmacologique », au sens de la directive 2001/83, et « action [...] obtenue par des moyens pharmacologiques », au sens de la directive 93/42, ne sont pas définies par ces directives, elles se réfèrent néanmoins à un même type d’action, à savoir l’action pharmacologique, et doivent dès lors être interprétées de manière uniforme.
38 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, M2Beauté Cosmetics, C‑616/20, EU:C:2022:781, point 40 et jurisprudence citée).
39 Au sens habituel, la notion d’« action pharmacologique » désigne les effets d’une substance sur un organisme vivant, notamment à des fins thérapeutiques ou préventives.
40 Cette définition est corroborée par les documents d’orientation qui ont été élaborés par un groupe d’experts issus des autorités nationales, des services de la Commission et des associations professionnelles de l’industrie. En effet, bien qu’ils soient dépourvus de caractère juridiquement contraignant, ces documents peuvent fournir des éléments utiles pour l’interprétation des dispositions du droit de l’Union pertinentes, et ainsi contribuer à assurer une application uniforme de celles-ci (voir,
en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler, C‑308/11, EU:C:2012:548, point 25).
41 En l’occurrence, est notamment pertinent, afin de déterminer la portée de la notion d’« action pharmacologique », le document d’orientation Meddev, qui, ainsi que l’indiquent l’intitulé et l’avant-propos de celui-ci, a été élaboré sous l’égide de la Commission aux fins de l’application des directives de l’Union relatives aux dispositifs médicaux et vise notamment, ainsi que l’énonce la section A de ce document, à aider les autorités compétentes à distinguer de tels dispositifs des médicaments.
42 Selon le point A.2.1.1 dudit document, intitulé « Définition du dispositif médical », la notion de « moyens pharmacologiques », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42, doit être comprise comme une interaction entre les molécules de la substance concernée et une composante cellulaire, généralement qualifiée de récepteur, qui soit provoque une réaction directe, soit bloque la réaction à un autre agent.
43 Cette définition de la notion de « moyens pharmacologiques » a été précisée ultérieurement dans le document d’orientation intitulé « MDCG 2022 – 5 Rev. 1 – Guidance on borderline between medical devices and medicinal products under Regulation (EU) 2017/745 on medical devices (“MDCG Guidance”) » [Document d’orientation sur les cas limites entre les dispositifs médicaux et les médicaments au sens du règlement (UE) 2017/745, « document d’orientation GCDM »] (ci-après le
« document d’orientation GCDM »).
44 En effet, il ressort de la note de bas de page no 6 du document d’orientation GCDM, élaboré dans le cadre du règlement 2017/745, que les définitions figurant dans ce document, dont notamment celle de la notion de « moyens pharmacologiques », visent à préciser davantage les définitions des notions identiques figurant dans le document d’orientation Meddev, élaboré dans le cadre de la directive 93/42.
45 Selon le document d’orientation GCDM, cette notion correspond à une interaction, généralement au niveau moléculaire, entre une substance ou ses métabolites et une composante du corps humain, qui entraîne le déclenchement, le renforcement, la réduction ou le blocage de fonctions physiologiques ou de processus pathologiques.
46 Par ailleurs, il importe, en premier lieu, de souligner que la Cour a déjà considéré, dans le contexte de l’interprétation de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, qu’une substance dont les molécules n’interagissent pas avec une composante cellulaire humaine peut néanmoins, par son interaction avec d’autres composantes cellulaires présentes dans l’organisme de l’utilisateur, telles que des bactéries, des virus ou des parasites, avoir pour effet de restaurer, de corriger ou de
modifier des fonctions physiologiques chez l’homme, au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler, C‑308/11, EU:C:2012:548, point 31). Le document d’orientation GCDM précise, dans le même sens, qu’une « composante du corps humain » inclut toute composante cellulaire, y compris les agents pathogènes présents sur le corps ou à l’intérieur de celui-ci.
47 En deuxième lieu, il convient de relever que le type d’interaction exigé est défini dans les documents d’orientation MEDDEV et CGDM de manière relativement large, à savoir « entre les molécules » ou « généralement au niveau moléculaire », de sorte qu’il ne saurait, a priori, être exigé, ainsi que le soutient MCM Klosterfrau dans ses observations écrites, qu’une telle interaction donne lieu à une modification de la structure moléculaire de la composante cellulaire concernée.
48 Cette conclusion est confortée par la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle la notion de « médicament », au sens de la directive 2001/83, est d’interprétation large (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2007, Antroposana e.a., C‑84/06, EU:C:2007:535, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
49 Il convient, en outre, de relever que le point 1.2.2 du document d’orientation GCDM mentionne expressément les liaisons au moyen d’un pont d’hydrogène comme un exemple d’« interaction », au sens de la définition des « moyens pharmacologiques », étayant ainsi l’interprétation selon laquelle la liaison entre une substance et la composante cellulaire concernée au moyen d’un pont d’hydrogène constitue une interaction qui relève de la définition de la notion de « moyens pharmacologiques ».
50 En troisième lieu, il ne ressort ni des directives 2001/83 et 93/42 ni des documents d’orientation MEDDEV et CGDM que les molécules de la substance concernée devraient nécessairement interagir avec une composante cellulaire au moyen d’une liaison durable, de sorte qu’il ne saurait être exclu qu’une substance dont la liaison établie avec une composante cellulaire présente un caractère réversible puisse être considérée comme exerçant une action pharmacologique, au sens de l’article 1er, point 2,
sous b), de la directive 2001/83, en particulier eu égard à l’exigence d’interprétation large de la notion de « médicament », au sens de cette directive, rappelée au point 48 du présent arrêt.
51 En quatrième lieu, le critère, issu de la définition de la notion de « moyens pharmacologiques » dans le document d’orientation Meddev, en vertu duquel l’interaction doit donner lieu, notamment, au blocage de la réaction à un autre agent, doit être lu, ainsi qu’il découle du point 44 du présent arrêt, à la lumière de la définition de cette notion telle qu’elle figure dans le document d’orientation GCDM. Aux termes de cette dernière définition, l’interaction entre la substance concernée et la
composante cellulaire présente dans l’organisme de l’utilisateur doit entraîner « le déclenchement, le renforcement, la réduction ou le blocage de fonctions physiologiques ou de processus pathologiques ».
52 Or, il est constant que le processus par lequel une substance, en se liant à une bactérie, empêche cette dernière de se lier à une composante cellulaire humaine doit être considéré comme correspondant à un « blocage de processus pathologiques ».
53 Il découle des considérations qui précèdent qu’une substance qui, par une liaison réversible à des bactéries, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines doit être considérée comme exerçant une « action pharmacologique », au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83.
54 Cette interprétation est corroborée tant par le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition que par les objectifs poursuivis par la directive 2001/83.
55 En effet, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 2, de cette directive prévoit que, en cas de doute sur la classification correcte d’un produit susceptible de répondre à la fois à la définition de « médicament », au sens de ladite directive, et à la définition d’un produit régi par une autre législation de l’Union, la priorité doit être accordée à l’application de la même directive.
56 Ainsi que la Cour l’a relevé, la directive 2004/27, qui a introduit l’article 2, paragraphe 2, dans la directive 2001/83, prévoit, à son considérant 7, que, « [a]fin de prendre en compte, d’une part, l’émergence de nouvelles thérapies et, d’autre part, le nombre croissant de produits dits “frontière” entre le secteur des médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la définition du médicament pour éviter, lorsqu’un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais
pourrait aussi répondre à la définition d’autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable » [voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2023, Bundesrepublik Deutschland (Gouttes nasales), C‑495/21 et C‑496/21, EU:C:2023:34, point 30].
57 Partant, un produit qui répond à la définition de la notion de « médicament », visée à l’article 1er, point 2, sous a) ou b), de la directive 2001/83, doit se voir appliquer le régime juridique établi par cette directive et ne peut pas, par voie de conséquence, être qualifié de « dispositif médical », au sens de la directive 93/42 [arrêt du 19 janvier 2023, Bundesrepublik Deutschland (Gouttes nasales), C‑495/21 et C‑496/21, EU:C:2023:34, point 34 ainsi que jurisprudence citée].
58 S’agissant, enfin, des objectifs poursuivis par la directive 2001/83, il convient de rappeler que celle-ci vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine (arrêt du 13 octobre 2022, M2Beauté Cosmetics, C‑616/20, EU:C:2022:781, point 41), ce qui correspond également à l’objectif poursuivi par l’article 168 TFUE. Dans cette optique, ainsi qu’il découle du considérant 7 de la directive 2004/27, le champ d’application de la directive 2001/83 doit être interprété de manière à assurer
un niveau élevé d’exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité des médicaments à usage humain.
59 Dans ces conditions, une interprétation restrictive de la notion d’« action pharmacologique », au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83, telle qu’une interprétation excluant les interactions consistant, comme en l’occurrence, en une liaison réversible entre une substance et des bactéries au moyen d’un pont d’hydrogène, non seulement irait à l’encontre de la jurisprudence citée au point 48 du présent arrêt mais, en outre, serait de nature à mettre en péril l’objectif
poursuivi par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, M2Beauté Cosmetics, C‑616/20, EU:C:2022:781, point 41).
60 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83 doit être interprété en ce sens qu’une substance qui, par une liaison réversible à des bactéries, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines doit être considérée comme exerçant une « action pharmacologique », au sens de cette disposition.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004,
doit être interprété en ce sens que :
une substance qui, par une liaison réversible à des bactéries, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines doit être considérée comme exerçant une « action pharmacologique », au sens de cette disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.