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13/03/2025 | CJUE | N°C-266/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, CRRC Qingdao Sifang CO. Ltd et Astra Vagoane Călători SA contre Autoritatea pentru Reformă Feroviară et Alstom Ferroviaria SpA., 13/03/2025, C-266/22


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Passation de marchés publics dans l’Union européenne – Directive 2014/24/UE – Article 25 – Opérateurs économiques de pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union qui garantit, de manière réciproque et égale, l’accès aux marchés publics – Absence de droit de ces opérateurs économiques à un “traitement non moins favorable” – Exclusion d’un tel opérateur économique d’une procédure de passation d’un marché public,

en vertu d’une législation nationale –
Compétence exclusive de l’Union »

Dans l’affaire C‑266/22,

ayant pour obj...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 mars 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Passation de marchés publics dans l’Union européenne – Directive 2014/24/UE – Article 25 – Opérateurs économiques de pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union qui garantit, de manière réciproque et égale, l’accès aux marchés publics – Absence de droit de ces opérateurs économiques à un “traitement non moins favorable” – Exclusion d’un tel opérateur économique d’une procédure de passation d’un marché public, en vertu d’une législation nationale –
Compétence exclusive de l’Union »

Dans l’affaire C‑266/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 23 mars 2022, parvenue à la Cour le 20 avril 2022, dans la procédure

CRRC Qingdao Sifang Co. Ltd,

Astra Vagoane Călători SA

contre

Autoritatea pentru Reformă Feroviară,

Alstom Ferroviaria SpA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour CRRC Qingdao Sifang Co. Ltd et Astra Vagoane Călători SA, par Me D. Cristea, avocat,

– pour l’Autoritatea pentru Reformă Feroviară, par Mme D. Feraru, M. S. A. Roşeanu et Mme I.-D. Şohan, en qualité d’agents,

– pour Alstom Ferroviaria SpA, par Mes C. Ciolan et O. Gavrilă, avocates,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme J. Schmoll, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. A. Biolan, G. Gattinara, P. Ondrůšek et G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, point 13, de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 25 et de l’article 49 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant un consortium composé de CRRC Qingdao Sifang Co. Ltd et d’Astra Vagoane Călători SA (ci-après, ensemble, le « consortium ») à l’Autoritatea pentru Reformă Feroviară (autorité chargée de la réforme des chemins de fer, Roumanie) (ci-après l’« ARF ») et à Alstom Ferroviaria SpA, au sujet de la décision de l’ARF d’exclure ce consortium d’une procédure de passation d’un marché portant sur la fourniture de rames électriques et la
prestation de services de maintenance et de réparation de ces rames, au motif que CRRC Qingdao Sifang, qui est le leader dudit consortium, est une société établie en Chine.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2014/24

3 Les considérants 1 et 17 de la directive 2014/24 énoncent :

« (1) La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics
dépassant un certain montant, des dispositions devraient être élaborées pour coordonner les procédures nationales de passation de marchés afin de garantir que ces principes soient respectés en pratique et que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence.

[...]

(17) La décision 94/800/CE du Conseil [, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1)] a notamment approuvé l’accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les marchés publics [ci-après l’“AMP”]. Le but de l’AMP est d’établir un cadre multilatéral de droits et d’obligations équilibrés en matière
de marchés publics en vue de réaliser la libéralisation et l’expansion du commerce mondial. Pour les marchés relevant des annexes 1, 2, 4 et 5 et des notes générales relatives à l’Union européenne de l’appendice I de l’AMP ainsi que d’autres accords internationaux pertinents par lesquels l’Union est liée, les pouvoirs adjudicateurs devraient remplir les obligations prévues par ces accords en appliquant la présente directive aux opérateurs économiques des pays tiers qui en sont signataires. »

4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

10. “opérateur économique”, toute personne physique ou morale ou entité publique, ou tout groupement de ces personnes et/ou entités, y compris toute association temporaire d’entreprises, qui offre la réalisation de travaux et/ou d’ouvrages, la fourniture de produits ou la prestation de services sur le marché ;

[...]

13. “document de marché”, tout document fourni par le pouvoir adjudicateur ou auquel il se réfère afin de décrire ou de définir des éléments de la passation de marché ou de la procédure de passation de marché, y compris l’avis de marché, l’avis de préinformation lorsqu’il est utilisé en tant que moyen de mise en concurrence, les spécifications techniques, le document descriptif, les conditions contractuelles proposées, les formats de présentation des documents par les candidats et les
soumissionnaires, les informations sur les obligations généralement applicables et tout autre document additionnel ;

[...] »

5 Aux termes de l’article 7 de ladite directive, intitulé « Marchés passés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux » :

« La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics ni aux concours qui, dans le cadre de la directive 2014/25/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243)], sont passés ou organisés par des pouvoirs adjudicateurs exerçant une ou plusieurs des activités visées aux articles 8
à 14 de ladite directive et qui sont passés pour l’exercice de ces activités [...] »

6 L’article 18 de la directive 2014/24, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa, que les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

7 L’article 25 de cette directive, intitulé « Dispositions découlant de l’AMP et d’autres conventions internationales », est libellé comme suit :

« Dans la mesure où les annexes 1, 2, 4 et 5 et les notes générales relatives à l’Union européenne de l’appendice I de l’AMP ainsi que d’autres conventions internationales liant l’Union européenne le prévoient, les pouvoirs adjudicateurs accordent aux travaux, aux fournitures, aux services et aux opérateurs économiques des signataires de ces conventions un traitement non moins favorable que celui accordé aux travaux, aux fournitures, aux services et aux opérateurs économiques de l’Union. »

8 L’article 27 de ladite directive, intitulé « Procédure ouverte », dispose, à son paragraphe 1 :

« Dans une procédure ouverte, tout opérateur économique intéressé peut soumettre une offre en réponse à un appel à la concurrence.

[...] »

9 Aux termes de l’article 49 de la même directive, intitulé « Avis de marché » :

« Les avis de marché sont utilisés comme moyen d’appel à la concurrence pour toutes les procédures, sans préjudice de l’article 26, paragraphe 5, deuxième alinéa, et de l’article 32. Les avis de marché contiennent les informations prévues à l’annexe V, partie C, et sont publiés conformément à l’article 51. »

La directive 2014/25

10 Les considérants 2 et 27 de la directive 2014/25 énoncent :

« (2) En vue de garantir l’ouverture à la concurrence des marchés passés par les entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, il convient d’élaborer des dispositions pour coordonner les procédures de passation des marchés lorsque ceux-ci dépassent une certaine valeur. Cette coordination est nécessaire pour mettre en œuvre les principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et notamment la libre circulation des marchandises, la
liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. [...]

[...]

(27) La décision [94/800] a notamment approuvé l’[AMP]. Le but de l’AMP est d’établir un cadre multilatéral de droits et d’obligations équilibrés en matière de marchés publics en vue de réaliser la libéralisation et l’expansion du commerce mondial. Pour les marchés relevant des annexes 3, 4 et 5 et des notes générales relatives à l’Union européenne de l’appendice I de l’AMP ainsi que d’autres accords internationaux pertinents par lesquels l’Union est liée, les entités adjudicatrices devraient
remplir les obligations prévues par ces accords en appliquant la présente directive aux opérateurs économiques des pays tiers qui en sont signataires. »

11 L’article 11 de cette directive, intitulé « Services de transport », prévoit :

« La présente directive s’applique aux activités visant la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, systèmes automatiques, tramway, trolleybus, autobus ou câble.

En ce qui concerne les services de transport, il est considéré qu’un réseau existe lorsque le service est fourni dans les conditions déterminées par une autorité compétente d’un État membre, telles que les conditions relatives aux itinéraires à suivre, à la capacité de transport disponible ou à la fréquence du service. »

12 Aux termes de l’article 43 de ladite directive, intitulé « Dispositions découlant de l’AMP et d’autres conventions internationales » :

« Dans la mesure où les annexes 3, 4 et 5 et les notes générales relatives à l’Union européenne de l’appendice I de l’AMP ainsi que d’autres conventions internationales liant l’Union européenne le prévoient, les entités adjudicatrices au sens de l’article 4, paragraphe 1, point a), accordent aux travaux, aux fournitures, aux services et aux opérateurs économiques des signataires de ces conventions un traitement non moins favorable que celui accordé aux travaux, aux fournitures, aux services et
aux opérateurs économiques de l’Union. »

13 L’article 45 de la même directive, intitulé « Procédure ouverte », dispose, à son paragraphe 1 :

« Dans une procédure ouverte, tout opérateur économique intéressé peut soumettre une offre en réponse à un appel à la concurrence.

[...] »

Le droit roumain

14 L’article 3, paragraphe 1, sous jj), de la Legea nr. 98/2016 privind achiziţiile publice (loi no 98/2016 relative aux marchés publics), du 19 mai 2016 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 390 du 23 mai 2016), dans sa version en vigueur à la date du 3 avril 2020 (ci-après la « loi relative aux marchés publics »), définissait la notion d’« opérateur économique » comme étant « toute personne physique ou morale, de droit public ou privé, ou tout groupement ou association de ces personnes, y
compris toute association temporaire formée entre deux ou plusieurs de ces entités, qui offre licitement sur le marché la réalisation de travaux et/ou d’un ouvrage, la fourniture de produits ou la prestation de services ».

15 L’article 236 de la loi relative aux marchés publics dispose :

« 1.   La présente loi s’applique aux procédures de passation de marché lancées après la date de son entrée en vigueur.

2.   Les procédures de passation de marché en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi sont régies par la loi en vigueur à la date de début de la procédure de passation de marché.

3.   La présente loi s’applique aux marchés publics/accords-cadres conclus après la date de son entrée en vigueur.

4.   Les marchés publics/accords-cadres conclus avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi sont régis par la loi en vigueur à la date de leur conclusion pour tout ce qui concerne leur conclusion, leur modification, leur interprétation, leurs effets, leur exécution et leur cessation. »

16 L’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 25/2021 privind modificarea și completarea unor acte normative în domeniul achizițiilor publice (ordonnance d’urgence du gouvernement no 25/2021 modifiant et complétant certains actes normatifs dans le domaine des marchés publics), du 31 mars 2021 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 346 du 5 avril 2021, ci-après l’« OUG no 25/2021 »), entrée en vigueur le 5 avril 2021, a modifié plusieurs dispositions de la loi relative aux marchés publics.

17 Aux termes de l’article V de l’OUG no 25/2021 :

« Les procédures de passation de marché dans le cadre desquelles les opérateurs économiques ont soumis des offres à la date d’entrée en vigueur de la présente [ordonnance d’urgence du gouvernement] sont régies par la législation en vigueur à la date de leur enclenchement. »

18 L’article 3, paragraphe 1, sous jj), de la loi relative aux marchés publics, telle que modifiée par l’OUG no 25/2021, définit la notion d’« opérateur économique » comme étant « toute personne physique ou morale, de droit public ou privé, ou tout groupement ou association de ces personnes, y compris toute association temporaire formée entre deux ou plusieurs de ces entités, qui offre licitement sur le marché la réalisation de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services, et qui
est/sont établis/établies dans :

i) un État membre de l’[Union] ;

ii) un État membre de l’Espace économique européen (EEE) ;

iii) des pays tiers ayant ratifié [l’AMP], dans la mesure où le marché public passé relève des annexes 1, 2, 4 et 5, 6 et 7 de l’appendice I de l’AMP ;

iv) des pays tiers en voie d’adhésion à l’[Union] ;

v) des pays tiers qui ne relèvent pas du point iii), mais qui sont signataires d’autres accords internationaux en vertu desquels l’[Union] est tenue d’accorder le libre accès au marché dans le domaine des marchés publics ».

19 L’article 49 de la loi relative aux marchés publics, telle que modifiée par l’OUG no 25/2021, dispose :

« 1.   Les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

2.   Dans la mesure où les annexes 1, 2, 4 et 5, 6 et 7 de l’appendice I [...] de l’AMP ainsi que d’autres conventions internationales liant l’[Union] le prévoient, les pouvoirs adjudicateurs accordent aux travaux, aux fournitures, aux services et aux opérateurs économiques des signataires de ces conventions un traitement non moins favorable que celui accordé aux travaux, aux fournitures, aux services et aux opérateurs économiques de [l’Union]. »

20 L’article 53, paragraphe 1 bis, de la loi relative aux marchés publics, telle que modifiée par l’OUG no 25/2021, prévoit :

« Le pouvoir adjudicateur exclut de la procédure de passation de marché toute personne physique ou morale, ayant la qualité de soumissionnaire individuel/soumissionnaire associé/candidat/tiers garant/sous-traitant, qui ne relève pas de la définition figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous jj) [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

21 Le 3 avril 2020, l’ARF a lancé une procédure de passation d’un marché public, par appel d’offres ouvert, visant l’« achat de 20 nouvelles rames électriques interrégionales, dénommées RE-IR, et l’achat de services de maintenance et de réparation nécessaires au fonctionnement desdites rames ».

22 Le 19 avril 2021, deux opérateurs économiques, à savoir le consortium et Alstom Ferroviaria, ont soumis des offres.

23 Le 2 novembre 2021, l’ARF a publié le rapport final de la procédure de passation du marché public en cause, par lequel elle a exclu le consortium et a attribué le marché à Alstom Ferroviaria. Le motif d’exclusion était tiré de ce que le leader du consortium, CRRC Qingdao Sifang, ne relevait pas de la notion d’« opérateur économique », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous jj), de la loi relative aux marchés publics, telle que modifiée par l’OUG no 25/2021, eu égard à la circonstance que son
siège statutaire se trouve en Chine.

24 Le 11 novembre 2021, contestant son exclusion, le consortium a introduit un recours devant le Consiliul Național de Soluționare a Contestațiilor (conseil national pour la résolution des contestations, Roumanie) (ci-après le « CNSC »). Dans le cadre de ce recours, ce consortium a fait valoir que cette exclusion, fondée sur l’application rétroactive de l’OUG no 25/2021, est contraire à la Constitution roumaine et au droit de l’Union.

25 Par décision du 31 janvier 2022, le CNSC a rejeté ce recours pour les motifs suivants.

26 En premier lieu, cet organe a relevé que la République populaire de Chine ne remplissait aucune des conditions prévues à l’article 3, paragraphe 1, sous jj), i) à v), de la loi relative aux marchés publics, telle que modifiée par l’OUG no 25/2021.

27 En deuxième lieu, le CNSC a constaté que le consortium avait soumis son offre le 19 avril 2021, à savoir après l’entrée en vigueur, le 5 avril 2021, de l’OUG no 25/2021.

28 En troisième lieu, cet organe a souligné que, aux termes de l’article V de l’OUG no 25/2021, seules les procédures de passation des marchés publics dans le cadre desquelles les opérateurs économiques ont soumis des offres avant la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance d’urgence du gouvernement sont régies par la législation en vigueur à la date à laquelle ces procédures ont été initiées. En revanche, les procédures de passation des marchés publics dans le cadre desquelles aucune offre n’a
été soumise à la date du 5 avril 2021, date d’entrée en vigueur de l’OUG no 25/2021, seraient régies par celle-ci.

29 Le 14 février 2022, le consortium a introduit un recours contre la décision du CNSC devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.

30 Dans le cadre de son recours, le consortium a fait valoir que la modification des règles d’une procédure de passation d’un marché public, au cours de cette procédure, constitue une violation de plusieurs principes du droit de l’Union, notamment le principe de protection de la confiance légitime, le principe de sécurité juridique, le principe de non-rétroactivité, le principe de transparence et le principe de l’égalité de traitement.

31 La juridiction de renvoi estime que l’OUG no 25/2021 a modifié le cadre légal en matière de marchés publics et redéfini certaines règles générales de participation aux procédures de passation des marchés publics, conformément à l’article 25 de la directive 2014/24, lequel prévoirait l’obligation pour les États membres de garantir l’égalité de traitement, avec les opérateurs économiques des États membres, pour les seuls opérateurs économiques des pays tiers signataires des accords auxquels cette
disposition se réfère.

32 Dans le préambule de l’OUG no 25/2021, le gouvernement roumain aurait évoqué une tendance, au cours des années précédentes, à l’augmentation du nombre de soumissionnaires de pays tiers participant aux procédures de passation de marchés publics, lesquels offriraient des garanties moindres quant au respect de certaines exigences telles que les normes de qualité certifiées, les normes environnementales et de développement durable, les exigences relatives aux conditions de travail et à la protection
sociale ainsi que les politiques de concurrence.

33 La juridiction de renvoi constate que l’article 25 de la directive 2014/24 n’opère pas de distinction, en ce qui concerne le traitement des opérateurs économiques visés à cette disposition, en fonction du moment auquel ces opérateurs ont soumis leurs offres dans le cadre des procédures de passation des marchés publics auxquelles ils participent.

34 Cette juridiction se demande dans quelle mesure le respect, d’une part, des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, tels que consacrés par le droit de l’Union, ainsi que, d’autre part, des principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité, prévus à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, point 13, et l’article 49 de celle-ci, est assuré lorsqu’un soumissionnaire est exclu sur
la base d’un acte normatif ayant force de loi et modifiant, après la publication de l’avis de marché, la définition de la notion d’« opérateur économique » en droit national.

35 Dans ces conditions, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les principes de sécurité [juridique] et de protection de la confiance légitime s’opposent-ils à une législation nationale transposant l’article 25 de la [directive 2014/24], à compter du 5 avril 2021, et prévoyant que les opérateurs économiques qui ne relèvent pas de ces dispositions du droit de l’Union peuvent continuer à participer aux procédures de passation de marché uniquement s’ils ont soumis des offres avant la date d’entrée en vigueur de cette modification législative ?

2) Les principes d’égalité de traitement, de transparence et de proportionnalité, prévus à l’article 18, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, point 13, et l’article 49 de la directive 2014/24, s’opposent-ils à l’exclusion d’un soumissionnaire sur le fondement d’un acte normatif ayant force de loi adopté par le gouvernement de l’État membre qui institue une règle nouvelle modifiant la définition de l’opérateur économique, après la publication de l’avis de marché
correspondant à la procédure de passation de marché à laquelle il participe ? »

La procédure devant la Cour

36 Par décision du président de la quatrième chambre du 28 septembre 2023, la procédure dans la présente affaire a, en vertu de l’article 55 du règlement de procédure de la Cour, été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir dans l’affaire C‑652/22, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret.

37 Le 23 octobre 2024, à la suite de l’arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret (C‑652/22, EU:C:2024:910), la procédure a été reprise.

Sur la compétence de la Cour

38 L’ARF et Alstom Ferroviaria soutiennent que la Cour n’est pas compétente pour examiner les questions posées, dès lors que celles-ci portent, en réalité, non pas sur l’interprétation du droit de l’Union, mais sur l’interprétation de règles de droit national et sur l’appréciation des faits, ce qui relève de la compétence exclusive du juge national.

39 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel, notamment, sur l’interprétation du droit de l’Union.

40 En l’occurrence, il n’est pas contestable que les questions posées visent l’interprétation de dispositions et de principes du droit de l’Union.

41 Partant, la Cour est compétente pour répondre à ces questions.

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

42 L’ARF et Alstom Ferroviaria soutiennent que les questions posées sont irrecevables dès lors qu’elles seraient dépourvues de pertinence pour résoudre le litige au principal. À cet égard, l’ARF observe que CRRC Qingdao Sifang, qui a été exclue de la procédure de passation du marché public en cause au principal, est établie sur le territoire de la République populaire de Chine, laquelle n’a pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics. Il
s’ensuivrait que cette société ne relève pas du champ d’application de la directive 2014/24.

43 Il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En
conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du
litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 16 janvier 2025, Banco de Santander (Représentation des consommateurs individuels), C‑346/23, EU:C:2025:13, point 34 et jurisprudence citée].

44 Or, en l’occurrence, les conditions pouvant conduire la Cour à refuser de statuer sur les questions posées ne sont pas remplies.

45 En effet, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le droit de l’Union s’oppose à l’exclusion du consortium de la procédure de passation du marché public en cause au principal, en application d’une législation nationale ayant modifié la notion d’« opérateur économique » en vue de transposer l’article 25 de la directive 2014/24. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union est manifestement dépourvue de rapport avec la réalité ou l’objet du
litige au principal ou que le problème soulevé est de nature hypothétique.

46 Il ressort, certes, des points 45, 51 et 67 de l’arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret (C‑652/22, EU:C:2024:910), que, dans une situation caractérisée par la participation à une procédure de passation d’un marché public dans l’Union d’un opérateur économique d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés public, cet opérateur économique ne saurait se prévaloir des règles relatives à la passation
de marchés publics contenues dans la législation de l’Union, telles que l’article 18 de la directive 2014/24. Les règles relatives à la passation de marchés publics contenues dans ces directives ne pouvant s’appliquer à l’offre soumise par un opérateur économique d’un tel pays tiers, leur interprétation ne saurait être pertinente pour résoudre un litige introduit par cet opérateur économique aux fins de contester la manière avec laquelle ces règles auraient été appliquées dans la procédure de
passation en cause. Partant, dans le cadre d’un tel litige, une demande de décision préjudicielle par laquelle la juridiction de renvoi cherche à obtenir une telle interprétation est irrecevable.

47 Toutefois, lorsque, comme en l’occurrence, le litige porte sur la question de savoir selon quelles modalités un opérateur économique d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics peut être exclu d’une procédure de passation d’un marché public dans l’Union, l’introduction d’une demande de décision préjudicielle visant l’interprétation de dispositions ou de principes du droit de l’Union qui pourraient, selon la
juridiction de renvoi, régir cette question, est susceptible d’être pertinente pour résoudre le litige porté devant elle.

48 Il s’ensuit que les questions posées dans la présente affaire sont recevables.

Sur les questions préjudicielles

49 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique ainsi que l’article 18, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, point 13, et l’article 49 de la directive 2014/24, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un opérateur économique d’un pays tiers n’ayant pas conclu avec l’Union un accord international visé à l’article 25
de cette directive soit exclu d’une procédure de passation d’un marché public organisée dans un État membre, sur le fondement d’une législation nationale entrée en vigueur après la publication de l’avis de marché, mais avant que cet opérateur économique ait soumis son offre.

Observations liminaires

50 À titre liminaire, il convient de relever que, eu égard à l’objet de la procédure de passation du marché public en cause au principal, à savoir l’acquisition de rames destinées au transport ferroviaire ainsi que de services de maintenance et de réparation, cette procédure est susceptible de relever non pas du champ d’application de la directive 2014/24, à laquelle se réfère la demande de décision préjudicielle, mais de celui de la directive 2014/25.

51 En effet, conformément à l’article 7 de la directive 2014/24, le champ d’application de celle-ci ne s’étend pas aux marchés publics dans le secteur des services de transport, tel que défini à l’article 11 de la directive 2014/25 (arrêt du 1er août 2022, Roma Multiservizi et Rekeep, C‑332/20, EU:C:2022:610, point 64).

52 L’article 11 de la directive 2014/25, intitulé « Services de transport », précise, à son premier alinéa, que cette directive s’applique aux activités visant la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public, notamment, dans le domaine du transport par chemin de fer. Aux termes du second alinéa de cet article, un réseau existe lorsque le service de transport est fourni dans les conditions déterminées par une autorité compétente d’un État membre, telles que
les conditions relatives aux itinéraires à suivre, à la capacité de transport disponible ou à la fréquence du service.

53 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si la procédure de passation du marché public en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2014/25 en vertu de l’article 11 de celle-ci, auquel cas cette procédure ne relèverait pas du champ d’application de la directive 2014/24, conformément à l’article 7 de cette dernière directive.

54 Cela étant précisé, l’article 25 de la directive 2014/24 est rédigé en des termes équivalents à ceux de l’article 43 de la directive 2014/25.

55 Partant, la circonstance que cette procédure puisse relever non pas de la directive 2014/24, mais de la directive 2014/25, n’est pas susceptible d’avoir une incidence sur l’examen des questions posées. En effet, cet examen, qui sera effectué au regard de l’article 25 de la directive 2014/24, doit être considéré comme étant fait également au regard de l’article 43 de la directive 2014/25, au cas où la juridiction de renvoi décide que la procédure de passation du marché public en cause au principal
relève de cette dernière directive.

Sur le fond

56 L’Union est liée, à l’égard de certains pays tiers, par des accords internationaux, notamment l’AMP, qui garantissent, de manière réciproque et égale, l’accès des opérateurs économiques de l’Union aux marchés publics dans ces pays tiers et celui des opérateurs économiques desdits pays tiers aux marchés publics dans l’Union. L’article 25 de la directive 2014/24 reflète ces engagements internationaux de l’Union en disposant que, dans la mesure où l’AMP ou d’autres conventions internationales liant
l’Union le prévoient, les entités adjudicatrices des États membres doivent accorder aux opérateurs économiques des pays tiers qui sont parties à un tel accord un traitement non moins favorable que celui accordé aux opérateurs économiques de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, points 41 et 42).

57 D’autres pays tiers n’ont, jusqu’à présent, pas conclu avec l’Union un tel accord international. Parmi ceux-ci figure la République populaire de Chine.

58 Le droit conféré, par l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2014/24, à « tout opérateur économique intéressé » de soumettre une offre en réponse à un appel à la concurrence dans le cadre d’une procédure ouverte de passation d’un marché public dans l’Union ne s’étend pas aux opérateurs économiques de ces pays tiers n’ayant pas conclu un tel accord international avec l’Union. Interpréter différemment cette disposition et, ainsi, prêter une portée illimitée au champ d’application personnel de
cette directive reviendrait, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 65 à 73 de ses conclusions, à garantir aux opérateurs économiques de ces pays tiers un accès égal aux procédures de passation de marchés publics dans l’Union. Cela aurait pour effet de leur conférer un droit à un traitement non moins favorable en méconnaissance de l’article 25 de cette directive, lequel circonscrit le bénéfice de ce droit aux opérateurs économiques de pays tiers ayant conclu avec l’Union
un accord international tel que ceux visés par cet article (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, points 46 et 47).

59 Il s’ensuit que la directive 2014/24 doit être comprise en ce sens que l’accès des opérateurs économiques des pays tiers visés au point 57 du présent arrêt aux procédures de passation de marchés publics dans l’Union n’est pas garanti. Cela implique que ces opérateurs peuvent soit être exclus de ces procédures, soit y être admis tout en ne pouvant pas se prévaloir de cette directive et exiger un traitement égal de leur offre par rapport à celles présentées par les soumissionnaires des États
membres et par les soumissionnaires des pays tiers visés à l’article 25 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, points 45 et 47).

60 Tout acte de portée générale ayant pour objet spécifique de déterminer, pour les opérateurs économiques d’un pays tiers, ces modalités d’exclusion ou d’accès relève de la compétence exclusive de l’Union au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE dans le domaine de la politique commerciale commune. Tel est le cas des actes qui, en l’absence d’accord conclu entre l’Union et un pays tiers, déterminent unilatéralement si et, le cas échéant, selon quelles modalités les opérateurs économiques
de ce pays tiers peuvent participer aux procédures de passation de marchés publics dans l’Union. En effet, à l’instar de tels accords, ces actes unilatéraux ont des effets directs et immédiats sur les échanges de marchandises et de services entre ledit pays tiers et l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 57).

61 Il s’ensuit que seule l’Union est compétente pour adopter un acte de portée générale concernant l’accès, en son sein, aux procédures de passation de marchés publics des opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics, en instaurant soit un régime d’accès garanti à ces procédures pour ces opérateurs économiques, soit un régime qui exclut ceux-ci ou qui prévoit un ajustement du résultat issu de
la comparaison de leurs offres avec celles soumises par d’autres opérateurs économiques (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 61).

62 En effet, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, dans les domaines de compétence exclusive de l’Union, seule celle-ci peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s’ils y sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union. Or, l’Union n’a pas habilité les États membres à légiférer ou à adopter des actes juridiquement contraignants concernant l’accès aux procédures de passation de marchés
publics des opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union. L’Union n’a pas non plus, jusqu’à présent, adopté d’actes de cette nature que les États membres pourraient mettre en œuvre (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 62).

63 En l’absence d’actes adoptés par l’Union, il appartient au pouvoir adjudicateur d’évaluer s’il convient d’admettre à une procédure de passation d’un marché public les opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics et, au cas où elle décide une telle admission, s’il convient de prévoir un ajustement du résultat issu de la comparaison entre les offres faites par ces opérateurs et celles
soumises par d’autres opérateurs (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 63).

64 En l’occurrence, il n’existait pas de disposition de droit de l’Union qui imposait d’admettre aux procédures de passation de marchés publics ou d’exclure de celles-ci les opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics. Au regard des règles rappelées aux points 60 à 62 du présent arrêt, selon lesquelles il est, en l’absence d’habilitation par l’Union ou d’acte de l’Union pouvant être mis en
œuvre, interdit aux États membres de légiférer dans le domaine de la politique commerciale commune, la législation nationale en cause au principal imposant au pouvoir adjudicateur d’exclure ces opérateurs économiques ne pouvait pas être appliquée. Il appartenait au pouvoir adjudicateur de décider, dans les conditions visées au point précédent du présent arrêt, s’il convenait d’admettre ou d’exclure le consortium.

65 Dans ces conditions, il est sans pertinence que cette législation nationale soit entrée en vigueur après la publication de l’avis de marché, mais avant que l’opérateur économique chinois ait soumis son offre.

66 Il convient, au demeurant, de souligner que, étant donné que les opérateurs économiques des pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union garantissant l’accès égal et réciproque aux marchés publics ne bénéficient pas d’un droit au traitement non moins favorable en vertu de l’article 25 de la directive 2014/24, il est loisible au pouvoir adjudicateur d’exposer, dans les documents de marché, des modalités de traitement qui visent à refléter la différence objective entre la
situation juridique de ces opérateurs, d’une part, et celle des opérateurs économiques de l’Union et des pays tiers ayant conclu avec l’Union un tel accord, au sens de cet article 25, d’autre part. S’il est concevable que ces modalités de traitement doivent être conformes à certains principes et exigences, tels que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, un recours tendant à dénoncer la méconnaissance de tels principes par le pouvoir adjudicateur ne peut
être examiné qu’à la lumière du droit national et non à celle du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, points 64 et 66).

67 Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE, qui confère à l’Union une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, en l’absence d’un acte de l’Union imposant ou interdisant l’accès aux procédures de passation de marchés publics des opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas
conclu avec l’Union un accord international visé à l’article 25 de la directive 2014/24, un pouvoir adjudicateur d’un État membre exclue un opérateur économique d’un tel pays tiers sur le fondement d’un acte législatif que cet État membre a adopté sans y avoir été habilité par l’Union, la circonstance que cet acte législatif est entré en vigueur après la publication de l’avis de marché étant sans incidence à cet égard.

Sur les dépens

68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  L’article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE, qui confère à l’Union une compétence exclusive en matière de politique commerciale commune, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, TFUE,

  doit être interprété en ce sens que :

  il s’oppose à ce que, en l’absence d’un acte de l’Union imposant ou interdisant l’accès aux procédures de passation de marchés publics des opérateurs économiques d’un pays tiers n’ayant pas conclu avec l’Union un accord international visé à l’article 25 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, un pouvoir adjudicateur d’un État membre exclue un opérateur économique d’un tel pays
tiers sur le fondement d’un acte législatif que cet État membre a adopté sans y avoir été habilité par l’Union, la circonstance que cet acte législatif est entré en vigueur après la publication de l’avis de marché étant sans incidence à cet égard.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-266/22
Date de la décision : 13/03/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel București.

Renvoi préjudiciel – Passation de marchés publics dans l’Union européenne – Directive 2014/24/UE – Article 25 – Opérateurs économiques de pays tiers n’ayant pas conclu d’accord international avec l’Union qui garantit, de manière réciproque et égale, l’accès aux marchés publics – Absence de droit de ces opérateurs économiques à un “traitement non moins favorable” – Exclusion d’un tel opérateur économique d’une procédure de passation d’un marché public, en vertu d’une législation nationale – Compétence exclusive de l’Union.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : CRRC Qingdao Sifang CO. Ltd et Astra Vagoane Călători SA
Défendeurs : Autoritatea pentru Reformă Feroviară et Alstom Ferroviaria SpA.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:178

Source

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