ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
6 mars 2025 ( *1 )
« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union – Directive (UE) 2019/1937 – Article 26, paragraphes 1 et 3 – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire – Critères d’établissement du montant de la sanction – Application automatique d’un coefficient de gravité »
Dans l’affaire C‑155/23,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 14 mars 2023,
Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et A. Tokár, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, la Commission européenne demande à la Cour :
– de constater que, en n’ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (JO 2019, L 305, p. 17), et en ne les ayant pas communiqué à la Commission, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de cette directive ;
– de condamner la Hongrie à payer à la Commission une somme forfaitaire correspondant au plus élevé des deux montants suivants :
– un montant forfaitaire journalier de 3500 euros multiplié par le nombre de jours compris entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive 2019/1937 fixé par celle-ci et la date de la cessation de l’infraction ou, à défaut de régularisation, la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire ;
– un montant forfaitaire minimal de 980000 euros ;
– si le manquement constaté au premier tiret persiste jusqu’au prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, de condamner la Hongrie à payer une astreinte de 13650 euros par jour de retard à compter de la date du prononcé de cet arrêt et jusqu’au respect par la Hongrie des obligations découlant de la directive 2019/1937 ;
– de condamner la Hongrie aux dépens.
Le cadre juridique
La directive 2019/1937
2 Les considérants 1 et 33 de la directive 2019/1937 énoncent :
« (1) [...] [L]es lanceurs d’alerte potentiels sont souvent dissuadés de signaler leurs inquiétudes ou leurs soupçons par crainte de représailles. Dans ce contexte, l’importance d’assurer une protection équilibrée et efficace des lanceurs d’alerte est de plus en plus reconnue tant au niveau de l’Union [européenne] qu’au niveau international.
[...]
(33) Un auteur de signalement se sent généralement plus à l’aise d’effectuer un signalement en interne, sauf s’il a des raisons de le faire à l’extérieur. Des études empiriques montrent que les lanceurs d’alerte, dans leur majorité, ont tendance à effectuer un signalement en interne, au sein de l’organisation dans laquelle ils travaillent. Le signalement en interne est aussi le meilleur moyen de faire en sorte que l’information parvienne aux personnes qui peuvent contribuer à la résolution rapide
et efficace des risques pour l’intérêt public. Dans le même temps, l’auteur de signalement devrait pouvoir choisir le canal de signalement le plus approprié en fonction des circonstances particulières de l’affaire [...] »
3 Aux termes de l’article 1er de cette directive :
« La présente directive a pour objet de renforcer l’application du droit et des politiques de l’Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union. »
4 L’article 8 de ladite directive est ainsi rédigé :
« 1. Les États membres veillent à ce que les entités juridiques des secteurs privé et public établissent des canaux et des procédures pour le signalement interne et pour le suivi, après consultation des partenaires sociaux et en accord avec ceux-ci lorsque le droit national le prévoit.
[...]
9. Le paragraphe 1 s’applique à toutes les entités juridiques du secteur public, y compris toute entité appartenant à de telles entités ou contrôlée par de telles entités.
[...] »
5 L’article 23, paragraphe 1, de la même directive dispose :
« Les États membres prévoient des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables aux personnes physiques ou morales qui :
[...]
c) intentent des procédures abusives contre les personnes visées à l’article 4 ;
[...] »
6 L’article 26 de la directive 2019/1937 prévoit :
« 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 17 décembre 2021.
[...]
3. Lorsque les États membres adoptent les dispositions visées aux paragraphes 1 et 2, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. Les États membres communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »
La communication de 2023
7 La communication de la Commission 2023/C 2/01, intitulée « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (JO 2023, C 2, p. 1, ci‑après la « communication de 2023 »), consacre ses points 3 et 4 respectivement à l’« astreinte » et à la « somme forfaitaire ».
8 Le point 3.2 de la communication de 2023, relatif à l’application du coefficient de gravité dans le cadre du calcul de l’astreinte journalière, dispose :
« Une infraction relative à [...] l’absence de communication de mesures de transposition d’une directive adoptée dans le cadre d’une procédure législative est toujours considérée comme grave. Afin d’adapter le montant de la sanction aux circonstances particulières de l’espèce, la Commission détermine le coefficient de gravité sur la base de deux paramètres : l’importance des règles de l’Union enfreintes ou non transposées et les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou
particulier.
[...] »
9 Le point 3.2.2 de cette communication énonce :
« Pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], la Commission applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les mesures de transposition. Dans une Union fondée sur le respect de l’[É]tat de droit, toutes les directives législatives doivent être considérées comme étant d’une importance égale et doivent être intégralement transposées par les États membres dans les délais qui y sont fixés.
En cas de manquement partiel à l’obligation de communiquer les mesures de transposition, l’importance de la lacune de transposition doit être prise en considération lors de la fixation d’un coefficient de gravité qui sera inférieur à 10. En outre, les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou particulier pourraient être pris en compte [...] »
10 Aux termes du point 3.3 de ladite communication, intitulé « Application du coefficient de durée » :
« [...]
Le coefficient de durée est exprimé sous la forme d’un multiplicateur compris entre 1 et 3. Il est calculé à un taux de 0,10 par mois à compter de la date du premier arrêt ou du jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive en question.
[...] »
11 Le point 3.4 de la même communication, intitulé « Capacité de paiement de l’État membre », prévoit :
« [...]
Le niveau de sanction requis pour produire un effet dissuasif variera en fonction de la capacité de paiement des États membres. Cet effet dissuasif se reflète dans le facteur n. Il se définit comme une moyenne géométrique pondérée du produit intérieur brut (PIB) [...] de l’État membre concerné par rapport à la moyenne des PIB des États membres, dont le poids est égal à deux, et de la population de l’État membre concerné par rapport à la moyenne de la population des États membres, dont le poids
est égal à un. Cela représente la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres :
Image
[...]
La Commission a [...] décidé de revoir sa méthode de calcul du facteur n, qui repose désormais principalement sur le PIB des États membres et, à titre subsidiaire, sur leur population en tant que critère démographique permettant de maintenir un écart raisonnable entre les différents États membres. La prise en compte de la population des États membres pour un tiers du calcul du facteur n réduit dans une mesure raisonnable la variation des facteurs n des États membres en comparaison avec un calcul
fondé uniquement sur le PIB des États membres. Elle ajoute également un élément de stabilité dans le calcul du facteur n, étant donné qu’il est peu probable que la population varie de manière significative sur une base annuelle. En revanche, le PIB d’un État membre est susceptible de connaître des fluctuations annuelles plus importantes, en particulier en période de crise économique. Dans le même temps, étant donné que le PIB de l’État membre représente encore deux tiers du calcul, il demeure le
facteur prédominant aux fins de l’évaluation de sa capacité de paiement.
[...] »
12 Le point 4.2 de la communication de 2023 précise la méthode de calcul de la somme forfaitaire comme suit :
« La somme forfaitaire est calculée d’une manière globalement similaire à la méthode de calcul de l’astreinte, à savoir :
– en multipliant un forfait par un coefficient de gravité ;
– en multipliant le résultat par le facteur n ;
– en multipliant le résultat par le nombre de jours de persistance de l’infraction [...]
[...] »
13 Le point 4.2.1 de cette communication prévoit :
« Aux fins du calcul de la somme forfaitaire, le montant journalier doit être multiplié par le nombre de jours de persistance de l’infraction. Ce nombre de jours est défini comme suit :
[...]
– pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], il s’agit du nombre de jours compris entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive concernée et la date à laquelle l’infraction prend fin ou, à défaut de régularisation, la date du prononcé de l’arrêt au titre de l’article 260 [TFUE].
[...] »
14 Aux termes du point 4.2.2 de ladite communication :
« Pour le calcul de la somme forfaitaire, la Commission applique le même coefficient de gravité et le même facteur n fixe que pour le calcul de l’astreinte [...]
Le forfait de la somme forfaitaire est inférieur à celui des astreintes. [...]
Le forfait applicable à la somme forfaitaire est fixé au point 2 de l’annexe I.
[...] »
15 L’annexe I de la même communication, intitulée « Données servant au calcul des sanctions financières proposées à la Cour », prévoit, à son point 2, que le forfait de la somme forfaitaire mentionné au point 4.2.2 de la communication de 2023 est fixé à 1000 euros par jour, ce qui correspond à un tiers du forfait de l’astreinte, et, à son point 3, que le facteur « n » pour la Hongrie est fixé à 0,35. Au point 5 de cette annexe I, il est précisé que la somme forfaitaire minimale fixée pour cet État
membre s’élève à 980000 euros.
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
16 Le 27 janvier 2022, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la Hongrie, lui reprochant de ne pas lui avoir communiqué les dispositions législatives, réglementaires ou administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/1937, dont le délai de transposition avait expiré le 17 décembre 2021. Dans ses réponses du 18 mars et du 3 mai 2022, la Hongrie a informé la Commission que les dispositions requises étaient en cours d’élaboration, la transposition de cette directive
en droit national nécessitant l’élaboration d’une nouvelle loi et d’une réglementation sous forme de décret gouvernemental. La promulgation de cette loi était envisagée pour la fin du mois de novembre 2022.
17 En l’absence de communication ultérieure relative à la transposition de la directive 2019/1937, la Commission a, le 22 juillet 2022, adressé un avis motivé à la Hongrie, par lequel elle l’invitait à se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit avis.
18 Le 13 septembre 2022, la Hongrie a notifié à la Commission la loi no CLXV de 2013, relative aux plaintes et aux signalements d’intérêt public, et le décret gouvernemental no 50/2013 (II.25), sur le système de gestion de l’intégrité au sein des organes de l’administration publique et les modalités d’accueil des représentants d’intérêts, en tant que dispositions permettant la transposition partielle de la directive 2019/1937.
19 Dans sa réponse à l’avis motivé datée du 15 septembre 2022, la Hongrie a indiqué que l’élaboration du projet de loi permettant la transposition complète de cette directive était en cours.
20 Considérant que cet État membre ne s’était toujours pas conformé à ses obligations, la Commission a décidé, le 14 mars 2023, de saisir la Cour du présent recours.
21 Par décision du président de la Cour du 7 janvier 2024, la procédure a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir dans l’affaire C‑147/23. À la suite du prononcé de l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346), la procédure dans la présente affaire a été reprise par décision du président de la Cour du même jour.
22 Par acte du 30 septembre 2024, la Commission a informé la Cour que la transposition de la directive 2019/1937 par la Hongrie pouvait être considérée comme ayant été achevée le 24 juillet 2023, date d’entrée en vigueur de la loi no XXV de 2023, sur les règles relatives aux plaintes, aux signalements d’intérêt public et aux lanceurs d’alerte, ainsi que du décret gouvernemental no 225/2023, du 8 juin 2023, portant désignation des organes gouvernementaux tenus de créer un système distinct de
signalement des abus. Partant, cette institution, d’une part, s’est partiellement désistée de son recours, renonçant à sa demande de fixation d’une astreinte, et, d’autre part, a adapté ses conclusions tendant à la condamnation de cet État membre au paiement d’une somme forfaitaire, demandant à ce titre un montant de 2040500 euros.
Sur le recours
Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE
Argumentation des parties
23 La Commission rappelle que, en application de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, les États membres sont tenus d’adopter les dispositions nécessaires pour la transposition des directives dans leur système juridique national, dans les délais prescrits dans ces directives, et de lui communiquer immédiatement ces dispositions.
24 Cette institution précise que l’existence de tout manquement à ces obligations doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé qu’elle lui a adressé.
25 Or, en l’occurrence, la Hongrie n’aurait pas adopté lesdites dispositions ni informé la Commission de leur adoption avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 22 juillet 2022.
26 La Hongrie indique que la loi no XXV de 2023 a été publiée le 25 mai 2023 pour entrer en vigueur le 60e jour suivant cette date. Elle précise que c’est également à cette date que devait entrer en vigueur le décret gouvernemental no 225/2023, adopté en vertu de l’habilitation donnée par la loi no XXV de 2023. Cet État membre fait également valoir qu’il a pris des mesures pour notifier cette loi à la Commission immédiatement après sa publication, soit le 26 mai 2023. Par conséquent, la Hongrie
considère que la transposition de la directive 2019/1937 était achevée à la date d’entrée en vigueur de ladite loi et du décret gouvernemental no 225/2023 y afférent, de sorte que le recours de la Commission devrait être rejeté.
27 À titre subsidiaire, la Hongrie rappelle que, au cours de la procédure précontentieuse, elle a notifié à la Commission la loi no CLXV de 2013 en tant que mesure de transposition partielle de la directive 2019/1937. À cet égard, se fondant sur l’arrêt du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux) (C‑550/18, EU:C:2020:564), la Hongrie fait valoir que l’absence de référence à cette directive dans les dispositions nationales notifiées ne fait pas obstacle à leur
prise en compte en tant que mesures de transposition partielle, dès lors que la référence à ladite directive constituerait une simple formalité.
28 Dans son mémoire en réplique, la Commission indique que la loi no XXV de 2023 et le décret gouvernemental no 225/2023 qui lui ont été notifiés par la Hongrie en tant que dispositions permettant la transposition de la directive 2019/1937 n’étaient pas entrés en vigueur au jour du dépôt de ce mémoire, à savoir le 12 juillet 2023.
29 En outre, en ce qui concerne les dispositions de la législation existante notifiées par la Hongrie au cours de la procédure précontentieuse, la Commission relève qu’aucun tableau de correspondance ne lui a été transmis par cet État membre. Or, un tel document serait d’autant plus crucial que les dispositions notifiées seraient issues d’une législation vaste et générale, ne permettant pas à elles seules à la Commission d’apprécier leur pertinence en tant que mesures de transposition des
dispositions de la directive 2019/1937.
30 En tout état de cause, la Commission rappelle que la transposition d’une directive doit résulter d’un acte positif contenant une référence à cette directive. Il ne s’agirait pas d’une simple formalité, une telle référence permettant aux bénéficiaires des droits qu’ils tirent de la mesure de transposition de connaître son origine et les conséquences qui en découlent.
31 Dans son mémoire en duplique, la Hongrie relève qu’elle a transmis à la Commission, le 14 juin 2023, un tableau de correspondance indiquant les dispositions de droit interne visant à transposer la directive 2019/1937.
32 En outre, la Commission ne saurait conclure à l’absence de transposition ou à l’absence de toute notification de dispositions de transposition au seul motif que les dispositions qui lui ont été notifiées ne contiennent pas de référence à cette directive.
33 Enfin, cet État membre indique, dans ses observations du 4 novembre 2024 en réponse aux conclusions additionnelles de la Commission du 30 septembre 2024, que cette institution ne saurait maintenir sa demande relative à la condamnation de cet État membre au paiement d’une somme forfaitaire, eu égard aux différents actes de transposition de la directive 2019/1937 qui lui avaient été notifiés avant l’adoption de la loi no XXV de 2023 et du décret gouvernemental no 225/2023.
Appréciation de la Cour
34 Aux termes de l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937, les États membres devaient, au plus tard le 17 décembre 2021, mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci. En outre, l’article 26, paragraphe 3, de cette directive précise que, lorsque les États membres adoptent ces dispositions nationales, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de
leur publication officielle. De surcroît, en vertu de cet article 26, paragraphe 3, il appartenait aux États membres de communiquer à la Commission le texte desdites dispositions nationales.
35 Conformément à une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 28 et jurisprudence citée].
36 La Cour a par ailleurs itérativement jugé que si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause [arrêt du 14 mars 2024, Commission/Lettonie (Code des
communications électroniques européen), C-454/22, EU:C:2024:235, point 33 et jurisprudence citée].
37 En l’espèce, après avoir constaté que la Hongrie ne lui avait pas communiqué les dispositions nécessaires à la transposition de la directive 2019/1937, la Commission a adressé à cet État membre, le 22 juillet 2022, un avis motivé, l’invitant à se conformer, dans un délai de deux mois qui courait à compter de la réception de celui-ci, aux obligations visées dans cet avis.
38 Ainsi qu’il ressort du mémoire en défense et du mémoire en duplique déposés par la Hongrie dans la présente procédure, à l’expiration de ce délai, la Hongrie n’avait pas adopté ces dispositions et, partant, n’avait pas non plus communiqué ces dernières à la Commission.
39 La Hongrie a certes notifié à la Commission, le 13 septembre 2022, la loi no CLXV de 2013 relative aux plaintes et aux signalements d’intérêt public et le décret gouvernemental no 50/2013 (II.25) en tant que mesures de transposition partielle de la directive 2019/1937. En outre, cet État membre a indiqué, dans sa réponse à l’avis motivé, que l’élaboration du projet de loi de transposition de cette directive était en cours.
40 Toutefois, il convient de considérer, premièrement, que, en indiquant que la transposition de la directive 2019/1937 devait être achevée dans le courant de l’année 2023, la Hongrie reconnaît qu’une transposition complète dans le droit national de cette directive n’avait été réalisée ni à l’expiration du délai prévu à l’article 26, paragraphe 1, de celle-ci, à savoir le 17 décembre 2021, ni à celle du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir le 22 septembre 2022.
41 Deuxièmement, s’agissant des dispositions de droit national notifiées à la Commission durant la procédure précontentieuse, compte tenu de la jurisprudence mentionnée au point 36 du présent arrêt, la circonstance que le droit d’un État membre en vigueur avant l’entrée en vigueur de la directive 2019/1937 soit, selon cet État membre, déjà conforme à cette directive n’est pas suffisante pour exclure l’obligation, pour ledit État membre, de transposer ladite directive dans son ordre juridique et, dès
lors, pour justifier un tel manquement [arrêt du 14 mars 2024, Commission/Lettonie (Code des communications électroniques européen), C-454/22, EU:C:2024:235, point 42].
42 En effet, il y a lieu de rappeler que les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique qui requiert que, lorsque la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits [arrêt du 12 mai 2022, U.I. (Représentant en douane indirect),
C‑714/20, EU:C:2022:374, point 59].
43 Or, les dispositions de droit national notifiées par la Hongrie durant la procédure précontentieuse ne comportant aucune référence à la directive 2019/1937, elles ne sauraient être considérées comme répondant aux exigences précisées au point précédent.
44 Par conséquent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé du 22 juillet 2022, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/1937 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de cette directive.
Sur la demande présentée au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE
Argumentation des parties
45 En vue de la fixation du montant de la somme forfaitaire, la Commission se fonde sur les principes généraux visés au point 2 de la communication de 2023 ainsi que sur la méthode de calcul figurant aux points 3 et 4 de cette communication. En particulier, cette institution indique que la détermination du montant de cette sanction pécuniaire doit se fonder sur les critères fondamentaux que sont la gravité de l’infraction, sa durée et la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction pour
éviter les récidives.
46 S’agissant, en premier lieu, de la gravité de l’infraction, la Commission rappelle que le coefficient applicable en vertu de la communication de 2023 est compris entre un minimum de 1 et un maximum de 20. Cette institution précise que, conformément au point 3.2.2 de cette communication, elle applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les dispositions de transposition d’une directive, tout défaut de transposition d’une
directive et de communication de ces dispositions revêtant un même degré de gravité, indépendamment de la nature des dispositions de la directive concernée.
47 En deuxième lieu, en ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission expose que celle-ci équivaut, s’agissant du calcul de la somme forfaitaire, au nombre de jours de persistance de l’infraction. Cette durée est calculée conformément au point 4.2.1 de la communication de 2023 et correspond au nombre de jours compris entre celui suivant l’expiration du délai de transposition de la directive en question et celui auquel l’infraction a pris fin.
48 S’agissant, en troisième lieu, du critère ayant trait à la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction en considération de la capacité de paiement de l’État membre concerné, la Commission indique que celui-ci est exprimé par le facteur « n » fixé pour chaque État membre au point 3 de l’annexe I de la communication de 2023. Son calcul repose sur le rapport entre le PIB de l’État concerné et le PIB moyen national de l’Union multiplié par le rapport entre la population de cet État et la
population moyenne nationale de l’Union. Le premier rapport est pondéré à hauteur de deux tiers alors que le second est pondéré à hauteur d’un tiers. En application de ce point 3, le facteur « n » de la Hongrie est de 0,35.
49 En conséquence, la Commission propose, en vertu du point 4.2 de la communication de 2023, de retenir un coefficient de gravité de 10 et d’appliquer le facteur « n » de 0,35. Le produit de ces deux éléments devrait être multiplié par le forfait de la somme forfaitaire fixé au point 2 de l’annexe I de cette communication, à savoir 1000 euros, ce qui correspond à la somme de 3500 euros, à multiplier par le nombre de jours durant lesquels le manquement a persisté, conformément au point 4.2.1 de
ladite communication. La Commission indique que le paiement de cette somme forfaitaire doit être imposé à condition qu’elle soit supérieure à 980000 euros, montant de la somme forfaitaire minimale fixée pour la Hongrie au point 5 de l’annexe I de la communication de 2023.
50 Dans son mémoire en défense, la Hongrie relève, tout d’abord, que les propositions de la Commission relatives au montant de la somme forfaitaire ne tiennent pas compte, d’une part, de ce que la loi no XXV de 2023 a été publiée le 25 mai 2023 et devait entrer en vigueur, de même que le décret gouvernemental no 225/2023, le 24 juillet 2023, achevant de la sorte la transposition de la directive 2019/1937, et, d’autre part, que des éléments de la législation existante assurant une transposition
partielle de cette directive avaient été notifiés à la Commission au cours de la procédure précontentieuse.
51 Ensuite, la Hongrie souligne, à titre de circonstance atténuante, que le présent recours constitue la première procédure en manquement sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, TFUE à son égard.
52 Enfin, la circonstance que de nombreux États membres aient pris du retard dans la transposition de la directive 2019/1937 témoignerait des difficultés sérieuses auxquelles les ordres juridiques nationaux sont confrontés aux fins de l’adoption des dispositions nationales de transposition.
53 La Hongrie conclut, à titre principal, au rejet des demandes de la Commission et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de la somme forfaitaire proposée.
54 Dans son mémoire en réplique, la Commission souligne que, la Hongrie ne lui ayant pas communiqué de tableau de correspondance lors de la notification des éléments de sa législation existante qui constitueraient des mesures de transposition partielle de la directive 2019/1937, elle est dans l’incapacité d’apprécier la pertinence de ces mesures.
55 En outre, les sanctions financières devant être déterminées en fonction de critères objectifs, cette institution fait valoir que les circonstances avancées par la Hongrie dans son mémoire en défense ne peuvent justifier une diminution du montant des sanctions pécuniaires proposées.
56 Dans son mémoire en duplique, la Hongrie relève que la Commission ne peut s’abstenir de tenir compte de la législation existante qu’elle lui a notifiée, dans le cadre de la détermination du montant des sanctions pécuniaires. L’approche de la Commission conduirait à décourager les États membres à identifier et notifier, avant la transposition complète d’une directive, les dispositions nationales qui, bien qu’antérieures à l’adoption d’une telle directive, en assureraient une transposition à tout
le moins partielle.
57 Pour ces raisons, la Hongrie réitère sa demande visant, à titre principal, le rejet du recours de la Commission et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de la somme forfaitaire proposée.
58 Dans ses conclusions additionnelles du 30 septembre 2024, la Commission, estimant que la directive 2019/1937 a été intégralement transposée le 24 juillet 2023, modifie le montant de la somme forfaitaire demandée. Elle propose de considérer que le nombre de jours de persistance de l’infraction est compris entre le 18 décembre 2021, à savoir le jour suivant celui de l’expiration du délai de transposition de cette directive, et le 23 juillet 2023, à savoir le jour ayant précédé celui de l’entrée en
vigueur des mesures de transposition. Il en résulte que le montant journalier proposé de 3500 euros (10 × 0,35 × 1000) est à multiplier par le nombre de jours de persistance de l’infraction, soit 583 jours. Le montant de la somme forfaitaire demandée est donc de 2040500 euros.
59 Dans ses observations du 4 novembre 2024 sur ces conclusions, la Hongrie rappelle la position qu’elle a exprimé dans le mémoire en duplique.
Appréciation de la Cour
60 L’article 260, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE prévoit que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer les dispositions nécessaires à la transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime adapté aux
circonstances. Conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.
61 Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt, il est établi que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 22 juillet 2022, la Hongrie n’avait ni adopté ni, partant, communiqué à la Commission toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition dans son droit interne des dispositions de la directive 2019/1937, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.
62 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’objectif poursuivi par le mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle disposition, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure d’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication des dispositions nationales de transposition d’une
directive adoptée conformément à la procédure législative [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 57 et jurisprudence citée].
63 Afin d’atteindre cet objectif, l’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit l’imposition, notamment, d’une somme forfaitaire en tant que sanction pécuniaire.
64 La condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations pesant sur l’État membre concerné à l’égard des intérêts privés et publics en présence, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 59 et jurisprudence citée].
65 À cet égard, la Commission motive la nature et le montant des sanctions pécuniaires sollicitées, en tenant compte des lignes directrices qu’elle a adoptées, telles que celles contenues dans ses communications, qui, tout en ne liant pas la Cour, contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 60 et jurisprudence citée].
66 S’agissant de l’opportunité d’imposer une somme forfaitaire, il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 62 et
jurisprudence citée].
67 En l’occurrence, il convient de considérer que, nonobstant le fait que la Hongrie a coopéré avec les services de la Commission au cours de la procédure précontentieuse et qu’elle lui a communiqué des dispositions de son droit existant susceptibles de constituer une transposition de certaines dispositions de la directive 2019/1937, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future
d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire. Tout d’abord, ce n’est qu’après la réception de l’avis motivé du 22 juillet 2022 que la Hongrie a, le 13 septembre 2022, notifié à cette institution des dispositions de son droit national qu’elle considérait comme transposant certaines dispositions de cette directive. Ensuite, cette notification a été effectuée quelques jours seulement avant
l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 22 juillet 2022, alors même que les dispositions notifiées à cette date existaient déjà dans l’ordre juridique national avant l’adoption de ladite directive. Enfin, les dispositions notifiées ne permettaient pas une transposition effective, spécifique et complète de celle-ci, ainsi qu’il a été constaté au point 43 du présent arrêt.
68 En effet, il convient, d’une part, de relever que ces dispositions, notifiées avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 22 juillet 2022, ne comportaient pas de référence à la directive 2019/1937. Or, il est constant que la communication à laquelle les États membres doivent procéder, conformément au principe de coopération loyale édicté à l’article 4, paragraphe 3, TUE, vise à faciliter l’accomplissement de la mission de la Commission consistant, notamment, selon l’article 17 TUE, à
veiller à l’application des dispositions des traités ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de ceux-ci. Cette communication doit donc contenir des informations suffisamment claires et précises quant au contenu des normes nationales qui transposent une directive. Ainsi, ladite communication, qui peut être accompagnée d’un tableau de correspondance, doit indiquer sans ambiguïté quelles sont les dispositions législatives, réglementaires et administratives au moyen desquelles
l’État membre considère avoir rempli les différentes obligations que lui impose cette directive. Or, en l’absence d’une telle information, la Commission n’est pas en mesure de vérifier si l’État membre a réellement et complètement mis la directive en application [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 51].
69 D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause.
70 Partant, dès lors que les dispositions notifiées par la Hongrie avant l’expiration du délai prescrit dans l’avis motivé du 22 juillet 2022 ne contenaient pas de référence à la directive 2019/1937 et qu’elles n’avaient pas été accompagnées de document explicatif, elles ne peuvent être invoquées afin de remettre en cause l’imposition d’une somme forfaitaire en l’espèce.
71 En ce qui concerne le calcul du montant de cette somme forfaitaire, il convient de rappeler que, en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seule la Cour est compétente pour infliger une sanction pécuniaire à un État membre. Toutefois, dans le cadre d’une procédure engagée sur le fondement de cette disposition, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré, dès lors que, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission lient la Cour
quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 67 et jurisprudence citée].
72 Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité
du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, points 68 et 87 ainsi que jurisprudence citée].
73 Il convient également de rappeler que, dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, des lignes directrices, telles que les communications de la Commission, ne lient pas la Cour, mais contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission elle-même lorsque cette institution fait des propositions à la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 69 et jurisprudence citée].
74 En l’occurrence, la Commission s’est fondée sur la communication de 2023 pour justifier sa demande tendant à la condamnation de la Hongrie au paiement d’une somme forfaitaire, ainsi que pour fixer le montant de celle-ci.
75 En premier lieu, concernant la gravité du manquement constaté, il ressort du point 3.2 de la communication de 2023 que, selon la Commission, l’absence de communication des dispositions de transposition d’une directive adoptée dans le cadre d’une procédure législative est toujours considérée comme étant grave. Partant, ce manquement justifierait l’application automatique d’un coefficient de gravité de 10.
76 La Hongrie conteste le niveau de ce coefficient et l’automaticité de son application dans les circonstances du manquement constaté.
77 À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation d’adopter des dispositions pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de les communiquer à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union, et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23,
EU:C:2024:346, point 72 et jurisprudence citée].
78 En l’occurrence, il y a lieu de souligner que la directive 2019/1937 est un instrument crucial du droit de l’Union en tant qu’elle établit, en vertu de son article 1er, lu en combinaison avec le considérant 1 de celle-ci, des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection équilibrée et efficace des personnes qui signalent des violations de ce droit dans des domaines dans lesquels de telles violations sont susceptibles de porter particulièrement atteinte à l’intérêt général. En
effet, en établissant un système de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union dans un contexte professionnel, cette directive contribue à prévenir les atteintes à l’intérêt public, dans des domaines particulièrement sensibles, tels que ceux des marchés publics, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de la protection de l’environnement ou des intérêts financiers de l’Union. Ainsi, les dispositions de ladite directive prévoient
l’obligation, tant pour les entités du secteur public que pour celles du secteur privé, de mettre en place des canaux de signalement interne, des procédures de réception et de suivi des signalements, tout en garantissant les droits des personnes signalant des violations du droit de l’Union ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci peuvent bénéficier de la protection ainsi prévue [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 73].
79 Or, l’absence de transposition complète des dispositions de la directive 2019/1937 dans le délai imparti porte nécessairement atteinte au droit de l’Union et à son application uniforme et effective, dès lors que des violations de ce droit sont susceptibles de ne pas faire l’objet d’un signalement si les personnes ayant connaissance de telles violations ne bénéficient pas d’une protection contre d’éventuelles représailles [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte),
C-147/23, EU:C:2024:346, point 74].
80 Cela étant, le montant des sanctions pécuniaires infligées à un État membre en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE doit être adapté aux circonstances et proportionné à l’infraction commise [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 75], ainsi qu’il a été rappelé au point 72 du présent arrêt.
81 C’est la raison pour laquelle la Cour a jugé que l’application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition complète d’une directive et, partant, d’absence de communication des mesures de transposition de cette directive fait nécessairement obstacle à l’adaptation du montant des sanctions pécuniaires aux circonstances qui caractérisent l’infraction et à l’imposition de sanctions proportionnées [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive
lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 76].
82 À cet égard, la Cour a précisé que, en présumant que la violation de l’obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive doit être considérée comme ayant la même gravité quelle que soit la directive concernée, la Commission n’est pas en mesure d’adapter les sanctions pécuniaires en fonction des conséquences du défaut d’exécution de cette obligation sur les intérêts privés et publics, tel que le prévoit le point 3.2.2 de la communication de 2023 [arrêt du 25 avril 2024,
Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 77].
83 En l’occurrence, la Hongrie a fait valoir, dans son mémoire en défense, que certaines règles protégeant les personnes qui signalent des violations du droit existaient dans sa législation avant l’adoption de la loi no XXV de 2023 et du décret gouvernemental no 225/2023.
84 Ainsi, le 12 juin 2023, la Hongrie a notifié à la Commission onze lois dont cet État membre allègue qu’elles permettaient la transposition de certaines dispositions de la directive 2019/1937.
85 Dans ces conditions, il convient de constater qu’il n’a pas été établi que les conséquences du manquement constaté en l’espèce sur les intérêts privés et publics étaient aussi négatives que dans le cas d’une absence de transposition complète de la directive 2019/1937 [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 92].
86 Il n’en demeure pas moins que les dispositions notifiées par la Hongrie sont dispersées dans l’ordre juridique national et ne comportent pas, contrairement à ce qu’exige l’article 26, paragraphe 3, de la directive 2019/1937, de référence explicite à la protection que prescrit cette directive.
87 Or, l’absence de règles spécifiques et claires portant sur la protection des personnes signalant les violations du droit de l’Union, telle que cette protection est prévue par la directive 2019/1937, fait obstacle à une protection effective de ces personnes et est donc susceptible de remettre en cause l’application uniforme et effective de ce droit dans les domaines couverts par cette directive [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346,
point 94].
88 En effet, comme il a été rappelé au point 78 du présent arrêt, en établissant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union dans un contexte professionnel, la directive 2019/1937 contribue à prévenir les atteintes à l’intérêt public, dans des domaines particulièrement sensibles, tels que ceux des marchés publics, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de la protection de l’environnement ou des intérêts financiers de
l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 95].
89 Cela étant, comme il a été indiqué au point 79 du présent arrêt, en l’absence de protection effective, les personnes ayant connaissance d’une violation du droit de l’Union dans ces domaines sont susceptibles d’être dissuadées de les signaler dès lors que, ce faisant, elles sont susceptibles de s’exposer à des représailles [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 96].
90 Partant, eu égard à l’objectif énoncé à l’article 1er de la directive 2019/1937, lu en combinaison avec le considérant 1 de celle-ci, l’absence d’adoption des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition complète et précise de ladite directive est d’une gravité particulièrement sérieuse [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 97].
91 S’agissant des circonstances atténuantes invoquées par la Hongrie, il convient de souligner que l’argument tiré de ce que cet État membre fait, pour la première fois, l’objet d’une procédure en manquement fondé sur l’article 260, paragraphe 3, TFUE n’a aucun rapport avec les conséquences de la non-transposition de la directive 2019/1937 sur les intérêts privés et publics. Par ailleurs, dans l’affaire C‑310/12, cet État membre a dû se défendre contre un recours en manquement au titre de ladite
disposition jusqu’au moment où, au vu de la notification par la Hongrie de la transposition complète de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets (JO 2008, L 312, p. 3), la Commission s’est désistée de son recours.
92 En outre, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait justifier l’inexécution des obligations qui lui incombent en vertu du traité par le fait que d’autres États membres manqueraient également à leurs obligations (arrêt du 11 juillet 2018, Commission/Belgique, C‑356/15, EU:C:2018:555, point 106 et jurisprudence citée).
93 En conséquence, la Hongrie ne saurait invoquer, en tant que circonstance atténuant la gravité de son manquement, le retard pris par certains États membres dans la transposition de la directive 2019/1937.
94 En deuxième lieu, dans le cadre de l’appréciation de la durée de l’infraction, il importe de rappeler que, en ce qui concerne le début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement en cause est non pas celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission, mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question, à savoir le
17 décembre 2021 [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 80 et jurisprudence citée].
95 Or, il est constant que la Hongrie n’avait pas, à l’expiration du délai de transposition prévu à l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937, à savoir le 17 décembre 2021, adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires ou administratives nécessaires permettant une transposition spécifique et complète de cette directive et, partant, n’avait pas non plus communiqué ces dispositions à la Commission, contrairement à ce que prévoit l’article 26, paragraphe 3, de ladite
directive. Il s’ensuit que le manquement en cause, qui n’a pris fin que le 24 juillet 2023, avec l’entrée en vigueur de la loi no XXV de 2023 et du décret gouvernemental no 225/2023, a perduré pendant plus d’un an et demi.
96 En troisième lieu, en ce qui concerne la capacité de paiement de l’État membre en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, sans préjudice de la possibilité pour la Commission de proposer des sanctions financières fondées sur une pluralité de critères, en vue de permettre, notamment, de maintenir un écart raisonnable entre les divers États membres, il convient de prendre en compte le PIB de cet État en tant que facteur prédominant aux fins de l’appréciation de sa capacité de paiement
et de la fixation de sanctions suffisamment dissuasives et proportionnées, afin de prévenir de manière effective la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 81 et jurisprudence citée].
97 À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il convenait de prendre en compte l’évolution récente du PIB de l’État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 82 et jurisprudence citée].
98 En l’occurrence, le facteur « n », représentant la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres, appliqué par la Commission aux termes des points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023, se définit comme une moyenne géométrique pondérée du PIB de l’État membre concerné par rapport à la moyenne des PIB des États membres, qui compte pour deux tiers du calcul du facteur « n », et de la population de l’État membre concerné par rapport à
la moyenne de la population des États membres, qui compte pour un tiers du calcul du facteur « n », ainsi qu’il ressort de l’équation mentionnée au point 11 du présent arrêt. La Commission justifie cette méthode de calcul du facteur « n » à la fois par l’objectif de maintenir un écart raisonnable des facteurs « n » des États membres, en comparaison avec un calcul fondé uniquement sur le PIB des États membres et par l’objectif de garantir une certaine stabilité dans le calcul du facteur « n »,
étant donné qu’il est peu probable que la population varie de manière significative sur une base annuelle [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 83 et jurisprudence citée].
99 Toutefois, la Cour a jugé que la détermination de la capacité de paiement de l’État membre concerné ne saurait inclure, dans la méthode de calcul du facteur « n », la prise en compte d’un critère démographique selon les modalités prévues aux points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023 [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, points 84 à 86].
100 Partant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 96 du présent arrêt et à défaut d’un critère pertinent avancé par la Commission pour garantir une stabilité de calcul et maintenir un écart raisonnable des facteurs « n » des États membres, c’est en tenant compte de la moyenne du PIB de la Hongrie des trois dernières années qu’il convient de fixer le montant de la somme forfaitaire.
101 Eu égard à ces considérations et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire, fixer un montant dépassant celui indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de la directive 2019/1937 et portant atteinte à la pleine
effectivité du droit de l’Union requiert l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 1750000 euros.
Sur les dépens
102 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la Hongrie et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :
1) En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé de la Commission européenne du 22 juillet 2022, adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la Hongrie a manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de cette directive.
2) La Hongrie est condamnée à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 1750000 euros.
3) La Hongrie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.