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06/03/2025 | CJUE | N°C-154/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République d'Estonie., 06/03/2025, C-154/23


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

6 mars 2025 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union – Directive (UE) 2019/1937 – Article 26, paragraphes 1 et 3 – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière – Critères d’établissement du montant des sanctions – Application automatique d’un coeffi

cient de gravité »

Dans l’affaire C‑154/23,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 2...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

6 mars 2025 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union – Directive (UE) 2019/1937 – Article 26, paragraphes 1 et 3 – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière – Critères d’établissement du montant des sanctions – Application automatique d’un coefficient de gravité »

Dans l’affaire C‑154/23,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 14 mars 2023,

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et L. Maran, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République d’Estonie, représentée par Mmes N. Grünberg et M. Kriisa, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours, la Commission européenne demande à la Cour :

– de constater que, en n’ayant pas adopté toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (JO 2019, L 305, p. 17), et en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la République d’Estonie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26,
paragraphes 1 et 3, de cette directive ;

– de condamner la République d’Estonie à payer à la Commission une somme forfaitaire correspondant au plus élevé des deux montants suivants :

– un montant forfaitaire journalier de 600 euros multiplié par le nombre de jours écoulés entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive 2019/1937 fixé par celle-ci et le jour où il a été mis fin à l’infraction ou, à défaut de régularisation, le jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire ;

– la somme forfaitaire minimale de 168000 euros ;

– dans l’hypothèse où le manquement constaté au premier tiret se poursuivrait jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, de condamner la République d’Estonie à payer à la Commission une astreinte de 2340 euros par jour de retard à compter de la date du prononcé de cet arrêt et jusqu’à la date à laquelle la République d’Estonie se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2019/1937 ;

– de condamner la République d’Estonie aux dépens.

Le cadre juridique

La directive 2019/1937

2 Les considérants 1 et 4 de la directive 2019/1937 énoncent :

« (1) [...] [L]es lanceurs d’alerte potentiels sont souvent dissuadés de signaler leurs inquiétudes ou leurs soupçons par crainte de représailles. Dans ce contexte, l’importance d’assurer une protection équilibrée et efficace des lanceurs d’alerte est de plus en plus reconnue tant au niveau de l’Union [européenne] qu’au niveau international.

[...]

(4) La protection des lanceurs d’alerte telle qu’elle se présente actuellement dans l’Union est fragmentée entre les États membres et inégale d’un domaine d’action à l’autre. Les conséquences des violations du droit de l’Union ayant une dimension transfrontière signalées par les lanceurs d’alerte illustrent la manière dont une protection insuffisante dans un État membre produit des effets négatifs sur le fonctionnement des politiques de l’Union non seulement dans cet État membre, mais également
dans d’autres États membres et dans l’Union dans son ensemble. »

3 Aux termes de l’article 1er de cette directive :

« La présente directive a pour objet de renforcer l’application du droit et des politiques de l’Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union. »

4 L’article 26 de ladite directive prévoit :

« 1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 17 décembre 2021.

[...]

3.   Lorsque les États membres adoptent les dispositions visées aux paragraphes 1 et 2, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. Les États membres communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »

La communication de 2023

5 La communication de la Commission 2023/C 2/01, intitulée « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (JO 2023, C 2, p. 1, ci‑après la « communication de 2023 »), consacre ses points 3 et 4 respectivement à l’« astreinte » et à la « somme forfaitaire ».

6 Le point 3.2 de la communication de 2023, relatif à l’application du coefficient de gravité dans le cadre du calcul de l’astreinte journalière, dispose :

« Une infraction relative à [...] l’absence de communication de mesures de transposition d’une directive adoptée dans le cadre d’une procédure législative est toujours considérée comme grave. Afin d’adapter le montant de la sanction aux circonstances particulières de l’espèce, la Commission détermine le coefficient de gravité sur la base de deux paramètres : l’importance des règles de l’Union enfreintes ou non transposées et les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou
particulier.

[...] »

7 Le point 3.2.2 de cette communication énonce :

« Pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], la Commission applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les mesures de transposition. Dans une Union fondée sur le respect de l’[É]tat de droit, toutes les directives législatives doivent être considérées comme étant d’une importance égale et doivent être intégralement transposées par les États membres dans les délais qui y sont fixés.

En cas de manquement partiel à l’obligation de communiquer les mesures de transposition, l’importance de la lacune de transposition doit être prise en considération lors de la fixation d’un coefficient de gravité qui sera inférieur à 10. En outre, les effets de l’infraction sur des intérêts d’ordre général ou particulier pourraient être pris en compte [...] »

8 Aux termes du point 3.3 de ladite communication, intitulé « Application du coefficient de durée » :

« [...]

Le coefficient de durée est exprimé sous la forme d’un multiplicateur compris entre 1 et 3. Il est calculé à un taux de 0,10 par mois à compter de la date du premier arrêt ou du jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive en question.

[...] »

9 Le point 3.4 de la même communication, intitulé « Capacité de paiement de l’État membre », prévoit :

« [...]

Le niveau de sanction requis pour produire un effet dissuasif variera en fonction de la capacité de paiement des États membres. Cet effet dissuasif se reflète dans le facteur n. Il se définit comme une moyenne géométrique pondérée du produit intérieur brut (PIB) [...] de l’État membre concerné par rapport à la moyenne des PIB des États membres, dont le poids est égal à deux, et de la population de l’État membre concerné par rapport à la moyenne de la population des États membres, dont le poids est
égal à un. Cela représente la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres :

Image

[...]

La Commission a [...] décidé de revoir sa méthode de calcul du facteur n, qui repose désormais principalement sur le PIB des États membres et, à titre subsidiaire, sur leur population en tant que critère démographique permettant de maintenir un écart raisonnable entre les différents États membres. La prise en compte de la population des États membres pour un tiers du calcul du facteur n réduit dans une mesure raisonnable la variation des facteurs n des États membres en comparaison avec un calcul
fondé uniquement sur le PIB des États membres. Elle ajoute également un élément de stabilité dans le calcul du facteur n, étant donné qu’il est peu probable que la population varie de manière significative sur une base annuelle. En revanche, le PIB d’un État membre est susceptible de connaître des fluctuations annuelles plus importantes, en particulier en période de crise économique. Dans le même temps, étant donné que le PIB de l’État membre représente encore deux tiers du calcul, il demeure le
facteur prédominant aux fins de l’évaluation de sa capacité de paiement.

[...] »

10 Le point 4.2 de la communication de 2023 précise la méthode de calcul de la somme forfaitaire comme suit :

« La somme forfaitaire est calculée d’une manière globalement similaire à la méthode de calcul de l’astreinte, à savoir :

– en multipliant un forfait par un coefficient de gravité ;

– en multipliant le résultat par le facteur n ;

– en multipliant le résultat par le nombre de jours de persistance de l’infraction [...]

[...] »

11 Le point 4.2.1 de cette communication prévoit :

« Aux fins du calcul de la somme forfaitaire, le montant journalier doit être multiplié par le nombre de jours de persistance de l’infraction. Ce nombre de jours est défini comme suit :

[...]

– pour les recours introduits en vertu de l’article 260, paragraphe 3, [TFUE], il s’agit du nombre de jours compris entre le jour suivant l’expiration du délai de transposition fixé dans la directive concernée et la date à laquelle l’infraction prend fin ou, à défaut de régularisation, la date du prononcé de l’arrêt au titre de l’article 260 [TFUE].

[...] »

12 Aux termes du point 4.2.2 de ladite communication :

« Pour le calcul de la somme forfaitaire, la Commission applique le même coefficient de gravité et le même facteur n fixe que pour le calcul de l’astreinte [...]

Le forfait de la somme forfaitaire est inférieur à celui des astreintes. [...]

Le forfait applicable à la somme forfaitaire est fixé au point 2 de l’annexe I.

[...] »

13 L’annexe I de la communication de 2023, intitulée « Données servant au calcul des sanctions financières proposées à la Cour », prévoit, à son point 1, que le forfait de l’astreinte visé au point 3 de cette communication est fixé à 3000 euros par jour, à son point 2, que le forfait de la somme forfaitaire mentionné au point 4.2.2 de ladite communication est fixé à 1000 euros par jour, ce qui correspond à un tiers du forfait de l’astreinte, et, à son point 3, que le facteur « n » pour la République
d’Estonie est fixé à 0,06. Au point 5 de cette annexe I, il est précisé que la somme forfaitaire minimale fixée pour la République d’Estonie s’élève à 168000 euros.

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

14 Le 27 janvier 2022, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République d’Estonie, lui reprochant de ne pas lui avoir communiqué les dispositions législatives, réglementaires, ou administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/1937, dont le délai de transposition avait expiré le 17 décembre 2021. Dans sa réponse du 28 mars 2022, la République d’Estonie, reconnaissant les griefs formulés contre elle, a indiqué que le projet de loi permettant la transposition de
cette directive avait été soumis pour examen au Parlement estonien et que la loi de transposition devait entrer en vigueur le 1er juin 2022.

15 En l’absence de communication ultérieure relative à la transposition de la directive 2019/1937, la Commission a, le 15 juillet 2022, adressé un avis motivé à la République d’Estonie, par lequel elle l’invitait à se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

16 Dans sa réponse audit avis datée du 13 septembre 2022, la République d’Estonie, qui n’a pas contesté le manquement qui lui était reproché, a précisé l’état d’avancement du processus législatif d’adoption de la loi de transposition de la directive 2019/1937.

17 Considérant que cet État membre ne s’était toujours pas conformé à ses obligations, la Commission a décidé, le 14 mars 2023, de saisir la Cour du présent recours.

18 Par décision du président de la Cour du 4 janvier 2024, la procédure a été suspendue jusqu’au prononcé de l’arrêt à intervenir dans l’affaire C‑147/23. À la suite du prononcé de l’arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte) (C‑147/23, EU:C:2024:346), la procédure dans la présente affaire a été reprise par décision du président de la Cour du même jour.

Sur le recours

Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE

Argumentation des parties

19 La Commission rappelle que, en application de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, les États membres sont tenus d’adopter les dispositions nécessaires pour la transposition des directives dans leur système juridique national, dans les délais prescrits dans ces directives, et de lui communiquer immédiatement ces dispositions.

20 Cette institution précise que l’existence de tout manquement à ces obligations doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé qu’elle lui a adressé.

21 Or, en l’occurrence, la République d’Estonie n’aurait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition de la directive 2019/1937 ni informé la Commission de leur adoption avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 15 juillet 2022.

22 Dans son mémoire en défense, la République d’Estonie reconnaît le manquement qui lui est reproché et précise que, en raison des élections législatives du 5 mars 2023, l’examen du projet de loi de transposition de la directive 2019/1937 a été reporté au mois de juin 2023. Cet État membre expose en outre que la législation nationale existante contient certaines dispositions permettant, dans des domaines précis, la protection des lanceurs d’alerte, sans toutefois que celles-ci puissent être
qualifiées de dispositions de transposition de cette directive.

23 Dans son mémoire en réplique, la Commission rappelle que, en vertu d’une jurisprudence constante, des dispositions, pratiques ou situations relevant de l’ordre juridique national ne saurait justifier le retard dans la transposition d’une directive.

Appréciation de la Cour

24 Aux termes de l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937, les États membres devaient, au plus tard le 17 décembre 2021, mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci. En outre, l’article 26, paragraphe 3, de cette directive précise que, lorsque les États membres adoptent ces dispositions nationales, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de
leur publication officielle. De surcroît, en vertu de cet article 26, paragraphe 3, il appartenait aux États membres de communiquer à la Commission le texte desdites dispositions nationales.

25 Conformément à une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 28 et jurisprudence citée].

26 La Cour a par ailleurs itérativement jugé que si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause [arrêt du 14 mars 2024, Commission/Lettonie (Code des
communications électroniques européen), C-454/22, EU:C:2024:235, point 33 et jurisprudence citée].

27 En l’espèce, après avoir constaté que la République d’Estonie ne lui avait pas communiqué les dispositions nécessaires à la transposition de la directive 2019/1937, la Commission a adressé à cet État membre, le 15 juillet 2022, un avis motivé, l’invitant à se conformer, dans un délai de deux mois qui courait à compter de la réception de celui-ci, aux obligations visées dans cet avis.

28 Or, ainsi qu’il ressort du mémoire en défense et du mémoire en duplique déposés par la République d’Estonie dans la présente procédure, à l’expiration de ce délai, cet État membre n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/1937 et, partant, n’avait pas non plus communiqué ces dispositions à la Commission.

29 La République d’Estonie, qui ne conteste pas le manquement qui lui est reproché, indique que le retard de transposition et, partant, de communication des mesures de transposition est notamment imputable aux élections législatives du 5 mars 2023.

30 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier une inobservation des obligations résultant du droit de l’Union, telle que l’absence de transposition d’une directive dans le délai imparti [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 33 et jurisprudence citée].

31 En outre, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937, le législateur de l’Union a considéré qu’un délai de transposition de deux ans était suffisant pour permettre aux États membres de se conformer à leurs obligations.

32 Par conséquent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé du 15 juillet 2022, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2019/1937 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la République d’Estonie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de cette directive.

Sur les demandes présentées au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

Argumentation des parties

33 Considérant que le manquement reproché à la République d’Estonie persistait à la date à laquelle la Commission a saisi la Cour du présent recours, cette institution propose, sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, de condamner cet État membre au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière.

34 En vue de la fixation des montants de ces sanctions pécuniaires, la Commission se fonde sur les principes généraux visés au point 2 de la communication de 2023 ainsi que sur la méthode de calcul figurant aux points 3 et 4 de cette communication. En particulier, cette institution indique que la détermination de ces montants doit se fonder sur les critères fondamentaux que sont la gravité de l’infraction, sa durée et la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction pour éviter les récidives.

35 S’agissant, en premier lieu, de la gravité de l’infraction, la Commission rappelle que le coefficient applicable en vertu de la communication de 2023 est compris entre un minimum de 1 et un maximum de 20. Cette institution précise que, conformément au point 3.2.2 de cette communication, elle applique systématiquement un coefficient de gravité de 10 en cas de manquement complet à l’obligation de communiquer les dispositions permettant la transposition d’une directive, tout défaut de transposition
d’une directive et de communication de ces dispositions revêtant un même degré de gravité, indépendamment de la nature des dispositions de la directive concernée.

36 En deuxième lieu, en ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission expose que, en vertu du point 3.3 de la communication de 2023, le coefficient de durée est exprimé sous la forme d’un multiplicateur compris entre 1 et 3 et est calculé à un taux de 0,10 par mois à compter du jour suivant l’expiration du délai de transposition de la directive en question jusqu’au moment où la Commission décide de saisir la Cour. La durée de cette période étant, en l’espèce, de 13 mois, le coefficient de
durée à retenir serait de 1,3.

37 S’agissant, en troisième lieu, du critère ayant trait à la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction en considération de la capacité de paiement de l’État membre concerné, la Commission indique que celui-ci est exprimé par le facteur « n » fixé pour chaque État membre au point 3 de l’annexe I de la communication de 2023. Son calcul repose sur le rapport entre le PIB de l’État concerné et le PIB moyen national de l’Union multiplié par le rapport entre la population de cet État et la
population moyenne nationale de l’Union. Le premier rapport est pondéré à hauteur de deux tiers alors que le second est pondéré à hauteur d’un tiers. En application de ce point 3, le facteur « n » de la République d’Estonie est de 0,06.

38 En conséquence, premièrement, concernant le calcul du montant de la somme forfaitaire, la Commission propose, en vertu du point 4.2 de la communication de 2023, de retenir un coefficient de gravité de 10 et d’appliquer le facteur « n » de 0,06. Le produit de ces deux éléments devrait être multiplié par le forfait de la somme forfaitaire fixé au point 2 de l’annexe I de cette communication, à savoir 1000 euros, ce qui correspond à la somme de 600 euros, à multiplier par le nombre de jours durant
lesquels le manquement a persisté, conformément au point 4.2.1 de ladite communication. La Commission indique que le paiement de cette somme forfaitaire doit être imposé à condition qu’elle soit supérieure à 168000 euros, montant de la somme forfaitaire minimale fixée pour la République d’Estonie au point 5 de l’annexe I de la communication de 2023.

39 Deuxièmement, concernant la fixation du montant de l’astreinte, la Commission propose de multiplier le forfait de l’astreinte fixé au point 1 de l’annexe I de la communication de 2023, s’élevant à 3000 euros par jour, par le coefficient de gravité de 10, le coefficient de durée de 1,3 ainsi que par le facteur « n » de 0,06. Il en résulte une astreinte d’un montant de 2340 euros par jour.

40 Enfin, la Commission propose de considérer que la date à laquelle l’obligation de paiement prend effet est celle du prononcé de l’arrêt à intervenir dans la présente affaire.

41 Dans son mémoire en défense, la République d’Estonie relève que les propositions de la Commission relatives aux montants des sanctions pécuniaires vont au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le caractère efficace et dissuasif de ces sanctions.

42 S’agissant du montant de la somme forfaitaire, cet État membre considère que la somme proposée par la Commission ne tient pas compte des effets réels du manquement sur les intérêts publics et privés.

43 D’une part, l’application systématique d’un coefficient de gravité de 10 ne permettrait pas à la Commission de tenir compte de la législation existante relative à la protection des lanceurs d’alerte. Ainsi, l’article 3 de la töölepingu seadus (loi sur le contrat de travail) (RT I, 7 mars 2023) et l’article 13 de l’avaliku teenistuse seadus (loi sur la fonction publique) (RT I, 7 mars 2023) prévoiraient l’interdiction générale des représailles contre les lanceurs d’alerte, ainsi que le prescrit
l’article 19 de la directive 2019/1937. En outre, une protection des personnes auteurs de signalements serait assurée par l’article 6, paragraphe 2, de la korruptsioonivastane seadus (loi anticorruption) (RT I, 13 avril 2021), les articles 49, 51, 52 et 521 de la rahapesu ja terrorismi tõkestamise seadus (loi relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme) (RT I, 10 février 2023), les articles 502 et 503 de la finantsinspektsiooni seadus (loi relative à l’autorité de
surveillance et financière) (RT I, 30 novembre 2022), ainsi que les articles 2011, 2012 et 23749 de la väärtpaberituru seadus (loi sur le marché des valeurs mobilières) (RT I, 17 mars 2023). De surcroît, plusieurs autorités publiques auraient mis en place des canaux de signalement interne.

44 D’autre part, cet État membre rappelle les nombreux efforts qu’il a déployés en vue de transposer la directive 2019/1937 et expose que la durée d’examen du projet de loi de transposition de cette directive a été plus longue que celle qui était initialement prévue en raison de la tenue, le 5 mars 2023, des élections législatives.

45 Enfin, la République d’Estonie fait valoir que, eu égard au nombre extrêmement bas de cas de non-transposition qui l’a toujours caractérisé, la prévention de la répétition d’un comportement infractionnel ne justifie pas le montant sollicité par la Commission.

46 Il en résulte que, pour atteindre l’objectif de persuasion et de dissuasion, l’application d’un coefficient de gravité égale ou inférieur à 5 serait suffisant.

47 Pour les mêmes raisons, le montant de l’astreinte proposé par la Commission devrait être également réduit.

48 Dans son mémoire en réplique, la Commission relève que le coefficient de gravité de 10 qu’elle a proposé est modéré et correspond au niveau prévu au point 3.2.2 de la communication de 2023.

49 Elle considère que les différentes dispositions de droit national mentionnées par la République d’Estonie dans son mémoire en défense ne sauraient être prises en compte aux fins de la détermination de ce coefficient, dès lors qu’elles ne sont pas pertinentes pour déterminer l’état de transposition de la directive 2019/1937 en droit national.

50 Ces dispositions nationales n’auraient, en effet, pas été notifiées à la Commission. De surcroît, elles ne contiendraient pas de référence à cette directive et ne constitueraient dès lors pas un acte positif de transposition.

51 Ce faisant, lesdites dispositions nationales ne répondraient pas aux exigences de clarté et de précision requises par la jurisprudence afin que soient garanties la sécurité juridique des bénéficiaires des droits reconnus par la directive 2019/1937 et la pleine application de ses dispositions.

52 Par conséquent, la Commission confirme les montants des sanctions pécuniaires qu’elle a proposées dans sa requête.

53 Dans son mémoire en duplique, la République d’Estonie relève, d’une part, que les dispositions nationales auxquelles elle s’est référée dans son mémoire en défense démontrent que les effets négatifs sur les intérêts publics et privés du manquement qui lui est reproché sont à relativiser. Partant, les montants des sanctions pécuniaires proposées devraient être adaptés aux circonstances et proportionnés à l’infraction commise. D’autre part, la détermination du niveau de persuasion et de dissuasion
de ces sanctions nécessiterait une prise en compte des circonstances particulières de chaque espèce.

54 À cet égard, la Commission ne saurait justifier l’automaticité de l’application d’un coefficient de gravité par la nécessité de garantir l’égalité de traitement entre les États membres. Au contraire, ce principe imposerait une appréciation différenciée en fonction du contenu normatif de chaque directive ainsi que de la situation spécifique de chaque État membre.

55 En l’occurrence, la République d’Estonie disposerait déjà d’une législation sectorielle correspondant, dans une certaine mesure, au régime de protection prescrit par la directive 2019/1937. Cet État membre renvoie, à cet égard, au considérant 4 de cette directive, aux termes duquel cette dernière vise à combler les lacunes qui peuvent résulter d’un niveau de protection fragmenté et inégal.

56 En outre, le nombre limité des infractions commises par ledit État membre justifierait une réduction de ces montants, dès lors que le risque de récidive serait limité.

57 Par conséquent, la République d’Estonie demande, d’une part, que le montant de la somme forfaitaire soit déterminé en multipliant un montant journalier de 300 euros par le nombre de jours compris entre le jour suivant celui de l’expiration du délai de transposition et le jour où il est mis fin au manquement ou, à défaut de régularisation, le jour du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire. D’autre part, elle demande que le montant de l’astreinte soit fixé à 1170 euros par jour de retard à
compter de la date de prononcé de l’arrêt dans la présente affaire jusqu’à la date de transposition complète de la directive 2019/1937.

Appréciation de la Cour

– Sur l’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

58 L’article 260, paragraphe 3, premier alinéa, TFUE prévoit que, lorsque la Commission saisit la Cour d’un recours en vertu de l’article 258 TFUE, estimant que l’État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer les dispositions nécessaires à la transposition d’une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu’elle le considère approprié, indiquer le montant d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à payer par cet État membre, qu’elle estime adapté aux
circonstances. Conformément à l’article 260, paragraphe 3, second alinéa, TFUE, si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission, l’obligation de paiement prenant effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt.

59 Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, il est établi que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 15 juillet 2022, la République d’Estonie n’avait ni adopté ni, partant, communiqué à la Commission les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition dans son droit interne des dispositions de la directive 2019/1937, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.

60 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’objectif poursuivi par le mécanisme figurant à l’article 260, paragraphe 3, TFUE est non seulement d’inciter les États membres à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle disposition, aurait tendance à persister, mais également d’alléger et d’accélérer la procédure d’imposition de sanctions pécuniaires concernant les manquements à l’obligation de communication des dispositions nationales de transposition d’une
directive adoptée conformément à la procédure législative [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 57 et jurisprudence citée].

61 Afin d’atteindre cet objectif, l’article 260, paragraphe 3, TFUE prévoit l’imposition de deux types de sanctions pécuniaires, à savoir une somme forfaitaire et une astreinte journalière.

62 Si l’application d’une astreinte journalière semble particulièrement adaptée pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement, la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations pesant sur l’État membre concerné à l’égard des intérêts privés et publics en présence, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période [arrêt du 25 avril 2024,
Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 59 et jurisprudence citée].

63 À cet égard, la Commission motive la nature et le montant des sanctions pécuniaires sollicitées, en tenant compte des lignes directrices qu’elle a adoptées, telles que celles contenues dans ses communications, qui, tout en ne liant pas la Cour, contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 60 et jurisprudence citée].

64 En l’occurrence, la Commission s’est fondée sur la communication de 2023 pour justifier sa demande de condamnation de la République d’Estonie au paiement d’une astreinte journalière et d’une somme forfaitaire ainsi que pour fixer les montants de celles-ci.

65 Quant à l’opportunité d’imposer de telles sanctions pécuniaires, il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 62 et
jurisprudence citée].

66 Premièrement, s’agissant de l’imposition d’une somme forfaitaire, nonobstant le fait que la République d’Estonie a tenu les services de la Commission informés de l’état d’avancement de la procédure de transposition dans le droit national des dispositions de la directive 2019/1937, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature
à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire. En effet, la République d’Estonie n’avait adopté aucune disposition permettant la transposition de cette directive à l’expiration du délai prévu à l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937. De surcroît, aucune de ces dispositions n’a été notifiée à la Commission à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé du 15 juillet 2022 ni même à la date de l’examen des faits par la Cour.

67 Deuxièmement, s’agissant de l’infliction d’une astreinte, une telle sanction ne s’impose en principe que pour autant que perdure le manquement que cette astreinte vise à sanctionner jusqu’à l’examen des faits par la Cour, lequel doit être considéré comme intervenant à la date de la clôture de la procédure. Il convient de préciser que, dans un cas où, comme en l’espèce, aucune audience n’a été tenue, la date à prendre en compte à cet égard est celle de la clôture de la phase écrite de la procédure
[arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C 147/23, EU:C:2024:346, point 64].

68 Il s’ensuit que, afin de déterminer si, en l’espèce, le prononcé d’une astreinte peut être envisagé, il convient d’examiner si le manquement constaté au point 32 du présent arrêt a perduré jusqu’à la date de clôture de la phase écrite, intervenue le 14 août 2023.

69 En l’occurrence, il n’est pas contesté que, à cette date, la République d’Estonie n’avait ni adopté ni, partant, communiqué les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition de la directive 2019/1937 dans son droit interne. Par conséquent, il doit être constaté que cet État membre a persisté dans son manquement jusqu’à l’examen des faits par la Cour.

70 Dans ces conditions, la condamnation de la République d’Estonie au paiement d’une astreinte journalière, telle que sollicitée par la Commission, constituerait un moyen financier approprié afin d’assurer que cet État membre mette fin, dans les plus brefs délais, au manquement constaté et respecte les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2019/1937. Toutefois, dès lors qu’il ne saurait être exclu que, à la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, la transposition de
cette directive soit totalement achevée, il ne serait approprié d’infliger une astreinte que dans la mesure où le manquement persisterait à la date de ce prononcé [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 66].

– Sur le montant des sanctions pécuniaires

71 En ce qui concerne le calcul du montant des sanctions requises par la Commission, il convient de rappeler que, en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, seule la Cour est compétente pour infliger une sanction pécuniaire à un État membre. Toutefois, dans le cadre d’une procédure engagée sur le fondement de cette disposition, la Cour ne dispose que d’un pouvoir d’appréciation encadré, dès lors que, en cas de constat d’un manquement par cette dernière, les propositions de la Commission
lient la Cour quant à la nature de la sanction pécuniaire qu’elle peut infliger et quant au montant maximal de la sanction qu’elle peut prononcer [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 67 et jurisprudence citée].

72 Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant des sanctions pécuniaires infligées à un État membre en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la
période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 68 et jurisprudence citée].

73 Il convient également de rappeler que, dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, des lignes directrices, telles que les communications de la Commission, ne lient pas la Cour, mais contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission elle-même lorsque cette institution fait des propositions à la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 69 et jurisprudence citée].

74 En l’occurrence, la Commission s’est fondée sur la communication de 2023 pour fixer le montant des sanctions pécuniaires requises.

75 En premier lieu, concernant la gravité du manquement constaté, il ressort du point 3.2 de la communication de 2023 que, selon la Commission, l’absence de communication des dispositions de transposition d’une directive adoptée dans le cadre d’une procédure législative est toujours considérée comme étant grave. Partant, ce manquement justifierait l’application automatique d’un coefficient de gravité de 10.

76 La République d’Estonie conteste le niveau de ce coefficient et l’automaticité de son application en l’espèce.

77 À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation d’adopter des dispositions pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de les communiquer à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union, et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23,
EU:C:2024:346, point 72 et jurisprudence citée].

78 En l’occurrence, il y a lieu de souligner que la directive 2019/1937 est un instrument crucial du droit de l’Union en tant qu’elle établit, en vertu de son article 1er, lu en combinaison avec le considérant 1 de celle-ci, des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection équilibrée et efficace des personnes qui signalent des violations de ce droit dans des domaines dans lesquels de telles violations sont susceptibles de porter particulièrement atteinte à l’intérêt général. En
effet, en établissant un système de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union dans un contexte professionnel, cette directive contribue à prévenir les atteintes à l’intérêt public, dans des domaines particulièrement sensibles, tels que ceux des marchés publics, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de la protection de l’environnement ou des intérêts financiers de l’Union. Ainsi, les dispositions de ladite directive prévoient
l’obligation, tant pour les entités du secteur public que pour celles du secteur privé, de mettre en place des canaux de signalement interne, des procédures de réception et de suivi des signalements, tout en garantissant les droits des personnes signalant des violations du droit de l’Union ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci peuvent bénéficier de la protection ainsi prévue [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 73].

79 Or, l’absence de transposition des dispositions de la directive 2019/1937 dans le délai imparti porte nécessairement atteinte au droit de l’Union et à son application uniforme et effective, dès lors que des violations de ce droit sont susceptibles de ne pas faire l’objet d’un signalement si les personnes ayant connaissance de telles violations ne bénéficient pas d’une protection contre d’éventuelles représailles [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23,
EU:C:2024:346, point 74].

80 Cela étant, le montant des sanctions pécuniaires infligées à un État membre en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE doit être adapté aux circonstances et proportionné à l’infraction commise [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 75], ainsi qu’il a été rappelé au point 7372 du présent arrêt.

81 C’est la raison pour laquelle la Cour a jugé que l’application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition complète d’une directive et, partant, d’absence de communication des mesures de transposition de cette directive fait nécessairement obstacle à l’adaptation du montant des sanctions pécuniaires aux circonstances qui caractérisent l’infraction et à l’imposition de sanctions proportionnées [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive
lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 76].

82 À cet égard, la Cour a précisé que, en présumant que la violation de l’obligation de communiquer les mesures de transposition d’une directive doit être considérée comme ayant la même gravité quelle que soit la directive concernée, la Commission n’est pas en mesure d’adapter les sanctions pécuniaires en fonction des conséquences du défaut d’exécution de cette obligation sur les intérêts privés et publics, tel que le prévoit le point 3.2.2 de la communication de 2023 [arrêt du 25 avril 2024,
Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 77].

83 En l’occurrence, la République d’Estonie a fait valoir, dans son mémoire en défense, que sa législation comportait déjà certaines dispositions, exposées au point 43 du présent arrêt, destinées à protéger les personnes signalant des violations du droit de l’Union, qui seraient conformes aux exigences de la directive 2019/1937.

84 Ainsi, l’article 3 de la loi sur le contrat de travail et l’article 13 de la loi sur la fonction publique prévoiraient l’interdiction générale des représailles contre les lanceurs d’alerte, ainsi que le prescrit l’article 19 de la directive 2019/1937. En outre, une protection des personnes auteurs de signalements serait assurée par l’article 6, paragraphe 2, de la loi anticorruption, les articles 49, 51, 52 et 521 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme, les
articles 502 et 503 de la loi relative à l’autorité de surveillance et financière ainsi que les articles 2011, 2012 et 23749 de la loi sur le marché des valeurs mobilières. De surcroît, plusieurs autorités publiques auraient mis en place des canaux de signalement interne.

85 Dans ces conditions, il convient de constater qu’il n’a pas été établi que les conséquences du manquement constaté en l’espèce sur les intérêts privés et publics étaient aussi négatives que dans le cas d’une absence de transposition complète de la directive 2019/1937. En ce que la Commission fait valoir qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de cette législation nationale dans le cadre de l’appréciation du niveau du coefficient de gravité retenu, puisqu’elle ne lui a pas été notifiée, il suffit de
constater que l’absence de notification de ladite législation ne saurait, à elle seule, avoir une incidence quant aux conséquences que cette dernière a effectivement sur ces intérêts [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 92].

86 Il n’en demeure pas moins que la République d’Estonie a elle-même reconnu, dans son mémoire en défense, que les règles protégeant les personnes qui signalent des violations du droit de l’Union sont dispersées dans l’ordre juridique estonien et ne comportent pas, contrairement à ce qu’exige l’article 26, paragraphe 3, de la directive 2019/1937, de référence explicite à la protection de ces personnes.

87 Or, l’absence de règles spécifiques et claires portant sur la protection des personnes signalant les violations du droit de l’Union, telle que cette protection est prévue par la directive 2019/1937, fait obstacle à une protection effective de ces personnes et est donc susceptible de remettre en cause l’application uniforme et effective de ce droit dans les domaines couverts par cette directive [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346,
point 94].

88 En effet, comme il a été rappelé au point 78 du présent arrêt, en établissant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union dans un contexte professionnel, la directive 2019/1937 contribue à prévenir les atteintes à l’intérêt public, dans des domaines particulièrement sensibles, tels que ceux des marchés publics, de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de la protection de l’environnement ou des intérêts financiers de
l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 95].

89 Cela étant, comme il a été indiqué au point 79 du présent arrêt, en l’absence de protection effective, les personnes ayant connaissance d’une violation du droit de l’Union dans ces domaines sont susceptibles d’être dissuadées de les signaler dès lors que, ce faisant, elles sont susceptibles de s’exposer à des représailles [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 96].

90 Partant, eu égard à l’objectif énoncé à l’article 1er de la directive 2019/1937, lu en combinaison avec le considérant 1 de celle-ci, l’absence d’adoption des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition complète et précise de ladite directive est d’une gravité particulièrement sérieuse [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 97].

91 Il y a lieu également de relever que la circonstance que la République d’Estonie fasse pour la première fois l’objet d’une procédure en manquement fondée sur l’article 260, paragraphe 3, TFUE ne saurait être prise en compte dans la détermination du montant de la somme forfaitaire à lui infliger. En effet, le comportement passé d’un État membre n’a aucun rapport avec les conséquences de la non‑transposition de la directive en cause sur les intérêts privés et publics.

92 En deuxième lieu, dans le cadre de l’appréciation de la durée de l’infraction, il importe de rappeler, d’une part, que, en ce qui concerne le début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement en cause est non pas celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission, mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question, à
savoir le 17 décembre 2021 [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 80 et jurisprudence citée].

93 D’autre part, s’agissant de la fixation d’une astreinte, la durée de l’infraction doit être évaluée en ayant égard au moment auquel la Cour apprécie les faits et non pas à celui où cette dernière est saisie par la Commission [arrêt du 8 juillet 2019, Commission/Belgique (Article 260, paragraphe 3, TFUE – Réseaux à haut débit), C‑543/17, EU:C:2019:573, point 87].

94 Or, il est constant que la République d’Estonie n’avait pas, à l’expiration du délai de transposition prévu à l’article 26, paragraphe 1, de la directive 2019/1937, à savoir le 17 décembre 2021, adopté les dispositions législatives, réglementaires ou administratives nécessaires pour transposer cette directive et, partant, n’avait pas non plus communiqué ces dispositions à la Commission, contrairement à ce que prévoit l’article 26, paragraphe 3, de ladite directive. Il s’ensuit que le manquement
en cause, qui n’a pas pris fin au jour de l’examen des faits par la Cour, perdure depuis trois ans.

95 En troisième lieu, en ce qui concerne la capacité de paiement de la République d’Estonie, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, sans préjudice de la possibilité pour la Commission de proposer des sanctions financières fondées sur une pluralité de critères, en vue de permettre, notamment, de maintenir un écart raisonnable entre les divers États membres, il convient de prendre en compte le PIB de cet État en tant que facteur prédominant aux fins de l’appréciation de sa capacité de paiement
et de la fixation de sanctions suffisamment dissuasives et proportionnées, afin de prévenir de manière effective la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 81 et jurisprudence citée].

96 À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il convenait de prendre en compte l’évolution récente du PIB de l’État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, point 82 et jurisprudence citée].

97 En l’occurrence, le facteur « n », représentant la capacité de paiement de l’État membre concerné par rapport à la capacité de paiement des autres États membres, appliqué par la Commission aux termes des points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023, se définit comme une moyenne géométrique pondérée du PIB de l’État membre concerné par rapport à la moyenne des PIB des États membres, qui compte pour deux tiers du calcul du facteur « n », et de la population de l’État membre concerné par rapport à
la moyenne de la population des États membres, qui compte pour un tiers du calcul du facteur « n », ainsi qu’il ressort de l’équation mentionnée au point 9 du présent arrêt. La Commission justifie cette méthode de calcul du facteur « n » à la fois par l’objectif de maintenir un écart raisonnable des facteurs « n » des États membres, en comparaison avec un calcul fondé uniquement sur le PIB des États membres et par l’objectif de garantir une certaine stabilité dans le calcul du facteur « n »,
étant donné qu’il est peu probable que la population varie de manière significative sur une base annuelle [arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C‑147/23, EU:C:2024:346, point 83 et jurisprudence citée].

98 Toutefois, la Cour a jugé que la détermination de la capacité de paiement de l’État membre concerné ne saurait inclure, dans la méthode de calcul du facteur « n », la prise en compte d’un critère démographique selon les modalités prévues aux points 3.4 et 4.2 de la communication de 2023 [voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2024, Commission/Pologne (Directive lanceurs d’alerte), C-147/23, EU:C:2024:346, points 84 à 86].

99 Partant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 95 du présent arrêt et à défaut d’un critère pertinent avancé par la Commission pour garantir une stabilité de calcul et maintenir un écart raisonnable des facteurs « n » des États membres, c’est en tenant compte de la moyenne du PIB de la République d’Estonie des trois dernières années qu’il convient de fixer le montant des sanctions pécuniaires.

100 Au vu de ce qui précède et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour par l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne les sanctions financières dont elle inflige le paiement, fixer un montant dépassant celui indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer, d’une part, que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de la directive
2019/1937 et portant atteinte à la pleine effectivité du droit de l’Union requiert l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à 500000 euros et, d’autre part, que, dans le cas où le manquement constaté au point 32 du présent arrêt persisterait à la date du prononcé de cet arrêt, de condamner la République d’Estonie à payer à la Commission, à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme à ce manquement, une astreinte journalière d’un montant de
1500 euros.

Sur les dépens

101 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Estonie et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

  1) En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé de la Commission européenne du 15 juillet 2022, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, la République d’Estonie a manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphes 1 et 3, de cette directive.

  2) En n’ayant pas, à la date de l’examen des faits par la Cour, adopté les mesures nécessaires pour transposer dans son droit interne les dispositions de la directive 2019/1937 ni, partant, communiqué ces mesures à la Commission européenne, la République d’Estonie a persisté dans son manquement.

  3) La République d’Estonie est condamnée à payer à la Commission européenne :

– une somme forfaitaire d’un montant de 500000 euros ;

– dans le cas où le manquement constaté au point 1 du dispositif persisterait à la date du prononcé du présent arrêt, une astreinte journalière d’un montant de 1500 euros à compter de cette date et jusqu’à ce que cet État membre ait mis un terme à ce manquement.

  4) La République d’Estonie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’estonien.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-154/23
Date de la décision : 06/03/2025
Type de recours : Recours en constatation de manquement

Analyses

Manquement d’État – Article 258 TFUE – Protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union – Directive (UE) 2019/1937 – Article 26, paragraphes 1 et 3 – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte journalière – Critères d’établissement du montant des sanctions – Application automatique d’un coefficient de gravité.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République d'Estonie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 11/03/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:148

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