ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
30 janvier 2025 ( *1 )
« Pourvoi – Santé publique – Médicaments à usage humain – Autorisation de mise sur le marché – Spikevax – Comirnaty – Recours en annulation – Indépendance et impartialité des juges de l’Union – Non-respect des règles de procédure – Défaut de motivation et motivation contradictoire – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Droit à une protection juridictionnelle effective »
Dans l’affaire C‑586/23 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 25 septembre 2023,
Giovanni Frajese, demeurant à Rome (Italie), représenté par Mes O. Milanese et A. Montanari, avvocati,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. G. Gattinara et A. Sipos, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Jääskinen, président de la neuvième chambre, faisant fonction de président de la huitième chambre, M. M. Gavalec (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, M. Giovanni Frajese demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 27 juillet 2023, Frajese/Commission (T‑786/22, ci-après l’ ordonnance attaquée , EU:T:2023:457), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution C(2022) 7163 final de la Commission, du 3 octobre 2022, portant octroi de l’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain « Spikevax – élasoméran » au titre du règlement
(CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la décision C(2021) 94 (final) et, d’autre part, de la décision d’exécution C(2022) 7342 final de la Commission, du 10 octobre 2022, portant octroi de l’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain « Comirnaty – tozinaméran, vaccin à ARNm (à nucléoside modifié) contre la COVID‑19 » au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la décision C(2020) 9598 (final) (ci‑après,
ensemble, les « décisions litigieuses »).
Les antécédents du litige
2 Les antécédents du litige sont exposés comme suit aux points 2 à 7 de l’ordonnance attaquée :
« 2 Le 21 décembre 2020 et le 6 janvier 2021, la Commission européenne a adopté respectivement la décision d’exécution C(2020) 9598 final et la décision d’exécution C(2021) 94 final, par lesquelles elle a octroyé, sur demandes respectivement présentées par BioNTech Manufacturing GmbH (ci-après “BioNTech”) et par Moderna Biotech Spain SL (ci-après “Moderna”) et au titre de l’article 14 bis du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures
communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2019/5 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018 (JO 2019, L 4, p. 24), des autorisations de mise sur le marché (ci-après des “AMM”) conditionnelles du médicament “Comirnaty – tozinaméran, vaccin à ARNm (à nucléoside modifié) contre la
COVID-19” et du médicament “Spikevax, élasoméran” (ci-après, pris ensemble, les “vaccins en cause”).
3 À la suite de l’avis du comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne des médicaments (EMA) et constatant à leur considérant 2 qu’il est satisfait aux obligations spécifiques auxquelles sont soumises les AMM conditionnelles octroyées aux vaccins en cause, les décisions [litigieuses] ont abrogé et remplacé la décision d’exécution C(2020) 9598 final et la décision d’exécution C(2021) 94 final.
4 Aux termes de l’article 1er des décisions [litigieuses], une AMM au titre de l’article 3 du règlement no 726/2004 qui n’est pas soumise à des obligations spécifiques est octroyée aux vaccins en cause, dont le résumé des caractéristiques figure à l’annexe I des décisions [litigieuses].
5 Aux termes de l’article 2 des décisions [litigieuses], les AMM octroyées aux vaccins en cause restent soumises au respect des conditions, notamment de fabrication et d’importation, de contrôle et de délivrance, figurant à l’annexe II des décisions [litigieuses].
6 Aux termes de l’article 4 des décisions [litigieuses], les AMM octroyées aux vaccins en cause ont une durée de validité de cinq ans à compter de la notification desdites décisions.
7 Aux termes de l’article 6 des décisions [litigieuses], Moderna et BioNTech sont destinataires de ces décisions. »
La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
3 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2022, M. Frajese a introduit, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation des décisions litigieuses.
4 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 6 mars 2023, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, en soutenant que, à l’égard des décisions litigieuses, M. Frajese n’avait aucun intérêt à agir et était en outre dépourvu de qualité pour agir.
5 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable pour absence d’intérêt à agir et défaut de qualité pour agir de M. Frajese.
Les conclusions des parties devant la Cour
6 Par son pourvoi, M. Frajese demande à la Cour :
– d’accueillir le pourvoi dans son intégralité ;
– d’annuler l’ordonnance attaquée ;
– en tout état de cause, d’annuler le point du dispositif relatif à la condamnation aux dépens, et
– d’accueillir le recours de première instance.
7 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner M. Frajese aux dépens.
Sur le pourvoi
8 À l’appui de son pourvoi, M. Frajese soulève quatre moyens, tirés, pour le premier, d’une violation de l’article 254 TFUE, des articles 2 à 18 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de l’article 16 du règlement de procédure du Tribunal et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), pour le deuxième, d’une violation de l’article 81, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure du Tribunal, lu en combinaison avec l’article 61,
paragraphe 1, et l’article 62 de celui-ci, pour le troisième, d’un défaut de motivation et d’une motivation contradictoire ainsi que d’erreurs de droit commises lors de la constatation de l’absence de son intérêt à agir et de l’absence de sa qualité pour agir, résultant d’une violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et, pour le quatrième, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
9 Par son premier moyen, M. Frajese conteste la validité de l’ordonnance attaquée en ce que le juge rapporteur dans l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance a exercé, entre l’année 1996 et l’année 2019, différentes fonctions au sein de la Commission. Il soutient que l’indépendance et l’impartialité du Tribunal ont été compromises par la longue carrière que ce juge a effectuée au sein de cette institution ainsi que par la perspective pour ce dernier de reprendre cette carrière auprès de ladite
institution après la fin de son mandat de juge.
10 En se référant à l’article 254 TFUE, aux articles 2, 4 et 18 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 16 du règlement de procédure du Tribunal ainsi qu’à l’article 47 de la Charte, M. Frajese rappelle que l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, prévoit que le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial est à la base d’un procès équitable.
Il souligne que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, lors de l’évaluation de l’indépendance d’un tribunal, les apparences comptent également, étant donné l’importance de préserver la confiance des citoyens dans une société démocratique et dans l’impartialité des tribunaux, et que, pour établir s’il existe un doute légitime quant à l’indépendance ou l’impartialité d’un juge, il faut prendre en compte, notamment, le point de vue de l’intéressé, en examinant si ses
appréhensions sont justifiées. Ainsi, l’indépendance d’un juge serait violée aussi bien lorsque le juge est concrètement influencé que lorsqu’il pourrait l’être in abstracto, car la suspicion serait en soi susceptible d’ébranler la confiance des citoyens.
11 La Commission conclut au rejet de ce moyen.
Appréciation de la Cour
12 Il importe de relever que, devant le Tribunal, M. Frajese n’a pas demandé la récusation du juge rapporteur dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance attaquée, conformément à l’article 18, premier et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 47, premier alinéa, de ce statut. De même, dans le cadre de son pourvoi, M. Frajese n’invoque aucun des motifs de récusation prévus à l’article 18, premier alinéa, dudit statut.
13 Dans son argumentation présentée devant la Cour, M. Frajese se limite à soutenir, en se prévalant de la théorie des apparences, que la longue carrière du juge rapporteur au sein de la Commission et la perspective pour celui‑ci de reprendre cette carrière auprès de cette institution après la fin de son mandat conduisent à douter de l’indépendance et de l’impartialité de la formation de jugement du Tribunal qui a eu à connaître de l’affaire.
14 À cet égard, il convient de rappeler que l’exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lesquels revêtent une importance cardinale en tant que garanties de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE,
notamment la valeur de l’État de droit (arrêt du 11 juillet 2024, Hann-Invest e.a., C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21, EU:C:2024:594, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
15 Cette exigence d’indépendance comporte deux volets. Le premier, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions
(voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2024, Hann-Invest e.a., C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21, EU:C:2024:594, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
16 Le second volet, d’ordre interne, dont le respect est mis en cause par M. Frajese par son moyen visant la formation de jugement du Tribunal qui a adopté l’ordonnance attaquée, rejoint l’exigence d’impartialité, visant l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2024, Hann-Invest e.a., C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21, EU:C:2024:594, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
17 Cette exigence d’impartialité recouvre deux aspects. En premier lieu, ladite instance doit être subjectivement impartiale, c’est-à-dire qu’aucun de ses membres ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, l’impartialité personnelle se présumant jusqu’à preuve du contraire. En second lieu, celle-ci doit être objectivement impartiale, c’est-à-dire qu’elle doit offrir les garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008,
Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 54, ainsi que ordonnance du 15 décembre 2011, Altner/Commission, C‑411/11 P, EU:C:2011:852, point 15).
18 Or, d’une part, M. Frajese n’étaye par aucun élément de preuve son assertion, en ce qui concerne l’impartialité subjective. En effet, il ne se réfère à aucune circonstance précise permettant d’établir une partialité personnelle du juge rapporteur dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance attaquée. Il n’allègue, notamment, ni que ce membre de la formation de jugement a été impliqué dans l’adoption des décisions litigieuses ni que celui-ci a contribué à leur adoption d’une façon quelconque.
19 D’autre part, M. Frajese ne produit aucun élément en vue de mettre en cause l’impartialité objective de la formation de jugement du Tribunal concernée et ne conteste la validité d’aucune disposition du droit de l’Union ayant vocation à instituer des garanties pour assurer l’impartialité de cette dernière. En particulier, il n’allègue pas que les règles relatives à la composition de la formation de jugement du Tribunal à laquelle une affaire est attribuée ne seraient pas de nature à assurer la
neutralité de cette formation par rapport aux intérêts qui s’affrontent devant celle-ci.
20 En conséquence, M. Frajese ne présentant aucun argument juridique qui soutient de manière spécifique le premier moyen de son pourvoi, ce moyen doit être rejeté comme étant irrecevable (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 215, ainsi que du 16 novembre 2023, Roos e.a./Parlement, C‑458/22 P, EU:C:2023:871, point 90).
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
21 Par son deuxième moyen, M. Frajese soutient que le Tribunal a violé son règlement de procédure, en considérant, au point 14 de l’ordonnance attaquée, que l’exception d’irrecevabilité avait été présentée par la Commission dans le délai de deux mois augmenté de dix jours, découlant de l’article 60, de l’article 81, paragraphe 1, et de l’article 130, paragraphe 1, de ce règlement de procédure. Il fait valoir que le Tribunal aurait dû considérer l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission
le 6 mars 2023 comme étant irrecevable en raison de son caractère tardif.
22 La Commission conclut au rejet de ce moyen.
Appréciation de la Cour
23 Il ressort du point 14 de l’ordonnance attaquée que, conformément à l’article 6, deuxième alinéa, de la décision du Tribunal, du 11 juillet 2018, relative au dépôt et à la signification d’actes de procédure par la voie de l’application e-Curia (JO 2018, L 240, p. 72), la Commission a été avertie, le 20 décembre 2023, par courrier électronique, de la signification qui lui était adressée par e‑Curia de la requête introduite en première instance par M. Frajese. Or, ainsi qu’elle l’établit, la
Commission a demandé l’accès à cet acte le 22 décembre 2023, de sorte que, conformément à l’article 6, troisième alinéa, de cette décision, c’est à cette dernière date que la requête doit être regardée comme ayant été signifiée à cette institution.
24 Il s’ensuit que le délai de deux mois et dix jours suivant la signification de la requête dans lequel, en application des dispositions combinées de l’article 60, de l’article 81, paragraphe 1, et de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission pouvait présenter une exception d’irrecevabilité a pris fin le 4 mars 2023. Toutefois, ce 4 mars 2023 étant un samedi, l’expiration du délai a été reportée, en application de l’article 58, paragraphe 2, de ce règlement
de procédure, à la fin du premier jour ouvrable suivant, soit le lundi 6 mars 2023.
25 Étant donné que la Commission a présenté son exception d’irrecevabilité de la requête de première instance le 6 mars 2023, M. Frajese n’est pas fondé à en invoquer la tardiveté.
26 Dans ces conditions, le deuxième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen
27 Ce moyen se divise en trois branches. Par la première branche, le requérant critique un défaut de motivation et une motivation contradictoire entachant l’ordonnance attaquée. Par la deuxième branche, il fait grief au Tribunal d’avoir conclu, en violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, à son absence d’intérêt à agir. Par la troisième branche, il reproche au Tribunal d’avoir conclu, en violation de cette même disposition, à son absence de qualité pour agir.
Sur la première branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
28 Premièrement, M. Frajese reproche au Tribunal d’avoir examiné la question de l’existence d’une éventuelle obligation de vaccination à sa charge, alors qu’il n’a jamais avancé, pour établir son intérêt à agir et sa qualité pour agir, qu’il était soumis à une telle obligation.
29 Deuxièmement, il fait valoir que le Tribunal n’a pas examiné son argument selon lequel les décisions litigieuses créent pour tous les médecins vaccinateurs une obligation d’évaluer les médicaments mis sur le marché, dans le cadre de leur éventuelle prescription.
30 Troisièmement, M. Frajese reproche au Tribunal de ne pas avoir explicité les motifs pour lesquels il a écarté son argument, présenté en première instance afin d’étayer son intérêt à agir, selon lequel le choix que les médecins vaccinateurs effectuent quant à l’administration ou à la non-administration des médicaments auxquels une AMM a été octroyée implique leur responsabilité et leur intérêt direct à ce que ces médicaments n’entraînent pas de conséquences graves pour les patients auxquels ils
sont administrés. Il affirme avoir expliqué devant le Tribunal, sans que ce dernier ait fourni une motivation spécifique à cet égard, que, ainsi, sa responsabilité, en tant que médecin vaccinateur, profession particulière, est la conséquence directe des décisions litigieuses et de la simple disponibilité desdits médicaments sur le territoire de l’Union.
31 Quatrièmement, M. Frajese soutient que la motivation de l’ordonnance attaquée est contradictoire en ce que le Tribunal a, au point 22 de celle‑ci, constaté à la fois, d’une part, que les décisions litigieuses interdisent aux États membres de s’opposer à la mise sur le marché de l’Union des vaccins en cause et, d’autre part, que ces décisions ne créent aucune obligation pour les médecins de prescrire et d’administrer ces vaccins à leurs patients.
32 La Commission conclut au rejet de la première branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
33 En premier lieu, en ce qui concerne l’allégation de M. Frajese selon laquelle, contrairement à ce qui ressort du point 23 de l’ordonnance attaquée, il n’a jamais soutenu qu’il était soumis à une obligation de vaccination, il convient d’écarter ce grief comme étant inopérant, puisque, à supposer que cette allégation soit avérée, le Tribunal se serait borné, à ce point de l’ordonnance attaquée, à écarter un argument qui n’aurait pas été avancé.
34 En deuxième lieu, en ce que M. Frajese reproche au Tribunal de ne pas avoir examiné son argument selon lequel les décisions litigieuses créent pour tous les médecins vaccinateurs une obligation d’évaluer les médicaments mis sur le marché, dans le cadre de leur éventuelle prescription, il y a lieu de constater que ce grief doit également être écarté. En effet, au point 24 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a motivé l’absence d’effets juridiques obligatoires à l’égard des médecins vaccinateurs
de manière suffisamment claire, puisqu’il a précisé qu’« aucune disposition des décisions [litigieuses] et de leurs annexes ne confère aux médecins disposés à administrer les vaccins en cause la responsabilité, voire l’obligation, de procéder à une vérification de leur sécurité et de leur efficacité », tout en ajoutant que « la vérification de la sécurité et de l’efficacité des médicaments est assurée par l’EMA, sur l’avis de laquelle les décisions [litigieuses] sont fondées en l’espèce ».
35 En troisième lieu, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal n’impose pas à ce dernier de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs de la décision du Tribunal et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son
contrôle. Par ailleurs, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission, C‑847/19 P, EU:C:2021:343, points 61 et 62 ainsi que jurisprudence citée).
36 Or, au point 25 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a relevé, tout d’abord, que les décisions litigieuses s’adressent exclusivement aux producteurs des vaccins en cause et n’établissent pas d’obligations dans le chef des personnes physiques. Ensuite, à ce point, le Tribunal a indiqué que ces décisions ne sauraient être à l’origine d’une éventuelle responsabilité civile, voire pénale, de M. Frajese à l’égard de ses patients, car l’engagement de cette responsabilité dépend de circonstances
spécifiques qui trouvent leur origine dans le traitement individuel des patients et qui sont indépendantes desdites décisions. Enfin, audit point, le Tribunal a relevé que, pour autant que M. Frajese éprouverait, dans le cadre du traitement d’un patient, des doutes quant à la sécurité ou à l’efficacité des vaccins en cause, il lui resterait loisible de ne pas recommander ou de ne pas administrer ces vaccins et que, en tout état de cause, sa responsabilité ne saurait être engagée du fait de ne pas
avoir contesté en justice les AMM octroyées à ces vaccins.
37 Il ressort ainsi de ce point 25 de l’ordonnance attaquée que le Tribunal y a clairement exposé les raisons pour lesquelles il a considéré que les décisions litigieuses n’affectent nullement les obligations des médecins vaccinateurs, au nombre desquels figure M. Frajese, et que toute éventuelle responsabilité de celui-ci à l’égard de ses patients serait indépendante de ces décisions ainsi que de la simple disponibilité desdits vaccins sur le territoire de l’Union.
38 Cette motivation fait donc apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal à l’égard de l’absence d’intérêt à agir de M. Frajese, de manière à lui permettre de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel, sans qu’il ait été nécessaire que le Tribunal écarte plus explicitement l’argument avancé par l’intéressé.
39 En quatrième lieu, le point 22 de l’ordonnance attaquée ne comporte pas, contrairement à ce que prétend M. Frajese, une motivation contradictoire. En effet, l’observation aux termes de laquelle les décisions litigieuses interdisent aux États membres de s’opposer à la mise sur le marché de l’Union des vaccins en cause ne contredit nullement la constatation selon laquelle ces décisions n’ont créé aucune obligation dans le chef des médecins de prescrire et d’administrer lesdits vaccins à leurs
patients.
40 Par conséquent, la première branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur la deuxième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
41 Premièrement, M. Frajese relève que l’objet des décisions litigieuses est de permettre l’utilisation des vaccins en cause sur le territoire de l’Union, dans le respect des exigences qui y sont énoncées, et, partant, leur administration. Ainsi, selon lui, le Tribunal a commis une erreur de droit en se fondant, pour dénier son intérêt à agir, sur le motif que la vaccination ne relève pas de l’objet de ces décisions mais peut être décidée par les autorités nationales, car ce motif est contredit par
le caractère centralisé de la procédure d’évaluation et de mise sur le marché au niveau de l’Union. De surcroît, de l’avis de M. Frajese, comme les annexes des décisions litigieuses exigent, pour l’administration des vaccins en cause, une prescription médicale, qui est un acte réservé aux médecins vaccinateurs, ces annexes sont susceptibles de produire des effets à l’égard desdits médecins vaccinateurs.
42 Deuxièmement, M. Frajese fait valoir que les dispositions de la charte européenne des droits des patients confirment l’existence d’un devoir légal, éthique et déontologique pour les médecins vaccinateurs de fournir aux citoyens de l’Union des informations complètes sur le type de traitement, les risques encourus et les alternatives thérapeutiques possibles.
43 Troisièmement, l’avantage direct que M. Frajese tirerait de l’annulation des décisions litigieuses et du retrait de l’AMM des vaccins en cause consisterait à être libéré de l’obligation d’évaluer ces vaccins et de sa responsabilité en cas de survenance d’événements indésirables chez les patients.
44 M. Frajese en conclut que c’est à tort que le Tribunal a jugé qu’il ne justifiait pas d’un intérêt à agir à l’égard des décisions litigieuses, compte tenu de son absence d’intérêt spécifique, réel et actuel à voir annuler ces décisions.
45 La Commission conclut au rejet de la deuxième branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
46 Par la première branche de son troisième moyen, M. Frajese soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’il n’a pas établi son intérêt à agir en annulation des décisions litigieuses.
47 En premier lieu, il convient de relever que, ainsi que le Tribunal l’a rappelé, aux points 16 et 17 de l’ordonnance attaquée, selon la jurisprudence constante de la Cour l’intérêt à agir constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice. Un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est ainsi recevable que dans la mesure où la partie requérante a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. L’intérêt à agir d’une partie requérante suppose que
l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques, que le recours soit ainsi apte, par son résultat, à procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté et que celle-ci justifie d’un intérêt né et actuel à l’annulation dudit acte. Par ailleurs, il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de son intérêt à agir. Celle-ci doit, en particulier, démontrer l’existence d’un intérêt personnel à obtenir l’annulation de l’acte attaqué. Cet
intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 55 à 58 ainsi que jurisprudence citée).
48 C’est à bon droit que, aux points 21 à 24 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a examiné le contenu et la portée des décisions litigieuses, en prenant notamment en considération leurs destinataires, Moderna et BioNTech, ainsi que l’existence des responsabilités et des obligations créées le cas échéant par ces décisions à l’égard des médecins vaccinateurs, dont M. Frajese, pour parvenir, aux points 25, 26 et 28 de cette ordonnance, à la conclusion selon laquelle, l’annulation desdites décisions
ne pouvant procurer un quelconque avantage à M. Frajese, ce dernier n’avait dès lors aucun intérêt à agir à l’égard desdites décisions.
49 Contrairement à ce que soutient M. Frajese, il ne découle pas du fait que les AMM sont octroyées aux vaccins en cause par les décisions litigieuses, permettant aux titulaires de mettre ces vaccins sur le marché dans chaque État membre, que ces décisions obligent les médecins à prescrire lesdits vaccins et à les administrer à leurs patients. À cet égard, la Cour a déjà jugé que, si la délivrance d’une AMM d’un vaccin constitue une condition préalable pour le droit de son titulaire de mettre ce
vaccin sur le marché dans chaque État membre, cette AMM n’entraîne en principe aucune obligation à la charge des patients ou des médecins vaccinateurs (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2023, Azienda Ospedale-Università di Padova, C‑765/21, EU:C:2023:566, points 36 et 42).
50 De même, contrairement à ce que soutient M. Frajese, s’il découle des annexes des décisions litigieuses qu’une prescription médicale est nécessaire aux fins de l’administration des vaccins en cause, cette circonstance ne crée directement ni obligation ni responsabilité pour un médecin vaccinateur.
51 M. Frajese n’apporte donc aucun élément susceptible d’établir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé, aux points 22 et 23 de l’ordonnance attaquée, que les décisions litigieuses ne créent aucune charge ou obligation pour les médecins d’administrer les vaccins en cause à leurs patients et qu’une obligation de cette nature ne pourrait trouver son fondement juridique que dans le droit national de l’État membre concerné.
52 En deuxième lieu, M. Frajese ne démontre pas en quoi l’annulation des décisions litigieuses remettrait en cause son devoir d’informer ses patients sur le type de traitement, les risques encourus et les alternatives thérapeutiques possibles. En effet, un tel devoir d’information est dépourvu de tout lien avec le contenu de ces décisions, lesquelles ne comportent aucune prescription sur ces aspects. Ainsi, M. Frajese n’est pas fondé à soutenir que le Tribunal aurait dû prendre en considération
ledit devoir d’information et, ce faisant, constater son intérêt à agir.
53 En troisième lieu, d’une part, M. Frajese ne démontre pas en quoi seraient erronées l’affirmation, figurant au point 24 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle « aucune disposition des décisions [litigieuses] et de leurs annexes ne confère aux médecins disposés à administrer les vaccins en cause la responsabilité, voire l’obligation, de procéder à une vérification de leur sécurité et de leur efficacité », ainsi que la constatation, figurant à ce même point 24, selon laquelle la vérification de
la sécurité et de l’efficacité de ces vaccins est assurée par l’EMA, sur l’avis de laquelle lesdites décisions sont fondées. En conséquence, M. Frajese ne saurait soutenir que le Tribunal aurait dû admettre que l’annulation des décisions litigieuses le libérerait de son obligation d’évaluer lesdits vaccins.
54 D’autre part, s’agissant de sa responsabilité prétendument encourue en cas de survenance d’événements indésirables chez les patients, M. Frajese n’explique pas en quoi serait erronée l’affirmation, figurant au point 25 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle l’engagement de la responsabilité d’un médecin à l’égard de ses patients dépend de circonstances spécifiques qui trouvent leur origine dans le traitement individuel desdits patients et qui sont indépendantes des décisions litigieuses. Dès
lors, M. Frajese ne saurait soutenir que le Tribunal aurait dû admettre que l’annulation de ces décisions le libérerait de sa responsabilité dans l’hypothèse de la survenance d’événements indésirables chez ses patients.
55 Par conséquent, la deuxième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur la troisième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
56 Afin de contester les motifs de l’ordonnance attaquée relatifs à son absence de qualité pour agir, M. Frajese soutient, premièrement, que c’est à tort que le Tribunal a considéré qu’il ne remplissait pas les deux critères cumulatifs requis pour être considéré comme directement concerné par les décisions litigieuses, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Selon l’intéressé, étant donné que la procédure d’approvisionnement et de distribution des vaccins en cause a été centralisée au
niveau de l’Union et que les décisions litigieuses constituent une condition nécessaire et suffisante de la vente des produits autorisés sur tout le territoire de l’Union, sans que les autorités nationales soient tenues d’adopter des normes intermédiaires, le Tribunal aurait dû constater que ces décisions le concernent directement.
57 Deuxièmement, M. Frajese soutient que c’est à tort que le Tribunal n’a pas reconnu qu’il remplit les critères requis pour être considéré comme individuellement concerné par les décisions litigieuses, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Il fait valoir que le Tribunal aurait dû constater que son appartenance au corps restreint des médecins actifs dans la vaccination suffit à l’individualiser et qu’il doit être qualifié de destinataire des décisions litigieuses dont il assure
l’exécution matérielle en proposant, administrant ou déconseillant les vaccins en cause à ses patients. En tout état de cause, la condition selon laquelle un requérant doit être concerné individuellement par l’acte dont l’annulation est demandée serait satisfaite en l’espèce, car les décisions litigieuses le concerneraient en raison de certaines qualités qui lui sont particulières et d’une situation de fait qui le distingue de toute autre personne.
58 Troisièmement, en faisant référence au point 58 de l’arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873), M. Frajese indique, d’une part, que, lorsqu’un acte réglementaire produit directement des effets sur la situation juridique d’une personne physique ou morale sans requérir des mesures d’exécution, cette dernière risquerait d’être dépourvue d’une protection
juridictionnelle effective si elle ne disposait pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union afin de mettre en cause la légalité de cet acte réglementaire et, d’autre part, que son recours devant le Tribunal était la seule voie de recours dont il disposait.
59 La Commission conclut au rejet de la troisième branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
60 En dépit du constat de l’absence d’intérêt à agir de M. Frajese et malgré le caractère cumulatif des conditions distinctes tenant à l’intérêt à agir et à la qualité pour agir du requérant (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 62 ainsi que jurisprudence citée), le Tribunal a indiqué, au point 29 de l’ordonnance attaquée, qu’il estimait opportun d’examiner l’existence de la qualité pour agir de M. Frajese.
61 À cet égard, il convient de rappeler que la qualité pour agir d’une personne physique ou morale, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre un acte dont elle n’est pas le destinataire peut être établie dans deux cas de figure. D’une part, un recours en annulation peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si
celui‑ci la concerne directement (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 59 ainsi que jurisprudence citée).
62 Il ressort également de la jurisprudence que lorsqu’un recours en annulation est introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, l’exigence selon laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci est susceptible de se chevaucher avec les conditions, posées à l’article 263, quatrième alinéa,
TFUE, relatives à la qualité pour agir (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 38).
63 C’est à l’aune de ces considérations liminaires qu’il convient d’apprécier les arguments avancés par M. Frajese au soutien de la troisième branche de son troisième moyen.
64 En premier lieu, en ce qui concerne l’appréciation du Tribunal concernant le fait que le requérant ne serait pas directement concerné par les décisions litigieuses, il convient de relever que c’est conformément à la jurisprudence de la Cour que le Tribunal a rappelé, au point 30 de l’ordonnance attaquée, que, pour être considéré comme directement concerné par une mesure, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il est nécessaire que la mesure contestée produise directement des effets sur
la situation juridique du particulier et que cette mesure ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 66 ainsi que jurisprudence citée).
65 S’agissant de la première condition, c’est conformément à la jurisprudence de la Cour que le Tribunal a indiqué, au point 31 de l’ordonnance attaquée, que la mesure en cause doit produire directement des effets sur la situation juridique de la personne physique ou morale qui entend former un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et qu’une telle condition doit être appréciée uniquement au regard des effets juridiques de la mesure (arrêt du 3 décembre 2020, Région de
Bruxelles-Capitale/Commission, C‑352/19 P, EU:C:2020:978, point 64).
66 À cet égard, aux points 32 à 34 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a constaté que les décisions litigieuses ne produisent aucun effet sur la situation juridique de M. Frajese, car elles ne comportent aucune obligation à sa charge d’administrer les vaccins en cause à ses patients ou de vérifier, par ses propres soins, leur sécurité et leur efficacité, tout en ajoutant que, à supposer même qu’une obligation pour les médecins d’administrer ces vaccins ait existé en vertu du droit italien ou de
celui de l’Union, il s’agirait non pas d’effets juridiques découlant des décisions litigieuses, mais de la conséquence de l’adoption d’autres mesures au niveau soit national, soit de l’Union.
67 Pour ce qui est de la seconde condition, le Tribunal a relevé, au point 35 de l’ordonnance attaquée, que les décisions litigieuses se bornent à octroyer une AMM des vaccins en cause, sans que les autorités nationales des États membres soient destinataires de ces décisions, et qu’il en découle que celles-ci disposent d’un pouvoir d’appréciation total quant à l’opportunité d’imposer aux médecins le recours à ces médicaments, si nécessaire au moyen de mesures coercitives.
68 Sur la base de ces éléments, au point 36 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a conclu que les conditions exigées pour que M. Frajese soit considéré comme directement concerné par les décisions litigieuses n’étaient pas remplies.
69 Pour faire valoir que le Tribunal aurait dû reconnaître qu’il était directement concerné par les décisions litigieuses, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, M. Frajese se borne à affirmer, d’une part, en des termes généraux, que la première condition requise pour qu’il soit considéré comme directement concerné est remplie en l’espèce, sans mettre en cause le raisonnement du Tribunal sur le fondement duquel ce dernier a conclu que ces décisions ne produisent pas directement des effets
sur sa situation juridique.
70 D’autre part, quant à la seconde condition requise pour qu’il soit considéré comme directement concerné, c’est en vain que M. Frajese invoque une absence de marge d’appréciation des autorités nationales dans la procédure centralisée d’achat des vaccins, car les décisions litigieuses portent non pas sur l’achat des vaccins en cause mais sur les AMM, accordées à deux entreprises pharmaceutiques, permettant la commercialisation de ces vaccins.
71 Il s’ensuit que M. Frajese ne démontre pas que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu’il n’était pas directement concerné par les décisions litigieuses.
72 En deuxième lieu, s’agissant de l’appréciation du Tribunal concernant le fait que le requérant ne serait pas individuellement concerné par les décisions litigieuses, il convient de faire observer que l’intéressé n’avance aucun argument de nature à démontrer que seraient erronées les conclusions du Tribunal, figurant aux points 39 et 41 de l’ordonnance attaquée, aux termes desquelles « [l]a simple allégation selon laquelle le requérant ferait partie du corps restreint des médecins actifs dans la
vaccination des citoyens ne suffit pas à l’individualiser ni à le caractériser par rapport à l’ensemble des professionnels actifs dans le secteur de santé et des soins » et « il ne saurait être considéré que les décisions [litigieuses] atteignent le requérant ou ses patients en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un
destinataire ».
73 En outre, pour ce qui est de l’affirmation de M. Frajese selon laquelle il devrait être considéré comme destinataire des décisions litigieuses, il suffit de relever qu’il n’explique pas en quoi serait erroné le constat du Tribunal, figurant au point 21 de l’ordonnance attaquée, selon lequel Moderna et BioNTech sont les seules destinataires de ces décisions.
74 En troisième lieu, s’agissant, d’une part, de l’argument de M. Frajese selon lequel la nécessité d’assurer la protection juridictionnelle effective implique qu’une personne physique ou morale puisse attaquer un acte réglementaire produisant directement des effets sur sa situation juridique sans requérir des mesures d’exécution, il convient de relever que le Tribunal a jugé, aux points 42 à 44 de l’ordonnance attaquée, que les décisions litigieuses ne peuvent être considérées comme étant des actes
réglementaires. Or, le pourvoi ne comporte aucun élément expliquant en quoi cette conclusion du Tribunal serait entachée d’une erreur de droit.
75 Pour ce qui est, d’autre part, de l’allégation de M. Frajese selon laquelle le recours en annulation introduit en première instance était la seule voie de recours dont il disposait, il suffit de faire observer que, comme le Tribunal l’a rappelé à bon droit aux points 45 et 46 de l’ordonnance attaquée, les personnes physiques ou morales ne pouvant pas, en raison des conditions de recevabilité du recours en annulation, attaquer directement des actes de l’Union sont en droit de contester devant les
juridictions nationales les mesures adoptées par les États membres en lien avec ces actes, en invoquant l’invalidité de ces derniers et en amenant les juridictions nationales à interroger la Cour par voie de questions préjudicielles sur la validité desdits actes sur le fondement de l’article 267 TFUE.
76 Par conséquent, la troisième branche du troisième moyen et, partant, ce moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme étant non fondés.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
77 Par son quatrième moyen, M. Frajese fait valoir que le Tribunal a jugé erronément, au point 46 de l’ordonnance attaquée, que les personnes physiques ou morales, telles que lui-même, qui ne peuvent, en raison des conditions de recevabilité du recours en annulation, attaquer directement des actes de l’Union, sont en droit de contester devant les juridictions nationales les mesures adoptées par les États membres en lien avec ces actes, en invoquant l’invalidité de ces derniers et en amenant les
juridictions nationales à interroger la Cour par voie de questions préjudicielles sur la validité desdits actes sur le fondement de l’article 267 TFUE.
78 Il soutient qu’il n’est pas possible d’« amener » les juridictions nationales à interroger la Cour par voie de questions préjudicielles sur la validité des actes de la Commission, car ce pouvoir relève exclusivement de la compétence des juges du fond, et que, partant, la possibilité dont disposent les juridictions nationales d’interroger la Cour n’est pas un moyen suffisant pour garantir les droits de la défense des citoyens qui subissent les conséquences préjudiciables des actes adoptés par la
Commission.
79 Ainsi, selon M. Frajese, puisque le recours prévu à l’article 263 TFUE constituait le seul moyen qu’il pouvait utiliser, le Tribunal l’a privé, en ayant rejeté son recours comme étant irrecevable, de toute protection juridictionnelle effective, en violation de l’article 47 de la Charte.
80 La Commission conclut au rejet de ce moyen.
Appréciation de la Cour
81 Selon la jurisprudence de la Cour, le droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte, ne saurait conduire à écarter les conditions de recevabilité d’un recours en annulation expressément prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 97 et 98 ainsi que jurisprudence citée).
82 Dès lors, M. Frajese n’est pas fondé à soutenir que le Tribunal, après avoir constaté que les conditions de recevabilité de son recours en annulation n’étaient pas réunies en l’espèce, aurait néanmoins dû, en vertu de l’article 47 de la Charte, statuer sur le fond de ce recours.
83 S’agissant de l’argument selon lequel M. Frajese n’est pas en mesure de contraindre une juridiction nationale à interroger la Cour à titre préjudiciel, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que le renvoi en appréciation de validité constitue, au même titre que le recours en annulation, une modalité du contrôle de la légalité des actes de l’Union et que, lorsqu’une juridiction nationale estime qu’un ou plusieurs moyens d’invalidité d’un acte de l’Union avancés par les parties ou, le cas
échéant, soulevés d’office sont fondés, elle doit surseoir à statuer et saisir la Cour d’une procédure de renvoi préjudiciel en appréciation de validité, cette dernière étant seule compétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 95 et 96 ainsi que jurisprudence citée).
84 À cet égard, il convient d’ajouter, à l’instar de la Commission, qu’il découle du système mis en place par l’article 267 TFUE, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, que, dès lors qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne considère qu’elle est libérée de l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel, prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE, les motifs de sa décision doivent faire
apparaître soit que la question de droit de l’Union soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige, soit que l’interprétation de la disposition concernée du droit de l’Union est fondée sur la jurisprudence de la Cour, soit, à défaut d’une telle jurisprudence, que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à la juridiction nationale statuant en dernier ressort avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et
Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 51).Par ailleurs, un requérant peut demander réparation du préjudice résultant de la violation de l’obligation de renvoi préjudiciel dans les conditions prévues dans la jurisprudence ainsi que réclamer l’ouverture d’une procédure d’infraction par la Commission, relative à la violation de l’obligation de renvoi par l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, points 79 et 80
ainsi que jurisprudence citée).
85 En conséquence, M. Frajese n’est pas fondé à soutenir que le rejet de son recours comme irrecevable l’a privé de son droit à une protection juridictionnelle effective, en violation de l’article 47 de la Charte.
86 Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être écarté.
87 Aucun moyen du présent pourvoi n’ayant été accueilli, celui-ci ne peut qu’être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
88 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
89 La Commission ayant conclu à la condamnation de M. Frajese et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner ce dernier à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) M. Giovanni Frajese est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.