ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
28 janvier 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Article 101 TFUE – Directive 2014/104/UE – Actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence – Article 2, point 4 – Notion d’“action en dommages et intérêts” – Article 3, paragraphe 1 – Droit à réparation intégrale du préjudice subi – Cession des créances indemnitaires à un prestataire de services juridiques – Droit national s’opposant à la reconnaissance de la qualité pour agir d’un tel prestataire en vue du recouvrement groupé de
ces créances – Article 4 – Principe d’effectivité – Article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à une protection juridictionnelle effective »
Dans l’affaire C‑253/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Dortmund (tribunal régional de Dortmund, Allemagne), par décision du 13 mars 2023, parvenue à la Cour le 20 avril 2023, dans la procédure
ASG 2 Ausgleichsgesellschaft für die Sägeindustrie Nordrhein-Westfalen GmbH
contre
Land Nordrhein-Westfalen,
en présence de :
Otto Fuchs Beteiligungen KG,
Bundeskartellamt,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen et D. Gratsias, présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 mai 2024,
considérant les observations présentées :
– pour ASG 2 Ausgleichsgesellschaft für die Sägeindustrie Nordrhein-Westfalen GmbH, par Mes R. Lahme et A. Ruster, Rechtsanwälte,
– pour le Land Nordrhein-Westfalen, par Mes J. Haereke, D. Hamburger, C. Kusulis, S.-O. Nündel, G. Schwendinger, F. Süß et K. Teitscheid, Rechtsanwälte,
– pour Otto Fuchs Beteiligungen KG, par Mes J.-H. Allermann et C. Thiel von Herff, Rechtsanwälte,
– pour le Bundeskartellamt, par MM. J. Nothdurft et K. Ost, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Keidel et G. Meeβen, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101 TFUE, lu à la lumière de l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que de l’article 2, point 4, de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 9 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts
en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ASG 2 Ausgleichsgesellschaft für die Sägeindustrie Nordrhein-Westfallen GmbH (ci-après « ASG 2 ») au Land Nordrhein-Westfalen (Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne) (ci-après le « Land ») au sujet d’une action groupée en dommages et intérêts intentée par ASG 2 sur la base des droits à réparation qui lui ont été cédés par 32 scieries à la suite d’une infraction à l’article 101 TFUE qui aurait été commise par le Land et
d’autres propriétaires forestiers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La Charte
3 L’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », prévoit, à son premier alinéa :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. »
Le règlement (CE) no 1/2003
4 Aux termes du considérant 13 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :
« Lorsque, dans le cadre d’une procédure susceptible de déboucher sur l’interdiction d’un accord ou d’une pratique, des entreprises présentent à la Commission [européenne] des engagements de nature à répondre à ses préoccupations, la Commission doit pouvoir, par décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises concernées. Les décisions relatives aux engagements devraient constater qu’il n’y a plus lieu que la Commission agisse, sans établir s’il y a eu ou s’il y a toujours une
infraction. Ces décisions sont sans préjudice de la faculté qu’ont les autorités de concurrence et les juridictions des États membres de faire de telles constatations et de statuer sur l’affaire. De telles décisions ne sont pas opportunes dans les cas où la Commission entend imposer une amende. »
5 L’article 9 de ce règlement, intitulé « Engagements », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Lorsque la Commission envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont la Commission les a informées dans son évaluation préliminaire, la Commission peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises. La décision peut être adoptée pour une durée déterminée et conclut qu’il n’y a plus lieu que la Commission agisse. »
La directive 2014/104
6 Les considérants 4, 12 et 13 de la directive 2014/104 énoncent :
« (4) Le droit, inscrit dans le droit de l’Union, à réparation d’un préjudice résultant d’infractions au droit de la concurrence de l’Union et au droit national de la concurrence exige de chaque État membre qu’il dispose de règles procédurales garantissant l’exercice effectif de ce droit. La nécessité de moyens de recours procéduraux effectifs découle également du droit à une protection juridictionnelle effective prévu à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TUE] et à l’article 47, premier
alinéa, de la [Charte]. Les États membres devraient assurer une protection juridique effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.
[...]
(12) La présente directive réaffirme l’acquis communautaire en matière de droit à réparation du préjudice causé par les infractions au droit de la concurrence de l’Union, conféré par le droit de l’Union, en particulier en ce qui concerne la qualité pour agir et la définition du dommage, tel qu’il a été affirmé dans la jurisprudence de la Cour de justice, et ne préjuge pas de son évolution future. Toute personne ayant subi un préjudice causé par une telle infraction peut demander réparation du
dommage réel (damnum emergens) et du manque à gagner (lucrum cessans), ainsi que le paiement d’intérêts, que ces catégories soient établies séparément ou conjointement dans le droit national. [...]
(13) Le droit à réparation est reconnu à toute personne physique ou morale – consommateurs, entreprises et autorités publiques, sans distinction –, indépendamment de l’existence d’une relation contractuelle directe avec l’entreprise qui a commis l’infraction, et qu’il y ait eu ou non constatation préalable d’une infraction par une autorité de concurrence. La présente directive ne devrait pas exiger des États membres qu’ils mettent en place des mécanismes de recours collectif aux fins de la mise en
œuvre des articles 101 et 102 [TFUE]. Sans préjudice de la réparation de la perte d’une chance, la réparation intégrale dans le cadre de la présente directive ne devrait pas aboutir à une réparation excessive, que ce soit à travers des dommages et intérêts punitifs, multiples ou autres. »
7 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« La présente directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence commise par une entreprise ou une association d’entreprises puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association. Elle établit des règles qui favorisent une concurrence non faussée sur le marché intérieur et qui suppriment les obstacles au bon
fonctionnement de ce dernier, en garantissant une protection équivalente, dans toute l’Union [européenne], à toute personne ayant subi un tel préjudice. »
8 L’article 2 de ladite directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
4) “action en dommages et intérêts”, une action introduite en vertu du droit national par laquelle une juridiction nationale est saisie d’une demande de dommages et intérêts par une partie prétendument lésée, par une personne agissant au nom d’une ou de plusieurs parties prétendument lésées, lorsque cette possibilité est prévue par le droit de l’Union ou par le droit national, ou par une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la
personne qui a racheté la demande ;
[...]
12) “décision définitive constatant une infraction”, une décision constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l’objet d’un recours par les voies ordinaires ;
[...] »
9 L’article 3 de la même directive, intitulé « Droit à réparation intégrale », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que toute personne physique ou morale ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence soit en mesure de demander et d’obtenir réparation intégrale de ce préjudice. »
10 Aux termes de l’article 4 de la directive 2014/104, intitulé « Principes d’effectivité et d’équivalence » :
« Conformément au principe d’effectivité, les États membres veillent à ce que toutes les règles et procédures nationales ayant trait à l’exercice du droit de demander des dommages et intérêts soient conçues et appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit, conféré par l’Union, à réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence. Conformément au principe d’équivalence, les règles et procédures
nationales relatives aux actions en dommages et intérêts découlant d’infractions à l’article 101 ou 102 [TFUE] ne sont pas moins favorables aux parties prétendument lésées que celles régissant les actions similaires en dommages et intérêts découlant d’infractions au droit national. »
11 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive est libellé comme suit :
« Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 [TFUE] ou du droit national de la concurrence. »
Le droit allemand
12 L’article 1er, paragraphe 1, du Gesetz über außergerichtliche Rechtsdienstleistungen (Rechtsdienstleistungsgesetz) (loi sur les services juridiques extrajudiciaires), du 12 décembre 2007 (BGBl. 2007 I, p. 2840), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « RDG »), prévoit :
« La présente loi régit l’habilitation relative à la prestation de services juridiques extrajudiciaires en République fédérale d’Allemagne. Son objectif est de protéger les justiciables, les rapports juridiques ainsi que l’ordre juridique de prestations juridiques qui ne seraient pas fournies par des personnes qualifiées. »
13 L’article 2 du RDG, intitulé « Notion de service juridique », dispose :
« (1) Constitue un service juridique toute activité dans des affaires concrètes d’autrui, dès lors qu’elle requiert un examen juridique du cas particulier.
(2) Indépendamment des conditions énoncées au paragraphe 1, constitue un service juridique le recouvrement de créances d’autrui ou de créances cédées aux fins de recouvrement pour le compte d’autrui, lorsque l’activité de recouvrement de créances constitue une activité distincte, y compris en ce qui concerne l’examen et le conseil juridiques relatifs au recouvrement (service de recouvrement). Les créances cédées ne sont pas considérées, à l’égard du premier créancier, comme des créances
d’autrui.
[...] »
14 Aux termes de l’article 3 du RDG, intitulé « Habilitation relative à la prestation de services juridiques extrajudiciaires » :
« La prestation, à titre indépendant, de services juridiques extrajudiciaires n’est admise que dans la mesure autorisée par la présente loi, par d’autres lois ou sur le fondement d’autres lois. »
15 L’article 10 du RDG est libellé comme suit :
« (1) Les personnes physiques et morales ainsi que les sociétés n’ayant pas la personnalité juridique, enregistrées auprès de l’autorité compétente (personnes inscrites au registre), peuvent fournir, sur la base d’une expertise particulière, des services juridiques dans les domaines suivants :
1. services de recouvrement [...]
[...] »
16 L’article 11 du RDG, intitulé « Expertise particulière, dénominations professionnelles », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les services de recouvrement requièrent une expertise particulière dans les domaines de droit pertinents pour l’activité sollicitée, en particulier ceux du droit civil, du droit commercial, du droit des valeurs mobilières et du droit des sociétés, du droit de la procédure civile, y compris du droit de l’exécution forcée et du droit de l’insolvabilité ainsi que du droit relatif aux frais et dépens. »
17 L’article 12 du RDG fixe les conditions de l’inscription au registre aux fins de la prestation de services juridiques et prévoit une habilitation réglementaire pour en régler les détails, notamment la preuve de l’expertise théorique visée à l’article 10 de cette loi.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 31 mars 2020, ASG 2 a introduit devant le Landgericht Dortmund (tribunal régional de Dortmund, Allemagne), la juridiction de renvoi, une action groupée en dommages et intérêts contre le Land au titre du préjudice causé par une entente, sur la base des droits que lui ont cédés 32 scieries établies en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg (ci-après les « scieries concernées »).
19 Le Land s’est vu reproché d’avoir, à tout le moins pendant la période du 28 juin 2005 au 30 juin 2019, uniformisé les prix des grumes résineuses (ci-après le « bois rond ») pour lui-même ainsi que pour d’autres propriétaires forestiers établis dans ce Land, en violation de l’article 101 TFUE (ci-après l’« entente en cause »).
20 Le Bundeskartellamt (Autorité fédérale de la concurrence, Allemagne) a enquêté sur cette pratique et a adopté, en 2009, une décision relative aux engagements fondée sur l’article 32b du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi contre les restrictions de concurrence) et sur l’article 101 TFUE, visant le Land ainsi que d’autres Länder impliqués de manière similaire dans la commercialisation du bois rond (ci-après la « décision de 2009 »).
21 Les scieries concernées entendent obtenir du Land la réparation du préjudice qu’elles estiment avoir subi tout au long de l’entente en cause en raison des prix prétendument excessifs auxquels elles ont acheté le bois rond en provenance de ce Land, du fait de cette entente.
22 À cette fin, chacune des scieries concernées a cédé à ASG 2 son droit à réparation du préjudice que lui a causé l’entente en cause. ASG 2, qui dispose, en tant que « prestataire de services juridiques », au sens du RDG, d’une habilitation en vertu de cette loi, demande ainsi, devant la juridiction de renvoi, de manière groupée, la réparation de ce préjudice en son nom propre et à ses propres frais, mais pour le compte des cédants, en contrepartie d’honoraires en cas de succès.
23 La créance indemnitaire au titre du préjudice causé par l’entente en cause concernerait plusieurs centaines de milliers d’achats de bois rond par les scieries concernées. Pour chacune d’elles, le montant de ces achats s’élèverait à plusieurs milliers, voire à plusieurs dizaines de milliers de transactions.
24 Devant la juridiction de renvoi, le Land conteste tant le bien-fondé du recours que la qualité pour agir d’ASG 2. À ce dernier égard, il fait valoir que les scieries concernées ont cédé leurs droits à réparation à ASG 2 en violation du RDG, de telle sorte que ces cessions sont nulles. En effet, l’habilitation dont dispose ASG 2 au titre du RDG ne l’autoriserait pas à poursuivre le recouvrement de créances nées de dommages résultant d’une infraction présumée au droit de la concurrence.
25 La juridiction de renvoi précise que, en droit allemand, en matière de dommages de masse ou de dommages de faible valeur concernant un nombre élevé de personnes, les recours des justiciables peuvent être regroupés au moyen d’un mécanisme de cession de créance (« Abtretungsmodell »), également qualifié d’« action groupée en recouvrement » (« Sammelklage-Inkasso ») (ci-après l’« action groupée en recouvrement »). Dans ce cadre, les personnes prétendument lésées cèdent leurs créances alléguées à un
prestataire de services juridiques qui a reçu l’habilitation, prévue par le RDG, qui l’autorise, en principe, à poursuivre le recouvrement de ces créances regroupées, en son nom propre et à ses propres frais, pour le compte des cédants, moyennant une commission en cas de succès.
26 Selon la juridiction de renvoi, cette pratique a été admise par la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) pour différents types d’actions en dommages et intérêts, notamment dans le cadre du contentieux de la location immobilière ou de l’indemnisation des passagers aériens. En revanche, des juridictions inférieures interpréteraient le RDG en ce sens que l’action groupée en recouvrement n’est pas admise dans le domaine de la réparation du préjudice causé par une
infraction présumée au droit de la concurrence, en particulier lorsqu’il s’agit d’une action dite « stand-alone », c’est-à-dire une action en dommages et intérêts qui ne fait pas suite à une décision définitive et contraignante, notamment en ce qui concerne l’établissement des faits, d’une autorité de concurrence constatant une telle infraction (ci-après une « action en dommages et intérêts autonome »). Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) n’aurait pas encore eu l’opportunité de
trancher cette question.
27 De l’avis de la juridiction de renvoi, le droit allemand n’offre aucune voie de droit équivalente à l’action groupée en recouvrement qui permettrait d’assurer la mise en œuvre effective du droit à réparation dans les affaires d’ententes.
28 Dès lors, l’effectivité du droit à réparation du préjudice causé par une entente ne serait pas garantie, en particulier s’agissant des dommages de faible valeur concernant un nombre élevé de personnes lésées. En effet, en pareille hypothèse, le montant individuel du dommage serait à ce point faible qu’il inciterait les justiciables à renoncer à faire valoir le droit à réparation que leur confère le droit de l’Union.
29 Dans ces conditions, l’action groupée en recouvrement constituerait la seule possibilité économiquement rationnelle et praticable pour réclamer une telle réparation. La juridiction de renvoi est toutefois d’avis que, conformément aux dispositions du RDG, telles qu’interprétées par certaines juridictions nationales, elle doit considérer les cessions en cause au principal comme nulles, de telle sorte que le recours dont elle est saisie devrait être rejeté.
30 Elle se pose néanmoins la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une telle interprétation du RDG, dans la mesure où, en empêchant les personnes lésées par l’entente en cause d’avoir recours à l’action groupée en recouvrement, cette interprétation du droit national est susceptible d’être incompatible tant avec la directive 2014/104 qu’avec le principe d’effectivité du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective.
31 Premièrement, la juridiction de renvoi se demande si une telle incompatibilité peut se déduire d’une lecture combinée de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2014/104, qui, selon elle, énonce le droit, consacré par une jurisprudence constante de la Cour, des personnes lésées par une entente d’obtenir la réparation intégrale du préjudice causé par celle-ci, et de l’article 2, point 4, de cette directive. En effet, cette dernière disposition viserait expressément l’action groupée en
recouvrement, étant donné que la notion d’« action en dommages et intérêts », au sens de ladite disposition, recouvre l’action introduite par « une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ».
32 Deuxièmement, la juridiction de renvoi doute que l’impossibilité pour les personnes lésées d’avoir recours à l’action groupée en recouvrement découlant de l’interprétation du droit national mentionnée au point 29 du présent arrêt soit compatible avec l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE. Selon elle, ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour et des dispositions de la directive 2014/104, toute personne peut demander la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi du
fait d’une infraction au droit de la concurrence. Les États membres devraient ainsi garantir l’effectivité du droit à la réparation de ce préjudice en ne rendant pas son exercice impossible ou excessivement difficile. Cela participerait de la protection de l’intérêt public consistant à garantir une concurrence effective dans l’Union.
33 Troisièmement, la juridiction de renvoi se demande si l’impossibilité pour les personnes lésées d’avoir recours à l’action groupée en recouvrement découlant de l’interprétation du droit national mentionnée au point 29 du présent arrêt porte atteinte au droit de ces personnes à une protection juridictionnelle effective consacré par l’article 47, premier alinéa, de la Charte, par l’article 6, paragraphe 3, TUE, ainsi que par l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. En effet, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire dont elle est saisie, qui porterait sur des dommages de masse ou des dommages de faible valeur concernant un nombre élevé de personnes, les personnes lésées se verraient privées de la possibilité de recourir à la seule voie de droit efficace prévue par le droit national pour faire valoir leur droit à indemnisation.
34 La juridiction de renvoi précise, enfin, que, s’il devait être conclu que le droit national n’est pas conforme au droit de l’Union, il ne lui serait pas possible de procéder à une interprétation conforme de celui-ci, dans la mesure où une telle interprétation serait contra legem.
35 Dans ces conditions, le Landgericht Dortmund (tribunal régional de Dortmund) a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit de l’Union, en particulier l’article 101 TFUE, l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’article 47 de la [Charte] ainsi que l’article 2, point 4, et l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 2014/104], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation et une application du droit d’un État membre ayant pour effet d’exclure qu’une personne potentiellement lésée par une violation de l’article 101 TFUE – établie, de manière contraignante, sur le fondement de l’article 9
de la [directive 2014/104] ou des dispositions nationales qui transposent cet article – puisse céder à titre fiduciaire ses droits à réparation – en particulier dans le cas de dommages de masse ou à caractère diffus – à un prestataire agréé de services juridiques, afin que celui-ci fasse valoir de manière groupée, par la voie d’une action consécutive (action “follow-on”), ces droits et ceux d’autres personnes prétendument lésées, lorsqu’il n’existe pas d’autres possibilités légales ou
contractuelles de regroupement de créances indemnitaires qui puissent être considérées comme équivalentes, notamment parce qu’elles ne permettent pas d’obtenir un jugement condamnant le débiteur à verser des dommages-intérêts ou qu’elles ne sont pas praticables pour d’autres raisons d’ordre procédural ou bien qu’elles sont objectivement déraisonnables pour des raisons économiques, avec pour conséquence, en particulier, qu’il serait pratiquement impossible ou en tout cas excessivement
difficile d’exercer une action pour des dommages de faible montant ?
2) Convient-il en tout état de cause de retenir une telle interprétation du droit de l’Union dans l’hypothèse où l’action relative aux droits indemnitaires en question doit être exercée en l’absence de décision préalable et contraignante, au sens des dispositions nationales fondées sur l’article 9 de la [directive 2014/104], de la Commission européenne ou des autorités nationales concernant l’infraction présumée (action [...] “stand-alone”), lorsqu’il n’existe pas d’autres possibilités légales ou
contractuelles de regroupement de créances indemnitaires en vue d’une action civile qui puissent être considérées comme équivalentes, pour les raisons déjà mentionnées à la première question et, en particulier, lorsque, dans le cas contraire, aucune action fondée sur la violation de l’article 101 TFUE ne serait introduite, ni dans le cadre de la mise en œuvre publique (“public enforcement”) ni dans le cadre de la mise en œuvre privée (“private enforcement”) des règles de concurrence ?
3) En cas de réponse affirmative à l’une au moins des deux questions, convient-il de laisser inappliquées les dispositions pertinentes du droit allemand si une interprétation conforme au droit de l’Union est exclue, ce qui aurait pour conséquence que les cessions de créances indemnitaires seraient valides, en tout cas de ce point de vue, et qu’une mise en œuvre effective du droit serait possible ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité de la première question
36 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, l’article 3, paragraphe 1, l’article 4 et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, ainsi que l’article 47, premier alinéa, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet d’empêcher les personnes prétendument lésées par une infraction au droit de la concurrence
de céder leurs droits à réparation à un prestataire de services juridiques pour que celui-ci les fasse valoir, de manière groupée, dans le cadre d’une action dite « follow-on », c’est-à-dire une action en dommages et intérêts consécutive à une décision définitive d’une autorité de concurrence constatant une telle infraction (ci-après une « action en dommages et intérêts consécutive »).
37 Otto Fuchs Beteiligungen, le Land et la Commission estiment que cette question est irrecevable. Le recours au principal devrait s’analyser comme une action en dommages et intérêts non pas consécutive mais autonome.
38 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la question préjudicielle soumise à la Cour doit porter sur une interprétation du droit de l’Union qui réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre [arrêts du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 81, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 65].
39 Il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer
[arrêts du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 27, ainsi que du 19 septembre 2024, Booking.com et Booking.com (Deutschland), C‑264/23, EU:C:2024:764, point 34].
40 Il s’ensuit que, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficiant d’une présomption de pertinence, le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêts du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 28, ainsi que du 19 septembre 2024, Booking.com et Booking.com (Deutschland), C‑264/23, EU:C:2024:764, point 35].
41 Or, en l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la première question, en ce qu’elle porte sur l’hypothèse d’une action en dommages et intérêts consécutive, n’a manifestement aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.
42 En effet, la juridiction de renvoi indique être saisie d’une action en dommages et intérêts introduite par ASG 2 en vue de la réparation du préjudice prétendument subi par les scieries concernées du fait de l’entente en cause. Cette juridiction précise que, dans l’affaire au principal, il n’existe aucune autre décision que la décision de 2009.
43 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, cette décision a été adoptée sur le fondement de l’article 32b du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi contre les restrictions de concurrence), dont le libellé correspond à celui de l’article 9 du règlement no 1/2003, comme l’a confirmé l’Autorité fédérale de la concurrence dans ses observations écrites.
44 Or, une décision relative aux engagements adoptée sur le fondement de l’article 9 de ce règlement ne contient aucune constatation définitive quant à une violation des articles 101 et 102 TFUE.
45 L’article 9 dudit règlement, lu à la lumière du considérant 13 de celui-ci, prévoit en effet que, dans le cadre d’une procédure engagée au titre de cette disposition, la Commission est dispensée de l’obligation de qualifier et de constater l’infraction, son rôle se limitant à l’examen et à l’éventuelle acceptation des engagements proposés par les entreprises concernées, au regard tant des problèmes qu’elle a identifiés dans son évaluation préliminaire que des buts qu’elle poursuit. L’adoption
d’une décision relative aux engagements vient, ainsi, clôturer la procédure d’infraction à l’égard de ces entreprises en leur permettant d’éviter la constatation d’une infraction au droit de la concurrence et l’éventuelle infliction d’une amende (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, points 40 et 48).
46 En ce qui concerne la décision de 2009, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que, dans cette décision, l’Autorité fédérale de la concurrence a fixé, pour le Land, des seuils de coopération pour la commercialisation du bois rond ainsi que des mesures visant à restreindre la position du Land sur le marché concerné.
47 Partant, la décision de 2009 ne saurait être regardée comme étant une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence constatant une infraction au droit de la concurrence, telle que visée à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 2, point 12, de cette directive. L’action d’ASG 2 à l’origine de l’affaire au principal ne saurait, dès lors, être regardée comme une action en dommages et intérêts consécutive.
48 Dans ces conditions, la première question est irrecevable.
Sur les deuxième et troisième questions
49 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2014/104, ainsi que l’article 47, premier alinéa, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet d’empêcher les personnes prétendument lésées par une infraction au
droit de la concurrence de céder leurs droits à réparation à un prestataire de services juridiques pour que celui-ci les fasse valoir, de manière groupée, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts autonome.
50 En cas de réponse affirmative, cette juridiction se demande si elle devrait laisser inappliquées les dispositions pertinentes de cette réglementation nationale, dans l’hypothèse où une interprétation de celle-ci conforme au droit de l’Union ne serait pas possible.
Sur la recevabilité
51 Otto Fuchs Beteiligungen et le Land contestent la recevabilité des deuxième et troisième questions.
52 En premier lieu, ils allèguent que la deuxième question est hypothétique ou non nécessaire à la résolution du litige au principal et que ni cette question ni la troisième question ne portent sur l’interprétation du droit de l’Union.
53 Toutefois, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi répond manifestement à un besoin objectif inhérent à la solution du litige au principal.
54 En effet, la juridiction de renvoi se demande si les dispositions du droit de l’Union visées au point 49 du présent arrêt s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet d’empêcher les personnes lésées par l’entente en cause d’avoir recours à l’action groupée en recouvrement. Dans l’affirmative, elle s’interroge sur les conséquences à tirer d’une telle incompatibilité, dans l’hypothèse où il ne serait pas possible d’interpréter les dispositions du RDG de manière
conforme au droit de l’Union.
55 En second lieu, Otto Fuchs Beteiligungen et le Land font valoir, en substance, que la juridiction de renvoi a fondé ses questions sur des prémisses erronées. En particulier, cette juridiction aurait considéré à tort, d’une part, que les dispositions du RDG doivent être interprétées comme s’opposant d’office à l’action groupée en recouvrement dans le domaine du droit de la concurrence et, d’autre part, que, à défaut, pour les personnes lésées par une entente, de pouvoir recourir à cette action
groupée, il serait pratiquement impossible ou, en tout cas, excessivement difficile pour elles d’exercer le droit à réparation que leur confère le droit de l’Union, dans la mesure où le droit allemand n’offrirait aucune alternative aussi efficace permettant à ces personnes de faire valoir ce droit à réparation.
56 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union sont posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a., C‑331/21, EU:C:2023:812, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
57 La juridiction de renvoi étant seule compétente pour interpréter et appliquer le droit national, il incombe à la Cour de prendre en compte le contexte réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi [voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2024, S. (Modification de la formation de jugement), C‑197/23, EU:C:2024:956, point 51 et jurisprudence citée]. Par ailleurs, la présomption de pertinence, rappelée au point 40 du présent arrêt, dont
bénéficient ces questions ne saurait être renversée par la simple circonstance que l’une des parties au principal conteste certains faits dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude et dont dépend la définition de l’objet du litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2016, Breitsamer und Ulrich, C‑113/15, EU:C:2016:718, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
58 Or, les prémisses visées au point 55 du présent arrêt reposent sur une appréciation, par la juridiction de renvoi, du cadre national dans lequel s’inscrit le litige au principal. Cette appréciation relève exclusivement de la compétence de cette juridiction et il ne revient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude.
59 Dans ces conditions, et sans préjudice d’une telle vérification par la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2018, Altiner et Ravn, C‑230/17, EU:C:2018:497, point 23), il y a lieu de constater que les deuxième et troisième questions sont recevables.
Sur le fond
60 L’article 101, paragraphe 1, TFUE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêts du 30 janvier 1974, BRT et Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs, 127/73, EU:C:1974:6, point 16, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 32 et jurisprudence citée).
61 À cet égard, la pleine efficacité de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause s’il n’était pas possible pour toute personne de demander réparation du dommage que lui aurait causé une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, EU:C:2001:465, point 26, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 33 et jurisprudence citée).
62 Par conséquent, toute personne est en droit de demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et une telle infraction (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 61, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 34 et jurisprudence citée).
63 Le droit de toute personne de demander réparation d’un tel préjudice renforce le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union et est de nature à décourager les comportements, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en contribuant de la sorte au maintien d’une concurrence effective dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 35 et jurisprudence citée).
64 Ainsi qu’il ressort du considérant 12 de la directive 2014/104, ce droit à réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence a été codifié à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, qui prévoit que les États membres veillent à ce que toute personne physique ou morale ayant subi un tel préjudice soit en mesure de demander et d’obtenir réparation intégrale de ce préjudice.
65 Le considérant 4 de ladite directive expose que ledit droit à réparation exige de chaque État membre qu’il dispose de règles procédurales garantissant l’exercice effectif du même droit. Aux termes de ce considérant, la nécessité de moyens de recours procéduraux effectifs découle également du droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte, auquel correspond l’obligation, prévue à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, d’établir
les voies de recours nécessaires pour assurer cette protection dans les domaines couverts par le droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 44, ainsi que du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 47].
66 À cet égard, ainsi que le prévoit son article 1er, paragraphe 1, la directive 2014/104 énonce certaines règles relatives aux actions en dommages et intérêts que le législateur de l’Union a jugées nécessaires pour que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence puisse effectivement exercer son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à une entreprise ou association d’entreprises.
67 Dans ce contexte, l’article 2, point 4, de cette directive définit la notion d’« action en dommages et intérêts » comme étant l’action introduite en vertu du droit national par laquelle une juridiction nationale est saisie d’une demande en dommages et intérêts par une partie prétendument lésée, par une personne agissant au nom d’une ou de plusieurs parties prétendument lésées, lorsque cette possibilité est notamment prévue par le droit national, ou par une personne physique ou morale qui a
succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande.
68 Ainsi, ladite directive envisage la possibilité qu’une action en dommages et intérêts soit introduite soit directement par la personne physique ou morale qui bénéficie du droit à réparation conféré par le droit de l’Union, soit par une tierce personne à laquelle le droit de la partie prétendument lésée de demander réparation a été cédé.
69 Cela étant, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 100 et 101 de ses conclusions, l’article 2, point 4, de la directive 2014/104 ne comporte aucune obligation pour les États membres d’instituer un mécanisme d’action groupée en recouvrement tel que celui en cause au principal ni ne régit les conditions auxquelles est subordonnée la validité d’une cession par la personne lésée, dans la perspective d’une telle action groupée, de son droit à réparation du préjudice causé
par une infraction au droit de la concurrence.
70 Il s’ensuit que tant l’institution d’un mécanisme d’action groupée en dommages et intérêts que les conditions auxquelles est soumise la validité d’une cession du droit à réparation du préjudice prétendument lié à une infraction au droit de la concurrence à une personne physique ou morale en vue de l’introduction, par cette dernière, d’une telle action groupée devant une juridiction nationale relèvent des modalités d’exercice de ce droit à réparation, lesquelles ne sont pas régies par la
directive 2014/104.
71 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de demander réparation du préjudice résultant des infractions au droit de la concurrence, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, EU:C:2001:465, point 29, ainsi que du 28 mars 2019,
Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 42 et jurisprudence citée).
72 Les principes d’effectivité et d’équivalence sont reflétés, dans le domaine couvert par la directive 2014/104, à l’article 4 de celle-ci, lequel reprend, en substance, les termes issus de la jurisprudence de la Cour. Toutefois, aux fins de l’examen des deuxième et troisième questions, il n’y a lieu d’avoir égard qu’au principe d’effectivité, seul visé par la juridiction de renvoi.
73 Aux termes de cette disposition, conformément à ce dernier principe, les États membres veillent à ce que toutes les règles et procédures nationales ayant trait à l’exercice du droit de demander des dommages et intérêts soient conçues et appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit, conféré par l’Union, à réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence.
74 La Cour a jugé, en particulier, que les règles nationales applicables dans le domaine du droit de la concurrence ne doivent pas porter atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE et doivent être adaptées aux spécificités des affaires relevant de ce domaine, lesquelles nécessitent, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos, C‑25/21, EU:C:2023:298, point 60
et jurisprudence citée).
75 De plus, s’il appartient, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits individuels dérivés de l’ordre juridique de l’Union, les États membres ont toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective desdits droits tel que garanti à l’article 47, premier alinéa, de la Charte
[arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 115 ainsi que jurisprudence citée]. Ainsi qu’il a été relevé au point 65 du présent arrêt, le considérant 4 de la directive 2014/104 se réfère au droit à une telle protection.
76 En l’occurrence, et ainsi que cela ressort des points 28 à 33 du présent arrêt, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité au principe d’effectivité ainsi qu’au droit à une protection juridictionnelle effective d’une jurisprudence nationale qui interprète le RDG en ce sens qu’il empêche les personnes lésées par une infraction au droit de la concurrence d’avoir recours à l’action groupée en recouvrement.
77 À cet égard, cette juridiction indique, d’une part, que cette action est la seule voie de droit qui permette à ces personnes de faire valoir effectivement, de manière groupée, leur droit à réparation. D’autre part, bien que lesdites personnes disposent de la possibilité d’introduire une action en dommages et intérêts en leur nom et pour leur propre compte, une telle possibilité ne leur permettrait toutefois pas d’exercer ledit droit de manière effective. En effet, eu égard au caractère
particulièrement complexe, long et coûteux d’une action individuelle en matière d’infraction au droit de la concurrence, les personnes lésées auraient tendance à renoncer à introduire une telle action individuelle, notamment lorsqu’un préjudice d’un faible montant est en cause.
78 L’ensemble des parties au principal, à l’exception d’ASG 2, et les autres intéressés visés à l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ont toutefois fourni, dans leurs observations soumises à la Cour, un certain nombre d’éléments tendant à nuancer les affirmations contenues dans la demande de décision préjudicielle.
79 Ainsi, premièrement, ces parties et intéressés mettent en doute l’affirmation de la juridiction de renvoi selon laquelle le droit national exclut d’office que les personnes lésées par une infraction au droit de la concurrence puissent avoir recours à l’action groupée en recouvrement. Cette dernière aurait seulement été jugée inappropriée dans le contexte d’affaires particulières en matière de droit de la concurrence, dans lesquelles le recours à ladite action aboutissait dans les faits à une
violation des dispositions du RDG interdisant l’intervention du prestataire de services juridiques en cas de conflit d’intérêts.
80 Deuxièmement, il y aurait lieu de nuancer le constat selon lequel le droit national n’offrirait aucune alternative à la même action permettant aux personnes lésées de faire valoir, de manière groupée, leur droit à réparation. La cession de créances sous la forme d’un véritable affacturage, à savoir non pas un transfert simplement fiduciaire, mais un transfert complet de la créance à une tierce personne moyennant versement immédiat d’une contrepartie financière par cette personne au cédant, ainsi
que le litisconsortium, consistant en un recours commun à plusieurs parties requérantes qui leur permet, notamment, de faire procéder à des évaluations et à des expertises communes afin d’établir le montant de leur préjudice respectif, constitueraient, à cet égard, des alternatives envisageables et admises par la pratique judiciaire allemande dans le contentieux relevant du droit de la concurrence.
81 Troisièmement, la considération de la juridiction de renvoi selon laquelle les parties lésées seraient enclines à renoncer à l’exercice de leur droit à réparation si elles ne pouvaient le faire valoir que dans le cadre d’une action individuelle serait remise en cause, dans la présente affaire, par le montant des prétentions individuelles des scieries concernées qui conduirait à relativiser l’inertie dont ces dernières pourraient faire preuve par rapport à un tel type d’action.
82 À cet égard, il y a lieu de relever que c’est à la seule juridiction de renvoi qu’il incombe de vérifier si l’interprétation du droit national consistant à exclure, dans le contentieux relevant du droit de la concurrence, l’action groupée en recouvrement a pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à réparation que le droit de l’Union confère aux personnes lésées par une infraction au droit de la concurrence et de les priver d’une protection juridictionnelle
effective.
83 Il lui revient toutefois, à cet effet, de tenir compte de l’ensemble des éléments pertinents afférents aux modalités prévues par le droit national pour l’exercice du droit à réparation du préjudice résultant d’une telle infraction (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 45).
84 Ce n’est ainsi que dans l’hypothèse où, au terme de cette vérification, la juridiction de renvoi devrait conclure, d’une part, qu’aucun des mécanismes collectifs alternatifs à l’action groupée en recouvrement qui sont prévus par le droit national ne permet de faire valoir, de manière effective, le droit des personnes ou du groupe de personnes qui demandent à obtenir réparation du préjudice prétendument causé par une infraction au droit de la concurrence, à savoir, en l’occurrence, les scieries
concernées, et, d’autre part, que les conditions d’exercice d’une action individuelle prévues par le droit national rendent impossible ou excessivement difficile l’exercice de ce droit à réparation et portent ainsi atteinte à leur droit à une protection juridictionnelle effective, que cette juridiction devrait conclure que le droit national, interprété en ce sens qu’il exclurait une telle action en recouvrement, ne répond pas aux exigences du droit de l’Union énoncées aux points 71 à 75 du
présent arrêt.
85 À cet égard, il convient de souligner que, certes, compte tenu des spécificités des affaires relevant du droit de la concurrence et plus particulièrement de la circonstance, rappelée au point 74 du présent arrêt, que l’introduction des actions en dommages et intérêts pour une infraction à ce droit nécessite, en principe, une analyse factuelle et économique complexe, l’existence, en droit national, de mécanismes permettant de regrouper les prétentions individuelles est susceptible de faciliter
l’exercice du droit à réparation par les personnes lésées. En particulier, de tels mécanismes peuvent faciliter l’exercice des actions en dommages et intérêts autonomes, à l’appui desquelles il n’existe aucune constatation définitive d’une infraction par une autorité de la concurrence.
86 Toutefois, la complexité et les coûts de procédure inhérents à de telles actions en dommages et intérêts ne permettent pas de conclure à eux seuls que l’exercice du droit à réparation dans le cadre d’une action individuelle serait rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile, ce qui aurait pour conséquence, en l’absence de mécanismes de regroupement des prétentions individuelles des personnes lésées par une infraction au droit de la concurrence, de priver celles-ci de leur droit à une
protection juridictionnelle effective. Ce n’est en effet que si, au terme d’une appréciation de l’ensemble des éléments juridiques et factuels de l’espèce, la juridiction de renvoi parvenait à identifier que des éléments concrets du droit national font obstacle à l’exercice de ces actions individuelles que celle-ci pourrait, le cas échéant, aboutir à une telle conclusion.
87 Il importe d’ajouter que, si cette juridiction devait constater que le mécanisme d’action groupée en recouvrement constitue, dans l’affaire au principal, la seule voie procédurale qui permette aux scieries concernées de faire valoir de manière effective leur droit à la réparation du préjudice prétendument lié à l’entente en cause, un tel constat serait sans préjudice de l’application des dispositions nationales régissant, dans un souci de protection des justiciables, l’activité des prestataires
de tels services de recouvrement afin, notamment, de garantir la qualité de ces services ainsi que le caractère objectif et proportionné des rémunérations perçues par de tels prestataires, et de prévenir les conflits d’intérêts ainsi que les comportements procéduraux abusifs.
88 S’agissant, enfin, des conséquences à tirer de l’éventuel constat, par la juridiction de renvoi, d’une non-conformité au droit à une protection juridictionnelle effective, il ressort des points 60 et 64 du présent arrêt que le droit à réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence, qui a été codifié à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2014/104, dérive de l’effet direct reconnu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
89 En outre, la Cour a précisé que l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel [arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78, et du 20 février 2024, X (Absence de motifs de résiliation), C‑715/20, EU:C:2024:139, point 80 ainsi que jurisprudence citée].
90 Or, le principe de primauté du droit de l’Union impose au juge national, chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions de ce droit, l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, d’assurer le plein effet de ces exigences dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est
contraire à une disposition de ce droit qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou de cette pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 57 et 58, ainsi que du 25 janvier 2024, Em akaunt BG, C‑438/22, EU:C:2024:71, point 37 et jurisprudence citée).
91 Partant, dans l’hypothèse visée au point 84 du présent arrêt, la juridiction de renvoi devra d’abord déterminer, en prenant en considération l’ensemble du droit national et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, s’il lui est possible de donner aux dispositions pertinentes du RDG une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union, sans pour autant procéder à une interprétation contra legem de ces dispositions (voir, par analogie, arrêt du 22 juin
2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 52 et jurisprudence citée).
92 À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 79 du présent arrêt, certaines parties à la procédure devant la Cour ont indiqué que les dispositions nationales en cause au principal n’excluaient pas d’office le recours au mécanisme de l’action groupée en recouvrement dans le contentieux relevant du droit de la concurrence et étaient interprétées par certaines juridictions nationales comme subordonnant le recours à ce mécanisme dans un cas concret au respect de conditions visant à garantir la
qualité des services fournis, le niveau approprié de la rémunération du prestataire ainsi que l’absence de conflit d’intérêts dans le chef de ce dernier.
93 Ce n’est que si aucune interprétation conforme ne s’avère possible que lesdites dispositions devraient être laissées inappliquées par la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export, C‑308/19, EU:C:2021:47, point 63 et jurisprudence citée).
94 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2014/104, ainsi que l’article 47, premier alinéa, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet d’empêcher les personnes prétendument lésées par une infraction au droit
de la concurrence de céder leurs droits à réparation à un prestataire de services juridiques pour que celui-ci les fasse valoir, de manière groupée, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts autonome, pour autant que
– le droit national ne prévoit aucune autre possibilité de regroupement des prétentions individuelles de ces personnes lésées qui soit de nature à assurer le caractère effectif de l’exercice de ces droits à réparation, et que
– l’exercice d’une action en dommages et intérêts individuelle s’avère, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, impossible ou excessivement difficile pour lesdites personnes, avec la conséquence de les priver de leur droit à une protection juridictionnelle effective.
À défaut de pouvoir procéder à une interprétation de cette réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, ces dispositions de droit de l’Union imposent au juge national de laisser ladite réglementation nationale inappliquée.
Sur les dépens
95 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 2, point 4, l’article 3, paragraphe 1, et l’article 4 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, ainsi que l’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à l’interprétation d’une réglementation nationale qui a pour effet d’empêcher les personnes prétendument lésées par une infraction au droit de la concurrence de céder leurs droits à réparation à un prestataire de services juridiques pour que celui-ci les fasse valoir, de manière groupée, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts qui ne fait pas suite à une décision définitive et contraignante, notamment en ce qui concerne l’établissement des faits, d’une autorité de
concurrence constatant une telle infraction, pour autant que
– le droit national ne prévoit aucune autre possibilité de regroupement des prétentions individuelles de ces personnes lésées qui soit de nature à assurer le caractère effectif de l’exercice de ces droits à réparation, et que
– l’exercice d’une action en dommages et intérêts individuelle s’avère, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, impossible ou excessivement difficile pour lesdites personnes, avec la conséquence de les priver de leur droit à une protection juridictionnelle effective.
À défaut de pouvoir procéder à une interprétation de cette réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, ces dispositions de droit de l’Union imposent au juge national de laisser ladite réglementation nationale inappliquée.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.