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09/01/2025 | CJUE | N°C-627/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commune de Schaerbeek et Commune de Linkebeek contre Holding Communal SA., 09/01/2025, C-627/23


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/71/CE – Prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation – Article 2, paragraphe 1, sous a) – Notion de “valeurs mobilières” – Article 3 – Obligation de publier un prospectus – Valeurs négociables sur les marchés de capitaux – Actions d’une société holding ne pouvant être détenues que par certaines autorités administratives territoriales

d’un État membre – Cession d’actions
nécessitant l’agrément du conseil d’administration de la société holding »

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 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/71/CE – Prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation – Article 2, paragraphe 1, sous a) – Notion de “valeurs mobilières” – Article 3 – Obligation de publier un prospectus – Valeurs négociables sur les marchés de capitaux – Actions d’une société holding ne pouvant être détenues que par certaines autorités administratives territoriales d’un État membre – Cession d’actions
nécessitant l’agrément du conseil d’administration de la société holding »

Dans l’affaire C‑627/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 29 septembre 2023, parvenue à la Cour le 13 octobre 2023, dans la procédure

Commune de Schaerbeek,

Commune de Linkebeek

contre

Holding Communal SA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour les communes de Schaerbeek et de Linkebeek, par Me M. Grégoire, avocate,

– pour Holding Communal SA, par Me P. A. Foriers, avocat,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Auvret et M. P. A. Messina, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE (JO 2003, L 345, p. 64), telle que modifiée par la directive 2008/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008 (JO
2008, L 76, p. 37) (ci-après la « directive “prospectus” »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les communes de Schaerbeek et de Linkebeek (Belgique) à Holding Communal SA au sujet de la légalité de la souscription par ces communes à une augmentation de capital de Holding Communal, cette souscription n’ayant pas été précédée de la publication d’un prospectus.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive « prospectus »

3 La directive « prospectus » a été abrogée, avec effet au 21 juillet 2019, par le règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé (JO 2017, L 168, p. 12). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, les dispositions de cette directive demeurent applicables à ce litige.

4 Les considérants 10, 12 et 16 de ladite directive énonçaient :

« (10) La présente directive et ses mesures d’exécution ont pour objet de garantir la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés, conformément aux normes réglementaires exigeantes édictées par les enceintes internationales compétentes.

[...]

(12) Pour garantir la protection des investisseurs, il convient également que soient couverts tous les titres de capital et les titres autres que de capital offerts au public ou admis à la négociation sur des marchés réglementés, tels que définis par la directive 93/22/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières [(JO 1993, L 141, p. 27)], et non pas uniquement les valeurs mobilières admises à la cote officielle d’une bourse de
valeurs. La définition étendue que donne la présente directive de la notion de valeurs mobilières, qui inclut les warrants, les warrants couverts et les certificats représentatifs d’actions, n’est valable qu’aux fins de la présente directive et, dès lors, n’affecte en aucune façon les diverses définitions des instruments financiers utilisées dans les législations nationales à d’autres fins, notamment fiscales. [...]

[...]

(16) L’un des objectifs de la présente directive est de protéger des investisseurs. Il convient donc de différencier les besoins de protection des diverses catégories d’investisseurs, notamment en fonction de leur niveau de compétence. Il n’est ainsi pas nécessaire de publier un prospectus en cas d’offre limitée aux investisseurs qualifiés. La revente ultérieure de ces valeurs ou leur vente directe au public par voie d’admission à la négociation sur un marché réglementé exige, en revanche, la
publication d’un prospectus. »

5 L’article 1er, paragraphe 2, sous b) et d), de la même directive prévoyait :

« La présente directive ne s’applique pas :

[...]

b) aux valeurs mobilières autres que des titres de capital émises par un État membre ou par l’une des autorités régionales ou locales d’un État membre, par les organisations publiques internationales auxquelles adhèrent un ou plusieurs États membres, par la Banque centrale européenne ou par les banques centrales des États membres ;

[...]

d) aux valeurs mobilières inconditionnellement et irrévocablement garanties par un État membre ou par l’une des autorités régionales ou locales d’un État membre ».

6 L’article 2, paragraphe 1, sous a), b), d), e) et f), de la directive « prospectus » disposait :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “valeurs mobilières” : les valeurs mobilières telles que définies à l’article 1er, point 4), de la directive 93/22/CEE, à l’exception des instruments du marché monétaire tels que définis à l’article 1er, point 5), de [cette dernière directive] et dont l’échéance est inférieure à douze mois ; pour ces instruments, la législation nationale peut s’appliquer ;

b) “titres de capital” : les actions et autres valeurs mobilières assimilables à des actions, ainsi que toute autre valeur mobilière conférant le droit de les acquérir à la suite d’une conversion ou de l’exercice de ce droit, pour autant que les valeurs de la seconde catégorie soient émises par l’émetteur des actions sous-jacentes ou par une entité appartenant au groupe dudit émetteur ;

[...]

d) “offre au public de valeurs mobilières” : une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces valeurs mobilières : cette définition s’applique également au placement de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers ;

e) “investisseurs qualifiés” :

i) les personnes morales agréées ou réglementées en tant qu’opérateurs sur les marchés financiers [...]

ii) les gouvernements nationaux et régionaux, [...]

iii) les autres personnes morales qui ne remplissent pas deux des trois critères figurant au point f) ;

iv) certaines personnes physiques : [...]

v) certaines [petites et moyennes entreprises (PME)] : sous réserve de reconnaissance mutuelle, un État membre peut agréer les PME ayant leur siège statutaire dans cet État membre et qui ont demandé expressément à être considérées comme des investisseurs qualifiés ; f) “petites et moyennes entreprises“ (PME) : les sociétés qui, d’après leurs derniers comptes annuels ou consolidés publiés, présentent au moins deux des trois caractéristiques suivantes : un nombre moyen de salariés inférieur
à 250 personnes sur l’ensemble de l’exercice, un total du bilan ne dépassant pas 43000000 d’euros et un chiffre d’affaires net annuel ne dépassant pas 50000000 d’euros ».

7 Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive « prospectus » :

« 1.   Les États membres n’autorisent aucune offre de valeurs mobilières au public sur leur territoire sans publication préalable d’un prospectus.

2.   L’obligation de publier un prospectus ne s’applique pas aux catégories d’offres suivantes :

a) une offre de valeurs mobilières adressée uniquement aux investisseurs qualifiés ; et/ou

b) une offre de valeurs mobilières adressée à moins de 100 personnes physiques ou morales, autres que des investisseurs qualifiés, par État membre ; et/ou

c) une offre de valeurs mobilières adressée à des investisseurs qui acquièrent ces valeurs pour un prix total d’au moins 50000 euros par investisseur et par offre distincte ; et/ou

d) une offre de valeurs mobilières dont la valeur nominale unitaire s’élève au moins à 50000 euros ; et/ou

e) une offre de valeurs mobilières dont le montant total est inférieur à 100000 euros. Cette limite est calculée sur une période de douze mois.

[...] »

8 L’article 4, paragraphe 1, sous d), de cette directive prévoyait :

« L’obligation de publier un prospectus ne s’applique pas aux offres au public portant sur les catégories de valeurs mobilières suivantes :

[...]

d) les actions offertes, attribuées ou devant être attribuées gratuitement aux actionnaires existants, et les dividendes payés sous la forme d’actions de la même catégorie que celles donnant droit à ces dividendes, pour autant qu’un document contenant des informations sur le nombre et la nature des actions ainsi que sur les raisons et les modalités de l’offre soit mis à la disposition des intéressés ».

La directive MiFID I

9 La directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1) (ci-après la « directive MiFID I »), telle que modifiée par la directive 2006/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006 (JO 2006, L 114, p. 60), a été abrogée, avec
effet au 3 janvier 2018, par la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349), telle que modifiée par la directive (UE) 2016/1034 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juin 2016 (JO 2016, L 175, p. 8). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, les dispositions de la directive MiFID I demeurent applicables
à ce litige.

10 Les considérants 2 et 44 de cette directive énonçaient :

« (2) Depuis quelques années, les investisseurs font davantage appel aux marchés financiers, où ils trouvent un éventail élargi de services et d’instruments, dont la complexité s’est accrue. Cette évolution justifie une extension du cadre juridique communautaire, qui doit englober toutes les activités offertes aux investisseurs. À cette fin, il convient d’atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises
d’investissement de fournir leurs services dans toute la Communauté, qui constitue un marché unique, sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine. En conséquence, la directive 93/22/CEE devrait être remplacée par une nouvelle directive.

[...]

(44) Dans le double objectif de protéger les investisseurs et d’assurer le bon fonctionnement des marchés des valeurs mobilières, il convient de garantir la transparence des transactions et de veiller à ce que les règles prévues à cet effet s’appliquent aux entreprises d’investissement lorsqu’elles opèrent sur ces marchés. [...] »

11 L’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I prévoyait :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

18) “valeurs mobilières” : les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que :

a) les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions ;

[...] »

12 L’article 40, paragraphe 1, de cette directive disposait :

« Les États membres exigent que les marchés réglementés établissent des règles claires et transparentes concernant l’admission des instruments financiers à la négociation.

Ces règles garantissent que tout instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé est susceptible de faire l’objet d’une négociation équitable, ordonnée et efficace et, dans le cas des valeurs mobilières, d’être négocié librement. »

13 Aux termes de l’article 69 de ladite directive :

« La directive 93/22/CEE est abrogée à compter du 1er novembre 2007. Les références à la directive 93/22/CEE s’entendent comme faites à la présente directive. Les références à des termes définis dans la directive 93/22/CEE, ou à des articles de ladite directive, s’entendent comme faites au terme équivalent défini dans la présente directive ou à l’article correspondant de la présente directive. »

Le droit belge

14 La loi du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement et aux admissions d’instruments de placement à la négociation sur des marchés réglementés (Moniteur belge du 21 juin 2006, p. 31352) a transposé, en droit belge, notamment la directive « prospectus ». En vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous 1°, de cette loi, pour l’application de cette dernière, il y a lieu d’entendre par « valeurs mobilières »« toutes les catégories d’instruments de placement négociables sur le
marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que [...] les actions de sociétés et autres instruments de placement équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités, en ce compris les instruments de placement émis par des organismes de placement collectif, revêtant la forme contractuelle ou de trust, en représentation des droits des participants sur les actifs de ces organismes, ainsi que les certificats représentatifs
d’actions ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

15 Holding Communal a été initialement constituée le 24 novembre 1860, sous la dénomination « Crédit communal de Belgique », pour le financement des investissements des pouvoirs locaux en Belgique. Ses actionnaires sont les communes et les provinces belges, dont, notamment, les communes de Schaerbeek et de Linkebeek.

16 Au cours de l’année 1996, le Crédit communal de Belgique a fusionné avec le Crédit local de France, donnant naissance au Groupe Dexia. Durant l’année 1998, le Crédit communal de Belgique a été transformé en une société holding et a pris sa dénomination actuelle, Holding Communal. Cette dernière détient notamment une participation importante dans Dexia SA.

17 Dans le contexte de la crise financière de l’année 2008, Holding Communal a participé à l’augmentation du capital de cette société, à hauteur de 500 millions d’euros. Afin de pouvoir libérer cette souscription et après s’être vu refuser un prêt pendant l’été 2009, le conseil d’administration de Holding Communal a décidé de faire appel aux actionnaires en leur proposant, notamment, une augmentation de capital par apports en numéraire donnant lieu à l’émission d’actions « cumulativement
privilégiées A ».

18 Au mois de septembre 2009, une réunion d’information a été organisée, au cours de laquelle des informations ont été communiquées aux actionnaires. Le calendrier de l’opération d’augmentation de capital a, par ailleurs, été adapté afin de tenir compte du processus décisionnel propre aux communes et aux provinces.

19 Le 30 septembre 2009, lors de l’assemblée générale de Holding Communal, les actionnaires de cette société ont approuvé cette augmentation de capital. En ce qui concerne ladite augmentation de capital, ces actionnaires ont décidé que la souscription se ferait en deux tours. La commune de Schaerbeek a souscrit à celle-ci pour un montant de 8161689,60 euros, lors du premier tour, et de 1359011,84 euros, lors du second tour. Quant à la commune de Linkebeek, sa souscription s’est élevée à un montant
de 53575,68 euros, à chacun des deux tours.

20 Le 7 décembre 2011, l’assemblée générale extraordinaire de Holding Communal a décidé la dissolution et la mise en liquidation de cette société. Aucun boni de liquidation ne pouvant être distribué, les actionnaires ont perdu l’intégralité de leurs souscriptions, à savoir tant celles qu’ils avaient consenties avant l’augmentation de capital que celles souscrites le 30 septembre 2009 et qui avaient été libérées.

21 Les communes de Schaerbeek et de Linkebeek ont introduit un recours contre Holding Communal devant le tribunal de commerce francophone de Bruxelles (Belgique) tendant à l’annulation de leurs souscriptions à l’augmentation de capital en cause, pour violation de la loi du 16 juin 2006. Ces communes ont soutenu que, préalablement à l’invitation des actionnaires à souscrire à cette augmentation de capital, un prospectus aurait dû être publié conformément à cette loi.

22 Ce tribunal a considéré que, à l’instar de la directive « prospectus », ladite loi ne régissait l’offre de valeurs mobilières que pour autant que de telles valeurs soient négociables sur le marché des capitaux, ce qui n’était pas le cas des actions de Holding Communal.

23 Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique), par un arrêt du 12 avril 2022. Cette juridiction a notamment jugé que les actions émises en contrepartie des apports en numéraire constituaient des valeurs mobilières non négociables sur le marché des capitaux, puisqu’elles ne pouvaient être détenues que par des autorités communales et provinciales et que leur cession était subordonnée à un agrément du conseil d’administration.

24 Les communes de Schaerbeek et de Linkebeek ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, en faisant valoir que les valeurs mobilières dont l’offre à des personnes doit donner lieu à la publication préalable d’un prospectus recouvrent, sans restriction, les « actions de sociétés », quand bien même la cession de ces actions fait, ou non, l’objet de restrictions, telle la nécessité d’un agrément du conseil
d’administration, ou les personnes concernées appartiennent, ou non, à une catégorie spécifique, telles des autorités communales ou provinciales.

25 Cette juridiction relève, à cet égard, que l’issue de ce pourvoi dépend de l’interprétation de la notion de « valeurs mobilières », visée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus ».

26 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2, paragraphe 1, [sous] a), de la directive [“prospectus”], renvoyant lui-même à l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive [MiFID I], doit-il être interprété en ce sens que la notion de valeur mobilière négociable sur le marché des capitaux englobe les actions d’une société holding qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes et dont la cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration ? »

Sur la question préjudicielle

27 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus » doit être interprété en ce sens que des actions d’une société qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes d’un État membre et dont la cession est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de cette société relèvent de la notion de « valeurs mobilières », au sens de cette directive.

28 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 29 février 2024, Eesti Vabariik (Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet), C‑437/22, EU:C:2024:176, point 48 et jurisprudence citée].

29 À cet égard, il importe de relever, premièrement, que, selon le libellé de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus », la notion de « valeurs mobilières », au sens de cette directive, recouvre « les valeurs mobilières telles que définies à l’article 1er, point 4), de la directive 93/22/CEE, à l’exception des instruments du marché monétaire [...] dont l’échéance est inférieure à douze mois ».

30 Si la directive 93/22 a, certes, été abrogée par la directive MiFID I, cette dernière prévoit, à son article 69, que « [l]es références à des termes définis dans la directive 93/22/CEE, ou à des articles de [cette] directive, s’entendent comme faites au terme équivalent défini dans la [...] directive [MiFID I] ou à l’article correspondant de [celle-ci] ».

31 Or, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I, relèvent de la notion de « valeurs mobilières »« les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement) », telles que « les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions », visés au point a) de cette disposition.

32 Ainsi, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus », lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I, la notion de « valeurs mobilières », au sens de la directive « prospectus », désigne les « titres négociables sur le marché des capitaux ». À cet égard, cette disposition n’apporte pas de précision sur le sens des termes « titres négociables » et « marché des capitaux », hormis celle selon laquelle les instruments de paiement
n’en relèvent pas. L’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I comporte, certes, des exemples de titres qui relèvent de cette notion, parmi lesquels figurent les actions de sociétés, sans que toutefois soient mentionnées de restrictions particulières quant aux caractéristiques des personnes qui détiennent ces titres ou à d’éventuelles limitations entourant leur cession.

33 Par conséquent, les termes « titres négociables sur le marché des capitaux », au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive MiFID I, et, partant, la notion de « valeurs mobilières », au sens de la directive « prospectus », doivent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, être interprétés de manière large, en ce sens que relèvent de cette notion des titres tels que des actions de sociétés, pour autant que la cession de ceux-ci ne soit pas soumise
à des restrictions qui rendraient leur négociabilité sur le marché des capitaux, à savoir entre offreurs de tels titres et investisseurs potentiels, impossible ou extrêmement difficile.

34 Deuxièmement, cette interprétation est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit la notion de « valeurs mobilières », au sens de la directive « prospectus ».

35 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 40, paragraphe 1, de la directive MiFID I exige que les marchés réglementés établissent des règles claires et transparentes concernant l’admission des instruments financiers à la négociation, lesquelles garantissent que tout instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé est susceptible de faire l’objet d’une négociation équitable, ordonnée et efficace et, dans le cas des valeurs mobilières, d’être négocié librement. Par
ailleurs, l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive « prospectus » définit la notion d’« offre au public de valeurs mobilières » comme « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces valeurs mobilières ».

36 Ainsi, il résulte de ces dispositions que les valeurs mobilières peuvent non seulement être négociées librement sur les marchés réglementés, mais également simplement être offertes dans des conditions qui mettent un investisseur en mesure de décider de les acheter ou de souscrire celles-ci. Il en découle que c’est non pas la négociabilité sans restrictions sur le marché de capitaux qui constitue la caractéristique essentielle des valeurs mobilières, mais la possibilité de négocier de telles
valeurs entre offreurs de titres et investisseurs potentiels, une telle négociabilité ne devant cependant pas être à ce point restreinte qu’elle en serait impossible ou extrêmement difficile.

37 Une interprétation large de la notion de « valeurs mobilières » découle également des préambules de la directive MiFID I et de la directive « prospectus ». En effet, d’une part, il ressort du considérant 2 de la directive MiFID I que celle-ci doit englober toutes les activités offertes aux investisseurs. D’autre part, selon le considérant 12 de la directive « prospectus », celle-ci adopte, pour garantir la protection des investisseurs, une définition étendue de la notion de « valeurs mobilières »
et couvre tous les titres de capital ainsi que les titres autres que de capital offerts au public ou admis à la négociation sur les marchés réglementés.

38 Troisièmement, l’interprétation retenue au point 33 du présent arrêt est conforme aux objectifs poursuivis par la directive MiFID I et par la directive « prospectus », qui, selon le considérant 44 de la première et le considérant 10 de la seconde, consistent en la protection des investisseurs et la garantie du bon fonctionnement des marchés (en ce qui concerne la directive « prospectus », voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Bankia, C‑910/19, EU:C:2021:433, point 30 et jurisprudence citée). En
effet, l’interprétation selon laquelle relèvent de la notion de « valeurs mobilières », au sens de ces directives, notamment, les actions de sociétés pourvu que celles-ci ne soient pas soumises à des restrictions rendant leur négociation entre offreurs de titres et investisseurs potentiels impossible ou extrêmement difficile permet l’application des mécanismes prévus par lesdites directives, lesquels concourent à la réalisation des deux objectifs susmentionnés à une large échelle dans les marchés
des capitaux dans lesquels les investisseurs sont susceptibles d’être actifs.

39 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les actions de la société en cause au principal ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes de l’État membre concerné et que leur cession est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de cette société. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, de telles actions ne paraissent pas être soumises à des restrictions qui rendent leur négociation entre offreurs de titres et investisseurs impossible ou
extrêmement difficile, dès lors que ces restrictions n’empêchent pas que ces actions soient négociées avec un nombre non négligeable d’investisseurs potentiels, et cela en dépit de l’éventualité que l’offre n’aboutisse pas à une cession des actions concernées, ce qui peut d’ailleurs également survenir en cas d’offres relatives à des titres d’une société dont la cession n’est pas subordonnée à un agrément de son conseil d’administration.

40 Cette considération permet, par ailleurs, de distinguer la situation en cause au principal de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2014, Almer Beheer et Daedalus Holding (C‑441/12, EU:C:2014:2226, points 35 et 36). En effet, dans cette affaire étaient en cause des ventes de valeurs mobilières qui, dès lors qu’elles intervenaient dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, étaient très éloignées des situations normales de négociation de tels titres,
puisqu’elles ne visaient pas à participer à une activité économique sur le marché de ces titres, mais se bornaient à satisfaire les droits d’un créancier saisissant.

41 Eu égard aux indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, selon lesquelles le litige au principal porte essentiellement sur la question de savoir si une invitation à souscrire des actions d’une société qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes d’un État membre et dont la cession est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de cette société est soumise à l’obligation de publication préalable d’un prospectus prévue à l’article 3, paragraphe 1,
de la directive « prospectus », il convient encore, afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse qui soit pleinement utile à la solution de ce litige, de déterminer si une invitation à souscrire de telles actions constitue une offre « au public », au sens de cet article 3, paragraphe 1.

42 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive « prospectus », « [l]es États membres n’autorisent aucune offre de valeurs mobilières au public sur leur territoire sans publication préalable d’un prospectus ». Toutefois, selon le paragraphe 2 de cet article, cette obligation ne s’applique pas à certaines catégories d’offres de valeurs mobilières, dont celle, mentionnée au point a) de ce paragraphe, dont relève toute offre de valeurs mobilières « adressée uniquement aux investisseurs
qualifiés ».

43 À cet égard, il importe de relever, premièrement, à l’instar de M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, que la définition de la notion d’« offre au public de valeurs mobilières », dont les termes sont rappelés au point 35 du présent arrêt, est formulée de manière large, sans restriction quant aux personnes concernées par une telle offre ou aux modalités des formes de communication de cette offre.

44 Deuxièmement, alors que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la directive « prospectus », l’obligation de publier un prospectus ne s’applique pas aux offres au public portant sur des actions offertes, attribuées ou devant être attribuées gratuitement aux actionnaires existants, une telle exception n’est pas prévue lorsqu’une offre de souscrire des actions d’une société est adressée, à titre onéreux, aux seuls actionnaires de cette société.

45 Troisièmement, il convient de souligner que le considérant 16 de la directive « prospectus » indique expressément que cette directive différencie les besoins de protection des diverses catégories d’investisseurs, notamment en fonction de leur niveau de compétence et, ainsi, ne prévoit pas l’obligation de publier un prospectus en cas d’offre limitée aux investisseurs qualifiés, au sens de ladite directive.

46 L’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive « prospectus », lu à la lumière de ce considérant 16, prévoit une telle dérogation s’agissant de tels investisseurs, ceux-ci incluant notamment, selon l’article 2, paragraphe 1, sous e), ii), de cette directive, les gouvernements nationaux et régionaux, mais non les autorités locales.

47 Dès lors, les communes, qui sont des autorités locales, ne sont pas visées à l’article 2, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive « prospectus ».

48 Les communes ne relevant pas non plus, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, d’une autre catégorie d’« investisseurs qualifiés » mentionnée à l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la directive « prospectus », une offre de valeurs mobilières telle que celle en cause au principal, qui est adressée tant aux communes qu’aux provinces d’un État membre, ne saurait être considérée comme étant adressée « uniquement aux investisseurs qualifiés », au sens de l’article 3, paragraphe 2,
sous a), de cette directive. Dans ces conditions, il est indifférent que les provinces belges puissent ou non constituer des « gouvernements régionaux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive « prospectus ».

49 Il s’ensuit, certes sous réserve des exceptions visées à l’article 3, paragraphe 2, sous b) à e), de la directive « prospectus » et à l’article 4 de celle-ci, lesquelles ne sont pas mentionnées, dans la décision de renvoi, comme ayant vocation à s’appliquer en l’occurrence, que, dans un cas tel que celui en cause au principal, il existe une « offre de valeurs mobilières au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, soumise à l’obligation de publication préalable d’un
prospectus, pourvu que les modalités de l’offre ne rendent pas la négociabilité des valeurs mobilières en cause sur le marché des capitaux entre offreurs et investisseurs potentiels impossible ou extrêmement difficile.

50 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive « prospectus » doit être interprété en ce sens que des actions d’une société qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes d’un État membre et dont la cession est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de cette société relèvent de la notion de « valeurs mobilières », au sens de cette directive, de sorte
qu’une invitation à souscrire de telles actions est soumise à l’obligation de publication préalable d’un prospectus, prévue à l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, pourvu que les modalités de l’offre ne rendent pas la négociabilité de ces actions sur le marché des capitaux entre offreurs et investisseurs potentiels impossible ou extrêmement difficile et qu’aucune des exceptions énoncées à l’article 3, paragraphe 2, et à l’article 4 de la même directive ne s’applique.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE, telle que modifiée par la directive 2008/11/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008,

  doit être interprété en ce sens que :

  des actions d’une société qui ne peuvent être détenues que par les provinces et les communes d’un État membre et dont la cession est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de cette société relèvent de la notion de « valeurs mobilières », au sens de la directive 2003/71, telle que modifiée par la directive 2008/11, de sorte qu’une invitation à souscrire de telles actions est soumise à l’obligation de publication préalable d’un prospectus, prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la
directive 2003/71, telle que modifiée par la directive 2008/11, pourvu que les modalités de l’offre ne rendent pas la négociabilité de ces actions sur le marché des capitaux entre offreurs et investisseurs potentiels impossible ou extrêmement difficile et qu’aucune des exceptions énoncées à l’article 3, paragraphe 2, et à l’article 4 de la directive 2003/71, telle que modifiée par la directive 2008/11, ne s’applique.

Lycourgos

Rodin

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 janvier 2025.
 
Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-627/23
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Cour de cassation.

Renvoi préjudiciel – Directive 2003/71/CE – Prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation – Article 2, paragraphe 1, sous a) – Notion de “valeurs mobilières” – Article 3 – Obligation de publier un prospectus – Valeurs négociables sur les marchés de capitaux – Actions d’une société holding ne pouvant être détenues que par certaines autorités administratives territoriales d’un État membre – Cession d’actions nécessitant l’agrément du conseil d’administration de la société holding.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Commune de Schaerbeek et Commune de Linkebeek
Défendeurs : Holding Communal SA.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:9

Source

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