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09/01/2025 | CJUE | N°C-578/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Česká republika – Generální finanční ředitelství contre Úřad pro ochranu hospodářské soutěže., 09/01/2025, C-578/23


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 31, point 1, sous b) – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché – Conditions – Raisons techniques – Raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité – Imputabilité au pouvoir adjudicateur – Circonstances de fait et de droit à prendre en considération »

Dans l’affaire C‑578/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au

titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), par décision...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

9 janvier 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 31, point 1, sous b) – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché – Conditions – Raisons techniques – Raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité – Imputabilité au pouvoir adjudicateur – Circonstances de fait et de droit à prendre en considération »

Dans l’affaire C‑578/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), par décision du 12 septembre 2023, parvenue à la Cour le 19 septembre 2023, dans la procédure

Česká republika – Generální finanční ředitelství

contre

Úřad pro ochranu hospodářské soutěže,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Jääskinen, M. Gavalec (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement slovaque, par Mmes E. Larišová et S. Ondrášiková, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme M. Monfort et M. G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 septembre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), qui a été abrogée et remplacée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive
2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

2 Cette demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Česká republika – Generální finanční ředitelství (Direction générale des finances, République tchèque) (ci-après la « DGF ») à l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, République tchèque) (ci-après l’« autorité de la concurrence ») au sujet de la constatation par cette dernière d’une infraction commise par la DGF, qui, sans que les conditions requises à cet effet
soient réunies, aurait eu recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 28 de la directive 2004/18, intitulé « Utilisation des procédures ouvertes, restreintes et négociées et du dialogue compétitif », prévoyait :

« Pour passer leurs marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures nationales, adaptées aux fins de la présente directive.

Ils passent ces marchés publics en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte. Dans les circonstances particulières expressément prévues à l’article 29, les pouvoirs adjudicateurs peuvent attribuer leurs marchés publics au moyen du dialogue compétitif. Dans les cas et circonstances spécifiques expressément prévus aux articles 30 et 31, ils peuvent recourir à une procédure négociée, avec ou sans publication d’un avis de marché. »

4 L’article 31 de cette directive, intitulé « Cas justifiant le recours à la procédure négociée sans publication d’un avis de marché », disposait, à son point 1 :

« Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché dans les cas suivants :

1) dans le cas des marchés publics de travaux, de fournitures et de services :

[...]

b) lorsque, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, le marché ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé ;

c) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse, résultant d’événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question, n’est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées avec publication d’un avis de marché visées à l’article 30. Les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs ».

Le droit tchèque

5 Le zákon č. 137/2006 Sb. o veřejných zakázkách (loi no 137/2006, relative aux marchés publics, ci-après la « loi sur les marchés publics ») a transposé la directive 2004/18 dans l’ordre juridique tchèque.

6 L’article 21, paragraphe 2, de cette loi prévoyait :

« Le pouvoir adjudicateur peut, pour attribuer un marché public, avoir recours à une procédure ouverte ou à une procédure restreinte, et dans les conditions prévues aux articles 22 et 23 également à une procédure négociée avec publication ou à une procédure négociée sans publication ; la procédure ouverte n’est pas utilisable pour les marchés publics dans le domaine de la défense ou de la sécurité. »

7 L’article 23, paragraphe 4, sous a), de ladite loi disposait :

« Le pouvoir adjudicateur peut également attribuer un marché public au moyen d’une procédure négociée sans publication lorsque, pour des raisons techniques ou artistiques, des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité ou des raisons découlant d’une réglementation spécifique, le marché public ne peut être exécuté que par un fournisseur déterminé. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 Le Ministerstvo financí (ministère des Finances, République tchèque) a conclu, le 29 juin 1992, un contrat avec la société IBM World Trade Europe/Middle East/Africa Corporation (ci-après le « contrat initial »), qui a donné lieu à la création d’un système d’information pour l’administration fiscale tchèque.

9 La DGF, qui a été créée en 2013 et qui est chargée de la gestion des impôts en République tchèque, s’est substituée dans ce domaine à ce ministère.

10 Après avoir initié, le 1er mars 2016, une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, en application de l’article 23, paragraphe 4, sous a), de la loi sur les marchés publics, la DGF a attribué, dans le cadre de cette procédure, le 20 mai 2016, le marché public relatif à la maintenance de ce système d’information, d’une valeur de 33294389 couronnes tchèques (CZK) (environ 1300000 euros), hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à la société IBM Česká republika spol. s r. o.,
dont l’associé unique était, en 1992, la société IBM World Trade Europe/Middle East/Africa Corporation.

11 Le recours à une telle procédure a été motivé par des raisons qui tenaient à la continuité technique entre le système d’information en cause et sa maintenance post-garantie ainsi que par des raisons tenant à la protection des droits d’auteur exclusifs de IBM Česká republika (ci-après la « situation d’exclusivité ») sur le code source de ce système. En effet, conformément aux stipulations du contrat initial, cette société est le titulaire des droits de licence pour ledit système.

12 Par sa décision du 9 octobre 2017, l’autorité de la concurrence a constaté que, en attribuant le marché public en cause à IBM Česká republika, la DGF a commis une infraction. En effet, elle aurait attribué ledit marché sans que les conditions pour pouvoir recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché soient réunies. D’une part, la DGF n’aurait pas démontré que, pour des raisons techniques, le marché public en cause au principal ne pouvait être exécuté que par IBM
Česká republika. D’autre part, la nécessité de protéger les droits exclusifs de celle-ci sur ledit code source aurait été la conséquence du comportement antérieur du prédécesseur en droit de la DGF.

13 Après que le recours hiérarchique formé par la DGF contre cette décision a été rejeté par décision du président de l’autorité de la concurrence, la DGF a saisi le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque) d’un recours contre cette dernière décision.

14 Cette juridiction a rejeté ce recours notamment au motif que l’octroi du marché à IBM Česká republika, en raison de la nécessité de respecter les droits d’auteur exclusifs de celle-ci, était dû au comportement du prédécesseur en droit de la DGF.

15 La DGF a dès lors formé un pourvoi en cassation devant le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque), qui est la juridiction de renvoi.

16 Devant cette juridiction, la DGF fait valoir que ni elle ni son prédécesseur en droit n’est à l’origine de la situation d’exclusivité de IBM Česká republika. En effet, à la date de conclusion du contrat initial, le 29 juin 1992, l’associé unique de cette société aurait été le seul opérateur économique en mesure de fournir les prestations requises. Elle indique également que les clauses du contrat initial relatives aux droits d’auteur sur le code source du système d’information en cause au
principal étaient conformes à la législation nationale en vigueur à cette date. La DGF souligne qu’elle aurait tenté de se libérer de sa « dépendance » à l’égard de IBM Česká republika, mais que cette dernière l’aurait informée de sa volonté de ne pas transférer les droits d’auteur patrimoniaux sur ce code source. À défaut d’opter pour la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, ledit système d’information aurait été inutilisable et l’administration fiscale n’aurait pas
pu mener à bien sa mission. En outre, lancer une procédure de passation de marché public de fourniture d’un nouveau système d’information pour l’administration fiscale tchèque ne serait pas raisonnable sur le plan financier.

17 Pour sa part, l’autorité de la concurrence indique qu’il était évident, au moment de la signature du contrat initial, que, pour le bon fonctionnement du système d’information en cause au principal, une maintenance et une assistance étaient nécessaires. Selon cette autorité, au lieu de se conformer à l’évolution de la réglementation pertinente, le prédécesseur en droit de la DGF et celle-ci se sont fondés sur une interprétation du contrat initial et de la loi sur les marchés publics qui permettait
d’assurer une administration de ce système d’information sans mise en concurrence, exclusivement au moyen d’une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

18 La juridiction de renvoi relève que la Cour n’a jusqu’alors pas été saisie d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18. Elle considère qu’un marché public ne saurait être attribué à un opérateur économique déterminé dans le cadre d’une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché lorsque la raison de l’attribution de ce marché tenant à la protection des droits exclusifs est imputable au
pouvoir adjudicateur. Cette juridiction souligne néanmoins que l’interprétation de cette disposition est nécessaire pour déterminer les circonstances de fait et de droit pertinentes afin d’apprécier l’existence d’une telle imputabilité. Ladite juridiction précise en outre que sa propre jurisprudence n’est pas univoque à cet égard.

19 C’est dans ces conditions que le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Pour apprécier si la condition matérielle pour recourir à la procédure négociée sans publication d’un avis de marché est remplie, c’est-à-dire pour apprécier si le comportement du pouvoir adjudicateur est à l’origine d’une situation d’exclusivité, au sens de l’article 31, [point] 1, sous b), de la directive [2004/18], faut-il tenir compte des circonstances de droit et de fait dans lesquelles a été conclu un contrat portant sur une première prestation, qui a donné lieu à des marchés publics
subséquents ? »

Sur la question préjudicielle

20 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si le comportement du pouvoir adjudicateur est à l’origine d’une situation d’exclusivité, au sens de cette disposition, il convient de tenir compte des circonstances de fait et de droit entourant la conclusion d’un contrat portant sur une première prestation, qui a donné lieu à des marchés publics subséquents.

21 La directive 2004/18 a été abrogée et remplacée par la directive 2014/24 avec effet au 18 avril 2016.

22 Conformément à une jurisprudence constante, la directive applicable ratione temporis à la passation d’un marché public est, en principe, celle en vigueur au moment où le pouvoir adjudicateur choisit le type de procédure qu’il va suivre et tranche définitivement la question de savoir s’il y a ou non obligation de procéder à une mise en concurrence préalable pour l’adjudication de ce marché public (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2024, NFŠ, C‑28/23, EU:C:2024:893, point 34 et jurisprudence
citée).

23 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la DGF a initié une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché le 1er mars 2016. C’est donc effectivement la directive 2004/18 qui s’applique au litige au principal, indépendamment du fait que le marché public a été attribué à IBM Česká republika le 20 mai 2016, soit postérieurement à la date à laquelle cette directive a été abrogée.

24 Sous le bénéfice de ces observations liminaires, il convient de rappeler qu’il ne peut être recouru à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché que dans les circonstances limitativement mentionnées par l’article 31 de la directive 2004/18 et que cette procédure revêt, par rapport aux procédures ouverte et restreinte, visées à l’article 28 de cette directive, un caractère exceptionnel (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 2009, Commission/Belgique, C‑292/07,
EU:C:2009:246, point 106, et du 11 septembre 2014, Fastweb, C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 49).

25 En particulier, l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 prévoit que, dans le cas des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché lorsque, pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, le marché ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé.

26 Cette disposition permet le recours à une telle procédure si deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir, d’une part, l’existence de raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité liées à l’objet du marché et, d’autre part, le fait que ces raisons rendent absolument nécessaire l’octroi du marché à un opérateur économique déterminé (voir, par analogie, arrêts du 18 mai 1995, Commission/Italie, C‑57/94, EU:C:1995:150, point 24, et du 2 juin 2005,
Commission/Grèce, C‑394/02, EU:C:2005:336, point 34).

27 En tant que dérogation aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le droit de l’Union dans le domaine des marchés publics, ladite disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte et c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’il incombe de prouver que ces conditions cumulatives sont remplies (voir, par analogie, arrêts du 10 mars 1987, Commission/Italie, 199/85, EU:C:1987:115, point 14, ainsi que du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑275/08, EU:C:2009:632,
points 55 et 56).

28 Dans ces conditions, il convient, en premier lieu, de vérifier si, ainsi que l’affirme la juridiction de renvoi, le pouvoir adjudicateur doit également établir que la situation d’exclusivité ne lui est pas imputable. En effet, le libellé de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 ne prévoit pas une telle exigence. En revanche, l’article 31, point 1, sous c), de cette directive requiert expressément, quant à lui, que les circonstances invoquées pour justifier une urgence
impérieuse, permettant de recourir à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, ne soient en aucun cas imputables aux pouvoirs adjudicateurs.

29 Toutefois, tenir compte exclusivement de la différence des libellés de l’article 31, point 1, sous b), et de l’article 31, point 1, sous c), de la directive 2004/18 pourrait aboutir à méconnaître, d’une part, la nécessité d’interpréter strictement l’article 31 de cette directive et, d’autre part, l’objectif principal des règles de l’Union en matière de marchés publics, à savoir la libre circulation des produits et des services ainsi que l’ouverture des marchés publics à la concurrence dans tous
les États membres (voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2016, Undis Servizi, C‑553/15, EU:C:2016:935, point 28, et du 4 juin 2020, Asmel, C‑3/19, EU:C:2020:423, point 58).

30 En outre, la Cour a déjà jugé que le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché ne saurait être justifié, en invoquant la spécificité technique d’un logiciel utilisé dans l’administration nationale, constituant l’objet du marché de fourniture, en l’absence d’éléments établissant que des recherches sérieuses ont été menées en vue d’identifier des opérateurs, différents du fournisseur auquel le marché a été attribué, qui sont susceptibles de présenter un logiciel
adapté (arrêt du 15 octobre 2009, Commission/Allemagne, C‑275/08, EU:C:2009:632, points 57 à 64).

31 Partant, un pouvoir adjudicateur est tenu de faire tout ce qui est susceptible d’être raisonnablement attendu de lui pour éviter l’application de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18, et ce afin de recourir à une procédure plus ouverte à la concurrence. Or, il serait incompatible avec cette exigence de permettre à un tel pouvoir adjudicateur d’appliquer cette disposition alors que la création ou le maintien de la situation d’exclusivité qu’il invoque à cet effet lui est
imputable, du fait, notamment, que, afin d’atteindre le résultat visé par le marché concerné, ce pouvoir adjudicateur n’avait pas besoin de générer une telle situation d’exclusivité ou qu’il disposait de moyens réels et raisonnables du point de vue économique pour mettre fin à une telle situation.

32 Il en découle que, aux fins de l’application de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18, un pouvoir adjudicateur doit établir, d’une part, que les deux conditions cumulatives mentionnées au point 26 du présent arrêt sont réunies, et, d’autre part, que l’existence des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité liées à l’objet du marché ne lui est pas imputable.

33 En ce qui concerne, en second lieu, l’appréciation, par une juridiction nationale compétente, de l’existence d’une telle imputabilité dans le chef d’un pouvoir adjudicateur, il incombe à celle-ci de déterminer si le comportement de ce pouvoir adjudicateur, notamment lors de la conclusion d’un contrat antérieur ayant donné lieu au marché public concerné, est à l’origine de l’apparition d’une situation d’exclusivité, laquelle est susceptible de justifier, en théorie, l’application de l’article 31,
point 1, sous b), de la directive 2004/18 pour l’attribution du marché public concerné. Cette juridiction nationale doit également examiner si la perpétuation d’une telle situation d’exclusivité jusqu’à la décision dudit pouvoir adjudicateur de suivre la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché est due à l’action ou à l’inaction de ce même pouvoir adjudicateur.

34 Aux fins de cette vérification, il importe de relever, à l’instar de M. l’avocat général aux points 51 et 59 de ses conclusions, qu’une imputabilité au pouvoir adjudicateur d’une situation d’exclusivité ne saurait être constatée sur le fondement du seul fait qu’il a causé une telle situation par la conclusion d’un contrat antérieur, alors que, à l’époque de cette conclusion, la réglementation de l’Union en matière de marché public ne lui était pas applicable. En revanche, il n’est pas nécessaire
qu’une telle situation ait été intentionnellement créée ou maintenue par ledit pouvoir adjudicateur en vue de limiter la concurrence lors des passations de marchés publics futures.

35 S’agissant de l’affaire au principal, il convient de rappeler que, conformément au principe de l’application immédiate et intégrale des dispositions du droit de l’Union aux nouveaux États membres, la République tchèque devait se conformer, dès son adhésion à l’Union européenne, à la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1993, L 199, p. 1), qui a été abrogée et remplacée par la directive 2004/18 et
dont le libellé de l’article 6, paragraphe 3, sous b), a été repris à l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2017, Compania Naţională de Administrare a Infrastructurii Rutiere, C‑408/16, EU:C:2017:940, point 37 et jurisprudence citée).

36 Partant, depuis l’adhésion de la République tchèque à l’Union, un pouvoir adjudicateur de cet État membre ne pouvait, en vertu de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18, recourir à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché en vue de la maintenance d’un système d’information utilisé dans l’administration nationale qu’à condition d’être en mesure d’établir, d’une part, que, pour des raisons techniques ou tenant à la protection des droits d’exclusivité sur
ce système d’information, le marché ne pouvait être attribué qu’à un opérateur économique déterminé et, d’autre part, que ces raisons n’étaient pas imputables à ce pouvoir adjudicateur.

37 En l’occurrence, d’une part, la juridiction de renvoi expose que, entre le 1er mai 2004, date de l’adhésion de la République tchèque à l’Union, et le 1er mars 2016, date à laquelle a été initiée la procédure en cause au principal, la DGF, ou son prédécesseur en droit, avait la possibilité d’initier une procédure de passation de marché public pour la fourniture d’un nouveau système d’information. D’autre part, devant cette juridiction, la DGF soutient qu’elle a tenté de mettre un terme à la
situation d’exclusivité de IBM Česká republika, mais que cette dernière a refusé de transférer les droits d’auteur patrimoniaux sur le code source du système d’information en cause, de sorte que, à défaut d’opter pour la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, ce système d’information serait devenu inutilisable, empêchant ainsi l’administration fiscale de mener à bien sa mission.

38 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, compte tenu des circonstances entourant la conclusion du contrat initial et, en particulier, de celles qui caractérisaient la période située entre le 1er mai 2004 et le 1er mars 2016, la situation d’exclusivité invoquée par la DGF pour justifier l’application de l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 était imputable à celle-ci, notamment en ce que la DGF disposait de moyens réels et raisonnables du point de vue économique
pour mettre fin à cette situation d’exclusivité au cours de ladite période avant de décider d’avoir recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

39 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18 doit être interprété en ce sens que, pour justifier le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, au sens de cette disposition, le pouvoir adjudicateur ne peut invoquer la protection de droits d’exclusivité lorsque la raison d’une telle protection lui est imputable. Une telle imputabilité s’apprécie sur la base non
seulement des circonstances de fait et de droit entourant la conclusion d’un contrat portant sur une première prestation, mais également de toutes celles qui caractérisent la période allant de la date de cette conclusion à celle à laquelle le pouvoir adjudicateur choisit la procédure à suivre pour la passation d’un marché public subséquent.

Sur les dépens

40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 31, point 1, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services,

  doit être interprété en ce sens que :

  pour justifier le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, au sens de cette disposition, le pouvoir adjudicateur ne peut invoquer la protection de droits d’exclusivité lorsque la raison d’une telle protection lui est imputable. Une telle imputabilité s’apprécie sur la base non seulement des circonstances de fait et de droit entourant la conclusion d’un contrat portant sur une première prestation, mais également de toutes celles qui caractérisent la période
allant de la date de cette conclusion à celle à laquelle le pouvoir adjudicateur choisit la procédure à suivre pour la passation d’un marché public subséquent.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-578/23
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Nejvyšší správní soud.

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 31, point 1, sous b) – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché – Conditions – Raisons techniques – Raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité – Imputabilité au pouvoir adjudicateur – Circonstances de fait et de droit à prendre en considération.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Česká republika – Generální finanční ředitelství
Défendeurs : Úřad pro ochranu hospodářské soutěže.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Gavalec

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:4

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