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19/12/2024 | CJUE | N°C-601/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Credit Suisse Securities (Europe) Ltd contre Diputación Foral de Bizkaia., 19/12/2024, C-601/23


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Fiscalité – Imposition des dividendes – Retenue à la source – Remboursement de la retenue à la source accordé aux bénéficiaires de dividendes résidents ayant un résultat négatif à l’issue de l’exercice fiscal de perception des dividendes – Absence de remboursement de la retenue à la source aux bénéficiaires de dividendes non-résidents – Différence de traitement – Restriction – Compar

abilité – Justification »

Dans l’affaire C‑601/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au ti...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Fiscalité – Imposition des dividendes – Retenue à la source – Remboursement de la retenue à la source accordé aux bénéficiaires de dividendes résidents ayant un résultat négatif à l’issue de l’exercice fiscal de perception des dividendes – Absence de remboursement de la retenue à la source aux bénéficiaires de dividendes non-résidents – Différence de traitement – Restriction – Comparabilité – Justification »

Dans l’affaire C‑601/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque, Espagne), par décision du 19 septembre 2023, parvenue à la Cour le 29 septembre 2023, dans la procédure

Credit Suisse Securities (Europe) Ltd

contre

Diputación Foral de Bizkaia,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Credit Suisse Securities (Europe) Ltd, par Me S. Paternain Osácar, abogada,

– pour la Diputación Foral de Bizkaia, par Mme B. Astorquiza del Val, letrada, et Mme M. Durango García, procuradora,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Maddalo, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mme S. Pardo Quintillán et M. W. Roels, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Credit Suisse Securities (Europe) Ltd à la Diputación Foral de Bizkaia (conseil foral de Biscaye, Espagne) au sujet du refus opposé par cette dernière à la demande de Credit Suisse Securities (Europe) de lui octroyer le remboursement de la retenue à la source appliquée sur les dividendes lui ayant été versés au cours de l’année 2017.

Le cadre juridique

Le droit international

3 L’article 10 de la convention entre le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Londres le 14 mars 2013 (ci-après la « convention hispano-britannique »), stipule :

« 1.   Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État contractant à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

2.   Toutefois, ces dividendes :

a) sont aussi imposables dans l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État, mais si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l’autre État contractant, l’impôt ainsi établi ne peut excéder :

(i) 10 pour cent du montant brut des dividendes [...]

[...] »

4 L’article 22, paragraphe 2, de cette convention prévoit :

« Sous réserve des dispositions de la législation du Royaume-Uni concernant l’imputation de l’impôt à payer dans un territoire situé hors du Royaume-Uni sur l’impôt du Royaume-Uni ou, selon le cas, concernant l’exemption de l’impôt du Royaume-Uni d’un dividende ou des bénéfices d’un établissement stable provenant d’un territoire situé hors du Royaume-Uni (qui n’en affectent pas le principe général) :

a) l’impôt espagnol dû en vertu de la législation du Royaume d’Espagne et conformément à la présente convention, directement ou par déduction, sur les bénéfices, les revenus ou les plus-values imposables sur des sources au sein du Royaume d’Espagne (à l’exception, dans le cas des dividendes, de l’impôt dû au titre des bénéfices à partir desquels le dividende est versé) est imputé sur l’impôt britannique calculé sur les mêmes bénéfices, revenus ou plus-values imposables sur la base desquels l’impôt
espagnol est calculé ;

b) les dividendes payés par une société qui est un résident du Royaume d’Espagne à une société qui est un résident du Royaume-Uni sont exempts d’impôt du Royaume-Uni lorsque l’exemption est applicable et que les conditions de l’exemption prévues par la législation du Royaume-Uni sont remplies ;

[…] »

Le droit de l’Union

5 L’article 63, paragraphe 1, TFUE dispose :

« Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. »

6 Aux termes de l’article 65 TFUE :

« 1.   L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres :

a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ;

[...]

3.   Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63.

[...] »

Le droit espagnol

La loi forale 11/2013

7 L’article 68 de la Norma Foral del Impuesto sobre Sociedades 11/2013 (loi forale 11/2013 relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 décembre 2013 (Boletín Oficial de Bizkaia no 238, du 13 décembre 2013, ci-après la « loi forale 11/2013 »), énonce :

« 1.   Sont déductibles du montant d’impôt dû :

a) Les retenues à la source, à l’exception de celles correspondant à des revenus qui ne sont pas inclus dans la base imposable en application des dispositions [...] de la présente loi forale.

[...]

2.   Lorsque le montant total des éléments susmentionnés dépasse celui de l’impôt dû, l’administration fiscale procède au remboursement d’office du trop‑perçu.

[...] »

8 L’article 130, paragraphe 1, de la loi forale 11/2013 dispose :

« Les entités, [...] qui versent des revenus assujettis à cet impôt, sont obligées de retenir ou de verser par acomptes, à titre de paiement anticipé, le montant déterminé par voie réglementaire, et de le verser, dans les cas et les formes définis, à [l’Hacienda Foral de Bizcaya (Trésor public régional de Biscaye)] [...] »

La loi forale 12/2013

9 Aux termes de l’article 1er de la Norma Foral 12/2013 del Impuesto sobre la Renta de no Residentes (loi forale 12/2013 relative à l’impôt sur le revenu des non‑résidents), du 5 décembre 2013 (Boletín Oficial de Bizkaia no 238, du 13 décembre 2013, ci-après la « loi forale 12/2013 ») :

« 1.   L’impôt sur le revenu des non‑résidents est un impôt direct frappant :

a) les revenus perçus en Biscaye [Espagne], dans les termes prévus par la présente loi forale, par les personnes physiques ou morales ne résidant pas sur le territoire espagnol, qui y opèrent en l’absence d’établissement stable.

[...]

2.   Les dispositions de la présente loi forale sont applicables :

a) aux personnes physiques ou morales ne résidant pas sur le territoire espagnol qui, en l’absence d’établissement stable, perçoivent des revenus sur le territoire historique de Biscaye, conformément aux dispositions de l’article 13 de la présente loi forale.

[...] »

10 L’article 13, paragraphe 2, de cette loi dispose :

« Les revenus suivants, perçus ou produits sur le territoire de Biscaye, sont considérés comme des revenus perçus en l’absence d’établissement stable :

[...]

g) les dividendes et autres revenus provenant de la participation dans les capitaux propres des entités publiques basques fiscalement domiciliées en Biscaye, ainsi que les revenus provenant de la participation dans les capitaux propres des entités privées, à hauteur du montant prévu au paragraphe 4 du présent article.

[...] »

11 L’article 25, paragraphe 1, de ladite loi énonce :

« Le montant de l’impôt est obtenu en appliquant, à la base imposable déterminée conformément à l’article précédent, les taux d’imposition suivants :

a) D’une manière générale : 24 %. Toutefois, le taux d’imposition s’élève à 19 % pour les contribuables résidant dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen avec lequel il existe un échange effectif d’informations en matière fiscale [...]

[...] »

12 L’article 31 de la même loi est libellé comme suit :

« 1.   Sont tenues de pratiquer la retenue à la source et de verser des acomptes concernant les revenus soumis à cet impôt, qu’elles versent :

a) les entités, y compris les entités en régime d’attribution de bénéfices, résidant sur le territoire espagnol.

[...]

2.   Les entités soumises à cette obligation doivent procéder à une retenue à la source ou [verser] à titre d’acompte un montant équivalent à celui qui résulte de l’application des dispositions prévues par la présente loi forale pour déterminer l’impôt dû par les contribuables sans établissement stable ou de celles prévues par une convention préventive de double imposition applicable [...]

[...]

3.   Les entités tenues de procéder à une retenue à la source ou de verser un acompte s’engagent à effectuer le paiement au Trésor public régional [de Biscaye], sans que le non‑respect de cette obligation puisse les dispenser de l’obligation de paiement. [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Credit Suisse Securities (Europe) est une société établie au Royaume-Uni qui n’a pas d’établissement stable en Espagne. Au cours de l’année 2017, elle a perçu 2763848,73 euros de dividendes, distribués par une société établie en Biscaye, qui ont fait l’objet, conformément à la loi forale 12/2013, d’une retenue à la source. Cette retenue initialement fixée à 19 %, soit le même pourcentage que celui applicable aux dividendes versés aux sociétés résidentes, a finalement été réduite à 10 % sur la
base de la convention hispano-britannique.

14 Le 10 février 2021, Credit Suisse Securities (Europe) a demandé au Trésor public régional de Biscaye de rectifier les autoliquidations présentées par la société distributrice des dividendes qui avait pratiqué la retenue à la source, en sollicitant le remboursement de celle-ci au motif qu’il s’agissait d’un trop-perçu.

15 Par décision du 15 février 2021, le Trésor public régional de Biscaye a rejeté cette demande.

16 Le 18 mars 2021, Credit Suisse Securities (Europe) a introduit une réclamation administrative auprès du Tribunal Económico-Administrativo Foral de Bizkaia (tribunal administratif économique provincial de Biscaye, Espagne), qui l’a rejetée, par décision du 23 février 2022.

17 Credit Suisse Securities (Europe) a saisi le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contentieux administratif.

18 Cette société soutient que, au cours de l’exercice 2017, elle a enregistré des pertes et ne pouvait donc pas récupérer, dans son pays de résidence, le montant prélevé en tant que retenue à la source en l’imputant sur un montant d’impôt à payer dans ce pays. Elle fait valoir que, dans de telles circonstances, l’application de la loi forale 11/2013 donnerait lieu à un traitement discriminatoire. En effet, la retenue à la source pratiquée, en application de cette loi forale, à l’égard d’une société
non-résidente serait conçue comme un impôt définitif, sans mécanisme de remboursement en cas de pertes subies par une telle société, alors que, pour une société résidente, qui est soumise à l’impôt sur les sociétés en Biscaye, il s’agirait d’un acompte à valoir sur cet impôt qui n’entraîne une imposition effective que si cette société a une base d’imposition positive au titre de l’exercice fiscal en cause. En revanche, si celle-ci est négative, les retenues à la source feraient l’objet d’un
remboursement.

19 Ainsi, ladite société estime qu’elle ne peut exercer pleinement la liberté de circulation des capitaux et invoque, à cet égard, les arrêts du 22 novembre 2018, Sofina e.a. (C‑575/17, EU:C:2018:943), ainsi que du 16 juin 2022, ACC Silicones (C‑572/20, EU:C:2022:469).

20 En outre, cette société fait valoir que, en cas de pertes, la convention hispano-britannique ne permettrait pas de compensation de la retenue à la source prélevée, car l’article 22, paragraphe 2, de cette convention exigerait l’existence de bénéfices ou de gains imposables pour qu’une telle retenue soit déductible. Le Royaume-Uni ne serait pas tenu de rembourser la retenue à la source prélevée en Espagne et octroierait seulement un crédit d’impôt si un montant d’impôt est dû, étant précisé que ce
crédit ne pourrait pas non plus être utilisé au cours des exercices suivants.

21 Le conseil foral de Biscaye conteste cette argumentation.

22 La juridiction de renvoi précise que, en cas de versement de dividendes par une société fiscalement domiciliée en Biscaye, tant les sociétés bénéficiaires résidentes que les sociétés non-résidentes sont soumises à une retenue à la source calculée au même taux d’imposition. Cependant, le régime de l’impôt sur les sociétés assurerait à une société bénéficiaire résidente, soumise à cet impôt en Biscaye, un remboursement intégral de la retenue à la source en cas de clôture de l’exercice fiscal
concerné par un résultat déficitaire, tandis que, pour les sociétés non-résidentes, cette retenue ne serait compensée qu’hypothétiquement, par le jeu des éventuelles conventions préventives de double imposition. En l’occurrence, la convention hispano-britannique ne permettrait pas une telle compensation pour les sociétés résidentes du Royaume-Uni.

23 Dès lors, éprouvant des doutes sur la compatibilité de la réglementation fiscale en cause avec la libre circulation des capitaux, le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 63 [TFUE] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le Royaume d’Espagne, et, en particulier, le territoire historique fiscalement autonome de Biscaye, bien qu’appliquant le même taux d’imposition aux résidents et aux non-résidents, ne rembourse cependant pas à ces derniers la retenue à la source pratiquée lors du versement de dividendes par une entité résidente – et qu’ils ne parviennent pas à neutraliser par le jeu de la convention préventive de double imposition –
alors que les résidents qui enregistrent également des pertes au cours de l’exercice se voient rembourser intégralement ladite retenue ? »

Sur la recevabilité

24 Le gouvernement allemand doute de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au vu de l’absence de constatations matérielles relatives aux pertes prétendument subies par Credit Suisse Securities (Europe) dans son pays de résidence, à savoir au Royaume-Uni.

25 Selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige au principal d’apprécier la nécessité d’une décision préjudicielle et la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, lesquelles bénéficient d’une présomption de pertinence. Ainsi, la Cour est, en principe, tenue de statuer, dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, sauf s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée
n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet de ce litige, si le problème est de nature hypothétique ou encore si la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question (arrêt du 22 février 2024, Unedic, C‑125/23, EU:C:2024:163, point 35 et jurisprudence citée).

26 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, selon les indications de Credit Suisse Securities (Europe), non contestées par le conseil foral de Biscaye ou par la juridiction de renvoi, cette société a enregistré des pertes fiscales lors de l’exercice au titre duquel la retenue à la source a été prélevée, dès lors que la déclaration fiscale qu’elle a établie pour cet exercice dans son pays de résidence, à savoir au Royaume-Uni, faisait ressortir une base imposable négative.

27 Ainsi, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation de l’article 63 TFUE sollicitée par la juridiction de renvoi n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ni que le problème est de nature hypothétique.

28 Dès lors, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation applicable dans un État membre en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société établie dans un territoire fiscalement autonome de cet État membre font l’objet d’une retenue à la source qui, lorsque ces dividendes sont perçus par une société résidente, soumise à l’impôt sur les sociétés dans ce territoire fiscalement autonome, vaut
acompte sur cet impôt et est entièrement remboursée si cette dernière société clôture l’exercice fiscal concerné par un résultat déficitaire, alors qu’aucun remboursement n’est prévu lorsque lesdits dividendes sont perçus par une société non-résidente dans une même situation.

Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE

30 Il résulte de la jurisprudence de la Cour que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents dudit État membre d’en faire dans d’autres États (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

31 Plus particulièrement, un traitement désavantageux par un État membre des dividendes versés à des sociétés non-résidentes, par rapport au traitement réservé aux dividendes versés à des sociétés résidentes, est susceptible de dissuader les sociétés établies dans un État membre autre que ce premier État membre de procéder à des investissements dans ce premier État membre et constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE
(arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

32 En vertu de la réglementation en cause au principal, les sociétés détenant des participations dans une société établie en Biscaye sont soumises, en ce qui concerne les dividendes qui leur sont distribués à ce titre, à deux régimes d’imposition différents, dont l’application dépend de leur qualité de résident ou de non-résident.

33 En effet, il ressort de la décision de renvoi que les dividendes versés aux sociétés non-résidentes par une société dont le domicile fiscal est établi en Biscaye sont soumis, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous a), de la loi forale 12/2013, à une retenue à la source égale à 19 % de leur montant brut, ce taux pouvant toutefois être réduit, en vertu d’une convention de prévention de la double imposition, et ce indépendamment des résultats financiers de ces sociétés non-résidentes. En
l’occurrence, les dividendes perçus par Credit Suisse Securities (Europe) ont fait l’objet d’une retenue à la source de 10 % en application d’une telle convention, à savoir la convention hispano-britannique.

34 En revanche, s’il est vrai que les dividendes versés par une société établie en Biscaye à une autre société résidente se trouvant par ailleurs dans la même situation que Credit Suisse Securities (Europe) sont eux aussi frappés d’une retenue à la source égale à 19 % de leur montant brut, cette retenue vaut acompte sur l’impôt sur les sociétés applicable en Biscaye. Lorsqu’une telle société résidente enregistre des pertes à l’issue de l’exercice fiscal concerné et que, partant, aucun impôt sur les
sociétés n’est dû, la retenue à la source prélevée sur ces dividendes à titre d’acompte est remboursée, alors que rien de tel n’est prévu lorsque la retenue à la source est prélevée sur des dividendes versés à des sociétés non-résidentes.

35 Il en résulte que le régime applicable à l’imposition des dividendes versés par une société dont le domicile fiscal est établi dans le territoire historique de Biscaye est susceptible de procurer un avantage à une société résidente, soumise à l’impôt sur les sociétés dans ce territoire, par rapport à une société non-résidente, lorsque ces sociétés clôturent un exercice fiscal par un résultat déficitaire (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943,
point 28).

36 À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, s’agissant des dividendes perçus par la société résidente, si un tel remboursement conduit à exonérer ces dividendes de toute charge fiscale ou bien si, ainsi qu’il semble résulter du dossier dont dispose la Cour, l’intégration desdits dividendes à hauteur de 50 % dans l’assiette imposable de la société résidente réduit le montant des pertes pouvant être portées en déduction des revenus positifs d’exercices ultérieurs, ayant ainsi
pour effet le report d’imposition de ces dividendes.

37 En tout état de cause, premièrement, l’exclusion d’un tel avantage dans une situation transfrontalière alors qu’il est octroyé dans une situation équivalente sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des capitaux (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

38 Deuxièmement, l’appréciation de l’existence d’un éventuel traitement désavantageux des dividendes versés aux sociétés non-résidentes doit être effectuée pour chaque exercice fiscal, pris individuellement (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

39 Les dividendes perçus par une société non-résidente étant imposés lors de leur distribution, il y a lieu de tenir compte de l’exercice fiscal de distribution des dividendes pour comparer la charge fiscale grevant de tels dividendes et celle grevant des dividendes distribués à une société résidente, imposée en Biscaye (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 31).

40 Or, en l’occurrence, il convient de constater qu’une telle charge serait nulle pour cette dernière société lorsqu’elle clôture un tel exercice par un résultat déficitaire.

41 Troisièmement, le report éventuel de l’imposition de ces dividendes revêtira le caractère d’une exonération définitive si la société résidente ne présente plus de résultat bénéficiaire avant de cesser ses activités (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 33).

42 Par conséquent, la réglementation en cause au principal est susceptible de procurer un avantage aux sociétés résidentes en situation déficitaire, dès lors qu’il en résulte à tout le moins un avantage de trésorerie, voire une exonération, alors que les sociétés non-résidentes subissent une imposition immédiate et définitive indépendamment de leur résultat (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 34).

43 Le conseil foral de Biscaye et le gouvernement espagnol rappellent, à cet égard, que les dividendes versés à une société non-résidente telle que Credit Suisse Securities (Europe) sont soumis, en vertu des dispositions combinées de l’article 25, paragraphe 1, sous a), de la loi forale 12/2013 et de l’article 10, paragraphe 2, sous a), i), de la convention hispano-britannique, à un impôt d’un taux de 10 %, alors que les dividendes versés à une société résidente sont soumis, dans la mesure où ils
sont inclus dans la base imposable de l’impôt sur les sociétés, à un impôt d’un taux de 28 %.

44 Or, une telle circonstance ne saurait éliminer le traitement moins favorable que subissent les dividendes versés à une société non‑résidente.

45 En effet, d’une part, un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être considéré comme compatible avec le droit de l’Union en raison de l’existence éventuelle d’autres avantages (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

46 D’autre part, le taux d’imposition moins favorable invoqué par le conseil foral de Biscaye et par le gouvernement espagnol en ce qui concerne les dividendes versés à une société résidente n’est en tout état de cause pas pertinent, dès lors que ces dividendes font l’objet d’une exonération de l’impôt dû lorsque la société résidente cesse ses activités sans avoir été bénéficiaire au cours des exercices qui ont suivi la perception desdits dividendes. Or, la circonstance qu’une réglementation d’un
État membre défavorise des non-résidents ne saurait être compensée par le fait que, dans d’autres situations, cette même réglementation est susceptible de ne pas affecter les non-résidents par rapport aux résidents (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

47 En outre, il importe de constater qu’une telle différence de traitement fiscal des dividendes en fonction du lieu de résidence des sociétés qui bénéficient de ces derniers est susceptible de dissuader les sociétés non‑résidentes de procéder à des investissements dans des sociétés établies en Biscaye.

48 Il s’ensuit que la réglementation en cause au principal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, laquelle est, en principe, interdite par l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

49 Il convient, toutefois, d’examiner si cette restriction est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité FUE.

Sur l’existence d’une justification à la restriction au titre de l’article 65 TFUE

50 En vertu de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.

51 Cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité FUE. En effet, la dérogation prévue à
l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE est elle-même limitée par le paragraphe 3 du même article, qui prévoit que les dispositions nationales visées audit paragraphe 1 « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 [TFUE] » (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

52 Il y a lieu, dès lors, de distinguer les différences de traitement permises au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations interdites par l’article 65, paragraphe 3, TFUE. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour qu’une législation fiscale nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement qui en résulte concerne des situations qui ne sont
pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

Sur la comparabilité des situations en cause

53 Selon la jurisprudence de la Cour, à partir du moment où un État assujettit, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, à l’impôt sur le revenu non seulement des contribuables résidents, mais également des contribuables non-résidents, pour les dividendes qu’ils perçoivent d’une société résidente, la situation desdits contribuables non-résidents se rapproche de celle des contribuables résidents (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 47 ainsi que
jurisprudence citée).

54 Le conseil foral de Biscaye ainsi que les gouvernements espagnol et allemand se réfèrent, notamment, aux arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C‑250/95, EU:C:1997:239), du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande (C‑345/04, EU:C:2007:96), ainsi que du 17 septembre 2015, Miljoen e.a. (C‑10/14, C‑14/14 et C‑17/14, EU:C:2015:608), dont ils déduisent qu’une réglementation telle que celle en cause au principal est conforme au principe de territorialité et que les sociétés
non-résidentes ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable à celle des sociétés résidentes.

55 À cet égard, il y a lieu, cependant, de relever que la jurisprudence issue de ces derniers arrêts avait déjà été invoquée dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a. (C‑575/17, EU:C:2018:943). Or, dans celui-ci, la Cour a néanmoins constaté l’existence de situations objectivement comparables, et ce sur la base de la jurisprudence constante rappelée au point 53 du présent arrêt. Une telle appréciation est également valable à l’égard des situations des
sociétés résidentes et des sociétés non-résidentes en cause dans l’affaire au principal.

56 Partant, la différence de traitement résultant de la réglementation en cause au principal concerne des situations objectivement comparables.

Sur la justification tirée de l’efficacité du recouvrement de l’impôt

57 Le conseil foral de Biscaye fait valoir qu’une obligation fiscale immédiatement recouvrable incombant à une société non-résidente percevant des dividendes apparaît proportionnée à l’objectif de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, dès lors que le risque de non-paiement de l’impôt par une telle société, ne disposant pas, en outre, d’un établissement stable, augmente avec le temps, en raison de l’absence de tout lien réel et permanent de celle-ci
avec le pays de la source du revenu.

58 Ce faisant, le conseil foral de Biscaye soutient, en réalité, que la restriction à la libre circulation des capitaux en cause au principal est justifiée par le besoin d’assurer le recouvrement de l’impôt.

59 Selon une jurisprudence bien établie, la nécessité de garantir un recouvrement efficace de l’impôt constitue un objectif légitime pouvant justifier une restriction aux libertés fondamentales, sous réserve, toutefois, que l’application de cette restriction soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

60 En outre, la Cour a jugé que la procédure de retenue à la source constitue un moyen légitime et approprié d’assurer le traitement fiscal des revenus d’un assujetti établi en dehors de l’État d’imposition (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

61 À cet égard, il convient de rappeler que la restriction à la libre circulation des capitaux résultant de la réglementation en cause au principal réside, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, dans la circonstance que, contrairement aux sociétés résidentes en situation déficitaire qui sont imposables en Biscaye, les sociétés non-résidentes, elles-mêmes en situation déficitaire, ne bénéficient ni du remboursement de la retenue à la source ni d’un éventuel report de l’imposition.

62 Or, la reconnaissance du bénéfice d’un tel traitement aux sociétés non-résidentes, tout en éliminant nécessairement cette restriction, ne remettrait pas en cause la réalisation de l’objectif lié au recouvrement efficace de l’impôt dû par ces sociétés lorsqu’elles perçoivent des dividendes d’une société résidente, établie en Biscaye (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 70).

63 En effet, premièrement, le régime du remboursement de la retenue à la source en cas de résultat déficitaire constitue, par nature, une dérogation au principe de l’imposition durant l’exercice fiscal de la distribution des dividendes, de telle sorte que ce régime a, par nature, vocation à s’appliquer non pas à la majorité des sociétés percevant des dividendes, mais uniquement à celles qui enregistrent des pertes (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943,
point 71).

64 Deuxièmement, il convient de souligner qu’il appartiendrait aux sociétés non-résidentes d’apporter les éléments pertinents permettant aux autorités fiscales de l’État membre d’imposition de constater que les conditions prévues par la loi pour bénéficier du remboursement de la retenue à la source sont remplies (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 72).

65 Troisièmement, et compte tenu des considérations de la Cour aux points 74 à 76 de son arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a. (C‑575/17, EU:C:2018:943), les mécanismes d’assistance mutuelle existant entre les autorités des États membres sont suffisants pour permettre à l’État membre de la source d’effectuer un contrôle de la véracité des éléments avancés par les sociétés non-résidentes qui souhaitent bénéficier du remboursement de la retenue à la source (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre
2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 73).

66 Par conséquent, la reconnaissance de l’avantage lié au remboursement de la retenue à la source opérée et à l’éventuel report de l’imposition aux sociétés non-résidentes en situation déficitaire aurait pour effet d’éliminer toute restriction à la libre circulation des capitaux sans pour autant faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 77).

67 Dans ces conditions, la justification de la réglementation en cause au principal tirée de l’efficacité du recouvrement de l’impôt ne saurait être retenue.

Sur la justification tirée de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et de la prévention de risque de double emploi des pertes

68 Le gouvernement allemand fait valoir que, si, en vertu de la convention hispano-britannique, le Royaume d’Espagne est habilité à imposer les dividendes versés par des sociétés résidentes à des sociétés établies au Royaume-Uni, les activités économiques de ces dernières relèvent, pour le reste, du pouvoir d’imposition du Royaume-Uni. Ainsi, la réglementation en cause au principal servirait à préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, étant donné que les pertes subies par une
société non-résidente et dépourvues de lien direct avec les dividendes versés à celle-ci par une société résidente proviennent d’activités économiques relevant de la compétence fiscale de son État de résidence, où il peut être tenu compte de ces pertes. Une prise en compte supplémentaire lors de l’imposition des dividendes en Espagne entraînerait une double déduction des pertes, contraire à la répartition des pouvoirs d’imposition opérée.

69 Le gouvernement espagnol considère, lui aussi, que le fait d’accéder, en l’occurrence, à la demande présentée par Credit Suisse Securities (Europe) entraînerait une utilisation multiple des pertes subies par celle‑ci.

70 À cet égard, la Cour a reconnu que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres constitue un objectif légitime et que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir d’imposition (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

71 Une telle justification peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

72 En outre, la Cour a jugé que la prévention de double emploi des pertes constitue un objectif légitime pouvant justifier une restriction aux libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

73 En l’occurrence, en vertu de la réglementation en cause au principal, les dividendes versés à une société non-résidente sont imposés au moyen d’une retenue à la source à un taux fixé dans le cadre d’une convention de prévention de la double imposition, cette retenue n’étant pas remboursée lorsqu’une telle société réalise un exercice déficitaire, alors qu’une société résidente, placée dans la même situation, bénéficie d’un tel remboursement et du report de l’imposition des dividendes perçus.

74 Toutefois, d’une part, dès lors qu’un État membre a choisi de ne pas imposer, dans certains situations, les sociétés résidentes sur les dividendes d’origine nationale, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des sociétés non-résidentes qui perçoivent de tels revenus (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2024, Keva e.a., C‑39/23, EU:C:2024:648, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

75 D’autre part, l’éventuel report de l’imposition des dividendes perçus par une société non-résidente en situation déficitaire ne signifierait pas que le territoire historique fiscalement autonome de Biscaye doive renoncer à son droit d’imposer un revenu généré sur son territoire. En effet, les dividendes distribués par la société résidente feraient l’objet d’une imposition une fois que la société non-résidente a dégagé un résultat bénéficiaire lors d’un exercice ultérieur, à l’instar de ce qui est
le cas, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, pour une société résidente connaissant une évolution similaire (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 59).

76 En outre, la perte de recettes fiscales liées à l’imposition des dividendes perçus par des sociétés non-résidentes en cas d’exercice déficitaire ne saurait justifier l’imposition immédiate et définitive des dividendes perçus par ces sociétés dans un tel cas de figure, alors que de telles pertes sont acceptées lorsque des sociétés résidentes imposées en Biscaye sont concernées (voir, par analogie, arrêt du 22 novembre 2018, Sofina e.a., C‑575/17, EU:C:2018:943, point 63).

77 Il convient d’ajouter, s’agissant de la prévention du risque de double emploi des pertes, que, en tout état de cause, il incombe aux sociétés non-résidentes d’apporter les éléments pertinents permettant aux autorités fiscales de l’État membre d’imposition de constater que les conditions prévues pour bénéficier d’un report d’imposition sont remplies.

78 Partant, la réglementation en cause au principal ne saurait être justifiée par la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et de prévenir le risque de double emploi des pertes.

Sur la justification tirée de la préservation de la cohérence du système fiscal

79 Le conseil foral de Biscaye ainsi que les gouvernements espagnol et allemand soutiennent qu’une réglementation telle que celle en cause au principal sert à préserver la cohérence du régime fiscal national dès lors que l’absence de prise en compte, dans l’État membre de la source, des pertes subies en dehors de cet État membre par une société non-résidente suit une logique symétrique et constitue le pendant de la non-imposition, dans ledit État membre, des activités économiques dont découlent ces
pertes.

80 Pour qu’un argument fondé sur la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national puisse prospérer, il faut, selon une jurisprudence constante, que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (arrêt du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 55 et jurisprudence citée).

81 À cet égard, il y a lieu, cependant, de relever que, en l’occurrence, les sociétés résidentes et soumises à l’impôt sur les sociétés en Biscaye qui se trouvent en situation déficitaire et qui obtiennent un remboursement de la retenue à la source prélevée sur les dividendes perçus ne sont pas soumises, à titre de compensation de ce remboursement, à un prélèvement fiscal déterminé. Même si les sociétés résidentes étaient tenues d’intégrer ces dividendes à hauteur de 50 % dans leur assiette de
l’impôt sur les sociétés, il n’en resterait pas moins que, en situation déficitaire, ces sociétés bénéficieraient à tout le moins d’un avantage de trésorerie, voire d’une exonération en cas de cessation d’activités avant qu’un résultat positif ne soit à nouveau atteint.

82 Dès lors, la justification de la réglementation en cause au principal par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal ne saurait être retenue.

83 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation applicable dans un État membre en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société établie dans un territoire fiscalement autonome de cet État membre font l’objet d’une retenue à la source qui, lorsque ces dividendes sont perçus par une société résidente, soumise à l’impôt sur les sociétés dans
ce territoire fiscalement autonome, vaut acompte sur cet impôt et est entièrement remboursée si cette dernière société clôture l’exercice fiscal concerné par un résultat déficitaire, alors qu’aucun remboursement n’est prévu lorsque lesdits dividendes sont perçus par une société non-résidente dans une même situation.

Sur les dépens

84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation applicable dans un État membre en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société établie dans un territoire fiscalement autonome de cet État membre font l’objet d’une retenue à la source qui, lorsque ces dividendes sont perçus par une société résidente, soumise à l’impôt sur les sociétés dans ce territoire fiscalement autonome, vaut acompte sur cet impôt et est entièrement remboursée si cette
dernière société clôture l’exercice fiscal concerné par un résultat déficitaire, alors qu’aucun remboursement n’est prévu lorsque lesdits dividendes sont perçus par une société non-résidente dans une même situation.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-601/23
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Tribunal Superior de Justicia del País Vasco.

Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Fiscalité – Imposition des dividendes – Retenue à la source – Remboursement de la retenue à la source accordé aux bénéficiaires de dividendes résidents ayant un résultat négatif à l’issue de l’exercice fiscal de perception des dividendes – Absence de remboursement de la retenue à la source aux bénéficiaires de dividendes non-résidents – Différence de traitement – Restriction – Comparabilité – Justification.

Libre circulation des capitaux


Parties
Demandeurs : Credit Suisse Securities (Europe) Ltd
Défendeurs : Diputación Foral de Bizkaia.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins
Rapporteur ?: Kumin

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:1048

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