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19/12/2024 | CJUE | N°C-295/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG contre Rechtsanwaltskammer München., 19/12/2024, C-295/23


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Détermination de la liberté de circulation applicable – Services dans le marché intérieur – Directive 2006/123/CE – Article 15 – Exigences relatives à la détention du capital d’une société – Participation d’un investisseur purement financier au capital d’une société professionnelle d’avocats – Révocation de l’inscription de cette

société au barreau en raison de cette participation –
Restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation des ca...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 décembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Détermination de la liberté de circulation applicable – Services dans le marché intérieur – Directive 2006/123/CE – Article 15 – Exigences relatives à la détention du capital d’une société – Participation d’un investisseur purement financier au capital d’une société professionnelle d’avocats – Révocation de l’inscription de cette société au barreau en raison de cette participation –
Restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux – Justifications tirées de la protection de l’indépendance des avocats et des destinataires de services juridiques – Nécessité – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑295/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil de discipline des avocats de Bavière, Allemagne), par décision du 20 avril 2023, parvenue à la Cour le 9 mai 2023, dans la procédure

Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG

contre

Rechtsanwaltskammer München,

en présence de :

SIVE Beratung und Beteiligung GmbH,

Daniel Halmer,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, D. Gratsias et M. Gavalec (rapporteur), présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele, M. Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme N. Mundhenke, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 avril 2024,

considérant les observations présentées :

– pour Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG, SIVE Beratung und Beteiligung GmbH et M. Daniel Halmer, par Mes M. Quecke et D. Uwer, Rechtsanwälte,

– pour la Rechtsanwaltskammer München, par Me C. Wolf, Professor,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann, A. Sahner et Mme J. Simon, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par M. Á. Ballesteros Panizo, Mmes M. Morales Puerta et A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement français, par MM. R. Bénard, B. Fodda et T. Lechevallier, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll, M. M. Aufner, Mme A. Kögl et M. P. Thalmann, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement slovène, par Mmes V. Klemenc et T. Mihelič Žitko, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Armati, MM. M. Mataija et G. von Rintelen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 juillet 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 et de l’article 63, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG (ci-après « HR ») à la Rechtsanwaltskammer München (ordre des avocats du barreau de Munich, Allemagne) (ci-après le « barreau de Munich ») au sujet de la décision de cette dernière de radier HR du barreau.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 6, 33, 39, 40, 55, 56, 73 et 101 de la directive 2006/123 énoncent :

« (6) La suppression de ces obstacles ne peut se faire uniquement par l’application directe des articles 43 et 49 du traité [49 et 56 TFUE], étant donné que, d’une part, le traitement au cas par cas par des procédures d’infraction à l’encontre des États membres concernés serait, en particulier suite aux élargissements, extrêmement compliqué pour les institutions nationales et communautaires et que, d’autre part, la levée de nombreux obstacles nécessite une coordination préalable des systèmes
juridiques nationaux, y compris la mise en place d’une coopération administrative. Comme l’ont reconnu le Parlement européen et le Conseil, un instrument législatif communautaire permet la mise en place d’un véritable marché intérieur des services.

[...]

(33) Les services couverts par la présente directive concernent une grande variété d’activités en constante évolution [...]. Les services couverts englobent également les services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs, tels que les services de conseil juridique ou fiscal [...]

[...]

(39) La notion de “régime d’autorisation” recouvre notamment les procédures administratives par lesquelles sont octroyés des autorisations, licences, agréments ou concessions mais aussi l’obligation, pour pouvoir exercer l’activité, d’être inscrit à un ordre professionnel ou dans un registre [...].

(40) La notion de “raisons impérieuses d’intérêt général” à laquelle se réfèrent certaines dispositions de la présente directive a été élaborée par la Cour de justice dans sa jurisprudence relative aux articles 43 et 49 du traité [49 et 56 TFUE] et est susceptible d’évoluer encore. Cette notion, au sens que lui donne la jurisprudence de la Cour, couvre au moins les justifications suivantes : [...] la protection des destinataires de services, la protection des consommateurs, [...] la protection de
la bonne administration de la justice [...]

[...]

(55) La présente directive ne devrait pas porter atteinte à la possibilité qu’ont les États membres de retirer ultérieurement des autorisations lorsque les conditions d’octroi de l’autorisation ne sont plus réunies.

(56) Selon la jurisprudence de la Cour de justice, les objectifs de santé publique, de protection des consommateurs, de santé animale et de protection de l’environnement urbain constituent des raisons impérieuses d’intérêt général. Des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier l’application de régimes d’autorisation et d’autres restrictions. Toutefois, ces régimes d’autorisation et ces restrictions ne devraient pouvoir opérer aucune discrimination sur la base de la nationalité. En
outre, les principes de nécessité et de proportionnalité devraient toujours être respectés.

[...]

(73) Parmi les exigences à examiner figurent les régimes nationaux qui, pour des raisons autres que celles afférentes aux qualifications professionnelles, réservent l’accès à certaines activités à des prestataires particuliers. Ces exigences incluent également l’obligation faite au prestataire d’être constitué sous une forme juridique particulière, notamment d’être une personne morale, une société personnelle, une entité sans but lucratif ou une société appartenant exclusivement à des personnes
physiques, ainsi que les exigences relatives à la détention du capital d’une société, notamment l’obligation de disposer d’un capital minimum pour certaines activités de services ou d’avoir une qualification particulière pour détenir du capital social ou gérer certaines sociétés. [...]

[...]

(101) Il est nécessaire et dans l’intérêt des destinataires, en particulier des consommateurs, de veiller à ce qu’il soit possible aux prestataires d’offrir des services pluridisciplinaires et à ce que les restrictions à cet égard soient limitées à ce qui est nécessaire pour assurer l’impartialité, l’indépendance et l’intégrité des professions réglementées. [...] »

4 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services. »

5 L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre. »

6 L’article 4 de la même directive est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “service”, toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité [57 TFUE] ;

2) “prestataire”, toute personne physique ressortissante d’un État membre, ou toute personne morale visée à l’article 48 du traité [54 TFUE] et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service ;

[...]

5) “établissement”, l’exercice effectif d’une activité économique visée à l’article 43 du traité [49 TFUE] par le prestataire pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée ;

6) “régime d’autorisation”, toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice ;

7) “exigence”, toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique ; les normes issues de conventions collectives négociées par les partenaires sociaux
ne sont pas en tant que telles, considérées comme des exigences au sens de la présente directive ;

8) “raisons impérieuses d’intérêt général”, des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : [...] la protection des consommateurs, des destinataires de services [...] ;

9) “autorité compétente”, tout organe ou toute instance ayant, dans un État membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de services, notamment les autorités administratives, y compris les tribunaux agissant à ce titre, les ordres professionnels et les associations ou autres organismes professionnels qui, dans le cadre de leur autonomie juridique, réglementent de façon collective l’accès aux activités de services ou leur exercice ;

[...]

11) “profession réglementée”, une activité ou un ensemble d’activités professionnelles visées à l’article 3, paragraphe 1, point a), de la directive 2005/36/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22)] ;

[...] »

7 L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/123 prévoit :

« Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. »

8 Aux termes de l’article 11, paragraphe 4, de cette directive :

« Le présent article ne porte pas atteinte à la possibilité qu’ont les États membres de retirer des autorisations lorsque les conditions d’octroi de ces autorisations ne sont plus réunies. »

9 Intitulé « Exigences à évaluer », l’article 15 de ladite directive énonce :

« 1.   Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.   Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

c) les exigences relatives à la détention du capital d’une société ;

[...]

3.   Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a) non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b) nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

[...]

5.   Dans le rapport d’évaluation mutuelle prévu à l’article 39, paragraphe 1, les États membres indiquent :

a) les exigences qu’ils envisagent de maintenir ainsi que les raisons pour lesquelles ils estiment qu’elles sont conformes aux conditions visées au paragraphe 3 ;

[...]

6.   À partir du 28 décembre 2006, les États membres ne peuvent plus introduire de nouvelles exigences du type de celles visées au paragraphe 2, à moins que ces exigences soient conformes aux conditions prévues au paragraphe 3.

[...] »

10 L’article 25 de la même directive, intitulé « Activités pluridisciplinaires », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes.

Toutefois, les prestataires suivants peuvent être soumis à de telles exigences :

a) les professions réglementées, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions ;

[...]

2.   Lorsque des activités pluridisciplinaires entre les prestataires visés au paragraphe 1, points a) et b), sont autorisées, les États membres veillent à :

a) prévenir les conflits d’intérêts et les incompatibilités entre certaines activités ;

b) assurer l’indépendance et l’impartialité qu’exigent certaines activités ;

c) assurer que les règles de déontologie des différentes activités sont compatibles entre elles, en particulier en matière de secret professionnel. »

Le droit allemand

L’ancien statut des avocats

11 Selon l’article 7 de la Bundesrechtsanwaltsordnung (règlement fédéral sur le statut des avocats), dans sa version en vigueur jusqu’au 31 juillet 2022, applicable aux faits au principal (ci-après l’« ancien statut des avocats »), l’admission au barreau était refusée s’il existait des doutes quant à la capacité du demandeur à exercer son activité en tant qu’autorité judiciaire indépendante.

12 L’article 59a, paragraphes 1 et 2, de ce statut était libellé comme suit :

« (1)   Les avocats peuvent s’associer avec des membres d’un barreau et de l’ordre des avocats-conseils en brevets, avec des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes et des experts–comptables assermentés pour exercer en commun leur profession dans le cadre de leurs propres compétences professionnelles. [...]

(2)   Les avocats peuvent également exercer leur profession en commun :

1. avec des membres de la profession d’avocat d’autres États qui [...] sont autorisés à s’établir conformément au champ d’application de cette loi et ont leur cabinet à l’étranger,

2. avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes ou des experts–comptables assermentés d’autres États exerçant une profession équivalente, en termes de formation et de compétences, aux professions visées par la Patentanwaltsordnung [(règlement sur les avocats-conseils en brevets)], le Steuerberatungsgesetz [(loi relative à la profession de conseiller fiscal)] ou la Wirtschaftsprüferordnung [(règlement relatif à la profession
de commissaire aux comptes)] et qui peuvent exercer leur profession en commun avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes ou des experts-comptables assermentés conformément au champ d’application de la présente loi. »

13 Par une décision du 12 janvier 2016, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) a jugé que l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, dudit statut était incompatible avec l’article 12, paragraphe 1, du Grundgesetz (loi fondamentale) en tant qu’il interdisait aux avocats de s’associer avec des médecins et des pharmaciens dans une société civile professionnelle pour l’exercice de leurs professions.

14 L’article 59c de l’ancien statut des avocats autorisait l’exercice de la profession d’avocat par des sociétés d’avocats sous forme de sociétés de capitaux.

15 Conformément à l’article 59d de ce statut, la demande d’inscription au barreau d’une société d’avocats ne remplissant pas les exigences mentionnées à l’article 59e dudit statut devait être refusée.

16 L’article 59e du même statut disposait :

« (1)   Seuls les avocats et les membres des professions mentionnées à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, peuvent être des associés d’une société d’avocats. Ils doivent exercer une activité professionnelle dans la société d’avocats. L’article 59a, paragraphe 1, phrases 3 et 4, et l’article 172a sont applicables mutatis mutandis.

(2)   La majorité des parts sociales et des droits de vote doivent être détenus par des avocats. Dans la mesure où les associés ne sont pas autorisés à exercer l’une des professions mentionnées au paragraphe 1, première phrase, ils n’ont pas de droit de vote.

(3)   Les parts dans la société d’avocats ne doivent pas être détenues pour le compte de tiers et les tiers ne doivent pas participer aux bénéfices de la société d’avocats.

(4)   Les associés ne peuvent donner procuration pour l’exercice des droits d’associés qu’à des associés disposant du droit de vote et appartenant à la même profession ou qui sont des avocats. »

17 Afin de garantir l’indépendance de la direction d’une société d’avocats, l’article 59f de l’ancien statut des avocats prévoyait ce qui suit :

« (1)   La société d’avocats doit être gérée de manière responsable par des avocats. Les gérants doivent être majoritairement des avocats.

(2)   Seules les personnes autorisées à exercer une profession mentionnée à l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, peuvent être gérants.

(3)   Le paragraphe 1, deuxième phrase, et le paragraphe 2 s’appliquent mutatis mutandis aux fondés de pouvoir et aux agents d’affaires pour l’ensemble de l’entreprise.

(4)   L’indépendance des avocats qui sont gérants ou mandatés conformément au paragraphe 3 doit être garantie dans l’exercice de leur profession d’avocat. Les influences exercées par les associés, notamment par le biais d’instructions ou de liens contractuels, sont interdites. »

18 L’article 59h, paragraphe 3, de ce statut énonçait :

« L’inscription au barreau doit être révoquée si la société d’avocats ne remplit plus les conditions prévues aux articles 59c, 59e, 59f, 59i et 59j, à moins que la société d’avocats ne se mette en conformité avec la loi dans un délai raisonnable à fixer par le barreau. [...] »

Le nouveau statut des avocats

19 Le Gesetz zur Neuregelung des Berufsrechts der anwaltlichen und steuerberatenden Berufsausübungsgesellschaften sowie zur Änderung weiterer Vorschriften im Bereich der rechtsberatenden Berufe (loi portant nouvelle réglementation des sociétés d’exercice libéral de la profession d’avocat et de conseiller fiscal ainsi que modification d’autres dispositions dans le domaine des professions de conseil juridique), du 7 juillet 2021 (BGBl. 2021 I, p. 2363), a modifié, avec effet au 1er août 2022, le
règlement fédéral sur le statut des avocats.

20 Aux termes de l’article 59c de ce règlement ainsi modifié (ci-après le « nouveau statut des avocats »), intitulé « Sociétés d’exercice libéral avec des membres d’autres professions » :

« (1)   Les avocats sont également autorisés à s’associer pour l’exercice en commun de la profession dans une société d’exercice libéral en application de l’article 59b,

1. avec des membres d’un ordre des avocats, des membres de l’ordre des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes et des experts-comptables assermentés,

2. avec des membres de la profession d’avocat d’autres États qui, en vertu de la loi sur l’activité des avocats européens en Allemagne ou de l’article 206 [du nouveau statut des avocats], sont autorisés à s’établir dans le cadre du champ d’application de cette loi,

3. avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes et des experts-comptables assermentés d’autres États qui, en vertu du règlement sur les avocats-conseils en brevets, de la loi relative à la profession de conseiller fiscal ou du règlement relatif à la profession de commissaire aux comptes, peuvent exercer leur profession en commun avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des
commissaires aux comptes et des experts-comptables assermentés relevant du champ d’application de cette loi,

4. avec des personnes exerçant au sein de la société d’exercice libéral une profession libérale au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du Partnerschaftsgesellschaftsgesetz [(loi sur les sociétés civiles professionnelles)], à moins que cette association ne soit incompatible avec la profession d’avocat, notamment avec sa position d’autorité judiciaire indépendante, ou qu’elle puisse mettre en péril la confiance en son indépendance.

Une association au sens de la première phrase du point 4 peut notamment être exclue si l’autre personne présente un motif qui, dans le cas d’un avocat, conduirait à un refus d’admission au barreau selon l’article 7.

(2)   L’objet social de la société d’exercice libéral visée au paragraphe 1 est le conseil et la représentation en matière juridique. En outre, il est possible d’exercer une profession autre que celle d’avocat. Les articles 59d à 59q ne s’appliquent qu’aux sociétés d’exercice libéral qui visent à exercer la profession d’avocat. »

Le code pénal

21 Conformément à l’article 203, paragraphe 1, point 3, du Strafgesetzbuch (code pénal), l’avocat est tenu au secret professionnel pour les faits dont il a connaissance en raison de son activité professionnelle. Toutefois, conformément au paragraphe 3 de cet article, il peut communiquer des secrets professionnels aux personnes avec lesquelles il collabore à titre professionnel ou dans le cadre d’une fonction publique, dans la mesure où cela est nécessaire à l’activité de ces personnes.

La loi sur les sociétés à responsabilité limitée

22 L’article 37, paragraphe 1, du Gesetz betreffend die Gesellschaften mit beschränkter Haftung (loi sur les sociétés à responsabilité limitée) dispose :

« Les gérants sont tenus envers la société de respecter les limitations imposées à leur pouvoir de représentation par les statuts ou, sauf clause statutaire contraire, par les décisions des associés. »

23 Il résulte de l’article 46, points 5 et 7, de cette loi que l’assemblée des associés doit se prononcer sur la nomination et la révocation des gérants et des fondés de pouvoir. Ce même article 46 prévoit, à son point 6, que les associés doivent se prononcer sur les mesures de contrôle et de surveillance de la gestion.

24 Aux termes de l’article 51a de ladite loi :

« (1)   Les gérants sont tenus de fournir immédiatement à tout associé qui en fait la demande des informations sur les affaires de la société et de lui permettre de consulter les comptes et autres documents.

(2)   Les gérants peuvent opposer un refus à ces demandes d’information et de consultation s’il y a lieu de craindre que l’associé en fasse usage à des fins étrangères à la société et cause ainsi un préjudice non négligeable à la société ou à une entreprise liée. Le refus d’information ou de consultation nécessite une décision des associés.

(3)   Il ne peut être dérogé à ces dispositions dans les statuts de la société ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

25 HR est une société d’avocats ayant son siège à Höhenmoos (Allemagne), constituée sous la forme d’une Unternehmergesellschaft (UG), à savoir une société de capitaux soumise à la loi sur les sociétés à responsabilité limitée, mais dont le capital social minimum est inférieur au montant de 25000 euros normalement prévu pour ce type de sociétés. Son gérant et unique associé était à l’origine M. Daniel Halmer, qui exerçait la profession d’avocat.

26 HR, qui a été créée par un contrat du 30 janvier 2020, a été inscrite au registre du commerce de l’Amtsgericht Traunstein (tribunal de district de Traunstein, Allemagne) le 16 juillet 2020 et au barreau de Munich le 6 août 2020 par une décision de ce dernier du 28 juillet 2020.

27 Par un contrat de cession du 31 mars 2021, M. Halmer a cédé 51 des 100 parts sociales de HR à SIVE Beratung und Beteiligung GmbH (ci-après « SIVE »), qui est une société à responsabilité limitée de droit autrichien.

28 Les statuts de HR ont alors été modifiés afin de permettre la cession de parts sociales à une société de capitaux non inscrite au barreau tout en réservant la gestion de HR aux seuls avocats inscrits au barreau, afin d’en garantir l’indépendance. Ainsi modifiées, les dispositions pertinentes de ces statuts contenaient les passages suivants :

« Article 2 – Objet de la société

(1)   La société a pour objet le traitement d’affaires juridiques de tiers, y compris le conseil juridique, en assumant des missions d’avocat qui ne sont exécutées que par des avocats inscrits au barreau et affectés au service de la société, de manière indépendante, sans être soumis à des instructions et sous leur propre responsabilité, dans le respect des réglementations régissant leur profession. La société crée à cet effet les conditions nécessaires en termes de personnel, de matériel et de
locaux et effectue les opérations qui y sont liées ; elle souscrit notamment une assurance responsabilité civile professionnelle prescrite par les réglementations régissant la profession d’avocat.

(2)   La société ne doit pas contrevenir aux prescriptions et interdictions en vigueur du [statut des avocats] ainsi qu’aux autres réglementations régissant la profession d’avocat. Elle ne doit notamment pas entraver la liberté d’exercice de la profession des avocats travaillant pour elle. La société n’est autorisée à faire de la publicité que dans les limites fixées par la réglementation régissant la profession d’avocat. La société n’est pas autorisée à exercer des activités commerciales et
bancaires ainsi que toute autre activité à caractère industriel.

[...]

Article 8 – Transfert de parts sociales

La cession de parts sociales et de parties de parts sociales n’est valable qu’avec l’accord écrit de l’assemblée des associés. L’accord est donné par une décision des associés qui requiert une majorité de 75 % des voix ayant droit de vote.

Article 9 – Gestion et représentation

(1)   Les affaires de la société sont gérées de manière responsable exclusivement par des avocats, conformément à la loi, aux règles professionnelles applicables et aux présents statuts. La société a un ou plusieurs gérants. La société dispose à son siège d’un cabinet dans lequel travaille, de manière responsable, au moins un avocat gérant, pour lequel le cabinet constitue le centre de son activité.

(2)   Si un seul gérant est désigné, il représente seul la société. Si plusieurs gérants sont nommés, la société est représentée par deux gérants en commun ou par un gérant ensemble avec un fondé de pouvoir.

[...]

(4)   Les gérants exercent leur profession d’avocat de manière indépendante et sous leur propre responsabilité. Les influences exercées par les associés, l’assemblée des associés ou d’autres gérants sur l’exercice de la profession des gérants, par exemple au moyen d’instructions, de liens contractuels ou de la menace ou de l’infliction de préjudices (par exemple la révocation [...] ou les mesures au sens de l’article 46, point 6, de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée), sont à cet
égard interdites. Cela vaut en particulier en ce qui concerne l’acceptation, le refus et la gestion concrets d’un mandat de la société. En outre, les gérants ne doivent pas être empêchés par les associés, l’assemblée des associés ou les autres gérants d’exercer à tout moment leur profession d’avocat conformément à leurs obligations professionnelles (notamment en vertu du statut des avocats et du code de déontologie des avocats). La révocation d’un gérant requiert, sauf en cas de révocation pour
motif grave, une décision unanime des associés. Les associés s’engagent – même s’ils ne sont pas eux-mêmes inscrits au barreau – à toujours agir, dans l’exercice de leurs droits d’associés, de manière à ce que leur propre comportement, ainsi que celui de la société qui en résulte, soit conforme à la réglementation relative à la profession d’avocat (en particulier au statut des avocats et au code de déontologie des avocats). Les gérants conseillent les associés sur les questions découlant de la
réglementation régissant la profession d’avocat.

(5)   Seuls des avocats peuvent être nommés fondés de pouvoir et agents d’affaires. Le paragraphe 4 s’applique mutatis mutandis aux fondés de pouvoir et aux agents d’affaires ; le pouvoir d’instruction que les gérants tirent d’une relation de travail ou d’un mandat vis-à-vis du fondé de pouvoir ou de l’agent d’affaires n’est pas affecté.

[...]

Article 11 – Prise de décision

(1)   Les décisions des associés sont prises à la majorité simple, à moins que la loi ou les présents statuts ne prévoient une autre majorité. Chaque part sociale donne droit à une voix. Les décisions qui contreviennent à l’article 9, paragraphe 4 ou 5, sont irrecevables.

[...]

Article 13 – Exercice du droit d’information et de consultation au sens de l’article 51a de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée

Les gérants, fondés de pouvoir et agents d’affaires sont tenus de respecter leur obligation de secret professionnel d’avocat dans la mesure du possible également vis-à-vis de l’assemblée des associés et de tout associé avec lequel ils ne collaborent pas à titre professionnel et qui n’est pas lui-même soumis à une obligation de secret professionnel sanctionnée pénalement. Dans la mesure où un associé demande à consulter des documents ou à obtenir des informations sur des faits soumis au secret
professionnel de l’avocat, il doit se faire représenter par une personne soumise par la loi au secret professionnel (par exemple un avocat, un conseiller fiscal, un commissaire aux comptes), y compris à son égard. En ce qui concerne la consultation ou les informations relatives à des faits soumis au secret professionnel de l’avocat, les associés sont eux-mêmes directement et immédiatement tenus au secret professionnel par ce contrat de société, conformément à l’article 203, paragraphe 4, deuxième
phrase, point 1, du code pénal. Dans tous les cas, avant que l’associé ne puisse prendre directement connaissance lui-même, par consultation ou obtention de renseignements, de faits soumis au secret professionnel de l’avocat, il doit lui-même se soumettre au secret professionnel par le gérant compétent, conformément à l’article 203, paragraphe 4, deuxième phrase, point 1, du code pénal. Par dérogation à l’article 51a, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi sur les sociétés à responsabilité
limitée, le refus d’information ou de consultation ne nécessite pas de décision des associés.

[...]

Article 17 – Modifications des statuts ; dissolution ; obligation d’information

(1)   Les décisions relatives aux modifications des présents statuts et à la dissolution de la société ne sont valables que si elles sont prises à la majorité de 75 % des voix exprimées lors d’une assemblée des associés dûment convoquée et réunissant le quorum. Les modifications de l’article 9, paragraphes 4 et 5, et de l’article 13 des présents statuts requièrent l’unanimité.

(2)   Toute modification des statuts, des associés ou dans la personne ayant le pouvoir de représentation, toute décision relative au droit de représentation individuelle des gérants ainsi que la création ou la dissolution de succursales doivent être immédiatement signalées au barreau compétent, accompagnée des justificatifs nécessaires. »

29 La modification des statuts de HR et la cession des parts sociales de cette société ont été inscrites au registre du commerce de l’Amtsgericht Traunstein (tribunal de district de Traunstein) le 6 avril 2021.

30 Par lettres du 9 avril 2021 et du 9 mai 2021, HR a informé le barreau de Munich de la modification de ses statuts et de la cession de 51 de ses 100 parts sociales à SIVE.

31 Par lettre du 19 mai 2021, le barreau de Munich a fait savoir à HR que la cession des parts sociales à SIVE était interdite en vertu des articles 59a et 59e de l’ancien statut des avocats et que, par conséquent, l’inscription de HR au barreau serait radiée en cas de maintien de cette cession.

32 Par lettre du 26 mai 2021, HR a informé le barreau de Munich du maintien de ladite cession.

33 Par décision du 9 novembre 2021, notifiée à HR le 11 novembre 2021, le barreau de Munich a procédé à la radiation de cette société en application des dispositions combinées de l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, et de l’article 59h, paragraphe 3, première phrase, de l’ancien statut des avocats, au motif en substance que seuls les avocats et les membres des professions mentionnées à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, de ce statut ainsi que les médecins et les
pharmaciens peuvent être des associés d’une société d’avocats. Selon le barreau de Munich, les dispositions de l’ancien statut des avocats qu’il était tenu d’appliquer sans aucune marge d’appréciation ne méconnaissent ni les articles 49 et 63 TFUE ni l’article 15 de la directive 2006/123, puisque l’article 25, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de cette directive autoriserait des restrictions équivalentes pour les professions réglementées.

34 Le 26 novembre 2021, HR a saisi le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil de discipline des avocats de Bavière, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre la décision de radiation adoptée par le barreau de Munich. À l’appui de son recours, HR soutient que l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, et l’article 59h, paragraphe 3, première phrase, de l’ancien statut des avocats méconnaissent notamment le droit à la libre circulation des capitaux, garanti à l’article 63,
paragraphe 1, TFUE, ainsi que les droits qu’elle tire de l’article 15 de la directive 2006/123. Cette décision violerait également le droit de SIVE à la liberté d’établissement, tel que garanti aux articles 49 et 54 TFUE.

35 La juridiction de renvoi souligne que relève de la libre circulation des capitaux, garantie à l’article 63 TFUE, l’acquisition de parts sociales dans une personne morale de droit privé. En revanche, la liberté d’établissement et la libre prestation de services devraient prévaloir dans le cas où l’acquéreur a l’intention, à travers cette transaction, d’exercer une influence sur une entreprise, ce qui peut être établi à partir notamment du volume des parts sociales acquises et de la structure du
contrat de société.

36 Cette juridiction indique que, en l’occurrence, 51 des 100 parts sociales de HR ont été cédées à SIVE, ce qui a permis à cette dernière d’obtenir une participation majoritaire dans le capital de HR. Toutefois, les statuts de HR seraient conformes à l’article 59f, paragraphe 4, de l’ancien statut des avocats, qui impose que l’indépendance des avocats qui, en tant que gérants ou en vertu des statuts, sont habilités à agir au nom de la société soit garantie dans l’exercice de la profession d’avocat.
En effet, ces statuts comporteraient plusieurs dispositions de nature à assurer cette indépendance, notamment en ce qui concerne la révocation des gérants, les pouvoirs de l’assemblée des associés et l’irrecevabilité des résolutions ne respectant pas ces dispositions.

37 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi éprouve, en premier lieu, des doutes quant à la compatibilité des articles 59a et 59e à 59h de l’ancien statut des avocats avec l’article 63 TFUE.

38 Selon cette juridiction, premièrement, l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, de ce statut limite le cercle des associés potentiels des sociétés d’avocats aux avocats et aux membres de certaines professions libérales mentionnées à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, dudit statut. Deuxièmement, l’article 59e, paragraphe 1, deuxième phrase, du même statut impose aux associés d’exercer une activité professionnelle au sein de la société d’avocats. Troisièmement,
conformément à l’article 59e, paragraphe 2, première phrase, de l’ancien statut des avocats, dans l’hypothèse où des membres de professions libérales autres que les avocats détiennent une fraction du capital social d’une société d’avocats, la majorité des parts sociales et des droits de vote doivent appartenir aux avocats. Quatrièmement, selon l’article 59e, paragraphe 2, deuxième phrase, de ce statut, les associés qui ne sont pas autorisés à exercer la profession d’avocat ou l’une des autres
professions libérales visées à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, dudit statut ne disposent pas du droit de vote.

39 Ladite juridiction doute que ces dispositions qui, selon elle, portent atteinte à la libre circulation des capitaux puissent être justifiées sur le fondement de l’article 65, paragraphe 2, TFUE, qui autorise les réglementations des États membres visant à maintenir l’ordre et la sécurité publics. En effet, les restrictions prévues aux articles 59a, 59e et 59h de l’ancien statut des avocats pourraient ne pas être nécessaires pour garantir l’indépendance de l’avocat, puisque l’article 59f,
paragraphe 4, de ce statut interdit aux associés d’exercer une influence sur l’activité de conseil juridique de l’avocat, y compris sur l’acceptation ou le refus d’un mandat, et que l’indépendance de la direction peut être garantie par les statuts de la société, comme c’est le cas des statuts de HR. En outre, les barreaux pourraient non seulement subordonner l’admission d’une société d’avocats à la présence de dispositions appropriées dans ses statuts, mais aussi révoquer cette admission en cas
de modification ultérieure desdits statuts qui réduirait ou supprimerait la protection de l’indépendance de l’activité d’avocat, conformément à l’article 59h de l’ancien statut des avocats.

40 À supposer même que l’interdiction de la participation de tiers uniquement désireux de réaliser des bénéfices soit un moyen approprié pour empêcher l’influence des investisseurs purement financiers sur les activités opérationnelles d’une société d’avocats, la juridiction de renvoi doute du caractère nécessaire de cette interdiction, puisque, de son point de vue, la réglementation nationale et le contrat de société permettraient d’éviter une influence des associés sur l’activité d’avocat de la
société. Il appartiendrait alors à l’investisseur purement financier de décider s’il souhaite prendre une participation dans une telle société, bien qu’une influence sur la gestion de celle-ci lui soit dans ce cas refusée.

41 La juridiction de renvoi s’interroge également quant au point de savoir si les exigences découlant des articles 59a, 59e et 59h de l’ancien statut des avocats constituent une restriction cohérente et systématique de la libre circulation des capitaux pour préserver l’indépendance de l’activité d’avocat et la bonne administration de la justice. Elle souligne, à cet égard, que, si la limitation du cercle des associés est de nature à empêcher que les tiers qui ne répondent pas à ces exigences
puissent exercer une influence sur la société d’avocats en tant qu’associés, les associés remplissant les exigences prévues à l’article 59e de l’ancien statut des avocats peuvent toutefois influencer de la même manière la direction de la société d’avocats. En effet, ni cet article ni l’article 59a de ce statut ne contiendraient d’exigences quantitatives quant à l’obligation de collaboration des associés. Il serait donc possible que, par sa participation, un associé, fût-il avocat, poursuive
prioritairement des intérêts financiers et qu’il ne participe que de manière marginale à la réalisation des objectifs de la société.

42 La juridiction de renvoi signale, par ailleurs, que le nouveau statut des avocats, qui est entré en vigueur le 1er août 2022, a assoupli les conditions d’association au sein d’une société d’avocats. En effet, le conseil juridique pourrait être fourni par des sociétés d’exercice libéral au sens de l’article 59c de ce nouveau statut, auxquelles peuvent désormais participer, outre les professionnels qui disposaient déjà de ce droit en vertu de l’article 59a de l’ancien statut des avocats, les autres
personnes exerçant les professions énumérées à l’article 1er, paragraphe 2, de la loi sur les sociétés civiles professionnelles, à savoir les ingénieurs, les architectes, les chimistes commerciaux, les lamaneurs, les journalistes, les artistes ou encore les écrivains. Le cercle des personnes pouvant participer à une société d’exercice libéral serait donc désormais très hétérogène.

43 Enfin, la juridiction de renvoi considère que, si la confiance dans le secret professionnel de l’avocat doit être protégée en faisant peser l’obligation de secret professionnel sur l’ensemble des membres des organes d’une société d’avocats et pas uniquement sur l’avocat qui exerce en son sein, il est néanmoins permis de douter que l’interdiction de la participation de tiers puisse être fondée sur la circonstance qu’elle évite que des tiers obtiennent des informations ou des documents soumis au
secret. À cet égard, l’article 13 des statuts de HR prévoirait des règles très strictes, en ce sens que le droit d’information des associés serait également limité et que le secret professionnel de l’avocat s’imposerait à ces derniers. S’agissant d’une des obligations professionnelles élémentaires de l’avocat, qui est, de surcroît, pénalement sanctionnée, l’ordre des avocats aurait déjà pu, sur la base des articles 59c et 59e de l’ancien statut des avocats, vérifier les statuts d’une société
d’avocats pour contrôler si les exigences en matière de secret professionnel de l’avocat y étaient suffisamment respectées. D’ailleurs, les articles 59d et 59e du nouveau statut des avocats imposeraient désormais à l’ordre des avocats de procéder à cette vérification.

44 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi relève que, dans la mesure où HR fournit des services au sens de l’article 4, point 1, de la directive 2006/123, elle pourrait invoquer le fait que les restrictions prévues aux articles 59a, 59e et 59h de l’ancien statut des avocats ne sont pas justifiées au regard de l’article 15, paragraphe 2, sous c), et paragraphe 3, sous c), de cette directive. Ladite directive permettrait certes de prévoir des restrictions qui garantissent l’indépendance du conseil
juridique et une bonne administration de la justice, sous réserve toutefois qu’elles soient proportionnées. Or, il existerait de sérieux doutes quant au caractère proportionné des restrictions prévues aux articles 59a et 59e de l’ancien statut des avocats pour l’acquisition de parts sociales dans une société d’avocats. En effet, l’indépendance de l’activité de l’avocat, la bonne administration de la justice, le devoir de confidentialité de l’avocat et donc la confiance dans l’administration de la
justice seraient suffisamment garantis par les limitations des droits des associés prévues à l’article 59f de l’ancien statut des avocats ainsi que par les statuts de HR. La participation d’associés qui apportent en premier lieu du capital ne permettrait pas d’identifier des risques supérieurs à ceux liés à la participation de personnes qui peuvent être associées d’une société d’exercice libéral en vertu du nouveau statut des avocats.

45 En troisième lieu, s’il devait être considéré que SIVE cherche à exercer une influence dominante sur l’activité de HR, il conviendrait de conclure, outre à une violation de la directive 2006/123, à une méconnaissance du droit de SIVE à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE.

46 Dans ces conditions, le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil de discipline des avocats de Bavière) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’obligation, prévue par la législation d’un État membre, de radier du barreau une société d’avocats est-elle constitutive d’une restriction inadmissible au droit à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE lorsque :

a) une part sociale de la société d’avocats est transférée à une personne qui ne remplit pas les exigences professionnelles particulières liées à l’acquisition d’une part sociale selon le droit de l’État membre ? Selon ces exigences, une part sociale dans une société d’avocats ne peut être acquise que par un avocat ou un autre membre d’un barreau, un avocat-conseil en brevets, un conseiller fiscal, un mandataire fiscal, un commissaire aux comptes ou un expert-comptable assermenté, par un
membre de la profession d’avocat d’un autre État qui est autorisé à exercer l’activité de conseil juridique sur le territoire national, ou par un avocat-conseil en brevets, un conseiller fiscal, un mandataire fiscal, un commissaire aux comptes ou un expert-comptable assermenté d’un autre État qui est autorisé à exercer cette activité sur le territoire national, ou par un médecin ou un pharmacien,

b) un associé remplit certes les exigences particulières visées à la première question, sous a), mais n’exerce pas d’activité professionnelle dans la société d’avocats ?

c) en raison de la cession d’une ou de plusieurs parts sociales ou des droits de vote, la majorité de celles-ci n’appartient plus aux avocats ?

2) Le fait qu’un associé qui n’est pas habilité à exercer une profession au sens de la première question, sous a), n’a pas de droit de vote est-il constitutif d’une restriction inadmissible au droit à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, alors que les statuts de la société contiennent des clauses visant à protéger l’indépendance des avocats et de l’activité d’avocat de la société, en garantissant que la société est exclusivement représentée par des
avocats en tant que directeurs ou fondés de pouvoir, qu’il est interdit aux associés et à l’assemblée des associés d’exercer une influence sur la gestion de la société au moyen d’instructions ou indirectement par la menace de préjudices, que les décisions des associés qui enfreignent ces dispositions sont privées d’effet et que l’obligation de secret professionnel des avocats est étendue aux associés et aux personnes mandatées par ceux-ci ?

3) Les restrictions mentionnées aux première et deuxième questions remplissent-elles les conditions prévues à l’article 15, paragraphe 3, sous a) à c), de la directive [2006/123] pour être qualifiées d’atteintes admissibles à la libre prestation de services ?

4) Au cas où, selon la [Cour], le droit de la requérante à la libre circulation des capitaux [...] ne serait pas affecté et qu’il n’y aurait pas de violation de la directive [2006/123,] [l]es restrictions mentionnées aux première et deuxième questions violeraient-elles le droit de [SIVE] à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première, troisième et quatrième questions

47 Dans sa formulation des première, troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi se réfère à une réglementation nationale qui prévoit la radiation du barreau d’une société d’avocats lorsqu’une part sociale de cette société est transférée à une personne à laquelle cette réglementation ne permet pas de devenir associé dans ce type de sociétés, lorsqu’un associé n’exerce pas d’activité professionnelle dans la société d’avocats ou lorsque les
associés qui ont la qualité d’avocats ne détiennent plus la majorité des parts sociales ou des droits de vote. Il résulte de la demande de décision préjudicielle que ladite réglementation vise, en substance, à empêcher l’influence sur les activités opérationnelles d’une société d’avocats d’investisseurs purement financiers n’ayant pas l’intention d’exercer une activité professionnelle dans cette société.

48 Afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de considérer que, par ces questions, cette juridiction demande, en substance, si l’article 49 et l’article 63, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 15, paragraphe 2, sous c), et paragraphe 3, de la directive 2006/123 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui, sous peine de radiation du barreau de la société d’avocats concernée, interdit que des parts sociales de cette
société soient transférées à un investisseur purement financier n’ayant pas l’intention d’exercer dans ladite société une activité professionnelle visée par cette réglementation.

49 Si, dans sa troisième question, la juridiction de renvoi vise également la libre prestation de services, il ne ressort cependant pas du dossier dont dispose la Cour que SIVE entend se prévaloir de cette liberté pour fournir des services juridiques en Allemagne. Ladite liberté est donc dénuée de pertinence dans l’affaire au principal.

50 Dans la mesure où la juridiction de renvoi vise à la fois la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux, il y a lieu de déterminer, à titre liminaire, quelle liberté fondamentale s’applique au litige au principal, ce qui suppose de prendre en compte l’objet de la réglementation nationale en cause au principal et, le cas échéant, les éléments factuels du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑35/11, EU:C:2012:707,
points 90, 93 et 94, ainsi que du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, points 78, 82 et 83).

51 À cet égard, relève du champ d’application de la liberté d’établissement une réglementation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci. En revanche, des dispositions nationales qui s’appliquent à des participations effectuées aux seules fins de la réalisation d’un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise
doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria, C‑257/20, EU:C:2022:125, points 79 et 80 ainsi que jurisprudence citée).

52 Il en résulte qu’une législation nationale qui n’a pas vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et d’en déterminer les activités mais qui s’applique indépendamment de l’ampleur de la participation qu’un actionnaire détient dans une société est susceptible de relever aussi bien de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2007, Holböck, C‑157/05,
EU:C:2007:297, points 23 et 24, ainsi que du 21 octobre 2010, Idryma Typou, C‑81/09, EU:C:2010:622, point 49).

53 Cela étant, en principe, la Cour examine la mesure en cause au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances du litige au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (arrêts du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C‑452/04, EU:C:2006:631, point 34, et du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C‑182/08, EU:C:2009:559, point 37).

54 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal vise, notamment, à empêcher toute prise de participation, quelle que soit son importance, dans une société d’avocats par des personnes qui ne sont ni avocats ni membres d’une profession mentionnée à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, de l’ancien statut des avocats.

55 Par ailleurs, SIVE a, certes, acquis 51 % du capital social de HR. Or, relèvent du champ d’application matériel de la liberté d’établissement les dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à la détention par une société d’un État membre, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, d’une participation lui permettant en principe d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette dernière société et d’en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêt du
17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C‑182/08, EU:C:2009:559, point 47), ce qui est le cas de la détention de la majorité de son capital (voir, en ce sens, ordonnance du 10 mai 2007, Lasertec, C‑492/04, EU:C:2007:273, point 23, ainsi que arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, points 46 et 47).

56 Toutefois, les statuts de HR ont été modifiés en vue de priver SIVE de la capacité d’influence à laquelle elle aurait pu prétendre sur la base du critère capitalistique. Ainsi qu’il ressort d’éléments du dossier dont dispose la Cour, une telle modification est susceptible de signifier que l’acquisition par SIVE de parts sociales de HR a eu lieu dans le seul but de procurer à cette dernière des capitaux visant à lui permettre de financer le développement d’un modèle juridique innovant fondé sur
les nouvelles technologies.

57 Il s’ensuit que l’affaire au principal relève tout autant de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux, sans que l’une de ces libertés puisse être considérée comme étant secondaire par rapport à l’autre.

58 S’agissant, en premier lieu, de la liberté d’établissement, il découle du considérant 6 de la directive 2006/123 que la suppression des obstacles à cette liberté ne peut se faire uniquement par l’application directe de l’article 49 TFUE en raison, notamment, de l’extrême complexité du traitement au cas par cas desdits obstacles. Il s’ensuit que, lorsqu’une situation relève du champ d’application de cette directive, il n’y a pas lieu de l’examiner également au regard de l’article 49 TFUE (arrêt du
26 juin 2019, Commission/Grèce, C‑729/17, EU:C:2019:534, points 53 et 54).

59 Or, d’une part, ainsi que l’énonce le considérant 33 de la directive 2006/123, les services de conseil juridique, qui incluent les services juridiques dispensés par les avocats, relèvent du champ d’application matériel de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2022, Minister Sprawiedliwości, C‑55/20, EU:C:2022:6, point 88).

60 D’autre part, la réglementation nationale en cause au principal, en particulier la limitation du champ des personnes aptes à s’associer ainsi que l’exigence de collaborer activement au sein de la société, prévues à l’article 59e, paragraphe 1, première et deuxième phrases, de l’ancien statut des avocats, correspond à des « exigences », au sens de l’article 4, point 7, de ladite directive, qui portent, en substance, sur la détention du capital d’une société et relèvent donc de l’article 15,
paragraphe 2, sous c), de la même directive.

61 À cet égard, l’article 15 de la directive 2006/123 énonce, à son paragraphe 1, que les États membres doivent examiner si leur système juridique prévoit des exigences telles que celles visées à son paragraphe 2 et veiller à ce que celles-ci soient compatibles avec les conditions visées à son paragraphe 3. En outre, ce même article 15 autorise, à son paragraphe 5, sous a), et à son paragraphe 6, les États membres à maintenir ou, le cas échéant, à introduire des exigences du type de celles
mentionnées à son paragraphe 2, sous réserve que celles-ci soient conformes aux conditions visées à son paragraphe 3 [voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Rina Services e.a., C‑593/13, EU:C:2015:399, point 33, ainsi que du 29 juillet 2019, Commission/Autriche (Ingénieurs civils, agents de brevets et vétérinaires), C‑209/18, EU:C:2019:632, point 80].

62 Les conditions cumulatives énumérées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 portent, premièrement, sur le caractère non discriminatoire des exigences concernées, qui ne peuvent être directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, en fonction de l’emplacement de leur siège statutaire, deuxièmement, sur leur caractère nécessaire, à savoir qu’elles doivent être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, et,
troisièmement, sur leur proportionnalité, lesdites exigences devant être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne devant pas permettre d’atteindre le même résultat [arrêt du 29 juillet 2019, Commission/Autriche (Ingénieurs civils, agents de brevets et vétérinaires), C‑209/18, EU:C:2019:632, point 81].

63 En l’occurrence, s’agissant, tout d’abord, de la première condition, relative au caractère non discriminatoire des exigences en cause au principal, aucune d’entre elles ne présente un caractère discriminatoire, de sorte qu’elles satisfont à cette condition.

64 Ensuite, concernant la deuxième condition, relative au caractère nécessaire de ces exigences, il résulte de la demande de décision préjudicielle que celles-ci ont pour finalité d’assurer l’indépendance et l’intégrité de la profession d’avocat ainsi que le respect du principe de transparence et de l’obligation de secret professionnel des avocats.

65 Ces objectifs se rattachent incontestablement à la protection des destinataires de services, en l’occurrence juridiques, et de la bonne administration de la justice qui constituent des raisons impérieuses d’intérêt général, au sens de l’article 4, point 8, de la directive 2006/123, lu en combinaison avec le considérant 40 de celle-ci. En outre, cet article 4, point 8, se limitant à codifier la jurisprudence de la Cour, il convient de relever que, dans le cadre de l’interprétation du droit
primaire, celle-ci a qualifié de raisons impérieuses d’intérêt général tant la protection des justiciables (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C‑3/95, EU:C:1996:487, point 38 ; du 17 mars 2011, Peñarroja Fa, C‑372/09 et C‑373/09, EU:C:2011:156, point 55, ainsi que du 18 mai 2017, Lahorgue, C‑99/16, EU:C:2017:391, points 34 et 35) que le bon exercice de la profession d’avocat (voir, en ce sens, arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, EU:C:2002:98, point 107).

66 À cet égard, il importe de rappeler que la mission de représentation de l’avocat, qui s’exerce dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, consiste avant tout à protéger et à défendre au mieux les intérêts du mandant, en toute indépendance ainsi que dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 62, ainsi que du 24 mars 2022, PJ
et PC/EUIPO, C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 64). Les avocats se voient confier la mission fondamentale dans une société démocratique de défendre les justiciables, laquelle implique, d’une part, que tout justiciable ait la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin, et, d’autre part, une exigence corrélative de loyauté de l’avocat
envers son client (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C‑694/20, EU:C:2022:963, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

67 Enfin, pour ce qui est de la troisième condition, relative au caractère proportionné des exigences en cause au principal, celle-ci suppose que ces exigences soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre et que d’autres mesures moins contraignantes ne permettent pas d’atteindre le même résultat.

68 En l’occurrence, en ce qu’elles entendent contribuer au respect de l’indépendance de l’avocat et de l’interdiction des conflits d’intérêts, en particulier en excluant que des investisseurs purement financiers aient la capacité d’influencer les décisions et les activités d’une société d’avocats, lesdites exigences apparaissent propres à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la bonne administration de la justice et de l’intégrité de la profession d’avocat.

69 En effet, la volonté d’un investisseur purement financier de faire fructifier son investissement pourrait avoir un impact sur l’organisation et l’activité d’une société d’avocats. Ainsi, si un tel investisseur devait estimer le rendement de son investissement insuffisant, il pourrait être tenté de solliciter une réduction des coûts ou la recherche d’un certain type de clients, sous peine, éventuellement, de retirer son investissement, une telle menace étant suffisante pour caractériser la
capacité d’influence de ce dernier, fût-elle indirecte.

70 Or, premièrement, alors que l’objectif poursuivi par un investisseur purement financier se limite à la recherche du profit, les avocats n’exercent pas leurs activités dans un objectif uniquement économique mais sont tenus au respect de règles professionnelles et déontologiques.

71 À cet égard, il importe de préciser que l’absence de conflit d’intérêts est indispensable à l’exercice de la profession d’avocat et implique, notamment, que les avocats se trouvent dans une situation d’indépendance, y compris financière, vis-à-vis des pouvoirs publics et des autres opérateurs dont ils ne devraient subir aucune influence (arrêt du 2 décembre 2010, Jakubowska, C‑225/09, EU:C:2010:729, point 61). En effet, d’une part, en l’absence d’une telle indépendance financière, des
considérations de nature économique orientées vers le profit à court terme de l’investisseur purement financier pourraient prévaloir sur des considérations guidées exclusivement par la défense de l’intérêt des clients de la société d’avocats. D’autre part, l’existence d’éventuels liens entre un investisseur purement financier et un client est également de nature à influer sur la relation entre l’avocat et ce client d’une telle manière qu’un conflit avec des règles professionnelles ou
déontologiques ne saurait être exclu.

72 Deuxièmement, en l’absence d’harmonisation, au niveau de l’Union, des règles professionnelles et déontologiques applicables à la profession d’avocat, chaque État membre reste, en principe, libre de régler l’exercice de cette profession sur son territoire. Les règles applicables à ladite profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d’un État membre à l’autre (voir, en ce sens, arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, EU:C:2002:98, point 99 ; du 2 décembre 2010, Jakubowska,
C‑225/09, EU:C:2010:729, point 57, ainsi que du 7 mai 2019, Monachos Eirinaios, C‑431/17, EU:C:2019:368, point 31).

73 Dans ces conditions, compte tenu de la marge d’appréciation qui lui est ainsi conférée, un État membre est en droit de considérer que l’avocat ne serait pas en mesure d’exercer sa profession de manière indépendante et dans le respect de ses obligations professionnelles et déontologiques s’il relevait d’une société dont des associés sont des personnes qui, d’une part, n’exercent pas la profession d’avocat ni aucune autre profession soumise à des éléments modérateurs découlant de règles
professionnelles et déontologiques, et, d’autre part, agissent exclusivement en tant qu’investisseurs purement financiers sans avoir l’intention d’exercer une activité relevant d’une telle profession au sein de cette société. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme dans l’affaire au principal, un tel investisseur entend acquérir la majorité des parts sociales de la société d’avocats en cause.

74 Eu égard à cette même marge d’appréciation, un État membre est en droit d’estimer qu’il existe un risque que les mesures prévues par la réglementation nationale ou dans les statuts de la société d’avocats en vue de préserver l’indépendance et l’intégrité professionnelles des avocats actifs au sein de cette société s’avèrent, dans la pratique, insuffisantes pour assurer efficacement la réalisation des objectifs rappelés aux points 64 à 66 du présent arrêt en cas de participation d’un investisseur
purement financier au capital de ladite société, compte tenu de l’influence, fût-elle indirecte, que cet investisseur pourrait exercer sur la gestion et les activités de la même société par des choix d’investissement ou de désinvestissement essentiellement, voire exclusivement, guidés par la réalisation de bénéfices.

75 S’agissant, en second lieu, de la libre circulation des capitaux, garantie à l’article 63 TFUE, relèvent de cet article les investissements directs sous forme de participation à une société par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa gestion et à son contrôle, ainsi que l’acquisition de titres effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans vouloir influer sur la gestion et le contrôle de la société (voir, en ce sens, arrêts du
17 septembre 2009, Glaxo Wellcome, C‑182/08, EU:C:2009:559, point 40, ainsi que du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 58 et jurisprudence citée).

76 Les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent notamment celles qui sont de nature à dissuader les sociétés non résidentes de faire des investissements dans un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 65). Doivent ainsi être qualifiées de « restrictions », au sens de cet article 63, paragraphe 1, TFUE, des mesures nationales qui sont susceptibles
d’empêcher ou de limiter l’acquisition d’actions dans des sociétés résidentes ou qui sont susceptibles de dissuader les investisseurs des autres États membres d’investir dans le capital de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Idryma Typou, C‑81/09, EU:C:2010:622, point 55).

77 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal a pour effet d’empêcher les personnes autres que les avocats et les membres des professions visées à l’article 59a de l’ancien statut des avocats d’acquérir des parts sociales dans une société d’avocats, si bien qu’elle prive les investisseurs d’autres États membres qui ne sont ni avocats ni membres d’une telle profession de prendre des participations dans ce type de sociétés (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009,
Commission/Italie, C‑531/06, EU:C:2009:315, point 47). Corrélativement, cette réglementation nationale prive les sociétés d’avocats de l’accès à des capitaux qui pourraient aider à leur création ou à leur développement. Elle constitue, par conséquent, une restriction à la libre circulation des capitaux.

78 Les restrictions à la libre circulation des capitaux, qui sont applicables sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent toutefois être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2009, Commission/Italie, C‑531/06, EU:C:2009:315, point 49).

79 À cet égard, l’appréciation portée, aux points 64 à 74 du présent arrêt, au regard de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ne conduit pas à une conclusion différente au regard de l’article 63 TFUE.

80 Dans ces conditions, il convient de répondre aux première, troisième et quatrième questions que l’article 15, paragraphe 2, sous c), et paragraphe 3, de la directive 2006/123 ainsi que l’article 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, sous peine de radiation du barreau de la société d’avocats concernée, interdit que des parts sociales de cette société soient transférées à un investisseur purement financier n’ayant pas l’intention
d’exercer dans ladite société une activité professionnelle visée par cette réglementation.

Sur la deuxième question

81 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’un associé qui n’est pas habilité à exercer l’une des professions permettant de devenir associé dans une société d’avocats n’a pas de droit de vote, dans l’hypothèse où les statuts de cette société comportent plusieurs dispositions de nature à protéger l’indépendance des avocats et de l’activité d’avocat de la
société.

82 En réponse à une question de la Cour, le gouvernement allemand a expliqué à l’audience que la mesure de privation du droit de vote imposée aux associés qui ne sont pas habilités à exercer l’une des professions énoncées à l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, de l’ancien statut des avocats, qui est spécifiquement visée par la juridiction de renvoi dans sa deuxième question, a vocation à s’appliquer dans des situations transitoires occasionnées, notamment, par le décès d’un associé habilité
ou le prononcé d’une mesure privant un associé habilité du droit d’exercer sa profession.

83 Dès lors qu’aucune situation de ce type ne caractérise le litige au principal, une réponse à cette question ne correspond pas à un besoin objectif inhérent à la solution de ce litige et excède le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à la Cour en vertu de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, point 18, ainsi que du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44).

84 Par conséquent, la deuxième question est irrecevable.

Sur les dépens

85 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  L’article 15, paragraphe 2, sous c), et paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, ainsi que l’article 63 TFUE

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, sous peine de radiation du barreau de la société d’avocats concernée, interdit que des parts sociales de cette société soient transférées à un investisseur purement financier n’ayant pas l’intention d’exercer dans ladite société une activité professionnelle visée par cette réglementation.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-295/23
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Bayerischer Anwaltsgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Détermination de la liberté de circulation applicable – Services dans le marché intérieur – Directive 2006/123/CE – Article 15 – Exigences relatives à la détention du capital d’une société – Participation d’un investisseur purement financier au capital d’une société professionnelle d’avocats – Révocation de l’inscription de cette société au barreau en raison de cette participation – Restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux – Justifications tirées de la protection de l’indépendance des avocats et des destinataires de services juridiques – Nécessité – Proportionnalité.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG
Défendeurs : Rechtsanwaltskammer München.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Gavalec

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:1037

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