ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
12 décembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 168 – Droit à déduction de la TVA – Acquisition de services administratifs fournis au sein d’un même groupe de sociétés – Refus du droit à déduction »
Dans l’affaire C‑527/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Prahova (tribunal de grande instance de Prahova, Roumanie), par décision du 30 décembre 2022, parvenue à la Cour le 16 août 2023, dans la procédure
Weatherford Atlas Gip SA
contre
Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Soluţionare a Contestaţiilor,
Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Weatherford Atlas Gip SA, par Mes D.-D. Dascălu et A. M. Iordache, avocaţi,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, M. Chicu et E. Gane, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. M. Herold et Mme E. A. Stamate, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant Weatherford Atlas Gip SA à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Soluționare a Contestațiilor (Agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations, Roumanie) ainsi qu’à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (Agence nationale de l’administration fiscale – direction générale pour l’administration des
grands contribuables, Roumanie) (ci–après, ensemble, l’« administration fiscale ») au sujet du refus, par cette administration, du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont pour l’acquisition de services administratifs fournis au sein d’un même groupe de sociétés.
Le cadre juridique
3 En vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, sont soumises à la TVA les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.
4 Conformément à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, est considéré comme étant un « assujetti » quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
5 Aux termes de l’article 11 de ladite directive :
« Après consultation du comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après dénommé “comité de la TVA”), chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.
Un État membre qui fait usage de la faculté prévue au premier alinéa peut prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application de cette disposition rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles. »
6 L’article 168 de la même directive dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
b) la TVA due pour les opérations assimilées aux livraisons de biens et aux prestations de services conformément à l’article 18, point a), et à l’article 27 ;
c) la TVA due pour les acquisitions intracommunautaires de biens conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b) i) ;
d) la TVA due pour les opérations assimilées aux acquisitions intracommunautaires conformément aux articles 21 et 22 ;
e) la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 Weatherford Atlas Gip fait partie du groupe de sociétés Weatherford, spécialisé en matière de services pétroliers.
8 Le 6 juin 2016, Weatherford Atlas Gip a repris, par voie de fusion par absorption, Foserco SA, une société roumaine, y compris les droits et les obligations de celle-ci. L’activité de Foserco consistait à fournir des services auxiliaires pour l’extraction du pétrole et du gaz naturel.
9 En 2015 et en 2016, Foserco avait fourni des services de forage en Roumanie à deux clients, à savoir OMV Petrom et Petrofarc. En vue de fournir ces services, Foserco avait acquis, auprès de sociétés du groupe Weatherford, des services administratifs généraux, tels que, notamment, des services informatiques, de ressources humaines, de marketing, de comptabilité et de conseil. Ces services administratifs généraux étaient fournis par des entités établies hors de Roumanie et il était recouru à
l’autoliquidation pour calculer la TVA portant sur lesdits services. D’autres sociétés de ce groupe bénéficiaient également des mêmes services.
10 Après cette fusion, l’administration fiscale a ordonné, par décision du 20 novembre 2019, un nouveau contrôle des obligations de Weatherford Atlas Gip en matière d’impôt sur les sociétés et de TVA pour la période allant du 1er janvier 2014 au 30 juin 2015. Ce contrôle portait donc aussi sur les obligations de Foserco, reprises par Weatherford Atlas Gip.
11 À la suite de ce contrôle, l’administration fiscale a émis un avis d’imposition et un rapport de contrôle fiscal par lesquels elle a refusé le droit à déduction de la TVA dont Foserco s’était acquittée en amont pour les services administratifs acquis, d’un montant de 1774419 lei roumains (RON) (environ 356540 euros), au motif, d’une part, qu’aucun acte ou document n’aurait été produit afin de démontrer le lien entre les services acquis et l’activité de l’assujetti contrôlé et, d’autre part, que
les documents produits ne feraient pas ressortir la nature des services fournis, ni l’identité des personnes ayant fourni ces services, ni la période pendant laquelle ils ont été fournis, ni la nécessité desdits services pour Foserco.
12 Weatherford Atlas Gip a formé une réclamation contre cet avis d’imposition et ce rapport de contrôle fiscal. Ladite réclamation ayant été rejetée par l’administration fiscale par décision du 22 avril 2020, Weatherford Atlas Gip a introduit un recours en annulation auprès du Tribunalul Prahova (tribunal de grande instance de Prahova, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi. Dans le cadre de l’instruction relative à ce recours, l’administration fiscale a précisé que l’existence des services
acquis n’était pas mise en cause, mais que Weatherford Atlas Gip n’avait pas établi l’existence d’un lien entre ces services et ses opérations taxées. Il ne serait, selon cette administration, pas possible d’établir un tel lien, dès lors que lesdits services auraient été fournis à plusieurs sociétés du groupe Weatherford et auraient donc profité à d’autres membres de ce groupe ou audit groupe en tant que tel. Si les coûts des mêmes services ont été partagés entre lesdites sociétés, ladite
administration soutient néanmoins qu’ils n’auraient pas dû être facturés à Weatherford Atlas Gip, car ils ne lui étaient pas nécessaires.
13 À cet égard, la juridiction de renvoi note que la même administration ne nie pas que les services administratifs en cause ont effectivement été fournis et n’invoque aucune fraude fiscale, mais qu’elle refuse de reconnaître le droit à déduction, au motif de l’absence de preuve de la nécessité de l’acquisition de ces services pour l’assujetti. La juridiction de renvoi s’interroge, à cet égard, sur le point de savoir si, en vertu de la directive TVA, le droit à déduction de la TVA acquittée en amont
peut être refusé sur la base d’une appréciation subjective de l’administration fiscale, portant sur la nécessité et l’opportunité de l’acquisition de tels services, lorsqu’il est établi que les coûts afférents à ceux-ci font partie des frais généraux de cet assujetti, au sens de la jurisprudence issue, notamment, de l’arrêt du 8 février 2007, Investrand (C‑435/05, EU:C:2007:87, point 24).
14 C’est dans ce contexte que le Tribunalul Prahova (tribunal de grande instance de Prahova) a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 168 de la [directive TVA], examiné au regard du principe de neutralité fiscale, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce que l’autorité fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la [TVA] acquittée au titre des services administratifs acquis, lorsqu’il est établi que tous les coûts enregistrés afférents aux services acquis ont été inclus dans les frais généraux de l’assujetti, alors que
celui-ci effectue uniquement des opérations taxées, que la prestation des services est expressément confirmée par l’autorité fiscale et que le traitement fiscal appliqué est celui de l’autoliquidation (ce qui exclurait l’atteinte portée au budget de l’État) ?
2) Aux fins de l’interprétation des articles 2 et 168 de la [directive TVA], dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, des services de gestion et d’administration (à savoir des services d’assistance et de conseil dans divers domaines, de conseils financiers et juridiques), fournis entre des sociétés d’un groupe au profit de plusieurs membres de celui-ci, peuvent-ils être considérés par chaque membre individuellement comme étant utilisés pour les besoins des opérations
taxées, c’est-à-dire acquis pour les besoins propres ?
3) Aux fins de l’interprétation de l’article 2 de la [directive TVA], lorsqu’il est établi que les services intragroupes ne sont pas fournis au profit de l’un des membres du groupe, une société qui fait partie de ce groupe, mais qui est réputée ne pas avoir bénéficié de ces services, peut-elle être considérée comme un assujetti agissant en tant que tel ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
15 Par ces questions, qu’il y a lieu d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 168 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse le bénéfice du droit à déduction de la TVA en amont, acquittée par un assujetti lors de l’acquisition de services auprès d’autres assujettis faisant partie d’un même groupe de sociétés, aux motifs que ces
services auraient été simultanément fournis à d’autres sociétés de ce groupe et que leur acquisition n’aurait pas été nécessaire ou opportune.
Sur la recevabilité
16 Le gouvernement roumain soulève l’irrecevabilité desdites questions, au motif que la première serait fondée sur une prémisse factuelle non étayée et revêtirait, à cet égard, une nature hypothétique, et que la deuxième serait, quant à elle, fondée sur un exposé factuel qui ne permettrait pas de comprendre la raison ayant conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour à titre préjudiciel.
17 Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union
n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C‑211/22, EU:C:2023:529, point 22 et jurisprudence citée).
18 En l’occurrence, s’agissant de la première question, il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude de la prémisse factuelle sur laquelle cette question repose et, en tout état de cause, ladite question ne paraît pas manifestement hypothétique, eu égard à l’objet du litige au principal, tel que décrit par la juridiction de renvoi. La recevabilité de cette question ne saurait donc être remise en cause.
19 S’agissant de la deuxième question, il convient de constater que l’exposé du cadre réglementaire et factuel du litige au principal permet de comprendre la raison qui a conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour à titre préjudiciel, et que cet exposé comporte les éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à cette question. Dans ces conditions, la recevabilité de celle-ci ne saurait davantage être contestée.
20 Par conséquent, les première et deuxième questions sont recevables.
Sur le fond
21 Selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de TVA. Le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait donc partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité de la TVA ayant grevé les opérations
effectuées en amont. Le régime des déductions vise, en effet, à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques (arrêt du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 27 et jurisprudence citée).
22 Ainsi, le système commun de TVA garantit la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que ces activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA. Dans la mesure où l’assujetti, agissant en tant que tel au moment où il acquiert un bien ou un service, utilise ce bien ou ce service pour les besoins de ses opérations taxées, celui-ci est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée
pour ledit bien ou ledit service (arrêt du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 27 et jurisprudence citée).
23 L’exercice du droit à déduction présuppose l’existence, en amont, d’une opération qui soit elle-même soumise à la TVA. À cet égard, il convient de rappeler qu’une prestation de services n’est effectuée à titre onéreux, au sens de la directive TVA, et n’est dès lors soumise à cette taxe, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique dans le cadre duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur
effective d’un service individualisable fourni au bénéficiaire. Tel est le cas s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (arrêt du 20 janvier 2022, Apcoa Parking Danmark, C‑90/20, EU:C:2022:37, point 27 et jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, il incombe donc à la juridiction de renvoi de vérifier, en premier lieu, que les acquisitions de services administratifs en cause au principal sont des opérations soumises à la TVA, au sens de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt. À cette fin, la juridiction de renvoi devra vérifier s’il existe un lien direct entre ces services et la contre-valeur versée par Foserco.
25 En outre, il ressort de l’article 168 de la directive TVA que, pour bénéficier du droit à déduction de la TVA payée en amont, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de cette directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit à déduction soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (voir, en ce
sens, arrêts du 11 janvier 2024, Global Ink Trade, C‑537/22, EU:C:2024:6, point 33, ainsi que du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 28 et jurisprudence citée).
26 En l’occurrence, il incombe donc à la juridiction de renvoi de vérifier, en second lieu, que Foserco et les sociétés ayant fourni les services administratifs en cause au principal sont des assujettis, au sens de la directive TVA, et que lesdits services ont été utilisés en aval par Foserco pour les besoins de ses propres opérations taxées.
27 À cet égard, il convient de préciser que le groupe de sociétés en cause au principal paraît formé d’assujettis distincts, et qu’il ne semble pas constituer un seul assujetti, à savoir un groupement TVA, au titre de l’article 11 de la directive TVA. En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle, ainsi que des observations écrites de Weatherford Atlas Gip, que les services administratifs en cause au principal ont été fournis à Foserco, qui était une société roumaine, par des sociétés
établies hors de Roumanie. Or, un groupement TVA est nécessairement limité au territoire d’un seul et même État membre, ainsi qu’il ressort du libellé de cet article 11 (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2021, Danske Bank, C‑812/19, EU:C:2021:196, point 24).
28 Dans ce contexte, la Cour a jugé qu’il est, en principe, nécessaire qu’il existe un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction. Le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction [arrêt du 13 juin 2024, C
(Administrateurs et liquidateurs judiciaires), C‑696/22, EU:C:2024:499, point 86 et jurisprudence citée].
29 Un droit à déduction est cependant également admis en faveur de l’assujetti, même en l’absence de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, lorsque les coûts des biens et des services en cause font partie des frais généraux de ce dernier et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. De tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec
l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti (arrêt du 4 octobre 2024, Voestalpine Giesserei Linz, C‑475/23, EU:C:2024:866, point 21 et jurisprudence citée).
30 La Cour a encore précisé que l’existence de liens entre des opérations doit être appréciée au regard du contenu objectif de celles-ci. Plus particulièrement, il incombe aux administrations fiscales et aux juridictions nationales de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées et de tenir compte des seules opérations qui sont objectivement liées à l’activité imposable de l’assujetti. Ainsi, il y a lieu de tenir compte de
l’utilisation effective des biens et des services acquis, en amont, par l’assujetti et de la cause exclusive de cette acquisition, cette dernière devant être considérée comme constituant un critère de détermination du contenu objectif [voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2024, C (Administrateurs et liquidateurs judiciaires), C‑696/22, EU:C:2024:499, point 89, et du 4 octobre 2024, Voestalpine Giesserei Linz, C‑475/23, EU:C:2024:866, point 22 ainsi que jurisprudence citée].
31 Dans ce contexte, il ressort de la jurisprudence que ne saurait ouvrir un droit à déduction la part des dépenses exposées par l’assujetti qui est liée non pas aux opérations réalisées par l’assujetti lui-même, mais à des opérations effectuées par un tiers [voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2020, Vos Aannemingen, C‑405/19, EU:C:2020:785, point 38, et du 8 septembre 2022, Finanzamt R (Déduction de TVA liée à une contribution d’associé), C‑98/21, EU:C:2022:645, point 55].
32 En l’occurrence, s’il s’avérait qu’une partie des services au titre desquels ont été exposées les dépenses en cause au principal a été utilisée non pas pour les besoins des opérations propres de l’assujetti, mais pour les besoins d’opérations effectuées par des tiers, le lien direct et immédiat existant entre ces services et les opérations taxées de cet assujetti serait partiellement rompu, de sorte que ce dernier ne serait pas en droit de procéder à la déduction de la TVA ayant grevé cette
partie des dépenses (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Vos Aannemingen, C‑405/19, EU:C:2020:785, point 39 et jurisprudence citée).
33 Pour déterminer l’étendue du droit à déduction de l’assujetti, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, notamment à la lumière des contrats de fourniture de services et de la réalité économique et commerciale, dans quelle mesure les services concernés ont effectivement été fournis afin de permettre à l’assujetti de réaliser ses opérations taxées. Ce n’est, en effet, que dans cette mesure que la TVA payée en amont sera considérée comme grevant des services rendus à l’assujetti
(voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Vos Aannemingen, C‑405/19, EU:C:2020:785, points 40 et 42 ainsi que jurisprudence citée).
34 La circonstance que les services administratifs en cause au principal sont fournis simultanément à plusieurs bénéficiaires paraît dénuée de pertinence à cet égard. Il appartient, en revanche, à la juridiction de renvoi de s’assurer que la quote-part des coûts afférents à ces services, supportée par l’assujetti, correspond effectivement aux services dont ce dernier a bénéficié pour les besoins de ses propres opérations taxées.
35 Le point de savoir si l’acquisition des services administratifs en cause au principal était nécessaire ou opportune paraît également dénué de pertinence, dès lors que la directive TVA ne subordonne pas l’exercice du droit à déduction à un critère de rentabilité économique de l’opération en amont. En effet, le système commun de TVA vise à garantir la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que
lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA. Dès lors, le droit à déduction, une fois né, reste acquis même si, ultérieurement, l’activité économique envisagée n’a pas été réalisée et, partant, n’a pas donné lieu à des opérations taxées ou si l’assujetti n’a pu utiliser les biens ou les services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d’opérations taxables en raison de circonstances étrangères à sa volonté [voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2024, C (Administrateurs
et liquidateurs judiciaires), C‑696/22, EU:C:2024:499, point 94 et jurisprudence citée].
36 S’agissant, enfin, de la charge de la preuve, il est de jurisprudence constante que c’est à l’assujetti qui demande la déduction de la TVA qu’il incombe d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier. Les autorités fiscales peuvent donc exiger de l’assujetti les preuves qu’elles jugent nécessaires pour apprécier s’il y a lieu ou non d’accorder la déduction demandée (voir, en ce sens, arrêts du 9 décembre 2021, Kemwater ProChemie, C‑154/20, EU:C:2021:989, point 33 et
jurisprudence citée, ainsi que du 16 février 2023, DGRFP Cluj, C‑519/21, EU:C:2023:106, points 99 et 100).
37 Quant à l’évaluation de ces preuves, elle doit être effectuée par le juge national conformément aux règles de preuve du droit national, en procédant à une appréciation globale de tous les éléments et circonstances de fait du cas d’espèce [voir, en ce sens, arrêts du 25 mai 2023, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Warszawie (TVA – Acquisition fictive), C‑114/22, EU:C:2023:430, point 36, et du 11 janvier 2024, Global Ink Trade, C‑537/22, EU:C:2024:6, point 34].
38 Par conséquent, l’article 168 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse le bénéfice du droit à déduction de la TVA en amont, acquittée par un assujetti lors de l’acquisition de services auprès d’autres assujettis faisant partie d’un même groupe de sociétés, aux motifs que ces services auraient été simultanément fournis à d’autres sociétés de ce groupe et que leur
acquisition n’aurait pas été nécessaire ou opportune, lorsqu’il est établi que lesdits services sont utilisés en aval par cet assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées.
Sur la troisième question
39 Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, aux fins de l’interprétation de l’article 2 de la directive TVA, lorsqu’il est établi que les services intragroupes ne sont pas fournis au profit de l’un des membres du groupe, une société qui fait partie de ce groupe, mais qui est réputée ne pas avoir bénéficié de ces services, peut être considérée comme étant un assujetti agissant en tant que tel.
40 Ainsi que la Commission européenne l’a observé, cette question semble dépourvue de pertinence aux fins de la solution du litige au principal. En effet, il ne paraît aucunement contesté, dans le cadre de ce litige, que Foserco était un assujetti, au sens de la directive TVA. Ainsi que le gouvernement roumain l’a également relevé, il s’agit d’une question distincte de celle de l’existence du droit à déduction de la TVA acquittée en amont sur les services administratifs en cause au principal.
41 Par conséquent, eu égard à la jurisprudence constante rappelée au point 17 du présent arrêt, la troisième question est irrecevable.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale en vertu de laquelle l’administration fiscale refuse le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont, acquittée par un assujetti lors de l’acquisition de services auprès d’autres assujettis faisant partie d’un même groupe de sociétés, aux motifs
que ces services auraient été simultanément fournis à d’autres sociétés de ce groupe et que leur acquisition n’aurait pas été nécessaire ou opportune, lorsqu’il est établi que lesdits services sont utilisés en aval par cet assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.