ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
12 décembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Règlement (CEE) no 2658/87 – Tarif douanier commun – Classement tarifaire – Nomenclature combinée – Position 1516 – Graisses et huiles et leurs fractions – Huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques – Estérification d’acides gras avec de l’éthanol – Règlement d’exécution (UE) 2019/1661 – Validité »
Dans l’affaire C‑388/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande septentrionale, Pays-Bas), par décision du 27 juin 2023, parvenue à la Cour le 27 juin 2023, dans la procédure
Golden Omega S.A.
contre
Inspecteur van de Belastingdienst/Douane, kantoor Rotterdam Rijnmond,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Golden Omega S.A., par MM. A. J. C. Lindsen et R. R. Ramautarsing, conseillers fiscaux,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Salyková et F. van Schaik, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte, d’une part, sur l’interprétation de la position 1516 de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), dans sa version résultant du règlement d’exécution (UE) 2018/1602 de la Commission, du 11 octobre 2018 (JO 2018, L 273, p. 1) (ci-après la « NC »), ainsi que, d’autre part, sur la validité
du règlement d’exécution (UE) 2019/1661 de la Commission, du 24 septembre 2019, relatif au classement de certaines marchandises dans la nomenclature combinée (JO 2019, L 251, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Golden Omega S.A. à l’Inspecteur van de Belastingdienst/Douane, kantoor Rotterdam Rijnmond (inspecteur de l’administration fiscale/bureau des douanes de Rotterdam Rijnmond, Pays-Bas) (ci‑après l’« inspecteur de l’administration fiscale ») au sujet du classement tarifaire, au sein de la NC, de l’huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques, portant la dénomination commerciale « Fish Oil EE 1050 ».
Le cadre juridique
Le droit international
Le SH
3 Le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (ci-après le « SH ») a été élaboré par le Conseil de coopération douanière, devenu l’Organisation mondiale des douanes (OMD), institué par la convention portant création d’un conseil de coopération douanière, conclue à Bruxelles le 15 décembre 1950. Le SH a été institué par la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, conclue à Bruxelles le 14 juin 1983 [Recueil des
traités des Nations unies, vol. 1503, p. 4, no 25910 (1988)] et approuvée, avec son protocole d’amendement du 24 juin 1986, au nom de la Communauté économique européenne par la décision 87/369/CEE du Conseil, du 7 avril 1987 (JO 1987, L 198, p. 1) (ci-après la « convention sur le SH »).
4 L’OMD approuve, dans les conditions fixées à l’article 8 de la convention sur le SH, les notes explicatives et les avis de classement adoptés par le comité du SH, institué à l’article 6 de cette convention.
5 En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la convention sur le SH, chaque partie contractante s’engage à ce que ses nomenclatures tarifaires et statistiques soient conformes au SH, premièrement, en utilisant toutes les positions et les sous-positions du SH, sans adjonction ni modification, ainsi que les codes numériques qui y sont afférents, deuxièmement, en appliquant les règles générales pour l’interprétation du SH ainsi que toutes les notes de sections, de chapitres et de
sous-positions sans en modifier la portée et, troisièmement, en suivant l’ordre de numérotation du SH.
Les notes explicatives publiées par l’OMD
6 Les notes explicatives publiées par l’OMD et relatives au chapitre 15 du SH indiquent ce qui suit :
« A) Ce Chapitre comprend :
1) Les graisses et huiles d’origine animale, végétale ou microbienne, brutes, épurées, raffinées ou traitées d’une certaine manière (par exemple, cuites, sulfurées ou hydrogénées).
2) Certains produits dérivés des graisses ou des huiles et notamment ceux qui proviennent de leur dissociation, tels que le glycérol brut.
3) Les graisses et huiles alimentaires élaborées, telles que la margarine.
4) Les cires d’origine animale ou végétale.
5) Les résidus provenant du traitement des corps gras ou des cires animales ou végétales.
Sont, toutefois, exclus de ce Chapitre :
[...]
e) Les acides gras, les huiles acides de raffinage, les alcools gras, le glycérol (autre que le glycérol brut), les cires préparées, les corps gras transformés en produits pharmaceutiques, en peintures, en vernis, en savons, en produits de parfumerie ou de toilette préparés ou en préparations cosmétiques, les huiles sulfonées et les autres produits dérivés des corps gras relevant de la Section VI.
[...]
À l’exception de l’huile de spermaceti et de l’huile de jojoba, les graisses et huiles animales, végétales ou d’origine microbienne sont des esters du glycérol et des acides gras : les acides palmitique, stéarique et oléique, notamment.
[...] »
7 Les notes explicatives publiées par l’OMD et relatives à la position 1516 du SH énoncent :
« [...]
Cette position comprend les graisses et les huiles animales, végétales ou d’origine microbienne qui ont subi une transformation chimique particulière du genre de celles mentionnées ci-après mais qui n’ont pas été autrement préparées.
Elle couvre également les fractions ayant subi le même traitement que ces graisses et huiles animales, végétales ou d’origine microbienne.
[...]
B) Graisses et huiles interestérifiées, réestérifiées ou élaïdinisées.
1) Les huiles interestérifiées (ou transestérifiées). La consistance d’une huile ou d’une graisse peut être augmentée en modifiant de manière appropriée la position des radicaux des acides gras dans les triglycérides contenus dans le produit. La réaction et le déplacement des esters peuvent être stimulés à l’aide d’agents catalyseurs.
2) Les graisses et huiles réestérifiées (dénommées aussi estérifiées) sont des triglycérides obtenus par synthèse directe de glycérol avec des mélanges d’acides gras libres ou avec des huiles acides de raffinage. La position des radicaux des acides gras dans les triglycérides diffère de celle normalement rencontrée dans les huiles naturelles.
[...] »
Les avis de classement adoptés par le comité du SH
8 L’avis de classement 1516.10/1, adopté par le comité du SH lors de la soixante et unième session s’étant tenue au mois de mars 2018, prévoit :
« 1. Produit composé de 90 % de triglycérides réestérifiés d’acides gras très concentrés en oméga-3 EPA (acide eicosapentaénoïque) et DHA (acide docosahexaénoïque), obtenu à partir d’huile d’anchois brute. Les 10 % restants du produit se composent essentiellement de mono- et diglycérides. Le produit contient de l’EPA (400 mg/g) et du DHA (300 mg/g). De la vitamine E (tocophérol) a été ajoutée au produit en tant qu’antioxydant. Lors de la fabrication du produit, l’huile d’anchois brute a été
soumise à des processus de désacidification, d’estérification éthanolique, de distillation, de filtration, de blanchiment, de réestérification et de désodorisation. Le produit est présenté en tonneaux et est utilisé pour la fabrication de compléments alimentaires. »
9 Conformément à l’avis de classement 2106.90/36, adopté par le comité du SH lors de cette soixante et unième session s’étant tenue au mois de mars 2018 :
« 36. Produit consistant en esters éthyliques d’acides gras très concentrés en oméga-3 EPA (acide eicosapentaénoïque) et DHA (acide docosahexaénoïque), obtenu à partir d’huile d’anchois brute. De la vitamine E (tocophérol) a été ajoutée au produit en tant qu’antioxydant. Lors de la fabrication du produit, l’huile d’anchois brute a été soumise à des processus de désacidification, d’estérification éthanolique, de distillation, de filtration, de blanchiment et de désodorisation. Le produit est
présenté en tonneaux et est utilisé pour la fabrication de compléments alimentaires. »
Le droit de l’Union
La NC
10 Le classement douanier des marchandises importées dans l’Union européenne est régi par la NC. Celle-ci est fondée sur le SH. La NC reprend les positions et les sous‑positions à six chiffres du SH, seuls les septième et huitième chiffres formant des subdivisions qui lui sont propres.
11 Aux termes des règles générales pour l’interprétation de la NC, qui figurent à l’annexe I, première partie, titre I, section A, du règlement no 2658/87 :
« Le classement des marchandises dans la [NC] est effectué conformément aux principes ci-après.
1. Le libellé des titres de sections, de chapitres ou de sous-chapitres est considéré comme n’ayant qu’une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d’après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les règles suivantes.
[...]
6. Le classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles ci-dessus, étant entendu que ne peuvent être comparées que les sous-positions de même niveau. Aux fins de cette règle, les notes de sections et de chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires. »
12 La deuxième partie de la NC comprend une section III qui contient un chapitre 15, intitulé « Graisses et huiles animales ou végétales ; produits de leur dissociation ; graisses alimentaires élaborées ; cires d’origine animale ou végétale », ainsi qu’une section IV qui contient un chapitre 21, intitulé « Préparations alimentaires diverses ».
13 Le chapitre 15 de la NC comprend les positions et sous-positions suivantes :
« [...]
Code NC Désignation des marchandises Taux du droit conventionnel (%)
[...] [...] [...]
1516 Graisses et huiles animales ou végétales et leurs fractions, partiellement ou totalement hydrogénées, interestérifiées, réestérifiées ou élaïdinisées, même raffinées, mais non autrement préparées :
1516 10 – Graisses et huiles animales et leurs fractions :
1516 10 10 – – présentées en emballages immédiats d’un contenu net de 1 kg ou moins 12,8
1516 10 90 – – autrement présentées 10,9
[...] [...]
[...] »
14 Le chapitre 21 de la NC comprend les positions et sous-positions suivantes :
« [...]
Code NC Désignation des marchandises Taux du droit conventionnel (%)
[...] [...] [...]
2106 Préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs :
[...] [...] [...]
2106 90 – autres :
[...] [...] [...]
2106 90 92 – – – ne contenant pas de matières grasses provenant du lait, de saccharose, d’isoglucose, de glucose, d’amidon ou de fécule ou contenant en poids moins de 1,5 % de matières grasses provenant du lait, moins de 5 % de saccharose ou d’isoglucose, moins de 5 % de glucose ou d’amidon ou de fécule 12,8
[...] [...] [...]
[...] »
Le règlement d’exécution 2019/1661
15 L’annexe du règlement d’exécution 2019/1661 est constituée d’un tableau divisé en trois colonnes. La colonne 1 de ce tableau reprend la désignation des marchandises visées, la colonne 2 reprend le classement de ces marchandises dans la NC et la colonne 3 précise les motifs d’un tel classement. S’agissant de la sous-position 21069092 de la NC, ce tableau prévoit :
« [...]
Désignation des marchandises Classement (code NC) Motifs
(1) (2) (3)
Produit liquide de couleur jaune pâle constitué de 93 % d’esters éthyliques d’acides gras et de 7 % d’oligomères et de glycérides partiels. 2106 90 92 Le classement est déterminé par les dispositions des règles générales 1 et 6 pour l’interprétation de la nomenclature combinée, par la note 1 b) du chapitre 38 ainsi que par le libellé des codes NC 2106, 2106 90 et 2106 90 92.
Le produit est composé d’huiles de poisson provenant d’espèces telles que l’anchois, la sardine et le maquereau. Le processus de production comprend le raffinage, l’hydrolyse, l’estérification éthylique et le fractionnement. Pendant Le classement dans la position 1516 est exclu étant donné que le produit est composé principalement d’esters éthyliques obtenus par estérification d’acides gras avec de l’éthanol et non avec du glycérol. Le degré de transformation que le produit a
l’hydrolyse et l’estérification éthylique, les triglycérides sont transformés en esters éthyliques d’acides gras. subi excède donc ce qui est autorisé dans la position 1516 étant donné que seuls les triglycérides réestérifiés relèvent de cette position [voir également les notes explicatives du système harmonisé (NESH) relatives à la position 1516, partie B),
point 2].
Le produit est destiné à subir une transformation ultérieure dans les secteurs des industries alimentaires, de l’alimentation animale et des industries pharmaceutiques. Il est conditionné et expédié sous atmosphère protectrice dans
des fûts en acier d’une capacité de 190 kg. En outre, les esters éthyliques d’acides gras ne sont pas des graisses et huiles animales ou végétales [voir également chapitre 15 des NESH, considérations générales, partie A), deuxième alinéa].
Le classement du produit au chapitre 38 est exclu étant donné que le produit a une valeur nutritive et est utilisé dans la préparation d’aliments pour la consommation humaine [voir chapitre 38, note 1, point b)].
Il convient dès lors de classer le produit sous le code NC 2106 90 92 en tant qu’autre préparation alimentaire (voir également l’avis de classement du SH 2106.90/3[6]).
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Golden Omega vend des fractions d’huile de poisson, notamment celle se présentant sous la forme d’esters éthyliques, portant la dénomination commerciale « Fish Oil EE 1050 » (ci-après le « produit en cause »).
17 Le 25 novembre 2019, l’inspecteur de l’administration fiscale a délivré à Golden Omega un renseignement tarifaire contraignant (ci-après le « RTC »), ayant pour objet le produit en cause et valable du 25 novembre 2019 au 24 novembre 2022, dans lequel il a classé ce produit dans la sous-position 21069092 de la NC. Le droit de douane pour les produits classés dans cette sous-position s’élève à 12,8 %.
18 Considérant que ledit produit devait être classé, à l’instar de l’huile de poisson se présentant sous la forme de triglycérides, dans la position 15161090, avec l’application d’un droit de douane de 10,9 %, Golden Omega a introduit une réclamation contre le RTC de 2019.
19 Par décision du 28 février 2020, l’inspecteur de l’administration fiscale a rejeté cette réclamation. Golden Omega a alors introduit un recours contre cette décision devant le rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande septentrionale, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi.
20 Il ressort de la décision de renvoi que le 12 avril 2016 l’inspecteur de l’administration fiscale avait délivré à Golden Omega un premier RTC dans lequel il avait classé le produit en cause dans la sous‑position 21069092 de la NC. Golden Omega avait contesté ce classement. Par jugement du 3 décembre 2018, la juridiction de renvoi lui avait donné gain de cause et, partant, avait annulé le RTC délivré en 2016 en considérant, notamment, que les opérations de traitement effectuées par cette société
sur l’huile de poisson brute étaient visées dans le libellé de la position 1516 du SH. Dans ce jugement, la juridiction de renvoi avait conclu que le produit en cause ne pouvait être classé dans la position 2106 du SH, dès lors qu’il était visé par la position 1516 du SH.
21 Cette juridiction précise également que l’inspecteur de l’administration fiscale n’avait pas interjeté appel du jugement du 3 décembre 2018. En outre, en concertation avec la Commission européenne, cet inspecteur avait décidé de saisir le comité du code des douanes s’agissant du classement du produit en cause. À la suite de cette saisine, le règlement d’exécution 2019/1661 a été adopté, lequel prévoit qu’un produit tel que le produit en cause doit être classé dans la sous-position 21069092.
22 Devant la juridiction de renvoi, Golden Omega soutient que, en application des règles générales pour l’interprétation de la NC, le produit en cause devait être classé dans la position 1516 de la NC. À cet égard, elle considère que les graisses et huiles couvertes par cette position correspondent aux graisses et huiles animales composant ce produit et que les opérations de traitement et/ou de transformation visées dans ladite position correspondent aux opérations dont ledit produit aurait fait
l’objet, à savoir le raffinage, l’estérification et le fractionnement. Selon elle, il serait sans importance que ce même produit soit estérifié, non pas avec du glycérol mais avec de l’éthanol. En ce qui concerne le règlement d’exécution 2019/1661, elle estime que la Commission, en ne se conformant pas au libellé juridiquement contraignant de la position 1516 de la NC et, partant, en modifiant de manière illicite la portée de cette position, aurait outrepassé ses compétences. Ce règlement serait
donc invalide.
23 La juridiction de renvoi partage la position de Golden Omega. Cette juridiction relève, en particulier, que, dès lors que la position 1516 de la NC vise la transformation par « estérification », sans établir de distinction selon le type d’alcool utilisé à cette fin, il serait possible de considérer que l’estérification avec de l’éthanol relève également de cette position. En outre, bien que, ainsi qu’il résulterait des notes explicatives publiées par l’OMD et relatives au chapitre 15 du SH, il
pourrait être soutenu que, d’un point de vue chimique, les esters éthyliques d’acides gras ne sont pas des graisses animales, un tel constat ne permettrait pas d’exclure que, compte tenu du libellé de ladite position, les esters éthyliques devraient être classés dans cette même position. Dans ce contexte, cette juridiction relève que les notes explicatives publiées par l’OMD, qui sont visées dans les motifs du règlement d’exécution 2019/1661, n’auraient pas de force obligatoire, de sorte qu’il ne
faudrait pas leur attribuer une valeur prépondérante.
24 C’est dans ce contexte que le rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande septentrionale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La position 1516 de la [NC] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle comporte des restrictions quant au choix du procédé par lequel, et de la substance avec laquelle, une huile animale est estérifiée et, dans l’affirmative, en quoi consistent ces restrictions ?
2) Pour relever de la position 1516, une huile animale telle que l’huile de poisson doit-elle être estérifiée avec du glycérol ?
3) Le classement dans la position 1516 d’une huile animale telle que l’huile de poisson qui a été estérifiée avec de l’éthanol doit-il être exclu ?
4) Importe-t-il, pour répondre aux questions qui précèdent, d’apprécier dans quelle mesure le produit en cause a fait l’objet des opérations de traitement visées dans la position 1516 et, dans l’affirmative, selon quels critères convient-il de procéder à cette appréciation ?
5) La réponse aux questions qui précèdent a-t-elle une incidence sur la validité du règlement d’exécution [2019/1661] et, dans l’affirmative, laquelle ? »
Sur les questions préjudicielles
25 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel en matière de classement tarifaire, sa fonction consiste davantage à éclairer la juridiction de renvoi sur les critères dont la mise en œuvre permettra à celle-ci de classer correctement les produits concernés dans la NC qu’à procéder elle-même à un tel classement. Ce classement résulte d’une appréciation purement factuelle qu’il n’appartient pas à la Cour d’effectuer dans le cadre d’un renvoi
préjudiciel (arrêt du 15 juin 2023, NOVA TARGOVSKA KOMPANIA 2004, C‑292/22, EU:C:2023:492, point 33 et jurisprudence citée).
26 Il incombera, par conséquent, à la juridiction de renvoi de procéder au classement des marchandises en cause au regard des éléments de réponse fournis par la Cour aux questions posées (arrêt du 15 juin 2023, NOVA TARGOVSKA KOMPANIA 2004, C‑292/22, EU:C:2023:492, point 34 et jurisprudence citée).
27 En outre, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre le juge national et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 15 juin 2023, NOVA TARGOVSKA KOMPANIA 2004, C‑292/22, EU:C:2023:492,
point 35 et jurisprudence citée).
28 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, dans le cadre du processus de production du produit en cause, l’huile de poisson raffinée, qui se présente sous la forme de triglycérides, est transformée, par estérification, en une huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques. La juridiction de renvoi explique, à cet égard, que la différence entre ces deux huiles a trait au type d’alcool reliant les acides gras. Dans la composition d’un ester éthylique, l’alcool
utilisé est l’éthanol, tandis que, dans celle d’un triglycéride, l’alcool utilisé est le glycérol. Cette juridiction relève également que les parties au principal s’accordent sur le classement de l’huile de poisson se présentant sous la forme de triglycérides dans la position 1516 de la NC.
29 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, par ses première à quatrième questions, interroge la Cour sur l’interprétation à donner à la position 1516 de la NC aux fins du classement tarifaire d’une huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques, obtenue par estérification d’acides gras avec de l’éthanol, et, par sa cinquième question, demande à la Cour si, compte tenu de l’interprétation qu’il convient de retenir de cette position, le règlement d’exécution 2019/1661 est valide.
Sur les première à quatrième questions
30 Par les première à quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la position 1516 de la NC doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre une huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques, obtenue par estérification d’acides gras avec de l’éthanol.
31 Il y a lieu de rappeler que, selon la règle générale 1 pour l’interprétation de la NC, le classement tarifaire des marchandises dans la NC est déterminé selon les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres, le libellé des titres de sections, de chapitres ou de sous-chapitres étant considéré comme n’ayant qu’une valeur indicative. Dans l’intérêt de la sécurité juridique et de la facilité des contrôles, le critère décisif pour le classement tarifaire des marchandises doit être
recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et leurs propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de ladite nomenclature et des notes de sections ou de chapitres (arrêt du 5 septembre 2024, BIOR, C‑344/23, EU:C:2024:696, point 65 et jurisprudence citée).
32 Aux termes du libellé de la position 1516 de la NC, celle-ci comprend les « graisses et huiles animales ou végétales et leurs fractions, partiellement ou totalement hydrogénées, interestérifiées, réestérifiées ou élaïdinisées, même raffinées, mais non autrement préparées ». Ainsi que l’a relevé la Commission, une telle formulation implique que les produits relevant de cette position puissent être considérés comme étant des graisses ou des huiles ou des fractions de ces graisses ou de ces huiles.
33 À cet égard, il convient de relever que ni la NC ni ses notes explicatives ne définissent les termes « graisses et huiles ».
34 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, la signification et la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doivent être déterminées conformément au sens habituel en langage courant de ceux‑ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 25 mai 2023, Danish Fluid System Technologies, C‑368/22, EU:C:2023:427,
point 40 et jurisprudence citée).
35 S’agissant du sens habituel en langage courant des termes « graisses et huiles », il ressort de plusieurs dictionnaires que, en langues française, allemande et anglaise, ces termes sont communément définis comme étant des corps gras, d’origine animale ou végétale, formés principalement de glycérides, c’est-à-dire d’esters de glycérol associés à des acides gras.
36 Une telle définition est, par ailleurs, corroborée par les notes explicatives publiées par l’OMD et relatives au chapitre 15 du SH. En effet, ces notes explicatives précisent que, « à l’exception de l’huile de spermaceti et de l’huile de jojoba, les graisses et huiles animales, végétales ou d’origine microbienne sont des esters du glycérol et des acides gras ».
37 À cet égard, il convient de relever que la Cour a itérativement jugé que, bien que les notes explicatives du SH n’ont pas de force contraignante, elles constituent des instruments importants afin d’assurer une application uniforme du tarif douanier commun et fournissent, en tant que telles, des éléments valables pour l’interprétation de celui-ci (arrêt du 5 septembre 2024, BIOR, C‑344/23, EU:C:2024:696, point 66 et jurisprudence citée).
38 Il résulte des considérations qui précèdent qu’une caractéristique propre aux graisses et aux huiles est qu’elles se composent principalement d’esters de glycérol et d’acides gras, prenant la forme de triglycérides. Partant, un produit qui serait constitué principalement d’esters éthyliques, qui sont des esters synthétisés obtenus à partir de l’éthanol et d’acides gras, ne serait pas couvert par la position 1516 de la NC.
39 En outre, le libellé de cette position prévoit que les graisses et les huiles animales ou végétales ainsi que leurs fractions peuvent avoir été « partiellement ou totalement hydrogénées, interestérifiées, réestérifiées ou élaïdinisées, même raffinées, mais non autrement préparées ». Ainsi, cette positon comprend les graisses et les huiles animales, végétales ou d’origine microbienne qui ont subi une transformation chimique particulière du genre de celles mentionnées à ladite position, mais
n’ayant pas été autrement préparées.
40 En ce qui concerne les procédés d’interestérification et de réestérification des huiles et des graisses, qui sont pertinents dans le cadre de l’affaire au principal, les notes explicatives publiées par l’OMD et relatives à la position 1516 du SH précisent en quoi consiste la transformation chimique obtenue à l’aide de ces procédés.
41 Ainsi, la partie B, point 1, de ces notes indique, pour les « huiles interestérifiées (ou transestérifiées) », que « [l]a consistance d’une huile ou d’une graisse peut être augmentée en modifiant de manière appropriée la position des radicaux des acides gras dans les triglycérides contenus dans le produit. La réaction et le déplacement des esters peuvent être stimulés à l’aide d’agents catalyseurs ».
42 En ce qui concerne les « graisses et huiles réestérifiées (dénommées aussi estérifiées) », la partie B, point 2, desdites notes énonce que ce « sont des triglycérides obtenus par synthèse directe de glycérol avec des mélanges d’acides gras libres ou avec des huiles acides de raffinage. La position des radicaux des acides gras dans les triglycérides diffère de celle normalement rencontrée dans les huiles naturelles ».
43 Il découle donc de ces mêmes notes que les produits résultant de ces procédés chimiques constituent toujours des triglycérides. Partant, pour pouvoir relever de la position 1516 de la NC après avoir subi de tels procédés, ces produits doivent toujours répondre à la définition des « graisses ou des huiles », telle que visée au point 38 du présent arrêt, et donc être principalement composés d’esters de glycérol et d’acides gras, prenant la forme de triglycérides. Par conséquent, un produit qui,
après estérification, se compose principalement d’esters éthyliques ne saurait relever de ladite position.
44 Par ailleurs, une telle interprétation est confortée par les avis de classement adoptés par le comité du SH lors de la soixante et unième session s’étant tenue au mois de mars 2018. Ainsi, l’avis de classement 1516.10/1 approuvé par l’OMD précise, en ce qui concerne les graisses et huiles animales et leurs fractions, que le produit devant être classé dans la position 1516 du SH se compose, notamment, de 90 % de triglycérides réestérifiés d’acides gras. En revanche, conformément à l’avis de
classement 2106.90/36 approuvé par l’OMD, un produit consistant en esters éthyliques d’acides gras doit être classé dans la position 2106 du SH.
45 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, bien que les avis de l’OMD classant des marchandises dans le SH n’aient pas force obligatoire en droit, ils constituent, en ce qui concerne le classement de ces marchandises dans la NC, des éléments importants pour l’interprétation de la portée des différentes positions de la NC (arrêt du 16 novembre 2023, Viterra Hungary, C‑366/22, EU:C:2023:876, point 35 et jurisprudence citée).
46 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à quatrième questions que la position 1516 de la NC doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas une huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques, obtenue par estérification d’acides gras avec de l’éthanol.
Sur la cinquième question
47 Par la cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, compte tenu de l’interprétation de la position 1516 de la NC adoptée en réponse aux première à quatrième questions, le règlement d’exécution 2019/1661 doit être considéré comme étant valide.
48 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi qu’il n’est pas contesté dans le cadre du litige au principal que les propriétés du produit en cause sont identiques à celles du produit désigné dans la colonne 1 du tableau figurant à l’annexe de ce règlement d’exécution.
49 La Commission a motivé le classement du produit visé dans ledit règlement d’exécution dans la sous-position 21069092 de la NC, en précisant, notamment, que « [l]e classement dans la position 1516 [de la NC] est exclu étant donné que le produit est composé principalement d’esters éthyliques obtenus par estérification d’acides gras avec de l’éthanol et non avec du glycérol. Le degré de transformation que le produit a subi excède donc ce qui est autorisé dans la position 1516 étant donné que seuls
les triglycérides réestérifiés relèvent de cette position ». Le même règlement d’exécution renvoie, à ce dernier égard, aux notes explicatives publiées par l’OMD et relatives à la position 1516 du SH, partie B, point 2.
50 En outre, le règlement d’exécution 2019/1661 indique que « les esters éthyliques d’acides gras ne sont pas des graisses et huiles animales ou végétales », et fait référence, à cet égard, aux notes explicatives publiées par l’OMD et relatives au chapitre 15 du SH, considérations générales, partie A, deuxième alinéa.
51 Compte tenu de la réponse apportée aux première à quatrième questions, la motivation afférente au classement du produit visé par ce règlement d’exécution ainsi que ce classement en lui-même sont donc conformes à l’interprétation qu’il convient de retenir de la position 1516 de la NC.
52 Il en résulte que la Commission, en adoptant ledit règlement d’exécution, n’a modifié ni le contenu ni la portée de cette position et, partant, n’a pas outrepassé ses pouvoirs.
53 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement d’exécution 2019/1661.
Sur les dépens
54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
1) La position 1516 de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, dans sa version résultant du règlement d’exécution (UE) 2018/1602 de la Commission, du 11 octobre 2018,
doit être interprétée en ce sens que :
elle ne couvre pas une huile de poisson se présentant sous la forme d’esters éthyliques, obtenue par estérification d’acides gras avec de l’éthanol.
2) L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement d’exécution (UE) 2019/1661 de la Commission, du 24 septembre 2019, relatif au classement de certaines marchandises dans la nomenclature combinée.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.