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21/11/2024 | CJUE | N°C-297/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Harley-Davidson Europe Ltd et Neovia Logistics Services International contre Commission européenne., 21/11/2024, C-297/23


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 novembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Politique commerciale commune – Mesures visant à assurer l’exercice par l’Union européenne des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international – Règlement (UE) no 654/2014 – Règlement d’exécution (UE) 2018/886 – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Décisions en matière de renseignements contraignants en matière d’origine (RCO) adoptées par des autorités douanières nationales – R

glement délégué (UE) 2015/2446 – Détermination
de l’origine non préférentielle de certains motocycles Harley-Davidson ...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 novembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Politique commerciale commune – Mesures visant à assurer l’exercice par l’Union européenne des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international – Règlement (UE) no 654/2014 – Règlement d’exécution (UE) 2018/886 – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Décisions en matière de renseignements contraignants en matière d’origine (RCO) adoptées par des autorités douanières nationales – Règlement délégué (UE) 2015/2446 – Détermination
de l’origine non préférentielle de certains motocycles Harley-Davidson – Notion d’“ouvraisons ou transformations qui ne sont pas économiquement justifiées” – Décision d’exécution de la Commission européenne sur la révocation de décisions en matière de RCO – Délégation de pouvoir – Confiance légitime – Droit à une bonne administration – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire C‑297/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 mai 2023,

Harley-Davidson Europe Ltd, établie à Oxford (Royaume-Uni),

Neovia Logistics Services International NV, établie à Vilvorde (Belgique),

représentées par Me E. Righini, avvocato, et Me S. Völcker, Rechtsanwalt,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mmes F. Clotuche-Duvieusart, M. Kocjan et F. Moro, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, MM. S. Rodin, N. Jääskinen et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, Harley-Davidson Europe Ltd et Neovia Logistics Services International NV demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1er mars 2023, Harley-Davidson Europe et Neovia Logistics Services International/Commission (T‑324/21, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2023:101), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2021/563 de la Commission, du 31 mars 2021, concernant la validité de certaines décisions
relatives aux renseignements contraignants en matière d’origine (JO 2021, L 119, p. 117, ci-après la « décision litigieuse »), adressée au Royaume de Belgique.

Le cadre juridique

Le droit international

2 L’article 2 de l’accord sur les règles d’origine (JO 1994, L 336, p. 144), figurant à l’annexe 1 A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (JO 1994, L 336, p. 3), dispose :

« Jusqu’à ce que le programme de travail pour l’harmonisation des règles d’origine [...] soit achevé, les membres veilleront à ce qui suit :

[...]

b) nonobstant la mesure ou l’instrument de politique commerciale auxquels elles seront liées, leurs règles d’origine ne seront pas utilisées comme des instruments visant à favoriser, directement ou indirectement, la réalisation des objectifs en matière de commerce ;

c) les règles d’origine ne créeront pas en soi d’effets de restriction, de distorsion ou de désorganisation du commerce international. Elles n’imposeront pas de prescriptions indûment rigoureuses ni n’exigeront, comme condition préalable à la détermination du pays d’origine, le respect d’une certaine condition non liée à la fabrication ou à l’ouvraison. Toutefois, les coûts non directement liés à la fabrication ou à l’ouvraison pourront être pris en compte aux fins d’application du critère du
pourcentage ad valorem [...] ;

[...] »

Le droit de l’Union

La réglementation en matière douanière

– Le code des douanes communautaire

3 L’article 25 de règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes communautaire »), était libellé comme suit :

« Une transformation ou ouvraison pour laquelle il est établi, ou pour laquelle les faits constatés justifient la présomption, qu’elle a eu pour seul objet de tourner les dispositions applicables, dans la Communauté [européenne], aux marchandises de pays déterminés, ne peut en aucun cas être considérée comme conférant [...] aux marchandises ainsi obtenues l’origine du pays où elle est effectuée. »

– Le code des douanes de l’Union

4 Les considérants 9 et 55 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, ci-après le « code des douanes de l’Union »), énoncent :

« (9) L’Union [européenne] est fondée sur une union douanière. Il convient, dans l’intérêt tant des opérateurs économiques que des autorités douanières de l’Union, de rassembler la législation douanière actuelle dans un code. Partant de l’idée d’un marché intérieur, ledit code devrait contenir les règles et procédures générales assurant l’application des mesures tarifaires et autres mesures de politique commune instaurées sur le plan de l’Union dans le cadre des échanges de marchandises entre
l’Union et les pays ou territoires situés hors du territoire douanier de l’Union, compte tenu des exigences de ces politiques communes. [...]

[...]

(55) Conformément au principe de proportionnalité énoncé à l’article 5 [TUE], il est nécessaire et approprié, en vue de la réalisation des objectifs de base consistant à permettre à l’union douanière de fonctionner efficacement et à mettre en œuvre la politique commerciale commune, de fixer les règles et procédures générales applicables aux marchandises qui entrent sur le territoire douanier de l’Union ou qui en sortent. [...] »

5 L’article 33 de ce code dispose :

« 1.   Les autorités douanières prennent, sur demande, [...] des décisions en matière de renseignements contraignants en matière d’origine [(ci-après les “décisions RCO”)].

[...]

3.   Les décisions [...] RCO sont valables trois ans à compter de la date à laquelle la décision prend effet.

[...] »

6 Aux termes de l’article 34, paragraphe 11, dudit code :

« La Commission [européenne] peut adopter des décisions demandant aux États membres de révoquer des décisions [...] RCO afin de garantir un classement tarifaire ou une détermination de l’origine corrects et uniformes des marchandises. »

7 L’article 59 du même code dispose :

« Les articles 60 et 61 fixent les règles pour la détermination de l’origine non préférentielle des marchandises aux fins de l’application :

a) du tarif douanier commun [...] ;

b) des mesures autres que tarifaires établies par des dispositions de l’Union spécifiques définies dans le cadre des échanges de marchandises ; et

c) d’autres mesures de l’Union se rapportant à l’origine des marchandises. »

8 L’article 60 du code des douanes de l’Union prévoit :

« 1.   Les marchandises entièrement obtenues dans un même pays ou territoire sont considérées comme originaires de ce pays ou territoire.

2.   Les marchandises dans la production de laquelle interviennent plusieurs pays ou territoires sont considérées comme originaires de celui où elles ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important. »

9 L’article 62 de ce code énonce :

« La Commission est habilitée à adopter des actes délégués [...], établissant les règles selon lesquelles on considère que des marchandises dont l’origine non préférentielle doit être déterminée aux fins de l’application des mesures de l’Union visées à l’article 59 ont été entièrement obtenues dans un même pays ou territoire, ou ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la
fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important dans un pays ou territoire donné, conformément à l’article 60. »

– Le règlement délégué (UE) 2015/2446

10 Aux termes du considérant 21 du règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission, du 28 juillet 2015, complétant le règlement (UE) no 952/2013 au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 1) :

« Afin d’empêcher toute manipulation de l’origine des marchandises importées dans le but d’éviter l’application de mesures de politique commerciale, il convient dans certains cas de considérer la dernière ouvraison ou transformation substantielle comme n’étant pas économiquement justifiée. »

11 L’article 33 du règlement délégué 2015/2446, intitulé « Ouvraisons ou transformations qui ne sont pas économiquement justifiées (Article 60, paragraphe 2, du code [des douanes de l’Union]) », était libellé comme suit :

« Toute ouvraison ou toute transformation effectuée dans un autre pays ou un autre territoire est réputée ne pas être économiquement justifiée s’il est établi, sur la base des éléments de fait disponibles, que l’objectif de cette opération était d’éviter l’application des mesures visées à l’article 59 du code [des douanes de l’Union].

[...]

Pour les marchandises qui ne relèvent pas de l’annexe 22-01, si la dernière ouvraison ou transformation est réputée ne pas être économiquement justifiée, les marchandises sont considérées comme ayant subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important, dans le pays ou territoire dont est originaire la majeure partie des matières, déterminée sur la base de la
valeur des matières. »

La réglementation relative à la politique commerciale commune

– Le règlement (UE) no 654/2014

12 L’article 3 du règlement (UE) no 654/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international et modifiant le règlement (CE) no 3286/94 du Conseil arrêtant des procédures communautaires en matière de politique commerciale commune en vue d’assurer l’exercice par la Communauté des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international, en particulier celles instituées
sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (JO 2014, L 189, p. 50), dispose :

« Le présent règlement s’applique :

[...]

c) pour le rééquilibrage de concessions ou autres obligations, auquel l’application d’une mesure de sauvegarde par un pays tiers peut donner droit en vertu de l’article 8 de l’accord de l’OMC sur les mesures de sauvegarde ou des dispositions concernant les mesures de sauvegarde incluses dans d’autres accords commerciaux internationaux, y compris des accords régionaux ou bilatéraux ;

[...] »

13 L’article 4 du règlement no 654/2014 prévoit :

« 1.   Lorsque des mesures sont nécessaires pour sauvegarder les intérêts de l’Union dans les cas visés à l’article 3, la Commission adopte un acte d’exécution déterminant les mesures de politique commerciale appropriées. [...]

2.   Les actes d’exécution adoptés conformément au paragraphe 1 satisfont aux conditions suivantes :

[...]

c) en cas de rééquilibrage de concessions ou d’autres obligations au titre de dispositions relatives aux mesures de sauvegarde d’accords commerciaux internationaux, les mesures prises par l’Union sont substantiellement équivalentes au niveau des concessions ou autres obligations affectées par les mesures de sauvegarde, conformément aux conditions de l’accord de l’OMC sur les mesures de sauvegarde ou des dispositions en matière de mesures de sauvegarde d’autres accords commerciaux internationaux,
y compris d’accords régionaux ou bilatéraux, au titre desquels la mesure de sauvegarde est appliquée ;

[...] »

– Le règlement d’exécution (UE) 2018/724

14 L’article 1er du règlement d’exécution (UE) 2018/724 de la Commission, du 16 mai 2018, concernant certaines mesures de politique commerciale visant certains produits originaires des États-Unis d’Amérique (JO 2018, L 122, p. 14), est libellé comme suit :

« La Commission informe immédiatement, et en tout état de cause au plus tard le 18 mai 2018, le Conseil du commerce des marchandises de l’OMC, par un avis écrit, qu’en l’absence de désaccord de sa part, l’Union suspend, à compter du 20 juin 2018, l’application au commerce des États-Unis de concessions de droits à l’importation au titre [de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)] de 1994 pour les produits énumérés à l’annexe I et à l’annexe II, de manière à permettre une
application de droits de douane additionnels sur l’importation de ces produits originaires des États-Unis. »

– Le règlement d’exécution (UE) 2018/886

15 Conformément à l’article 1er du règlement d’exécution (UE) 2018/886 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant certaines mesures de politique commerciale visant certains produits originaires des États-Unis d’Amérique, et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2018/724 (JO 2018, L 158, p. 5), l’Union applique des droits de douane additionnels sur les importations dans l’Union de certains produits originaires des États-Unis d’Amérique, parmi lesquels figurent les motocycles à moteur à piston
alternatif d’une cylindrée excédant 800 cm3. Il résulte de l’article 2 du règlement d’exécution 2018/886 que ces produits font l’objet, en sus du taux du droit conventionnel de 6 %, de droits de douane additionnels d’un taux de 25 % lors d’une première étape à compter du 22 juin 2018, puis d’autres droits de douane additionnels d’un taux de 25 % lors d’une seconde étape à compter, en substance, du 1er juin 2021 au plus tard.

Les antécédents du litige

16 Les antécédents du litige sont exposés aux points 20 à 38 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés comme suit.

17 En juin 2018, le gouvernement des États-Unis d’Amérique a institué des droits de douane additionnels de 25 % et de 10 % portant, respectivement, sur les importations d’acier et sur les importations d’aluminium en provenance de l’Union, dans le but de favoriser et d’augmenter la production nationale de ces produits. En réponse à l’instauration de ces droits de douane additionnels, la Commission a adopté le règlement d’exécution 2018/886, prévoyant l’application de droits de douane additionnels sur
l’importation de certains produits originaires des États-Unis, y compris les motocycles à moteur à piston alternatif d’une cylindrée excédant 800 cm3.

18 Harley-Davidson Inc., une entreprise américaine spécialisée dans la construction de motocycles, a pris connaissance de ces derniers droits de douane additionnels à la suite de la publication de ce règlement d’exécution au Journal officiel de l’Union européenne.

19 Le 25 juin 2018, Harley-Davidson a présenté à la Securities and Exchange Commission (commission des opérations de bourse, États-Unis) un rapport sur formulaire intitulé « Form 8-K Current Report » (ci-après le « formulaire 8-K »), destiné à informer ses actionnaires de l’application des droits de douane additionnels adoptés par l’Union au moyen du règlement d’exécution 2018/886, ainsi que de leurs conséquences sur son activité.

20 Dans le formulaire 8-K, Harley-Davidson a en particulier indiqué ce qui suit :

« L’Union européenne a adopté des droits de douane sur divers produits fabriqués aux États-Unis, dont les motocycles Harley-Davidson. Ces droits, qui sont entrés en vigueur le 22 juin 2018, ont été imposés en réponse aux droits de douane que les États-Unis ont imposés sur l’acier et l’aluminium exportés de [l’Union] vers les États-Unis.

Par conséquent, les droits de douane de [l’Union] sur les motocycles Harley-Davidson exportés depuis les États-Unis sont passés de 6 % à 31 %. Harley-Davidson estime que ces droits de douane entraîneront un coût supplémentaire d’environ 2200 [dollars des États-Unis (USD)] par motocycle exporté des États-Unis vers [l’Union].

[...]

Pour faire face au coût substantiel de cette charge tarifaire à long terme, Harley-Davidson va mettre en œuvre un plan visant à déplacer la production des motocycles destinés à [l’Union] des États-Unis vers ses installations internationales afin d’éviter la charge tarifaire. Harley-Davidson prévoit que l’augmentation de la production dans les usines internationales nécessitera des investissements supplémentaires et pourrait prendre au moins 9 à 18 mois avant d’être complètement achevée ».

21 À la suite de la publication du formulaire 8-K, Harley-Davidson a choisi son usine en Thaïlande comme site de production de certains de ses motocycles destinés au marché de l’Union.

22 Harley-Davidson a souhaité obtenir des assurances à propos de la détermination du pays d’origine de ces motocycles. Ainsi, Harley-Davidson et Neovia Logistics Services International, un intermédiaire qui fournit des services d’assistance logistique à Harley-Davidson dans le cadre de ses opérations d’importation de motocycles dans l’Union par la Belgique, ont déposé conjointement, le 25 janvier 2019, deux premières demandes formelles de décisions RCO, concernant deux familles de motocycles, auprès
des autorités douanières belges. Trois autres demandes de décisions RCO, concernant trois autres familles de motocycles, ont été déposées ultérieurement.

23 Le 31 janvier 2019, les autorités belges ont participé à une réunion avec la Commission au sujet des deux premières demandes de décisions RCO. À l’issue de cette réunion, la Commission a rendu un avis informel selon lequel, en raison des informations figurant dans le formulaire 8-K, le critère de la justification économique, au sens de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446, pourrait ne pas être rempli. Malgré les demandes des autorités belges, la Commission n’a toutefois jamais rendu d’avis
formel au sujet de l’applicabilité de cette disposition aux faits de l’espèce.

24 Le 24 juin 2019, en application de l’article 33, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, les autorités douanières belges ont adopté deux décisions RCO, par lesquelles elles ont reconnu et certifié que les deux familles de motocycles visées dans les deux premières demandes de décisions RCO, mentionnées au point 22 du présent arrêt, étaient originaires de Thaïlande. Les trois autres demandes de décisions RCO également mentionnées au point 22 du présent arrêt ont, ultérieurement, fait l’objet
du même traitement par ces autorités. Les deux premières décisions RCO ont été notifiées à la Commission par lesdites autorités le 21 août 2019.

25 Le 5 octobre 2020, la Commission a informé les autorités belges de son intention de leur demander de révoquer les deux premières décisions RCO. Le 13 novembre 2020, les autorités belges ont répondu à la Commission qu’elles s’opposaient à une telle demande de révocation. Le 23 décembre 2020, la Commission a lancé une procédure formelle en vue de l’adoption de la décision litigieuse.

26 Le 5 mars 2021, la Commission a soumis le projet de décision litigieuse à toutes les délégations nationales du comité du code des douanes de l’Union, section « Origine », dans le cadre d’une procédure consultative écrite. Quatre États membres ont envoyé des observations sur le projet de décision litigieuse et se sont opposés à l’avis exprimé par la Commission dans ce projet. Le 29 mars 2021, la Commission a adressé une note de synthèse au comité du code des douanes de l’Union, section
« Origine », dans laquelle elle a indiqué que les 23 États membres qui n’avaient pas pris position avaient, tacitement, marqué leur accord avec le projet de décision litigieuse.

27 Le 31 mars 2021, la Commission a adopté la décision litigieuse, qu’elle a notifiée au Royaume de Belgique le 6 avril 2021 et qui a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le lendemain, demandant aux autorités belges de révoquer les deux premières décisions RCO.

28 Aux considérants 6, 7 et 9 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué :

« (6) À la suite de la publication des mesures de politique commerciale de l’Union européenne, [Harley-Davidson] a communiqué, au moyen [du] formulaire 8-K [...] présenté en juin 2018 à la [commission des opérations de bourse], son projet de transfert de la production de certains motocycles destinés au marché de l’Union européenne des États-Unis d’Amérique vers ses installations internationales situées dans un autre pays, afin d’éviter les mesures de politique commerciale de l’Union européenne.

(7) Même si le fait d’éviter les mesures de politique commerciale ne constitue pas nécessairement le seul objectif du transfert de la production, les conditions visées à l’article 33, premier alinéa, [du règlement délégué 2015/2446] sont remplies sur la base des informations disponibles. L’ouvraison ou la transformation effectuée dans le dernier pays de production est donc réputée ne pas être économiquement justifiée. En conséquence, la détermination de l’origine non préférentielle des motocycles
doit être fondée sur le troisième alinéa dudit article.

[...]

(9) Étant donné que la détermination de l’origine non préférentielle des motocycles couverts par les décisions RCO visées en annexe n’est pas fondée sur la règle énoncée à l’article 33, troisième alinéa, [du règlement délégué 2015/2446], la Commission estime que cette détermination de l’origine non préférentielle est incompatible avec l’article 60, paragraphe 2, du [code des douanes de l’Union], en liaison avec l’article 33 [du règlement délégué 2015/2446]. »

29 À la suite de l’adoption de la décision litigieuse, les autorités belges ont, par courrier du 16 avril 2021 adressé à Neovia Logistics Services International, informé les requérantes qu’elles révoquaient les cinq décisions RCO adoptées concernant l’importation dans l’Union des motocycles fabriqués en Thaïlande par Harley-Davidson.

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

30 Par leur recours devant le Tribunal, Harley-Davidson Europe et Neovia Logistics Services International ont demandé, notamment, l’annulation de la décision litigieuse.

31 Dans le cadre de ce recours, les requérantes ont soulevé six moyens d’annulation, tirés :

– le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et de la procédure consultative préalable à l’adoption de la décision litigieuse ;

– le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation ;

– le troisième, d’une interprétation et d’une application erronées de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 ;

– le quatrième, de l’illégalité de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 ;

– le cinquième, de la violation de principes généraux du droit de l’Union et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et

– le sixième, d’un abus de pouvoir de la Commission à des fins politiques.

32 Par l’arrêt attaqué, ayant écarté ces six moyens d’annulation, le Tribunal a rejeté ledit recours dans son intégralité.

Les conclusions des parties au pourvoi

33 Les requérantes demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens qu’elles ont exposés devant la Cour et devant le Tribunal.

34 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérantes aux dépens.

Sur le pourvoi

35 À l’appui du pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens, tirés, le premier, d’une interprétation erronée de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446, le deuxième, présenté à titre subsidiaire, d’un dépassement des limites de la délégation contenue à l’article 62 du code des douanes de l’Union et, le troisième, d’une violation du droit à une bonne administration.

Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446

Argumentation des parties

36 Le premier moyen du pourvoi, qui est divisé en trois branches, vise l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446.

37 Par la première branche de ce moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a méconnu l’objectif et le contexte de cette disposition.

38 L’objectif de ladite disposition consisterait à préciser le contenu de l’article 60, paragraphe 2, du code des douanes de l’Union, qui définirait l’origine d’un produit selon un critère factuel, consistant à identifier le dernier pays ou territoire dans lequel une valeur ajoutée significative a été apportée. Le Tribunal aurait transformé ce critère objectif en un critère subjectif, en permettant à la Commission de procéder à une appréciation hiérarchisée d’éléments subjectifs.

39 Or, l’article 25 du code des douanes communautaire, qui reposait sur un critère subjectif, aurait été supprimé en raison des problèmes systémiques et des difficultés de mise en œuvre qu’il posait. Ce critère était, selon les requérantes, un facteur d’insécurité juridique et était en contradiction avec l’article 2 de l’accord sur les règles d’origine, qui interdit que celles-ci soient utilisées comme des instruments visant à favoriser la réalisation des objectifs en matière de commerce ou qu’elles
prévoient des conditions non liées à la fabrication ou à l’ouvraison.

40 L’article 33 du règlement délégué 2015/2446, tel qu’interprété dans l’arrêt attaqué, introduirait une présomption, extrêmement difficile à réfuter, selon laquelle, dans l’hypothèse où une délocalisation coïncide avec l’adoption d’une mesure de politique commerciale, le contournement de cette mesure constitue le motif principal de cette délocalisation, sans égard aux justifications économiques de celle-ci.

41 Par ailleurs, à la lumière de l’objectif, indiqué au considérant 21 du règlement délégué 2015/2446, consistant à empêcher toute « manipulation » de l’origine des marchandises importées dans le but d’éviter l’application de mesures de politique commerciale, l’article 33 de ce règlement délégué serait une clause anti-contournement, qui devrait, comme en matière fiscale ou de droits antidumping, être interprétée de manière stricte. Cette disposition viserait uniquement les délocalisations n’ayant
manifestement aucun sens en l’absence des mesures de politique commerciale en cause, à l’instar de l’article 13 du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21).

42 Par la deuxième branche du premier moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a interprété l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 d’une manière telle que toute réaction d’une entreprise à des mesures de politique commerciale de l’Union constitue, de manière presque irréfragable, une violation de cette disposition.

43 Au lieu de déterminer si la délocalisation avait un motif raisonnable non lié au contournement de mesures de politique commerciale de l’Union, le Tribunal aurait autorisé, en pratique, la Commission à redéfinir le pays d’origine de façon à ce que celui-ci corresponde aux objectifs de ces mesures. Il aurait imposé aux requérantes la charge de réfuter la présomption de violation de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446, alors même qu’un opérateur économique serait libre de déterminer sa
propre politique commerciale en fonction de considérations d’efficacité commerciale, comme lorsque, par exemple, il exerce son droit de structurer son activité de manière à limiter sa dette fiscale, qui aurait été reconnu au point 73 de l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121).

44 En outre, le Tribunal aurait considéré à tort que l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 ne restreint pas la liberté d’entreprise, alors que l’interprétation retenue dans l’arrêt attaqué limiterait indûment la liberté des entreprises de choisir leur lieu de production. Le fait que, suivant le raisonnement du Tribunal, des modèles nouveaux de motocycles, qui n’ont été construits qu’en Thaïlande, devraient être considérés comme ayant leur origine aux États-Unis constituerait une limitation
supplémentaire de cette liberté.

45 Par la troisième branche du premier moyen, les requérantes affirment que l’arrêt attaqué contient une erreur de droit quant au niveau de preuve que devrait atteindre la Commission pour faire supporter à l’opérateur économique la charge de démontrer que la délocalisation de son activité est économiquement justifiée. Le Tribunal aurait commis une erreur en considérant qu’une coïncidence temporelle entre l’adoption d’une mesure de politique commerciale et la délocalisation suffit à établir la
présomption selon laquelle cette dernière n’est pas économiquement justifiée. Il aurait, par son raisonnement, interprété de manière erronée le point 29 de l’arrêt du 13 décembre 1989, Brother International (C‑26/88, EU:C:1989:637).

46 Par ailleurs, le Tribunal aurait interprété de manière sélective la notion d’« éléments de fait disponibles », au sens de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446, en s’appuyant uniquement sur le formulaire 8-K pour faire peser la charge de la preuve sur les requérantes. Dès lors que cette disposition obligeait le Tribunal à examiner tous les éléments de fait disponibles, celui-ci, en s’abstenant de prendre en compte des éléments de preuve postérieurs à la publication de ce formulaire, aurait
dénaturé ces éléments et commis une erreur manifeste d’appréciation. À la lumière des éléments de preuve existants, la Cour devrait constater que le Tribunal a commis une erreur, car, si l’adoption de la mesure de politique commerciale en cause aurait certes été le fait générateur de la délocalisation, celle-ci n’aurait pas nécessairement eu comme objectif principal ou dominant de se soustraire à cette mesure.

47 La Commission considère que les arguments développés dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, relatifs à la dénaturation des éléments de preuve, sont irrecevables, au motif que les requérantes n’ont pas expliqué précisément quelles seraient les erreurs d’analyse du Tribunal. En tout état de cause, ce premier moyen serait non fondé.

Appréciation de la Cour

48 Par les deux premières branches du premier moyen de pourvoi, qu’il convient de traiter conjointement, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir interprété erronément le critère prévu à l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, en vertu duquel toute ouvraison ou transformation effectuée dans un autre pays ou un autre territoire est réputée ne pas être économiquement justifiée « s’il est établi, sur la base des éléments de fait disponibles, que l’objectif de cette opération
était d’éviter l’application des mesures visées à l’article 59 du code [des douanes de l’Union] », telles que celles en cause en l’espèce.

49 En premier lieu, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a interprété l’expression « l’objectif de cette opération était d’éviter », figurant à cette disposition, en tenant compte de ce que le terme « objectif » est utilisé dans cette expression au singulier, en ce sens que, si le choix de délocaliser la production peut ne pas avoir pour seul objectif d’éviter une mesure de politique commerciale, cet objectif doit néanmoins être déterminant. Au point 62 de cet arrêt, le Tribunal a conclu que
ladite disposition doit être interprétée en ce sens que, si, sur la base des éléments de fait disponibles, il apparaît que l’objectif principal ou dominant d’une délocalisation était d’éviter l’application de mesures de politique commerciale de l’Union, il convient alors de considérer cette délocalisation comme ne pouvant pas, par principe, être économiquement justifiée.

50 Or, cette interprétation n’est entachée d’aucune erreur de droit. En particulier, contrairement à ce que font valoir les requérantes, l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 ne saurait être interprété comme visant uniquement les délocalisations n’ayant manifestement aucun sens en l’absence des mesures de politique commerciale en cause.

51 Premièrement, pour autant que les requérantes invoquent, par analogie, l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121), au point 73 duquel la Cour a jugé, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qu’un opérateur économique est autorisé à structurer son activité de manière à limiter sa dette fiscale, il y a lieu de constater que, même à supposer que cet arrêt puisse être appliqué par analogie à la situation en cause en l’espèce, l’argument des requérantes repose sur une lecture
partielle de celui-ci.

52 En effet, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a donné à l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 une interprétation analogue à celle retenue par la Cour en matière de taxe sur la valeur ajoutée aux points 75 et 86 de l’arrêt du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121), à savoir que la constatation de l’existence d’une pratique abusive exige notamment qu’il résulte d’un ensemble d’éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel
l’obtention d’un avantage fiscal.

53 Deuxièmement, l’interprétation retenue par le Tribunal au point 62 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le critère décisif pour appliquer cet article 33 est l’objectif principal ou dominant d’une opération, est nécessaire pour assurer l’effet utile de cette disposition. En effet, celle-ci serait largement privée de son efficacité si elle devait être interprétée comme ne s’appliquant pas en raison du seul fait que, outre l’objectif principal ou dominant d’éviter l’application de mesures de politique
commerciale de l’Union, une délocalisation vise également d’autres objectifs d’ordre secondaire.

54 Troisièmement, en ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel l’interprétation par le Tribunal de l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, qui confirme en substance celle retenue par la Commission dans la décision litigieuse, porte atteinte à leur liberté d’entreprise, il y a lieu de constater qu’elles critiquent le point 184 de cet arrêt, formulé dans le cadre de la réponse du Tribunal à l’argument analogue invoqué devant lui. En revanche, les requérantes ne
visent pas, dans leur pourvoi, le point 183 dudit arrêt, par lequel le Tribunal a constaté qu’elles n’ont pas précisé les éléments de fait qui seraient de nature à démontrer que la décision litigieuse aurait limité de manière disproportionnée leur droit de propriété ou leur liberté d’entreprise.

55 En outre, s’agissant du point 184 de l’arrêt attaqué, le Tribunal y a affirmé, à titre surabondant, qu’une éventuelle limitation du droit de propriété ou de la liberté d’entreprise des requérantes, à la supposer même établie, serait la conséquence non pas de la décision litigieuse, mais du règlement d’exécution 2018/886, qui a instauré les droits de douane additionnels.

56 Partant, l’argumentation des requérantes relative à une prétendue violation de leur liberté d’entreprise est inopérante.

57 Quatrièmement, contrairement à ce que font valoir les requérantes, il ne saurait être déduit du considérant 21 du règlement délégué 2015/2446, indiquant qu’il convient d’empêcher toute « manipulation » de l’origine des marchandises importées dans le but d’éviter l’application de mesures de politique commerciale, que l’article 33, premier alinéa, de ce règlement délégué devrait être interprété comme visant uniquement les délocalisations n’ayant manifestement aucun sens en l’absence des mesures de
politique commerciale en cause, comme tel serait le cas pour le « contournement » de droits antidumping, défini à l’article 13 du règlement 2016/1036.

58 Tout d’abord, aucun enseignement ne saurait être tiré de cette dernière disposition en vue de l’interprétation de l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, dès lors qu’elle porte sur une autre matière et qu’elle est rédigée en des termes très différents de ceux de cet article 33, lequel ne contient ni le terme « contournement » ni la définition détaillée que l’article 13 du règlement 2016/1036 donne de ce terme.

59 Ensuite, il y a lieu de relever que l’expression « toute manipulation », figurant au considérant 21 de ce règlement délégué, est susceptible de couvrir un vaste éventail d’actions volontaires aboutissant à ce que des marchandises importées changent d’origine. Il ressort des termes mêmes de ce considérant que, parmi ces actions, celles qu’il convient d’empêcher sont celles effectuées dans le but d’éviter l’application de mesures de politique commerciale. Or, la mention de ce but, d’ailleurs sans
indication de son caractère exclusif, serait superflue et n’aurait pas d’effet utile si le terme « manipulation » était interprété comme se référant déjà, en tant que tel, aux seules actions qui n’ont pas d’autre but que d’éviter l’application de mesures de politique commerciale de l’Union, telles que celles résultant du règlement d’exécution 2018/886.

60 Enfin, le terme « manipulation » ne figurant pas à l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, il ne saurait, en tout état de cause, permettre d’interpréter cette disposition d’une manière qui serait incompatible avec son libellé et son économie. Or, l’interprétation proposée par les requérantes non seulement ne trouve aucun appui dans le libellé et l’économie de ladite disposition, mais elle porterait également atteinte à son effet utile, ainsi qu’il a été relevé au point 53 du
présent arrêt.

61 Il découle de ce qui précède que le Tribunal n’a pas commis d’erreur aux points 58 et 62 de l’arrêt attaqué en jugeant que le critère décisif pour appliquer l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 est l’objectif principal ou dominant de l’opération en cause.

62 En deuxième lieu, sur la base de cette interprétation, le Tribunal a considéré, au point 63 de l’arrêt attaqué, que, lorsque, sur la base des éléments de fait disponibles, il apparaît que l’objectif principal ou dominant d’une délocalisation était d’éviter l’application de mesures de politique commerciale de l’Union, il appartient à l’opérateur économique concerné de rapporter la preuve que l’objectif principal ou dominant de cette délocalisation n’était pas, au moment où la décision concernant
celle-ci est intervenue, d’éviter l’application de telles mesures. Selon le Tribunal, une telle preuve se distingue de la recherche a posteriori d’une justification économique ou de la rationalité économique de ladite délocalisation.

63 Par ce raisonnement, le Tribunal n’a nullement établi une présomption irréfragable ou, du moins, extrêmement difficile à réfuter. Au contraire, celui-ci a simplement tiré les conséquences du fait que l’objectif principal ou dominant de l’opération en cause doit pouvoir être établi sur la base d’éléments objectifs, à savoir les éléments de fait disponibles.

64 En effet, il résulte du libellé clair de l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 que cette disposition est applicable uniquement lorsque les éléments de fait disponibles sont de nature à établir que l’objectif du comportement de l’entreprise concernée était d’éviter l’application de la mesure de politique commerciale en cause. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où tel est effectivement le cas que les autorités compétentes sont tenues, en vertu de cette disposition, de
considérer cette opération comme n’étant pas économiquement justifiée.

65 Or, dans une telle hypothèse, soit il n’existe pas d’éléments factuels de nature à établir qu’un autre objectif est l’objectif principal ou dominant de ladite opération, auquel cas l’application de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 est obligatoire, soit de tels éléments factuels existent, mais les autorités compétentes n’en disposent pas. Dans ce contexte, il est justifié qu’il revienne à l’entreprise concernée, qui est la plus à même, voire la seule susceptible, de disposer de ces
éléments, de les fournir aux autorités compétentes.

66 À cet égard, l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 ne définit aucune caractéristique particulière que les éléments de fait « disponibles » doivent présenter, notamment sur le plan temporel. Partant, il n’est pas exclu que des éléments de fait deviennent « disponibles » après la décision d’effectuer l’opération en cause, voire après la réalisation de cette opération. Toutefois, l’objectif principal ou dominant de ladite opération ne peut être apprécié que, au plus tard, au moment où celle-ci
a été décidée, comme le confirme l’emploi du passé dans l’expression « l’objectif [...] était d’éviter l’application ». Il est d’ailleurs impossible que cette décision ait été influencée par des considérations qui lui sont postérieures.

67 En troisième lieu, contrairement à l’argumentation des requérantes, il ne résulte pas du raisonnement du Tribunal qu’il est permis à la Commission de procéder à une appréciation subjective des objectifs d’une opération ou de présumer l’importance respective de ces objectifs.

68 L’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 impose certes d’identifier un élément subjectif, à savoir l’intention d’éviter l’application d’une mesure de politique commerciale. Toutefois, cette disposition vise à établir l’objectif principal ou dominant de l’opération examinée de manière objective, en se fondant sur les éléments de fait disponibles. Partant, comme indiqué au point 75 de l’arrêt attaqué, le constat du caractère déterminant de l’intention d’éviter l’application
d’une mesure de politique commerciale doit reposer sur des éléments de preuve objectifs.

69 À cet égard, l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 présente des différences fondamentales par rapport à l’article 25 du code des douanes communautaire, qui, se référant à l’opération en cause, employait l’expression « a eu pour seul objet de tourner les dispositions applicables » et prévoyait la possibilité de recourir à une présomption afin d’établir un tel objet. Partant, il n’existe aucune incompatibilité entre l’arrêt attaqué et la volonté du législateur de supprimer
cette dernière disposition.

70 Il découle des constatations qui précèdent que l’incompatibilité, invoquée par les requérantes, de l’article 25 du code des douanes communautaire avec l’article 2 de l’accord sur les règles d’origine ne peut être considérée comme pertinente pour apprécier l’interprétation donnée à l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 dans l’arrêt attaqué. En effet, cet argument des requérantes est fondé sur la prémisse que le Tribunal a transformé en critère subjectif le critère objectif
contenu dans cet article 33, premier alinéa. Or, ainsi qu’il est constaté aux points 67 et 68 du présent arrêt, cette prémisse est erronée.

71 Au vu de ce qui précède, il convient d’écarter les deux premières branches du premier moyen de pourvoi.

72 La troisième branche du premier moyen porte sur le régime probatoire établi aux points 70 et 71 de l’arrêt attaqué. Au point 70, le Tribunal a constaté une coïncidence temporelle entre l’entrée en vigueur du règlement d’exécution 2018/886, qui a instauré les droits de douane additionnels, et l’annonce de l’opération de délocalisation en cause. En se référant au point 29 de l’arrêt du 13 décembre 1989, Brother International (C‑26/88, EU:C:1989:637), le Tribunal a considéré qu’une telle coïncidence
temporelle est de nature à justifier la présomption selon laquelle une délocalisation a pour but d’éviter l’application de mesures de politique commerciale.

73 À la première phrase du point 71 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué qu’il ressort de ce point 29 que, en présence d’une telle coïncidence temporelle, il appartient à l’opérateur économique concerné d’apporter la preuve d’un motif raisonnable, autre que celui d’échapper aux conséquences découlant des dispositions en cause, pour la réalisation des opérations de fabrication dans le pays où la production a été délocalisée.

74 À cet égard, il y a lieu d’observer que les points 70 et 71 de l’arrêt attaqué ne méconnaissent pas le sens du point 29 de l’arrêt du 13 décembre 1989, Brother International (C‑26/88, EU:C:1989:637), invoqué par les requérantes devant le Tribunal. Dans ce point 29, la Cour a jugé que, dans le cas d’une coïncidence temporelle entre l’entrée en vigueur de la réglementation pertinente et le transfert de l’assemblage des composants d’un produit, il appartient à l’opérateur économique concerné
d’apporter la preuve d’un motif raisonnable de ce transfert afin de réfuter la présomption selon laquelle ledit transfert a été effectué afin d’échapper aux conséquences découlant de cette réglementation.

75 Ce point 29 contient certes une interprétation de l’article 6 du règlement (CEE) no 802/68 du Conseil, du 27 juin 1968, relatif à la définition commune de la notion d’origine des marchandises (JO 1968, L 148, p. 1). Cette disposition correspond, en substance, à l’article 25 du code des douanes communautaire, qui, comme indiqué au point 69 du présent arrêt, se caractérise par des différences fondamentales par rapport à l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, dès lors qu’il
prévoyait expressément la possibilité de recourir à une présomption.

76 Cela étant, le raisonnement du Tribunal n’est pas entaché d’erreur, puisque l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 exige d’établir, sur la base des éléments de fait disponibles, l’objectif de l’opération, qu’il convient d’interpréter comme l’objectif principal ou dominant, comme l’a jugé à bon droit le Tribunal aux points 58 et 62 de l’arrêt attaqué.

77 Or, au point 70 de son arrêt, le Tribunal s’est bien fondé sur les éléments de fait disponibles, en visant aussi bien l’objectif de la délocalisation de sa production, indiqué par Harley-Davidson dans le formulaire 8-K, que la coïncidence temporelle entre l’entrée en vigueur du règlement d’exécution 2018/886 et l’annonce de cette opération de délocalisation.

78 Ainsi, au point 70 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a notamment constaté que, en indiquant uniquement, dans le formulaire 8-K, qu’elle souhaitait, en délocalisant sa production, « éviter la charge tarifaire » résultant de l’entrée en vigueur des droits de douane additionnels, Harley-Davidson avait pour objectif principal ou dominant d’éviter l’application de ces mesures de politique commerciale. Le Tribunal a souligné à cet égard qu’il ressort clairement de l’objet et du contenu du formulaire 8-K
que celui-ci, daté du 25 juin 2018, a été publié en réaction immédiate à la publication du règlement d’exécution 2018/886, seulement cinq jours après ladite publication et trois jours après l’entrée en vigueur de ce règlement d’exécution.

79 Sur la base de ces éléments, le Tribunal pouvait, sans violer l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446, considérer qu’il était établi à première vue que la délocalisation en cause avait pour but d’éviter l’application des mesures de politique commerciale. Il appartenait alors à l’opérateur économique concerné d’apporter la preuve d’un motif raisonnable différent, qui aurait montré que l’objectif principal ou dominant de l’opération était étranger à ce but.

80 S’agissant de la prétendue dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal, il y a lieu de constater que les requérantes demandent, en réalité, une nouvelle appréciation des éléments de preuve, sans indiquer de manière suffisamment précise la dénaturation reprochée au Tribunal ni démontrer les erreurs d’analyse qui, dans leur appréciation, auraient conduit celui-ci à commettre cette dénaturation. Une telle contestation est, dès lors, irrecevable au stade du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du
8 juin 2023, Severstal et NLMK/Commission, C‑747/21 P et C‑748/21 P, EU:C:2023:459, point 52).

81 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter également la troisième branche du premier moyen de pourvoi et, partant, d’écarter ce moyen dans son ensemble.

Sur le deuxième moyen, tiré d’un dépassement des limites de la délégation contenue à l’article 62 du code des douanes de l’Union

Argumentation des parties

82 Par le deuxième moyen, présenté à titre subsidiaire, les requérantes reprochent au Tribunal une erreur de droit qui serait contenue aux points 86 à 90 de l’arrêt attaqué. L’article 33 du règlement délégué 2015/2446, tel qu’interprété dans l’arrêt attaqué, violerait l’article 290 TFUE, en modifiant certains éléments essentiels de l’article 60, paragraphe 2, du code des douanes de l’Union.

83 Cette interprétation remplacerait le critère objectif prévu à cet article 60, paragraphe 2, fondé sur la justification économique de l’opération, par un critère subjectif, fondé sur l’intention de l’opérateur économique. Ladite interprétation reviendrait à admettre que la Commission a opéré un choix politique, allant à l’encontre du choix politique du législateur qui consistait, en supprimant l’article 25 du code des douanes communautaire, à renoncer à ce critère subjectif. La même interprétation
porterait atteinte à la hiérarchie des normes et à la sécurité juridique en créant un droit différent dans l’acte délégué par rapport à l’acte législatif.

84 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

85 Le deuxième moyen vise à faire constater l’illégalité de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 tel qu’interprété par le Tribunal.

86 Dès lors que les dispositions du droit de l’Union ne peuvent être considérées comme invalides lorsqu’elles peuvent recevoir une interprétation qui en assure la conformité aux règles de droit supérieures [voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2023, Ligue des droits humains (Vérification du traitement des données par l’autorité de contrôle), C‑333/22, EU:C:2023:874, point 57], ce moyen ne peut être compris que comme contestant, en substance, l’interprétation donnée par le Tribunal à l’article 33,
premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446.

87 Cela étant, l’argumentation des requérantes part de la prémisse que le Tribunal a interprété l’article 33, premier alinéa, du règlement délégué 2015/2446 comme comportant un critère subjectif. Or, comme indiqué aux points 67 et 68 du présent arrêt, cette prémisse est erronée.

88 Par conséquent, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen de pourvoi.

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration

Argumentation des parties

89 Le troisième moyen de pourvoi comprend deux branches.

90 Par la première branche, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 166 à 169 de l’arrêt attaqué, que la violation par la Commission du droit d’être entendu ne justifie pas l’annulation de la décision litigieuse. Il découlerait du point 46 de l’arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709), et du point 56 de l’arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service (C‑265/17 P, EU:C:2019:23), que ce droit
constitue une forme substantielle. Le point décisif serait celui de savoir si l’entreprise concernée aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense.

91 Ce critère serait rempli en l’espèce, car les requérantes auraient pu faire valoir de nombreuses preuves factuelles, produites devant le Tribunal, du fait que la délocalisation était économiquement justifiée. Il faudrait également tenir compte du renversement de la charge de la preuve en raison de la présomption établie dans l’application de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446.

92 Quand bien même la bonne application en l’espèce de l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 dépendrait uniquement de points de droit, ce que les requérantes contestent à la lumière des points 64 et 72 de l’arrêt attaqué, le droit d’avancer des arguments juridiques ferait partie du droit d’être entendu, en particulier compte tenu des divergences de vues entre la Commission et les autorités belges et du refus de cette institution de fournir un avis formel concernant l’interprétation de
l’article 33 du règlement délégué 2015/2446.

93 Par la seconde branche du troisième moyen, les requérantes allèguent que le Tribunal a interprété de manière erronée les principes de confiance légitime et de sécurité juridique ainsi que le droit à une bonne administration.

94 En premier lieu, le Tribunal aurait ignoré, aux points 145 à 147 de l’arrêt attaqué, les points 10 à 12 de l’arrêt du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76), et les points 35 à 38 de l’arrêt du 17 avril 1997, de Compte/Parlement (C‑90/95 P, EU:C:1997:198), dont il résulterait que l’incompatibilité d’un acte juridique avec le droit de l’Union ne constitue pas un obstacle absolu à l’application du principe de confiance légitime. À cet égard, le point décisif serait celui de
savoir si cet acte confère un avantage à un individu.

95 En l’espèce, les décisions RCO auraient créé des attentes légitimes, sur la base desquelles des décisions commerciales majeures, ayant des effets à long terme, auraient été adoptées. Dès lors, la décision litigieuse aurait dû intervenir dans un délai raisonnable. Les décisions RCO étant valables trois ans en vertu de l’article 33, paragraphe 3, du code des douanes de l’Union, leur révocation environ deux ans après leur adoption porterait manifestement atteinte au principe de sécurité juridique et
créerait un préjudice pour les requérantes. En outre, l’article 33 du règlement délégué 2015/2446 ne saurait être qualifié de « précis », qualification qui serait en contradiction avec le caractère inédit de la révocation d’une décision RCO par la Commission.

96 En second lieu, l’analyse relative à la durée de la procédure suivie par la Commission, contenue aux points 175 et 176 de l’arrêt attaqué, ne serait pas fondée en droit. À cet égard, le Tribunal aurait dû tenir compte de l’importance de l’affaire pour la personne concernée. La période pertinente serait celle comprise entre, d’une part, le 31 janvier 2019, date des premières discussions de la Commission avec les autorités belges, ou, à titre subsidiaire, le 24 juin 2019, date d’adoption des deux
premières décisions RCO par les autorités belges, et, d’autre part, le 7 avril 2021, date de publication de la décision litigieuse. La durée de la procédure d’adoption de la décision litigieuse, de 21 ou de 26 mois, ne serait pas justifiée au regard du caractère prétendument évident de l’illégalité des décisions RCO. En tout état de cause, une telle durée irait bien au-delà de ce qui est acceptable.

97 La violation du droit à une bonne administration et du principe général du droit de l’Union exigeant d’agir dans un délai raisonnable imposerait, que ce retard ait entraîné ou non une violation des droits de la défense, d’annuler tant l’arrêt attaqué que la décision litigieuse, la Commission étant forclose à agir tardivement.

98 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

99 La première branche du troisième moyen vise les points 166 à 169 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal, tout en ayant reconnu que la Commission avait manqué à son obligation d’entendre les requérantes avant l’adoption de la décision litigieuse, a jugé que cette irrégularité ne suffisait pas à conduire à l’annulation de cette décision. Ce faisant, le Tribunal a, selon les requérantes, appliqué des critères différents de ceux issus de la jurisprudence de la Cour.

100 À cet égard, au point 162 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, pour que la violation du droit d’être entendu puisse conduire à l’annulation de l’acte en cause, il doit exister une possibilité que la procédure administrative ait pu aboutir à un résultat différent (arrêt du 5 mai 2022, Zhejiang Jiuli Hi-Tech Metals/Commission, C‑718/20 P, EU:C:2022:362, point 49). Ce critère est également rappelé, en substance, au point 167 de l’arrêt attaqué.

101 En se référant, par analogie, au point 98 de l’arrêt du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433), le Tribunal a également considéré, au point 162 de l’arrêt attaqué, qu’il incombe à la partie requérante de rapporter la preuve, en présentant des éléments concrets ou à tout le moins des arguments ou des indices suffisamment fiables et précis, que la décision de la Commission aurait pu être différente, permettant ainsi de caractériser concrètement une atteinte aux droits de
la défense.

102 Ce faisant, le Tribunal a correctement identifié la jurisprudence de la Cour pertinente en ce qui concerne le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu’il découle de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux.

103 En effet, d’une part, le point 46 de l’arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709), invoqué par les requérantes, se réfère au droit à une audition tel que prévu dans le cadre spécifique du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).

104 D’autre part, afin d’obtenir l’annulation d’un acte attaqué sur le fondement de l’article 263 TFUE, il appartient à la personne qui se prévaut d’une violation de ses droits de la défense de démontrer qu’il existe une possibilité que la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de cet acte ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 79 et jurisprudence citée). À cet égard, s’il ne
peut être imposé à la personne qui se prévaut d’une telle irrégularité de démontrer que, en son absence, l’acte concerné aurait eu un contenu plus favorable à ses intérêts, celle-ci doit néanmoins prouver, de manière concrète, qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue (arrêt du 28 septembre 2023, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C‑123/21 P, EU:C:2023:708, point 170 et jurisprudence citée).

105 En application de ce critère, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, après avoir constaté, au point 166 de l’arrêt attaqué, une violation du droit des requérantes d’être entendues, a considéré, aux points 167 à 170, que les preuves factuelles de ce que la délocalisation était « économiquement justifiée » en raison des gains d’efficience économique attendus n’étaient pas susceptibles de créer une possibilité que la procédure administrative puisse aboutir à un résultat différent.

106 En effet, il suffit à cet égard de relever que, au point 170 de cet arrêt, qui n’est pas visé directement par le présent pourvoi et qui renvoie aux points 65 et 66 dudit arrêt, le Tribunal a jugé que les requérantes n’ont pas produit devant lui d’éléments concrets susceptibles de démontrer que la délocalisation en cause avait été justifiée principalement en raison de considérations étrangères à l’instauration des droits de douane additionnels prévus par le règlement d’exécution 2018/886.

107 Dans ces conditions, la première branche du troisième moyen doit être rejetée.

108 La seconde branche du troisième moyen est prise de la violation du principe de confiance légitime et de la violation du droit des requérantes à une bonne administration qui découlerait de la durée de la procédure suivie par la Commission.

109 En premier lieu, au point 144 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, sans que cela soit contesté dans le cadre du présent pourvoi, qu’une décision RCO, prise en application de l’article 33 du code des douanes de l’Union, n’a pas pour objectif et ne saurait avoir pour effet de garantir définitivement à l’opérateur économique que l’origine des marchandises à laquelle cette décision se réfère ne sera pas par la suite modifiée, étant donné que, en vertu de l’article 34, paragraphe 11, de ce
code, la Commission peut adopter des décisions demandant aux États membres de révoquer des décisions RCO afin de garantir un classement tarifaire ou une détermination de l’origine corrects et uniformes des marchandises.

110 Ce faisant, le Tribunal a fait une interprétation exacte de l’article 33 et de l’article 34, paragraphe 11, du code des douanes de l’Union, laquelle n’a d’ailleurs pas été critiquée par les requérantes dans le cadre du présent pourvoi. Cette interprétation constitue un fondement suffisant pour écarter l’argumentation de première instance prise de la violation du principe du respect de la confiance légitime. Par conséquent, ainsi que le relève Mme l’avocate générale au point 105 de ses
conclusions, les motifs par lesquels le Tribunal, aux points 145 à 147 de l’arrêt attaqué, a écarté cette argumentation revêtent un caractère surabondant par rapport à ceux figurant au point 144 de cet arrêt. Les critiques des requérantes visant les points 145 à 147 dudit arrêt doivent, dès lors, être écartées comme étant inopérantes.

111 En second lieu, au point 164 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, que le caractère raisonnable du délai de la procédure doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire. L’enjeu du litige pour l’intéressé fait certes partie de ces circonstances, mais il ne s’agit que d’une circonstance parmi d’autres (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Klein/Commission, C‑430/20 P, EU:C:2022:377, point 72 et jurisprudence citée),
qu’il appartient au Tribunal d’apprécier en tant qu’élément de fait.

112 En outre, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure ne saurait être fixé par référence à une limite maximale précise, déterminée de façon abstraite (arrêt du 12 mai 2022, Klein/Commission, C‑430/20 P, EU:C:2022:377, point 86). Il en va de même pour la détermination du point de départ pour le calcul de cette durée, en l’absence, comme en l’espèce, d’indications précises dans les dispositions applicables.

113 Dans ce contexte, les arguments des requérantes ne sauraient prospérer que s’il était établi que le Tribunal a dénaturé les faits. Or, les requérantes n’invoquent pas une telle dénaturation, se contentant, en substance, de demander une nouvelle appréciation des faits, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2024, Anglo Austrian AAB/BCE et Far-East, C‑579/22 P, EU:C:2024:731, point 147 ainsi que jurisprudence citée).

114 Dans ces conditions, la seconde branche du troisième moyen doit être également rejetée. Partant, ce moyen doit être rejeté dans son ensemble.

115 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, dans la mesure où aucun des moyens du pourvoi n’est accueilli, ce dernier doit être rejeté.

Sur les dépens

116 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

117 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

118 Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents au pourvoi, conformément aux conclusions de la Commission.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Harley-Davidson Europe Ltd et Neovia Logistics Services International NV sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-297/23
Date de la décision : 21/11/2024
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Politique commerciale commune – Mesures visant à assurer l’exercice par l’Union européenne des droits qui lui sont conférés par les règles du commerce international – Règlement (UE) no 654/2014 – Règlement d’exécution (UE) 2018/886 – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Décisions en matière de renseignements contraignants en matière d’origine (RCO) adoptées par des autorités douanières nationales – Règlement délégué (UE) 2015/2446 – Détermination de l’origine non préférentielle de certains motocycles Harley-Davidson – Notion d’“ouvraisons ou transformations qui ne sont pas économiquement justifiées” – Décision d’exécution de la Commission européenne sur la révocation de décisions en matière de RCO – Délégation de pouvoir – Confiance légitime – Droit à une bonne administration – Droit d’être entendu.

Union douanière

Tarif douanier commun

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Harley-Davidson Europe Ltd et Neovia Logistics Services International
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:971

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