ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
19 novembre 2024 ( *1 )
« Manquement d’État – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union – Article 21 TFUE – Droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres – Article 22 TFUE – Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’aux élections au Parlement européen dans l’État membre de résidence dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État – Citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité – Absence du droit d’être membre d’un parti
politique – Articles 2 et 10 TUE – Principe de démocratie – Article 4, paragraphe 2, TUE – Respect de l’identité nationale des États membres – Article 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Rôle des partis politiques dans l’expression de la volonté des citoyens de l’Union »
Dans l’affaire C‑814/21,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 décembre 2021,
Commission européenne, représentée par Mme A. Szmytkowska et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, Mmes E. Borawska-Kędzierska et A. Siwek-Ślusarek, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par :
République tchèque, représentée par Mme A. Edelmannová, MM. T. Müller, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. T. von Danwitz, vice-président, Mme K. Jürimäe, M. C. Lycourgos, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. A. Kumin et D. Gratsias, présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele (rapporteure), M. Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2023,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en refusant aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise mais qui résident en Pologne le droit d’être membre d’un parti politique, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE.
Le cadre juridique
Le droit international
2 La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), prévoit, à son article 11, intitulé « Liberté de réunion et d’association » :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des
forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »
3 L’article 16 de la CEDH, intitulé « Restrictions à l’activité politique des étrangers », dispose :
« Aucune des dispositions des articles 10, 11 et 14 ne peut être considérée comme interdisant aux Hautes Parties contractantes d’imposer des restrictions à l’activité politique des étrangers. »
4 L’article 3 du protocole additionnel à la CEDH, signé à Paris le 20 mars 1952, intitulé « Droit à des élections libres », est libellé comme suit :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
Le droit de l’Union
Les traités UE et FUE
5 L’article 2 TUE prévoit :
« L’Union [européenne] est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
6 L’article 4, paragraphes 1 et 2, TUE se lit comme suit :
« 1. Conformément à l’article 5, toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.
2. L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule
responsabilité de chaque État membre. »
7 L’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE prévoit :
« 1. Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences.
2. En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres. »
8 L’article 10 TUE dispose :
« 1. Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative.
2. Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen.
Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil [de l’Union européenne] par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens.
3. Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens.
4. Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union. »
9 L’article 18, premier alinéa, TFUE énonce :
« Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. »
10 L’article 20 TFUE est ainsi libellé :
« 1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.
2. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :
[...]
b) le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;
[...]
Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. »
11 L’article 21, paragraphe 1, TFUE prévoit :
« Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. »
12 L’article 22 TFUE dispose :
« 1. Tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires
lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient.
2. Sans préjudice des dispositions de l’article 223, paragraphe 1, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure
législative spéciale, et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient. »
La Charte
13 L’article 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), intitulé « Liberté de réunion et d’association », est libellé comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.
2. Les partis politiques au niveau de l’Union contribuent à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union. »
14 L’article 39 de la Charte, intitulé « Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen », dispose :
« 1. Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.
2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret. »
15 L’article 40 de la Charte, intitulé « Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales », prévoit :
« Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. »
La directive 93/109/CE
16 La directive 93/109/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants (JO 1993, L 329, p. 34), telle que modifiée par la directive 2013/1/UE du Conseil, du 20 décembre 2012 (JO 2013, L 26, p. 27) (ci-après la « directive 93/109 »), énonce, à ses troisième à septième et dixième considérants :
« considérant que le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre de résidence, prévu à l’article 8 B paragraphe 2 [CE], constitue une application du principe de non-discrimination entre nationaux et non-nationaux, et un corollaire du droit de libre circulation et de séjour prévu à l’article 8 A [CE] ;
considérant que l’article 8 B paragraphe 2 [CE] ne concerne que la possibilité d’exercice du droit de vote et d’éligibilité au Parlement européen, sans préjudice de la mise en œuvre de l’article 138 paragraphe 3 [CE] prévoyant l’établissement d’une procédure uniforme dans tous les États membres pour ces élections ; qu’il vise essentiellement à supprimer la condition de nationalité qui, actuellement, est requise dans la plupart des États membres pour exercer ces droits ;
considérant que l’application de l’article 8 B paragraphe 2 [CE] ne suppose pas une harmonisation des régimes électoraux des États membres, et que, de surcroît, pour tenir compte du principe de proportionnalité prévu à l’article 3 [B] troisième alinéa [CE], le contenu de la législation communautaire en la matière ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé à l’article 8 B paragraphe 2 [CE] ;
considérant que l’article 8 B paragraphe 2 [CE] a pour objet que tous les citoyens de l’Union, qu’ils soient ou non ressortissants de l’État membre de résidence, puissent y exercer leur droit de vote et d’éligibilité au Parlement européen dans les mêmes conditions ; qu’il est nécessaire, en conséquence, que les conditions, et notamment celles liées à la durée et à la preuve de la résidence valant pour les non-nationaux soient identiques à celles applicables, le cas échéant, aux nationaux de
l’État membre considéré ;
considérant que l’article 8 B paragraphe 2 [CE] prévoit le droit de vote et d’éligibilité au Parlement européen dans l’État membre de résidence sans, pour autant, le substituer au droit de vote et d’éligibilité dans l’État membre dont le citoyen européen est ressortissant ; qu’il importe de respecter la liberté de choix des citoyens de l’Union relative à l’État membre dans lequel ils veulent participer aux élections européennes, tout en prenant soin qu’il n’y ait pas d’abus de cette liberté par
un double vote ou une double candidature ;
[...]
considérant que la citoyenneté de l’Union vise à mieux intégrer les citoyens de l’Union dans leur pays d’accueil et qu’il est dans ce contexte conforme aux intentions des auteurs du traité d’éviter toute polarisation entre listes de candidats nationaux et non nationaux ».
17 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/109 dispose :
« La présente directive fixe les modalités selon lesquelles les citoyens de l’Union qui résident dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants peuvent y exercer le droit de vote et d’éligibilité au Parlement européen. »
18 L’article 10, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Lors du dépôt de sa déclaration de candidature, chaque éligible communautaire doit apporter les mêmes preuves qu’un candidat national. En outre, il doit produire une déclaration formelle, précisant :
a) sa nationalité, sa date et son lieu de naissance, sa dernière adresse dans l’État membre d’origine et son adresse sur le territoire électoral de l’État membre de résidence ;
b) qu’il n’est pas simultanément candidat aux élections au Parlement européen dans un autre État membre ;
c) le cas échéant, sur la liste électorale de quelle collectivité locale ou circonscription dans l’État membre d’origine il était inscrit en dernier lieu ;
d) qu’il n’est pas déchu du droit d’éligibilité dans l’État membre d’origine, par l’effet d’une décision de justice individuelle ou d’une décision administrative, pour autant que cette dernière puisse faire l’objet d’un recours juridictionnel. »
19 Aux termes de l’article 11, paragraphe 2, de ladite directive :
« En cas de refus d’inscription sur la liste électorale ou du rejet de sa candidature, l’intéressé peut introduire les recours que la législation de l’État membre de résidence réserve, dans des cas identiques, aux électeurs et éligibles nationaux. »
La directive 94/80/CE
20 Les quatrième, cinquième et quatorzième considérants de la directive 94/80/CE du Conseil, du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité (JO 1994, L 368, p. 38), sont libellés comme suit :
« considérant que l’application de l’article 8 B paragraphe 1 [CE] ne suppose pas une harmonisation globale des régimes électoraux des États membres ; qu’il vise essentiellement à supprimer la condition de nationalité qui, actuellement, est requise dans la plupart des États membres pour exercer le droit de vote et d’éligibilité ; que, de surcroît, pour tenir compte du principe de proportionnalité énoncé à l’article 3 B troisième alinéa [CE], le contenu de la législation communautaire en la
matière ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de l’article 8 B paragraphe 1 [CE] ;
considérant que l’article 8 B paragraphe 1 [CE] a pour objet [que] tous les citoyens de l’Union, qu’ils soient ou non ressortissants de l’État membre de résidence, puissent y exercer leur droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans les mêmes conditions ; qu’il est nécessaire, en conséquence, que les conditions, et notamment celles liées à la durée et à la preuve de la résidence valant pour les non-nationaux, soient identiques à celles applicables, le cas échéant, aux nationaux
de l’État membre considéré ; que les citoyens non nationaux ne doivent pas être soumis à des conditions spécifiques à moins que, exceptionnellement, un traitement différent de nationaux et de non-nationaux [ne] se justifie par des circonstances spécifiques à ces derniers les distinguant des premiers ;
[...]
considérant que la citoyenneté de l’Union vise à mieux intégrer les citoyens de l’Union dans leur pays d’accueil et qu’il est, dans ce contexte, conforme aux intentions des auteurs du traité d’éviter toute polarisation entre listes de candidats nationaux et non nationaux ».
21 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 94/80 dispose :
« La présente directive fixe les modalités selon lesquelles les citoyens de l’Union qui résident dans un État membre sans en avoir la nationalité peuvent y exercer le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. »
22 L’article 8, paragraphe 3, de cette directive est ainsi libellé :
« L’électeur [...] figurant sur une liste électorale y reste inscrit, dans les mêmes conditions que l’électeur national, jusqu’à sa radiation d’office, parce qu’il ne réunit plus les conditions pour voter.
Les électeurs qui ont été inscrits sur une liste électorale à leur demande peuvent également être radiés de cette liste à leur demande.
En cas de déplacement de sa résidence vers une autre collectivité locale de base du même État membre, cet électeur est inscrit sur la liste électorale de cette collectivité dans les mêmes conditions qu’un électeur national. »
23 L’article 9, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Lors du dépôt de sa déclaration de candidature, chaque éligible visé à l’article 3 doit apporter les mêmes preuves qu’un candidat national. L’État membre de résidence peut exiger qu’il présente une déclaration formelle précisant sa nationalité et son adresse dans l’État membre de résidence. »
24 L’article 10, paragraphe 2, de la même directive prévoit :
« En cas de non-inscription sur la liste électorale, de refus de la demande d’inscription sur la liste électorale ou de rejet de sa candidature, l’intéressé peut introduire les recours que la législation de l’État membre de résidence prévoit, dans des cas semblables, pour les électeurs et les éligibles nationaux. »
Le droit polonais
25 L’article 2, paragraphe 1, de l’ustawa o partiach politycznych (loi relative aux partis politiques), du 27 avril 1997 (Dz. U. de 1997, no 98, position 604), telle que modifié, prévoit :
« Les ressortissants de la République de Pologne qui sont âgés d’au moins 18 ans peuvent être membres d’un parti politique. »
26 Aux termes de l’article 5 de la loi relative aux partis politiques :
« L’accès aux chaînes publiques de radio et de télévision est garanti aux partis politiques conformément aux règles fixées dans des lois distinctes. »
27 L’article 24 de cette loi dispose :
« 1. Le patrimoine des partis politiques provient des cotisations de leurs adhérents, de donations, successions, legs, de revenus de la propriété ainsi que de dotations et de subventions prévues par la loi.
2. Le patrimoine des partis politiques ne peut être utilisé qu’à des fins définies dans les statuts ou à des fins caritatives.
[...]
4. Un parti politique ne peut tirer de revenus de son patrimoine qu’en ce qui concerne :
1) les intérêts produits par les fonds détenus sur des comptes bancaires et les dépôts à terme ;
2) la négociation d’obligations du Trésor public et de bons du Trésor public ;
3) la cession d’actifs ;
[...] »
28 L’article 28, paragraphe 1, de ladite loi prévoit :
« Un parti politique qui :
1) ayant constitué son propre comité électoral en vue d’élections à la Diète a recueilli, à l’échelle nationale, au moins 3 % des suffrages valablement exprimés en faveur de sa liste de circonscription de candidats à la fonction de député ou
2) a adhéré à une coalition électorale en vue d’élections à la Diète, dont les listes de circonscription de candidats à la fonction de député ont recueilli, à l’échelle nationale, au moins 6 % des suffrages valablement exprimés,
est en droit de bénéficier, durant la législature et conformément aux modalités et aux règles définies dans la présente loi, d’une subvention financée par le budget de l’État [...] pour la réalisation de ses activités statutaires. »
29 L’article 36, paragraphe 1, de la même loi est libellé comme suit :
« La caisse électorale du parti politique peut être constituée par des versements effectués par celui-ci, ainsi que par des dons, successions et legs. »
30 Aux termes de l’article 84 de l’ustawa Kodeks wyborczy (loi portant code électoral), du 5 janvier 2011 (Dz. U. de 2011, no 21, position 112), dans sa version applicable au présent recours (ci-après le « code électoral ») :
« 1. Le droit de désigner des candidats à une élection appartient aux comités électoraux. Les comités électoraux exercent également d’autres activités électorales et notamment, sur la base du principe d’exclusivité, mènent la campagne électorale pour le compte des candidats.
2. Lors des élections à la Diète et au Sénat et lors des élections au Parlement européen en Pologne, les comités électoraux peuvent être constitués par les partis politiques et par les coalitions de partis politiques ainsi que par les électeurs.
[...]
4. Lors des élections aux instances représentatives de collectivités territoriales ainsi que des élections de maires, les comités électoraux peuvent être constitués par les partis politiques et les coalitions de partis politiques, par des associations et organisations sociales (ci-après les “organisations”) ainsi que par les électeurs. »
31 L’article 87 du code électoral dispose :
« 1. Les partis politiques peuvent former une coalition électorale en vue de désigner des candidats communs. Un parti politique ne peut appartenir qu’à une seule coalition électorale.
2. Les activités électorales pour le compte d’une coalition électorale sont menées par un comité électoral de coalition constitué par les instances des partis politiques habilitées à représenter chaque parti vis-à-vis du public.
[...] »
32 Aux termes de l’article 89, paragraphe 1, de ce code :
« Quinze ressortissants au moins, qui sont titulaires du droit de vote, peuvent former un comité électoral d’électeurs. »
33 L’article 117, paragraphe 1, dudit code prévoit :
« Les comités électoraux dont les candidats ont été enregistrés ont le droit, à compter du quinzième jour précédant la date du scrutin et jusqu’à la date de clôture de la campagne électorale, de présenter gratuitement leurs programmes électoraux sur les chaînes publiques de radio et de télévision, aux frais des radiodiffuseurs. »
34 L’article 119, paragraphe 1, du même code dispose :
« Nonobstant le droit visé à l’article 117, paragraphe 1, chaque comité électoral peut, à compter de la date de réception, par l’autorité électorale compétente, de la notification de sa création et jusqu’à la date de clôture de la campagne électorale, présenter son programme électoral sur les chaînes publiques et privées de radio et de télévision à titre payant. »
35 Aux termes de l’article 126 du code électoral :
« Les comités électoraux s’acquittent des frais exposés aux fins des élections au moyen de leurs propres ressources. »
36 L’article 130 de ce code dispose :
« 1. La responsabilité des obligations financières du comité électoral incombe au mandataire financier.
2. Aucune obligation financière ne peut être contractée au nom et pour le compte du comité électoral sans l’accord écrit du mandataire financier.
3. Lorsque les avoirs à la disposition du mandataire financier ne suffisent pas à couvrir les créances à l’égard du comité électoral :
1) la responsabilité des engagements financiers du comité électoral du parti politique ou de l’organisation incombe au parti politique ou à l’organisation qui a constitué ledit comité ;
2) la responsabilité des engagements financiers du comité électoral de coalition incombe solidairement aux partis politiques faisant partie de cette coalition ;
3) la responsabilité des engagements financiers d’un comité électoral d’électeurs incombe solidairement aux membres du comité.
[...] »
37 L’article 132 dudit code est libellé comme suit :
« 1. Les ressources financières du comité électoral d’un parti politique peuvent uniquement provenir de la caisse électorale de ce parti, constituée conformément aux dispositions de la [loi relative aux partis politiques].
2. Les ressources financières du comité électoral d’une coalition peuvent uniquement provenir de la caisse électorale des partis qui la composent.
3. Les ressources financières :
1) du comité électoral d’une organisation,
2) d’un comité électoral d’électeurs,
ne peuvent provenir que des contributions des ressortissants polonais ayant leur résidence permanente sur le territoire de la République de Pologne ainsi que d’emprunts bancaires contractés uniquement pour les besoins d’élections.
[...] »
38 L’article 133 du même code prévoit que, pendant la campagne électorale, le comité électoral d’un parti politique ou d’une coalition, le comité électoral d’électeurs et le comité électoral d’une organisation peuvent utiliser gratuitement, respectivement, les locaux du parti politique, les locaux d’un membre du comité électoral et les locaux de cette organisation, ainsi que le matériel de bureau appartenant à ces entités.
39 La section VI du code électoral, consacrée aux élections au Parlement européen, contient notamment les articles 341 et 343 de ce code. Aux termes de l’article 341 dudit code, le droit de désigner des candidats à ces élections incombe au comité électoral d’un parti politique, au comité électoral d’une coalition et au comité électoral d’électeurs. Conformément à l’article 343 du même code, la liste des candidats doit être soutenue par les signatures d’au moins 10000 électeurs résidant de manière
permanente dans la circonscription électorale concernée.
40 La section VII du code électoral, consacrée aux élections des représentants des collectivités territoriales, contient notamment les articles 399 à 403 de celui-ci.
41 L’article 399 de ce code prévoit que le droit de désigner des candidats au poste de conseiller incombe aux comités électoraux de partis politiques, aux comités électoraux de coalitions, aux comités électoraux d’organisations et aux comités électoraux d’électeurs.
42 Aux termes de l’article 400, paragraphe 1, dudit code, le comité électoral d’un parti politique est tenu de notifier sa mise en place à la commission électorale nationale à compter de la date de publication du règlement relatif à la tenue des élections jusqu’au 55e jour précédant la date du scrutin.
43 L’article 401, paragraphe 1, du même code dispose qu’un comité électoral de coalition peut être constitué pendant la période allant de la date de publication du règlement relatif à la tenue des élections jusqu’au 55e jour précédant la date du scrutin, ce dont le mandataire électoral du comité électoral de coalition informe la commission électorale nationale le 55e jour précédant la date du scrutin au plus tard.
44 Conformément à l’article 402, paragraphe 1, du code électoral, le comité électoral d’une organisation est tenu de notifier sa mise en place au commissaire électoral dans le ressort duquel cette organisation a son siège à compter de la date de publication du règlement relatif à la tenue des élections jusqu’au 55e jour précédant la date du scrutin.
45 L’article 403 de ce code prévoit :
« 1. Quinze ressortissants au moins, qui sont titulaires du droit de vote, peuvent former un comité électoral d’électeurs.
2. Après avoir recueilli au moins 1000 signatures de ressortissants titulaires du droit de vote qui soutiennent la création d’un comité électoral d’électeurs, le mandataire électoral informe la commission électorale nationale de la mise en place de ce comité, sous réserve des dispositions du paragraphe 3. La notification peut être effectuée au plus tard le cinquante-cinquième jour qui précède la date du scrutin.
3. Si le comité électoral d’électeurs a été créé aux fins de la désignation de candidats dans une seule voïvodie :
1) le nombre de ressortissants visé au paragraphe 1 est de 5 ;
2) le nombre de signatures visé au paragraphe 2 est de 20, et la notification visée au paragraphe 2 est adressée au commissaire électoral compétent compte tenu du siège du comité. »
46 L’article 23, paragraphe 1, de l’ustawa o radiofonii i telewizji (loi sur la radiodiffusion), du 29 décembre 1992 (Dz. U. de 1993, n °7, position 34), dans sa version applicable au présent recours, dispose que les chaînes publiques de radio et de télévision donnent aux partis politiques la possibilité de s’exprimer sur des questions fondamentales relevant des affaires publiques.
47 En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de l’ustawa Prawo o stowarzyszeniach (loi relative aux associations), du 7 avril 1989 (Dz. U. de 1989, no 20, position 104), les étrangers résidant en Pologne peuvent intégrer des associations.
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
48 Le 26 avril 2013, à la suite d’échanges infructueux intervenus dans le cadre du système EU Pilot, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République de Pologne attirant l’attention des autorités polonaises sur l’incompatibilité, selon elle, avec le droit de l’Union de la législation de cet État membre qui réserve à ses seuls ressortissants les droits de fonder un parti politique et de devenir membre d’un tel parti. Ledit État membre y a répondu le 24 juillet 2013 en contestant
toute violation du droit de l’Union.
49 Le 22 avril 2014, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle maintenait que la République de Pologne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE en refusant aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise, mais qui résidaient de manière permanente sur le territoire de la République de Pologne, les droits de fonder un parti politique et de devenir membre d’un tel parti. En conséquence, cette institution invitait la République de Pologne à
prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
50 Dans sa réponse du 16 juin 2014, la République de Pologne a fait valoir que l’article 22 TFUE ne conférait pas aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité de l’État membre dans lequel ils résident les droits, dans l’État membre de résidence, de fonder un parti politique et de devenir membre d’un parti politique.
51 Par lettre du 2 décembre 2020, le commissaire européen chargé de la justice a demandé à la République de Pologne des informations sur l’éventuelle évolution de sa position ou sur les éventuelles modifications législatives intervenues afin de garantir les droits concernés aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise et qui résident sur son territoire.
52 Les autorités polonaises ayant réitéré, par lettre du 26 janvier 2021, leur position antérieure selon laquelle le droit polonais n’est pas incompatible avec l’article 22 TFUE, la Commission a décidé d’introduire le présent recours, en restreignant son objet à un manquement de cet État membre aux obligations lui incombant au titre de cette disposition en raison du fait qu’il réserverait la qualité de membre d’un parti politique aux seuls ressortissants polonais.
53 Par décision du président de la Cour du 10 mai 2022, la République tchèque a été admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de la République de Pologne.
Sur le recours
Sur la recevabilité du recours
Argumentation des parties
54 Dans son mémoire en intervention, la République tchèque excipe de l’irrecevabilité du recours de la Commission, dès lors que la requête n’indique pas clairement les éléments de droit sur lesquels le recours est fondé et n’est pas formulée de manière à empêcher la Cour de statuer ultra petita. En effet, tout en fondant son recours sur l’article 22 TFUE, la Commission aurait invoqué également la violation d’autres dispositions de droit de l’Union, notamment de l’article 11 et de l’article 12,
paragraphe 1, de la Charte ainsi que de l’article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE, qui ne seraient pas reprises dans les conclusions de sa requête.
55 La Commission conteste le bien-fondé de cette argumentation.
Appréciation de la Cour
56 En vertu de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.
57 Or, la République de Pologne, partie défenderesse au soutien des conclusions de laquelle la République tchèque a été autorisée à intervenir, n’a soulevé aucune exception d’irrecevabilité contre le recours de la Commission.
58 Il s’ensuit que la République tchèque, partie intervenante, n’a pas qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2007, Espagne/Conseil, C‑141/05, EU:C:2007:653, points 27 et 28).
59 Toutefois, la Cour peut examiner d’office si les conditions prévues à l’article 258 TFUE pour l’introduction d’un recours en manquement sont remplies (voir, en ce sens, arrêts du 2 juin 2016, Commission/Pays-Bas, C‑233/14, EU:C:2016:396, point 43, et du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15, EU:C:2017:267, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
60 À cet égard, conformément à l’article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour et à la jurisprudence de celle-ci afférente à cette disposition, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire de ces moyens. Une telle indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments
essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou n’omette de statuer sur un grief [arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 188 et jurisprudence citée].
61 La Cour a également jugé que, dans le cadre d’un recours formé en application de l’article 258 TFUE, celui-ci doit présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que cet État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué [arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne
(Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 189 et jurisprudence citée].
62 En particulier, le recours de la Commission doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons l’ayant amenée à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union [arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 190 ainsi que jurisprudence citée].
63 En l’espèce, il importe de relever qu’il ressort clairement des conclusions de la requête introductive d’instance que la Commission reproche à la République de Pologne la violation de l’article 22 TFUE en ce que cet État membre refuse aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise mais qui résident sur son territoire le droit d’être membre d’un parti politique. La requête contient un exposé cohérent et précis des raisons ayant amené cette institution à considérer que ce refus
empêche ces citoyens de l’Union d’exercer leur droit d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen dans les mêmes conditions que les ressortissants polonais.
64 En particulier, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, il ressort clairement des motifs de la requête que, selon la Commission, l’article 22 TFUE doit être interprété dans le contexte défini, notamment, par l’article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE et en prenant en considération les liens existant entre ledit article 22 TFUE et les articles 11 et 12 de la Charte, sans qu’il puisse en être déduit que la Commission cherche à démontrer une violation autonome de ces
dispositions. La référence, à certains points de la requête introductive d’instance, à l’article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE ainsi qu’aux articles 11 et 12 de la Charte n’a, dès lors, pas pour effet de rendre la formulation de cette requête ambiguë.
65 Par conséquent, les conditions prévues à l’article 258 TFUE pour l’introduction d’un recours en manquement sont remplies et le recours de la Commission doit être considéré comme recevable.
Sur le fond
Argumentation des parties
66 La Commission fait valoir que l’article 22 TFUE garantit à tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen dans cet État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de ce dernier État. Par conséquent, la République de Pologne aurait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE en réservant, en application de l’article 2, paragraphe 1,
de la loi relative aux partis politiques, la qualité de membre d’un parti politique aux seuls ressortissants polonais et en empêchant ainsi les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité d’exercer les droits électoraux aux élections municipales et au Parlement européen dans les mêmes conditions que les ressortissants polonais.
67 L’article 22 TFUE consacrerait un principe général d’égalité de traitement et impliquerait la suppression de l’exigence de nationalité en tant que condition de vote et d’éligibilité à ces élections ainsi que celle de toutes les mesures susceptibles d’empêcher les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité d’exercer leur droit d’éligibilité dans les mêmes conditions que les ressortissants de l’État membre sur le territoire duquel ils résident. Ces citoyens de
l’Union devraient ainsi bénéficier de tous les moyens existant dans l’ordre juridique national qui sont à la disposition des candidats nationaux auxdites élections.
68 Or, en premier lieu, les partis politiques auraient un rôle fondamental dans les systèmes électoraux des États membres, dès lors qu’ils constitueraient la forme essentielle de participation à la vie politique et le moyen le plus couramment utilisé pour prendre part aux élections en tant que candidats. Dans ces circonstances, le fait que les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité ne puissent pas être membres d’un parti politique et bénéficier ainsi des nombreux
avantages, notamment en termes de notoriété, de ressources humaines et financières, d’infrastructure organisationnelle ainsi que d’accès aux médias, que comporterait une telle qualité de membre, compromettrait leur capacité à se présenter avec succès et efficacité aux élections dans les mêmes conditions que les ressortissants polonais.
69 Quand bien même un tel citoyen de l’Union pourrait être inscrit, par voie d’accord individuel, sur la liste des candidats du comité électoral d’un parti politique, il se trouverait néanmoins dans une position moins favorable que celle des candidats à l’élection qui sont membres du parti en question. Un citoyen de l’Union résidant en Pologne sans en avoir la nationalité n’aurait, en effet, pas les mêmes chances d’occuper une place avantageuse sur cette liste et devrait souscrire à un programme à
l’élaboration duquel il n’a, en principe, pas participé. Le fait même qu’il ne pourrait se présenter sur ladite liste qu’en tant que candidat non-membre du parti qui la présente, alors que les ressortissants polonais pourraient le faire en tant que membres de ce parti, témoignerait, en soi, de ce que les citoyens de l’Union résidant en Pologne sans en avoir la nationalité ne peuvent pas se présenter en tant que candidats aux élections dans les mêmes conditions que les ressortissants polonais.
70 En deuxième lieu, la Commission relève que, bien qu’il appartienne actuellement aux États membres de réglementer les aspects relatifs aux élections municipales et au Parlement européen qui ne sont pas harmonisés au niveau de l’Union, ces États doivent exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union. Une mesure nationale susceptible de restreindre l’exercice de l’un des droits découlant du statut de citoyen de l’Union, tel que le droit d’éligibilité à ces élections, ne pourrait être
justifiée par l’intérêt général que si cette mesure est compatible avec les droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence.
71 L’interprétation de l’article 22 TFUE selon laquelle l’intention du législateur de l’Union aurait été d’abolir les seules exigences formelles imposées aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité ne se refléterait ni dans la lettre de cette disposition ni dans celle des directives 93/109 et 94/80, et priverait l’article 22 TFUE de son effet utile. Le contenu et le champ d’application matériel de ladite disposition ne pourraient être réduits aux seuls aspects
formels réglementés par ces directives et l’obligation d’assurer une égalité de traitement qui découle de l’article 22 TFUE ne serait pas remise en cause par l’absence, dans cette disposition, d’une liste exhaustive des conditions qui doivent être remplies à cette fin.
72 En troisième lieu, en adoptant les dispositions relatives à l’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen, la République de Pologne mettrait en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, et serait donc tenue de se conformer aux dispositions de cette dernière. Ainsi, le champ d’application et les exigences de l’article 20, paragraphe 2, sous b), et de l’article 22 TFUE devraient être interprétés en tenant compte de ces dispositions de la
Charte, et notamment de son article 12, paragraphe 1, dont le libellé correspondrait à celui de l’article 11 de la CEDH.
73 La privation du droit d’être membre d’un parti politique serait une limitation du droit fondamental à la liberté d’association et ne pourrait pas aller, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, au‑delà des limitations admises par la CEDH. Les motifs énoncés à l’article 11, paragraphe 2, de la CEDH pouvant justifier une limitation du droit à la liberté d’association ne s’appliqueraient pas en l’espèce. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme aurait jugé, dans l’arrêt du
27 avril 1995, Piermont c. France (CE:ECHR:1995:0427JUD001577389, § 64), que les États membres ne sauraient se prévaloir de l’article 16 de la CEDH à l’égard des ressortissants d’autres États membres faisant valoir des droits que leur confèrent les traités.
74 L’interdiction d’être membre d’un parti politique ne saurait être justifiée par l’objectif d’éviter que les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité puissent participer à la vie politique de leur État de résidence et influencer, notamment, les résultats des élections législatives ou présidentielles qui relèvent de la compétence exclusive des États membres.
75 D’une part, sans soutenir que le droit de l’Union reconnaît aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité un droit de participation à la vie politique de cet État membre sans restriction aucune, la Commission relève que les droits politiques ont été inclus dans les dispositions du traité FUE relatives à la citoyenneté dans l’objectif de garantir que lesdits citoyens puissent s’intégrer et jouer un rôle politique actif dans leur État membre de résidence en ce
qui concerne les élections municipales et au Parlement européen, ainsi que cela serait également confirmé par le dixième considérant de la directive 93/109 et le quatorzième considérant de la directive 94/80. D’autre part, les États membres seraient libres de réserver à leurs ressortissants le droit d’éligibilité aux élections nationales ou, dans certains cas, régionales, ou encore d’adopter des règles particulières ayant pour effet de restreindre les droits conférés aux citoyens de l’Union
résidant dans ces États membres sans en avoir la nationalité en leur qualité de membre d’un parti politique, notamment en leur refusant le droit de prendre part aux décisions du parti concerné relatives à l’investiture des candidats aux élections législatives nationales.
76 L’interprétation de l’article 22 TFUE défendue par la Commission ne porterait pas atteinte au principe du respect de l’identité nationale, dès lors que, d’une part, l’article 4, paragraphe 2, TUE devrait être interprété conformément aux autres dispositions des traités, y compris à l’article 22 TFUE, et que, d’autre part, ce dernier article s’appliquerait uniquement aux élections municipales et au Parlement européen, et non pas aux élections législatives nationales.
77 En tout état de cause, la République de Pologne n’aurait fourni aucune preuve de ce que la possibilité pour les citoyens de l’Union résidant dans cet État membre sans en avoir la nationalité, souhaitant se porter candidats aux élections municipales et au Parlement européen dans ledit État membre, de devenir membres d’un parti politique constituerait une menace pour l’identité nationale dudit État membre.
78 La République de Pologne, soutenue par la République tchèque, fait valoir, en premier lieu, que l’article 22 TFUE n’est pas directement applicable et nécessite l’adoption d’actes législatifs supplémentaires par le Conseil. Les modalités d’exercice des droits visés à l’article 22 TFUE seraient fixées par les directives 94/80 et 93/109, dont les considérants se référeraient explicitement à l’objectif principal et aux circonstances entourant l’introduction de l’article 8 B, paragraphes 1 et 2, CE,
qui correspond à l’actuel article 22 TFUE. Or, il ressortirait du quatrième considérant de la directive 94/80 et du cinquième considérant de la directive 93/109 que l’article 22 TFUE ne suppose pas une harmonisation globale des régimes électoraux des États membres. L’intention du législateur de l’Union aurait été de parvenir à supprimer les exigences formelles qui empêchaient l’exercice par les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité de leur droit de vote et
d’éligibilité, ou qui auraient limité ce droit du fait de conditions supplémentaires imposées exclusivement à ces personnes par les États membres sans justification suffisante.
79 En deuxième lieu, la République de Pologne, soutenue par la République tchèque, relève que le droit polonais met en œuvre les garanties découlant de l’article 22 TFUE. En particulier, ce droit ne subordonnerait pas la possibilité pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité de se porter candidat aux élections municipales et au Parlement européen à l’appartenance à un parti politique. En outre, le droit polonais conférerait aux citoyens de l’Union résidant
en Pologne sans en avoir la nationalité la possibilité d’utiliser toutes les formes de candidature disponibles, y compris la candidature sur une liste proposée par un parti politique ou une coalition de partis politiques, dès lors que l’inscription sur une telle liste ne serait pas subordonnée à l’appartenance de cette personne à un quelconque parti.
80 En troisième lieu, cet État membre, soutenu par la République tchèque, fait valoir que l’article 22 TFUE ne confère pas aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité le droit de devenir membre de partis politiques et de participer sans limites à la vie politique dans l’État membre où ils résident et ne fait pas obligation aux États membres de permettre à ces citoyens d’exercer un tel droit et d’avoir une emprise, au moyen du système des partis, sur le résultat
des élections législatives et présidentielles nationales. L’appartenance à un parti politique permettrait de participer à l’élection des organes internes de ce parti, qui décident de l’orientation de ses actions à tous les niveaux, et non pas seulement en ce qui concerne les élections municipales et au Parlement européen.
81 La détermination des règles de fonctionnement, de la structure et des objectifs des partis politiques actifs dans les États membres relèverait, en principe, de la compétence exclusive de chaque État membre. L’interprétation de l’article 22 TFUE proposée par la Commission serait contraire à la finalité et à la portée de cette disposition ainsi qu’au principe d’attribution défini à l’article 5, paragraphe 2, TUE. Elle conduirait à l’application des dispositions des traités dans un domaine relevant
de la compétence des États membres, en violation de l’article 4, paragraphes 1 et 2, TUE.
82 Dès lors que l’article 22 TFUE n’accorderait pas aux citoyens de l’Union le droit de devenir membre de partis politiques, l’article 12 de la Charte ne trouverait pas à s’appliquer. En revanche, le droit polonais respecterait pleinement le droit d’association visé à l’article 11 de la CEDH, en tenant compte de l’article 16 de cette convention, autorisant l’instauration de restrictions à l’activité politique des étrangers.
83 En quatrième lieu, la République de Pologne, soutenue par la République tchèque, fait valoir que la Commission n’a pas démontré son allégation selon laquelle l’interdiction faite aux citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité de devenir membre d’un parti politique limiterait la possibilité pour ceux-ci d’exercer leur droit d’éligibilité lors des élections municipales et au Parlement européen, cette allégation étant purement hypothétique et non étayée par des données
ou des preuves concrètes.
84 La République de Pologne conteste l’argumentation de la Commission selon laquelle l’appartenance à un parti politique présenterait de nombreux avantages pour les candidats aux élections, dont les candidats indépendants ne pourraient pas bénéficier. Tout d’abord, la Commission n’aurait pas démontré qu’une telle appartenance serait pertinente pour l’image que renvoient les candidats aux élections municipales et au Parlement européen dans l’esprit des électeurs. Cette image dépendrait plutôt de
l’activité des candidats et ne serait pas liée à l’affiliation à un parti. Cette dernière n’affecterait donc pas leurs chances d’être élus.
85 Ensuite, la Commission n’aurait pas non plus tenu compte des mécanismes existant en droit polonais visant à prévenir le traitement préférentiel des comités électoraux des partis et des coalitions par rapport aux comités électoraux des électeurs et des organisations, notamment de la limite des dépenses de propagande électorale, applicable à tous les comités électoraux, des règles d’utilisation des locaux et du matériel applicables aux comités électoraux ainsi que de la réglementation nationale
relative à l’accès aux médias, garantissant cet accès à tous les comités électoraux dans des conditions similaires. Pour le reste, le fait que le droit de s’exprimer sur les chaînes publiques de radio et de télévision sur des questions fondamentales relevant des affaires publiques en dehors de la période de campagne électorale serait garanti aux partis politiques résulterait de leur rôle dans le système politique de l’État et relèverait de la compétence de ce dernier. En outre, tous les candidats
auraient accès aux médias sociaux sur un pied d’égalité.
86 Enfin, l’affirmation de la Commission selon laquelle les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité seraient moins connus et que les avantages découlant de la qualité de membre d’un parti politique seraient donc d’autant plus grands pour eux serait également fondée sur un a priori non confirmé dans les faits. La notoriété d’une personne dans la société dépendrait exclusivement de ses initiatives ainsi que de son niveau d’engagement et n’aurait rien à voir avec
sa nationalité. Les citoyens de l’Union qui se présenteraient comme candidats aux élections municipales et au Parlement européen en Pologne sans en avoir la nationalité susciteraient l’intérêt des électeurs en raison du seul fait qu’ils sont originaires d’un autre État membre et que leur expérience peut apporter quelque chose de nouveau à la vie publique polonaise. La République de Pologne aurait démontré, en se référant à un rapport d’études élaboré par le Centrum Badania Opinii Społecznej
(Centre d’études sur l’opinion publique, Pologne), que, en raison de la spécificité des élections municipales et au Parlement européen, la personnalité du candidat serait d’une importance cruciale pour l’image qu’il renvoie aux électeurs et son appartenance à un parti politique revêtirait, à cet égard, un caractère secondaire.
87 La République tchèque ajoute que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un lien direct entre l’appartenance à un parti politique et la possibilité d’une candidature efficace et effective à une élection municipale ou au Parlement européen. Par ailleurs, cet État membre estime que la Commission a invoqué une base juridique erronée à l’appui de son recours. La compatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale empêchant des citoyens de l’Union résidant dans un État membre
sans en avoir la nationalité de devenir membres d’un parti politique devrait être examinée au regard non pas de l’article 22 TFUE, mais de l’interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité contenue à l’article 18 TFUE. Or, dès lors que la simple appartenance d’un tel citoyen à un parti politique ne lui conférerait pas pour autant la qualité de candidat à une élection municipale ou au Parlement européen, une telle réglementation nationale ne saurait être regardée comme étant
incompatible avec l’interdiction générale de discrimination visée à l’article 18 TFUE ou une autre disposition du droit primaire prévoyant une interdiction spécifique de discrimination.
Appréciation de la Cour
88 Par son recours, la Commission demande à la Cour de constater que, en refusant aux citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité le droit d’être membre d’un parti politique, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE.
89 Afin d’examiner le bien-fondé de ce recours, il convient de déterminer la portée de l’article 22 TFUE avant d’apprécier si la différence de traitement ainsi instaurée par la législation polonaise en raison de la nationalité, quant à la possibilité de devenir membre d’un parti politique, est prohibée par cette disposition ou peut éventuellement être justifiée par des raisons tenant au respect de l’identité nationale d’un État membre.
– Sur la portée de l’article 22 TFUE
90 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation [arrêt du 14 juillet 2022, Italie et Comune di Milano/Conseil (Siège de l’Agence européenne des médicaments), C‑59/18 et C‑182/18,
EU:C:2022:567, point 67 ainsi que jurisprudence citée].
91 En premier lieu, selon les termes de l’article 22 TFUE, les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants bénéficient du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen dans les mêmes conditions que les ressortissants de ce dernier État membre et ces droits sont exercés sous réserve des modalités adoptées par le Conseil.
92 Le libellé de l’article 22 TFUE ne contient pas de référence aux conditions relatives à l’acquisition de la qualité de membre de parti politique.
93 En revanche, il ressort dudit libellé, tout d’abord, que le droit de vote et d’éligibilité conféré aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants concerne les élections municipales et au Parlement européen dans ledit État membre.
94 Il en résulte, ensuite, que ces citoyens de l’Union bénéficient de ce droit « dans les mêmes conditions » que les ressortissants de l’État membre dans lequel ils résident. En renvoyant aux conditions du droit de vote et d’éligibilité applicables aux ressortissants de l’État membre de résidence d’un tel citoyen de l’Union, l’article 22 TFUE instaure l’interdiction, pour cet État membre, de soumettre l’exercice de ce droit par ce citoyen de l’Union à d’autres conditions que celles qui sont
applicables à ses propres ressortissants.
95 Cette disposition établit ainsi une règle spécifique de non‑discrimination en raison de la nationalité applicable à l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2006, Espagne/Royaume-Uni, C‑145/04, EU:C:2006:543, point 66 ; du 12 septembre 2006, Eman et Sevinger, C‑300/04, EU:C:2006:545, point 53, ainsi que du 6 octobre 2015, Delvigne, C‑650/13, EU:C:2015:648, point 42) et, par conséquent,
s’applique à toute mesure nationale opérant une différence de traitement susceptible de porter atteinte à l’exercice effectif de ces droits.
96 En outre, il y a lieu de relever que cette règle de non-discrimination n’est que l’expression spécifique du principe général d’égalité qui relève des principes fondamentaux du droit de l’Union [voir, par analogie, arrêt du 20 février 2024, X (Absence de motifs de résiliation), C‑715/20, EU:C:2024:139, point 43 et jurisprudence citée].
97 Conformément à une jurisprudence constante, l’article 18, premier alinéa, TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 65).
98 La République tchèque ne saurait donc valablement alléguer au soutien de la République de Pologne que la législation nationale visée par la requête de la Commission relève de l’article 18, premier alinéa, TFUE, et non de l’article 22 TFUE.
99 Enfin, il ressort du libellé de l’article 22 TFUE que ces droits de vote et d’éligibilité sont exercés sous réserve des modalités adoptées par le Conseil.
100 À cet égard, les directives 93/109 et 94/80 qui ont été adoptées sur le fondement de l’article 8 B CE, devenu l’article 22 TFUE, fixent les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité, respectivement, aux élections au Parlement européen et aux élections municipales.
101 Certes, ces directives, qui, ainsi qu’il ressort du cinquième considérant de la directive 93/109 et du quatrième considérant de la directive 94/80, n’effectuent pas une harmonisation exhaustive des régimes électoraux des États membres, ne contiennent pas de dispositions relatives aux conditions relatives à l’acquisition, par des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité, de la qualité de membre de parti politique.
102 Toutefois, le champ d’application de ces directives ne saurait, même implicitement, limiter la portée des droits et des obligations découlant de l’article 22 TFUE. À ce dernier titre, il convient, en effet, de relever que la règle spécifique de non-discrimination en raison de la nationalité figurant à cette disposition y est énoncée en des termes généraux et que, selon le libellé même de l’article 22 TFUE, seul l’exercice des droits de vote et d’éligibilité qui y sont consacrés est soumis aux
modalités arrêtées par le Conseil. Si ces modalités peuvent certes « prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient », elles ne sauraient en revanche, en dehors de cette hypothèse particulière, avoir pour effet de compromettre de manière générale l’effet utile de ces droits.
103 À cet égard, si, en l’absence de dispositions spécifiques relatives aux conditions selon lesquelles des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité peuvent devenir membres des partis politiques dans cet État membre, la détermination de ces conditions relève de la compétence des États membres, lors de l’exercice de cette compétence, ces derniers sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union [voir, par analogie, arrêts du
2 mars 2010, Rottmann, C‑135/08, EU:C:2010:104, point 41 et jurisprudence citée ; du 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon Pancharevo , C‑490/20, EU:C:2021:1008, point 38 ; du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 63, ainsi que du 5 septembre 2023, Udlændinge- og Integrationsministeriet (Perte de la nationalité danoise), C‑689/21, EU:C:2023:626, point 30 et jurisprudence citée].
104 Ainsi, tout en se conformant aux modalités fixées par lesdites directives, un État membre ne saurait, en dehors des domaines réglementés par celles-ci, soumettre un citoyen de l’Union résidant dans cet État membre sans en avoir la nationalité à des dispositions nationales introduisant une différence de traitement dans l’exercice des droits que lui confère l’article 22 TFUE, sous peine de remettre en cause l’effet utile de la règle de non-discrimination en raison de la nationalité inscrite audit
article (voir par analogie, s’agissant de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, arrêts du 12 mars 2014, O. et B., C‑456/12, EU:C:2014:135, point 54, ainsi que du 27 juin 2018, Altiner et Ravn, C‑230/17, EU:C:2018:497, point 26).
105 Par conséquent, ni l’absence, dans les directives 93/109 et 94/80, de dispositions relatives aux conditions selon lesquelles des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité peuvent devenir membres de partis politiques dans cet État membre, ni le principe selon lequel toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE, ne permettent de conclure que la
détermination des conditions pour l’acquisition de la qualité de membre d’un parti politique échappe au champ d’application de l’article 22 TFUE.
106 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le contexte dans lequel s’inscrit l’article 22 TFUE, il y a lieu de se référer tant aux autres dispositions du traité FUE qu’aux dispositions de même rang, figurant notamment dans le traité UE et la Charte.
107 À cet égard, il convient de relever, premièrement, que l’article 22 TFUE se situe dans la deuxième partie du traité FUE, comportant les dispositions relatives à la non-discrimination et à la citoyenneté de l’Union.
108 L’article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d’un État membre le statut de citoyen de l’Union, lequel a vocation, selon une jurisprudence constante, à être le statut fondamental des ressortissants des États membres [arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31 ; du 18 janvier 2022, Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de naturalisation), C‑118/20, EU:C:2022:34, point 38 et jurisprudence citée, ainsi que du 9 juin 2022, Préfet du Gers
et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 49].
109 L’article 22 TFUE, lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, TFUE, rattache le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen au statut de citoyen de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, points 49 à 51 ainsi que jurisprudence citée, et du 18 avril 2024, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études
économiques, C‑716/22, EU:C:2024:339, points 40 et 41).
110 Par ailleurs, conformément à l’article 20, paragraphe 2, et à l’article 21 TFUE, la citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité FUE et des mesures adoptées en vue de leur application (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20,
EU:C:2022:449, point 50).
111 Il existe ainsi un lien entre, d’une part, le droit de libre circulation et de séjour ainsi que, d’autre part, le droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité aux élections municipales et au Parlement européen. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 94 et 95 de ses conclusions, ce lien a été établi dès la consécration de ce droit de vote et d’éligibilité par le traité de Maastricht, en rattachant ledit droit à celui
de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
112 Deuxièmement, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative, laquelle concrétise la valeur de démocratie. Celle-ci constitue, en vertu de l’article 2 TUE, l’une des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 64, ainsi que du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 63).
113 L’article 10, paragraphes 2 et 3, TUE reconnaît le droit des citoyens de l’Union d’être directement représentés au Parlement européen et de participer à la vie démocratique de l’Union.
114 Ainsi que l’a indiqué, en substance, M. l’avocat général au point 101 de ses conclusions, cet article 10 TUE met en évidence, en ce qui concerne les élections au Parlement européen, le lien entre le principe de démocratie représentative au sein de l’Union et le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen attaché à la citoyenneté de l’Union, garanti à l’article 22, paragraphe 2, TFUE.
115 Troisièmement, l’article 12, paragraphe 1, de la Charte consacre le droit de toute personne à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique.
116 Ledit droit correspond à celui garanti à l’article 11, paragraphe 1, de la CEDH et doit donc se voir reconnaître le même sens et la même portée que ce dernier, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte [voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 111], ce qui ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue [arrêt du 22 juin 2023, K.B. et F.S. (Relevé d’office dans le
domaine pénal), C‑660/21, EU:C:2023:498, point 41].
117 Dans ce contexte, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le droit à la liberté d’association constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et pluraliste, en ce qu’il permet aux citoyens d’agir collectivement dans des domaines d’intérêt commun et de contribuer, ce faisant, au bon fonctionnement de la vie publique (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 février 2004, Gorzelik e.a. c. Pologne, CE:ECHR:2004:0217JUD004415898, §§ 88, 90 et 92).
118 Or, le rôle primordial des partis politiques dans l’expression de la volonté des citoyens de l’Union est reconnu, s’agissant des partis politiques au niveau européen, à l’article 10, paragraphe 4, TUE et à l’article 12, paragraphe 2, de la Charte.
119 Les partis politiques, dont l’une des fonctions est de présenter des candidats aux élections (voir, par analogie, Cour EDH, 8 juillet 2008, Parti travailliste géorgien c. Géorgie, CE:ECHR:2008:0708JUD000910304, § 142), assument ainsi une fonction essentielle dans le système de démocratie représentative, sur lequel est fondé le fonctionnement de l’Union, conformément à l’article 10, paragraphe 1, TUE.
120 Il s’ensuit que la qualité de membre d’un parti politique contribue substantiellement à l’exercice effectif du droit d’éligibilité, tel que conféré par l’article 22 TFUE.
121 En troisième lieu, en ce qui concerne l’objectif de l’article 22 TFUE, cet article vise, premièrement, à conférer aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité le droit de participation au processus électoral démocratique de cet État membre. Ce droit s’étend, ainsi qu’il a été relevé au point 93 du présent arrêt, à la participation à ce processus par le droit de vote et d’éligibilité aux niveaux européen et local.
122 Deuxièmement, ledit article vise à garantir l’égalité de traitement entre les citoyens de l’Union, ce qui implique, afin que le droit d’éligibilité des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité puisse être exercé de manière effective, un accès égal aux moyens existant dans l’ordre juridique national dont disposent des ressortissants dudit État membre aux fins de l’exercice de ce droit s’agissant des élections municipales et au Parlement européen.
123 Il résulte, troisièmement, du lien entre, d’une part, la liberté de circulation et de séjour et, d’autre part, le droit de vote et d’éligibilité à ces élections, évoqué au point 111 du présent arrêt, que ce dernier droit tend, notamment, à favoriser l’intégration progressive du citoyen de l’Union concerné dans la société de l’État membre d’accueil [arrêts du 14 novembre 2017, Lounes, C‑165/16, EU:C:2017:862, point 56, et du 18 janvier 2022, Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de
naturalisation), C‑118/20, EU:C:2022:34, point 42].
124 Ainsi que l’a souligné M. l’avocat général aux points 101 et 102 de ses conclusions, l’article 22 TFUE vise ainsi à assurer la représentativité des citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité en tant que corollaire de leur intégration dans la société de l’État membre d’accueil.
125 Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’article 22 TFUE, interprété à la lumière des articles 20 et 21 TFUE, de l’article 10 TUE ainsi que de l’article 12 de la Charte, exige que, afin que les citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité puissent exercer de manière effective leur droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen dans cet État membre, ils bénéficient d’un accès égal aux moyens dont disposent les
ressortissants dudit État membre aux fins de l’exercice effectif de ces droits.
– Sur l’existence d’une différence de traitement interdite par l’article 22 TFUE
126 Ainsi qu’il ressort du point 89 du présent arrêt, la législation polonaise établit une différence de traitement en raison de la nationalité quant à la possibilité de devenir membre d’un parti politique.
127 La République de Pologne, soutenue par la République tchèque, considère cependant, à titre subsidiaire, que cette différence de traitement n’est pas contraire à l’article 22 TFUE dès lors que, premièrement, le droit polonais confère aux citoyens de l’Union résidant en Pologne sans en avoir la nationalité la possibilité de recourir à toutes les formes de candidature à l’élection disponibles, y compris à la candidature sur une liste proposée par un parti politique ou une coalition de partis
politiques, l’inscription sur une telle liste n’étant pas subordonnée à l’appartenance de cette personne à un quelconque parti.
128 Deuxièmement, la Commission n’aurait pas démontré que l’interdiction pour de tels citoyens de l’Union de devenir membres d’un parti politique limiterait l’exercice de leur droit d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen.
129 À ce dernier égard, il importe de rappeler que, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, il incombe à la Commission de prouver l’existence des manquements qu’elle allègue, sans qu’elle puisse se fonder sur une présomption quelconque [arrêt du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 36 et jurisprudence citée].
130 Cependant, l’existence d’un manquement peut être prouvée, dans le cas où celui‑ci trouve son origine dans l’adoption d’une mesure législative ou réglementaire dont l’existence et l’application ne sont pas contestées, au moyen d’une analyse juridique des dispositions de cette mesure [arrêts du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 novembre 2021, Commission/Hongrie (Incrimination de l’aide aux
demandeurs d’asile), C‑821/19, EU:C:2021:930, point 106].
131 En l’espèce, le manquement que la Commission impute à la République de Pologne trouve son origine dans l’adoption d’une mesure législative, notamment l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques, dont cet État membre ne conteste ni l’existence ni l’application et dont les dispositions font l’objet d’une analyse juridique dans la requête introductive d’instance.
132 Il convient donc d’examiner le bien-fondé de cette analyse en vérifiant si la différence de traitement instaurée par l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques conduit à ce que les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité ne bénéficient pas d’un accès égal aux moyens dont disposent les ressortissants de cet État membre aux fins de l’exercice effectif de leur droit d’éligibilité, en violation de l’article 22 TFUE.
133 Il y a lieu de relever à cet égard que, conformément à l’article 84, paragraphe 1, du code électoral, le droit de désigner les candidats à une élection appartient aux comités électoraux qui mènent, sur la base du principe d’exclusivité, la campagne électorale pour le compte de ces candidats. Il ressort de l’article 84, paragraphes 2 et 4, dudit code que, lors des élections au Parlement européen en Pologne, les comités électoraux sont constitués par des partis politiques, par des coalitions de
partis politiques ainsi que par des électeurs et que, lors des élections aux instances représentatives de collectivités territoriales ainsi que des élections de maires, les comités électoraux sont en outre constitués par des organisations sociales.
134 Il est donc en principe possible, ainsi que le fait valoir la République de Pologne, qu’un candidat indépendant qui n’appartient pas à un parti politique puisse être désigné par un comité électoral d’un parti politique ou d’une coalition de partis politiques.
135 Toutefois, d’une part, le fait de ne pas être membre d’un parti politique en application de l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques a en principe pour conséquence d’exclure un citoyen de l’Union résidant en Pologne sans en avoir la nationalité d’une participation à la prise de décision de ce parti quant à sa désignation par son comité électoral ou à tout le moins de limiter cette participation. Les arguments de la République de Pologne visant à justifier
l’interdiction faite à ces citoyens de l’Union de devenir membres de partis politiques par la nécessité d’écarter l’influence de tels citoyens de l’Union, notamment, sur les organes internes d’un parti politique qui décident des actions de celui-ci témoignent précisément de l’importance du fait d’avoir la qualité de membre d’un parti politique pour prendre part aux décisions de celui-ci.
136 S’agissant des candidats potentiels qui partagent les idées politiques d’un parti politique, l’interdiction de devenir membres de ce dernier, si elle ne rend pas leur désignation par un comité électoral d’un parti politique ou d’une coalition de partis politiques impossible, complique à tout le moins celle-ci, dès lors que, en principe, ce sont les membres d’un parti politique qui choisissent les candidats devant être désignés ainsi que la place qu’ils occupent sur leurs listes, laquelle peut
avoir une influence sur leurs chances d’être élus.
137 Cette circonstance place les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité dans une situation moins favorable que celle des ressortissants polonais, membres d’un parti politique, quant à la possibilité de se porter candidats aux élections municipales et au Parlement européen sur la liste d’un parti politique.
138 D’autre part, le fait que les ressortissants polonais peuvent choisir de se porter candidats soit en tant que membres d’un parti politique soit en tant que candidats indépendants, tandis que les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité ne disposent que de cette dernière possibilité, démontre, comme l’a indiqué M. l’avocat général au point 119 de ses conclusions, que ces citoyens de l’Union ne peuvent pas exercer leur droit d’éligibilité à ces élections dans les
mêmes conditions que les ressortissants polonais.
139 La différence de traitement établie par l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques conduit donc à ce que les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité ne bénéficient pas d’un accès égal aux moyens dont disposent les ressortissants de cet État membre aux fins de l’exercice effectif de leur droit d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen.
140 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la République de Pologne selon lesquels, d’une part, l’appartenance à un parti politique n’affecterait pas les chances des candidats d’être élus, celles-ci étant en réalité tributaires de leurs activités ainsi que de leur personnalité et, d’autre part, les citoyens de l’Union qui résident dans cet État membre sans en avoir la nationalité ont la possibilité de se porter candidats aux élections municipales et au Parlement
européen sur les listes établies par les comités électoraux autres que les comités électoraux des partis politiques.
141 En effet, premièrement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 117 à 119 du présent arrêt, les partis politiques ont un rôle primordial dans le système électoral et, par conséquent, dans le bon fonctionnement du système démocratique européen. La République de Pologne reconnaît elle-même ce rôle s’agissant des élections nationales, en faisant valoir que la constitution et le fonctionnement des partis politiques ont principalement pour but de favoriser l’accès de leurs membres au pouvoir dans l’État
membre concerné. Or, un tel constat s’applique également aux élections municipales et au Parlement européen.
142 Dès lors, si l’effet que produisent auprès des électeurs la personnalité des candidats aux élections et leurs activités ne saurait être sous-estimé, leur appartenance à un parti politique, qui, par essence, cherche à obtenir pour ses candidats un résultat favorable aux élections et dont les structures organisationnelles ainsi que les ressources humaines, administratives et financières sont dédiées à la poursuite de cet objectif, est de nature à favoriser leur élection. Par ailleurs, les rapports
d’études présentés par la République de Pologne témoignent du fait que l’appartenance à un parti politique constitue l’un des critères orientant le choix des électeurs.
143 Deuxièmement, en ce qui concerne la possibilité, pour les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité, de se porter candidats à ces élections autrement que sur une liste présentée par le comité électoral d’un parti politique, à savoir en étant désignés par un comité électoral d’électeurs ou d’une organisation, lors des élections aux instances représentatives de collectivités territoriales ainsi que des élections de maires, il y a lieu de relever que le fait d’inciter
ces citoyens de l’Union à recourir à d’autres voies que celle de l’inscription sur une liste présentée par un parti politique est susceptible de conduire à une polarisation entre les listes de candidats nationaux et non nationaux, à une fragmentation du discours politique et à une marginalisation de ces candidats, ce qui irait à l’encontre de l’objectif d’intégration poursuivi par l’article 22 TFUE.
144 Troisièmement, s’agissant de l’argument de la République de Pologne selon lequel le droit polonais prévoit des mécanismes destinés à éviter que les comités électoraux des partis politiques et des coalitions de partis politiques bénéficient de conditions plus favorables que les autres types de comités électoraux, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, en vertu de l’article 126 du code électoral, les comités électoraux s’acquittent des frais exposés aux fins des élections au moyen de leurs
propres ressources.
145 À cet égard, l’article 132, paragraphe 1, de ce code prévoit que les ressources financières du comité électoral d’un parti politique peuvent uniquement provenir de la caisse électorale de ce parti, constituée conformément aux dispositions de la loi relative aux partis politiques. Or, conformément aux articles 24 et 28 de cette loi, les ressources d’un parti politique sont constituées par les cotisations des membres, par le produit de dons, de successions et de legs, par des revenus de la
propriété, par les dotations et subventions prévues par la loi, par des revenus provenant, entre autres, d’intérêts bancaires, de la négociation d’obligations ou de la cession de certains de ses actifs et, s’ils recueillent un certain nombre de voix lors des élections à la Diète, par une dotation durant la législature. Conformément à l’article 36, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques, la caisse électorale du parti politique peut être constituée par des versements effectués par
celui-ci, ainsi que par des dons, des successions et des legs.
146 En revanche, les sources de financement d’un comité électoral d’électeurs ou d’organisations se limitent, en vertu de l’article 132, paragraphe 3, de ce code, aux contributions versées par des citoyens polonais qui résident en Pologne de manière permanente et aux emprunts bancaires contractés uniquement aux fins des élections.
147 Par conséquent, quand bien même les dispositions nationales applicables prévoient des plafonds de dépenses que l’ensemble des comités électoraux ne peuvent excéder, il n’en demeure pas moins que les partis politiques disposent de sources de financement plus nombreuses, et partant, en principe, plus conséquentes, afin de financer leur campagne électorale.
148 Ensuite, l’article 133 du code électoral prévoit que, pendant la campagne électorale, le comité électoral d’un parti politique ou d’une coalition, le comité électoral d’électeurs et le comité électoral d’une organisation peuvent utiliser gratuitement, respectivement, les locaux du parti politique, les locaux d’un membre du comité électoral et les locaux de cette organisation, ainsi que le matériel de bureau appartenant à ces entités. Or, la circonstance que les partis politiques disposent de
nombreuses sources de financement, ainsi qu’il ressort du point 145 du présent arrêt, aux fins notamment de l’acquisition ou de la location de leurs locaux et de matériel de bureau, a pour corollaire que, par rapport aux autres types de comités électoraux, les comités électoraux de partis politiques disposent, en principe, de capacités accrues en termes de locaux et de matériel de bureau pour promouvoir leur campagne électorale.
149 Enfin, pour les mêmes raisons, les comités de partis politiques ou de coalitions de partis politiques disposent, en principe, de davantage de moyens à consacrer à des frais de communication politique autres que ceux visés à l’article 117, paragraphe 1, du code électoral, relatif à la présentation gratuite des programmes électoraux sur les chaînes publiques de radio et de télévision aux frais des radiodiffuseurs, et notamment à de la publicité sur les réseaux sociaux.
150 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la différence de traitement instaurée par l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux partis politiques conduit à ce que les citoyens de l’Union qui résident en Pologne sans en avoir la nationalité ne bénéficient pas d’un accès égal aux moyens dont disposent les ressortissants de cet État membre aux fins de l’exercice effectif de leur droit d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen et constitue donc une
différence de traitement interdite, en principe, par l’article 22 TFUE.
– Sur le respect de l’identité nationale
151 Il convient encore d’examiner les arguments de la République de Pologne selon lesquels l’interprétation de l’article 22 TFUE en vertu de laquelle, afin de garantir que le principe de non-discrimination consacré par ledit article soit respecté lors de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen, les États membres doivent permettre aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité de devenir membres d’un parti
politique dans cet État membre est contraire à l’article 4, paragraphe 2, TUE qui prévoit que l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles.
152 La République de Pologne fait valoir qu’un État membre ne saurait être tenu de permettre à de tels citoyens de l’Union de participer de manière permanente et sans restriction à la vie politique de l’État membre dans lequel ils résident et d’avoir une emprise, au moyen du système des partis politiques, sur le résultat des élections législatives et présidentielles nationales, ce qui serait le cas si de tels citoyens avaient le droit de devenir membre un parti politique.
153 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que l’organisation de la vie politique nationale, à laquelle contribuent les partis politiques, fait partie de l’identité nationale, au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE.
154 Toutefois, deuxièmement, dès lors que le droit de vote et d’éligibilité conféré aux citoyens de l’Union résidant dans un État sans en avoir la nationalité par l’article 22 TFUE concerne les élections municipales et au Parlement européen dans ledit État membre, cette disposition n’implique ni l’obligation, pour cet État membre, de faire bénéficier ces citoyens du droit de vote et d’éligibilité lors des élections nationales ni une interdiction, pour ce même État membre, d’adopter des règles
particulières relatives à la prise de décisions au sein d’un parti politique quant à l’investiture des candidats aux élections nationales, qui excluraient que les membres du parti qui ne sont pas des ressortissants dudit État participent à une telle prise de décision.
155 Troisièmement, l’article 4, paragraphe 2, TUE doit être lu en tenant compte des dispositions de même rang, notamment les articles 2 et 10 TUE, et ne saurait dispenser les États membres du respect des exigences découlant de celles-ci [voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 72].
156 À cet égard, il importe de rappeler que le principe de démocratie et le principe d’égalité de traitement constituent des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée, conformément à l’article 2 TUE (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 94).
157 L’article 2 TUE ne constitue pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes comportant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres (arrêts du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 232, ainsi que du 16 février 2022, Pologne/Parlement et Conseil,
C‑157/21, EU:C:2022:98, point 264).
158 En outre, ainsi qu’il ressort du point 112 du présent arrêt, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de démocratie représentative, qui concrétise la valeur de démocratie mentionnée à l’article 2 TUE (arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 63 et jurisprudence citée).
159 En garantissant aux citoyens de l’Union résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales ainsi qu’au Parlement européen dans ledit État membre, et ce dans les mêmes conditions qu’aux ressortissants de celui-ci, l’article 22 TFUE concrétise les principes de démocratie de même que, comme il a été relevé au point 96 du présent arrêt, d’égalité de traitement des citoyens de l’Union, lesquels principes relèvent de l’identité et des
valeurs communes de l’Union, auxquels adhèrent les États membres et dont ils doivent veiller à assurer le respect sur leur territoire.
160 Par conséquent, admettre que de tels citoyens de l’Union deviennent membres d’un parti politique dans leur État membre de résidence afin de mettre pleinement en œuvre les principes de démocratie et d’égalité de traitement ne saurait être considéré comme portant atteinte à l’identité nationale de cet État membre.
161 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en refusant aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise mais qui résident en Pologne le droit d’être membre d’un parti politique, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE.
Sur les dépens
162 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La République de Pologne ayant succombé dans le cadre du présent recours, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
163 Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République tchèque supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) En refusant aux citoyens de l’Union qui n’ont pas la nationalité polonaise mais qui résident en Pologne le droit d’être membre d’un parti politique, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 TFUE.
2) La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République tchèque supporte ses propres dépens.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le polonais.