ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
7 novembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Directive (UE) 2019/1023 – Procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes – Article 1er, paragraphe 4 – Objet et champ d’application – Extension des procédures à des personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs – Article 20 – Possibilité de remise de dettes – Article 23, paragraphes 1, 2 et 4 – Dérogations – Exclusion de la remise de dettes de classes spécifiques de créances –
Personne physique devenue insolvable – Bonne foi du débiteur – Conditions d’accès à la remise de dettes – Exclusion des créances publiques »
Dans les affaires jointes C‑289/23, [Corván] i et C‑305/23 [Bacigán] ( i ),
ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante (tribunal de commerce no 1 d’Alicante, Espagne) (C‑289/23) et le Juzgado de lo Mercantil no 10 de Barcelona (tribunal de commerce no 10 de Barcelone, Espagne) (C‑305/23), par décisions des 25 avril 2023 et 2 mai 2023, parvenues à la Cour respectivement les 25 avril 2023 et 15 mai 2023, dans les procédures
Agencia Estatal de la Administración Tributaria
contre
A (C‑289/23),
et
S.E.I.
contre
Agencia Estatal de la Administración Tributaria (C‑305/23),
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de la cinquième chambre, et M. J. Passer, juge,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Ballesteros Panizo et Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. J. L. Buendía Sierra, L. Malferrari et G. von Rintelen, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 4, et de l’article 23, paragraphes 1, 2 et 4, de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132
(directive sur la restructuration et l’insolvabilité) (JO 2019, L 172, p. 18).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant A (C‑289/22) et S.E.I. (C‑305/23) à l’Agencia Estatal de Administración Tributaria (administration fiscale, Espagne) (ci-après l’« AEAT ») au sujet de demandes de remise de dettes déposées par A et S.E.I. au cours de procédures d’insolvabilité les concernant respectivement.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes des considérants 21 et 78 à 81 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité :
« (21) Le surendettement des consommateurs est très préoccupant sur les plans économique et social et est étroitement lié à la réduction du poids excessif de la dette. En outre, il n’est souvent pas possible de faire une distinction claire entre les dettes contractées par des entrepreneurs dans le cadre de leur activité artisanale, industrielle, commerciale ou professionnelle et celles contractées en dehors de ces activités. Les entrepreneurs ne pourraient pas bénéficier efficacement d’une seconde
chance s’ils devaient recourir à des procédures distinctes, assorties de conditions d’accès et de délais de remise de dettes différents, pour se libérer de leurs dettes professionnelles et des autres dettes contractées en dehors de leur activité professionnelle. C’est pourquoi, bien que la présente directive ne comprenne pas de règles contraignantes relatives au surendettement des consommateurs, il conviendrait que les États membres appliquent également aux consommateurs, dès que possible,
les dispositions de la présente directive concernant la remise de dettes.
[...]
(78) Une remise de dettes totale ou la fin de la déchéance après une période ne dépassant pas trois ans n’est pas appropriée dans toutes les circonstances, dès lors des dérogations à cette règle, dûment justifiées par des motifs précisés dans le droit national, pourraient devoir être introduites. Par exemple, de telles dérogations devraient être introduites lorsque le débiteur est malhonnête ou a agi de mauvaise foi. Lorsque les entrepreneurs ne bénéficient pas d’une présomption d’honnêteté et de
bonne foi en vertu du droit national, la charge de la preuve concernant leur honnêteté et leur bonne foi ne devrait pas rendre leur accès à la procédure inutilement difficile ou onéreux.
(79) Pour établir si un entrepreneur a été malhonnête, les autorités judiciaires ou administratives peuvent prendre en compte des éléments tels que : la nature et l’ampleur des dettes ; le moment où la dette a été contractée ; les efforts de l’entrepreneur pour les rembourser et respecter les obligations juridiques, y compris les exigences publiques en matière de licences et de bonne comptabilité ; les actions qu’il entreprend pour faire obstacle aux recours des créanciers ; le respect des
obligations qui incombent aux entrepreneurs qui sont dirigeants d’une entreprise lorsqu’il existe une probabilité d’insolvabilité ; et le respect du droit de l’Union et du droit national en matière de concurrence et de droit du travail. Des dérogations devraient également pouvoir être introduites lorsque l’entrepreneur n’a pas satisfait à certaines obligations légales, dont les obligations d’optimiser les rendements pour les créanciers, ce qui pourrait prendre la forme d’une obligation
générale de générer des revenus ou des actifs. En outre, il devrait être possible d’introduire des dérogations spécifiques lorsqu’il est nécessaire de garantir l’équilibre entre les droits du débiteur et ceux d’un ou de plusieurs créanciers, par exemple lorsque le créancier est une personne physique qui a besoin d’une plus grande protection que le débiteur.
(80) Une dérogation pourrait également être justifiée lorsque le coût de la procédure ouvrant la voie à une remise de dettes, y compris les honoraires des autorités judiciaires et administratives et des praticiens, ne sont pas couverts. Les États membres devraient pouvoir prévoir que les avantages d’une telle remise de dettes peuvent être révoqués lorsque, par exemple, la situation financière du débiteur s’améliore notablement en raison de circonstances inattendues, comme des gains à une loterie,
un héritage ou le bénéfice d’une donation. Les États membres ne devraient pas être empêchés de prévoir des dérogations supplémentaires dans des circonstances bien définies et lorsqu’elles sont dûment justifiées.
(81) Lorsqu’il existe une raison dûment justifiée en vertu du droit national, il pourrait être approprié de limiter la possibilité d’une remise pour certaines classes de dettes. Les États membres devraient pouvoir exclure les créances garanties de l’éligibilité pour une remise, seulement à hauteur de la valeur de la garantie déterminée par le droit national, le solde de la dette devant être considéré comme une créance non garantie. Les États membres devraient pouvoir exclure d’autres catégories de
dettes dans des cas dûment justifiés. »
4 L’article 1er de cette directive prévoit :
« 1. La présente directive établit des règles concernant :
[...]
b) les procédures permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables ; et
[...]
2. La présente directive ne s’applique pas aux procédures mentionnées au paragraphe 1 du présent article lorsque le débiteur concerné appartient à une des catégories suivantes :
[...]
h) personnes physiques qui ne sont pas des entrepreneurs.
[...]
4. Les États membres peuvent étendre l’application des procédures mentionnées au paragraphe 1, point b), aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs.
[...] »
5 Le titre III de ladite directive, intitulé « Remise de dettes et déchéances », comprend les articles 20 à 24 de celle-ci.
6 L’article 20 de la même directive, intitulé « Possibilité de remise de dettes », énonce :
« 1. Les États membres veillent à ce que les entrepreneurs insolvables aient accès à au moins une procédure pouvant conduire à une remise de dettes totale conformément à la présente directive.
Les États membres peuvent exiger que l’activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale pour laquelle les dettes d’un entrepreneur insolvable sont dues ait cessé.
2. Les États membres dans lesquels une remise de dettes totale est subordonnée à un remboursement partiel des dettes par l’entrepreneur veillent à ce que cette obligation de remboursement associée soit fixée en fonction de la situation individuelle de l’entrepreneur et, en particulier, soit proportionnée à ses revenus et actifs disponibles ou saisissables pendant le délai de remise et tienne compte de l’intérêt en équité des créanciers.
3. Les États membres veillent à ce que les entrepreneurs qui ont été libérés de leurs dettes puissent bénéficier des cadres nationaux existants offrant un soutien professionnel aux entrepreneurs, y compris un accès à des informations utiles et actualisées au sujet de tels cadres. »
7 L’article 23 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, intitulé « Dérogations », se lit comme suit :
« 1. Par dérogation aux articles 20 à 22, les États membres maintiennent ou adoptent des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long lorsque l’entrepreneur insolvable a agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi, au titre du droit national, à l’égard des créanciers ou d’autres parties prenantes lorsqu’il s’est endetté, durant la procédure d’insolvabilité ou
lors du remboursement des dettes, sans préjudice des règles nationales relatives à la charge de la preuve.
2. Par dérogation aux articles 20 à 22, les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long dans certaines circonstances bien définies et lorsque de telles dérogations sont dûment justifiées, notamment lorsque :
a) l’entrepreneur insolvable a commis une violation substantielle des obligations prévues par un plan de remboursement ou de toute autre obligation légale visant à préserver les intérêts des créanciers, y compris l’obligation d’optimiser les rendements pour les créanciers ;
b) l’entrepreneur insolvable ne satisfait pas aux obligations d’information ou de coopération prévues par le droit de l’Union et le droit national ;
c) il y a des demandes de remise de dettes abusives ;
d) il y a une nouvelle demande de remise de dettes au cours d’une certaine période après que l’entrepreneur insolvable s’est vu accorder une remise de dettes totale, ou qu’il s’est vu refuser une remise de dettes totale du fait d’une violation grave d’obligations d’information ou de coopération ;
e) le coût de la procédure ouvrant la voie à la remise de dettes n’est pas couvert ; ou
f) une dérogation est nécessaire pour garantir l’équilibre entre les droits du débiteur et les droits d’un ou de plusieurs créanciers.
[...]
4. Les États membres peuvent exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances, ou limiter la possibilité de remise de dettes ou encore prévoir un délai de remise plus long lorsque ces exclusions, limitations ou délais plus longs sont dûment justifiés, en ce qui concerne notamment :
a) les dettes garanties ;
b) les dettes issues de sanctions pénales ou liées à de telles sanctions ;
c) les dettes issues d’une responsabilité délictuelle ;
d) les dettes issues d’obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance ;
e) les dettes contractées après l’introduction de la demande de procédure ouvrant la voie à une remise de dettes ou après l’ouverture d’une telle procédure ; et
f) les dettes issues de l’obligation de payer le coût de la procédure ouvrant la voie à une remise de dettes.
[...] »
Le droit espagnol
Le TRLC
8 La loi applicable rationae temporis aux litiges au principal est le Real Decreto Legislativo 1/2020 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley Concursal (décret législatif royal 1/2020 portant approbation du texte de refonte de la loi sur l’insolvabilité), du 5 mai 2020 (BOE no 127, du 7 mai 2020, p. 31518), tel que modifié par la Ley 16/2022 de reforma del texto refundido de la Ley Concursal, aprobado por el Real Decreto Legislativo 1/2020, para la transposición de la Directiva (UE)
2019/1023 [loi 16/2022 portant réforme du texte de refonte de la loi sur l’insolvabilité, approuvé par le décret législatif royal 1/2020, en vue de la transposition de la directive (UE) 2019/1023], du 5 septembre 2022 (BOE no 214, du 6 septembre 2022, p. 123682) (ci-après le « TRLC »).
9 Aux termes du préambule de la loi 16/2022 :
« [...]
[...] Lorsque le débiteur insolvable est une personne physique, la procédure d’insolvabilité vise à identifier les débiteurs de bonne foi et à leur offrir une remise partielle de leurs dettes, leur permettant ainsi de bénéficier d’une seconde chance et les empêchant de basculer dans l’économie souterraine ou dans la marginalité.
[...]
La [directive sur la restructuration et l’insolvabilité] oblige tous les États membres à mettre en place un mécanisme de seconde chance pour éviter que les débiteurs ne soient tentés de se délocaliser dans d’autres pays qui prévoient déjà ces mécanismes, avec le coût que cela impliquerait tant pour le débiteur que pour ses créanciers. Parallèlement, l’homogénéisation sur ce point est considérée comme essentielle pour le fonctionnement du marché unique européen.
L’un des changements les plus radicaux de la nouvelle réglementation est que, au lieu de subordonner la remise à l’acquittement d’un certain type de dettes (comme le prévoyait l’article 487, paragraphe 2, du texte de refonte de la loi sur l’insolvabilité), un système de remise par mérite est adopté dans lequel tout débiteur, qu’il soit entrepreneur ou non, à condition qu’il satisfasse à l’exigence de bonne foi sur laquelle se fonde cette institution, peut avoir accès à une remise de toutes ses
dettes, à l’exception de celles qui, exceptionnellement et en raison de leur nature spéciale, sont considérées comme ne pouvant pas légalement faire l’objet d’une remise. L’option, déjà acceptée par le législateur espagnol en 2015, d’accorder la remise à tout débiteur personne physique de bonne foi, qu’il soit entrepreneur ou non, est maintenue.
[...]
La bonne foi du débiteur reste la pierre angulaire de la remise. Conformément aux recommandations des organismes internationaux, une délimitation normative de la bonne foi est établie, par référence à certains comportements objectifs énumérés de manière exhaustive (liste fermée), sans faire appel à des modèles de comportement vagues ou insuffisamment spécifiques, ou dont la preuve impose au débiteur une charge impossible. [...]
[...]
La remise de dettes est étendue à l’ensemble des créances dans le cadre de la procédure collective et des créances sur la masse. Les exceptions sont fondées, dans certains cas, sur l’importance particulière de leur satisfaction pour une société juste et solidaire fondée sur l’État de droit (comme les dettes alimentaires, les dettes résultant de créances de droit public, les dettes issues d’infractions pénales ou encore les dettes issues d’une responsabilité délictuelle). Ainsi, la remise de dettes
pour les créances de droit public est soumise à certaines limites et ne peut intervenir que lors de la première remise de dettes, et non lors des suivantes. Dans d’autres cas, l’exception se justifie par les synergies ou les externalités négatives qui pourraient résulter de la remise de certains types de dettes : la remise de dettes issues de l’obligation de payer les coûts de la procédure ouvrant la voie à une remise de dettes pourrait dissuader certains tiers de collaborer avec le débiteur à
cette fin (par exemple, les avocats), ce qui empêcherait le failli d’accéder à son dossier. De même, la remise de dettes pour les créances assorties de garanties réelles porterait atteinte, sans aucun fondement, à l’un des éléments essentiels de l’accès au crédit et, partant, du bon fonctionnement des économies modernes, qu’est l’immunité du créancier bénéficiant d’une garantie réelle solide face aux vicissitudes de l’insolvabilité ou à la défaillance du débiteur. Enfin, à titre exceptionnel, le
juge est autorisé à prononcer la non‑remise totale ou partielle de certaines dettes lorsque cela est nécessaire pour éviter l’insolvabilité du créancier.
[...] »
10 L’article 486 du TRLC dispose :
« Le débiteur personne physique, qu’il soit entrepreneur ou non, peut demander la remise des dettes non payées dans les termes et dans les conditions établis par la présente loi, à condition qu’il soit un débiteur de bonne foi :
1° [e]n se soumettant à un plan de paiement sans liquidation préalable de la masse des actifs, conformément au régime de remise de dettes visé à la sous-section 1 de la section 3 ci-dessous ; ou
2° [p]ar la liquidation de la masse des actifs, auquel cas la remise de dette sera soumise au régime prévu à la sous-section 2 de la section 3 ci-dessous, si la cause de la clôture de la procédure d’insolvabilité est la fin de la phase de liquidation de la masse des actifs ou l’insuffisance de celle-ci pour satisfaire les créances sur la masse. »
11 L’article 487 du TRLC est libellé comme suit :
« 1. Le débiteur qui se trouve dans l’une des situations suivantes ne pourra pas obtenir la remise des dettes non acquittées :
1° Lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, il a été condamné par un jugement définitif à une peine d’emprisonnement, même suspendue ou substituée, pour des délits contre le patrimoine et contre l’ordre socio-économique, pour falsification de documents, contre le Trésor public et la sécurité sociale ou contre les droits des travailleurs, à condition que la peine maximale pour le délit soit égale ou supérieure à trois ans, à moins qu’à la date de présentation de la demande
de remise, la responsabilité pénale ait été éteinte et que les obligations pécuniaires découlant du délit aient été acquittées.
2° Lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, il a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la sécurité sociale ou à l’ordre social, ou lorsque, au cours de la même période, une décision définitive d’extension de responsabilité a été prise, à moins que, à la date d’introduction de la demande de remise, il se soit acquitté de l’intégralité des dettes relevant de sa responsabilité.
En cas d’infractions graves, les débiteurs qui ont été sanctionnés pour un montant supérieur à cinquante pour cent du montant éligible à la remise par l’[AEAT] visé à l’article 489, paragraphe 1, point 5, ne peuvent obtenir la remise que si, à la date d’introduction de la demande de remise, ils se sont acquittés de l’intégralité des dettes relevant de leur responsabilité.
3° Lorsque l’insolvabilité a été déclarée frauduleuse. Toutefois, si l’insolvabilité a été déclarée frauduleuse uniquement en raison du non-respect par le débiteur de l’obligation de demander la déclaration d’insolvabilité en temps utile, le juge peut prendre en compte les circonstances dans lesquelles le retard s’est produit.
4° Lorsque, dans les dix années précédant la demande de remise, il a été déclaré personne concernée dans le jugement de qualification de l’insolvabilité d’un tiers qualifiée de frauduleuse, à moins que, à la date de présentation de la demande de remise, il se soit acquitté de l’intégralité des dettes relevant de sa responsabilité.
5° Lorsqu’il n’a pas respecté les obligations de coopération et d’information à l’égard du juge de l’insolvabilité et du praticien de l’insolvabilité.
6° Lorsqu’il a fourni des informations fausses ou trompeuses ou s’est comporté de manière imprudente ou négligente au moment de contracter une dette ou de s’acquitter de ses obligations, même sans que cela ait mérité un jugement qualifiant l’insolvabilité de frauduleuse. [...]
[...]
2. Dans les cas visés aux points 3 et 4 du paragraphe précédent, si la qualification n’est pas encore définitive, le juge suspend la décision de remise de dettes jusqu’à ce que la qualification soit définitive. [...] »
12 L’article 489 du TRLC prévoit :
« 1. La remise de dettes s’étend à toutes les dettes non satisfaites, à l’exception des suivantes :
[...]
2° Les dettes de responsabilité civile dérivées d’un délit.
[...]
5° Les dettes résultant de créances de droit public. Toutefois, les dettes pour lesquelles la gestion du recouvrement relève de la compétence de l’[AEAT] peuvent être remises jusqu’à concurrence du montant maximal de 10000 euros par débiteur ; pour les 5000 premiers euros de dette, la remise sera totale, et à partir de ce montant, la remise atteint cinquante pour cent de la dette jusqu’au maximum indiqué. De même, les dettes sociales peuvent être remises pour le même montant et dans les mêmes
conditions. Le montant remis, jusqu’à concurrence du plafond susmentionné, est appliqué dans l’ordre inverse de l’ordre de priorité légalement établi par la présente loi et, au sein de chaque classe, en fonction de son ancienneté.
6° Les dettes pour des amendes auxquelles le débiteur a été condamné dans le cadre d’une procédure pénale et pour des sanctions administratives très graves.
7° Les dettes relatives aux frais de justice et aux dépenses liées au traitement de la demande de remise.
[...]
3. Une créance de droit public peut faire l’objet d’une remise de dettes à concurrence du montant établi au paragraphe 1, point 5, deuxième phrase, mais seulement lors de la première remise de dettes, aucun montant ne pourra bénéficier d’une remise lors des remises ultérieures que le même débiteur pourrait obtenir. »
13 L’article 493 du TRLC dispose :
« 1. Tout créancier concerné par la remise de dettes sera en droit de demander au juge de l’insolvabilité la révocation de la remise de dettes dans les cas suivants :
[...]
3° Si, au moment de la demande, une procédure pénale ou administrative telle que prévue à l’article 487, paragraphe 1, points 1 et 2, est en cours et que, dans les trois ans suivant la remise en cas d’inexistence ou de liquidation de la masse active, ou de la remise provisoire en cas de plan de remboursement, une condamnation définitive ou une décision administrative définitive est prononcée.
2. La révocation ne peut être demandée après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la remise avec liquidation de la masse active, ou de la remise provisoire en cas de plan de remboursement. »
La loi fiscale générale
14 L’article 43, paragraphe 1, sous b), de la Ley 58/2003 General Tributaria (loi 58/2003 fiscale générale), du 17 décembre 2003 (BOE no 302, du 18 décembre 2003, p. 44987), dans sa version applicable aux faits de l’espèce (ci-après la « loi fiscale générale »), dispose :
« Les personnes ou entités suivantes seront solidairement responsables de la dette fiscale :
[...]
b) Les administrateurs de droit ou de fait des personnes morales ayant cessé leurs activités, pour les obligations fiscales de celles-ci ayant pris naissance et qui sont en suspens au moment de la cessation, dès lors qu’ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour leur paiement ou qu’ils ont conclu des accords ou pris des mesures entraînant le non‑paiement. »
15 L’article 191 de la loi fiscale générale prévoit :
« 1. Constitue une infraction fiscale le fait de ne pas payer, dans le délai établi par la réglementation de chaque impôt, tout ou partie de la dette fiscale qui devrait résulter de l’autoliquidation correcte de l’impôt, à moins qu’elle ne soit régularisée conformément à l’article 27 ou que l’article 161, paragraphe 1, sous b), ne s’applique, tous deux de la présente loi.
[...]
L’infraction fiscale prévue au présent article est mineure, grave ou très grave conformément aux dispositions des paragraphes suivants.
La base de la sanction est le montant qui ne figure pas dans l’autoliquidation, comme conséquence de la commission de l’infraction.
[...]
4. L’infraction est très grave lorsque des moyens frauduleux ont été utilisés.
L’infraction est également très grave, même si aucun moyen frauduleux n’a été utilisé, en l’absence de versement de sommes retenues ou qui auraient dû être retenues, ou [en l’absence de versement] d’acomptes, à condition que les retenues effectuées et non versées, ainsi que les acomptes imputés et non versés, représentent un pourcentage supérieur à 50 % du montant de la base de la sanction.
[...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
Affaire C‑289/23, Corván
16 Le 7 juillet 2022, A a demandé l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à son égard et fait état de dettes à hauteur de 537787,69 euros. La juridiction de renvoi ayant déclaré l’insolvabilité de ce débiteur et clôturé cette procédure pour insuffisance d’actifs le 26 juillet 2022, ledit débiteur a sollicité une remise de dettes totale le 28 septembre 2022. Le 19 octobre 2022, cette juridiction a déclaré recevable l’opposition formulée par l’AEAT à l’égard de cette remise de dettes, en raison de
l’existence de diverses créances de droit public.
17 Devant la juridiction de renvoi, l’AEAT fait valoir, d’une part, que cette opposition est motivée par l’existence, depuis moins de dix ans, d’une décision définitive d’extension de responsabilité, fondée sur l’article 43 de la loi fiscale générale, pour un montant de 114408,09 euros de dettes fiscales et de pénalités dues par la société dont A était administrateur, et que, en conséquence, ce débiteur n’est pas de bonne foi. Elle ajoute, d’autre part, que certaines des créances concernées sont
publiques et sont donc exclues de la remise de dettes.
18 La juridiction de renvoi relève, notamment, d’une part, que, par son arrêt no 381/2019, du 2 juillet 2019 (ES:TS:2019:2253), le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a jugé que, lors de la transposition de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité dans le droit espagnol, le législateur espagnol a opté pour un modèle normatif de la « bonne foi », de sorte que la mauvaise foi découle de la constatation d’une série de circonstances prévues légalement. Les juges n’auraient donc pas le
pouvoir d’apprécier les circonstances qui empêchent d’avoir accès à la remise de dettes et leur fonction se limiterait à déterminer si les circonstances légalement prévues sont réunies. Dès lors, la notion de « bonne foi » se rattacherait non pas à la notion générale prévue par le code civil, mais au respect de certaines conditions. Or, dans la législation en vigueur immédiatement avant cette transposition, un débiteur était considéré comme étant de bonne foi lorsque deux conditions étaient
réunies, à savoir, d’une part, qu’il n’y ait pas eu insolvabilité frauduleuse et, d’autre part, qu’il n’ait pas été condamné pour certains délits par un jugement définitif. Par conséquent, le paradoxe de ladite transposition serait qu’elle a introduit un régime d’accès à la remise de dettes plus restrictif que le régime antérieur à la même transposition, ce qui soulèverait de sérieux doutes quant à sa compatibilité avec le droit de l’Union.
19 En outre, la juridiction de renvoi considère que, en l’occurrence, la transposition de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité peut avoir servi à mettre en place un système d’incitation au paiement des créances qui auraient été difficilement recouvrées par l’administration publique en cas d’insolvabilité et que ce système n’est pas fondé sur la notion de « bonne foi » du débiteur. Cette juridiction se demande si une telle transposition est compatible avec l’article 23,
paragraphe 2, de cette directive et éprouve également un certain nombre de doutes quant à l’interprétation de l’article 23, paragraphe 4, de ladite directive.
20 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante (tribunal de commerce no 1 d’Alicante, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Doutes concernant l’interprétation de l’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité].
a) L’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui empêche l’accès à la remise de dettes au sens de l’article 487, paragraphe 1, point 2, du [TRLC], dans la mesure où cette restriction n’était pas prévue par la législation qui reconnaissait le droit à la remise avant la transposition de [cette] directive et a été introduite ex novo par le législateur ? En particulier, le
législateur national peut-il, lors de la transposition de [ladite] directive, imposer des restrictions à l’accès à la remise plus importantes que celles prévues par la législation antérieure, surtout lorsque ces restrictions ne correspondent à aucune des circonstances prévues à l’article 23, paragraphe 2, de la [même] directive ?
b) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la question précédente, l’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, [le débiteur] a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la
sécurité sociale ou à l’ordre social, ou lorsque, au cours de la même période, une décision définitive d’extension de responsabilité a été prise, à moins que, à la date d’introduction de la demande de remise, il se soit acquitté de l’intégralité des dettes relevant de sa responsabilité (article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC), dans la mesure où cette cause implique la modification du système de classement des créances relatives à l’insolvabilité ?
c) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la question précédente, l’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui exclut l’accès à la remise au sens de l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC lorsque [...] une décision définitive d’extension de responsabilité a été prise, à moins que, à la date d’introduction de la demande de remise, [le débiteur]
se soit acquitté de l’intégralité des dettes relevant de sa responsabilité, dans la mesure où cette circonstance ne permet pas d’établir la mauvaise foi du débiteur ? Le fait que l’insolvabilité n’ait pas été déclarée frauduleuse a-t-il une quelconque importance à cet égard ?
d) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la question précédente, l’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui exclut l’accès à la remise au sens de l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC pour les infractions ou les décisions d’extension de la responsabilité qui ont été commises ou prises au cours des dix années précédant la demande de remise
sans tenir compte de la date du fait générateur de responsabilité et du retard éventuel dans l’adoption de la décision d’extension de responsabilité ?
e) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative aux questions précédentes, l’article 23, paragraphe 2, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui empêche l’accès à la remise au sens de l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC, dans la mesure où cette restriction n’a pas été dûment justifiée par le législateur national ?
2) Doutes quant à l’interprétation de l’article 23, paragraphe 4, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité].
a) L’article 23, paragraphe 4, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition telle que celle prévue à l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC, qui prévoit des causes empêchant l’accès à la remise qui ne figurent pas dans la liste de cet article 23, paragraphe 4 ? En particulier, la liste des causes figurant [audit] article 23, paragraphe 4, doit-elle être interprétée comme étant une liste fermée ou, au
contraire, comme étant une liste ouverte ?
b) Dans la mesure où la liste est ouverte et où le législateur national peut prévoir d’autres exceptions que celles prévues par la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité], l’article 23, paragraphe 4, de [cette] directive s’oppose-t-il à une législation nationale qui établit une règle générale de non‑remise de dettes tirées de créances de droit public, sauf dans des circonstances et pour des montants très limités, indépendamment de la nature et des circonstances des dettes
spécifiques de droit public ? En particulier, est-il pertinent en l’espèce que la législation antérieure, telle qu’interprétée par la jurisprudence du Tribunal Supremo [Cour suprême], permettait une remise pour certaines créances de droit public et que la règle de transposition ait servi à restreindre le champ d’application de la remise ?
c) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par la négative à la question précédente, faut-il considérer que l’article 23, paragraphe 4, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] s’oppose à une disposition nationale telle que celle prévue à l’article 489, paragraphe 1, point 5, du TRLC, qui établit une règle générale d’exclusion de la remise de dettes tirées de créances de droit public (avec certaines exceptions qui font l’objet de la question suivante) dans la mesure où elle
accorde un traitement privilégié aux créanciers publics par rapport aux autres créanciers ?
d) En particulier, et en relation avec la question précédente, est-il pertinent que la législation prévoie une certaine remise de dettes tirées de créances de droit public, mais seulement en ce qui concerne certaines dettes et dans des limites spécifiques qui ne sont pas en rapport avec le montant réel de la dette ?
e) Enfin, l’article 23, paragraphe 4, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition telle que celle prévue à l’article 489, paragraphe 1, point 5, du TRLC, dans la mesure où [l’exclusion de] la remise de dettes [des créances de droit public] est justifiée par la pertinence particulière de leur acquittement pour une société juste et solidaire, fondée sur l’État de droit, et qu’elle se réfère de manière générale
aux créances de droit public sans tenir compte de la spécificité de la créance ? En particulier, est-il pertinent à cet égard que la justification générale soit utilisée tant pour les dettes énumérées à l’article 23, paragraphe 4, de [cette] directive que pour des circonstances ou des dettes qui n’y sont pas énumérées ? »
Affaire C‑305/23, Bacigán
21 S.E.I., une personne physique devenue insolvable, a demandé une remise de dettes dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité le concernant. S.E.I., qui avait préalablement exercé une activité économique indépendante, n’était plus un entrepreneur au moment de l’ouverture de cette procédure d’insolvabilité.
22 Dans le cadre de ladite procédure d’insolvabilité et après la liquidation totale de son patrimoine, incluant son logement, S.E.I. a, le 18 octobre 2022, présenté une demande de remise totale des dettes restant dues à cette date. L’AEAT s’est opposée à cette demande aux motifs que S.E.I. ne pouvait pas être considéré comme étant un débiteur de « bonne foi », dès lors que, au cours des dix années précédant ladite demande, il avait été sanctionné par une décision administrative définitive lui
infligeant une amende de 504,99 euros pour des « infractions fiscales graves », au sens de l’article 191 de la loi fiscale générale, et que cette amende n’avait pas été payée au moment de la même demande de remise totale de dettes.
23 Saisie de l’affaire, la juridiction de renvoi, en premier lieu, relève que le législateur espagnol a fait usage de la faculté offerte à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité et étendu, dans le TRLC, l’application des procédures permettant une remise de dettes prévues par cette directive aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs. En second lieu, elle se demande d’abord si, dans un tel cas, ladite directive doit être
interprétée en ce sens qu’elle oblige le législateur national à adopter un régime applicable aux personnes physiques qui respecte les dispositions des articles 20 à 24 de la même directive. Cette juridiction se demande, ensuite, si l’article 23 de celle‑ci, et plus particulièrement son paragraphe 1, peut être interprété en ce sens que la notion de comportement « malhonnête ou de mauvaise foi » couvre également des comportements négligents ou imprudents d’un débiteur. Ladite juridiction éprouve,
enfin, des doutes quant à l’interprétation correcte de cet article 23, paragraphe 2, notamment quant au caractère exhaustif ou non des circonstances énumérées audit article 23, paragraphe 2, sous a) à f).
24 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Mercantil no 10 de Barcelona (tribunal de commerce no 10 de Barcelone, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Si le législateur national choisit d’étendre l’application des procédures prévues pour la remise des dettes contractées par les entrepreneurs insolvables aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs, comme le prévoit l’article 1er, paragraphe 4, de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité], doit-il nécessairement mettre ses règles en conformité avec les dispositions contenues au titre III de [cette] directive ?
En cas de réponse affirmative à la première question,
2) les comportements négligents ou imprudents du débiteur qui sont à l’origine d’une dette relèvent-ils de la notion de comportement malhonnête prévue à l’article 23 de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] ?
En cas de réponse négative à la deuxième question,
3) les cas énumérés à l’article 23, paragraphe 2, sous a) à f), de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité], constituent-ils une liste exhaustive de circonstances bien définies et justifiées, ou les États [membres] peuvent-ils introduire d’autres circonstances bien définies et justifiées ?
S’il est répondu à la troisième question que les États [membres] peuvent introduire des circonstances bien définies et justifiées autres que [celles prévues] à l’article 23, paragraphe 2, sous a) à f), de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité],
4) les nouvelles circonstances bien définies introduites par l’État [membre concerné] doivent-elles en tout état de cause être justifiées par des comportements malhonnêtes ou de mauvaise foi ?
S’il est répondu aux [troisième et quatrième] questions que les États [membres] ne peuvent pas introduire de circonstances autres que celles énumérées à l’article 23, paragraphe 2, sous a) à f), de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité], ou que, s’ils introduisent d’autres circonstances, différentes et bien définies, celles-ci doivent être justifiées par des comportements malhonnêtes ou de mauvaise foi de la part du débiteur,
5) une interprétation conforme à l’article 23 de la directive [sur la restructuration et l’insolvabilité] implique-t-elle qu’une disposition telle que l’article 487, paragraphe 1, point 2, du [TRLC] ne doit pas être appliquée lorsqu’il est constaté que l’infraction fiscale très grave résulte d’un comportement du débiteur qui n’est ni malhonnête ni de mauvaise foi ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question, sous a), dans l’affaire C‑289/23 et la troisième question dans l’affaire C‑305/23
25 Par la première question, sous a), dans l’affaire C‑289/23 et la troisième question dans l’affaire C‑305/23, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste de circonstances y figurant a un caractère exhaustif ou non et, dans la négative, si les États membres ont, dans le cadre de la transposition de cette directive dans leur droit national, la faculté
d’adopter des dispositions qui restreignent l’accès au droit à la remise de dettes davantage que la réglementation nationale antérieure, en refusant ou en restreignant l’accès à la remise de dettes, en révoquant le bénéfice de la remise ou en prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long dans des circonstances autres que celles énumérées à cet article 23, paragraphe 2.
26 S’agissant, en premier lieu, du point de savoir si la liste figurant à l’article 23, paragraphe 2, de ladite directive a un caractère exhaustif ou non, il convient de constater que cette liste est introduite par le terme « notamment » et que des termes ayant la même signification sont employés dans les autres versions linguistiques de cette disposition. Il ressort donc du libellé de ladite disposition que les différentes circonstances énumérées à celle-ci le sont non pas de manière exhaustive,
mais à titre illustratif.
27 Cette interprétation littérale de l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité est corroborée par le considérant 80 de cette directive, qui énonce que le législateur de l’Union a considéré que les États membres « ne devraient pas être empêchés de prévoir des dérogations supplémentaires dans des circonstances bien définies et lorsqu’elles sont dûment justifiées ».
28 Il s’ensuit que cet article 23, paragraphe 2, doit être interprété en ce sens que la liste de circonstances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres disposent d’une marge d’appréciation leur permettant d’adopter des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long dans des circonstances autres que celles énumérées à cette disposition, pour
autant que, ainsi qu’il ressort du libellé de ladite disposition, ces circonstances soient bien définies et que de telles dérogations soient dûment justifiées.
29 S’agissant, en second lieu, du point de savoir si les États membres peuvent, à l’occasion de la transposition de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration dans leur droit national, introduire une dérogation à la remise de dettes qui n’était pas prévue par la réglementation nationale antérieure à cette transposition, afin de restreindre d’avantage l’accès au droit à la remise de dettes, il importe de constater que ni cette directive ni les travaux préparatoires à l’adoption de
celle-ci ne contiennent d’éléments permettant de considérer que le législateur de l’Union a entendu limiter la marge d’appréciation dont les États membres disposent à cet égard en empêchant ces derniers d’introduire dans leur droit national de telles dérogations.
30 Au contraire, en prévoyant, à l’article 23, paragraphe 2, de ladite directive, que les États membres peuvent, sous certaines conditions, « maintenir ou adopter » des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long, le législateur de l’Union a expressément accordé la faculté aux États membres d’adopter, lorsque ces conditions sont remplies, de telles dispositions qui
n’existaient pas auparavant.
31 S’agissant desdites conditions, l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration soumet expressément l’exercice de la faculté ainsi accordée aux États membres à cet article 23, paragraphe 2, aux conditions que les dérogations qu’ils adoptent concernent « certaines circonstances bien définies » et soient « dûment justifiées ». Il s’ensuit que, lorsque le législateur national adopte des dispositions prévoyant de telles dérogations, les motifs de ces dérogations
doivent résulter du droit national ou de la procédure ayant mené à celles-ci et ces motifs doivent poursuivre un intérêt public légitime [voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2024, Agencia Estatal de la Administración Tributaria (Exclusion des créances publiques de la remise de dettes), C‑687/22, EU:C:2024:287, point 42].
32 À cet égard, tant le considérant 78 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, qui fait référence aux dérogations « dûment justifiées par des motifs précisés dans le droit national », que le considérant 81 de cette directive, qui évoque une raison « dûment justifiée en vertu du droit national », permettent de considérer que le législateur de l’Union a estimé qu’il était suffisant que les modalités prévues à cet effet dans les différents droits nationaux soient respectées.
33 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question, sous a), dans l’affaire C‑289/23 et à la troisième question dans l’affaire C‑305/23 que l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste de circonstances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont, dans le cadre de la transposition de cette directive dans leur droit national, la faculté d’adopter des dispositions
qui restreignent l’accès au droit à la remise de dettes davantage que la réglementation nationale antérieure, en refusant ou en restreignant l’accès à la remise de dettes, en révoquant le bénéfice de la remise ou en prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long dans des circonstances autres que celles énumérées à cet article 23, paragraphe 2, pour autant que ces circonstances soient bien définies et que de telles dérogations soient dûment justifiées.
Sur la première question, sous b), c) et d), dans l’affaire C‑289/23 ainsi que sur les deuxième et quatrième questions dans l’affaire C‑305/23
34 Par la première question, sous b), c) et d), dans l’affaire C‑289/23 ainsi que par les deuxième et quatrième questions dans l’affaire C‑305/23, qu’il convient de traiter ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition de cette directive, modifie l’ordre de classement des
créances de l’insolvabilité applicable avant l’adoption de cette réglementation en ce qu’elle impose le paiement de créances publiques non privilégiées à la suite d’une procédure d’insolvabilité pour pouvoir bénéficier de la remise de dettes, exclut l’accès à la remise de dettes dans des circonstances dans lesquelles le débiteur a eu un comportement négligent ou imprudent, sans avoir pour autant agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi, et exclut cet accès lorsque, au cours des dix années
précédant la demande de remise, le débiteur a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la sécurité sociale ou d’ordre social, ou lorsqu’il a fait l’objet d’une décision définitive d’extension de responsabilité, à moins que ce débiteur ait, à la date d’introduction de cette demande, entièrement acquitté ses dettes fiscales et sociales.
35 S’agissant, en premier lieu, du point de savoir si l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition de cette directive, modifie l’ordre de classement des créances de l’insolvabilité applicable avant l’adoption de cette réglementation en ce qu’elle impose le paiement de créances publiques non privilégiées pour pouvoir bénéficier de la remise de
dettes, il convient d’observer, d’une part, qu’une procédure d’insolvabilité et une procédure de remise de dettes constituent deux procédures distinctes poursuivant des objectifs propres. Le fait de soumettre l’octroi de la remise de dettes au paiement de créances publiques n’affecte pas la qualification de ces créances de « privilégiées », d’« ordinaires » ou de « subordonnées » à la suite d’une déclaration d’insolvabilité. Par conséquent, il n’apparaît pas que l’obligation de paiement de
créances publiques non privilégiées afin de pouvoir bénéficier d’une remise de dettes entraîne une modification de l’ordre de classement des créances à la suite d’une procédure d’insolvabilité.
36 D’autre part, ainsi qu’il ressort du point 33 du présent arrêt, l’énumération contenue à cette disposition n’a pas un caractère exhaustif et les États membres ont, dans le cadre de la transposition de ladite directive dans leur droit national, la faculté d’adopter des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long dans des circonstances bien définies autres que
celles énumérées à ladite disposition, quand bien même ces dispositions restreignent l’accès au droit à la remise de dettes davantage que la réglementation nationale antérieure. Dans l’exercice de cette faculté, un État membre peut imposer le paiement de créances publiques non privilégiées à la suite d’une procédure d’insolvabilité pour pouvoir bénéficier d’une remise de dettes.
37 Toutefois, le législateur de l’Union a expressément soumis l’exercice de ladite faculté aux conditions que les dérogations visées à la même disposition aient trait à « certaines circonstances bien définies » et soient « dûment justifiées ». Il s’ensuit que, lorsque le législateur national adopte des dispositions prévoyant de telles dérogations, les motifs de ces dérogations doivent résulter du droit national ou de la procédure ayant mené à celles-ci et ces motifs doivent poursuivre un intérêt
public légitime (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança Social e.a., C‑20/23, EU:C:2024:389, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
38 L’imposition, en l’occurrence, d’une obligation de paiement de créances publiques non privilégiées afin de pouvoir bénéficier de la remise de dettes vise des circonstances bien définies. En outre, le fait que cette obligation permet d’obtenir le paiement de créances qui, en cas de déclaration d’insolvabilité, auraient difficilement été recouvrées par l’administration publique, ne fait pas obstacle à ce que cette dérogation à la remise de dettes puisse être dûment justifiée. En effet, en exigeant
le paiement de ces créances publiques non privilégiées, le législateur peut poursuivre un intérêt public légitime, ce que la juridiction de renvoi doit toutefois vérifier.
39 Il s’ensuit que l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration doit être interprété en sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition de cette directive, impose le paiement de créances publiques non privilégiées à la suite d’une procédure d’insolvabilité pour pouvoir bénéficier d’une remise de dettes, pour autant que cette obligation soit dûment justifiée.
40 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le point de savoir si l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans des circonstances dans lesquelles le débiteur a eu un comportement négligent ou imprudent, sans avoir pour autant agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi, il y a lieu de constater que, s’il est vrai que l’article 23, paragraphe 1, de cette directive vise
expressément les entrepreneurs insolvables ayant agi « de manière malhonnête ou de mauvaise de foi », une telle mention fait défaut au paragraphe 2 de cet article.
41 En effet, ledit article 23, paragraphe 2, se limite à prévoir que les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus long « dans certaines circonstances bien définies et lorsque de telles dérogations sont dûment justifiées », sans exiger pour autant l’existence d’un agissement « malhonnête » ou de « mauvaise foi » de la part
des entrepreneurs concernés.
42 En outre, les circonstances, énumérées à titre illustratif au même article 23, paragraphe 2, dans lesquelles des dérogations à la remise de dettes peuvent être prévues, ne sont pas caractérisées par l’existence d’un comportement « malhonnête » ou de « mauvaise foi » de la part des entrepreneurs concernés.
43 Il convient d’ajouter que ces circonstances correspondent, en substance, à celles évoquées aux considérants 79 et 80 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité et qu’il ne ressort pas davantage de ces considérants que le législateur de l’Union ait voulu circonscrire les « circonstances bien définies » visées à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive à des cas de figure dans lesquels les entrepreneurs concernés avaient agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi.
44 Il s’ensuit que cet article 23, paragraphe 2, doit être interprété en sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans des circonstances bien définies dans lesquelles le débiteur n’a pas agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi.
45 Pour ce qui est, en troisième et dernier lieu, du point de savoir si ledit article 23, paragraphe 2, s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, le débiteur a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la sécurité sociale ou d’ordre social, ou lorsqu’il a fait l’objet d’une décision définitive d’extension de
responsabilité à moins que ce débiteur ait, à la date d’introduction de cette demande, entièrement acquitté ses dettes fiscales et sociales, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 28 à 33 du présent arrêt, cette disposition attribue une marge d’appréciation aux États membres en prévoyant expressément qu’ils peuvent maintenir ou adopter des dispositions « refusant ou restreignant l’accès à la remise de dettes, révoquant le bénéfice de la remise ou prévoyant un délai de remise
de dettes totale ou de déchéance plus long dans certaines circonstances bien définies et lorsque de telles dérogations sont dûment justifiées ». En outre, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, ni la directive sur l’insolvabilité et la restructuration ni les travaux préparatoires à l’adoption de celle-ci ne contiennent d’éléments permettant de considérer que le législateur de l’Union a entendu limiter cette marge d’appréciation.
46 Cela étant, ainsi que cela ressort des points 31 et 37 du présent arrêt, lorsque le législateur national adopte des dispositions prévoyant de telles dérogations, les motifs de ces dérogations doivent résulter du droit national ou de la procédure ayant mené à celles‑ci et ces motifs doivent poursuivre un intérêt public légitime.
47 Ainsi, l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans certaines circonstances bien définies, telles que lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, le débiteur a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la sécurité sociale ou d’ordre social, ou lorsqu’il a
fait l’objet d’une décision définitive d’extension de responsabilité, à moins que ce débiteur ait, à la date d’introduction de cette demande, entièrement acquitté ses dettes fiscales et sociales, pour autant qu’il résulte du droit national qu’une telle exclusion se justifie par la poursuite d’un intérêt public légitime, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier. Le droit national doit donc permettre d’identifier le motif d’intérêt public légitime qui justifie, dans ces
circonstances bien définies, l’exclusion d’une remise de dettes.
48 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du point 9 du présent arrêt, le législateur espagnol a, dans le préambule de la loi 16/2022, laquelle vise à assurer la transposition de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité dans le droit espagnol, exposé les motifs qui l’ont conduit à prévoir des dérogations à la remise de dettes. Ce législateur y indique notamment qu’un débiteur qui satisfait à l’exigence de bonne foi peut avoir accès à une remise de toutes ses dettes, à l’exception de
celles qui, exceptionnellement et en raison de leur nature spéciale, sont considérées comme ne pouvant pas légalement faire l’objet d’une remise. Ces exceptions sont notamment fondées sur l’importance particulière de la satisfaction de certaines créances pour une société juste et solidaire, fondée sur l’État de droit. Parmi ces créances figurent celles de droit public. La remise de dettes pour ces dernières créances est ainsi soumise à certaines limites et ne peut intervenir que lors de la
première remise de dettes et non lors des suivantes.
49 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, d’une part, si ces motifs constituent des motifs d’intérêt public légitime et, d’autre part, s’il ressort de la législation nationale que lesdits motifs ont justifié l’exclusion d’une remise de dettes dans des circonstances bien définies, telles que celles énoncées à l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC.
50 S’agissant de cette appréciation, il importe de rappeler que les États membres sont tenus d’exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité. Il s’ensuit que la mesure nationale en cause ne doit pas excéder les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle
dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, points 36 et 37 ainsi que jurisprudence citée). Elle ne peut ainsi affecter l’obligation pour les États membres, énoncée à l’article 20, paragraphe 1, de la directive sur l’insolvabilité et la restructuration, de veiller à ce que les entrepreneurs insolvables aient accès à au moins une procédure pouvant conduire à une remise de dettes totale.
51 Ainsi, pour autant que la juridiction de renvoi considère que l’exclusion d’une remise de dettes dans des circonstances telles que celles définies à l’article 487, paragraphe 1, point 2, du TRLC est justifiée par le législateur national au nom d’un intérêt public légitime, il lui appartient d’apprécier, au regard de ce principe, si cet intérêt justifie, notamment, que cette exigence s’applique à ces dettes au cours des dix années précédant la demande de remise et que ne puisse être pris en compte
un retard éventuel dans l’adoption de la décision d’extension de responsabilité.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question, sous b), c) et d), dans l’affaire C-289/23 ainsi qu’aux deuxième et quatrième questions dans l’affaire C-305/23 que l’article 23, paragraphes 1 et 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition de cette directive, impose le paiement de créances publiques non privilégiées
à la suite d’une procédure d’insolvabilité pour pouvoir bénéficier d’une remise de dettes, exclut l’accès à la remise de dettes dans des circonstances dans lesquelles le débiteur a eu un comportement négligent ou imprudent, sans avoir pour autant agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi, et exclut cet accès lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, le débiteur a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale,
ou une infraction à la sécurité sociale ou d’ordre social, ou lorsqu’il a fait l’objet d’une décision définitive d’extension de responsabilité à moins que ce débiteur ait, à la date d’introduction de cette demande, entièrement acquitté ses dettes fiscales et sociales, pour autant que de telles dérogations soient dûment justifiées en vertu du droit national.
Sur la première question, sous e), dans l’affaire C‑289/23
53 Par sa première question, sous e), dans l’affaire C‑289/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans un cas particulier, sans que cette exclusion ait été dûment justifiée par le législateur national.
54 À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 46 du présent arrêt, le législateur de l’Union a expressément soumis l’exercice de la faculté accordée aux États membres à cette disposition à la condition que les dérogations adoptées sur le fondement de celle-ci soient « dûment justifiées ».
55 Il ressort de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité que la justification devant être fournie par un État membre à l’appui d’une dérogation telle que celle en cause au principal doit ressortir soit de la procédure ayant mené à celle-ci, soit du droit national. Ainsi, s’agissant de la première hypothèse, lorsque, en vertu du droit national, les travaux préparatoires, les préambules et les exposés des motifs des actes législatifs ou réglementaires font partie intégrante de ceux-ci
ou sont pertinents afin d’interpréter ceux-ci et qu’ils contiennent une justification de la dérogation maintenue ou adoptée dans l’exercice de la faculté prévue à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, il y a lieu de considérer que cette justification est conforme aux exigences de cette disposition. En outre, concernant la seconde hypothèse, ladite justification peut également figurer dans d’autres dispositions du droit national que celle contenant cette dérogation, telles qu’une
disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire nationale (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança Social e.a., C‑20/23, EU:C:2024:389, point 37).
56 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question, sous e), dans l’affaire C‑289/23 que l’article 23, paragraphe 2, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans un cas particulier, sans que cette exclusion ait été dûment justifiée par le législateur national.
Sur la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑289/23
57 Par sa seconde question, sous a), dans l’affaire C‑289/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste des classes spécifiques de créances y figurant a un caractère exhaustif ou non et si, dans la négative, les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances autres que celles énumérées à cette disposition, pour
autant qu’une telle exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
58 Force est de constater que cette question est, en substance, identique à la troisième question posée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 avril 2024, Agencia Estatal de la Administración Tributaria (Exclusion des créances publiques de la remise de dettes) (C‑687/22, EU:C:2024:287, points 25 et 36).
59 Partant, ainsi qu’il ressort du point 44 et du point 2 du dispositif de cet arrêt, il convient de répondre à la seconde question, sous a), dans l’affaire C‑289/23 que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste des classes spécifiques de créances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances autres que
celles énumérées à cette disposition, pour autant qu’une telle exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
Sur la seconde question, sous b) et e), dans l’affaire C‑289/23
60 Par sa seconde question, sous b) et e), dans l’affaire C‑289/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale de transposition qui prévoit une exclusion générale de la remise de dettes des créances de droit public, au motif que la satisfaction de ces créances a une importance particulière pour une société juste et solidaire,
fondée sur l’État de droit, sauf dans des circonstances et des limites quantitatives très strictes, indépendamment de la nature desdites créances et des circonstances dans lesquelles elles ont pris naissance, et qui, par conséquent, restreint la portée des dispositions nationales relatives à la remise de dettes applicables à cette classe de créances avant l’adoption de cette réglementation.
61 À cet égard, il convient, d’une part, de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 59 du présent arrêt, l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste des classes spécifiques de créances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances autres que celles énumérées à cette disposition, pour autant qu’une telle
exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
62 S’agissant, d’autre part, du point de savoir si les États membres peuvent, à l’occasion de la transposition de cette directive dans leur droit national, exclure de la remise de dettes des classes de créances dont l’exclusion n’était pas prévue par la réglementation nationale antérieure à cette transposition, il y a lieu de constater que ni ladite directive ni les travaux préparatoires à l’adoption de celle-ci ne contiennent d’éléments permettant de considérer que le législateur de l’Union
entendait limiter la marge d’appréciation des États membres en empêchant ces derniers d’adopter des dispositions excluant de la remise de dettes des classes de créances qui n’en étaient pas exclues avant ladite transposition.
63 Au contraire, en prévoyant, à l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, que, sous certaines conditions, les États membres « peuvent exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances, ou limiter la possibilité de remise de dettes ou encore prévoir un délai de remise plus long », le législateur de l’Union a expressément accordé la faculté aux États membres d’adopter, lorsque ces conditions sont remplies, des dispositions excluant de la
remise de dettes des classes de créances qui n’en étaient pas exclues auparavant.
64 Cela étant, le législateur de l’Union a expressément soumis l’exercice de la faculté ainsi accordée aux États membres à cette disposition, à la condition que de telles exclusions soient dûment justifiées. Il s’ensuit que, lorsque le législateur national adopte des dispositions prévoyant de telles dérogations, les motifs de ces dérogations doivent résulter du droit national ou de la procédure ayant mené à celles-ci et ces motifs doivent poursuivre un intérêt public légitime [arrêt du 11 avril
2024, Agencia Estatal de la Administración Tributaria (Exclusion des créances publiques de la remise de dettes), C‑687/22, EU:C:2024:287, point 42].
65 À cet égard, tant le considérant 78 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, qui fait référence aux dérogations « dûment justifiées par des motifs précisés dans le droit national », que le considérant 81 de cette directive, qui évoque une raison « dûment justifiée en vertu du droit national », permettent de considérer que le législateur de l’Union a estimé qu’il était suffisant que les modalités prévues à cet effet dans les différents droits nationaux soient respectées [arrêt du
11 avril 2024, Agencia Estatal de la Administración Tributaria (Exclusion des créances publiques de la remise de dettes), C‑687/22, EU:C:2024:287, point 43].
66 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le motif relatif à l’importance particulière de satisfaire des créances de droit public pour une société juste et solidaire, fondée sur l’État de droit, figurant dans le préambule de la loi 16/2022, justifie dûment l’exclusion générale, prévue à l’article 489, paragraphe 1, point 5, de cette loi, de la remise de dettes de ces créances, sauf dans des circonstances et des limites quantitatives très strictes, indépendamment de
la nature desdites créances et des circonstances dans lesquelles elles ont pris naissance. Lors de cette appréciation, il lui reviendra de tenir compte de l’obligation de respecter le principe de proportionnalité, ainsi que cela est énoncé au point 50 du présent arrêt.
67 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question, sous b) et e), dans l’affaire C-289/23 que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale de transposition qui prévoit une exclusion générale de la remise de dettes des créances de droit public, au motif que la satisfaction de ces créances a une importance particulière pour une société juste et
solidaire, fondée sur l’État de droit, sauf dans des circonstances et des limites quantitatives très strictes, indépendamment de la nature desdites créances et des circonstances dans lesquelles elles ont pris naissance, et qui, par conséquent, restreint la portée des dispositions nationales relatives à la remise de dettes applicables à cette classe de créances avant l’adoption de cette réglementation, pour autant que cette exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
Sur la seconde question, sous c), dans l’affaire C‑289/23
68 Par sa seconde question, sous c), dans l’affaire C‑289/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui établit une règle générale d’exclusion de la remise de dettes des créances de droit public, dans la mesure où elle accorde un traitement privilégié aux créanciers publics par rapport aux autres créanciers.
69 À cet égard, d’une part, il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 59 et 61 du présent arrêt que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que la liste des classes spécifiques de créances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances autres que celles énumérées à ladite disposition, pour autant qu’une telle
exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
70 D’autre part, ni la directive sur la restructuration et l’insolvabilité ni les travaux préparatoires à l’adoption de celle-ci ne contiennent d’éléments susceptibles de corroborer la thèse selon laquelle, au vu de la cohérence interne des classes de créances expressément visées à l’article 23, paragraphe 4, de cette directive, le législateur de l’Union entendait limiter la marge d’appréciation des États membres quant à l’exclusion de la remise de dettes de classes de créances autres que celles
énumérées à cette disposition, telles que les créances fiscales et de sécurité sociale. Au contraire, il ressort plus particulièrement de ces travaux préparatoires que ce législateur avait une volonté affirmée de laisser aux États membres une certaine marge d’appréciation pour que ceux-ci puissent, lors de la transposition de ladite directive dans leur droit national, tenir compte de la situation économique et des structures juridiques nationales (arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança
Social e.a., C‑20/23, EU:C:2024:389, point 42 ainsi que jurisprudence citée).
71 En outre, la Cour a jugé qu’une exclusion de la remise de dettes de créances de droit public, telles que les créances fiscales et de sécurité sociale, peut être dûment justifiée. En effet, les créances ne sont pas toutes de même nature, les créanciers n’ont pas la même qualité et le recouvrement de ces créances peut répondre à des objectifs particuliers. Ainsi, au vu de la nature des créances fiscales et de sécurité sociale ainsi que de l’objectif de la perception de l’impôt et des charges
sociales, les États membres peuvent légitimement considérer que les créanciers institutionnels publics ne se trouvent pas, du point de vue du recouvrement des créances concernées, dans une situation comparable à celle des créanciers du secteur commercial ou privé. Dans ces conditions, la possibilité d’exclure de la remise de dettes des créances fiscales et de sécurité sociale ne revient pas à privilégier indûment les créanciers institutionnels publics par rapport aux autres créanciers qui ne
bénéficient pas d’une telle exclusion (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2024, Instituto da Segurança Social e.a., C‑20/23, EU:C:2024:389, point 43).
72 Dès lors, la Cour a dit pour droit que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens que les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes certaines classes spécifiques de créances, telles que les créances fiscales et de sécurité sociale, et de leur attribuer ainsi un statut privilégié, pour autant qu’une telle exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2024,
Instituto da Segurança Social e.a., C‑20/23, EU:C:2024:389, point 45).
73 Partant, il convient de répondre à la seconde question, sous c), dans l’affaire C‑289/23 que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui établit une règle générale d’exclusion de la remise de dettes des créances de droit public, dans la mesure où elle accorde un traitement privilégié aux créanciers publics par rapport aux autres créanciers, pour autant qu’une telle
exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
Sur la seconde question, sous d), dans l’affaire C‑289/23
74 Par sa seconde question, sous d), dans l’affaire C‑289/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit une limitation de la remise de dettes pour une classe spécifique de créances par l’instauration d’un plafond au-delà duquel cette remise est exclue, sans que ce plafond soit fixé en fonction du montant de la dette
concernée.
75 À cet égard, il convient de constater que, à la différence de l’article 20, paragraphe 2, de cette directive, qui impose aux États membres subordonnant une remise de dettes totale à un remboursement partiel des dettes par l’entrepreneur de veiller à ce que cette obligation de remboursement associée « soit fixée en fonction de la situation individuelle de l’entrepreneur et, en particulier, soit proportionnée à ses revenus et actifs disponibles ou saisissables pendant le délai de remise et tienne
compte de l’intérêt en équité des créanciers », l’article 23, paragraphe 4, de cette directive ne prévoit pas expressément que les États membres doivent, lorsqu’ils prévoient une limitation à la possibilité de remise de dettes, fixer un plafond déterminé en fonction du montant réel de la dette concernée ni ne contient aucun élément susceptible de corroborer la thèse selon laquelle le législateur de l’Union a entendu limiter la marge d’appréciation dont les États membres disposent lorsqu’ils
prévoient de telles limitations.
76 S’agissant précisément de la marge d’appréciation dont les États membres bénéficient en application de cette dernière disposition, la Cour a déjà jugé que celle-ci doit être interprétée en ce sens qu’elle ne restreint pas la marge d’appréciation dont les États membres disposent quant au choix des classes de créances autres que celles énumérées à cette disposition qu’ils entendent exclure de la remise de dettes [arrêt du 11 avril 2024, Agencia Estatal de la Administración Tributaria (Exclusion des
créances publiques de la remise de dettes), C‑687/22, EU:C:2024:287, point 41].
77 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 35 de ses conclusions, il aurait été paradoxal de la part du législateur de l’Union de restreindre plus fortement la marge d’appréciation dont les États membres disposent lorsqu’ils limitent la possibilité de remise de dettes que celle dont ils disposent lorsqu’ils excluent de la remise de dettes une classe spécifique de créances.
78 À titre intermédiaire, il convient, partant, de conclure que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il ne restreint pas la marge d’appréciation dont les États membres disposent quant aux limitations de la possibilité de remise de dettes qu’ils entendent mettre en place.
79 Cela étant, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 64 du présent arrêt, le législateur de l’Union a expressément soumis l’exercice de la faculté ainsi accordée aux États membres à cet article 23, paragraphe 4, à la condition que de telles limitations de la possibilité de remise de dettes soient dûment justifiées. Il s’ensuit que, lorsque le législateur national adopte des dispositions prévoyant de telles dérogations, les motifs de ces dérogations doivent résulter du droit national ou de la
procédure ayant mené à celles-ci et ces motifs doivent poursuivre un intérêt public légitime.
80 À cet égard, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 65 du présent arrêt que tant le considérant 78 de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, qui fait référence aux dérogations « dûment justifiées par des motifs précisés dans le droit national », que le considérant 81 de cette directive, qui évoque une raison « dûment justifiée en vertu du droit national », permettent de considérer que le législateur de l’Union a estimé qu’il était suffisant que les modalités prévues à
cet effet dans les différents droits nationaux soient respectées.
81 D’autre part, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, lorsque les États membres exercent le pouvoir d’appréciation relatif aux dérogations qu’ils peuvent adopter en application de l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité, ils doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent ne doivent donc pas excéder les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif qu’ils poursuivent et ne pas
remettre en cause les objectifs poursuivis par cette directive, à savoir, en l’occurrence, celui de garantir que les entrepreneurs insolvables aient accès à au moins une procédure pouvant conduire à une remise de dettes totale.
82 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question, sous d), dans l’affaire C‑289/23 que l’article 23, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit une limitation de la remise de dettes pour une classe spécifique de créances par l’instauration d’un plafond au-delà duquel cette remise est exclue, sans que ce plafond soit fixé en fonction
du montant de la dette concernée, pour autant que cette limitation soit dûment justifiée en vertu du droit national.
Sur la première question dans l’affaire C‑305/23
83 Par sa première question dans l’affaire C‑305/23, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprétée en ce sens que, lorsqu’un législateur national décide d’exercer la faculté prévue à l’article 1er, paragraphe 4, de cette directive et étend l’application des procédures permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs, les
règles rendues applicables à ces personnes physiques en vertu d’une telle extension doivent être conformes aux dispositions du titre III de ladite directive.
84 Tant le gouvernement espagnol que la Commission européenne contestent la recevabilité de cette question au motif qu’elle ne serait pas pertinente. À l’appui de cette contestation, la Commission fait valoir qu’il est manifeste que le débiteur concerné, s’il n’exerce pas d’activité entrepreneuriale à ce jour, exerçait une telle activité à la date des faits au principal et que c’est cela qui est déterminant aux fins de l’application de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité. Le
gouvernement espagnol allègue, quant à lui, que ladite question n’est pas nécessaire pour la solution du litige au principal, dès lors que les dispositions nationales relatives à la remise de dettes sont applicables au débiteur qu’il soit entrepreneur ou non.
85 À cet égard, il convient de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des
éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 5 septembre 2024, W. GmbH, C‑67/23, EU:C:2024:680, point 44 et jurisprudence citée).
86 En l’occurrence, l’interprétation sollicitée de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité n’apparaît pas manifestement sans rapport avec l’objet du litige au principal dans l’affaire C‑305/23. En effet, contrairement à ce qu’allègue la Commission, la première question dans cette affaire apparaît pertinente dès lors que, ainsi qu’il a été exposé au point 21 du présent arrêt, les procédures d’insolvabilité et de remises de dettes concernent S.E.I. en
tant que personne physique et non en tant qu’entrepreneur. Par ailleurs, le fait que le droit espagnol prévoit une remise de dettes au débiteur qu’il soit entrepreneur ou non n’affecte pas la pertinence de cette question, par laquelle la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, lorsque des règles nationales relatives à la remise de dettes s’appliquent à des personnes physiques, ces règles doivent être conformes aux dispositions du titre III de cette directive.
87 Quant à la réponse à ladite question, il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité dispose que les États membres « peuvent étendre l’application des procédures mentionnées [à cet article 1er, paragraphe 1, sous b)], aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs ».
88 Or, force est de constater que le libellé dudit article 1er, paragraphe 4, est univoque en ce qu’il se limite à prévoir une extension pure et simple « des procédures mentionnées » au même article 1er, paragraphe 1, sous b), à savoir celles permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables, aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs. Ce libellé ne fait aucune mention d’une extension partielle de ces procédures.
89 Cette interprétation de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité est corroborée par le considérant 21 de cette directive, qui énonce, notamment, que, bien que ladite directive ne comprenne pas de règles contraignantes relatives au surendettement des consommateurs, il conviendrait que les États membres appliquent également aux consommateurs, dès que possible, « les dispositions » de la même directive concernant la remise de dettes.
90 Il y a lieu d’ajouter que la directive sur la restructuration et l’insolvabilité ne contient d’ailleurs aucun élément susceptible de corroborer la thèse selon laquelle le législateur de l’Union a entendu conférer une marge d’appréciation aux États membres quant à l’envergure de l’application, aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs, des procédures mentionnées à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive. Au contraire, tant le considérant 21 que
l’article 1er, paragraphe 4, de ladite directive font clairement apparaître que ce législateur avait la volonté de ne pas laisser aux États membres le choix d’opter pour une extension « partielle » ou « à la carte » de ces procédures aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs.
91 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C‑305/23 que la directive sur la restructuration et l’insolvabilité doit être interprétée en ce sens que, lorsqu’un législateur national décide d’exercer la faculté prévue à l’article 1er, paragraphe 4, de cette directive et étend l’application des procédures permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs,
les règles rendues applicables à ces personnes physiques en vertu d’une telle extension doivent être conformes aux dispositions du titre III de ladite directive.
Sur la cinquième question dans l’affaire C‑305/23
92 Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des points 40 à 44 du présent arrêt, il convient, en substance, de répondre par la négative à la quatrième question dans l’affaire C‑305/23, il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question dans cette affaire.
Sur les dépens
93 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 23, paragraphe 2, de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 (directive sur la restructuration et l’insolvabilité),
doit être interprété en ce sens que :
la liste de circonstances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont, dans le cadre de la transposition de cette directive dans leur droit national, la faculté d’adopter des dispositions qui restreignent l’accès au droit à la remise de dettes davantage que la réglementation nationale antérieure, en refusant ou en restreignant l’accès à la remise de dettes, en révoquant le bénéfice de la remise ou en prévoyant un délai de remise de dettes totale ou de déchéance plus
long dans des circonstances autres que celles énumérées à cet article 23, paragraphe 2, pour autant que ces circonstances soient bien définies et que de telles dérogations soient dûment justifiées.
2) L’article 23, paragraphes 1 et 2, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans le cadre de la transposition de cette directive, impose le paiement de créances publiques non privilégiées à la suite d’une procédure d’insolvabilité pour pouvoir bénéficier d’une remise de dettes, exclut l’accès à la remise de dettes dans des circonstances dans lesquelles le débiteur a eu un comportement négligent ou imprudent, sans avoir pour autant agi de manière malhonnête ou de mauvaise foi, et exclut l’accès à une remise de
dettes lorsque, au cours des dix années précédant la demande de remise, le débiteur a été sanctionné par une décision administrative définitive pour une infraction très grave en matière fiscale, ou une infraction à la sécurité sociale ou d’ordre social, ou lorsqu’il a fait l’objet d’une décision définitive d’extension de responsabilité à moins que ce débiteur ait, à la date d’introduction de cette demande, entièrement acquitté ses dettes fiscales et sociales, pour autant que de telles
dérogations soient dûment justifiées en vertu du droit national.
3) L’article 23, paragraphe 2, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut l’accès à la remise de dettes dans un cas particulier, sans que cette exclusion ait été dûment justifiée par le législateur national.
4) L’article 23, paragraphe 4, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
la liste des classes spécifiques de créances y figurant n’a pas un caractère exhaustif et que les États membres ont la faculté d’exclure de la remise de dettes des classes spécifiques de créances autres que celles énumérées à cette disposition, pour autant qu’une telle exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
5) L’article 23, paragraphe 4, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale de transposition qui prévoit une exclusion générale de la remise de dettes des créances de droit public, au motif que la satisfaction de ces créances a une importance particulière pour une société juste et solidaire, fondée sur l’État de droit, sauf dans des circonstances et des limites quantitatives très strictes, indépendamment de la nature desdites créances et des circonstances dans lesquelles elles ont pris naissance, et qui, par conséquent,
restreint la portée des dispositions nationales relatives à la remise de dettes applicables à cette classe de créances avant l’adoption de cette réglementation, pour autant que cette exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
6) L’article 23, paragraphe 4, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui établit une règle générale d’exclusion de la remise de dettes des créances de droit public, dans la mesure où elle accorde un traitement privilégié aux créanciers publics par rapport aux autres créanciers, pour autant qu’une telle exclusion soit dûment justifiée en vertu du droit national.
7) L’article 23, paragraphe 4, de la directive 2019/1023
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit une limitation de la remise de dettes pour une classe spécifique de créances par l’instauration d’un plafond au-delà duquel cette remise est exclue, sans que ce plafond soit fixé en fonction du montant de la dette concernée, pour autant que cette limitation soit dûment justifiée en vertu du droit national.
8) La directive 2019/1023
doit être interprétée en ce sens que :
lorsqu’un législateur national décide d’exercer la faculté prévue à l’article 1er, paragraphe 4, de cette directive et étend l’application des procédures permettant une remise des dettes contractées par des entrepreneurs insolvables aux personnes physiques insolvables qui ne sont pas des entrepreneurs, les règles rendues applicables à ces personnes physiques en vertu d’une telle extension doivent être conformes aux dispositions du titre III de ladite directive.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.