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04/10/2024 | CJUE | N°C-181/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Malte., 04/10/2024, C-181/23


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 4 octobre 2024 ( 1 )

Affaire C‑181/23

Commission européenne

contre

République de Malte

« Manquement d’État – Article 20 TFUE et article 4, paragraphe 3, TUE – Régime de citoyenneté en faveur des investisseurs – Naturalisation de ressortissants de pays tiers en contrepartie de paiements ou d’investissements prédéterminés – Absence de véritable lien entre les demandeurs à la naturalisation et un État membre »r>
Sur la portée du recours

1. Le présent recours introduit au titre de l’article 258 TFUE trouve son origine dans l’adoption et la mi...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 4 octobre 2024 ( 1 )

Affaire C‑181/23

Commission européenne

contre

République de Malte

« Manquement d’État – Article 20 TFUE et article 4, paragraphe 3, TUE – Régime de citoyenneté en faveur des investisseurs – Naturalisation de ressortissants de pays tiers en contrepartie de paiements ou d’investissements prédéterminés – Absence de véritable lien entre les demandeurs à la naturalisation et un État membre »

Sur la portée du recours

1. Le présent recours introduit au titre de l’article 258 TFUE trouve son origine dans l’adoption et la mise en œuvre du régime de citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par des investissements directs (2020) (ci-après le « régime de citoyenneté de 2020 ») ( 2 ). La Commission européenne demande à la Cour de constater que, en établissant et en mettant en œuvre le régime de citoyenneté de 2020, qui, en contrepartie de paiements ou d’investissements prédéterminés, accorde
la naturalisation à des personnes malgré l’absence de véritable lien entre celles-ci et la République de Malte, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

2. La République de Malte fait valoir que le recours de la Commission est non fondé en droit et en fait. Le droit de l’Union ne régit pas les conditions d’acquisition de la nationalité d’un État membre, sauf si ces conditions sont de nature à porter atteinte de manière générale et systématique aux valeurs et objectifs de l’Union. Ni le droit international public ( 3 ) ni le droit de l’Union n’exigent qu’une personne ait un « véritable lien antérieur » avec un État avant sa naturalisation. La
République de Malte reproche également à la Commission d’avoir procédé à une simplification excessive du régime de citoyenneté de 2020 pour « inciter » la Cour à faire une appréciation erronée des faits.

Le cadre juridique – Le droit maltais

La loi sur la citoyenneté maltaise

3. Le Maltese Citizenship Act (ci-après la « loi sur la citoyenneté maltaise ») régit l’acquisition, le retrait et la renonciation à la citoyenneté maltaise ( 4 ). Son article 10 fixe les conditions de la naturalisation ordinaire. En vertu de cet article 10, paragraphe 1, un demandeur peut se voir délivrer un certificat de naturalisation en tant que citoyen de Malte s’il démontre au ministre ( 5 ) qu’il remplit les conditions suivantes, à savoir :

« (a) qu’il a résidé à Malte pendant une période de douze mois précédant immédiatement la date de la demande ; et

(b) que, au cours des six années précédant immédiatement ladite période de douze mois, il a résidé à Malte pendant des périodes dont la durée totale n’est pas inférieure à quatre ans ; et

(c) qu’il possède une connaissance adéquate de la langue maltaise ou de l’anglais ; et

(d) qu’il est de bonne moralité ; et

(e) qu’il serait un digne citoyen de Malte. »

4. Conformément à l’article 10, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la loi sur la citoyenneté maltaise, si le ministre le juge opportun dans les circonstances spécifiques d’un cas particulier, il peut autoriser la comptabilisation de périodes de résidence antérieures de plus de sept ans à la date de la demande pour le calcul de la durée totale mentionnée sous b). Les 1989 Citizenship Regulations (tels que modifiés) (règlement de 1989 sur la citoyenneté) fixent les modalités des demandes de
naturalisation fondées sur l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise ( 6 ).

La loi de 2020 sur la citoyenneté

5. Le 28 juillet 2020, la République de Malte a adopté le Maltese Citizenship (Amendment No. 2) Act, 2020 (loi de 2020 portant modification no 2 à la loi sur la citoyenneté maltaise, ci-après la « loi de 2020 sur la citoyenneté ») ( 7 ). L’article 3 de cette loi a remplacé l’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la citoyenneté maltaise par le texte suivant :

« Nonobstant les dispositions de la présente loi ou de toute autre loi, le ministre peut délivrer un certificat de naturalisation en tant que citoyen de Malte à un étranger ou à un apatride ayant rendu des services exceptionnels à la République de Malte ou à l’humanité, ou dont la naturalisation revêt un intérêt exceptionnel pour la République de Malte et qui satisfait aux exigences prévues par la présente loi. Aux fins du présent alinéa, “exceptionnel” signifie manifestement supérieur et désigne
principalement les contributions de scientifiques, de chercheurs, d’athlètes, de sportifs, d’artistes, d’interprètes culturels, d’investisseurs et d’entrepreneurs : à condition que le ministre délivre également un certificat de naturalisation à une personne éligible à charge d’un étranger ou d’un apatride qui a rendu des services exceptionnels à la République de Malte au moyen d’investissements : à condition également que cette personne présente une demande dans les formes prescrites et en
prêtant serment de fidélité à Malte. »

6. Le 20 novembre 2020, la République de Malte a adopté ( 8 ) les Granting of citizenship for Exceptional Services Regulations, 2020 (règlement de 2020 relatif à l’octroi de la citoyenneté pour services exceptionnels, ci-après le « règlement de 2020 ») ( 9 ). La partie III et la partie IV du règlement de 2020 contiennent des règles détaillées régissant le traitement des demandes de naturalisation pour services exceptionnels par le mérite et « par des investissements directs dans le développement
économique et social de la République de Malte » ( 10 ). Les investisseurs étrangers ( 11 ) peuvent demander à être naturalisés au titre de la seconde catégorie lorsqu’ils remplissent ou s’engagent à remplir les conditions suivantes :

a) verser soit 600000 euros, soit 750000 euros au gouvernement maltais, dont 10000 euros à verser à titre de dépôt non remboursable avec le dépôt des demandes de séjour ou du formulaire d’éligibilité, le solde restant dû après approbation de la demande de naturalisation ;

b) acquérir et détenir des biens immobiliers résidentiels à Malte d’une valeur minimale de 700000 euros ou prendre en location un bien immobilier résidentiel à Malte pour une durée minimale de cinq ans, moyennant un loyer annuel minimal de 16000 euros ;

c) transférer un montant minimal de 10000 euros à une organisation ou société non gouvernementale enregistrée ou agréée d’une autre manière par les autorités, dans le domaine philanthropique, culturel, sportif, scientifique, artistique ou au service du bien-être animal ;

d) avoir été résident à Malte pendant une période de 36 mois (lorsque le paiement s’élève à 600000 euros), période qui peut être réduite à une durée minimale de 12 mois sous réserve de la réalisation d’un investissement direct exceptionnel, à savoir un paiement d’au moins 750000 euros ;

e) avoir passé une évaluation d’éligibilité par les autorités et avoir été autorisé à déposer une demande de naturalisation conformément à l’article 10 du règlement de 2020.

7. En vertu de l’article 19 du règlement de 2020, le « nombre de certificats délivrés au titre du programme de citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par des investissements directs, hors personnes à charge, ne doit pas dépasser quatre cents (400) par an et, en tout état de cause, le nombre total cumulé de demandeurs retenus, hors personnes à charge, ne doit pas dépasser mille cinq cents (1500) ».

La procédure précontentieuse

8. Le 20 octobre 2020, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la République de Malte. Elle a exprimé ses préoccupations quant au fait que le régime en faveur des investisseurs individuels, adopté en vertu de la loi sur la citoyenneté maltaise, telle que modifiée par la loi de 2013 sur la citoyenneté et le règlement de 2014, soit incompatible avec la citoyenneté de l’Union établie par l’article 20 TFUE ainsi qu’avec le principe de coopération loyale consacré à l’article 4,
paragraphe 3, TUE. Le 9 juin 2021, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure complémentaire à la République de Malte, dans laquelle elle a indiqué que la modification apportée au cadre législatif concernant le régime de citoyenneté de 2020 ne changeait pas le caractère transactionnel de ce régime qui violait donc l’article 20 TFUE et l’article 4, paragraphe 3, TUE.

9. La République de Malte a répondu à ce courrier le 6 août 2021. Elle a exprimé son désaccord avec l’appréciation de la Commission. Elle a notamment fait valoir que la position de la Commission était incompatible avec le principe d’attribution en ce qu’elle empiétait sur un domaine relevant de la souveraineté des États membres.

10. Le 2 mars 2022, la République de Malte a suspendu son régime de citoyenneté en faveur des investisseurs pour les ressortissants russes et biélorusses jusqu’à nouvel ordre.

11. Le 6 avril 2022, la Commission lui a adressé un avis motivé. La Commission a réitéré et développé les arguments qu’elle avait exposés dans sa lettre de mise en demeure et dans sa lettre de mise en demeure complémentaire. Dans sa réponse, la République de Malte a exprimé son désaccord avec l’appréciation de la Commission et a soutenu que son cadre législatif en matière de citoyenneté en faveur des investisseurs était pleinement conforme au droit de l’Union.

La procédure devant la Cour

12. Par requête déposée le 22 mars 2023, la Commission a saisi la Cour du présent recours au titre de l’article 258 TFUE visant à faire constater que :

« en établissant et en mettant en œuvre un programme institutionnalisé tel que celui d’acquisition de la citoyenneté maltaise par naturalisation pour services exceptionnels par des investissements directs, sur la base de l’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la citoyenneté maltaise, telle que modifiée par le règlement de 2020 relatif à l’octroi de la citoyenneté pour services exceptionnels, qui accorde la naturalisation en l’absence de véritable lien des demandeurs avec le pays en
contrepartie de paiements ou investissements prédéterminés, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE. »

13. La Commission demande également la condamnation de la République de Malte aux dépens.

14. Dans son mémoire en défense, déposé le 27 juin 2023, la République de Malte conclut à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le présent recours et de condamner la Commission aux dépens.

15. Après un nouvel échange de mémoires, une audience a eu lieu le 17 juin 2024, au cours de laquelle la Commission et la République de Malte ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions de la Cour.

Analyse juridique

Arguments des parties

16. Le recours formé par la Commission consiste en un seul grief qu’elle divise en trois étapes.

17. Premièrement, la Commission fait observer que, si les États membres sont compétents pour adopter des règles en matière d’acquisition de leur nationalité, le droit de l’Union limite l’exercice de cette compétence ( 12 ). La citoyenneté de l’Union repose sur la notion de confiance mutuelle. Le respect de cette confiance mutuelle interdit aux États membres d’adopter des règles de citoyenneté qui portent atteinte à l’essence, à la valeur et à l’intégrité de la citoyenneté de l’Union. La citoyenneté
de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres ( 13 ). Le droit de l’Union impose aux États membres des obligations importantes quant au traitement qu’ils réservent aux citoyens de l’Union qui entendent se prévaloir des droits que leur confère la citoyenneté de l’Union. Étant donné que l’octroi de la nationalité d’un État membre entraîne automatiquement l’acquisition de la citoyenneté de l’Union et la jouissance des droits qui y sont attachés, les
conditions dans lesquelles cette citoyenneté peut être accordée ont une incidence si directe sur les autres États membres et sur l’Union européenne que ces conditions ne relèvent plus de la compétence exclusive de l’État membre concerné. Les États membres doivent donc dûment tenir compte du droit de l’Union, notamment du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE et de l’intégrité du statut de citoyen de l’Union instauré par l’article 20 TFUE, lorsqu’ils accordent
leur nationalité à des ressortissants de pays tiers.

18. Deuxièmement, la Commission souligne que, l’Union étant fondée sur l’intégration d’États européens partageant un ensemble commun d’aspirations et de valeurs, cela suppose un rapprochement des peuples de chacun de ces États membres. La citoyenneté de l’Union implique ainsi tant le renforcement des liens entre les ressortissants des États membres et l’Union que l’intégration et l’approfondissement de la solidarité entre les différents peuples d’Europe, qui se rassemblent ainsi en une entité
politique unique en tant qu’acteurs constitutifs de l’Union. Cette interprétation est corroborée par la nature de la citoyenneté de l’Union, laquelle inclut les droits de circuler et de séjourner sur le territoire d’un autre État membre, d’être traité sur un pied d’égalité avec les ressortissants de cet État membre et de voter et d’être candidat aux élections municipales des États membres d’accueil et aux élections au Parlement européen. La citoyenneté de l’Union et les droits qui en découlent
expriment donc la solidarité et la confiance mutuelle entre les États membres. L’extension automatique et inconditionnelle de certains droits aux ressortissants de tous les États membres est conforme au principe de confiance mutuelle et repose sur une compréhension partagée, à savoir que « la nationalité traduit la manifestation d’un lien effectif entre [un État] et ses ressortissants » ( 14 ). « [...] [L]e rapport particulier de solidarité et de loyauté entre [l’État] et ses ressortissants
ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs [...] sont le fondement du lien de nationalité » ( 15 ).

19. Lorsqu’un État membre instaure et met en œuvre un régime de citoyenneté en faveur des investisseurs qui facilite l’octroi systématique de sa nationalité à des personnes en contrepartie de paiements prédéterminés sans exiger l’existence d’un véritable lien entre cet État et ces personnes, il porte atteinte et nuit tant à l’essence qu’à l’intégrité de la citoyenneté de l’Union ainsi qu’à la confiance mutuelle sur laquelle celle-ci repose. Un tel régime de citoyenneté en faveur des investisseurs
est donc incompatible avec la notion de citoyenneté de l’Union prévue à l’article 20 TFUE ainsi qu’avec le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Il s’ensuit que l’instauration et la mise en œuvre de tels régimes, même si ces derniers sont perçus comme étant dans l’intérêt (purement financier) d’un État membre, portent atteinte aux objectifs de l’Union.

20. Troisièmement, le régime de citoyenneté de 2020 répond aux critères d’un régime illégal de citoyenneté en faveur des investisseurs tel que décrit dans la deuxième étape, puisqu’il permet l’octroi systématique de la nationalité en contrepartie du paiement de sommes substantielles prédéterminées sans exiger des demandeurs qu’ils démontrent l’existence d’un véritable lien avec la République de Malte. L’article 10, paragraphe 1, sous a), de la loi sur la citoyenneté maltaise, qui régit la
naturalisation « ordinaire », prévoit qu’un demandeur doit être en mesure de démontrer qu’il a « résidé à Malte pendant une période de douze mois » immédiatement avant le dépôt de la demande. Conformément à son article 10, paragraphe 1, sous b), cette personne doit établir des périodes de résidence « dont la durée totale n’est pas inférieure à quatre ans » au cours d’une période de six ans. Des dispositions qualitativement différentes s’appliquent aux demandeurs dans le cadre du régime de
citoyenneté de 2020. La Commission soutient notamment que ce dernier régime ne contient pas de garanties suffisantes pour assurer que l’obligation de résidence constitue davantage qu’une exigence purement fictive ou qu’il existe un véritable lien entre la République de Malte et les demandeurs de la nationalité maltaise en vertu de ce régime.

21. Conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement de 2020, le demandeur principal ainsi que les personnes à sa charge âgées de 18 ans et plus doivent fournir la preuve de leur résidence à Malte pendant une période de 36 mois. L’article 16, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec la première annexe du règlement de 2020, dispose que, en contrepartie du paiement de 750000 euros (soit 150000 euros supplémentaires), cette période de résidence peut être réduite à une durée
minimale de 12 mois. Le règlement de 2020 ne définit pas la notion de « résident » ou de « résidence ». Il ne contient pas d’exigence prévoyant mutadis mutandis que cette résidence devrait avoir lieu « tout au long » de la période spécifiée. Étant donné qu’il n’existe pas de règles exigeant une présence physique régulière sur une période significative qui pourrait être interrompue par des voyages ou des séjours de courte durée à l’étranger, le règlement de 2020 ne contient pas, selon la
Commission, de règles relatives aux absences susceptibles d’interrompre les périodes de résidence. La Commission soutient donc que l’article 16, paragraphe 1, sous a), du règlement de 2020 exige simplement une résidence légale et non une présence physique à Malte.

22. La Commission rejette également l’allégation de la République de Malte selon laquelle celle-ci aurait le droit d’accorder la citoyenneté en se référant à des « liens ultérieurs » par une intégration future et une contribution à venir à cet État membre. Une telle approche « acheter maintenant – développer un lien plus tard » est, selon la Commission, incompatible avec le droit de l’Union. La Commission rappelle que les avantages de la citoyenneté de l’Union, y compris la liberté de circulation,
prennent effet à partir du moment où ce statut est acquis. Rien ne garantit qu’un citoyen maltais naturalisé dans le cadre du régime de citoyenneté de 2020 restera en République de Malte et établira des liens avec cet État. Ce citoyen pourrait choisir de se rendre dans un autre État membre, voire de maintenir le centre de ses intérêts dans un pays tiers tout en profitant des droits découlant de la citoyenneté de l’Union sans établir de liens avec un quelconque État membre. Les documents
promotionnels publiés par les agents autorisés à promouvoir ce régime font de la publicité pour la possibilité pour un citoyen naturalisé de s’installer dans un autre État membre ou dans un État associé à l’espace Schengen comme l’un des avantages de l’obtention de la nationalité maltaise.

23. Dans son mémoire en réplique, la Commission rejette l’affirmation selon laquelle le présent recours met en cause tout un pan du cadre législatif national régissant la naturalisation des personnes. Elle indique qu’elle n’entend pas prescrire la manière dont les États membres déterminent « qui sont leurs ressortissants ». Le présent recours est limité, selon elle, à un régime spécifique de citoyenneté en faveur des investisseurs qui, en procédant à une marchandisation de la citoyenneté de l’Union,
porte atteinte à l’intégrité de ce statut d’une manière qui constitue une violation particulièrement grave du droit de l’Union.

24. La Commission fonde sa demande sur le droit de l’Union, sur les exigences particulières découlant du statut de citoyen de l’Union et sur le devoir de coopération loyale qui requiert des États membres qu’ils s’abstiennent de toute action susceptible de compromettre la réalisation des objectifs de l’Union. Bien que la République de Malte conteste le fait que l’arrêt Nottebohm étaye la thèse selon laquelle le droit international exige un véritable lien comme condition de l’acquisition de la
nationalité, cet arrêt abondamment cité fait et continue de faire autorité en ce qui concerne le droit des États de refuser de reconnaître la nationalité accordée par un autre État. Conformément à l’arrêt Micheletti, les États membres ne peuvent pas refuser de reconnaître la nationalité d’un citoyen d’un État membre. Le caractère automatique de cette reconnaissance dans l’ordre juridique de l’Union fournit une base juridique à une conception commune et partagée de la nationalité qui suppose
l’existence d’un véritable lien entre un État membre et ses ressortissants.

25. La Commission fait valoir qu’il ressort du cadre juridique du régime de citoyenneté de 2020 que le processus de diligence raisonnable mené à l’égard des demandeurs consiste à évaluer leur risque en matière de sécurité ou de réputation ainsi que l’étendue de leur richesse. Ce processus ne vise pas à vérifier l’existence d’un véritable lien entre un demandeur et la République de Malte. L’existence de ce processus de vérification et le pouvoir discrétionnaire du ministre ( 16 ) de refuser l’octroi
d’un certificat de naturalisation ne modifient pas le caractère transactionnel de ce régime. La République de Malte ne conteste pas le fait que, pour relever du régime de citoyenneté de 2020, la présence physique effective à Malte n’est exigée qu’à deux reprises : pour fournir des données biométriques afin d’obtenir un permis de séjour et pour prêter serment de fidélité. La « résidence légale » que requiert le régime n’est donc pas susceptible de créer un véritable lien entre la République de
Malte et un demandeur à la naturalisation.

26. La République de Malte relève tout d’abord que, depuis toujours, les États ont cherché à attirer la richesse et la prospérité en encourageant l’afflux de personnes fortunées par l’octroi de la citoyenneté ou de son équivalent. Le pouvoir d’attribuer la nationalité est au cœur même de la souveraineté nationale. Ce pouvoir est étroitement lié à la conception et au développement de l’identité nationale d’un État membre que l’article 4, paragraphe 2, TUE impose à l’Union de protéger. La République
de Malte admet que l’existence d’un « véritable lien antérieur » constitue une base légitime sur le fondement de laquelle les États peuvent décider de reconnaître les liens d’un individu avec leur communauté politique. Il appartient néanmoins aux institutions démocratiques de chaque État membre de choisir cette possibilité par des décisions politiques et souveraines, souvent fondées sur des considérations d’équité et de justice morale. Un État membre jouit donc d’un large pouvoir d’appréciation
pour décider quels liens sont suffisants pour justifier d’inviter une personne à devenir membre de sa communauté politique. Les traités et leurs travaux préparatoires n’obligent pas les États membres à exiger d’une personne qu’elle ait un « véritable lien antérieur » avec un État membre avant sa naturalisation. La République de Malte fait également valoir que cette exigence n’existe pas en droit international et que l’arrêt Nottebohm, invoqué par la Commission, a fait l’objet d’un grand nombre
de critiques tout à fait justifiées.

27. Pour ces raisons, la République de Malte fait valoir que ce n’est que lorsque la politique de naturalisation d’un État membre entraîne de manière générale et systématique une violation grave des valeurs et objectifs de l’Union tels que définis dans les traités et dans la législation que cette politique est susceptible de constituer une violation de ces règles et valeurs. Or, selon la République de Malte, tel n’est pas le cas en l’espèce. La République de Malte estime que le recours de la
Commission est sans précédent. Selon elle, ce recours vise à empêcher un État membre de mettre en œuvre des choix politiques qu’il a légitimement opérés dans un domaine de compétence nationale reconnu à l’article 9 TUE et l’article 20, paragraphe 1, TFUE. La République de Malte considère que ce recours met en cause également la légalité de tout un pan du cadre législatif national régissant la naturalisation des personnes. Elle ajoute que l’interprétation extensive de l’article 20 TFUE et de
l’article 4, paragraphe 3, TUE, défendue par la Commission, aura une incidence immédiate sur les cadres législatifs régissant la nationalité dans tous les États membres, notamment dans les États dans lesquels la naturalisation est accordée de manière discrétionnaire. Selon la République de Malte, il s’ensuivra inévitablement des obligations de déclaration, ce qui conduira la Commission, en tant que gardienne des traités, à contrôler les politiques, lois et pratiques des États membres en matière
de naturalisation à la lumière du droit de l’Union. La République de Malte estime que cette évolution encouragera les États membres à remettre en question et, en définitive, à contester le droit et la pratique des autres États membres dans ce domaine. Selon elle, un tel contrôle ne peut être justifié que s’il est clairement démontré par des éléments de preuve appropriés que la réglementation d’un État membre constitue de manière générale et systématique un risque réel pour les valeurs et
objectifs de l’Union.

28. La République de Malte soutient en outre que le moyen unique de la Commission simplifie à l’excès la jurisprudence de la Cour en cherchant à assimiler le retrait de la nationalité à son acquisition. Le retrait de la nationalité d’un État membre d’un individu prive cette personne de la citoyenneté de l’Union et de l’ensemble des droits qui y sont attachés. En vertu du droit de l’Union, l’action des États membres qui peut aboutir à une privation de jure ou de facto des droits et devoirs attachés à
la citoyenneté de l’Union doit faire l’objet d’une surveillance stricte et rigoureuse. En revanche, l’acquisition de la nationalité étend, et non réduit, l’éventail des droits et devoirs d’une personne. L’acquisition de la nationalité doit donc être contrôlée à l’aune d’un critère différent. L’incapacité de la Commission à saisir cette différence fondamentale l’a conduite à préconiser une interprétation des traités susceptible de conduire à un élargissement disproportionné du contrôle de l’Union
sur un domaine de compétence nationale étroitement lié aux prérogatives souveraines des États membres.

29. La République de Malte fait valoir que la présentation par la Commission du régime de citoyenneté de 2020 comme une voie d’accès « automatique et inconditionnelle » à la nationalité maltaise, prévoyant l’« octroi systématique de la nationalité en contrepartie de paiements prédéterminés », dans les « intérêts purement budgétaires » de la République de Malte, constitue une simplification excessive, dépourvue de tout fondement en droit ou en fait. Si un investissement initial déclenche l’accès au
régime, cela n’intervient pas, selon elle, de manière « automatique et inconditionnelle », mais une grande importance est, au contraire, accordée à l’impact de chaque demande sur « la sécurité, la réputation, les effets systémiques, la conformité et d’autres critères ». Un taux de refus d’environ un tiers de l’ensemble des demandes recevables constitue, selon la République de Malte, une preuve suffisante de l’absence d’automaticité. L’octroi de la nationalité n’est pas non plus une conséquence
directe d’une transaction financière, puisque les demandeurs doivent prendre des engagements à long terme et rester soumis pendant une longue période après leur naturalisation à des procédures de contrôle. La République de Malte affirme donc que le régime de citoyenneté de 2020 est un régime légitime, solide, professionnellement géré et efficace de naturalisation, dont le fonctionnement ne porte pas atteinte aux objectifs de l’Union. Elle considère que le régime de citoyenneté de 2020 est
transparent, soigneusement contrôlé et qu’il a une incidence directe et positive sur la société maltaise. La République de Malte rejette la caractérisation par la Commission du régime comme relevant d’une approche « acheter maintenant – développer un lien plus tard ». Les demandeurs retenus présentent une grande variété de liens avec la communauté maltaise, à savoir des liens antérieurs, des liens actuels et des liens ultérieurs en constante évolution au fil du temps.

30. Dans son mémoire en duplique, la République de Malte fait valoir que, si la Cour accueillait le moyen de la Commission, elle serait tenue d’abroger non une seule disposition ou un groupe spécifique de règles en matière de nationalité, mais tout un ensemble d’instruments législatifs et réglementaires. La République de Malte considère que, en contestant l’intégralité du cadre juridique d’un État membre régissant l’accès à la nationalité, la Commission invite la Cour à agir en tant que
« législateur indirect », en exerçant un veto sur la législation nationale adoptée dans un domaine réservé aux États membres. Plus l’étendue du contrôle accordé dans un domaine de compétence exclusive nationale est large, plus le risque que son exercice excède la compétence de l’Union dans un domaine particulièrement sensible est élevé. Pour cette raison, la République de Malte soutient que seule une violation significative des valeurs et/ou des objectifs de l’Union pourrait justifier une
intervention de la Cour. Enfin, et contrairement à ce que soutient la Commission, la République de Malte souligne que l’Union est une communauté politique et non une « entité politique unique ».

Appréciation

Sur la recevabilité

31. Si la République de Malte ne conteste pas explicitement la recevabilité du présent recours, elle relève l’existence de différences entre les arguments soulevés par la Commission au cours de la phase précontentieuse de la procédure et ceux qu’elle invoque à présent. La République de Malte fait valoir que certains arguments avancés par la Commission dans son mémoire en réplique diffèrent de ceux invoqués dans la requête. Elle s’oppose également à ce que la Commission produise les « Passport
Papers » ( 17 ) à titre de preuve, dès lors qu’ils concernent la mise en œuvre du régime de citoyenneté de 2014 et non celui de 2020 en cause dans la présente procédure.

32. La Cour peut contrôler d’office si les conditions prévues à l’article 258 TFUE pour l’introduction d’un recours en manquement sont remplies ( 18 ). La question de la recevabilité du recours ayant été soulevée lors de l’audience et la Commission ayant eu l’occasion de répondre à une question de la Cour à ce sujet, il convient que la Cour examine cet aspect. Selon une jurisprudence constante, l’objet d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE est déterminé par l’avis motivé de la
Commission. Ce document doit contenir un exposé convaincant et détaillé des raisons ayant amené la Commission à conclure que l’État membre destinataire a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité. Le recours subséquent en manquement doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que ceux exposés dans l’avis motivé et la Cour ne peut pas examiner un grief qui n’y figure pas ( 19 ). Le présent recours a une portée plus étroite que le grief formulé dans l’avis motivé du 6 avril
2022, étant donné que celui-ci visait les régimes de citoyenneté tant de 2014 que de 2020. Sous cette réserve – qui ne suscite pas de préoccupation ( 20 ) –, le recours est fondé sur les mêmes motifs et moyens que ceux figurant dans l’avis motivé. Tant l’avis motivé que la requête identifient une violation de l’article 20 TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE en raison d’une législation instaurée par la République de Malte qui accorde la naturalisation à des personnes en contrepartie de
paiements ou d’investissements prédéterminés sans exiger l’existence d’un véritable lien entre cet État membre et ces personnes.

33. Quant aux différences alléguées entre la requête et le mémoire en réplique, il est de jurisprudence constante qu’une partie ne saurait modifier l’objet du litige en cours d’instance et que le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions de la requête ( 21 ). La Commission est néanmoins en droit de répondre aux arguments que la République de Malte a soulevés dans son mémoire en défense, à condition – comme en l’espèce – que la portée de la procédure ne soit pas
modifiée.

34. J’incite donc la Cour à considérer que tant le présent recours que les arguments soulevés dans le mémoire en réplique sont recevables.

35. S’agissant de l’admission en tant que preuves des « Passport papers », la Commission ne conteste pas qu’ils concernent la mise en œuvre du régime de citoyenneté de 2014, lequel est, ratione materiae, sans pertinence aux fins du présent recours. Contrairement à ce que semble soutenir la Commission, le contenu de ces documents ne peut donc nullement être invoqué pour tirer des conclusions quant à la légalité du régime de citoyenneté de 2020.

Sur le fond

– Remarques liminaires

36. Par le présent recours, la Commission demande à la Cour de constater que, en adoptant et en appliquant l’article 10, paragraphe 9, de la loi de 2020 sur la citoyenneté et le règlement de 2020, la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20, paragraphe 1, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Si la Cour fait droit à cette demande, la République de Malte sera tenue de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de la Cour ( 22 ). Il
s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la République de Malte, la présente procédure ne porte pas atteinte à la légalité de l’ensemble du cadre législatif de cet État membre en matière de naturalisation ( 23 ). Le recours formé par la Commission ne constitue pas non plus une tentative de cette institution, avec l’aide directe ou indirecte de la Cour, de légiférer en matière de citoyenneté de l’Union.

37. La République de Malte admet qu’un État membre qui a adopté une politique de naturalisation excluant des personnes d’une race ou d’une origine ethnique déterminée violerait, notamment, l’article 20 TFUE, lu à la lumière de l’article 2 TUE. Étant donné que la Commission ne prétend pas que le régime de citoyenneté de 2020 serait mis en œuvre de manière discriminatoire en raison de la race, de l’origine ethnique ou d’un autre motif, il n’y a pas lieu que la Cour procède à un examen plus approfondi
de cet argument ( 24 ). La République de Malte fait également valoir qu’elle a déployé des efforts considérables et investi des ressources importantes pour mettre en œuvre un processus de diligence raisonnable à plusieurs niveaux afin de s’assurer que le régime de citoyenneté de 2020 respecte et mette en œuvre, notamment, la législation de l’Union en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, la corruption et le terrorisme. Dès lors que le recours de la Commission n’est pas fondé sur un
manquement de la République de Malte à cette législation de l’Union, ni d’ailleurs à aucune autre disposition du droit de l’Union, cette allégation est également sans objet.

38. Dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, la Commission doit prouver qu’un État membre n’a pas satisfait à une obligation qui lui incombe en vertu du droit de l’Union et elle ne peut se fonder à cette fin sur aucune présomption ( 25 ).

39. Selon une jurisprudence constante, le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE requiert des États membres qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application et l’efficacité du droit de l’Union. L’on est en présence d’un manquement à l’obligation générale de coopération loyale consacrée à l’article 4, paragraphe 3, TUE uniquement si le manquement consiste en un comportement distinct de la violation d’une obligation spécifique incombant à
l’État membre concerné ( 26 ).

40. Le présent recours vise à faire constater que, en établissant et en mettant en œuvre le régime de citoyenneté de 2020 qui accorde la naturalisation à des personnes n’ayant pas de véritable lien avec la République de Malte en contrepartie de paiements ou d’investissements prédéterminés, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20, paragraphe 1, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, TUE. Ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, l’argument de la
Commission faisant valoir que la mise en œuvre du régime de citoyenneté de 2020 conduit à imposer des obligations et devoirs aux autres États membres en violation de l’article 4, paragraphe 3, TUE découle de son allégation selon laquelle la République de Malte porte atteinte à l’article 20 TFUE. En l’absence de preuve d’une violation des dispositions du traité régissant la citoyenneté, rien ne permet donc, en droit ou en fait, d’affirmer que la République de Malte a violé l’obligation de
coopération loyale. Comme l’affirme la jurisprudence, la violation alléguée de l’article 4, paragraphe 3, TUE fait référence à un comportement qui n’est pas distinct d’un manquement à une obligation spécifique au titre de l’article 20 TFUE. Je suggère donc à la Cour de considérer que, dans le cadre de la présente procédure, il n’y a pas lieu d’examiner l’affirmation selon laquelle la République de Malte a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE,
séparément de la violation alléguée de l’article 20 TFUE.

– Sur l’exigence d’un « véritable lien » au regard du droit de l’Union et du droit international en matière de nationalité

41. Il ressort des observations écrites et orales des parties que le contenu et les modalités de mise en œuvre du régime de citoyenneté de 2020 sont constants entre elles. La République de Malte ne conteste notamment pas qu’elle accorde la naturalisation à des personnes en contrepartie de paiements prédéterminés, sous réserve du respect de certaines exigences ( 27 ). Lors de l’audience, la République de Malte a confirmé que, en contrepartie du paiement d’une contribution financière spécifique, une
seule année de résidence légale dans cet État membre suffit aux fins de la naturalisation. La Commission a confirmé dans ses observations orales que son unique grief est fondé sur l’existence d’une exigence au titre du droit de l’Union – et, dans une moindre mesure, du droit international –, selon laquelle, aux fins de préserver l’intégrité de la citoyenneté de l’Union, il doit y avoir un « véritable lien » entre un État membre et ses ressortissants. Dans le cadre de ces observations, la
Commission a également affirmé que le succès de son recours dépend du bien-fondé de cette prémisse.

42. L’article 20, paragraphe 1, TFUE instaure la citoyenneté de l’Union. Conformément à l’article 9 TUE et à l’article 20, paragraphe 1, TFUE, est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. L’article 9 TUE prévoit également que la citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Le statut de citoyen de l’Union est indissociablement lié à la possession de la nationalité d’un État membre et en dépend entièrement. L’acquisition de la
nationalité d’un État membre entraîne l’acquisition automatique et inconditionnelle de la citoyenneté de l’Union. La perte de la nationalité d’un État membre a pour conséquence que la personne concernée perd automatiquement son statut de citoyen de l’Union ( 28 ). La nationalité d’un État membre est une condition sine qua non ou une « condition essentielle » pour être citoyen de l’Union.

43. Depuis l’arrêt Grzelczyk ( 29 ), la Cour a confirmé à plusieurs reprises que la citoyenneté de l’Union « a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres » ( 30 ). En pratique, cela signifie que la citoyenneté de l’Union confère un ensemble de droits à ceux qui la possèdent. Il s’agit notamment du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ( 31 ) ainsi que du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux
élections municipales dans leur État membre de résidence dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ( 32 ). Tout citoyen de l’Union peut également se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union ( 33 ). Le statut fondamental de citoyen de l’Union et les obligations et devoirs qui en découlent pour les États membres ne font
pas obstacle à ce que l’exercice de ces droits soit soumis à certaines conditions ( 34 ).

44. Étant donné que la jouissance de la citoyenneté de l’Union dépend entièrement de l’existence de la nationalité d’un État membre, il est de jurisprudence constante qu’il appartient à chaque État membre, agissant dans le cadre de sa compétence exclusive ( 35 ) et dans le respect du droit international ( 36 ), de définir les conditions dans lesquelles sa nationalité peut être acquise et perdue ( 37 ). Comme je l’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire Préfet du Gers et Institut national de
la statistique et des études économiques ( 38 ), les États membres auraient pu décider de mettre en commun leurs compétences et de conférer à l’Union le pouvoir de déterminer qui peut devenir citoyen de l’Union. Ils ont choisi de ne pas le faire.

45. La déclaration no 2 relative à la nationalité d’un État membre, annexée à l’acte final du traité UE ( 39 ), reflète également l’étendue des prérogatives des États membres dans ce domaine. Comme nous l’avons vu aux points précédents des présentes conclusions, l’acquisition de la nationalité d’un État membre entraîne automatiquement l’acquisition de la citoyenneté de l’Union, que tous les autres États membres sont tenus, en vertu du droit de l’Union, de reconnaître. La déclaration no 2 précise
que, « [...]chaque fois que le traité instituant la Communauté européenne fait référence aux ressortissants des États membres, la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné ». La déclaration no 2 reflète ainsi le point de vue des États membres selon lequel leurs conceptions respectives de la nationalité touchent à l’essence même de leur souveraineté et de leur identité nationale, qu’ils
n’entendent pas mettre en commun.

46. Les traités contiennent de nombreuses références aux peuples de l’Europe, aux peuples de l’Union européenne, aux peuples des États membres et aux peuples européens. Les citoyens de l’Union sont, en outre, les acteurs constitutifs de l’Union au sein d’une entité politique unique ( 40 ), comme en témoigne, notamment, le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ( 41 ). Cela n’enlève rien au fait que les États membres ont décidé qu’il leur appartient de déterminer qui a le
droit d’être l’un de leurs ressortissants et, par conséquent, qui est citoyen de l’Union. L’« entité politique unique » qui résulte de la création de la citoyenneté de l’Union n’impose donc pas d’obligations aux États membres en ce qui concerne les conditions auxquelles ils accordent la nationalité.

47. Dans un esprit de respect et de confiance mutuelle, les États membres ont accepté inconditionnellement de se conformer aux décisions des autres États membres quant à la question de savoir si une personne possède la nationalité d’un État membre et, partant, la citoyenneté de l’Union, indépendamment de la relation particulière entre cette personne et cet État membre. L’article 9 TUE, l’article 20, paragraphe 1, TFUE et la déclaration no 2 ne permettent pas aux institutions de l’Union ou aux autres
États membres d’instaurer des conditions pour la reconnaissance de la nationalité d’un autre État membre.

48. Dans l’arrêt Micheletti ( 42 ), la Cour a jugé que, aux fins de l’exercice des libertés fondamentales prévues par le traité CE, il n’appartient pas à la législation d’un État membre de restreindre les effets de l’attribution de la nationalité d’un autre État membre en imposant des conditions supplémentaires pour la reconnaissance de cette nationalité ( 43 ). Si cet arrêt est antérieur à l’instauration de la citoyenneté de l’Union, la Cour a repris ce principe, notamment, dans l’arrêt Zhu et
Chen ( 44 ), dans le contexte de la citoyenneté de l’Union ( 45 ). Il s’ensuit que l’Union, ses institutions et ses États membres doivent, en principe, respecter les règles des autres États membres relatives aux conditions d’acquisition et de perte de la nationalité. Le corollaire du système de reconnaissance mutuelle obligatoire examiné dans le cadre de cette jurisprudence est que les États membres ne sont pas tenus d’avoir une conception commune de ce qui constitue la nationalité et que leurs
règles d’octroi peuvent diverger.

49. Bien que le droit de l’Union ne prévoie pas les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité d’un État membre ( 46 ) et que les États membres soient tenus de respecter leurs règles respectives à cet égard, il a été jugé que l’application de ces règles ne doit pas enfreindre le droit de l’Union dans des situations relevant du champ d’application de ce dernier ( 47 ). L’exercice de la prérogative souveraine d’un État membre d’accorder ou de retirer la citoyenneté n’est pas illimité, et
tant le droit de l’Union que le droit international peuvent, en principe, restreindre l’exercice ( 48 ). Contrairement à ce que soutient la République de Malte, toute violation du droit de l’Union, quelle qu’elle soit, peut faire l’objet d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE. Le recours à cette procédure n’est pas réservé à la poursuite de ce que l’on pourrait qualifier de manquements graves ( 49 ).

50. Outre le présent recours, je n’ai pas connaissance, à ce jour, d’une affaire dans laquelle la Cour a examiné les règles d’un État membre relatives à l’acquisition de la nationalité à la lumière du droit de l’Union et, en particulier, au regard de la citoyenneté de l’Union. Cela découle, semble-t-il, du fait que le droit de l’Union n’est pas susceptible de conférer à quiconque un droit de devenir ressortissant d’un État membre. Dans l’arrêt Micheletti, la Cour a examiné, non les règles italiennes
en matière de naturalisation à la lumière du droit de l’Union, mais la conformité au droit de l’Union de règles espagnoles qui visaient à restreindre l’effet du droit italien en Espagne. Dans l’arrêt Zhu et Chen ( 50 ), la Cour a examiné la question de l’abus de droit dans le contexte de l’acquisition de la citoyenneté de l’Union ( 51 ). La Cour a rejeté la demande du gouvernement du Royaume-Uni selon laquelle un ressortissant d’un pays tiers devrait être empêché de se prévaloir du droit de
l’Union, en particulier du droit des citoyens de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, lorsque cette personne a organisé sa situation de manière à garantir que son enfant acquière la nationalité d’un État membre et donc la citoyenneté de l’Union et les droits qui en découlent. En rejetant la demande du gouvernement du Royaume‑Uni, la Cour a souligné qu’aucune des parties ayant présenté des observations dans cette affaire ne mettait en cause ni la
légalité ni le fait que l’enfant en question avait acquis la nationalité d’un État membre ( 52 ).

51. La Cour a confirmé que les particuliers doivent respecter le principe général de droit selon lequel le droit de l’Union ne peut être invoqué à des fins abusives ou frauduleuses ( 53 ). La légalité de l’octroi ou de l’acquisition de la citoyenneté de l’Union peut donc, en principe, être examinée au regard de cette notion. Dans le cadre du présent recours, la Commission invoque un manquement de la République de Malte aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20 TFUE. Elle ne fait pas
valoir que cet État membre a commis un abus de droit ou utilisé à mauvais escient les droits qui lui sont conférés. Partant, la question d’une éventuelle application de cette théorie ne se pose pas dans le cadre de la présente procédure.

52. La jurisprudence de la Cour est plus abondante sur la question du retrait ou de la perte de la citoyenneté de l’Union. Alors que la compétence pour accorder la nationalité est réservée aux États membres et que la citoyenneté de l’Union dépend de l’exercice de cette compétence, le recours à la prérogative de retrait de la citoyenneté nationale, et donc de la citoyenneté de l’Union, est soumis à un certain nombre de contraintes identifiables. Une caractéristique importante de cette jurisprudence
est qu’elle implique l’exercice de prérogatives souveraines des États membres à l’égard de leurs propres ressortissants et non à l’égard de ressortissants d’autres États membres ou de pays tiers. En raison de craintes que le retrait de la citoyenneté nationale, qui entraîne la perte de la citoyenneté de l’Union, puisse rendre les individus apatrides et les priver des droits accordés par les traités et la Charte, le droit de l’Union garantit un niveau minimal de protection juridique aux personnes
qui se trouvent dans de telles circonstances. Il en résulte une situation dans laquelle il n’est pas possible d’établir un parallèle exact entre l’octroi et le retrait de la nationalité d’un État membre, avec pour conséquence que le droit de l’Union impose aux États membres des exigences différentes pour chacun de ces cas de figure. Pour ces raisons, je partage l’avis de la République de Malte selon lequel on ne saurait assimiler le retrait de la nationalité d’un État membre à son acquisition.

53. C’est ce qu’illustre l’arrêt Rottmann ( 54 ), dans lequel la Cour a jugé que, nonobstant le fait que les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relèvent de la compétence des États membres, le droit de l’Union s’applique lorsqu’un individu peut perdre sa citoyenneté de l’Union et les droits qui y sont attachés. Lorsque l’exercice par les États membres de leurs compétences dans ce domaine porte atteinte à des droits que le droit de l’Union confère et protège, cet exercice peut
faire l’objet d’un contrôle juridictionnel au regard de ces droits. Un État membre peut retirer sa nationalité à un particulier lorsque celle-ci a été acquise de manière frauduleuse, même si la personne concernée perd de ce fait la citoyenneté de l’Union et peut devenir apatride ( 55 ), à condition que le principe de proportionnalité soit respecté ( 56 ). L’application de ce principe peut exiger que l’intéressé dispose d’un délai raisonnable avant la perte de sa nationalité pour lui permettre
d’essayer de recouvrer la nationalité d’un autre État membre ( 57 ).

54. La Cour a également jugé, dans l’arrêt Tjebbes ( 58 ), qu’un État membre peut légitimement considérer la nationalité comme l’expression d’un véritable lien avec cet État membre. Un État membre peut donc prévoir que l’absence, ou la perte, d’un véritable lien entre lui et un particulier entraîne pour ce dernier la perte de sa nationalité, pour autant que le principe de proportionnalité s’applique en ce qui concerne les conséquences de cette perte pour l’intéressé ( 59 ) du point de vue du droit
de l’Union. Selon la Cour, la perte de plein droit de la nationalité d’un État membre serait contraire au principe de proportionnalité si les règles nationales pertinentes ne permettaient pas un examen individuel des conséquences de cette perte pour les personnes concernées ( 60 ).

55. Il s’ensuit que, si un État membre peut, conformément à sa propre législation en matière de nationalité, exiger la preuve d’un véritable lien, tel que défini conformément à cette législation – ou d’un « rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants » ( 61 ) –, le droit de l’Union ne définit pas, et encore moins ne requiert, l’existence d’un tel lien pour acquérir ou conserver cette nationalité ( 62 ). Le droit de l’Union n’admet qu’une telle exigence soit
prévue par le droit national d’un État membre qu’en ce qui concerne le retrait ou la déchéance de la nationalité, et ce à condition que le principe de proportionnalité soit respecté et que certaines garanties procédurales soient accordées à la personne concernée ( 63 ).

56. S’agissant de l’exigence d’un « véritable lien » en droit international, il est vrai, comme le relève la Commission, que, dans l’arrêt Nottebohm ( 64 ), la CIJ a jugé qu’un État peut refuser de reconnaître la nationalité accordée par un autre État, en l’absence d’un véritable lien ou d’une relation entre cette personne et la nationalité qu’elle prétend posséder. L’arrêt Nottebohm se limite à permettre aux États de refuser la reconnaissance de la nationalité accordée en l’absence de véritable
lien entre une personne et l’État dont elle prétend être ressortissante. La CIJ n’oblige pas les États à exiger l’existence d’un tel lien entre eux et leurs propres ressortissants ou entre d’autres États et leurs ressortissants ( 65 ). Aux fins du présent recours, il importe de souligner que la CIJ n’a pas défini la notion de « véritable lien » en droit international, ni a fortiori exigé des États qu’ils accordent la nationalité en se référant à cette notion. Au contraire, elle a jugé qu’« [i]l
appartient [...] à tout État souverain de régler par sa propre législation l’acquisition de sa nationalité » ( 66 ). Il ressort de l’arrêt Nottebohm que, à tout le moins de l’avis de la CIJ, les règles d’octroi de la nationalité relèvent de la compétence des États.

57. Il n’existe pas de divergence significative entre le droit de l’Union et le droit international sur la question de savoir si un véritable lien doit exister entre un particulier et l’État dont il a la nationalité, dès lors que ni l’un ni l’autre n’imposent une telle exigence. Les conditions d’octroi de la nationalité relèvent du droit national ( 67 ), même si les règles internationales contre l’apatridie sont prises en compte dans une certaine mesure et qu’un respect des droits humains et
procéduraux des personnes concernées peut être accordé. Dans le contexte du droit de l’Union, la déclaration no 2 et la jurisprudence Micheletti empêchent les États membres de ne pas reconnaître l’octroi de la nationalité par un autre État membre, ce que l’arrêt Nottebohm semble confirmer ( 68 ). Il n’y a également aucun fondement logique à l’affirmation selon laquelle, au motif que les États membres sont tenus de reconnaître la nationalité accordée par d’autres États membres, leurs lois en
matière de nationalité devraient contenir une règle particulière, et a fortiori, encore moins une règle qui exige un « véritable lien » comme condition pour posséder cette nationalité. Une obligation au titre du droit de l’Union de reconnaître la nationalité accordée par d’autres États membres est une reconnaissance mutuelle et un respect de la souveraineté de chaque État membre, et non un moyen de porter atteinte aux compétences exclusives dont jouissent les États membres dans ce domaine. Toute
autre conclusion romprait l’équilibre soigneusement établi dans les traités entre la citoyenneté nationale et la citoyenneté de l’Union et constituerait une atteinte tout à fait illégale à la compétence des États membres dans un domaine extrêmement sensible qu’ils ont clairement décidé de conserver sous leur contrôle exclusif.

58. Il s’ensuit que, selon moi, la Commission n’a pas prouvé que, pour que la citoyenneté d’un État soit légalement accordée, l’article 20 TFUE exige l’existence d’un « véritable lien » ou d’un « véritable lien antérieur » entre un État membre et une personne, autre que celui pouvant être requis par le droit interne de l’État membre. La République de Malte peut éventuellement estimer qu’il y a lieu d’examiner les deuxième et troisième étapes de l’argumentation de la Commission. Toutefois, une
application fidèle de l’approche en trois étapes de la Commission nous convainc qu’il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce au‑delà de la première étape. En l’absence de preuve d’une autre violation du droit de l’Union, je propose à la Cour de rejeter le présent recours.

Sur les dépens

59. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

60. En l’espèce, la Commission et la République de Malte ont conclu respectivement à la condamnation de l’autre partie à l’instance aux dépens.

61. La République de Malte ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Conclusion

62. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de :

– rejeter le recours ;

– condamner la Commission à supporter ses dépens ainsi que ceux de la République de Malte.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Le régime de citoyenneté de 2020 est constitué du 2020 Citizenship Act (loi de 2020 sur la citoyenneté) et des 2020 Regulations (règlement de 2020), décrits aux points 5 à 7 des présentes conclusions.

( 3 ) Ci-après le « droit international ».

( 4 ) Loi sur la citoyenneté maltaise (Chap. 188), ACT XXX de 1965, telle que modifiée par les lois : II de 1970, XXXI de 1972, LVIII de 1974, XXXI de 1975, IX de 1977, XIII de 1983, XXIV de 1989, IV de 2000 et X de 2007 ; ainsi que par l’avis juridique no 410 de 2007 et la loi XV de 2013, les actes XXIV et XXVI de 2017 et les actes XV et XXXVIII de 2020.

( 5 ) L’article 2, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise prévoit que « le ministre » est « le ministre actuellement compétent pour les questions relatives à la citoyenneté maltaise ainsi que, dans les limites de l’habilitation conférée, toute personne autorisée par ce ministre à agir en son nom ».

( 6 ) Subsidiary Legislation (S.L.) 188.01 Citizenship Regulations (législation subsidiaire 188.01, règlement sur la citoyenneté), du 1er août 1989 (avis juridique no 106 de 1989, tel que modifié par les avis juridiques no 16 de 1993, no 232 de 1997, no 26 de 2000, no 188 et no 410 de 2007, ainsi que no 17 et no 63 de 2014 ; acte XIII de 2015, avis juridiques no 336 de 2017, no 214 de 2019 et no 443 de 2020).

( 7 ) Acte no XXXVIII de 2020, publié le 31 juillet 2020. Le 15 novembre 2013, la République de Malte a adopté la loi no XV de 2013 modifiant la loi sur la citoyenneté maltaise [Chap. 188 (15 novembre 2013)] (ci-après la « loi de 2013 sur la citoyenneté »). Parallèlement à la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise, la loi de 2013 sur la citoyenneté a établi une voie d’accès accélérée à la naturalisation par la participation à un « régime en faveur des
investisseurs individuels » régi par des conditions et des procédures distinctes. Le régime en faveur des investisseurs individuels, tel que prévu par les Republic of Malta Regulations, 2014 (Subsidiary Legislation 188.03 of the Laws of Malta) [règlement de la République de Malte de 2014 (législation subsidiaire 188.03 des lois de Malte)], adopté en vertu de l’avis juridique no 47 de 2014 et publié au Journal officiel du gouvernement de Malte le 4 février 2014 (ci-après le « règlement de 2014 »), a
été abrogé le 20 novembre 2020 par l’avis juridique no 437 de 2020. Un seuil de 1 800 demandeurs retenus (à l’exclusion des personnes à charge) s’applique au régime adopté en vertu de la loi de 2013 sur la citoyenneté et du règlement de 2014 (ci-après le « régime de citoyenneté de 2014 »). Nonobstant les similitudes entre les régimes de citoyenneté de 2014 et de 2020 et les nombreuses références dans les mémoires des parties aux deux régimes, le présent recours en manquement est limité au régime de
citoyenneté de 2020.

( 8 ) Conformément à l’article 10, paragraphe 9, de la loi sur la citoyenneté maltaise, telle que modifiée par la loi de 2020 sur la citoyenneté.

( 9 ) Subsidiary Legislation 188.06 of the Laws of Malta (loi subsidiaire 188.06 des lois de Malte). Le règlement de 2020 a été adopté en vertu de l’avis juridique no 437 de 2020.

( 10 ) Alors que le règlement de 2020 a abrogé le règlement de 2014, l’article 31, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de 2020 maintient en vigueur le règlement de 2014 jusqu’à ce que le nombre maximal de 1800 demandes, autorisé par ce dernier, soit atteint.

( 11 ) La demande peut inclure des membres « à charge » de la famille d’un demandeur avec, notamment, la condition qu’un paiement supplémentaire de 50000 euros soit effectué pour chacun d’eux. Voir article 16, paragraphe 3, et annexe I, point 1, sous b), du règlement de 2020.

( 12 ) Arrêts du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, ci-après l’ arrêt Micheletti , EU:C:1992:295, point 10) ; du 20 février 2001, Kaur (C‑192/99, ci-après l’« arrêt Kaur », EU:C:2001:106, point 19) ; du 19 octobre 2004, Zhu et Chen (C‑200/02, ci-après l’ arrêt Zhu et Chen , EU:C:2004:639, point 37) ; du 2 mars 2010, Rottmann (C‑135/08, ci-après l’« arrêt Rottmann », EU:C:2010:104, points 39, 41 et 45), ainsi que du 12 mars 2019, Tjebbes e.a. (C‑221/17, ci-après l’ arrêt Tjebbes ,
EU:C:2019:189, point 30).

( 13 ) Arrêt du 17 septembre 2002, Baumbast et R (C‑413/99, EU:C:2002:493, point 82).

( 14 ) Arrêt Tjebbes, point 35.

( 15 ) Arrêts Rottmann, point 51, et Tjebbes, point 33. Voir également arrêts Liechtenstein/Guatemala, Objection préliminaire (deuxième phase), et du 17 décembre 1980, Commission/Belgique (149/79, EU:C:1980:297, point 10). Voir aussi arrêt de la Cour internationale de justice (ci‑après la « CIJ ») du 6 avril 1955, [1955] CIJ Rep 4, 20 (ci-après l’« arrêt Nottebohm »).

( 16 ) Tels que définis à l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur la citoyenneté maltaise.

( 17 ) Voir « Passport Papers », publié par la Fondation Daphne Caruana Galizia (https://www.daphne.foundation/passport-papers/2021/04/round-up).

( 18 ) Arrêt du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie (C‑488/15, EU:C:2017:267, point 50).

( 19 ) Arrêt du 24 juin 2004, Commission/Pays-Bas (C‑350/02, EU:C:2004:389, point 20). La procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné la possibilité de se conformer aux obligations découlant pour lui du droit de l’Union ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. La régularité de la procédure précontentieuse constitue une garantie essentielle non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause,
mais également pour assurer que la procédure contentieuse aura pour objet un litige clairement défini. La procédure précontentieuse poursuit ainsi trois objectifs : permettre à un État membre de mettre fin à une infraction, le mettre en mesure d’exercer ses droits de la défense et délimiter l’objet du litige en vue d’une éventuelle saisine de la Cour. Voir arrêt du 16 septembre 2015, Commission/Slovaquie (C‑433/13, EU:C:2015:602, points 39 et 49).

( 20 ) L’exigence que l’objet de la procédure engagée en vertu de l’article 258 TFUE soit circonscrit par la procédure précontentieuse prévue au titre de cette disposition ne requiert pas que, dans le cadre de chaque recours, le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête soient identiques, dès lors que l’objet du litige n’a été ni étendu ni modifié, mais restreint. Voir arrêt du 14 mars 2006, Commission/France (C‑177/04, EU:C:2006:173, point 37).

( 21 ) Arrêt du 11 novembre 2010, Commission/Portugal (C‑543/08, EU:C:2010:669, point 20). Voir également article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et article 120, sous c), du règlement de procédure de la Cour.

( 22 ) Voir article 260, paragraphe 1, TFUE.

( 23 ) Dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 258 TFUE, il incombe exclusivement à la Commission, lorsqu’elle considère qu’un État membre a manqué à ses obligations, d’apprécier l’opportunité d’agir contre cet État, de déterminer les dispositions qu’il a violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son encontre. Voir arrêt du 3 mars 2016, Commission/Malte (C‑12/14, EU:C:2016:135, point 24).

( 24 ) La République de Malte soutient que le régime de citoyenneté de 2020 applique des critères objectifs et transparents. L’article 5, paragraphe 1, de la convention européenne sur la nationalité, adoptée sous l’égide du Conseil de l’Europe, entrée en vigueur le 1er mars 2000 (ci‑après la « convention européenne sur la nationalité »), dispose que « [l]es règles d’un État Partie relatives à la nationalité ne doivent pas contenir de distinction ou inclure des pratiques constituant une
discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique ».

( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, point 41 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE) (C‑316/19, EU:C:2020:1030, points 119 et 121 ainsi que jurisprudence citée).

( 27 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 28 ) Arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques (C‑673/20, ci-après l’« arrêt Préfet du Gers », EU:C:2022:449, points 46 à 48 et 57). Le point 48 de cet arrêt mentionne que, « [p]ar l’article 9 TUE et par l’article 20 TFUE, les auteurs des traités ont donc institué un lien indissociable et exclusif entre la possession de la nationalité d’un État membre et l’acquisition, mais également la conservation, du statut de citoyen de l’Union ». À
la suite de la décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union sur le fondement de l’article 50, paragraphe 1, TUE, les traités ont cessé d’être applicables au Royaume-Uni à la date de l’entrée en vigueur, le 1er février 2020, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7). Depuis cette date, les ressortissants du Royaume-Uni ne possèdent plus
la nationalité d’un État membre et ne sont plus des citoyens de l’Union. Voir arrêt Préfet du Gers, point 91.

( 29 ) Arrêt du 20 septembre 2001 (C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31). Voir, également, arrêts du 17 septembre 2002, Baumbast et R (C‑413/99, EU:C:2002:493, point 82), et du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland (C‑709/20, EU:C:2021:602, point 62). Dans son avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 172), la Cour a précisé que « [l]a poursuite des objectifs de l’Union, tels que rappelés à l’article 3 TUE, est, pour sa part,
confiée à une série de dispositions fondamentales, telles que celles prévoyant la liberté de circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, la citoyenneté de l’Union, l’espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi que la politique de concurrence. Ces dispositions, s’insérant dans le cadre d’un système propre à l’Union, sont structurées de manière à contribuer, chacune dans son domaine spécifique et avec ses caractéristiques particulières, à la réalisation du
processus d’intégration qui est la raison d’être de l’Union elle-même ».

( 30 ) Voir, également, arrêts Tjebbes, point 31, et Préfet du Gers, point 49 et jurisprudence citée.

( 31 ) Article 20, paragraphe 2, sous a), et article 21 TFUE. Les droits conférés aux citoyens de l’Union par l’article 21, paragraphe 1, TFUE visent, notamment, à favoriser leur intégration progressive dans la société de l’État membre d’accueil. Voir arrêt du 14 novembre 2017, Lounes (C‑165/16, EU:C:2017:862, point 56).

( 32 ) Sous réserve des conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci : article 20, paragraphe 2, sous b), et article 22 TFUE Voir, également, articles 40 et 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

( 33 ) L’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles ce traité ne contient pas de règles spécifiques en matière de non-discrimination. Voir arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland (C‑709/20, EU:C:2021:602, points 63 et 65 ainsi que jurisprudence citée).

( 34 ) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77), prévoit que « [l]es citoyens de l’Union
ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité ». En revanche, conformément aux articles 7 et 16 de la directive 2004/38, le droit d’un citoyen de l’Union de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période supérieure à trois mois, mais de moins de cinq ans, est soumis à des conditions
supplémentaires. Par exemple, l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 prévoit que le citoyen de l’Union sans activité professionnelle doit disposer, « pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour [...] ». Voir arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland (C‑709/20, EU:C:2021:602, points 75 à 79).

( 35 ) Il n’existe pas de législation de l’Union relative à l’acquisition ou à la perte de la citoyenneté de l’Union. La République de Malte a fait observer lors de l’audience qu’une telle législation pourrait être introduite sur la base de l’article 352 TFUE .

( 36 ) Dans ses observations tant écrites qu’orales, la Commission affirme qu’elle ne se fonde pas sur le droit international dans le cadre de la présente procédure. Cette déclaration est quelque peu contradictoire avec le fait qu’elle invoque l’arrêt Nottebohm pour étayer son argumentation. En tout état de cause, le droit de l’Union impose aux États membres de respecter le droit international lorsqu’ils fixent des règles relatives à l’acquisition et à la déchéance de la nationalité (voir arrêt
Tjebbes, point 30). Il s’ensuit que, en l’absence de conflit, les normes du droit de l’Union dans ce domaine tiennent compte du droit international et doivent le respecter. Voir, toutefois, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P, EU:C:2008:11, point 24), où il est indiqué que « [l]e rapport entre droit international et ordre juridique [de l’Union] est régi par cet ordre lui-même, et le droit
international ne peut interagir avec cet ordre juridique qu’aux seules conditions fixées par les principes constitutionnels de [l’Union] ».

( 37 ) Arrêt du 18 janvier 2022, Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de naturalisation) (C‑118/20, ci-après l’« arrêt Wiener Landesregierung », EU:C:2022:34, point 37 et jurisprudence citée). Voir, par analogie, arrêt Kaur, point 25. La Cour a précisé que la déclaration unilatérale d’un État membre avant son adhésion à la Communauté européenne (CE) visant à délimiter le champ d’application ratione personae des dispositions de la CE, et donc les ressortissants de cet État membre
susceptibles de bénéficier de ces dispositions, ne privait pas ces derniers de la faculté d’exercer ces droits puisqu’ils n’en avaient jamais bénéficié.

( 38 ) C‑673/20, EU:C:2022:129, point 22.

( 39 ) JO 1992, C 191, p. 98 (ci-après la « déclaration no 2 »). Cette déclaration a été annexée au traité de Maastricht de 1992, qui a instauré la citoyenneté de l’Union. La déclaration no 2 visait à clarifier le champ d’application ratione personae des dispositions du droit de l’Union faisant référence à la notion de « national » et doit donc être prise en considération lors de la détermination du champ d’application ratione personae du traité UE. Voir arrêt du 5 septembre 2023, Udlændinge- og
Integrationsministeriet (Perte de la nationalité danoise) (C‑689/21, EU:C:2023:626, point 27).

( 40 ) Cette « entité politique unique » est limitée par les dispositions des traités et ne doit donc pas être assimilée à celle d’un État.

( 41 ) Article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE. Voir également articles 9 à 11 TUE sur les principes démocratiques, qui font largement référence aux citoyens de l’Union.

( 42 ) Point 10.

( 43 ) Dans ses conclusions dans l’affaire Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:47, points 3 et 4), M. l’avocat général Tesauro a indiqué que l’acquisition et la perte de la nationalité relèvent exclusivement de la compétence de chaque État. La possession de la nationalité d’un État membre, quelle que soit la manière dont elle a été acquise, est la seule condition qu’une personne doit remplir pour exercer le droit d’établissement et aucun autre élément ou critère ne peut être pris en considération.

( 44 ) Au point 39 de cet arrêt, la Cour ne se réfère pas à une restriction imposée par une législation, mais affirme en termes généraux qu’un État membre ne peut pas restreindre les effets de l’octroi de la nationalité d’un autre État membre en imposant des conditions supplémentaires pour la reconnaissance de cette nationalité. Voir, également, arrêt du 2 octobre 2003, Garcia Avello (C‑148/02, EU:C:2003:539, point 28).

( 45 ) Articles 17 et 18 CE (à présent, articles 20 et 21 TFUE).

( 46 ) Le principe d’attribution régit l’attribution de compétences à l’Union : article 4, paragraphe 1, et article 5, paragraphes 1 et 2, TUE. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres. L’Union ne saurait s’arroger des compétences dans des domaines réservés aux États membres.

( 47 ) Les arrêts Rottmann, points 39 et 41, ainsi que Tjebbes, point 30, appliquent ce principe général du droit de l’Union.

( 48 ) Voir arrêt du 14 décembre 2021, Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo » (C‑490/20, EU:C:2021:1008, point 38 et jurisprudence citée), dans lequel la Cour a jugé que « la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre » et que, « dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier ».

( 49 ) L’article 258 TFUE permet à la Commission d’engager une procédure en manquement lorsqu’elle estime qu’un État membre a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du droit de l’Union, sans lui imposer de distinguer selon la nature et la gravité de l’infraction alléguée. Voir arrêt du 27 novembre 1990, Commission/Italie (C‑209/88, EU:C:1990:423, point 14), et, par analogie, arrêt du 18 octobre 2007, Commission/Danemark (C‑19/05, EU:C:2007:606, point 35).

( 50 ) Points 34 à 40.

( 51 ) Voir, par analogie, Sloane, R. D., « Breaking the Genuine Link. The Contemporary International Legal Regulation of Nationality », Harvard International Law Review, vol. 50, no 1. L’auteur considère que l’arrêt Nottebohm peut être correctement interprété comme une décision de portée restreinte dans laquelle la CIJ a invoqué le principe général de l’abus de droit afin d’empêcher M. Nottebohm de se soustraire aux conséquences du droit de la guerre.

( 52 ) La preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par le droit de l’Union, l’objectif poursuivi par celui-ci n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant du droit de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. Voir arrêt du 26 février 2019, T Danmark et Y Denmark (C‑116/16
et C‑117/16, ci-après l’ arrêt T Danmark , EU:C:2019:135, points 70 et 97 ainsi que jurisprudence citée).

( 53 ) Arrêt T Danmark, points 70 à 71 et jurisprudence citée. La notion d’« abus du droit de l’Union » peut, en principe, s’appliquer à l’action des particuliers et des États membres, à condition que la nécessaire compétence de l’Union soit établie et que les preuves requises soient produites.

( 54 ) Points 41, 42, 48, 57 et 58.

( 55 ) L’article 15, paragraphe 2, de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies, qui prévoit que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ». L’article 8, paragraphe 2, sous b), de la convention sur la réduction des cas d’apatridie, conclue à New York le 30 août 1961 et entrée en vigueur le 13 décembre 1975, prévoit qu’une personne peut être privée de la nationalité d’un État contractant lorsque cette
nationalité a été obtenue au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux. L’article 8, paragraphe 4, de cette convention énonce en outre qu’un État contractant ne fera usage de la faculté de priver un individu de sa nationalité, prévue à l’article 8, paragraphe 2, sous b), de ladite convention que conformément à la loi, laquelle comportera la possibilité pour l’intéressé de faire valoir tous ses moyens de défense devant une juridiction ou un autre organisme indépendant. En outre,
l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne sur la nationalité dispose qu’« [u]n État Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative, sauf dans les cas suivants : [...] b) acquisition de la nationalité de l’État Partie à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part du requérant ». Voir également article 18, paragraphe 2, sous a), de cette convention qui prévoit
que « [e]n se prononçant sur l’octroi ou la conservation de la nationalité en cas de succession d’États, chaque État Partie concerné doit tenir compte notamment : a) du lien véritable et effectif entre la personne concernée et l’État [...] ».

( 56 ) La Cour a jugé qu’une décision de retrait de la nationalité pour cause de tromperie peut être justifiée par l’intérêt général. Voir arrêts Rottmann, point 51, Tjebbes, point 33, et Wiener Landesregierung, point 52.

( 57 ) Ce qu’il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier.

( 58 ) Points 35, 40 et 41. La Cour a examiné si l’article 20 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre qui prévoit que la nationalité de cet État peut être perdue de plein droit. Dans le cas de personnes qui ne sont pas également ressortissantes d’un autre État membre, cette perte de la citoyenneté de l’Union intervient en l’absence d’un examen individuel de la proportionnalité de ladite perte pour la personne concernée .

( 59 ) Et, le cas échéant, également pour les membres de sa famille [voir arrêt du 5 septembre 2023, Udlændinge- og Integrationsministeriet (Perte de la nationalité danoise), C‑689/21, EU:C:2023:626, point 32]. La perte de la nationalité doit être conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte, notamment au droit au respect de la vie familiale consacré à son article 7 (voir arrêts Tjebbes, point 45, et Wiener Landesregierung, point 61).

( 60 ) Voir arrêts Tjebbes, point 41, et Wiener Landesregierung, point 59. La Cour a considéré qu’une décision d’un État membre de révoquer une assurance portant sur l’octroi de la nationalité de cet État, qui a entraîné la perte définitive de la citoyenneté de l’Union pour la personne concernée, est incompatible avec le principe de proportionnalité lorsque cette décision est motivée par le fait que cette personne a commis des infractions administratives au code de la route, passibles de sanctions
pécuniaires (voir arrêt Wiener Landesregierung, point 74).

( 61 ) Arrêt du 25 avril 2024, Stadt Duisburg (Perte de nationalité allemande) (C‑684/22 à C‑686/22, EU:C:2024:345, point 37 et jurisprudence citée).

( 62 ) En outre, l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne sur la nationalité dispose qu’« [u]n État Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative, sauf dans les cas suivants : [...] e) absence de tout lien effectif entre l’État Partie et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger ; [...] ». Cette convention ne définit pas ce « lien effectif ». Il s’ensuit, selon moi, que l’article 7, paragraphe 1, sous e), de la
convention européenne sur la nationalité laisse à chaque État partie le soin de décider ce qui est un véritable lien entre lui et ses ressortissants.

( 63 ) Arrêt du 25 avril 2024, Stadt Duisburg (Perte de nationalité allemande) (C‑684/22 à C‑686/22, EU:C:2024:345, points 56 à 65 et jurisprudence citée). Voir, en revanche, arrêt Préfet du Gers, point 62, dans lequel la Cour a jugé que l’obligation de procéder à un examen individuel de la proportionnalité des conséquences de la perte de la citoyenneté de l’Union dans des situations relevant du champ d’application du droit de l’Union ne s’applique pas à la perte de ce statut en tant que résultante
automatique d’une décision adoptée souverainement par un ancien État membre de se retirer de l’Union.

( 64 ) Freidrich Nottebohm, de nationalité allemande, est né en Allemagne en 1881. En 1905, il s’est installé au Guatemala et a ouvert une entreprise. En 1939, immédiatement après le début de la Seconde Guerre mondiale, il a demandé à devenir ressortissant du Liechtenstein. Lorsqu’il a obtenu un passeport du Liechtenstein en décembre 1939, M. Nottebohm l’a fait viser par le consul général du Guatemala à Zurich. Il est retourné au Guatemala au début de l’année 1940 pour reprendre ses activités
commerciales. En 1943, M. Nottebohm a été arrêté par les autorités guatémaltèques à l’initiative du gouvernement des États-Unis d’Amérique, remis aux forces armées de ce dernier et expulsé vers les États-Unis où il a été emprisonné sans procès pendant deux ans et trois mois. Les autorités guatémaltèques ont engagé une procédure judiciaire à l’encontre de M. Nottebohm en vue de l’expropriation, sans indemnisation, de ses biens. En décembre 1951, le gouvernement du Liechtenstein a engagé devant la CIJ
une action en restitution et en indemnisation contre le gouvernement du Guatemala en raison de ses recours à l’encontre de la personne et des biens de M. Nottebohm. Le gouvernement du Guatemala a excipé de l’irrecevabilité de cette demande au motif, notamment, que la Principauté de Liechtenstein n’avait pas prouvé que M. Nottebohm, « pour la protection duquel elle agit », avait valablement acquis la nationalité du Liechtenstein conformément au droit de cet État. L’arrêt Nottebohm, limité à la
question de la recevabilité, examine « si la nationalité conférée à Nottebohm peut être invoquée à l’encontre du Guatemala dans le cadre de la procédure engagée devant la [CIJ] ».

( 65 ) Voir, par analogie, article 3, paragraphe 1, de la convention européenne sur la nationalité, qui prévoit qu’« [i]l appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses ressortissants ». L’article 3, paragraphe 2, de cette convention énonce que « [c]ette législation doit être admise par les autres États, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales applicables, le droit international coutumier et les principes de droit généralement reconnus en matière
de nationalité ». Voir également article 1er de la convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, adoptée le 12 avril 1930, entrée en vigueur le 1er juillet 1937 (179 LNTS 4137, ci-après la « convention concernant les conflits de lois sur la nationalité »), dont le texte est presque identique à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne sur la nationalité. L’article 2 de la convention concernant les conflits de lois sur la nationalité
prévoit que « [t]oute question relative au point de savoir si un individu possède la nationalité d’un État doit être résolue conformément à la législation de cet État ». Les références au droit international dans ces conventions sont quelque peu circulaires. On pourrait s’attendre à ce que ces conventions définissent ou, à tout le moins, esquissent les conditions minimales exigées par le droit international lorsqu’un État accorde sa nationalité à une personne. Le fait que lesdites conventions aient
systématiquement évité d’établir ne serait-ce que des normes minimales dans ce domaine démontre, à mon sens, une intention claire de laisser aux lois de chaque État le soin de définir la nationalité et les conditions de son octroi. Il s’ensuit que, jusqu’à présent, le droit international n’a eu qu’une incidence marginale dans ce domaine.

( 66 ) La CIJ a poursuivi en indiquant qu’« [...] [i]l n’y a pas lieu de déterminer si le droit international apporte quelques limites à la liberté de ses décisions dans ce domaine. D’autre part, la nationalité a ses effets les plus immédiats, les plus étendus et, pour la plupart des personnes, ses seuls effets dans l’ordre juridique de l’État qui l’a conférée. La nationalité sert avant tout à déterminer que celui à qui elle est conférée jouit des droits et est tenu des obligations que la
législation de cet État accorde ou impose à ses nationaux. Cela est implicitement contenu dans la notion plus large selon laquelle la nationalité rentre dans la compétence nationale de l’État ».

( 67 ) Il n’existe pas de règles universellement admises pour l’acquisition de la nationalité en vertu du droit de l’Union ou du droit international. Tel est le cas même si les États peuvent souvent accorder la nationalité sur la base de normes ou de notions communes (ou leurs variantes), telles que le jus soli ou le jus sanguinis. Voir, par analogie, article 6, paragraphe 1, sous a), de la convention européenne sur la nationalité.

( 68 ) Dans ses conclusions dans l’affaire Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:47, point 5), M. l’avocat général Tesauro a indiqué ce qui suit : « Il ne nous semble pas que l’affaire soumise à la Cour se prête à une évocation des problèmes liés à la nationalité effective, notion qui remonte à une période “romantique” de la vie des relations internationales et qui s’applique essentiellement en matière de protection diplomatique ; l’arrêt Nottebohm [...], très connu (et, il faut le rappeler, très
discuté), nous semble encore moins pertinent dans la présente affaire ».


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-181/23
Date de la décision : 04/10/2024

Analyses

Manquement d’État – Article 20 TFUE – Citoyenneté de l’Union – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale – Principe de confiance mutuelle entre les États membres – Octroi de la nationalité d’un État membre – Rapport particulier de solidarité et de loyauté – Mise en œuvre d’un programme de citoyenneté par investissement – Naturalisation en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés – Nature transactionnelle du régime de naturalisation, s’apparentant à une “commercialisation” de la citoyenneté de l’Union.


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Malte.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:849

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