ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
29 juillet 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Article 11, paragraphe 1, sous d) – Égalité de traitement – Mesures de sécurité sociale, d’aide sociale et de protection sociale – Condition de résidence de dix ans minimum, dont les deux dernières années de manière continue – Discrimination indirecte »
Dans les affaires jointes C‑112/22 et C‑223/22,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie), par décisions du 16 février 2022 et du 22 mars 2022, parvenues à la Cour respectivement le 17 février 2022 et le 29 mars 2022, dans les procédures pénales contre
CU (C‑112/22),
ND (C‑223/22),
en présence de :
Procura della Repubblica presso il Tribunale di Napoli (C‑112/22 et C‑223/22),
Ministero dell’Economia e delle Finanze (C‑112/22 et C‑223/22),
Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (C‑223/22),
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. F. Biltgen et N. Piçarra, présidents de chambre, MM. S. Rodin, P. G. Xuereb, I. Jarukaitis (rapporteur), N. Wahl, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 octobre 2023,
considérant les observations présentées :
– pour CU et ND, par Me M. Costantino, avvocata,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. S. Fiorentino et P. Gentili, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme A. Katsimerou, MM. B.‑R. Killmann et P. A. Messina, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 18 et 45 TFUE, de l’article 34 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), des articles 30 et 31 de la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961 dans le cadre du Conseil de l’Europe et révisée à Strasbourg le 3 mai 1996 (ci-après la « charte sociale européenne »), de l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre
2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), ainsi que de l’article 29 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les
ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées, dans l’affaire C‑112/22, contre CU, et, dans l’affaire C‑223/22, contre ND, pour fausses déclarations concernant les conditions d’accès au « revenu de citoyenneté ».
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2003/109
3 Les considérants 2 à 4, 6 et 12 de la directive 2003/109 énoncent :
« (2) Lors de sa réunion extraordinaire de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen a proclamé que le statut juridique des ressortissants de pays tiers devrait être rapproché de celui des ressortissants des États membres et qu’une personne résidant légalement dans un État membre, pendant une période à déterminer, et titulaire d’un permis de séjour de longue durée devrait se voir octroyer dans cet État membre un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont
jouissent les citoyens de l’Union européenne.
(3) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes, qui sont reconnus notamment par la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la [Charte].
(4) L’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté, énoncé dans le traité.
[...]
(6) Le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être la durée de résidence sur le territoire d’un État membre. Cette résidence devrait avoir été légale et ininterrompue pour témoigner de l’ancrage de la personne dans le pays. Une certaine flexibilité devrait être prévue pour tenir compte des circonstances qui peuvent amener une personne à s’éloigner du territoire de manière temporaire.
[...]
(12) Afin de constituer un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi, le résident de longue durée devrait jouir de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’État membre dans un large éventail de domaines économiques et sociaux, selon les conditions pertinentes définies par la présente directive. »
4 Aux termes de l’article 2, sous a) et b), de cette directive, intitulé « Définitions » :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “ressortissant d’un pays tiers”, toute personne qui n’est pas citoyen de l’Union au sens de l’article 17, paragraphe 1, du traité ;
b) “résident de longue durée”, tout ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire du statut de résident de longue durée prévu aux articles 4 à 7 ».
5 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Durée de résidence », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause. »
6 L’article 5 de la directive 2003/109 prévoit les conditions relatives à l’acquisition du statut de résident de longue durée. Conformément au paragraphe 1, sous a) et b), de cet article, les États membres exigent du ressortissant d’un pays tiers qu’il fournisse la preuve qu’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge, d’une part, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au
système d’aide sociale de l’État membre concerné ainsi que, d’autre part, d’une assurance maladie pour tous les risques normalement couverts pour leurs propres ressortissants dans l’État membre concerné. Le paragraphe 2 dudit article 5 dispose que les États membres peuvent également exiger que les ressortissants de pays tiers satisfassent à des conditions d’intégration conformément à leur droit national.
7 En vertu de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, afin d’acquérir le statut de résident de longue durée, le ressortissant du pays tiers concerné doit introduire une demande auprès des autorités compétentes de l’État membre dans lequel il réside, accompagnée de pièces justificatives, lesquelles sont à déterminer par le droit national, prouvant qu’il remplit les conditions énumérées aux articles 4 et 5 de ladite directive.
8 L’article 11 de la même directive, intitulé « Égalité de traitement », prévoit, à ses paragraphes 1, 2 et 4 :
« 1. Le résident de longue durée bénéficie de l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne :
[...]
d) la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles qu’elles sont définies par la législation nationale ;
[...]
2. En ce qui concerne le paragraphe 1, points b), d), e), f) et g), l’État membre concerné peut limiter l’égalité de traitement aux cas où le lieu de résidence enregistré ou habituel du résident de longue durée, ou celui de membres de sa famille pour lesquels il demande des prestations, se trouve sur son territoire.
[...]
4. En matière d’aide sociale et de protection sociale, les États membres peuvent limiter l’égalité de traitement aux prestations essentielles. »
Le règlement no 492/2011
9 Aux termes de l’article 7 du règlement no 492/2011, qui fait partie de la section 2, intitulée « De l’exercice de l’emploi et de l’égalité de traitement », du chapitre I, intitulé « De l’emploi, de l’égalité de traitement et de la famille des travailleurs », de ce règlement :
« 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
[...] »
La directive 2011/95
10 L’article 29 de la directive 2011/95, intitulé « Protection sociale », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que les bénéficiaires d’une protection internationale reçoivent, dans l’État membre ayant octroyé ladite protection, la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour les ressortissants de cet État membre. »
Le droit italien
11 L’article 1er du decreto-legge n. 4 « Disposizioni urgenti in materia di reddito di cittadinanza e di pensioni » (décret-loi no 4, portant dispositions urgentes relatives au revenu de citoyenneté et aux pensions), du 28 janvier 2019 (GURI no 23, du 28 janvier 2019), converti en loi par la legge n. 26 (loi no 26), du 28 mars 2019 (GURI no 75, du 29 mars 2019) (ci-après le « décret-loi no 4/2019 »), dispose, à son paragraphe 1 :
« Il est établi, à compter du mois d’avril 2019, le revenu de citoyenneté [...] comme mesure fondamentale de la politique active du travail pour garantir le droit au travail, combattre la pauvreté, l’inégalité et l’exclusion sociale, ainsi que visant à favoriser le droit à l’information, à l’éducation, à la formation et à la culture grâce à des politiques destinées au soutien économique et à l’inclusion sociale des personnes en risque d’exclusion dans la société et dans le monde du travail. Le
[revenu de citoyenneté] constitue un niveau de prestation essentiel dans les limites des ressources disponibles. »
12 L’article 2 de ce décret-loi, intitulé « Bénéficiaires », définit les conditions d’accès au revenu de citoyenneté. Ces conditions tiennent, d’une part, à la nationalité, à la résidence et au séjour du demandeur et, d’autre part, notamment aux revenus, au patrimoine et à la jouissance de biens durables du ménage de celui-ci. S’agissant de ces premières conditions, cet article 2 prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le [revenu de citoyenneté] est accordé aux ménages qui, au moment de l’introduction de la demande et pendant toute la durée du versement de la prestation, remplissent cumulativement les conditions suivantes :
a) en ce qui concerne les conditions de nationalité, de résidence et de séjour, la personne du ménage qui demande la prestation doit, cumulativement :
1) avoir la nationalité italienne ou la nationalité d’un État membre de l’Union [...], ou [être un] membre de sa famille, [...], qui est titulaire du droit de séjour ou du droit de séjour permanent, ou [être un] ressortissant d’un pays tiers en possession d’un permis de séjour [de l’Union pour résidents de] longue durée ;
2) résider en Italie depuis au moins 10 ans, de manière continue durant les deux dernières années considérées au moment de l’introduction de la demande, ainsi que pour toute la durée du versement de la prestation.
[...] »
13 L’article 3 dudit décret-loi, intitulé « Avantage économique », dispose, à son paragraphe 1 :
« L’avantage économique du [revenu de citoyenneté], sur une base annuelle, est constitué des deux composantes suivantes :
a) une composante destinée à compléter le revenu familial [...] jusqu’au seuil de 6000 euros par an multiplié par le paramètre correspondant de l’échelle d’équivalence [...] ;
b) une composante destinée à compléter le revenu des ménages résidant en location, égale au montant du loyer annuel prévu dans le contrat de location [...] jusqu’à concurrence de 3360 euros par an. »
14 L’article 7 du même décret-loi, intitulé « Sanctions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« À moins que l’acte ne constitue une infraction plus grave, quiconque, pour obtenir indûment la prestation visée à l’article 3, fait ou utilise de fausses déclarations ou des documents qui sont faux ou qui certifient des choses inexactes ou omet des informations requises, est puni d’une peine privative de liberté de deux à six ans. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
15 CU et ND sont des ressortissantes de pays tiers résidentes de longue durée en Italie. CU y a été enregistrée comme résidente le 29 mars 2012. Quant à ND, elle y a été enregistrée comme résidente le 24 mars 2013.
16 CU et ND sont accusées par le Pubblico Ministero della Procura della Repubblica presso il Tribunale di Napoli (procureur de la République auprès du tribunal de Naples, Italie) d’avoir commis l’infraction pénale visée à l’article 7, paragraphe 1, du décret-loi no 4/2019, en ce qu’elles auraient signé, respectivement le 27 août 2020 et le 9 octobre 2020, des demandes en vue de l’obtention du « revenu de citoyenneté », en ayant faussement attesté, dans ces dernières, qu’elles remplissaient les
conditions d’octroi de cette prestation, y inclus la condition de résidence d’une durée d’au moins dix ans en Italie prévue par ledit décret-loi. CU et ND auraient indûment perçu, à ce titre, une somme totale, respectivement, de 3414,40 euros et de 3186,66 euros.
17 Le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples, Italie), qui est la juridiction de renvoi, nourrit des doutes sur la conformité du décret-loi no 4/2019 au droit de l’Union, dans la mesure où ce décret-loi exige, notamment, des ressortissants de pays tiers, en vue d’obtenir un « revenu de citoyenneté », qui constitue une prestation d’aide sociale visant à assurer un minimum de subsistance, d’avoir résidé en Italie depuis au moins dix ans, dont les deux dernières années de manière continue. Cette
juridiction considère que, ce faisant, ce décret-loi instaure un traitement défavorable à l’égard de tels ressortissants, y compris à l’égard de ceux qui sont titulaires de permis de séjour de longue durée, par rapport à celui réservé aux nationaux.
18 À cet égard, cette juridiction constate, d’abord, que le « revenu de citoyenneté » constitue une prestation d’assistance sociale visant à assurer un minimum de subsistance, qui relève de l’un des trois domaines visés à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, à savoir la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale, telles que définies par la législation nationale. En outre, l’article 11, paragraphe 4, de cette directive ne serait pas pertinent en l’occurrence,
dès lors que l’État italien n’aurait pas limité, en adoptant la réglementation nationale en cause au principal, l’égalité de traitement aux prestations essentielles. Par ailleurs, quand bien même elle serait prévue par cette réglementation, une telle limitation ne serait pas conforme à la directive 2003/109, dans la mesure où, selon la dernière phrase de l’article 1er, paragraphe 1, du décret-loi no 4/2019, le « revenu de citoyenneté » constitue un niveau de prestation essentiel dans les limites
des ressources disponibles.
19 La juridiction de renvoi rappelle que, dans l’arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj (C‑571/10, EU:C:2012:233), la Cour a dit pour droit que l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit, en ce qui concerne l’octroi d’une aide au logement, un traitement différent pour un ressortissant de pays tiers bénéficiaire du statut de résident de longue durée accordé conformément aux dispositions de cette
directive par rapport à celui réservé aux nationaux. Elle cite également les arrêts du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, EU:C:1985:139), et du 27 mars 1985, Scrivner et Cole (122/84, EU:C:1985:145), qui porteraient sur une mesure d’aide sociale comparable au « revenu de citoyenneté ». Dans ces arrêts, la Cour aurait jugé que, au titre du règlement no 492/2011, une telle mesure devait être accordée tant aux travailleurs nationaux qu’aux travailleurs d’autres États membres.
20 En revanche, la Cour ne se serait pas encore prononcée sur la question de savoir si une disposition nationale qui prévoit l’octroi d’un « revenu de citoyenneté » aux seuls demandeurs qui remplissent une condition de résidence telle que celle en cause au principal est conforme au droit de l’Union. Or, dans la mesure où l’illégalité éventuelle de la condition prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous a), point 2, du décret‑loi no 4/2019 aurait pour effet la disparition de l’élément matériel de
l’infraction pénale concernée, une réponse à cette question serait nécessaire aux fins de statuer dans les affaires au principal.
21 Dans ces conditions, le Tribunale di Napoli (tribunal de Naples) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées de manière identique dans les affaires jointes C‑112/22 et C‑223/22 :
« 1) [L]e droit de l’Union et, notamment, [les article 18 et 45 TFUE], l’article 7, paragraphe 2, du [règlement no 492/2011], l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive [2003/109], l’article 29 de la directive [2011/95], l’article 34 de la [Charte] ainsi que les articles 30 et 31 de la [charte sociale européenne] s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle qui figure à l’article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous a), du [décret‑loi
no 4/2019], en tant qu’elle subordonne l’accès au revenu de citoyenneté à une condition de résidence en Italie d’une durée minimale de dix ans (dont les deux dernières années considérées au moment de l’introduction de la demande, ainsi que pour toute la durée du versement de la prestation, de manière continue), en réservant ainsi aux ressortissants italiens, aux ressortissants [de l’Union] titulaires du droit de séjour ou du droit de séjour permanent, ou aux [ressortissants de pays tiers]
résidents de longue durée ayant résidé [en Italie] depuis moins de dix ans ou depuis dix ans, mais de manière non continue au cours des deux dernières années, un traitement plus défavorable que celui dont bénéficient les mêmes catégories qui y résident depuis dix ans, dont les deux dernières années de manière continue ?
En cas de réponse affirmative à la première question :
2) [L]e droit de l’Union, et notamment l’article 18 [TFUE], l’article 45 [TFUE], l’article 7, paragraphe 2, du [règlement no 492/2011], l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive [2003/109], l’article 29 de la directive [2011/95], l’article 34 de la [Charte], ainsi que les articles 30 et 31 de la [charte sociale européenne], s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle qui figure à l’article 7, paragraphe 1, [du décret‑loi no 4/2019,] lu en combinaison avec
l’article 2, paragraphe 1, sous a), [de celui-ci], en tant qu’elle réserve un traitement différent aux résidents de longue durée, qui peuvent acquérir un droit de séjour permanent dans un État de l’Union après avoir résidé pendant cinq ans dans l’État membre d’accueil, et aux résidents de longue durée ayant résidé [en Italie] pendant dix ans, dont les deux dernières années de manière continue ?
3) [L]e droit de l’Union et, notamment, [les articles 18 et 45 TFUE], l’article 7, paragraphe 2, du [règlement no 492/2011], l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive [2003/109] ainsi que l’article 29 de la directive [2011/95] s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle qui figure à l’article 7, paragraphe 1, [du décret-loi no 4/2019,] lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous a), [de celui-ci], qui impose aux ressortissants italiens, [de l’Union] et [de
pays tiers] une obligation de résidence de dix ans (dont les deux dernières années de manière continue) pour pouvoir prétendre au bénéfice du revenu de citoyenneté ?
4) [L]e droit de l’Union et, notamment, [les articles 18 et 45 TFUE], l’article 7, paragraphe 2, du [règlement no 492/2011], l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive [2003/109], l’article 29 de la directive [2011/95], l’article 34 de la [Charte] ainsi que les articles 30 et 31 de la [charte sociale européenne] s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle qui figure à l’article 7, paragraphe 1, [du décret‑loi no 4/2019,] lu en combinaison avec l’article 2,
paragraphe 1, sous a), [de celui-ci], en tant qu’elle impose aux ressortissants italiens, [de l’Union] et [de pays tiers], afin de bénéficier du revenu de citoyenneté, de déclarer qu’ils ont résidé en Italie pendant dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, la fausse déclaration entraînant de graves conséquences d’ordre pénal ? »
La procédure devant la Cour
22 Par décision du président de la Cour du 3 mai 2022, les affaires C‑112/22 et C‑223/22 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
23 Le 8 mai 2023, la Cour a, au titre de l’article 101, paragraphe 1, de son règlement de procédure, adressé à la juridiction de renvoi une demande d’éclaircissements l’invitant à indiquer le statut juridique des personnes concernées par les procédures pénales au principal ainsi que les dispositions spécifiques du droit de l’Union applicables à ces personnes dont l’interprétation lui paraît nécessaire aux fins de la résolution des affaires dont elle est saisie. La juridiction de renvoi a répondu à
cette demande le 9 juin 2023 dans l’affaire C‑223/22 et le 13 juin 2023 dans l’affaire C‑112/22, en indiquant que les personnes en cause au principal sont des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée en Italie. En outre, dans la réponse donnée dans l’affaire C‑112/22, cette juridiction a précisé que la disposition dont l’interprétation est utile aux fins de l’affaire au principal est l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109.
24 Conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la République italienne a demandé à ce que les présentes affaires soient jugées en grande chambre, ce qui a été accepté par la Cour le 10 juillet 2023.
Sur la compétence de la Cour
25 Le gouvernement italien soutient, dans ses observations écrites, que la Cour n’est pas compétente pour répondre aux questions posées, dès lors que les dispositions nationales applicables dans les affaires au principal portent sur une prestation prévue par la réglementation nationale issue de l’exercice de compétences exclusives des États membres. Le « revenu de citoyenneté » en cause au principal ne serait pas une mesure de protection sociale ou d’assistance sociale, qui aurait simplement pour
objectif d’assurer aux personnes concernées un certain niveau de revenu, mais constituerait une mesure complexe visant surtout à favoriser l’inclusion sociale et la réintégration des personnes concernées dans le marché du travail.
26 À cet égard, il y a lieu de constater que les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation du droit de l’Union, et notamment de l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, ce qui relève manifestement de la compétence de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 57 et jurisprudence citée].
27 En outre, pour autant que le gouvernement italien vise, par son argument, à contester que le « revenu de citoyenneté » en cause au principal relève du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, il y a lieu de constater que, ainsi que ce gouvernement l’a lui-même observé lors de l’audience devant la Cour, cet argument n’est pas susceptible de remettre en question la compétence de la Cour pour répondre aux questions posées, mais doit être évalué dans le
cadre de l’examen au fond de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 76).
28 Cependant, il importe de constater que la juridiction de renvoi mentionne, dans ses questions, également les articles 30 et 31 de la charte sociale européenne. Or, si selon les explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), l’article 34, paragraphe 3, de celle-ci s’inspire des articles 30 et 31 de la charte sociale européenne révisée, il est de jurisprudence constante que la Cour n’est pas compétente pour interpréter cette dernière charte (voir, en ce sens,
arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 70 ainsi que jurisprudence citée).
29 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle, sauf en ce qu’elles portent sur les dispositions de la charte sociale européenne.
Sur les questions préjudicielles
30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à la Cour de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises, en extrayant de l’ensemble des éléments fournis par la
juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Eesti Vabariik (Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet), C‑437/22, EU:C:2024:176, point 41 et jurisprudence citée].
31 À cet égard, il y a lieu de relever que les demandes de décision préjudicielle font référence à plusieurs catégories de personnes qui pourraient, selon la juridiction de renvoi, être désavantagées par la réglementation nationale en cause au principal, à savoir les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, certains ressortissants nationaux, les citoyens de l’Union ainsi que les ressortissants de pays tiers bénéficiaires de la protection internationale. Ces demandes ne précisent
cependant pas de laquelle de ces catégories relèvent les personnes en cause au principal.
32 Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 23 du présent arrêt, dans ses réponses à la demande d’éclaircissements de la Cour, cette juridiction a indiqué que les personnes en cause au principal sont des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée en Italie. En outre, dans l’affaire C‑112/22, elle a précisé que la disposition dont l’interprétation est utile aux fins de l’affaire au principal est l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109. En effet, c’est cette
disposition, lue à la lumière de l’article 34 de la Charte, qui est applicable à cette catégorie de personnes, et non pas les articles 18 et 45 TFUE, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 ou l’article 29 de la directive 2011/95, également mentionnés dans les questions posées. Ces dernières dispositions doivent donc être écartées, dès lors qu’elles ne présentent pas de lien avec les litiges au principal.
33 Au regard de ce qui précède, il y a donc lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui subordonne l’accès des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée à une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de
protection sociale à la condition, qui s’applique également aux ressortissants de cet État membre, d’avoir résidé dans ledit État membre depuis au moins dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, et qui punit d’une sanction pénale toute fausse déclaration concernant cette condition de résidence.
34 Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, le résident de longue durée bénéficie de l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles qu’elles sont définies par la législation nationale.
35 Premièrement, dans la mesure où le gouvernement italien conteste que le « revenu de citoyenneté » en cause au principal relève du champ d’application de cette disposition, il convient de rappeler que, lorsqu’une disposition du droit de l’Union, comme l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, fait un renvoi exprès à la législation nationale, il n’appartient pas à la Cour de donner aux termes concernés une définition autonome et uniforme au titre du droit de l’Union. En effet,
un tel renvoi traduit la volonté du législateur de l’Union de respecter les différences qui subsistent entre les États membres quant à la définition et à la portée exacte des notions en cause. Toutefois, l’absence de définitions autonomes et uniformes, au titre du droit de l’Union, des notions de sécurité sociale, d’aide sociale et de protection sociale et le renvoi au droit national, figurant à cette disposition, relatif auxdites notions n’impliquent pas que les États membres puissent porter
atteinte à l’effet utile de la directive 2003/109 lors de l’application du principe d’égalité de traitement prévu à ladite disposition (arrêts du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, points 77 et 78, ainsi que du 28 octobre 2021, ASGI e.a., C‑462/20, EU:C:2021:894, point 31).
36 En outre, l’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. De même, il ressort du considérant 3 de la directive 2003/109 que celle-ci respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la Charte.
37 Par conséquent, les États membres doivent, en déterminant les mesures de sécurité sociale, d’aide sociale et de protection sociale définies par leur législation nationale et soumises au principe d’égalité de traitement prévu à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, respecter les droits et observer les principes prévus par la Charte, notamment ceux énoncés à l’article 34 de celle-ci. Or, aux termes de l’article 34, paragraphe 3, de la Charte, afin de lutter contre
l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union – et donc les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de cette dernière – « reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales » (arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 80).
38 Dès lors que tant l’article 34 de la Charte que l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 renvoient au droit national, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si le « revenu de citoyenneté » en cause au principal constitue une prestation sociale relevant de celles visées par ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 81, ainsi que du 28 octobre 2021, ASGI e.a., C‑462/20, EU:C:2021:894, point 32).
39 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 18 du présent arrêt, cette juridiction constate dans ses demandes de décision préjudicielle que le « revenu de citoyenneté » constitue une prestation d’assistance sociale visant à assurer un minimum de subsistance, qui relève de l’un des trois domaines visés à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, à savoir la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale, telles que définies par la législation nationale.
40 Certes, le gouvernement italien conteste cette constatation de la juridiction de renvoi. Cependant, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence constante, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Partant, quelles que soient les critiques émises
par le gouvernement d’un État membre à l’égard de l’interprétation du droit national retenue par la juridiction de renvoi, l’examen des questions préjudicielles doit être effectué sur la base de cette interprétation et il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2016, New Valmar, C‑15/15, EU:C:2016:464, point 25, ainsi que du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 31).
41 Dans le cadre des présentes affaires, la Cour doit donc se fonder sur la prémisse que le « revenu de citoyenneté » en cause au principal constitue une mesure qui relève du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte.
42 En outre, si, conformément à l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/109, les États membres peuvent limiter, en matière d’aide sociale et de protection sociale, l’égalité de traitement aux prestations essentielles, la juridiction de renvoi constate dans ses demandes de décision préjudicielle que cette disposition d’interprétation stricte ne s’applique pas en l’occurrence. En effet, d’une part, les instances italiennes compétentes pour la mise en œuvre de cette directive n’auraient pas
clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de la dérogation prévue à ladite disposition. D’autre part, le « revenu de citoyenneté » constituerait précisément une telle « prestation essentielle », au sens de la même disposition. Cette notion désigne des prestations contribuant à permettre à l’individu de faire face à ses besoins élémentaires tels que la nourriture, le logement et la santé (voir, à cet égard, arrêt du 24 avril 2012, Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, points 86 à 92).
43 Deuxièmement, il convient de rappeler que le système mis en place par la directive 2003/109 indique clairement que l’acquisition du statut de résident de longue durée accordé en vertu de cette directive est soumise à une procédure particulière et, en outre, à l’obligation de remplir les conditions précisées au chapitre II de ladite directive.
44 L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/109 prévoit que les États membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers ayant résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause. L’article 5 de cette directive subordonne l’acquisition de ce statut à la preuve que le ressortissant d’un pays tiers demandant le bénéfice de ce statut dispose de ressources
suffisantes ainsi que d’une assurance maladie. Enfin, l’article 7 de la même directive précise les exigences procédurales pour l’obtention dudit statut.
45 Il ressort, par ailleurs, des considérants 2, 4, 6 et 12 de la directive 2003/109 que celle-ci vise à garantir l’intégration des ressortissants de pays tiers qui sont installés durablement et légalement dans les États membres et, à cette fin, à rapprocher les droits de ces ressortissants de ceux dont jouissent les citoyens de l’Union, notamment en instaurant l’égalité de traitement avec ces derniers dans un large éventail de domaines économiques et sociaux. Ainsi, le statut de résident de longue
durée permet à la personne qui en bénéficie de jouir de l’égalité de traitement dans les domaines visés à l’article 11 de cette directive, aux conditions prévues à cet article [arrêt du 25 novembre 2020, Istituto nazionale della previdenza sociale (Prestations familiales pour les résidents de longue durée), C‑303/19, EU:C:2020:958, point 28 et jurisprudence citée].
46 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, un tel statut correspond au niveau d’intégration le plus abouti pour les ressortissants de pays tiers et justifie que leur soit garantie l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil, notamment, en ce qui concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale.
47 Troisièmement, s’agissant de la question de savoir si la condition d’avoir résidé depuis au moins dix ans en Italie, dont les deux dernières années de manière continue, exigée en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a), point 2, du décret-loi no 4/2019 pour pouvoir accéder au « revenu de citoyenneté », est compatible avec l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte, la juridiction de renvoi souligne que cette condition de
résidence s’applique de manière identique tant aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée qu’aux ressortissants italiens. Cependant, cette juridiction observe, en substance, que ladite condition défavorise les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée par rapport aux ressortissants italiens qui résident en Italie et qui n’ont pas quitté le territoire de cet État membre pour résider de manière prolongée à l’étranger.
48 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 50 de ses conclusions, le principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 11 de la directive 2003/109 prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat.
49 Partant, il y a lieu de vérifier, en premier lieu, si une condition de résidence de dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, aboutit à une différence de traitement qui est constitutive d’une discrimination indirecte à l’égard des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée par rapport aux ressortissants de l’État membre concerné.
50 À cet égard, il convient de relever qu’une telle condition de résidence de dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, affecte principalement les non-nationaux au nombre desquels figurent notamment les ressortissants de pays tiers.
51 La juridiction de renvoi indique, par ailleurs, que la condition de résidence de dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, affecte également les intérêts des ressortissants italiens qui reviennent en Italie après une période de résidence dans un autre État membre. Toutefois, il est indifférent que la mesure en cause au principal désavantage, le cas échéant, aussi bien les ressortissants nationaux n’étant pas en mesure de respecter une telle condition que les ressortissants de
pays tiers résidents de longue durée. En effet, une mesure peut être considérée comme étant une discrimination indirecte, sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, à l’exclusion des nationaux (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 45).
52 Partant, la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée et les ressortissants nationaux qui résulte du fait qu’une réglementation nationale prévoit une condition de résidence de dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, est constitutive d’une discrimination indirecte.
53 Il convient de relever, en second lieu, qu’une telle discrimination est, en principe, prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée. Or, pour être justifiée, elle doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
54 À cet égard, le gouvernement italien indique, dans ses observations écrites, que, dans la mesure où le « revenu de citoyenneté » est un avantage économique dont l’octroi est subordonné à la participation des membres majeurs du ménage concerné à un parcours personnalisé d’accompagnement vers l’emploi et l’inclusion sociale sur la base de conventions spécifiques, l’octroi de cet avantage implique une opération d’insertion sociale et professionnelle très complexe sur le plan administratif. Dès lors,
selon ce gouvernement, le législateur national a dûment limité l’accès à cette mesure aux ressortissants de pays tiers résidant en Italie de manière permanente et y étant bien intégrés.
55 Toutefois, il convient de relever que l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/109 prévoit, de manière exhaustive, les situations dans lesquelles les États membres peuvent déroger, en termes de résidence, à l’égalité de traitement entre ressortissants de pays tiers résidents de longue durée et ressortissants nationaux. Ainsi, en dehors de ces situations, une différence de traitement entre ces deux catégories de ressortissants constitue, par elle-même, une violation de l’article 11,
paragraphe 1, sous d), de cette directive [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Istituto nazionale della previdenza sociale (Prestations familiales pour les résidents de longue durée), C‑303/19, EU:C:2020:958, point 23].
56 En particulier, une différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée et les ressortissants de l’État membre concerné ne saurait être justifiée par le fait qu’ils seraient dans une situation différente en raison de leurs liens respectifs avec cet État membre. Une telle justification serait contraire à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 qui impose une égalité de traitement entre eux dans les domaines de la sécurité sociale, de
l’aide sociale et de la protection sociale [arrêt du 25 novembre 2020, Istituto nazionale della previdenza sociale (Prestations familiales pour les résidents de longue durée), C‑303/19, EU:C:2020:958, point 34].
57 En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 44 du présent arrêt, la directive 2003/109 prévoit, à son article 4, paragraphe 1, une condition de résidence légale et ininterrompue de cinq ans sur le territoire d’un État membre, pour qu’un ressortissant de pays tiers puisse se voir accorder le statut de résident de longue durée par cet État membre. Il ressort de cette disposition, lue ensemble avec le considérant 6 de cette directive, que le législateur de l’Union a considéré qu’une telle période de
résidence légale et ininterrompue de cinq ans témoigne de « l’ancrage de la personne dans le pays » et doit ainsi être considérée comme étant suffisante pour que celle-ci ait droit, après l’acquisition du statut de résident de longue durée, à l’égalité de traitement avec les ressortissants dudit État membre, notamment, en ce qui concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale, conformément à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de ladite directive.
58 Partant, un État membre ne saurait, sans méconnaître cette dernière disposition et l’objectif poursuivi par celle-ci consistant, ainsi qu’il résulte du considérant 12 de la même directive, à assurer que le statut de résident de longue durée constitue « un véritable instrument d’intégration dans la société dans laquelle le résident de longue durée s’est établi », prolonger unilatéralement la période de résidence requise afin qu’un tel résident de longue durée puisse jouir du droit garanti par
l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109.
59 Il s’ensuit qu’une condition de résidence de dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, telle que celle en cause au principal, est contraire à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109.
60 Quatrièmement et enfin, en ce qui concerne la question de la compatibilité avec le droit de l’Union, et en particulier avec la directive 2003/109, d’une disposition nationale qui prévoit l’infliction d’une sanction pénale aux demandeurs d’une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de protection sociale en cas de fausse déclaration, par ceux-ci, en ce qui concerne les conditions d’accès à une telle mesure, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un dispositif
national de sanction n’est pas compatible avec les dispositions de la directive 2003/109 lorsqu’il est imposé pour assurer le respect d’une obligation qui n’est elle–même pas conforme à ces dispositions [voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2022, Landespolizeidirektion Steiermark (Durée maximale du contrôle aux frontières intérieures), C‑368/20 et C‑369/20, EU:C:2022:298, point 97 ainsi que jurisprudence citée].
61 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui subordonne l’accès des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée à une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de protection sociale à la condition, qui s’applique également aux
ressortissants de cet État membre, d’avoir résidé dans ledit État membre depuis au moins dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, et qui punit d’une sanction pénale toute fausse déclaration concernant cette condition de résidence.
Sur les dépens
62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, lu à la lumière de l’article 34 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à la réglementation d’un État membre qui subordonne l’accès des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée à une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de protection sociale à la condition, qui s’applique également aux ressortissants de cet État membre, d’avoir résidé dans ledit État membre depuis au moins dix ans, dont les deux dernières années de manière continue, et qui punit d’une sanction pénale toute fausse déclaration concernant cette condition de résidence.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.