ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
4 juillet 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Droit institutionnel – Article 263 TFUE – Recours en annulation – Application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie – Absence d’acte attaquable – Absence d’obtention de l’unanimité requise – Irrecevabilité manifeste partielle du recours en première instance – Demande d’un délai à même de permettre une “reprise du recours” – Incompétence manifeste partielle du Tribunal de l’Union européenne – Pourvoi en partie
manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé »
Dans l’affaire C‑787/23 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 18 décembre 2023,
Eugen Tomac, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me R. Duta, avocat,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Conseil de l’Union européenne,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. P. G. Xuereb (rapporteur) et A. Kumin, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, M. Eugen Tomac demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 26 octobre 2023, Tomac/Conseil (T‑48/23, ci-après l’ ordonnance attaquée , EU:T:2023:684), par laquelle celui-ci a rejeté son recours introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE et visant, d’une part, à l’annulation de l’acte du Conseil de l’Union européenne, du 8 décembre 2022, emportant l’absence d’adoption du projet no 15218/22 de décision du Conseil relative à l’application intégrale
des dispositions de l’acquis de Schengen en Bulgarie et en Roumanie (ci-après l’« acte litigieux »), et, d’autre part, dans l’hypothèse où la qualité de « requérant privilégié » ne lui serait pas reconnue, à l’octroi d’un délai à même de permettre une « reprise du recours », le cas échéant, par le Parlement européen, par une autre institution de l’Union européenne ou par une institution nationale agissant en cette qualité.
Le cadre juridique
2 Aux termes de l’article 4 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’« acte d’adhésion »), annexé au traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11), en vertu
de l’article 2, paragraphe 2, de ce traité, qui a été signé le 25 avril 2005 et est entré en vigueur le 1er janvier 2007 :
« 1. Les dispositions de l’acquis de Schengen qui a été intégré dans le cadre de l’Union européenne [...], et les actes fondés sur celles-ci ou qui s’y rapportent, énumérés à l’annexe II, ainsi que tout nouvel acte de cette nature pris avant la date d’adhésion, sont contraignants et s’appliquent en Bulgarie et en Roumanie à compter de la date d’adhésion.
2. Les dispositions de l’acquis de Schengen qui a été intégré dans le cadre de l’Union européenne et les actes fondés sur celles‐ci ou qui s’y rapportent et qui ne sont pas visés au paragraphe 1, bien qu’ils soient contraignants pour la Bulgarie et la Roumanie à compter de la date d’adhésion, ne s’appliquent dans chacun de ces États qu’à la suite d’une décision du Conseil à cet effet, après qu’il a été vérifié, conformément aux procédures d’évaluation de Schengen applicables en la matière, que
les conditions nécessaires à l’application de toutes les parties concernées de l’acquis sont remplies dans l’État en question.
Le Conseil, après consultation du Parlement européen, statue à l’unanimité de ses membres représentant les gouvernements des États membres pour lesquels les dispositions du présent paragraphe ont déjà pris effet et du représentant du gouvernement de l’État membre pour lequel ces dispositions doivent prendre effet. [...] »
Les antécédents du litige
3 Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 2 à 20 de l’ordonnance attaquée et, pour les besoins de la présente procédure, peuvent être résumés de la manière suivante.
4 Le requérant est un député au Parlement européen de nationalité roumaine.
5 À la suite de son adhésion à l’Union, le 1er janvier 2007, la Roumanie a entrepris, entre l’année 2009 et l’année 2011, une série de démarches en application des procédures d’évaluation de Schengen, dans l’objectif de réunir les critères requis aux fins de l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen.
6 La présidence du Conseil a établi deux projets de décision sur l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie, lesquels ont été suivis par l’adoption de différentes résolutions du Parlement exprimant son soutien à l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen et invitant le Conseil à prendre les mesures nécessaires à cet effet. Néanmoins, ces deux projets n’ont pas donné lieu à un vote au sein du Conseil.
7 Le 29 novembre 2022, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion, la présidence du Conseil a établi le projet no 15218/22 de décision du Conseil relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Bulgarie et en Roumanie (ci-après le « projet no 15218/22 »).
8 Lors de sa réunion du 8 décembre 2022, la formation « Justice et affaires intérieures » (JAI) du Conseil a siégé afin de statuer sur le projet no 15218/22, inscrit au point 3, sous a), de l’ordre du jour de cette réunion, lequel prévoyait qu’un vote pouvait être demandé en vue d’une éventuelle adoption par les représentants des gouvernements des États membres. À défaut d’avoir obtenu l’unanimité des suffrages, ce projet n’a pas été adopté.
9 Par un courriel du 15 décembre 2022, le requérant a demandé à la directrice générale JAI du secrétariat général du Conseil s’il lui était possible de lui communiquer les résultats du vote sur le projet no 15218/22, ainsi que le procès-verbal de la réunion du 8 décembre 2022 ou le rapport qui y était afférent.
10 Par un courriel du 16 décembre 2022, la directrice générale JAI du secrétariat général du Conseil a répondu au requérant que, au cours de cette réunion, le projet no 15218/22 n’avait effectivement pas été adopté et que, conformément aux articles 8 et 9 du règlement intérieur du Conseil, dans la mesure où il s’agissait de délibérations sur un acte non législatif non ouvertes au public, les résultats des votes ne faisaient l’objet d’aucune publicité. Elle a ajouté que le procès-verbal de ladite
réunion n’était pas non plus rendu public.
Le recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
11 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 6 février 2023, le requérant a introduit, au titre de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation de l’acte litigieux et, dans l’hypothèse où la qualité de « requérant privilégié » ne lui serait pas reconnue, tendant à faire accorder un délai à même de permettre une « reprise du recours », le cas échéant, au nom du Parlement, d’une autre institution de l’Union ou d’une institution nationale agissant en cette qualité.
12 Le 26 octobre 2023, le Tribunal a, en application de l’article 126 de son règlement de procédure, sans poursuivre la procédure, rejeté ce recours, en partie, pour incompétence manifeste et, en partie, comme étant manifestement irrecevable.
13 En ce qui concerne le premier chef de conclusions, le Tribunal a constaté, d’une part, au point 31 de l’ordonnance attaquée, que, malgré l’achèvement des procédures d’évaluation de Schengen et l’adoption de plusieurs résolutions du Parlement, l’unanimité requise des représentants des gouvernements des États membres concernés à l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion n’avait pas été obtenue au sein du Conseil lors du vote sur le projet no 15218/22 et, d’autre part, au point 32 de cette
ordonnance, que l’article 4 de cet acte ne fixait aucun délai à l’expiration duquel la décision du Conseil devait ou était réputée intervenir.
14 Le Tribunal a souligné, au point 33 de ladite ordonnance, qu’il serait en contradiction avec le libellé de cet article, qui prévoit expressément une procédure en plusieurs étapes et sans fixer de délai à cette fin, de faire découler de l’aboutissement des étapes préalables la déchéance du pouvoir du Conseil d’adopter, à l’unanimité des représentants des gouvernements des États membres concernés, une décision, au sens dudit article.
15 Par ailleurs, au point 34 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a ajouté qu’il demeurait toujours loisible au Conseil de réinscrire le projet no 15218/22 à l’ordre du jour d’une nouvelle réunion ou à la présidence du Conseil d’établir un nouveau projet de décision du Conseil relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie.
16 Ainsi, au point 35 de cette ordonnance, le Tribunal a conclu que, l’unanimité requise n’ayant pas été obtenue lors du vote sur le projet no 15218/22, aucune décision du Conseil n’avait été prise, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion, et que le vote emportant la non-adoption de ce projet n’équivalait pas, en tant que tel, à un refus du Conseil de prendre ultérieurement une telle décision.
17 Partant, le Tribunal a jugé, au point 36 de ladite ordonnance, que l’acte litigieux ne saurait être considéré comme étant un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, et a rejeté, au point 38 de la même ordonnance, le premier chef de conclusions comme étant manifestement irrecevable.
18 S’agissant du second chef de conclusions, le Tribunal a relevé, au point 39 de l’ordonnance attaquée, que la qualité de « requérant privilégié » était limitativement reconnue aux États membres, au Parlement, au Conseil ou à la Commission européenne, mais que cette qualité ne pouvait être accordée au requérant.
19 En outre, le Tribunal a considéré, au point 40 de cette ordonnance, qu’il n’avait aucune compétence pour « accorder un délai » au Parlement, à une autre institution de l’Union ou à la Roumanie en vue d’introduire un recours en annulation, précisant que les délais de recours étaient d’ordre public et que, par conséquent, ils n’étaient à la disposition ni des parties ni du juge.
20 Partant, au point 41 de ladite ordonnance, le Tribunal a rejeté le second chef de conclusions du requérant pour incompétence manifeste.
Les conclusions du requérant et la procédure devant la Cour
21 Par son pourvoi introduit le 18 décembre 2023, le requérant demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal dans une autre composition pour que celui-ci statue sur sa demande et, à titre subsidiaire, de réformer cette ordonnance.
Sur le pourvoi
22 En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, cette juridiction peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.
23 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
24 Au soutien de son pourvoi, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 263 TFUE, et, le second, d’une violation, par le Tribunal, de certains principes généraux du droit, tels que les principes de sécurité juridique, de libre circulation des personnes et des marchandises, de non-discrimination et d’égalité de traitement, d’« entraide » ainsi que de « fraternité » et de coopération loyale entre les États membres, ainsi que d’une erreur manifeste
d’appréciation.
Sur le premier moyen
25 En ce qui concerne le premier moyen de pourvoi, tout d’abord, il y a lieu de relever que le requérant se contente d’alléguer que l’acte litigieux constitue un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, et qu’il doit être considéré « par extension » comme étant un « requérant privilégié », en reprenant, en substance, les arguments qu’il a présentés devant le Tribunal, mais n’invoque aucune argumentation susceptible de démontrer que le Tribunal aurait commis des erreurs de droit à cet égard.
26 Or, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà
été présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 10 septembre 2020, Hamas/Conseil, C‑386/19 P, EU:C:2020:691, point 54 et jurisprudence citée).
27 Ensuite, s’agissant de l’argumentation du requérant selon laquelle le défaut de reconnaissance de l’acte litigieux en tant qu’acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, méconnaît l’article 4, paragraphe 2, TUE, il convient de constater que le requérant n’explique pas en quoi cette circonstance porterait atteinte à l’égalité des États membres devant les traités ainsi qu’à leur identité nationale.
28 Enfin, en ce que le Tribunal aurait retenu, à tort, qu’il n’incombe pas au Conseil de prendre une décision en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion dans un délai raisonnable sur le fondement de l’article 3, paragraphes 2 et 3, TUE et de l’article 4, paragraphe 2, TUE, il y a lieu de relever que ces dispositions ne prévoient aucune obligation de cette nature à l’égard du Conseil et que, en outre, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, au point 32 de l’ordonnance attaquée,
en constatant que l’article 4 de l’acte d’adhésion ne prévoyait pas de délai à l’expiration duquel la décision du Conseil, visée au paragraphe 2 de cet article, devait ou était réputée intervenir.
29 Partant, le premier moyen de pourvoi doit être écarté.
Sur le second moyen
30 S’agissant du second moyen de pourvoi, le requérant soutient, en premier lieu, que le défaut d’adoption d’une décision, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion, méconnaît certains principes généraux du droit, tels que ceux-ci sont présentés au point 24 de la présente ordonnance.
31 Or, force est de constater, d’une part, que le requérant n’identifie pas les points de motifs critiqués de l’ordonnance attaquée s’agissant des principes mentionnés au point 24 de la présente ordonnance et, d’autre part, qu’il n’invoque aucune argumentation susceptible de remettre en cause la constatation du Tribunal, au point 35 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle, l’unanimité requise n’ayant pas été obtenue lors du vote sur le projet no 15218/22, aucune décision du Conseil n’avait été
prise, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion. Partant, en ce que le requérant fait valoir une violation de ces principes, le second moyen est irrecevable conformément à la jurisprudence mentionnée au point 26 de la présente ordonnance.
32 En second lieu, s’agissant d’un prétendu traitement discriminatoire de la Roumanie par rapport à la République de Croatie, il convient de constater que le requérant n’explique pas en quoi une telle différence de traitement, à la supposer établie, aurait eu une influence sur l’adoption d’une décision, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de l’acte d’adhésion.
33 Partant, le second moyen de pourvoi doit également être écarté.
34 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.
Sur les dépens
35 En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.
36 En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à l’autre partie à la procédure et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que le requérant supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :
1) Le pourvoi est rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.
2) M. Eugen Tomac supporte ses propres dépens.
Fait à Luxembourg, le 4 juillet 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
T. von Danwitz
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( *1 ) Langue de procédure : le français.