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04/07/2024 | CJUE | N°C-450/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Caixabank SA e.a. contre Asociación de Usuarios de Bancos, Cajas de Ahorros y Seguros de España (Adicae) e.a., 04/07/2024, C-450/22


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

4 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrats de prêt hypothécaire – Clauses limitant la variation des taux d’intérêt – Clauses dites “plancher” – Action collective en cessation de l’utilisation de ces clauses et en restitution des sommes payées à ce titre, impliquant un nombre important de professionnels et de consommateurs – Caractère clair et compréhensible desdites clauses – Notion de “

consommateur moyen, normalement
informé et raisonnablement attentif et avisé” »

Dans l’affaire C‑450/22...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

4 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrats de prêt hypothécaire – Clauses limitant la variation des taux d’intérêt – Clauses dites “plancher” – Action collective en cessation de l’utilisation de ces clauses et en restitution des sommes payées à ce titre, impliquant un nombre important de professionnels et de consommateurs – Caractère clair et compréhensible desdites clauses – Notion de “consommateur moyen, normalement
informé et raisonnablement attentif et avisé” »

Dans l’affaire C‑450/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 29 juin 2022, parvenue à la Cour le 6 juillet 2022, dans la procédure

Caixabank SA, venant aux droits de Bankia SA et Banco Mare Nostrum SA,

Caixa Ontinyent SA,

Banco Santander SA, venant aux droits de Banco Popular Español SA et Banco Pastor SA,

Targobank SA,

Credifimo SAU,

Caja Rural de Teruel SCC,

Caja Rural de Navarra SCC,

Cajasiete Caja Rural SCC,

Caja Rural de Jaén, Barcelona et Madrid SCC,

Caja Laboral Popular SCC (Kutxa),

Caja Rural de Asturias SCC,

Arquia Bank SA, anciennement Caja de Arquitectos SCC,

Nueva Caja Rural de Aragón SCC,

Caja Rural de Granada SCC,

Caja Rural del Sur SCC,

Caja Rural de Albacete, Ciudad Real et Cuenca SCC (Globalcaja),

Caja Rural Central SCC,

Caja Rural de Extremadura SCC,

Caja Rural de Zamora SCC,

Unicaja Banco SA, venant aux droits de Liberbank SA et Banco Castilla-La Mancha SA,

Banco Sabadell SA,

Banca March SA,

Ibercaja Banco SA,

Banca Pueyo SA

contre

Asociación de Usuarios de Bancos, Cajas de Ahorros y Seguros de España (Adicae),

M.A.G.G.,

M.R.E.M.,

A.B.C.,

Óptica Claravisión SL,

A.T.M.,

F.A.C.,

A.P.O.,

P.S.C.,

J.V.M.B., en tant que successeur de C.M.R.,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu–Matei (rapporteure), MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 septembre 2023,

considérant les observations présentées :

– pour Caixabank SA, venant aux droits de Bankia SA et Banco Mare Nostrum SA, par Mes J. Gutiérrez de Cabiedes Hidalgo de Caviedes et E. Valencia Ortega, abogados,

– pour Banco Santander SA, venant aux droits de Banco Popular Español SA et Banco Pastor SA, par Mes J. M. Rodríguez Cárcamo, et A. M. Rodríguez Conde, abogados,

– pour Targobank SA, par Mes D. Machado Rubiño et J. Pérez de la Cruz Oña, abogados,

– pour Caja Rural de Teruel SCC, par Me J. López Torres, abogado,

– pour Caja Rural de Navarra SCC, par Mes J. Izquierdo Jiménez et M. Robles Cháfer, abogados, ainsi que par M. M. Sánchez-Puelles González-Carvajal, procurador,

– pour Caja Rural de Jaén, Barcelona y Madrid SCC, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Caja Rural de Asturias SCC, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Arquia Bank SA, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Nueva Caja Rural de Aragón SCC, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Caja Rural de Granada SCC, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Caja Rural del Sur SCC, par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Caja Rural de Albacete, Ciudad Real y Cuenca SCC (Globalcaja), par Mes R. Monsalve del Castillo, I. Moreno-Tapia Rivas et E. Portillo Cabrera, abogados, ainsi que par Mme M. Moreno de Barreda Rovira, procuradora,

– pour Caja Rural Central SCC, Caja Rural de Extremadura SCC et Caja Rural de Zamora SCC, par Me J. López Torres, abogado,

– pour Unicaja Banco SA, venant aux droits de Liberbank SA et Banco Castilla-La Mancha SA, par Mes M. Á. Cepero Aránguez et C. Vendrell Cervantes, abogados,

– pour Banco Sabadell SA, par Mes G. Serrano Fenollosa, R. Vallina Hoset et M. Varela Suárez, abogados,

– pour Ibercaja Banco SA, par Mes S. Centeno Huerta et C. González Silvestre, abogadas,

– pour l’Asociación de Usuarios de Bancos, Cajas de Ahorros y Seguros de España (Adicae), par Mes V. Cremades Erades, K. Fábregas Márquez et J. F. Llanos Acuña, abogados, ainsi que par Mme M. del M. Villa Molina, procuradora,

– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz et Mme A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa, A. Cunha et L. Medeiros, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz, N. Ruiz García et Mme I. Galindo Martín, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 18 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphes 1 et 2, ainsi que de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Caixabank SA, venant aux droits de Bankia SA et Banco Mare Nostrum SA, Caixa Ontinyent SA, Banco Santander SA, venant aux droits de Banco Popular Español SA et Banco Pastor SA, Targobank SA, Credifimo SAU, Caja Rural de Teruel SCC, Caja Rural de Navarra SCC, Cajasiete Caja Rural SCC, Caja Rural de Jaén, Barcelona y Madrid SCC, Caja Laboral Popular SCC (Kutxa), Caja Rural de Asturias SCC, Arquia Bank SA, anciennement Caja de
Arquitectos SCC, Nueva Caja Rural de Aragón SCC, Caja Rural de Granada SCC, Caja Rural del Sur SCC, Caja Rural de Albacete, Ciudad Real y Cuenca SCC (Globalcaja), Caja Rural Central SCC, Caja Rural de Extremadura SCC, Caja Rural de Zamora SCC, Unicaja Banco SA, venant aux droits de Liberbank SA et Banco Castilla-La Mancha SA, Banco Sabadell SA, Banca March SA, Ibercaja Banco SA et Banca Pueyo SA à l’Asociación de Usuarios de Bancos, Cajas de Ahorros y Seguros de España (Adicae), une association
espagnole des usagers des banques, des caisses d’épargne et des compagnies d’assurance, à M.A.G.G., à M.R.E.M., à A.B.C., à Óptica Claravisión SL, à A.T.M., à F.A.C., à A.P.O., à P.S.C. et à J.V.M.B., en tant que successeur de C.M.R., au sujet de la cessation d’une clause figurant dans les conditions générales des contrats de prêt hypothécaire conclus par ces établissements de crédit et de la restitution des sommes payées à ce titre par ces usagers.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le vingt-troisième considérant de la directive 93/13 énonce :

« considérant que les personnes ou les organisations ayant, selon la législation d’un État membre, un intérêt légitime à protéger le consommateur, doivent avoir la possibilité d’introduire un recours contre des clauses contractuelles rédigées en vue d’une utilisation généralisée dans des contrats conclus avec des consommateurs, et en particulier, contre des clauses abusives, soit devant une autorité judiciaire soit devant un organe administratif compétents pour statuer sur les plaintes ou pour
engager les procédures judiciaires appropriées ; que cette faculté n’implique, toutefois, pas un contrôle préalable des conditions générales utilisées dans tel ou tel secteur économique ».

4 Conformément à l’article 2 de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».

5 Aux termes de l’article 4 de ladite directive :

« 1.   Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

2.   L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

6 L’article 5 de la même directive dispose :

« Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle d’interprétation n’est pas applicable dans le cadre des procédures prévues à l’article 7 paragraphe 2. »

7 Aux termes de l’article 7 de la directive 93/13 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2.   Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser
l’utilisation de telles clauses.

3.   Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires. »

Le droit espagnol

La loi 7/1998

8 La Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación (loi 7/1998, relative aux conditions générales des contrats), du 13 avril 1998 (BOE no 89, du 14 avril 1998, p. 12304), telle que modifiée, prévoit, à son article 12 :

« 1.   Des actions en cessation et en rétractation peuvent être introduites contre, respectivement, l’utilisation ou la recommandation de l’utilisation de conditions générales contraires aux dispositions de la présente loi ou à d’autres lois impératives ou prohibitives.

2.   L’action en cessation a pour objet de faire condamner le défendeur à supprimer de ses conditions générales celles réputées nulles et à s’abstenir de les utiliser à l’avenir, en déterminant et en précisant, le cas échéant, le contenu du contrat devant être considéré comme étant valable et produisant effet.

À l’action en cessation peuvent être jointes, à titre accessoire, l’action en restitution des sommes versées en application des conditions concernées par le jugement ainsi que l’action en réparation des préjudices causés par l’application de ces conditions.

[...] »

9 Conformément à l’article 17 de cette loi :

« 1.   L’action en cessation peut être intentée contre tout professionnel utilisant des conditions générales réputées nulles.

[...]

4.   Les actions visées aux paragraphes précédents peuvent être intentées conjointement contre plusieurs professionnels d’un même secteur économique ou contre leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation de conditions générales identiques réputées nulles. »

Le décret royal législatif 1/2007

10 Le Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias (décret royal législatif 1/2007, portant approbation du texte de refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires), du 16 novembre 2007 (BOE no 287, du 30 novembre 2007, p. 49181), tel que modifié, prévoit, à son article 53 :

« L’action en cessation a pour objet de faire condamner le défendeur à cesser son comportement ou à éviter qu’un tel comportement ne se reproduise à l’avenir. En outre, l’action peut être exercée pour faire interdire tout comportement qui a pris fin au moment où l’action est intentée, dès lors qu’il existe des indices suffisants selon lesquels le comportement est susceptible de se reproduire sans délai.

Aux fins des dispositions du présent chapitre, toute recommandation en faveur de l’utilisation de clauses abusives est également considérée comme un comportement contraire à la législation en matière de clauses abusives.

Il est possible de joindre à toute action en cessation, à condition que l’action en nullité et annulabilité soit intentée, l’action en manquement aux obligations, l’action en résolution ou en résiliation contractuelle et l’action en restitution des sommes perçues en vertu de comportements, de clauses ou de conditions générales déclarés abusifs ou dénués de transparence ainsi que l’action en réparation des préjudices causés par l’application de telles clauses ou pratiques. Le juge connaissant de
l’action principale, à savoir l’action en cessation prévue par la réglementation procédurale, connaît également de cette action accessoire jointe. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Le 15 novembre 2010, l’Adicae a saisi le Juzgado de lo Mercantil no 11 de Madrid (tribunal de commerce no 11 de Madrid, Espagne) d’une action collective en cessation contre 44 établissements de crédit, qui visait une clause dite « plancher » figurant dans les conditions générales des contrats de prêt hypothécaire, utilisées par ces établissements de crédit, prévoyant un taux minimal en deçà duquel le taux d’intérêt variable ne pouvait diminuer (ci-après la « clause plancher »), et en restitution
des sommes payées sur le fondement de cette clause par les consommateurs concernés. Cette action a été par la suite étendue, à deux reprises, de sorte que 101 établissements de crédit ont été en définitive attraits en justice. À la suite de la diffusion dans les médias espagnols de trois appels à comparaître, 820 consommateurs ont comparu individuellement dans le litige au principal au soutien des conclusions de l’Adicae.

12 Le Juzgado de lo Mercantil no 11 de Madrid (tribunal de commerce no 11 de Madrid) a fait droit à ladite action pour 98 des 101 établissements de crédit attraits devant lui. À l’égard de ces établissements, cette juridiction a constaté la nullité de la clause plancher, a ordonné la cessation de l’utilisation de cette clause et a déclaré la continuité des contrats de prêt hypothécaire concernés. Elle a également obligé lesdits établissements à rembourser les sommes indûment perçues en application
de ladite clause à compter du 9 mai 2013, date de la publication de l’arrêt no 241/2013 du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) par lequel ce dernier a décidé que la constatation de la nullité d’une clause plancher produisait des effets ex nunc.

13 L’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid, Espagne) a rejeté dans leur quasi-totalité les appels interjetés par les établissements condamnés en première instance.

14 Cette juridiction a précisé les critères selon lesquels le contrôle du caractère transparent d’une clause plancher devait être effectué dans le cadre d’une action collective et a ainsi jugé que, lors de l’examen des modèles standard de contrats de prêt hypothécaire utilisés par des établissements de crédit, il importait de vérifier si ces établissements s’étaient comportés de manière à occulter ou à dissimuler l’« effet économico-patrimonial » d’une telle clause. Une telle occultation ou
dissimulation se produit, selon ladite juridiction, lorsque lesdits établissements ne présentent et ne placent pas cette clause au même niveau d’importance que celui réservé aux autres clauses auxquelles le consommateur moyen prête généralement attention, ce dernier considérant que ces autres clauses, relatives à l’indice de référence, au différentiel à ajouter à cet indice ou à la durée du remboursement concerné, déterminent les coûts du contrat conclu.

15 L’Audiencia Provincial de Madrid (cour provinciale de Madrid) a également identifié certains comportements des établissements de crédit concernés témoignant d’une telle intention d’occultation ou de dissimulation. Relèvent de ces comportements, selon cette juridiction, la présentation par ces établissements de la clause plancher comme étant en lien avec des notions qui sont sans rapport avec le prix du contrat de prêt hypothécaire concerné ou avec des circonstances susceptibles d’engendrer une
baisse de ce prix, créant ainsi l’impression que l’effet plancher de la fluctuation du taux d’intérêt de référence est soumis à certaines conditions ou exigences qui rendront difficile la mise en œuvre d’une telle clause, la présentation de la clause plancher au milieu ou à la fin de longs développements ayant d’abord trait à d’autres points et dans lesquels une telle clause n’est mentionnée que brièvement, sans être mise en évidence, de sorte que l’attention du consommateur moyen en serait
détournée, ou encore la présentation conjointe de cette clause et des clauses de limitation à la hausse du taux d’intérêt variable (clauses dites « clauses plafond »), afin que l’attention de ce consommateur soit focalisée sur l’apparente assurance de pouvoir bénéficier d’un plafond contre l’hypothétique hausse de l’indice de référence et soit ainsi détournée de l’importance du plancher minimal stipulé.

16 Les établissements de crédit déboutés en appel ont alors saisi le Tribunal Supremo (Cour suprême), qui est la juridiction de renvoi, de recours extraordinaires pour vice de procédure et de pourvois en cassation contre le jugement prononcé en appel.

17 Cette juridiction fait valoir que l’affaire au principal soulève deux problématiques juridiques d’une même importance. La première porte sur la question de savoir si une action collective constitue une voie procédurale appropriée pour que soit examiné le caractère transparent de clauses plancher, examen qui requerrait, selon la jurisprudence de la Cour, une appréciation concrète de toutes les circonstances qui entourent la conclusion d’un contrat ainsi que des informations précontractuelles
fournies au consommateur concerné. Une telle question s’avèrerait d’autant plus pertinente lorsque, à l’instar de la situation en cause au principal, l’action collective intentée ne vise pas un seul établissement de crédit, mais concerne tous les établissements de crédit du système bancaire d’un pays dont le seul dénominateur commun consiste en l’utilisation, dans leurs contrats de prêt hypothécaire à taux variable, de clauses plancher dont le contenu varie plus ou moins.

18 La juridiction de renvoi fait état de sa jurisprudence à ce sujet et précise, notamment, qu’elle a effectué un contrôle du caractère transparent des clauses plancher dans le cadre d’une action collective, notamment dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt 241/2013 du 9 mai 2013, en prenant comme critère de référence la perception du consommateur moyen et en tenant compte des caractéristiques des modèles standardisés de « contrats de masse » concernés. Toutefois, cette juridiction indique que,
dans ces cas de figure, l’action collective intentée était dirigée contre un seul établissement de crédit ou contre un nombre très limité d’établissements de crédit, de sorte qu’il était plus facile de standardiser les pratiques et les clauses concernées.

19 En revanche, la juridiction de renvoi précise que, en l’occurrence, selon les statistiques de la Banco de España (Banque d’Espagne), des millions de contrats de prêt hypothécaire sont concernés, lesquels donneraient lieu à une multiplicité de rédactions et de formulations des clauses plancher. De surcroît, cette juridiction indique que ces clauses ont été légalement utilisées durant une période allant du mois de décembre 1989 au mois de juin 2019, de sorte qu’elles ont été soumises à des
réglementations successives, alors que l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle doit se référer au moment de la conclusion du contrat.

20 Par conséquent, la juridiction de renvoi considère que, lorsqu’une action collective est introduite contre un nombre considérable d’établissements de crédit, vise l’utilisation de clauses plancher durant une période très longue, conformément à des réglementations successives, et ne permet pas de vérifier les informations précontractuelles fournies dans chaque cas de figure aux consommateurs concernés, il est extrêmement difficile de procéder à un contrôle du caractère transparent de ces clauses,
en application de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13.

21 La seconde problématique soulevée par la juridiction de renvoi porte sur la difficulté de caractériser le consommateur moyen dans une affaire telle que l’affaire au principal. À cet égard, cette juridiction précise que, si, dans sa jurisprudence, la Cour se réfère au consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch, C‑125/18, EU:C:2020:138, point 51), le niveau d’attention d’un consommateur peut varier en fonction de
plusieurs facteurs, notamment des règles nationales ou sectorielles en matière de publicité ou même des éléments de langage utilisés dans les informations commerciales fournies.

22 Dans l’affaire au principal, les clauses plancher s’adressaient à différentes catégories spécifiques de consommateurs, à savoir, notamment, des consommateurs ayant repris des prêts hypothécaires conclus par des promoteurs immobiliers, des consommateurs relevant de programmes de financement de logements sociaux ou d’accès aux logements publics selon certaines tranches d’âge, ou des consommateurs ayant accédé aux prêts à régime spécial en raison de leur profession, de sorte qu’il serait difficile
d’appliquer la notion de « consommateur moyen » afin de procéder à l’examen du caractère transparent de ces clauses.

23 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, lorsqu’il renvoie aux circonstances qui entourent la conclusion du contrat, et l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, lorsqu’il fait référence à des clauses similaires, permettent-ils l’appréciation juridictionnelle abstraite, aux fins du contrôle de transparence dans le cadre d’une action collective, de clauses utilisées par plus d’une centaine d’établissements financiers dans des millions de contrats bancaires, sans tenir compte du
niveau des informations précontractuelles fournies relativement à la charge juridique et économique de la clause ni des autres circonstances existant dans chaque cas concret au moment de la conclusion du contrat ?

2) L’article 4, paragraphe 2, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 permettent-ils d’effectuer un contrôle abstrait de transparence du point de vue du consommateur moyen lorsque plusieurs des offres contractuelles s’adressent à différents groupes spécifiques de consommateurs ou lorsque de multiples établissements ayant des domaines d’activité économiquement et géographiquement très différents ont utilisé des clauses pré–rédigées pendant une très longue période au cours de laquelle
la connaissance de ces clauses par le public a évolué ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à une juridiction nationale de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle dans le cadre d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels, qui relèvent du même secteur économique, et visant un nombre très élevé de contrats.

25 À cet égard, il y a lieu d’observer d’emblée que, dans le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13, les consommateurs peuvent faire valoir leurs droits reconnus par cette directive tant au moyen d’une action individuelle qu’au moyen d’une action collective.

26 Parallèlement au droit subjectif d’un consommateur de saisir un juge pour qu’il soit procédé à l’examen du caractère abusif d’une clause d’un contrat auquel il est partie, le mécanisme prévu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13 permet aux États membres d’instaurer un contrôle des clauses abusives figurant dans des contrats types moyennant des actions en cessation intentées dans l’intérêt public par des associations de protection des consommateurs (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril
2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 21).

27 Aux termes de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13, de telles actions collectives peuvent être dirigées, dans le respect de la législation nationale, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales ou de clauses similaires.

28 Si les droits reconnus par la directive 93/13 peuvent ainsi être exercés au moyen d’une action individuelle ou d’une action collective, ces actions ont, dans le cadre de cette directive, des objets et des effets juridiques différents (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 30).

29 Ainsi, s’agissant des actions individuelles, la situation d’inégalité existante entre un consommateur et le professionnel concerné, sur laquelle repose le système de protection instauré par la directive 93/13, réclame une intervention positive du juge national qui est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle en tenant compte, ainsi que le requiert l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat
concerné et en se référant, à la date de la conclusion de ce contrat, à toutes les circonstances qui entourent cette conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses dudit contrat, ou d’un contrat dont il dépend (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, points 21 à 24 ainsi que jurisprudence citée).

30 En revanche, ainsi qu’il résulte du libellé même de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, la prise en compte de toutes les circonstances concrètes qui entourent la conclusion d’un contrat, qui caractérise les actions individuelles, est sans préjudice de l’application de l’article 7 de cette directive et ne doit, dès lors, pas faire obstacle à l’exercice d’une action collective.

31 À cet égard, la Cour a jugé que la nature préventive et l’objectif dissuasif des actions en cessation introduites par les personnes ou les organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs visées à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13, ainsi que l’indépendance de ces actions à l’égard de tout conflit individuel concret, impliquent que de telles actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l’interdiction est réclamée n’auraient pas été utilisées
dans des contrats déterminés (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

32 En ce qui concerne, en particulier, la relation entre les actions individuelles et les actions collectives, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’harmonisation dans la directive 93/13 des moyens procéduraux régissant cette relation, il appartient à chaque ordre juridique interne d’établir de telles règles, en vertu de l’autonomie procédurale des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit
interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 32 ainsi que jurisprudence citée). Ces règles ne sauraient, ainsi, porter atteinte à l’exercice effectif de la possibilité de choisir, qui est offerte aux consommateurs dans la
directive 93/13, de faire valoir leurs droits soit au moyen d’une action individuelle, soit au moyen d’une action collective, en se faisant représenter par une organisation ayant un intérêt légitime à les protéger.

33 En l’occurrence, il y a lieu d’observer que la juridiction de renvoi s’interroge sur la mesure dans laquelle une action collective constitue un mécanisme juridictionnel approprié permettant de faire procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause plancher figurant dans des contrats de prêt hypothécaire, lorsque cette action est dirigée contre de nombreux professionnels ayant conclu de nombreux contrats de ce type durant une longue période.

34 S’agissant, en premier lieu, de la notion de « transparence » dans le contexte de la directive 93/13, il convient de rappeler que l’exigence de transparence des clauses contractuelles constitue une règle générale applicable à la rédaction des clauses utilisées dans les contrats conclus avec les consommateurs. À cet égard, l’article 5 de ladite directive prévoit que, dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses « doivent
toujours être rédigées de façon claire et compréhensible ».

35 La portée de cette obligation de rédaction claire et compréhensible qui traduit l’exigence de transparence incombant aux professionnels ne dépend pas du type d’action, individuelle ou collective, par laquelle un consommateur ou une organisation ayant un intérêt légitime à protéger celui-ci tendent à faire valoir les droits reconnus par la directive 93/13.

36 Dès lors, la jurisprudence issue d’actions individuelles et relative à l’exigence de transparence est transposable aux actions collectives. À cet égard, il convient de rappeler que, selon cette jurisprudence, cette exigence ne saurait être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical d’une clause, mais doit, au contraire, être entendue de manière extensive, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 reposant sur l’idée que le consommateur se
trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne, notamment, le niveau d’information [voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, Caixabank (Commission d’ouverture du prêt), C‑565/21, EU:C:2023:212, point 30 et jurisprudence citée].

37 Ladite exigence de transparence impose ainsi non seulement qu’une clause soit intelligible pour le consommateur concerné sur les plans formel et grammatical, mais également qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret de cette clause et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses
obligations financières (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 64 et jurisprudence citée).

38 Il ressort de ce qui précède que, dans le système de protection instauré par la directive 93/13, le contrôle juridictionnel du caractère transparent des clauses contractuelles ne saurait être limité aux seules clauses faisant l’objet d’actions individuelles. Aucune disposition de cette directive ne permet en effet de considérer que ce contrôle serait exclu en ce qui concerne les clauses faisant l’objet d’actions collectives, sous réserve, toutefois, du respect des conditions prévues à
l’article 7, paragraphe 3, de ladite directive, à savoir que, lorsqu’elle est intentée contre plusieurs professionnels, une action collective soit dirigée contre des professionnels d’un même secteur économique, d’une part, qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales ou de clauses similaires, d’autre part.

39 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’examen du caractère transparent d’une clause contractuelle qu’il appartient au juge national d’effectuer dans le cadre d’une action collective, il convient d’observer que, par sa nature même, cet examen ne saurait viser des circonstances propres à des situations individuelles, mais porte sur des pratiques standardisées de professionnels.

40 Dès lors, l’obligation du juge national de vérifier, dans le cadre d’une action individuelle, si l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur l’engagement du consommateur concerné ont été communiqués à celui-ci, en tenant compte des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné et en prenant en considération la fourniture, avant la conclusion de ce contrat, de l’information relative aux conditions contractuelles et aux conséquences de cette conclusion [voir, en ce
sens, arrêt du 12 janvier 2023, D. V. (Honoraires d’avocat – Principe du tarif horaire), C‑395/21, EU:C:2023:14, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée], doit être adaptée aux particularités des actions collectives, notamment compte tenu de la nature préventive de ces dernières et de leur indépendance à l’égard de tout conflit individuel concret, rappelées au point 31 du présent arrêt.

41 Ainsi, dans le cadre d’une action collective, il appartient au juge national, lors de l’appréciation du caractère transparent d’une clause contractuelle, telle qu’une clause plancher, d’examiner, en fonction de la nature des biens ou des services qui font l’objet des contrats concernés, si le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, est en mesure, au moment de la conclusion du contrat, de comprendre le fonctionnement de cette clause et d’évaluer les
conséquences économiques, potentiellement significatives, de celle-ci. À cette fin, ce juge doit tenir compte de l’ensemble des pratiques contractuelles et précontractuelles standard suivies par chaque professionnel concerné, au nombre desquelles figurent, notamment, la rédaction de ladite clause et le positionnement de cette dernière dans les contrats types utilisés par chaque professionnel, la publicité qui a été faite des types de contrats concernés par l’action collective, la diffusion des
offres précontractuelles généralisées adressées aux consommateurs ainsi que toutes autres circonstances que ledit juge considérerait pertinentes afin d’exercer son contrôle en ce qui concerne chacun des défendeurs.

42 S’agissant, en troisième lieu, de la question de savoir si la complexité d’une affaire, en raison du nombre très élevé des défendeurs, des contrats conclus durant une longue période et des multiples formulations des clauses concernées, peut empêcher la réalisation d’un contrôle du caractère transparent de ces clauses, il y a lieu d’observer d’emblée que, ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 soumet l’exercice d’une action
collective contre plusieurs professionnels à deux conditions, à savoir qu’une telle action soit dirigée contre des professionnels d’un même secteur économique, d’une part, et que ceux-ci utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales ou de clauses similaires, d’autre part.

43 En ce qui concerne la première de ces conditions, il n’est pas contesté en l’occurrence que les défendeurs au principal appartiennent au même secteur économique, à savoir celui des établissements de crédit. La circonstance que l’action intentée au principal est dirigée contre un nombre considérable d’établissements de crédit ne constitue pas un critère pertinent afin d’apprécier l’obligation qui revient au juge national d’examiner le caractère transparent de clauses contractuelles similaires, au
sens de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de cette disposition, une action collective peut être dirigée, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur. En effet, la complexité d’une affaire ne saurait porter atteinte à l’effectivité des droits subjectifs reconnus par la directive 93/13 aux consommateurs ne pouvant être remise en cause par les défis d’ordre organisationnel soulevés par une affaire.

44 Concernant la seconde desdites conditions, il convient de constater qu’il incombe au juge national de déterminer, dans le respect de son droit interne, s’il existe entre les clauses contractuelles concernées par une action collective un degré de similitude suffisant pour permettre l’exercice de cette action. À cet égard, il ressort du libellé même de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 qu’il n’est pas nécessaire que ces clauses soient identiques. En outre, une telle similarité ne
saurait être exclue du seul fait que les contrats dans lesquels elles figurent ont été conclus à des moments différents ou sous l’empire de réglementations différentes, sous peine de vider l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/13 d’une grande partie de sa substance et de porter ainsi atteinte à l’effet utile de cette disposition.

45 En l’occurrence, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît que les clauses plancher utilisées dans les contrats de prêt hypothécaire concernés comportent, en substance, l’indication d’un taux minimal en deçà duquel le taux d’intérêt variable ne peut diminuer, leur mécanisme de fonctionnement étant, en principe, toujours le même. Par conséquent, ces clauses semblent pouvoir être qualifiées de « similaires », au sens de l’article 7,
paragraphe 3, de la directive 93/13.

46 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à une juridiction nationale de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle dans le cadre d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels du même secteur économique et visant un nombre très élevé de contrats, pour autant que ces contrats
contiennent la même clause ou des clauses similaires.

Sur la seconde question

47 Par la seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 permettent à une juridiction nationale, saisie d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels du même secteur économique et visant un nombre très élevé de contrats, de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle, en se fondant sur la perception du consommateur moyen, normalement informé et
raisonnablement attentif et avisé, lorsque ces contrats s’adressent à des catégories spécifiques de consommateurs et que cette clause a été utilisée pendant une très longue période au cours de laquelle le degré de connaissance de celle-ci a évolué.

48 À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante et qu’il est rappelé au point 37 du présent arrêt, le caractère transparent d’une clause contractuelle et la mesure dans laquelle cette clause permet de comprendre son fonctionnement et d’évaluer ses conséquences économiques, potentiellement significatives, sont examinés en prenant en considération la perception du consommateur moyen, défini comme étant normalement informé et raisonnablement attentif et
avisé [voir, en ce sens, notamment, arrêts du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a., C‑186/16, EU:C:2017:703, point 51, et du 20 avril 2023, Ocidental – Companhia Portuguesa de Seguros de Vida, C‑263/22, EU:C:2023:311, point 26 ainsi que jurisprudence citée].

49 De manière analogue à la notion générique de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, qui a un caractère objectif et est indépendante des connaissances et des informations concrètes dont la personne concernée dispose réellement (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, point 24 et jurisprudence citée), l’utilisation d’un critère de référence abstrait pour le contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle
permet d’éviter de faire dépendre ce contrôle de la réunion d’un ensemble complexe de facteurs subjectifs qu’il est difficile, voire impossible, d’établir.

50 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 83 de ses conclusions, dès lors que, dans le cadre d’une action individuelle, les connaissances spécifiques qu’un consommateur est censé posséder ne sont pas de nature à justifier un quelconque écart par rapport au niveau de connaissances du consommateur moyen, les caractéristiques individuelles de différentes catégories de consommateurs ne sauraient, à plus forte raison, être prises en considération dans le cadre d’une action
collective.

51 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que, en raison du nombre considérable des professionnels ayant conclu des contrats de prêt hypothécaire, de leur répartition géographique sur l’ensemble du territoire national ainsi que de la longue période d’utilisation des clauses plancher durant laquelle des réglementations successives sont intervenues, l’action collective au principal concerne des catégories spécifiques de consommateurs difficiles à regrouper, à savoir, notamment, des
consommateurs ayant repris des prêts conclus par des promoteurs immobiliers, des consommateurs relevant de programmes de financement de logements sociaux ou d’accès aux logements publics selon certaines tranches d’âge ou encore des consommateurs ayant accédé aux prêts à régime spécial en raison de leur profession.

52 Or, il y a lieu d’observer que c’est précisément l’hétérogénéité du public concerné, en raison de laquelle il est impossible d’examiner la perception individuelle de tous les individus qui composent ce public, qui rend nécessaire le recours à la fiction juridique du consommateur moyen, qui consiste à appréhender ce dernier comme étant une seule et même entité abstraite dont la perception globale est pertinente aux fins de son examen.

53 Par conséquent, dans le cadre de son analyse du caractère transparent des clauses plancher au moment de la conclusion des contrats de prêt hypothécaire concernés, il appartiendra à la juridiction de renvoi de se fonder sur la perception du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et cela indépendamment des différences qui existent entre chaque consommateur individuel auquel s’adressent les contrats en cause, notamment en ce qui concerne le degré de
connaissance de la clause plancher, le niveau de revenus, l’âge ou l’activité professionnelle. La circonstance que ces contrats s’adressent à des catégories spécifiques de consommateurs n’est pas de nature à conduire à une conclusion différente. En effet, afin d’examiner le caractère transparent de clauses qui figurent dans les conditions générales de tous ces contrats et dont le fonctionnement est, en substance, identique, celles-ci consistant à limiter la baisse du taux d’intérêt variable
au-delà d’un certain niveau, une juridiction nationale ne saurait se fonder sur la perception ni d’un consommateur moins avisé que le consommateur moyen ni sur celle d’un consommateur plus avisé que celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2023, mBank (Registre polonais des clauses illicites), C‑139/22, EU:C:2023:692, point 66].

54 Toutefois, il ne saurait être a priori exclu que, en raison de l’intervention d’un événement objectif ou d’un fait notoire, tels qu’une modification de la réglementation applicable ou une évolution jurisprudentielle largement diffusée et débattue, la juridiction de renvoi estime que la perception globale du consommateur moyen concernant la clause plancher a été, durant la période de référence, modifiée et a permis à ce dernier de prendre conscience des conséquences économiques, potentiellement
significatives, entraînées par cette clause.

55 Dans un tel cas de figure, la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’il soit tenu compte de l’évolution, durant cette période, de la perception du consommateur moyen, le niveau d’information et d’attention de celui–ci pouvant ainsi dépendre du moment de la conclusion des contrats de prêt hypothécaire. Toutefois, la juridiction de renvoi doit faire application de cette possibilité sur le fondement d’éléments concrets et objectifs établissant l’existence d’une telle modification, que le seul
écoulement du temps ne suffit pas à présumer.

56 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des débats menés lors de l’audience devant la Cour, ledit événement objectif ou ledit fait notoire pourraient consister dans l’effondrement des taux d’intérêt, caractéristique des années 2000, ayant entraîné l’application des clauses plancher et donc la prise de conscience des consommateurs des effets économiques de ces clauses ou dans le prononcé de l’arrêt no 241/2013 du Tribunal Supremo (Cour suprême), du 9 mai 2013, ayant constaté l’absence de caractère
transparent desdites clauses. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si, aux fins du contrôle du caractère transparent des mêmes clauses, cet effondrement des taux d’intérêt ou le prononcé de cet arrêt ont pu déterminer un changement, au fil du temps, du niveau d’attention et d’information du consommateur moyen au moment de la conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire.

57 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 4, paragraphe 2, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à une juridiction nationale, saisie d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels du même secteur économique et visant un nombre très élevé de contrats, de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle en se fondant sur la perception du
consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, lorsque ces contrats s’adressent à des catégories spécifiques de consommateurs et que cette clause a été utilisée pendant une très longue période. Toutefois, si, pendant cette période, la perception globale du consommateur moyen concernant ladite clause a été modifiée en raison de l’intervention d’un événement objectif ou d’un fait notoire, la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national procède à ce
contrôle en tenant compte de l’évolution de la perception de ce consommateur, la perception pertinente étant celle existante au moment de la conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 4, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils permettent à une juridiction nationale de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle dans le cadre d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels du même secteur économique et visant un nombre très élevé de contrats, pour autant que ces contrats contiennent la même clause ou des clauses similaires.

  2) L’article 4, paragraphe 2, et l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13

doivent être interprétés en ce sens que :

ils permettent à une juridiction nationale, saisie d’une action collective dirigée contre de nombreux professionnels du même secteur économique et visant un nombre très élevé de contrats, de procéder au contrôle du caractère transparent d’une clause contractuelle en se fondant sur la perception du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, lorsque ces contrats s’adressent à des catégories spécifiques de consommateurs et que cette clause a été utilisée pendant
une très longue période. Toutefois, si, pendant cette période, la perception globale du consommateur moyen concernant ladite clause a été modifiée en raison de l’intervention d’un événement objectif ou d’un fait notoire, la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national procède à ce contrôle en tenant compte de l’évolution de la perception de ce consommateur, la perception pertinente étant celle existante au moment de la conclusion d’un contrat de prêt hypothécaire.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-450/22
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Tribunal Supremo.

Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrats de prêt hypothécaire – Clauses limitant la variation des taux d’intérêt – Clauses dites “plancher” – Action collective en cessation de l’utilisation de ces clauses et en restitution des sommes payées à ce titre, impliquant un nombre important de professionnels et de consommateurs – Caractère clair et compréhensible desdites clauses – Notion de “consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé”.

Droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Charte des droits fondamentaux

Protection des consommateurs


Parties
Demandeurs : Caixabank SA e.a.
Défendeurs : Asociación de Usuarios de Bancos, Cajas de Ahorros y Seguros de España (Adicae) e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Medina
Rapporteur ?: Spineanu-Matei

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:577

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