La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/06/2024 | CJUE | N°C-331/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, KT e.a. contre Dirección General de la Función Pública, adscrita al Departamento de la Presidenia de la Generalitat de Catalunya et Generalitat de Catalunya., 13/06/2024, C-331/22


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

13 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents non titulaires – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs »

Dans les affaires jointes C‑331/22 et C‑332/22,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle

au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal adm...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

13 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents non titulaires – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs »

Dans les affaires jointes C‑331/22 et C‑332/22,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 17 de Barcelone, Espagne), par décisions du 12 mai 2022 et du 6 mai 2022, parvenues à la Cour respectivement le 17 mai 2022 et le 19 mai 2022, dans les procédures

KT

contre

Dirección General de la Función Pública, adscrita al Departamento de la Presidencia de la Generalitat de Catalunya (C‑331/22),

et

HM,

VD

contre

Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya (C‑332/22),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, faisant fonction de président de chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour KT, par Me B. Salellas Vilar, abogado,

– pour HM et VD, par Me J. Araúz de Robles Dávila, abogado,

– pour la Dirección General de la Función Pública, adscrita al Departamento de la Presidencia de la Generalitat de Catalunya, et le Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya, par Mme B. Bernad Sorjús, letrada,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement hellénique, par M. V. Baroutas et Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín, D. Recchia et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’“accord-cadre”), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C‑331/22, KT à la Dirección General de la Función Pública, adscrita al Departamento de la Presidencia de la Generalitat de Catalunya [direction générale (DG) de la fonction publique, rattachée à la présidence de la Communauté autonome de Catalogne, Espagne], et, dans l’affaire C‑332/22, HM et VD au Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya (ministère de la Justice du gouvernement de la Communauté
autonome de Catalogne, Espagne) au sujet de la qualification de la relation de travail liant les intéressées à l’administration publique concernée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70 prévoit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive [et doivent] prendre toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. [...] »

4 Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre :

« Le présent accord-cadre a pour objet :

[...]

b) d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. »

5 La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », stipule, à son point 1 :

« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. »

6 La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », prévoit :

« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de
travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

Le droit espagnol

La Constitution

7 L’article 23, paragraphe 2, de la Constitución española (Constitution espagnole, ci-après la « Constitution”), dispose que les citoyens « ont le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions et postes publics, sous réserve des exigences établies par la loi ».

8 L’article 103, paragraphe 3, de la Constitution prévoit, notamment, que la loi définit le statut des fonctionnaires et réglemente l’accès à la fonction publique conformément aux principes de mérite et d’aptitude.

La législation portant sur les contrats à durée déterminée

– Le statut des travailleurs

9 L’article 15, paragraphe 3, du Real Decreto Legislativo 2/2015, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 2/2015, portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après le « statut des travailleurs”), dispose que « [l]es contrats à durée déterminée conclus en violation de
la loi sont réputés conclus pour une durée indéterminée ».

10 L’article 15, paragraphe 5, du statut des travailleurs prévoit :

« Sans préjudice des dispositions [du paragraphe] 1, sous a), [et des paragraphes] 2 et 3 du présent article, les travailleurs qui ont été engagés, avec ou sans interruption, pour une durée supérieure à 24 mois sur une période de 30 mois afin d’occuper un poste de travail identique ou différent au sein de la même entreprise ou du même groupe d’entreprises dans le cadre d’au moins deux contrats temporaires, que ce soit directement ou par leur mise à disposition par des entreprises de travail
intérimaire et selon des modalités contractuelles à durée déterminée identiques ou différentes, acquièrent la qualité de travailleurs permanents. [...] »

– L’EBEP

11 L’article 10 du texto refundido de la Ley del Estatuto Básico del Empleado Público (texte de refonte de la loi relative au statut de base des agents publics), approuvée par le Real Decreto Legislativo 5/2015 por el que se aprueba el Texto Refundido de la Ley del Estatuto Básico del Empleado Público (décret royal législatif 5/2015, portant approbation du texte de refonte de la loi sur le statut de base des agents publics), du 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015, p. 103105), dans sa
version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après l’“EBEP”), prévoit :

« 1.   Sont agents non titulaires les personnes qui, pour des motifs de nécessité et d’urgence expressément justifiés, sont nommées en cette qualité pour exercer des fonctions propres aux fonctionnaires, en cas de survenance de l’un des cas de figure suivants :

a) l’existence de postes vacants non susceptibles d’être occupés par des fonctionnaires ;

b) le remplacement temporaire des titulaires de ces postes ;

c) la réalisation de programmes à caractère temporaire, qui ne peuvent avoir une durée supérieure à trois ans, prorogeable de douze mois en vertu des lois en matière de fonction publique adoptées pour mettre en œuvre le présent statut ;

d) la charge de travail excessive ou accrue pour une durée maximale de six mois sur une période de douze mois.

2.   Les agents non titulaires sont sélectionnés selon des procédures accélérées qui respectent en tout état de cause les principes d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité.

3.   Il est mis fin aux fonctions des agents non titulaires, outre pour les causes prévues à l’article 63, lorsque la cause qui a motivé leur nomination prend fin.

4.   Dans l’hypothèse visée au point a) du paragraphe 1 du présent article, les postes vacants pourvus par des agents non titulaires sont inclus dans l’offre d’emploi dans la fonction publique correspondant à l’exercice au cours duquel leur nomination intervient ou, si cela est impossible, dans celle correspondant à l’exercice suivant, à moins qu’il ne soit décidé de supprimer le poste.

5.   Le régime général des fonctionnaires est applicable aux agents non titulaires dans la mesure où il est adapté à la nature de leur condition [...] »

12 L’article 70 de l’EBEP dispose :

« 1.   Les besoins en ressources humaines bénéficiant d’une dotation budgétaire qui doivent être couverts par le recrutement de nouveaux personnels font l’objet d’une annonce d’emploi public ou sont pourvus au moyen d’un autre instrument similaire de gestion de la couverture des besoins en personnel, ce qui implique d’organiser les procédures de recrutement correspondantes pour les postes prévus, jusqu’à concurrence de [10 %] supplémentaires, et de fixer le délai maximal pour la publication des
avis. En tout état de cause, la mise en œuvre de l’annonce d’emploi public ou de l’instrument similaire doit se faire dans un délai non prorogeable de trois ans.

2.   L’annonce d’emploi public ou l’instrument similaire, approuvé(e) chaque année par les organes directeurs de l’administration publique concernée, fait l’objet d’une publication au journal officiel correspondant.

[...] »

– La loi 20/2021

13 La Ley 20/2021, de medidas urgentes para la reducción de la temporalidad en el empleo público (loi 20/2021 sur les mesures urgentes visant à réduire le caractère temporaire de l’emploi public), du 28 décembre 2021 (BOE no 312, du 29 décembre 2021, p. 165067, ci‑après la « loi 20/2021 »), a remplacé implicitement le Real Decreto-ley 14/2021 de medidas urgentes para la reducción de la temporalidad en el empleo público (décret-loi royal 14/2021 sur les mesures urgentes visant à réduire le caractère
temporaire de l’emploi public), du 6 juillet 2021 (BOE no 161, du 7 juillet 2021, p. 80375), et a modifié certaines dispositions de l’EBEP.

14 L’article 2 de la loi 20/2021, intitulé « Processus de stabilisation de l’emploi à durée déterminée », prévoit :

« 1.   Aux fins de la stabilisation de l’emploi à durée déterminée, et outre les dispositions de l’article 19, paragraphe 1, point 6, de la Ley 3/2017 de Presupuestos Generales del Estado para el año 2017 [(loi 3/2017 établissant le budget général de l’État pour l’année 2017), du 27 juin 2017 (BOE no 153, du 28 juin 2017, p. 53787),] et de l’article 19, paragraphe 1, point 9, de la Ley 6/2018 de Presupuestos Generales del Estado para el año 2018 [(loi 6/2018 établissant le budget général de
l’État pour l’année 2018), du 3 juillet 2018 (BOE no 161, du 4 juillet 2018, p. 66621),] la présente loi autorise un taux supplémentaire de transformation de postes occupés par des travailleurs à durée déterminée en postes occupés par des fonctionnaires, dit “taux de stabilisation”[(tasa de estabilización)], qui inclut les postes de nature structurelle prévus au budget occupés de manière ininterrompue et à durée déterminée pendant au moins les trois années précédant le 31 décembre 2020,
indépendamment du fait que ces postes soient ou non inclus dans les listes de postes, les tableaux d’effectifs ou les autres formes d’organisation des ressources humaines appliquées dans les différentes administrations publiques.

Sans préjudice de la première disposition transitoire, les postes concernés par les processus de stabilisation de l’emploi prévus à l’article 19, paragraphe 1, point 6, de la loi 3/2017 établissant le budget général de l’État pour l’année 2017 et de l’article 19, paragraphe 1, point 9, de la loi 6/2018 établissant le budget général de l’État pour l’année 2018, sont inclus dans le processus de stabilisation de l’emploi décrits à l’alinéa précédent, à condition qu’ils aient été inclus dans les
offres d’emploi public de stabilisation correspondantes et qu’ils n’aient pas fait l’objet d’un appel à candidatures à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ou qu’ils aient fait l’objet d’un appel à candidatures et soient demeurés non pourvus à l’issue de la procédure de sélection.

2.   Les offres d’emploi qui mettent en œuvre les processus de stabilisation visés au paragraphe 1 ainsi que le nouveau processus de stabilisation sont approuvés et publiés dans les journaux officiels pertinents avant le 1er juin 2022 et sont coordonnés par les administrations publiques compétentes.

Les avis de concours pour les procédures de sélection destinées à couvrir les places reprises dans les offres d’emploi public sont publiés avant le 31 décembre 2022.

Ces procédures de sélection sont finalisées avant le 31 décembre 2024.

3.   Le taux de couverture des postes par des travailleurs à durée déterminée doit être inférieur à [8 %] des postes structurels.

4.   La mise en œuvre de ces procédures de sélection, qui garantissent dans tous les cas de figure le respect des principes de libre concurrence, d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité, peut faire l’objet de négociations dans chacun des ressorts de l’administration générale de l’État, des communautés autonomes et des collectivités locales, et des mesures peuvent être prises au sein de la Comisión de Coordinación del Empleo Público [(Commission de coordination de l’emploi public,
Espagne)] pour permettre la coordination de la mise en œuvre de ces procédures entre les différentes administrations publiques.

Sans préjudice des éventuelles dispositions de la réglementation de la fonction publique propre à chaque administration ou de la réglementation spécifique, le système de sélection est le concours sur titres et épreuves, [40 %] de la note totale étant attribuée à la phase de sélection sur titres, lors de laquelle l’expérience dans le corps, la classe, la catégorie ou la classification équivalente pertinente sera prise en compte de manière majoritaire, étant entendu que les exercices de la phase de
sélection sur épreuves pourront ne pas être éliminatoires, dans le cadre de la négociation collective établie à l’article 37, paragraphe 1, sous c), de l’[EBEP].

Les mécanismes de mobilité ou de promotion interne préalables à la couverture de postes sont compatibles avec les processus de stabilisation si la réglementation sectorielle spécifique ou la réglementation de chaque administration le prévoit.

5.   Ces processus doivent nécessairement proposer des postes de nature structurelle occupés par du personnel à durée déterminée et leur accomplissement ne peut en aucun cas conduire à une augmentation des dépenses ou des effectifs.

6.   Les agents non titulaires ou les membres du personnel contractuel à durée déterminée dont le contrat est résilié par l’administration en raison de l’échec au processus sélectif de stabilisation, alors qu’ils étaient en service en cette qualité, ont droit à une compensation financière équivalente à 20 jours de rémunération fixe par année de service, les périodes inférieures à un an étant calculées au prorata des mois accomplis, à concurrence d’un maximum de douze mois.

Pour le personnel contractuel à durée déterminée, cette indemnité correspond à la différence entre, d’une part, un maximum de 20 jours de rémunération fixe par année de service, à concurrence d’un maximum de douze mois, et, d’autre part, l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre en raison de la résiliation de son contrat, les périodes inférieures à un an étant calculées au prorata des mois accomplis. Dans le cas où ladite indemnité est accordée par la voie judiciaire, les montants sont
compensés.

L’absence de participation du candidat ou de la candidate au processus sélectif de stabilisation ne lui donne en aucun cas droit à une quelconque indemnité financière.

7.   Afin de permettre le suivi de l’offre, les autorités publiques certifient auprès du ministère des Finances et de la Fonction publique, par l’intermédiaire du secrétariat d’État au Budget et aux Dépenses, le nombre de postes structurels occupés à durée déterminée constaté dans chacun des domaines concernés. »

15 Conformément à la sixième disposition additionnelle de la loi 20/2021 :

« À titre exceptionnel et conformément aux dispositions de l’article 61, paragraphes 6 et 7, de l’[EBEP], les administrations publiques publient un appel à candidatures sous forme de concours sur titres pour les postes qui répondent aux exigences établies à l’article 2, paragraphe 1, et étaient occupés à durée déterminée de manière ininterrompue avant le 1er janvier 2016.

Ces procédures de sélection, organisées une seule fois, peuvent faire l’objet d’une négociation dans chacun des ressorts de l’administration de l’État, des communautés autonomes et des collectivités locales et respectent, en tout état de cause, les délais prévus par la présente loi. »

16 La huitième disposition additionnelle de la loi 20/2021 dispose :

« Les processus de stabilisation visés dans la sixième disposition additionnelle incluent en outre dans leurs appels à candidatures les postes vacants de nature structurelle occupés à durée déterminée par du personnel ayant une relation de travail de cette nature antérieure au 1er janvier 2016. »

– La loi 40/2015

17 L’article 87, paragraphe 5, de la Ley 40/2015, de Régimen Jurídico del Sector Público (loi 40/2015 relative au régime juridique du secteur public), du 1er octobre 2015 (BOE no 236, du 2 octobre 2015, p. 89411), telle que modifiée par la Ley 11/2020, Presupuestos Generales del Estado para el 2021 (loi 11/2020, établissant le budget général de l’État pour l’année 2021), du 30 décembre 2020 (BOE no 341, du 31 décembre 2020, p. 125958) (ci-après la « loi 40/2015”), permet aux employés privés
d’entreprises et d’entités de droit privé qui rejoignent le secteur public d’exercer les mêmes fonctions qu’un fonctionnaire, et ce en qualité de travailleurs à un poste dit « résiduel à supprimer »(a extinguir).

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C‑331/22

18 Le 5 mai 2005, KT a été nommée, en tant qu’agent non titulaire, à un poste d’encadrement au sein de l’administration de la Generalitat de Catalunya (Communauté autonome de Catalogne, Espagne). Depuis cette date, elle a fait l’objet de plusieurs nominations temporaires successives au sein de cette administration publique, la dernière de ces nominations datant du 5 août 2015. La nomination de KT était le résultat d’une procédure de sélection menée, notamment, dans le respect des principes de
mérite, d’aptitude et d’égalité, prévus à l’article 103, paragraphe 3, de la Constitution.

19 Après l’ouverture de la procédure au principal dans l’affaire C‑331/22, la défenderesse au principal a annoncé l’organisation d’une procédure de sélection publique afin de pourvoir, notamment, le poste occupé par KT. Cette dernière a alors demandé l’adoption d’une mesure provisoire visant à exclure ce poste de cette procédure de sélection. Cette demande a été accueillie par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 17 de
Barcelone, Espagne), qui est la juridiction de renvoi dans cette affaire.

20 Devant la juridiction de renvoi, la requérante au principal considère que, dans la mesure où elle a occupé un poste vacant depuis son entrée en fonction et que ce poste n’a pas fait l’objet d’une offre d’emploi, il conviendrait, afin de remédier à l’utilisation abusive de nominations temporaires successives dont elle aurait fait l’objet, de lui accorder le statut de travailleur à durée indéterminée non permanent (dit « indefinido no fijo ») ou, à titre subsidiaire, d’adopter une mesure impliquant
le maintien de son emploi.

21 La défenderesse au principal considère, en revanche, que, conformément à une jurisprudence constante du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), il ne serait pas possible de transformer la relation de travail temporaire d’un agent non titulaire en une relation de travail permanente. En outre, elle réfute l’existence d’une situation d’abus. Enfin, elle fait valoir que, en tout état de cause, la loi 20/2021, prévoyant des mesures effectives visant à réduire le recours abusif à l’emploi temporaire
dans le secteur public, permettrait de régulariser la situation des agents non titulaires.

22 La juridiction de renvoi relève que la requérante au principal a engagé la procédure dans l’affaire C‑331/22 à une époque où le droit national ne prévoyait aucune conséquence juridique en cas de recours abusif à l’emploi temporaire dans le secteur public. Cela étant, la loi 20/2021, dont certaines dispositions seraient applicables au litige au principal dans cette affaire, établirait des mesures en vue de réduire de tels abus. Toutefois, la juridiction de renvoi a des doutes quant à la conformité
de cette loi avec l’accord-cadre.

23 C’est dans ce contexte que le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 17 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1) La [loi 20/2021] prévoit comme seule mesure de sanction l’organisation de procédures de sélection ainsi qu’une indemnisation réservée aux victimes de l’abus [du recours à l’emploi temporaire] qui ne réussiraient pas ces concours. Cette loi viole-t-elle la clause 5 de l’[accord-cadre], au motif qu’elle ne sanctionne pas les abus qui se sont produits à l’égard des agents publics temporaires qui ont réussi ces procédures de sélection, alors que la sanction est toujours indispensable et que la
réussite à ce concours ne constitue pas une mesure de sanction qui respecte les exigences de la directive [1999/70], ainsi que la Cour l’a jugé dans l’ordonnance du 2 juin 2021, SUSH et CGT Sanidad de Madrid (C‑103/19, EU:C:2021:460) ?

2) En cas de réponse par l’affirmative à la [première question] et si la loi 20/2021 ne prévoit pas d’autres mesures efficaces pour sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs ou la prolongation abusive d’un contrat temporaire, le fait que la loi omette d’envisager la conversion en contrat à durée indéterminée d’une succession de contrats de travail à durée déterminée ou de la prolongation abusive d’un contrat temporaire viole-t-il la clause 5 de l’[accord-cadre],
comme l’a jugé la Cour dans l’ordonnance du 30 septembre 2020[, Câmara Municipal de Gondomar (C‑135/20, EU:C:2020:760)] ?

3) Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a établi dans ses arrêts 1425/2018 et 1426/2018, du 26 septembre 2018, la jurisprudence, confirmée par son arrêt 1534/2021, du 20 décembre 2021, selon laquelle la mesure devant être adoptée face à une situation d’abus du recours à l’emploi temporaire peut se limiter au simple fait de maintenir à son poste l’agent public victime d’un abus dans le régime de précarité dans l’emploi jusqu’à ce que l’administration qui l’emploie détermine s’il existe un besoin
structurel et qu’elle organise les procédures de sélection correspondantes – ouvertes aux candidats qui n’ont pas subi cet abus d’emploi temporaire – pour pourvoir le poste avec des fonctionnaires ou des agents publics permanents. Cette jurisprudence viole-t-elle la clause 5 de l’[accord‑cadre] lorsque l’organisation d’une procédure de sélection ouverte et la réussite à ce concours n’est pas une mesure de sanction qui respecte les exigences de la directive [1999/70], ainsi que l’a jugé la Cour
dans l’ordonnance du 2 juin 2021, SUSH et CGT Sanidad de Madrid (C‑103/19, EU:C:2021:460) ?

4) En cas de réponse par l’affirmative à la [troisième question] et si la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) ne prévoit pas d’autres mesures efficaces pour sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs ou la prolongation abusive d’un contrat temporaire, le fait que cette jurisprudence ne prévoit pas la transformation en contrat à durée indéterminée d’une succession de contrats de travail à durée déterminée ou de la prolongation abusive d’un contrat
temporaire viole-t-il la clause 5 de l’accord-cadre de la directive [1999/70], comme l’a jugé la Cour dans l’ordonnance du 30 septembre 2020[, Câmara Municipal de Gondomar (C‑135/20, EU:C:2020:760)] ?

5) Si la législation adoptée pour transposer la clause 5 de l’[accord-cadre] viole le droit [de l’Union] en ne prévoyant aucune mesure de sanction spécifique susceptible d’assurer le respect des objectifs de cette norme [de l’Union] et de mettre fin à la précarisation des agents publics, les autorités judiciaires nationales doivent-elles convertir la relation de travail temporaire abusive en une relation de travail permanente différente de celle d’un fonctionnaire, mais assurant la stabilité de
l’emploi à la victime de l’abus, afin d’éviter que cet abus ne reste impuni et ne porte atteinte aux objectifs de la clause 5 de l’[accord‑cadre], même si cette conversion n’est pas prévue par la législation nationale, à condition que cette relation de travail temporaire ait été précédée d’une procédure de sélection ouverte à tous respectant les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude ? »

L’affaire C‑332/22

24 HM travaille en qualité d’agent non titulaire auprès de l’administration de la justice en Catalogne depuis le 14 décembre 1984. Son ancienneté au sein de cette administration dépassait 37 ans à la date de l’introduction de la procédure au principal dans l’affaire C‑332/22. Sa relation de travail s’est matérialisée par différentes nominations et la conclusion de différents contrats. Depuis plus de 8 ans, HM occupe le poste vacant de gestionnaire procédural et administratif auprès du Juzgado de lo
Penal no 3 de Vilanova i la Geltrú (tribunal pénal au niveau provincial no 3 de Vilanova i la Geltrú, Espagne).

25 VD travaille en qualité d’agent non titulaire auprès de l’administration de la justice en Catalogne depuis le 15 mai 1991. Entre cette date et le 31 mai 2012, elle a été nommée auprès de différents organes judiciaires de Barcelone. Le 20 juin 2012, elle a été nommée, en tant qu’agent non titulaire du Cuerpo de Tramitación Procesal y Administrativa (corps chargé du traitement procédural et administratif, Espagne), auprès du Juzgado de lo Penal no 3 de Barcelona (tribunal pénal au niveau provincial
no 3 de Barcelone, Espagne). VD occupe ce poste vacant depuis cette dernière date, c’est-à-dire depuis plus de 9 ans.

26 Devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 17 de Barcelone), qui est, comme dans l’affaire C‑331/22, la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑332/22, les requérantes au principal relèvent qu’elles auraient exercé, au cours de toutes les années d’activité au sein de l’administration de la justice en Catalogne, des fonctions identiques à celles des fonctionnaires dans une situation comparable et, partant, auraient répondu à
des besoins qui sont non pas temporaires, urgents et exceptionnels, mais ordinaires, durables et permanents. Ainsi, le constat d’un recours abusif, par l’administration publique concernée, aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs, incompatible avec la clause 5 de l’accord-cadre, s’imposerait. Selon elles, faute pour le droit espagnol de prévoir, dans le secteur public, une mesure permettant de sanctionner un tel recours, la sanction à appliquer dans ce secteur
devrait être la transformation de leur relation de travail en une relation de travail à durée indéterminée, et ce par l’acquisition du statut de fonctionnaire ou, subsidiairement, en transformant la relation de travail à durée déterminée abusive en une relation de travail à durée indéterminée comparable à celle des fonctionnaires. À titre encore plus subsidiaire, elles demandent à ce que l’administration concernée leur reconnaisse le droit de se maintenir aux postes qu’elles occupent
actuellement, en tant que titulaires de ces postes. Enfin, elles demandent le paiement d’une somme d’un montant de 18000 euros ou d’une somme adéquate, à titre de sanction du recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs dont elles auraient été victimes.

27 En revanche, la défenderesse au principal, d’une part, fait valoir l’absence d’abus, dans la mesure où des appels à candidatures pour les postes occupés par les requérantes au principal auraient été publiés presque chaque année. D’autre part, elle se réfère à la loi 20/2021, qui permettrait de régulariser la situation des requérantes au principal.

28 C’est dans ce contexte que le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 17 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 17 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les mesures établies dans les arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême nos 1425/2018 et 1426/2018, du 26 septembre 2018, dont la position reste inchangée à ce jour (30 novembre 2021), qui consistent à maintenir le travailleur du secteur public victime d’un abus sous le même régime de précarité d’emploi abusive, et ce jusqu’à ce que l’administration employeuse détermine s’il existe un besoin structurel et ouvre les procédures de sélection pertinentes afin de pourvoir le poste par un
travailleur du secteur public à durée indéterminée ou par un fonctionnaire, sont-elles des mesures conformes aux exigences de sanction de la clause 5 de l’[accord-cadre] ?

Ces mesures pérennisent-elles au contraire la précarité et l’absence de protection jusqu’à ce que l’administration employeuse décide aléatoirement d’organiser une procédure de sélection dont l’issue est incertaine (puisque ces procédures sont également ouvertes aux candidats qui n’ont pas été victimes de tels abus) afin de pourvoir le poste du travailleur victime d’abus par un travailleur du secteur public à durée indéterminée, de sorte qu’elles ne sauraient être considérées comme des
mesures de sanction dissuasives aux fins de la clause 5 de l’[accord-cadre], ni comme des mesures garantissant le respect de ses objectifs ?

2) Lorsqu’une juridiction nationale respecte son obligation de sanctionner dans tous les cas de figure l’abus constaté (la sanction étant “indispensable”et “immédiate”) et conclut que le principe d’interprétation conforme ne permet pas de garantir l’effet utile de la directive [1999/70] sans se livrer à une interprétation contra legem du droit interne, précisément parce que le droit interne de l’État membre n’a intégré aucune mesure de sanction pour mettre en œuvre la clause 5 de l’[accord-cadre]
dans le secteur public, cette juridiction est-elle tenue d’appliquer les considérations développées dans les arrêts du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257), ou du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223), de sorte que les articles 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la “Charte”)] permettraient d’écarter l’application des dispositions du droit interne qui empêchent de garantir la pleine effectivité de la directive [1999/70], même
si celles-ci ont rang constitutionnel ?

Cette juridiction doit-elle par conséquent transformer la relation de travail à durée déterminée abusive en relation de travail à durée indéterminée, identique ou similaire à celle des fonctionnaires dans une situation comparable, en conférant à la victime de l’abus la stabilité de l’emploi, afin d’éviter que cet abus ne reste impuni et qu’il soit porté atteinte aux objectifs et à l’effet utile de la clause 5 de l’[accord-cadre], et ce même si cette transformation est interdite par la
législation nationale ou par la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême), ou pourrait être contraire à la [Constitution] ?

3) La Cour a jugé dans les arrêts du 25 octobre 2018, Sciotto (C‑331/17, EU:C:2018:859), et du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico Regionale per la Campania (C‑282/19, EU:C:2022:3), que la clause 5 de l’[accord-cadre] s’oppose à une réglementation nationale qui exclut certains travailleurs du secteur public de l’application des règles visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs, lorsqu’il n’existe aucune autre mesure effective dans l’ordre juridique
interne sanctionnant ce recours abusif. La législation espagnole n’a par ailleurs instauré aucune mesure pour sanctionner l’abus dans le secteur public applicable au personnel engagé dans le cadre de relations de travail à durée déterminée successives.

Dans ces conditions, l’application de cette jurisprudence de la Cour et du principe du droit de l’Union d’équivalence impose‑t‑elle de transformer les travailleurs du secteur public à durée déterminée victimes d’abus en fonctionnaires ou en travailleurs du secteur public à durée indéterminée, en soumettant ces travailleurs victimes d’abus aux mêmes motifs de résiliation et d’extinction de la relation de travail que celles applicables à ces derniers, dans la mesure où, d’une part, l’article 15
du [statut des travailleurs] impose, dans le secteur privé, de transformer en travailleurs à durée indéterminée les travailleurs à durée déterminée occupés de manière suivie par un même employeur pendant plus de 24 mois sur une période de 30 mois, et où, d’autre part, l’article 8[7], paragraphe [5], de la [loi 40/2015], permet, en application du droit national, que les travailleurs privés d’entreprises et d’entités de droit privé qui passent dans le secteur public accomplissent les mêmes
fonctions qu’un fonctionnaire, en qualité de travailleur à un poste “résiduel à supprimer”(dit “a extinguir”) et en étant dès lors soumis aux mêmes motifs de résiliation de la relation de travail que les fonctionnaires ?

4) Les conditions relatives à l’extinction de la relation de travail et les conditions de résiliation d’un contrat de travail relèvent de la notion de “conditions d’emploi” visée par la clause 4 de l’[accord-cadre] (arrêts du 13 mars 2014, Nierodzik, C‑38/13, EU:C:2014:152, points 27 et 29, et du 14 septembre 2016, de Diego Porras, C‑596/14, EU:C:2016:683, points 30 et 31).

Dans ce contexte, en cas de réponse négative à la [troisième question], la Cour est invitée à déterminer si stabiliser la situation des membres du personnel du secteur public à durée déterminée victimes d’abus en leur appliquant les mêmes motifs de résiliation et de licenciement que celles en vigueur pour les fonctionnaires ou les travailleurs à durée indéterminée dans une situation comparable, sans qu’ils acquièrent ces qualités, constitue une mesure que les autorités sont tenues d’appliquer
en vertu des clauses 4 et 5 de l’[accord-cadre] et du principe d’interprétation conforme, étant donné que la législation nationale interdit d’acquérir la qualité de fonctionnaire ou de travailleur à durée indéterminée uniquement à ceux qui ne répondent pas à certaines exigences et que la stabilisation de la situation de ces travailleurs selon les modalités susmentionnées n’entraîne pas l’acquisition de ces qualités.

5) L’article 15 du [statut des travailleurs] fixe la durée maximale des contrats à durée déterminée à deux ans, au motif que, passé ce délai, le besoin couvert n’est plus considéré comme provisoire ni exceptionnel, mais comme ordinaire et durable, et impose aux employeurs du secteur privé de transformer la relation de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée. Par ailleurs, l’article 10 de l’EBEP impose d’inclure les postes vacants couverts par des agents non
titulaires ou par du personnel contractuel à durée déterminée dans l’offre d’emploi dans la fonction publique correspondant à l’exercice au cours duquel leur nomination intervient ou, si cela est impossible, dans celle correspondant à l’exercice suivant (c’est-à-dire dans un délai maximal de deux ans), afin que le poste concerné soit pourvu par un fonctionnaire.

Dans ces conditions, faut-il conclure que le recours aux relations de travail à durée déterminée successives devient abusif à partir du moment où l’administration employeuse n’affecte pas un fonctionnaire ou un travailleur à durée indéterminée au poste couvert par un travailleur du secteur public à durée déterminée dans les délais prévus par la réglementation nationale, c’est-à-dire à partir du moment où ce poste n’est pas inclus dans une offre d’emploi dans la fonction publique dans un délai
maximal de deux ans à compter de la nomination de l’agent non titulaire ou du travailleur contractuel à durée déterminée concerné, avec l’obligation de mettre un terme à sa relation de travail en exécutant cette offre d’emploi dans la fonction publique dans le délai maximal de trois ans fixé à l’article 70 de l’EBEP ?

6) La [loi 20/2021] est-elle contraire aux principes du droit de l’Union de légalité et de non‑rétroactivité des dispositions pénales, notamment énoncés à l’article 49 de la [Charte], en ce qu’elle prévoit, comme sanction au recours abusif aux relations de travail à durée déterminée successives, des procédures de sélection qui s’appliquent même lorsque les actes ou omissions constitutifs de l’infraction (et, par conséquent, de l’abus) et leur dénonciation se sont produits et ont été consommés
(plusieurs années) avant sa promulgation ?

7) La [loi 20/2021], en ce qu’elle prévoit, comme mesure de sanction, l’organisation de procédures de sélection et une indemnité uniquement en faveur des victimes d’abus qui ne les réussissent pas en ordre utile, est-elle contraire à la clause 5 de l’[accord-cadre] et à la directive [1999/70], dans la mesure où elle laisse sans sanction les abus commis à l’égard des travailleurs à durée déterminée du secteur public ayant réussi ces procédures en ordre utile, alors que la sanction est toujours
indispensable et que, comme la Cour l’a jugé dans l’ordonnance du 2 juin 2021, SUSH et CGT Sanidad de Madrid (C‑103/19, EU:C:2021:460), la réussite d’une telle procédure de sélection n’est pas une mesure de sanction conforme aux exigences de cette directive ?

En d’autres termes, la [loi 20/2021], en ce qu’elle limite l’octroi de l’indemnité aux victimes d’abus qui ne réussissent pas la procédure de sélection en ordre utile et exclut de ce droit les travailleurs ayant fait l’objet d’un abus qui ont postérieurement accédé au statut de travailleur à durée indéterminée grâce à ces procédures de sélection, est-elle contraire à la directive [1999/70] et, en particulier, au point 45 de l’ordonnance du 2 juin 2021, SUSH et CGT Sanidad de Madrid (C‑103/19,
EU:C:2021:460), dans lequel la Cour a jugé que, si l’organisation de procédures de sélection ouvertes aux travailleurs ayant été employés de manière abusive dans le cadre de relations de travail à durée déterminée successives peut permettre à ces derniers de prétendre à l’obtention d’un emploi permanent et durable et, partant, au statut de personnel statutaire fixe, les États membres demeurent néanmoins tenus de prévoir une mesure adéquate pour sanctionner le recours abusif aux contrats et aux
relations de travail à durée déterminée successifs ?

8) La [loi 20/2021], en ce qu’elle prévoit que les procédures de sélection visant à réduire le taux d’emploi à durée déterminée dans le secteur public doivent se dérouler dans un délai de trois ans, venant à échéance le 31 décembre 2024, et en ce qu’elle instaure comme sanction une indemnité à percevoir à la date de la fin de la relation de travail ou du licenciement de la victime d’abus, est-elle contraire à la clause 5 de l’[accord-cadre], à la lumière de l’ordonnance du 9 février 2017, Rodrigo
Sanz (C‑44[3]/16, EU:C:2017:109), ou des arrêts du 14 septembre 2016, Pérez López (C‑16/15, EU:C:2016:679), et du 21 novembre 2018, de Diego Porras (C‑619/17, EU:C:2018:936), lorsqu’elle pérennise ou prolonge la situation d’abus, d’absence de protection et de précarité d’emploi du travailleur qui en est victime en portant atteinte à l’effet utile de la directive [1999/70], et ce jusqu’à ce que le travailleur concerné soit licencié et puisse percevoir ladite indemnité ?

9) La [loi 20/2021], en ce qu’elle confère, dans le cadre de la mise en œuvre de la directive [1999/70], des droits inférieurs à ceux résultant du droit national, est-elle contraire au principe d’équivalence, dès lors que :

– la loi 11/2020 modifie l’article 87, paragraphe [5], de la loi 40/2015 et permet, en application du droit interne, que les travailleurs privés d’une entreprise privée qui passe au secteur public puissent exercer les mêmes fonctions que les fonctionnaires, en qualité de travailleur à un poste “résiduel à supprimer” (dit “a extinguir”) et en étant soumis aux mêmes motifs de résiliation de la relation de travail que ces derniers bien qu’ils n’aient pas réussi de procédure de sélection en ordre
utile, alors que la [loi 20/2021], lorsqu’elle met en œuvre le droit de l’Union, ne permet pas aux travailleurs du secteur public sélectionnés selon des procédures régies par les principes d’égalité, de publicité et de libre concurrence de continuer à exercer les mêmes fonctions que les fonctionnaires, en étant soumis aux mêmes motifs de résiliation de la relation de travail que ces derniers ;

– l’article 15 du statut des travailleurs, dans sa version issue du [Real Decreto Legislativo] 1/1995, [por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 1/1995, portant approbation du texte refondu de la loi sur le statut des travailleurs), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654)], c’est-à-dire dans sa rédaction antérieure à l’adoption de la directive [1999/70], permet, en application du droit interne, la transformation
en travailleurs à durée indéterminée des travailleurs relevant du droit privé occupés par le même employeur pendant plus de deux ans, alors que, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union, les travailleurs du secteur public victime d’abus ne sont indemnisés qu’à concurrence de 20 jours de rémunération par année de service, plafonnés à douze mois de salaire, la transformation en travailleur à durée indéterminée étant interdite ;

– les articles 32 et suivants de la [loi 40/2015] consacrent le principe de la réparation intégrale et obligent les administrations à réparer tous les dommages causés aux victimes de leurs actes, alors que, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union, l’indemnisation des victimes d’abus est limitée a priori tant dans son montant (20 jours de rémunération par année de service) que dans le temps (plafond de douze mois de salaire) ?

10) La [loi 20/2021], en ce qu’elle instaure comme unique mesure réelle de sanction une indemnité de 20 jours de rémunération par année de service en faveur des victimes d’abus n’ayant pas réussi en ordre utile une procédure de sélection, est-elle contraire à la jurisprudence établie par la Cour dans l’arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), selon laquelle, dans le secteur public, une indemnité ne suffit pas pour se conformer à la directive [1999/70], celle-ci devant être
accompagnée d’autres mesures de sanction supplémentaires effectives, proportionnées et dissuasives ?

11) La [loi 20/2021], en ce qu’elle fixe à 20 jours de rémunération par année de service, plafonnés à douze mois de salaire, l’indemnité en faveur des victimes d’abus n’ayant pas réussi en ordre utile une procédure de sélection, est-elle contraire aux principes du droit de l’Union de réparation intégrale adéquate et de proportionnalité, dès lors qu’elle exclut de la réparation le manque à gagner ainsi que d’autres postes d’indemnisation ou de compensation, tels que, par exemple, ceux découlant de
la perte de chance [notion utilisée par la Cour dans l’arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166)] ; de l’impossibilité d’acquérir la qualité de travailleur à durée indéterminée en raison de l’absence d’organisation des procédures de sélection dans les délais légaux, ou de l’impossibilité d’être promu ou de progresser dans la hiérarchie administrative ; du préjudice moral résultant de l’absence de protection inhérent à toute situation d’emploi précaire ; du licenciement, lorsque
la victime d’abus répond à certaines conditions d’âge et de genre (par exemple les femmes de plus de 50 ans) et qu’il n’existe pour elle aucun marché alternatif de l’emploi ; ou encore de la réduction des pensions de retraite ?

12) La [loi 20/2021], en ce qu’elle fixe une indemnité maximale de 20 jours de rémunération par année de service, plafonnés à douze mois de salaire, est-elle contraire au droit de l’Union à la lumière des arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335), et du 17 décembre 2015, Arjona Camacho (C‑407/14, EU:C:2015:831), en vertu desquels le droit de l’Union s’oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée par un licenciement soit a priori limitée par un plafond
maximal ? »

La procédure devant la Cour

29 Par une décision du 19 septembre 2023, les affaires C‑331/22 et C‑332/22 ont été jointes aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 54, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

30 En premier lieu, les défenderesses au principal et le gouvernement espagnol considèrent que la Cour n’est pas compétente pour répondre aux demandes de décision préjudicielle, dès lors que, par celles-ci, la juridiction de renvoi demanderait à la Cour d’interpréter les mesures de sanction prévues par la loi 20/2021 et de se prononcer sur la conformité de ces mesures avec l’accord-cadre. Selon ce gouvernement, ces demandes reviennent à exiger de la Cour qu’elle rende un avis consultatif de portée
générale sur la notion d’“agent non titulaire », telle que prévue dans le droit espagnol.

31 En second lieu, les défenderesses au principal et le gouvernement espagnol font valoir que les demandes de décision préjudicielle, en ce qu’elles portent sur des mesures figurant dans la loi 20/2021 ou ressortant de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême), excèdent l’objet des litiges au principal et, partant, soulèvent un problème de nature hypothétique.

32 En effet, les requérantes au principal demanderaient uniquement de requalifier leur relation de travail temporaire en une relation de travail à durée indéterminée, sans que ces demandes se fondent sur ces mesures ou sur cette jurisprudence. Ainsi, par exemple, premièrement, l’indemnité au titre de la cessation de la relation de travail en cas d’échec à la procédure de sélection, prévue à l’article 2 de la loi 20/2021, deuxièmement, la participation à cette procédure de sélection en tant que moyen
d’obtenir un emploi permanent ou, troisièmement, la mesure, établie par la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême), de maintien au poste de travail jusqu’à l’organisation et la clôture de la procédure de sélection correspondante constitueraient des mesures qui ne feraient pas l’objet des litiges au principal et n’auraient donc aucune pertinence pour la solution de ces litiges.

33 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le système de coopération établi à l’article 267 TFUE est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. Dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de cet article, l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions des États membres et non à la Cour et il n’incombe pas à cette dernière de se prononcer sur la compatibilité de normes du droit interne avec les dispositions du droit de
l’Union. En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui permettent à celle-ci d’apprécier la compatibilité de normes du droit interne avec la réglementation de l’Union (arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 27 et jurisprudence citée).

34 Il importe également de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En
conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

35 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [voir arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

36 En l’occurrence, s’il est vrai que la teneur littérale des questions posées à titre préjudiciel par la juridiction de renvoi invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité de dispositions de droit interne, y compris de mesures établies par la jurisprudence nationale, avec le droit de l’Union, rien n’empêche la Cour de donner une réponse utile à cette juridiction en fournissant à celle-ci les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui lui permettront de statuer elle-même sur la
compatibilité du droit interne avec le droit de l’Union (voir arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 28 et jurisprudence citée).

37 En outre, il ressort sans équivoque des demandes de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi sera amenée, dans le cadre de la résolution des litiges au principal, à déterminer les mesures nationales permettant, conformément aux exigences résultant de la directive 1999/70, de sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs.

38 Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation de la clause 5 de l’accord-cadre, sollicitée par la juridiction de renvoi, n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal ou que les questions visant les mesures nationales mentionnées au point 32 du présent arrêt, en tant que mesures susceptibles de sanctionner, conformément aux exigences de la directive 1999/70, le recours abusif aux relations de travail temporaires concernées, soulèvent un
problème de nature hypothétique.

39 Cela étant, par la sixième question posée dans l’affaire C‑332/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de légalité et de non-rétroactivité des dispositions pénales, énoncés, notamment, à l’article 49 de la Charte, s’opposent à l’application rétroactive d’une réglementation nationale, telle que la loi 20/2021, dans la mesure où celle-ci prévoit, afin de réduire le taux d’emplois temporaires, des mesures moins favorables pour les travailleurs victimes d’une utilisation
abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs que la réglementation nationale antérieure.

40 Or, force est de constater que les principes de légalité et de non-rétroactivité des dispositions pénales ne sont pas applicables dans une situation dans laquelle les dispositions nationales concernées n’ont pas une telle nature, mais énoncent, comme le relève la juridiction de renvoi, des mesures urgentes qui sont destinées à réduire le taux d’emploi à durée déterminée dans le secteur public et, à cette fin, imposent, sous réserve de certaines conditions, à l’administration publique concernée
d’organiser des procédures de sélection ou de verser une indemnité aux travailleurs engagés de manière successive à durée déterminée.

41 Dans ces conditions, il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union dans le cadre de la sixième question posée dans l’affaire C‑332/22 n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Partant, conformément à la jurisprudence visée au point 35 du présent arrêt, cette question doit être déclarée irrecevable.

42 Il résulte des considérations qui précèdent que, d’une part, la Cour est compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle et, d’autre part, les demandes de décision préjudicielle sont recevables, à l’exception de la sixième question posée dans l’affaire C‑332/22.

Sur les questions préjudicielles

Sur la cinquième question posée dans l’affaire C‑332/22

43 Par la cinquième question posée dans l’affaire C‑332/22, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale selon laquelle le recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public devient abusif lorsque l’administration publique concernée ne respecte pas les délais prévus dans le droit interne
afin de pourvoir le poste occupé par le travailleur temporaire concerné, au motif que, passé ces délais, ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs couvrent des besoins non pas provisoires, mais permanents et durables de cette administration.

44 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet, notamment, d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.

45 La clause 5 de l’accord-cadre a pour but de mettre en œuvre cet objectif, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, considéré comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs, en prévoyant un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19,
EU:C:2021:439, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

46 Dès lors, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre impose aux États membres, afin de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes. Les mesures ainsi énumérées au point 1, sous a) à c), de cette clause, au nombre de trois, ont trait, respectivement, à des raisons objectives justifiant
le renouvellement de tels contrats ou relations de travail, à la durée maximale totale de ces contrats ou relations de travail successifs et au nombre de renouvellements de ceux-ci [arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 56 ainsi que jurisprudence citée].

47 Les États membres disposent, à cet égard, d’une marge d’appréciation, dès lors qu’ils ont le choix de recourir à l’une ou à plusieurs des mesures énoncées à la clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre ou encore à des mesures légales existantes équivalentes, et cela tout en tenant compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs [arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires),
C‑326/19, EU:C:2021:438, point 57 ainsi que jurisprudence citée].

48 Ce faisant, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre assigne aux États membres un objectif général, consistant en la prévention de tels abus, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir, pour autant qu’ils ne remettent pas en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord-cadre [arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 58 ainsi que jurisprudence citée].

49 Il résulte, toutefois, du libellé de la clause 5 de l’accord-cadre ainsi que d’une jurisprudence constante que cette clause trouve à s’appliquer seulement en présence de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, de telle sorte qu’un contrat qui est le tout premier ou unique contrat de travail à durée déterminée ne relève pas de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre [voir arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a.
(Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 52 ainsi que jurisprudence citée].

50 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑332/22 que les relations de travail liant les requérantes au principal à l’administration publique concernée se sont matérialisées par l’intervention de nominations successives et/ou la conclusion de contrats à durée déterminée successifs. Partant, sous réserve des vérifications incombant à la juridiction de renvoi, la clause 5 de l’accord-cadre est applicable aux situations au principal dans cette affaire.

51 En outre, il importe de rappeler que le remplacement temporaire d’un travailleur en vue de satisfaire des besoins provisoires de l’employeur concerné en termes de personnel peut, en principe, constituer une « raison objective », au sens de la clause 5, point 1, sous a), de cet accord-cadre (arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

52 À cet égard, en premier lieu, la Cour a précisé qu’il ne saurait être admis que des contrats de travail à durée déterminée puissent être renouvelés aux fins de l’accomplissement, de manière permanente et durable, de tâches dans les services en cause qui relèvent de l’activité normale du personnel concerné (arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

53 En effet, le renouvellement de contrats ou de relations de travail à durée déterminée pour couvrir des besoins qui revêtent, en fait, un caractère non pas provisoire, mais permanent et durable n’est pas justifié, au sens de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, dans la mesure où une telle utilisation des contrats ou des relations de travail à durée déterminée va directement à l’encontre de la prémisse sur laquelle se fonde cet accord-cadre, à savoir que les contrats de travail à durée
indéterminée constituent la forme générale des relations de travail, même si les contrats de travail à durée déterminée sont une caractéristique de l’emploi dans certains secteurs ou pour certaines occupations et activités (arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

54 Le respect de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre exige ainsi qu’il soit vérifié concrètement que le renouvellement successif de contrats ou de relations de travail à durée déterminée vise à couvrir des besoins provisoires et qu’une disposition nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal n’est pas utilisée, en fait, pour satisfaire des besoins permanents et durables de l’employeur concerné en matière de personnel (arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18
et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

55 En second lieu, la Cour a considéré qu’une mesure nationale qui prévoit l’organisation dans les délais requis de procédures de sélection visant à pourvoir de manière définitive les postes occupés provisoirement par des travailleurs à durée déterminée est de nature à éviter que le statut précaire de ces travailleurs se pérennise, en assurant que les postes qu’ils occupent soient rapidement pourvus de manière définitive (voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo
Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 64 ainsi que jurisprudence citée).

56 Dès lors, l’organisation dans les délais requis de telles procédures est, en principe, susceptible de prévenir les abus résultant du recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs dans l’attente que ces postes soient pourvus de manière définitive (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

57 Cependant, la Cour a également considéré qu’une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de sélection visant à pourvoir de manière définitive les postes occupés provisoirement par des travailleurs à durée déterminée ainsi qu’un délai précis à cette fin, mais qui ne permet pas d’assurer que de telles procédures soient effectivement organisées, n’apparaît pas de nature à prévenir le recours abusif, par l’employeur concerné, à des contrats ou à des relations de travail à
durée déterminée successifs (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

58 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du droit interne, cette mission incombant aux juridictions nationales compétentes, qui doivent déterminer si les exigences édictées à la clause 5 de l’accord-cadre sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale applicable (voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19,
EU:C:2021:439, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

59 Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les conditions d’application et la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du droit interne en font une mesure adéquate pour prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs (voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

60 Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider ces juridictions dans leur appréciation (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

61 En l’occurrence, la juridiction de renvoi précise que la législation espagnole prévoit des règles permettant de considérer que le recours à des contrats ou à des relations de travail successifs devient abusif lorsque ces contrats ou relations de travail dépassent une durée de deux ans, au motif que, dans une telle hypothèse, lesdits contrats ou relations de travail couvrent des besoins non pas provisoires, mais permanents et durables de l’employeur concerné. Ainsi, en ce qui concerne les
travailleurs du secteur public, l’article 10, paragraphe 4, de l’EBEP prévoirait que les postes vacants couverts par des agents non titulaires sont inclus dans l’offre publique d’emploi en vue d’être pourvus par un fonctionnaire dans un délai maximal de deux ans à compter de la nomination de l’agent non titulaire concerné. En outre, en vertu de l’article 70 de l’EBEP, il incomberait à l’administration de mettre un terme aux mêmes contrats ou relations de travail à durée déterminée en exécutant
cette offre publique d’emploi dans un délai maximal de trois ans.

62 Sous réserve de vérifications incombant à la juridiction de renvoi, une disposition nationale telle que l’article 10 de l’EBEP n’apparaît pas édicter une autorisation générale et abstraite de recourir à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs, mais limite la conclusion de tels contrats afin de satisfaire, en substance, des besoins provisoires.

63 En outre, il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑332/22 que les dispositions nationales visées au point 61 du présent arrêt contiennent également les mesures indiquées à la clause 5, point 1, sous b) et c), de l’accord-cadre, à savoir, premièrement, une limite concernant la durée maximale totale des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs et, deuxièmement, le nombre maximal de renouvellement de ces contrats ou relations, ce qu’il appartiendra à la juridiction
de renvoi de vérifier.

64 Cela étant, il ressort également de la décision de renvoi dans l’affaire C‑332/22 que les nominations successives des requérantes au principal dans cette affaire et/ou la conclusion de contrats successifs par ces dernières ne répondaient pas à de simples besoins provisoires de l’administration de la justice en Catalogne, mais visaient à satisfaire des besoins permanents et durables en matière de personnel au sein de cette administration. En effet, il découle de cette décision de renvoi que, à la
date de l’introduction de leurs recours, ces requérantes avaient été occupées par ladite administration depuis plus de 37 ou de 17 années consécutives et qu’elles effectuaient des tâches qui relèvent de l’activité normale du personnel bénéficiant d’un statut fixe. Il convient d’ajouter qu’une réglementation nationale telle que celle visée au point 61 du présent arrêt donnerait également lieu à un risque de recours abusif aux contrats ou aux relations à durée déterminée successifs si l’obligation
légale de pourvoir les postes temporairement couverts par les agents non titulaires dans le délai indiqué n’était pas respectée. Or, compte tenu des éléments factuels figurant dans ladite décision de renvoi, un tel risque s’est réalisé en l’occurrence.

65 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question posée dans l’affaire C‑332/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale selon laquelle le recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public devient abusif lorsque l’administration publique concernée ne respecte pas les délais prévus dans le droit interne afin de pourvoir le
poste occupé par le travailleur temporaire concerné, dès lors que, dans une telle situation, ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs couvrent des besoins non pas provisoires, mais permanents et durables de cette administration.

Sur les première et troisième questions posées dans l’affaire C‑33l/22 ainsi que sur les première et septième à douzième questions posées dans l’affaire C‑332/22

66 Par les première et troisième questions posées dans l’affaire C‑331/22 ainsi que par les première et septième à douzième questions posées dans l’affaire C‑332/22, qu’il convient d’examiner ensemble et en deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre, lue à la lumière des principes d’équivalence et de proportionnalité ainsi que de celui de la réparation intégrale du préjudice subi, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une
jurisprudence et à une réglementation nationales qui prévoient comme mesures visant à sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, respectivement, le maintien du travailleur concerné jusqu’à l’organisation et la clôture de procédures de sélection par l’administration employeuse ainsi que l’organisation de telles procédures et le versement d’une indemnité financière fixant un double plafond en faveur uniquement de ce travailleur qui ne
réussit pas ces procédures.

67 À cet égard, il convient de rappeler que la clause 5 de l’accord-cadre ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient été constatés. Dans un tel cas de figure, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre (arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico
Regionale per la Campania, C‑282/19, EU:C:2022:3, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

68 Si, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités de mise en œuvre de telles normes relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, elles ne doivent cependant pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union
(principe d’effectivité) (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

69 En outre, la Cour a précisé que, lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. En effet, selon les termes mêmes de l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, les États membres doivent « prendre toute
disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par [cette] directive » (arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico Regionale per la Campania, C‑282/19, EU:C:2022:3, point 84 ainsi que jurisprudence citée).

70 Il convient également de rappeler, à l’instar de ce qui est mentionné au point 58 du présent arrêt, qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des réglementation et jurisprudence nationales, cette mission incombant aux juridictions nationales compétentes, qui doivent déterminer si les exigences édictées à la clause 5 de l’accord-cadre sont satisfaites par ces réglementation et jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y
Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

71 Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les conditions d’application et la mise en œuvre effective des réglementation et jurisprudence nationales en cause au principal en font des mesures adéquates pour sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 51 ainsi
que jurisprudence citée).

72 Toutefois, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 60 du présent arrêt, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider ces juridictions dans leur appréciation.

73 En l’occurrence, il ressort des décisions de renvoi, premièrement, que, conformément à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême), dans des situations de recours abusif à l’emploi temporaire d’agents publics, le maintien de l’agent public victime de l’abus à son poste jusqu’à ce que l’administration qui l’emploie, premièrement, détermine s’il existe un besoin structurel et, partant, organise la procédure de sélection correspondante, ouverte également aux candidats qui n’ont pas été
victimes d’un tel abus, pour pourvoir le poste concerné de manière permanente et, deuxièmement, clôture cette procédure, doit être considéré comme étant une mesure efficace pour sanctionner ces situations.

74 Deuxièmement, pour les travailleurs nommés avant l’entrée en vigueur de la loi 20/2021, tels que ceux en cause au principal, l’article 2 de cette loi prévoirait deux mesures visant à sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, à savoir, d’une part, l’organisation de procédures de sélection, ouvertes également aux candidats qui n’ont pas fait l’objet d’une telle utilisation, et, d’autre part, le versement d’une indemnité financière de
20 jours par année de service dans la limite de 12 mensualités pour autant que le travailleur concerné n’a pas réussi la procédure de sélection organisée pour pourvoir le poste jusqu’alors occupé par celui‑ci.

75 En ce qui concerne l’organisation de procédures de sélection en tant que mesure de sanction conforme à la clause 5 de l’accord-cadre, telle que celle appliquée par la jurisprudence espagnole ou prévue à l’article 2 de la loi 20/2021, il convient de relever que la Cour a précisé que, bien que l’organisation de procédures de sélection fournisse aux travailleurs ayant été occupés de manière abusive dans le cadre de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs l’occasion de
tenter d’accéder à la stabilité de l’emploi, ceux-ci pouvant, en principe, participer à ces procédures, une telle circonstance ne saurait dispenser les États membres du respect de l’obligation de prévoir une mesure adéquate pour sanctionner dûment le recours abusif à ces contrats ou à ces relations de travail à durée déterminée successifs. En effet, de telles procédures, dont l’issue est de surcroît incertaine, sont, en général, ouvertes également aux candidats qui n’ont pas été victimes d’un tel
abus (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 100).

76 Partant, l’organisation de telles procédures étant indépendante de toute considération relative au caractère abusif du recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée, elle n’apparaît pas de nature à sanctionner dûment le recours abusif à de tels contrats ou à de telles relations de travail et à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. Elle ne semble donc pas permettre d’atteindre la finalité poursuivie par la clause 5 de l’accord-cadre (voir, en ce
sens, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 101).

77 En l’occurrence, conformément aux considérations résultant de la jurisprudence citée aux points 75 et 76 du présent arrêt, lesquelles, compte tenu des éléments du dossier dont dispose la Cour rappelés au points 73 et 74 du présent arrêt, semblent applicables, l’organisation des procédures de sélection telle que prévue par la jurisprudence nationale ou à l’article 2 de la loi 20/2021, sous réserve de la vérification incombant à la juridiction de renvoi, n’apparaît pas de nature à sanctionner
dûment le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs et, partant, à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union.

78 Dans ce contexte, il convient de relever que les circonstances, indiquées dans la décision de renvoi dans l’affaire C‑332/22, selon lesquelles les procédures de sélection visées à l’article 2 de la loi 20/2021 doivent être finalisées dans un délai précis, à savoir avant le 31 décembre 2024, et que ces procédures tiennent compte des mérites du travailleur concerné n’enlèvent rien à la pertinence de la jurisprudence visée aux points 75 et 76 du présent arrêt.

79 S’agissant de l’octroi d’une indemnité, telle que celle prévue à l’article 2 de la loi 20/2021, en tant que mesure de sanction conforme à la clause 5 de l’accord-cadre, il ressort des décisions de renvoi que cette indemnité est due lors de la résiliation des contrats ou des relations de travail à durée déterminée successifs en raison de la couverture du poste concerné par une personne autre que le travailleur ayant occupé ce poste, ce qui supposerait soit que ce travailleur a participé à la
procédure de sélection et y a échoué, soit qu’il n’a pas participé à cette procédure.

80 Or, la Cour a jugé que le versement d’une indemnité de fin de contrat ne permettait pas d’atteindre la finalité poursuivie par la clause 5 de l’accord-cadre, consistant à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. En effet, un tel versement semble être indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée (arrêt du 3 juin 2021,
Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 74 ainsi que jurisprudence citée).

81 En outre, il convient de relever que, dès lors qu’une indemnité, telle que celle prévue à l’article 2 de la loi 20/2021, fixe un double plafond, à savoir la limitation à 20 jours de rémunération par année de service, plafonnée, au total, à douze mois de salaire, elle ne saurait permettre ni une réparation proportionnée et effective dans des situations d’abus qui dépassent une certaine durée en termes d’années, ni une réparation adéquate et intégrale des dommages résultant de tels abus.

82 À cet égard, il convient de rappeler que ni le principe de la réparation intégrale du préjudice subi ni le principe de la proportionnalité n’imposent le versement de dommages et intérêts punitifs (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F. A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

83 En effet, ces principes imposent aux États membres de prévoir une réparation adéquate, dépassant une indemnisation purement symbolique, sans pour autant aller au-delà d’une compensation intégrale (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F. A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

84 Il résulte des considérations qui précèdent qu’une indemnité financière fixant un double plafond en faveur uniquement du travailleur concerné qui ne réussit pas les procédures de sélection ne semble pas constituer une mesure de nature à sanctionner dûment un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs et à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union et, par conséquent, ne semble pas constituer, à elle seule, une mesure proportionnée
ainsi que suffisamment effective et dissuasive pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre, au sens de la jurisprudence rappelée au point 67 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

85 Dans le cadre des première et neuvième questions posées dans l’affaire C‑332/22, la juridiction de renvoi considère que tant la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) que l’octroi de l’indemnité prévue à l’article 2 de la loi 20/2021 violeraient le principe d’équivalence de l’Union au motif que, premièrement, il serait prévu dans le droit espagnol que, lorsqu’une entité commerciale publique ou une agence privée de l’État se transforme en entité publique, son personnel, à savoir des
travailleurs régis par le droit privé, en application du droit interne pourrait exercer les fonctions réservées aux fonctionnaires sans avoir le statut de ces derniers, et ce personnel pourrait donc être maintenu, à certaines conditions, dans le secteur public. Deuxièmement, l’article 15 du statut des travailleurs, même avant l’entrée en vigueur de la directive 1999/70, prévoyait déjà la transformation en travailleurs à durée indéterminée des travailleurs à durée déterminée occupés par le même
employeur pendant plus de 24 mois. Troisièmement, alors que la loi 20/2021 prévoirait un régime restrictif d’indemnisation, les administrations publiques seraient tenues, en application de la réglementation nationale relative au régime juridique du secteur public, d’indemniser de manière intégrale les dommages et préjudices résultant de leurs actions. Par ailleurs, le Código Civil (code civil) prévoirait le même régime d’indemnisation pour les responsabilités civiles privées entre particuliers.

86 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il découle du principe d’équivalence que les personnes faisant valoir les droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ne doivent pas être défavorisées par rapport à celles faisant valoir des droits de nature purement interne (arrêt du 7 mars 2018, Santoro, C‑494/16, EU:C:2018:166, point 39).

87 Cela étant, pour que ce principe soit applicable, encore faut-il que les droits adoptés par le législateur national dans le cadre de la transposition de la directive 1999/70 soient comparables, notamment quant à leur objet et à leur cause, à ceux existant dans le droit interne [voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 70, et ordonnance du 18 janvier 2011,
Berkizi-Nikolakaki, C‑272/10, EU:C:2011:19, point 40 ainsi que jurisprudence citée].

88 En outre, il est de jurisprudence établie que, dans une situation dans laquelle tant les mesures adoptées par le législateur national dans le cadre de la directive 1999/70, afin de sanctionner l’utilisation abusive des contrats à durée déterminée par les employeurs du secteur public, que celles adoptées par ce législateur afin de sanctionner l’utilisation abusive de ce type de contrats par les employeurs du secteur privé mettent en œuvre le droit de l’Union, le principe d’équivalence n’est pas
applicable. En effet, dans une telle situation, les mesures en cause ont toutes pour objet des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 70 ainsi que jurisprudence citée].

89 Dans ce contexte, il convient également de rappeler que la Cour a précisé que la clause 5 de l’accord-cadre ne s’oppose pas, en tant que telle, à ce qu’un État membre réserve un sort différent à l’abus de recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs, selon que ces contrats ou relations de travail ont été conclus avec un employeur appartenant au secteur privé ou un employeur relevant du secteur public (arrêt du 7 mars 2018, Santoro, C‑494/16, EU:C:2018:166,
points 33 et 42).

90 En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi, qui est la seule à avoir une connaissance directe des droits conférés par les dispositions nationales visées au point 85 du présent arrêt, de vérifier si le principe d’équivalence est applicable et, le cas échéant, respecté.

91 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions dans l’affaire C‑331/22 ainsi qu’aux première et septième à douzième questions dans l’affaire C‑332/22 que la clause 5 de l’accord-cadre, lue à la lumière des principes de proportionnalité et de la réparation intégrale du préjudice subis, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une jurisprudence et à une réglementation nationales qui prévoient comme mesures visant à sanctionner
l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, respectivement, le maintien du travailleur concerné jusqu’à l’organisation et la clôture de procédures de sélection par l’administration employeuse ainsi que l’organisation de telles procédures et le versement d’une indemnité financière fixant un double plafond en faveur uniquement de ce travailleur qui ne réussit pas ces procédures, lorsque ces mesures ne sont pas des mesures proportionnées ni des mesures
suffisamment effectives et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de cette clause 5.

Sur les deuxième, quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑331/22 ainsi que sur les deuxième à quatrième questions posées dans l’affaire C‑332/22

92 Par les deuxième, quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑331/22 ainsi que par les deuxième à quatrième questions posées dans l’affaire C‑332/22, qu’il convient d’examiner ensemble et en troisième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les clauses 4 et 5 de l’accord-cadre, lues à la lumière des articles 21 et 47 de la Charte et du principe d’équivalence, doivent être interprétées en ce sens que, à défaut de mesures adéquates prévues dans le droit national pour
prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs devraient être transformés en contrat ou en relation de travail à durée indéterminée identique ou comparable à ceux liant les fonctionnaires à l’administration, et ce même si une telle transformation est contraire à des dispositions et à la
jurisprudence nationales.

93 À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort des décisions de renvoi que l’objet des litiges au principal porte sur la prévention et la sanction d’utilisations abusives de contrats ou de relations de travail à durée déterminée, au sens de la clause 5 de l’accord-cadre, aucun élément de ces décisions ne permettant de conclure que le principe de non-discrimination, visé par la clause 4 de cet accord-cadre, serait applicable en l’occurrence.

94 Partant, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 35 du présent arrêt, l’interprétation de cette clause 4 ainsi que de l’article 21 de la Charte, portant tous deux sur le principe de non-discrimination et sollicitée par la juridiction de renvoi, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal, de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à une telle interprétation.

95 Cela étant précisé, il découle d’une jurisprudence constante que la clause 5 de l’accord-cadre n’édicte pas une obligation pour les États membres de prévoir la transformation en contrat ou en relation de travail à durée indéterminée des contrats ou relations de travail à durée déterminée, pas plus, comme il est mentionné au point 67 du présent arrêt, qu’elle n’énonce de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient été constatés [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Ministero
della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 60 ainsi que jurisprudence citée].

96 Néanmoins, il résulte de la clause 5, point 2, de l’accord-cadre que les États membres disposent de la faculté, au titre des mesures de nature à prévenir le recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs, de transformer ces contrats ou relations de travail à durée déterminée en contrat ou relation de travail à durée indéterminée, la stabilité de l’emploi que procurent ces derniers constituant l’élément majeur de la protection des travailleurs (voir, en
ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 39).

97 Il appartient donc aux autorités nationales d’adopter des mesures proportionnées, efficaces et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre, lesquelles peuvent prévoir, à cette fin, la transformation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée en contrat ou en relation de travail à durée indéterminée. Toutefois, lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une
mesure doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation de cet accord-cadre [voir arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 61 ainsi que jurisprudence citée].

98 Ainsi, la Cour a précisé que, afin qu’une réglementation nationale, qui interdit, dans le secteur public, la transformation en une relation de travail à durée indéterminée d’une succession de contrats ou de relations de travail à durée déterminée, puisse être considérée comme étant conforme à l’accord-cadre, l’ordre juridique interne de l’État membre concerné doit comporter, dans ce secteur, une autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats
ou de relations de travail à durée déterminée successifs [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 62 ainsi que jurisprudence citée].

99 Il résulte de ce qui précède qu’une réglementation prévoyant une règle impérative selon laquelle, en cas de recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée, ces contrats ou relations de travail sont transformés en une relation de travail à durée indéterminée est susceptible de comporter une mesure sanctionnant effectivement un tel recours abusif et, partant, doit être considérée comme étant conforme à la clause 5 de l’accord-cadre (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et
Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

100 En l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, la clause 5 de la directive 1999/70 n’a pas été transposée correctement dans l’ordre juridique espagnol dès lors que celui-ci ne prévoirait aucune mesure effective permettant de sanctionner l’abus résultant d’une succession de contrats ou de relations de travail à durée déterminée. Cette juridiction précise également qu’il résulte de l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec des dispositions de l’EBEP, que le bénéfice du statut des
fonctionnaires est réservé aux personnes ayant réussi en ordre utile une procédure de sélection destinée à acquérir ce statut et laquelle respecte les principes d’égalité, de publicité, de mérite, d’aptitude et de libre concurrence. Ainsi, la transformation des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs en cause au principal en une relation de travail à durée indéterminée impliquant l’acquisition du statut de fonctionnaire, en tant que mesure sanctionnant l’utilisation
abusive de ces contrats ou relations à durée déterminée successifs, pourrait être contraire, notamment, à la Constitution. Par ailleurs, selon cette juridiction, une telle transformation serait également contraire à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême).

101 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a dit pour droit que la clause 5, point 1, de l’accord-cadre n’apparaît pas, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un particulier devant un juge national. En effet, en vertu de cette disposition, il relève du pouvoir d’appréciation des États membres de recourir, afin de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée, à une ou à plusieurs des
mesures énoncées dans cette clause, ou encore à des mesures légales existantes équivalentes, et ce tout en tenant compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs. En outre, il n’est pas possible de déterminer de façon suffisante la protection minimale qui devrait, en tout état de cause, être mise en œuvre au titre de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur
public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 64 ainsi que jurisprudence citée].

102 Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante que, en appliquant le droit interne, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive concernée pour atteindre le résultat visé par celle‑ci et, partant, se conformer à l’article 288, troisième alinéa, TFUE. Cette obligation d’interprétation conforme concerne l’ensemble des dispositions du droit national, tant antérieures que postérieures à cette
directive [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 65 ainsi que jurisprudence citée].

103 L’exigence d’une interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 66 ainsi que jurisprudence citée].

104 Certes, l’obligation, pour le juge national, de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique et de non‑rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18,
EU:C:2021:113, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

105 Le principe d’interprétation conforme requiert néanmoins que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui‑ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive concernée et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle‑ci [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs
dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 68 ainsi que jurisprudence citée].

106 En outre, la Cour a précisé que le principe de protection juridique effective constituant un principe général du droit de l’Union reconnu, au demeurant, à l’article 47 de la Charte, il incombe aux juridictions nationales, en l’absence d’une mesure transposant correctement la directive 1999/70 dans le droit espagnol, d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du
22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres, C‑444/09 et C‑456/09, EU:C:2010:819, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

107 Il appartient, dès lors, au juge national de donner aux dispositions pertinentes du droit interne, dans toute la mesure possible et lorsqu’une utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une interprétation et une application à même de sanctionner dûment cet abus et d’effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. Dans ce cadre, il appartient à ce juge national d’apprécier si les dispositions pertinentes du droit national, y
compris celles de rang constitutionnel, peuvent, le cas échéant, être interprétées d’une manière conforme à la clause 5 de l’accord-cadre afin de garantir la pleine effectivité de la directive 1999/70 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle‑ci [voir, par analogie, arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 69 ainsi que jurisprudence citée].

108 En outre, la Cour a jugé que l’obligation d’interprétation conforme impose aux juridictions nationales de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit interne incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait, notamment, valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette
disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 86 ainsi que jurisprudence citée).

109 Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent, premièrement, que, dans l’hypothèse dans laquelle la juridiction de renvoi devrait considérer que l’ordre juridique interne concerné ne comporte pas, dans le secteur public, de mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, tels que ceux en cause au principal, la transformation de ces contrats ou relations de travail en une relation de
travail à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure.

110 Deuxièmement, si, dans une telle hypothèse, la juridiction de renvoi devait, en outre, considérer que la jurisprudence établie du Tribunal Supremo (Cour suprême) s’oppose à une telle transformation, cette juridiction devrait alors laisser inappliquée cette jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) si celle-ci repose sur une interprétation des dispositions de la Constitution incompatible avec les objectifs de la directive 1999/70, et notamment de la clause 5 de l’accord-cadre.

111 Troisièmement, une telle transformation est susceptible de constituer une mesure de nature à sanctionner de manière effective l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, à condition qu’elle n’implique pas une interprétation contra legem du droit national.

112 Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que constituerait une telle mesure de sanction, conforme à la clause 5 de l’accord-cadre, la transformation des contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs en cause au principal en une relation de travail à durée indéterminée dans le cadre de laquelle les requérantes au principal seraient soumises aux mêmes motifs de résiliation et de licenciement que ceux applicables aux fonctionnaires sans, pour autant, acquérir le
statut même de fonctionnaire. Selon cette juridiction, cette mesure de sanction n’impliquerait pas une interprétation contra legem du droit national.

113 Dans le cadre des deuxième à quatrième questions posées dans l’affaire C‑332/22, la juridiction de renvoi demande également, en substance, si le principe d’équivalence du droit de l’Union imposerait d’accorder aux travailleurs à durée déterminée du secteur public, lesquels ont fait l’objet d’une utilisation abusive de leurs contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs, le statut de fonctionnaires ou de travailleurs à durée indéterminée, dans la mesure où, notamment,
l’article 15 du statut des travailleurs imposerait, dans le secteur privé, une telle solution.

114 À cet égard, il convient de relever qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi, qui est la seule à avoir une connaissance directe des droits conférés par les dispositions nationales, de vérifier si, conformément à la jurisprudence citée aux points 86 à 89 du présent arrêt, le principe d’équivalence est applicable et, le cas échéant, respecté.

115 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième, quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑331/22 ainsi qu’aux deuxième à quatrième questions posées dans l’affaire C‑332/22 que la clause 5 de l’accord-cadre, lue à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprétée en ce sens que, à défaut de mesures adéquates prévues dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant
de l’utilisation de contrats ou de relations à durée déterminée successifs, la transformation de ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs en un contrat ou en une relation de travail à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure, pour autant qu’une telle transformation n’implique pas une interprétation contra legem du droit national.

Sur les dépens

116 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  1) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,

doit être interprétée en ce sens que :

elle ne s’oppose pas à une législation nationale selon laquelle le recours à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public devient abusif lorsque l’administration publique concernée ne respecte pas les délais prévus dans le droit interne afin de pourvoir le poste occupé par le travailleur temporaire concerné, dès lors que, dans une telle situation, ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs couvrent des besoins non pas
provisoires, mais permanents et durables de cette administration.

  2) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70, lue à la lumière des principes de proportionnalité et de la réparation intégrale du préjudice subis,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une jurisprudence et à une réglementation nationales qui prévoient comme mesures visant à sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, respectivement, le maintien du travailleur concerné jusqu’à l’organisation et la clôture de procédures de sélection par l’administration employeuse ainsi que l’organisation de telles procédures et le versement d’une indemnité financière fixant un double plafond en faveur uniquement de ce
travailleur qui ne réussit pas ces procédures, lorsque ces mesures ne sont pas des mesures proportionnées ni des mesures suffisamment effectives et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de cette clause 5.

  3) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70, lue à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprétée en ce sens que :

à défaut de mesures adéquates prévues dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, la transformation de ces contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs en un contrat ou en une relation de travail à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure, pour autant qu’une telle transformation n’implique
pas une interprétation contra legem du droit national.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-331/22
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par Juzgado Contencioso-Administrativo de Barcelona.

Renvoi préjudiciel – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents non titulaires – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : KT e.a.
Défendeurs : Dirección General de la Función Pública, adscrita al Departamento de la Presidenia de la Generalitat de Catalunya et Generalitat de Catalunya.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Kumin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:496

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award