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11/04/2024 | CJUE | N°C-770/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, OSTP Italy Srl contre Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 1 e.a., 11/04/2024, C-770/22


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

11 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Jugements de première instance annulant des mesures douanières relatives aux ressources propres traditionnelles de l’Union européenne – Caractère immédiatement exécutoire de ces jugements – Absence de suspension de l’exécution des jugements »

Dans l’affaire C‑770/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte di g

iustizia tributaria di primo grado di Genova (anciennement la Commissione tributaria provinciale di Genova) (Cour de just...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

11 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Jugements de première instance annulant des mesures douanières relatives aux ressources propres traditionnelles de l’Union européenne – Caractère immédiatement exécutoire de ces jugements – Absence de suspension de l’exécution des jugements »

Dans l’affaire C‑770/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte di giustizia tributaria di primo grado di Genova (anciennement la Commissione tributaria provinciale di Genova) (Cour de justice fiscale de première instance de Gênes, anciennement commission fiscale provinciale de Gênes, Italie), par décision du 22 novembre 2022, parvenue à la Cour le 19 décembre 2022, dans la procédure

OSTP Italy Srl

contre

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 1,

Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 2,

Agenzia delle Entrate – Riscossione – Genova,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. Z. Csehi, président de chambre, M. E. Regan (rapporteur), président de la cinquième chambre, et M. D. Gratsias, juge,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour OSTP Italy Srl, par Mes R. Dominici, A. Macchi, F. Munari et S. Pedemonte, avvocati,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Meloncelli, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mmes F. Clotuche-Duvieusart et F. Moro, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 43 à 45 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, ci-après le « code des douanes de l’Union »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant OSTP Italy Srl (ci-après « OSTP ») à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 1 (Agence des douanes et des monopoles, bureau des douanes de Gênes 1, Italie), à l’Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 2 (Agence des douanes et des monopoles, bureau des douanes de Gênes 2, Italie) (ci‑après, ensemble, l’« Agence des douanes et des monopoles ») et à l’Agenzia delle Entrate –
Riscossione – Genova (administration fiscale – recouvrement – Gênes, Italie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet de l’exécution d’une créance relative à des ressources propres traditionnelles de l’Union européenne ayant été annulée par une décision d’une juridiction nationale, mais contre laquelle un appel est pendant.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le code des douanes de l’Union

3 L’article 43 du code des douanes de l’Union, intitulé « Décisions prises par une autorité judiciaire », dispose :

« Les articles 44 et 45 ne s’appliquent pas aux recours introduits en vue de l’annulation, de la révocation ou de la modification d’une décision relative à l’application de la législation douanière prise par une autorité judiciaire, ou par les autorités douanières agissant en qualité d’autorité judiciaire. »

4 L’article 44 de ce code, intitulé « Droit de recours », prévoit :

« 1.   Toute personne a le droit d’exercer un recours contre les décisions relatives à l’application de la législation douanière prises par les autorités douanières et qui la concernent directement et individuellement.

A également le droit d’exercer un recours quiconque a sollicité une décision auprès des autorités douanières mais qui n’a pas obtenu de décision sur la demande dans le délai visé à l’article 22, paragraphe 3.

2.   Le droit de recours peut être exercé au minimum en deux temps :

a) dans un premier temps, devant les autorités douanières ou une autorité judiciaire ou un autre organisme désigné à cet effet par les États membres ;

b) dans un second temps, devant une instance supérieure indépendante qui peut être une autorité judiciaire ou un organisme spécialisé équivalent, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres.

3.   Le recours est introduit dans l’État membre où la décision a été prise ou sollicitée.

4.   Les États membres veillent à ce que la procédure de recours permette de confirmer ou de rectifier rapidement les décisions prises par les autorités douanières. »

5 L’article 45 dudit code, intitulé « Suspension d’exécution », dispose :

« 1.   L’introduction d’un recours n’est pas suspensive de l’exécution de la décision contestée.

2.   Toutefois, les autorités douanières sursoient en tout ou en partie à l’exécution de ladite décision lorsqu’elles ont des raisons fondées de douter de la conformité de la décision contestée à la législation douanière ou de penser qu’un dommage irréparable est à craindre pour l’intéressé.

3.   Dans les cas visés au paragraphe 2, lorsque la décision contestée a pour effet l’application de droits à l’importation ou à l’exportation, le sursis à l’exécution de cette décision est subordonné à la constitution d’une garantie, à moins qu’il ne soit établi, sur la base d’une appréciation documentée, que cette garantie serait de nature à causer de graves difficultés d’ordre économique ou social au débiteur. »

6 L’article 90, paragraphe 1, premier alinéa, du même code, intitulé « Garantie obligatoire », prévoit :

« Lorsque la constitution d’une garantie est obligatoire, les autorités douanières fixent le montant de cette garantie à un niveau égal au montant des droits à l’importation ou à l’exportation correspondant à la dette douanière et des autres impositions, si ce montant peut être déterminé de façon certaine au moment où la garantie est exigée. »

7 L’article 98 du code des douanes de l’Union, intitulé « Libération de la garantie », énonce :

« 1.   Les autorités douanières libèrent immédiatement la garantie dès que la dette douanière pour laquelle elle a été constituée ou que l’obligation de payer d’autres impositions est éteinte ou n’est plus susceptible de prendre naissance.

2.   Lorsque la dette douanière ou l’obligation de payer d’autres impositions est partiellement éteinte ou n’est plus susceptible de prendre naissance que pour une partie du montant qui a été garanti, la garantie constituée est libérée dans une proportion correspondante, à la demande de la personne concernée, à moins que le montant en jeu ne le justifie pas. »

8 L’article 124, paragraphe 1, de ce code, intitulé « Extinction », indique :

« Sans préjudice des dispositions applicables au non-recouvrement du montant des droits à l’importation ou à l’exportation correspondant à une dette douanière en cas d’insolvabilité du débiteur constatée par voie judiciaire, la dette douanière à l’importation ou à l’exportation s’éteint de l’une des manières suivantes :

[...]

b) par le paiement du montant des droits à l’importation ou à l’exportation ;

[...]

d) lorsque, à l’égard de marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l’obligation d’acquitter des droits à l’importation ou à l’exportation, la déclaration en douane est invalidée ;

[...] »

Le règlement no 609/2014

9 L’article 2 du règlement (UE, Euratom) no 609/2014 du Conseil, du 26 mai 2014, relatif aux modalités et à la procédure de mise à disposition des ressources propres traditionnelles, de la ressource propre fondée sur la TVA et de la ressource propre fondée sur le RNB et aux mesures visant à faire face aux besoins de trésorerie (JO 2014, L 168, p. 39), tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2016/804 du Conseil, du 17 mai 2016 (JO 2016, L 132, p. 85) (ci-après le « règlement no 609/2014 »),
intitulé « Date de constatation des ressources propres traditionnelles », énonce, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de l’application du présent règlement, un droit de l’Union sur les ressources propres traditionnelles visées à l’article 2, paragraphe 1, point a), de la décision 2014/335/UE, Euratom [du Conseil, du 26 mai 2014, relative au système des ressources propres de l’Union européenne (JO 2014, L 168, p. 105),] est constaté dès que sont remplies les conditions prévues par la réglementation douanière en ce qui concerne la prise en compte du montant du droit et sa notification au redevable. »

10 L’article 13 du règlement no 609/2014, intitulé « Montants irrécouvrables », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour que les montants correspondant aux droits constatés en vertu de l’article 2 soient mis à la disposition de la Commission [européenne] dans les conditions prévues par le présent règlement.

2.   Les États membres sont dispensés de mettre à la disposition de la Commission les montants correspondant aux droits constatés en vertu de l’article 2 qui s’avèrent irrécouvrables pour l’une des raisons suivantes :

a) soit pour des raisons de force majeure ;

b) soit pour d’autres raisons qui ne leur sont pas imputables.

Les États membres peuvent également être dispensés de l’obligation de mettre à la disposition de la Commission les montants correspondant aux droits constatés en vertu de l’article 2 lorsque ces droits s’avèrent irrécouvrables parce que la prise en compte ou la notification de la dette douanière a été différée afin de ne pas porter préjudice à une enquête pénale ayant une incidence sur les intérêts financiers de l’Union.

Les montants de droits constatés sont déclarés irrécouvrables par décision de l’autorité administrative compétente constatant l’impossibilité du recouvrement.

Les montants de droits constatés sont réputés irrécouvrables au plus tard après une période de cinq ans à compter de la date à laquelle le montant a été constaté conformément à l’article 2 ou, en cas de recours administratif ou judiciaire, à compter de la date de la notification ou de la publication de la décision définitive.

[...] »

La décision 2014/335

11 La décision 2014/335 a abrogé et remplacé la décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO 2007, L 163, p. 17).

12 L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/335, qui reprend l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2007/436, dispose :

« Constituent des ressources propres inscrites au budget de l’Union, les recettes provenant :

a) des ressources propres traditionnelles, à savoir des prélèvements, primes, montants supplémentaires ou compensatoires, montants ou éléments additionnels, des droits du tarif douanier commun et autres droits établis ou à établir par les institutions de l’Union sur les échanges avec les pays tiers, des droits de douane sur les produits relevant du traité, arrivé à expiration, instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier ainsi que des cotisations et autres droits prévus dans le
cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre ;

[...] »

Le droit italien

13 L’article 47 du decreto legislativo n. 546 – Disposizioni sul processo tributario in attuazione della delega al Governo contenuta nell’art. 30 della legge 30 dicembre 1991, n. 413 (décret législatif no 546, portant dispositions relatives à la procédure fiscale en application de la délégation donnée au gouvernement aux termes de l’article 30 de la loi no 413 du 30 décembre 1991), du 31 décembre 1992 (GURI no 9, du 13 janvier 1993, supplément ordinaire no 8) (ci-après le « décret législatif
no 546/1992 »), prévoit, en substance, que si un requérant conteste un acte pris par l’autorité fiscale et que cet acte peut lui causer un préjudice grave et irréparable, ce requérant peut demander un sursis provisoire à l’exécution dudit acte jusqu’à l’examen au fond du recours.

14 L’article 67-bis de ce décret législatif, portant sur l’exécution provisoire, prévoit que, pour ce qui est des jugements rendus par les juridictions fiscales, ceux-ci sont exécutoires.

15 L’article 68 dudit décret législatif, intitulé « Paiement de l’impôt tant que la procédure est pendante », dispose :

« 1.   Même par dérogation à ce qui est prévu par les lois fiscales individuelles, dans les cas où la perception fractionnée de l’impôt qui fait l’objet d’une procédure devant les commissions [fiscales] est prévue, l’impôt, avec les intérêts y afférents prévus par les lois fiscales, doit être payé :

a) pour deux tiers, après adoption du jugement de la Commissione tributaria provinciale [(commission fiscale provinciale)] rejetant le recours ;

b) pour le montant résultant du jugement de la Commissione tributaria provinciale [(commission fiscale provinciale)], et en tout état de cause pas plus des deux tiers, si ce jugement fait partiellement droit au recours ;

c) pour le montant restant, déterminé par la Commissione tributaria regionale [(commission fiscale regionale)] dans son arrêt ;

c-bis) pour le montant dû, dans l’attente du jugement en première instance, après adoption de l’arrêt de la Corte [suprema] di cassazione [(Cour de cassation, Italie)] annulant le jugement et disposant le renvoi de l’affaire, et pour l’intégralité du montant indiqué dans l’acte attaqué, s’il n’est pas procédé au renvoi de l’affaire.

Pour les cas visés aux alinéas précédents, les montants déjà versés sont en tout état de cause déduits des montants à payer.

2.   S’il est fait droit au recours, l’impôt payé en sus par rapport à ce qui a été décidé dans le jugement de la Commissione tributaria provinciale [(commission fiscale provinciale)], ainsi que les intérêts y afférents prévus par la législation fiscale, doivent être remboursés d’office dans les 90 jours suivant la notification du jugement. En cas de non-exécution du remboursement, le contribuable peut demander l’exécution conformément à l’article 70 auprès de la Commissione tributaria
provinciale [(commission fiscale provinciale)] ou, si le jugement fait l’objet d’un appel aux stades ultérieurs de la procédure, auprès de la Commissione tributaria regionale [(commission fiscale régionale)].

3.   [...]

3-bis. Le paiement, dans l’attente du prononcé du jugement, des ressources propres traditionnelles visées à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision [2007/436] et de la taxe sur la valeur ajoutée perçue à l’importation reste régi par le règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, [établissant le code des douanes communautaires (JO 1992, L 302, p. 1),] tel que modifié par le [code des douanes de l’Union] et par les autres dispositions pertinentes de l’Union européenne en
la matière. »

16 L’article 69 du décret législatif no 546/1992, intitulé « Exécution des jugements de condamnation favorables au contribuable », énonce :

« 1.   Les jugements ordonnant le paiement de sommes en faveur du contribuable et ceux rendus sur recours contre les avis relatifs aux opérations cadastrales indiquées à l’article 2, paragraphe 2, sont immédiatement exécutoires. Toutefois, le paiement de sommes supérieures à dix mille euros, autres que les dépens, peut être subordonné par le juge, en tenant compte également des conditions de solvabilité du demandeur, à la constitution d’une garantie appropriée.

[...]

4.   Le paiement des sommes dues à la suite du jugement doit être effectué dans les 90 jours de sa notification ou de la présentation de la garantie visée au paragraphe 2, si elle est exigible.

5.   En cas de non-exécution du jugement, le contribuable peut demander l’exécution en vertu de l’article 70 auprès de la Commissione tributaria provinciale [(commission fiscale provinciale)] ou, si le jugement fait l’objet d’un appel aux stades ultérieurs de la procédure, auprès de la Commissione tributaria regionale [(commission fiscale régionale)]. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

17 L’Agence des douanes et des monopoles, bureau des douanes de Gênes 2, a notifié, le 9 octobre 2019, à OSTP des avis d’imposition complémentaires et rectificatifs portant sur des droits antidumping dus pour l’importation de tubes en acier en provenance de pays tiers au motif, notamment, que ces tubes avaient été présentés comme étant importés depuis l’Inde, alors qu’ils provenaient en réalité de Chine. Ces avis ont été suivis, le lendemain, par la notification de décisions infligeant à OSTP des
sanctions.

18 L’Agence des douanes et des monopoles, bureau de Gênes 1, a également notifié à OSTP, pour le même motif, un avis d’imposition rectificatif, qui a été suivi d’une décision lui infligeant des sanctions.

19 Tous les avis d’imposition et les sanctions ont été annulés dans leur intégralité par la juridiction de renvoi, par des jugements du 17 et du 19 mai 2021.

20 L’Agence des douanes et des monopoles a interjeté appel de ces jugements devant la Corte di giustizia tributaria di secondo grado della Liguria (anciennement la Commissione tributaria regionale della Liguria) (Cour de justice fiscale de deuxième instance, anciennement commission fiscale régionale de Ligurie, Italie), laquelle n’a pas formellement pris de décision suspendant l’exécution desdits jugements.

21 Le 26 janvier 2022, l’administration fiscale a signifié à OSTP un avis préalable d’inscription hypothécaire l’informant de ce que, en cas de non-paiement des sommes mentionnées sur les avis d’imposition, il serait procédé à l’inscription d’une hypothèque sur ses biens immobiliers pour une valeur égale au double du montant de la dette.

22 OSTP a contesté cet avis devant la juridiction de renvoi en arguant que, selon la législation nationale, en matière de perception des droits et taxes de douane, lorsqu’un tribunal de première instance a accueilli, en tout ou en partie, un recours contre un avis d’imposition, les sommes réclamées au titre de cet avis cessent d’être exigibles.

23 L’Agence des douanes et des monopoles s’est constituée partie à ce second litige. Elle affirme qu’il n’y a plus lieu de statuer, étant donné que OSTP a depuis lors payé intégralement les montants figurant dans les avis d’imposition annulés, ce qui aurait entraîné la disparition du litige.

24 Subsidiairement, l’Agence des douanes et des monopoles invoque, au soutien de la position défendue par l’administration fiscale, l’ordonnance de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) no 22012 du 13 octobre 2020.

25 Dans cette ordonnance, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a relevé, en substance, que, en vertu de l’article 45 du code des douanes de l’Union, l’introduction d’un recours administratif ou juridictionnel ne suspend pas la force exécutoire d’une décision relative à l’application de la législation douanière et que, conformément à l’article 98 de ce code, la garantie constituée pour une dette douanière ne peut pas être libérée si notamment cette dette n’est pas éteinte.

26 Cette juridiction en a déduit, tout d’abord, que les mesures prises par l’administration des douanes doivent être considérées comme étant immédiatement exécutoires, ensuite, que la protection du contribuable contre le caractère potentiellement irréparable du préjudice susceptible d’être subi en raison de l’illégalité de l’avis d’imposition doit être considérée comme étant assurée par la possibilité de former une demande de remise des droits, une demande de sursis à l’exécution de l’avis
rectificatif ou, en cours d’instance, une demande de sursis à l’exécution de l’acte d’imposition et, enfin, qu’une décision non définitive de l’autorité judiciaire favorable au contribuable n’implique pas un droit de ce contribuable à la restitution des droits déjà acquittés, étant donné que les sommes versées restent en garantie du paiement de la dette douanière jusqu’à son extinction définitive.

27 Eu égard à ces éléments, ainsi qu’à l’obligation pesant sur les États membres rappelée par la Cour dans l’arrêt du 11 juillet 2019, Commission/Italie (Ressources propres – Recouvrement d’une dette douanière) (C‑304/18, EU:C:2019:601), lorsqu’une mesure de l’autorité administrative n’a pas été suspendue en vertu des codes douaniers, d’agir en temps utile afin de garantir les ressources propres de l’Union, ladite juridiction en a conclu que, « en matière de droits perçus aux frontières, qui
constituent des ressources propres de [l’Union], le jugement non définitif qui prévoit le remboursement, au profit du contribuable, des droits de douane qui ont été considérés comme non dus ne saurait être considéré comme immédiatement exécutoire en vertu de l’article 69, paragraphe 1, du décret législatif [no 546/1992] [...], [car cette] disposition [est] incompatible [...] avec le code des douanes [de l’Union] ».

28 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge exclusivement sur le point de savoir si, en substance, il pouvait être réellement déduit de l’article 45 de ce code, voire également des articles 43 et 44 dudit code, que les États membres ne doivent pas reconnaître un caractère immédiatement exécutoire aux jugements de première instance ayant annulé des avis d’imposition relatif aux ressources propres traditionnelles de l’Union. En particulier, la juridiction de renvoi se demande si une
telle solution n’est pas contraire au droit au recours, rappelé à l’article 44 du même code lu à la lumière du principe de protection juridictionnelle effective garanti par l’article 19 TUE et par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lequel obligerait les États membres à prévoir la suspension de l’exécution de toute décision administrative annulée par une juridiction de première instance, et ce afin de conférer aux voies de recours prévues par la législation
nationale une utilité réelle pour le justiciable.

29 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, même si OSTP a finalement versé les sommes demandées, il lui est nécessaire de dissiper de tels doutes, car, d’une part, il n’est pas exclu que cette société ait agi ainsi par crainte de l’inscription d’une hypothèque, cette dernière étant égale au double des montants réclamés et, d’autre part, la question du bien-fondé des allégations de l’Agence des douanes et des monopoles a une incidence sur l’allocation des frais de procédures sur laquelle
il lui reste à se prononcer.

30 Dans ces conditions, la Corte di giustizia tributaria di primo grado di Genova (anciennement la Commissione tributaria provinciale di Genova) (Cour de justice fiscale de première instance de Gênes, anciennement commission fiscale provinciale de Gênes, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 43 [à] 45 [du code de douanes de l’Union] peuvent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la compatibilité avec le droit [de l’Union] d’une législation nationale qui prévoit le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance des juridictions nationales ayant pour effet d’annuler en tout ou en partie les avis d’imposition relatifs aux ressources propres traditionnelles [de l’Union] ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

31 Le gouvernement italien soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif que le litige au principal aurait perdu son objet après que la requérante s’est acquittée des sommes réclamées et que, dans sa demande, la juridiction de renvoi aurait indiqué poser sa question en considération de l’hypothèse où un contribuable n’a pas encore payé les sommes demandées.

32 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal, ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi de ce litige et doit assumer la responsabilité de la
décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, lorsque les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêts du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643, point 50, ainsi que du 24 novembre 2022, Varhoven administrativen sad (Abrogation de la disposition
contestée), C‑289/21, EU:C:2022:920, point 24].

33 Il s’ensuit que la présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, EU:C:2005:386, point 30). Ainsi, le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport
avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 62).

34 Or, en l’occurrence, il peut, certes, être déduit des informations figurant dans la demande de décision préjudicielle que le paiement, par la requérante au principal, des sommes réclamées a fait disparaître la menace d’inscription d’une hypothèque sur ses biens immobiliers. Toutefois, la question posée conserve sa pertinence dans la mesure où, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la requérante au principal pourrait, en fonction de la réponse de la Cour, s’opposer, comme elle
le fait dans l’affaire au principal, aux mesures visant la perception de sommes non exigibles et faire valoir son droit au remboursement des sommes déjà payées. En outre, cette juridiction indique avoir besoin de connaître la réponse à la question préjudicielle qu’elle a posée afin de statuer, conformément au droit national, sur la répartition des dépens, cette dernière dépendant du bien-fondé du recours.

35 Puisque, notamment, cette juridiction n’a pas déjà statué sur le bien‑fondé du litige au principal, il n’apparaît pas, de manière manifeste, que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème soulevé serait devenu de nature hypothétique (voir, par analogie, arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, points 35 à 38).

36 Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’affirmation du gouvernement italien selon laquelle la juridiction de renvoi aurait indiqué, dans sa demande, poser sa question en considération de l’hypothèse où un contribuable n’a pas encore payé les sommes demandées. En effet, une telle indication ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle. Certes, la juridiction de renvoi s’est référée, dans cette demande, au « cas où le contribuable n’a pas encore payé », mais elle ne l’a fait
que pour évoquer la position de l’Agence des douanes et des monopoles au sujet d’une ordonnance rendue par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), position dont elle estime qu’elle consiste à « étend[re] le principe de droit exprimé par [cette juridiction] également au cas où le contribuable n’a pas encore payé ».

37 La Cour disposant, en outre, de l’ensemble des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée, il y a lieu donc de déclarer la demande de décision préjudicielle recevable.

Sur le fond

38 À titre liminaire, il est constant que les doutes exprimés par la juridiction de renvoi sont liés à l’interprétation retenue par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) dans son ordonnance no 22012 du 13 octobre 2020. En effet, dans cette ordonnance, cette dernière juridiction a écarté l’application de l’article 69, paragraphe 1, du décret législatif no 546/1992, prévoyant le caractère immédiatement exécutoire des jugements ordonnant le paiement de sommes en faveur du contribuable au
motif, en substance, que l’article 45 du code des douanes de l’Union exige que l’exécution de tout jugement de première instance annulant des avis d’imposition portant sur des ressources propres traditionnelles de l’Union soit suspendue tant que ce jugement n’est pas devenu définitif. Or, la juridiction de renvoi se demande si l’interprétation retenue par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) est conforme à l’article 45 du code des douanes de l’Union, lu en combinaison avec
l’article 43 de ce code.

39 Ainsi, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 à 45 du code des douanes de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance non encore devenus définitifs lorsque sont en cause des ressources propres traditionnelles de l’Union.

40 Il peut être relevé d’emblée que ni l’article 44 ni l’article 45 du code des douanes de l’Union ne sauraient être pertinents pour apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale prévoyant le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance, y compris lorsque ces jugements ont eu pour effet d’annuler en tout ou en partie des avis d’imposition relatifs à des ressources propres traditionnelles de l’Union.

41 En effet, l’article 43 de ce code indique expressément que les articles 44 et 45 dudit code ne s’appliquent pas aux recours introduits en vue de l’annulation, de la révocation ou de la modification d’une décision relative à l’application de la législation douanière prise par une autorité judiciaire. Dès lors, bien que l’article 44, paragraphe 2, du même code envisage l’hypothèse où le droit au recours, dont cette disposition prévoit qu’il doit pouvoir être exercé en deux temps, serait exercé
successivement devant deux autorités judiciaires, il n’en demeure pas moins que la règle, posée à l’article 45, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, selon laquelle l’introduction d’un recours n’est pas suspensive de l’exécution de la décision contestée, ne vaut qu’à l’égard des recours introduits contre des décisions relatives à l’application de la législation douanière prises par les autorités douanières et non contre des décisions judiciaires ayant statué sur de tels recours.

42 La question du caractère immédiatement exécutoire ou non des jugements de première instance, ainsi que le régime juridique de l’appel, ne relevant pas du champ d’application des articles 44 et 45 du code des douanes de l’Union, ces dispositions ne sauraient s’opposer à une législation nationale prévoyant le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance non encore devenus définitifs pas plus qu’elles n’exigent que la législation nationale prévoit que de tels jugements aient
ce caractère.

43 Cette interprétation n’est pas remise en cause par l’obligation pesant sur les États membres en vertu de l’article 13 du règlement no 609/2014, lu à la lumière de la décision 2014/335, de mettre à la disposition de la Commission les montants correspondant aux droits de l’Union sur les ressources propres traditionnelles, évoquée par le gouvernement italien dans ses écrits.

44 Certes, en vertu de l’article 45, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, l’introduction d’un recours n’est pas suspensive, de telle sorte que, en principe, lorsqu’un assujetti conteste un avis d’imposition rectificatif, cet assujetti aura, en principe, déjà payé les sommes réclamées lorsque son recours sera tranché en première instance ou, à tout le moins, si les autorités douanières lui ont accordé un sursis à exécution en vertu de l’article 45, paragraphe 2, de ce code, aura constitué
une garantie douanière, en application de l’article 45, paragraphe 3, dudit code. Ainsi, lorsque, consécutivement à un appel interjeté par les autorités douanières, un jugement de première instance ayant invalidé des avis d’imposition rectificatifs est à son tour annulé, l’État membre est supposé déjà disposer du montant correspondant aux droits de l’Union sur les ressources propres traditionnelles, qu’il devra mettre à la disposition de la Commission en vertu de l’article 13 du règlement
no 609/2014, lu à la lumière de la décision 2014/335.

45 Pour autant, contrairement à ce que semble avoir considéré la Corte suprema di Cassazione (Cour de cassation) dans son ordonnance no 22012 du 13 octobre 2020, il ne saurait en être déduit que, afin de garantir la perception, par l’Union, des droits constatés en vertu de l’article 2 du règlement no 609/2014, l’article 45, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union doit être interprété comme obligeant les États membres à permettre aux autorités douanières, lorsque celles-ci ont tardé à procéder
au recouvrement de l’avis d’imposition rectificatif qu’elles ont émis, de pouvoir continuer à le faire après qu’un jugement de première instance annulant cet avis d’imposition a été délivré, tant que ce jugement n’est pas devenu définitif.

46 Déjà, contrairement à la prémisse sur laquelle semble reposer cette appréciation, une telle interprétation n’apparaît pas nécessaire afin de garantir la perception, par l’Union, des droits constatés en vertu de l’article 2 du règlement no 609/2014. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que les erreurs commises par les autorités douanières d’un État membre ne dispensent pas ce dernier de son obligation de mettre à la disposition de l’Union les droits qu’il aurait dû constater, le cas
échéant assortis d’intérêts de retard [voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Commission/Italie (Ressources propres – Recouvrement d’une dette douanière), C‑304/18, EU:C:2019:601, point 61]. Or, de même, le manque de diligence des autorités douanières ne saurait dispenser l’État membre de cette obligation.

47 Mais surtout, le libellé de l’article 43 du code des douanes de l’Union étant parfaitement clair et univoque quant à l’inapplicabilité des articles 44 et 45 de ce code aux recours introduits à l’encontre d’une décision prise par une autorité judiciaire, aucune autre interprétation de ces dispositions ne saurait être recherchée [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2019, Commission/Espagne (Eaux – Mise à jour des plans de gestion des îles Canaries), C‑556/18, EU:C:2019:785, point 34].

48 Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner la pertinence, en l’espèce, des principes consacrés par l’article 19 TUE et par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 43 à 45 du code des douanes de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui prévoit le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance non encore devenus définitifs lorsque sont en cause
des ressources propres traditionnelles de l’Union.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  Les articles 43 à 45 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui prévoit le caractère immédiatement exécutoire des jugements de première instance non encore devenus définitifs lorsque sont en cause des ressources propres traditionnelles de l’Union européenne.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-770/22
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Commissione tributaria provinciale di Genova.

Renvoi préjudiciel – Union douanière – Règlement (UE) no 952/2013 – Jugements de première instance annulant des mesures douanières relatives aux ressources propres traditionnelles de l’Union européenne – Caractère immédiatement exécutoire de ces jugements – Absence de suspension de l’exécution des jugements.

Marché intérieur - Principes


Parties
Demandeurs : OSTP Italy Srl
Défendeurs : Agenzia delle Dogane e dei Monopoli, Ufficio delle Dogane di Genova 1 e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Regan

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:299

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