ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 mars 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Directive 91/477/CEE – Contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes – Armes à feu interdites ou soumises à autorisation – Armes à feu semi-automatiques – Directive 91/477, telle que modifiée par la directive (UE) 2017/853 – Article 7, paragraphe 4 bis – Faculté, pour les États membres, de confirmer, de renouveler ou de prolonger des autorisations – Impossibilité présumée d’exercer cette faculté en ce qui concerne les armes à feu
semi-automatiques transformées pour le tir de munitions à blanc ou en armes de spectacle – Validité – Article 17, paragraphe 1, et articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de protection de la confiance légitime »
Dans l’affaire C‑234/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour constitutionnelle (Belgique), par décision du 25 mars 2021, parvenue à la Cour le 12 avril 2021, dans la procédure
Défense Active des Amateurs d’Armes ASBL,
NG,
WL
contre
Conseil des ministres,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, T. von Danwitz, Z. Csehi et Mme O. Spineanu–Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, A. Kumin, Mme I. Ziemele, M. D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice, puis M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2022,
considérant les observations présentées :
– pour Défense Active des Amateurs d’Armes ASBL, NG et WL, par Me F. Judo, advocaat,
– pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistées de Mes S. Ronse et G. Vyncke, advocaten,
– pour le Parlement européen, par MM. J. Étienne, M. Menegatti et R. van de Westelaken, en qualité d’agents,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. J. Lotarski, K. Pleśniak et Mme L. Vétillard, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. R. Tricot et Mme C. Valero, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 novembre 2022,
vu l’ordonnance de réouverture de la procédure orale du 28 février 2023 et à la suite de l’audience du 8 mai 2023,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, en qualité d’agent, assistée de Mes S. Ronse et G. Vyncke, advocaten,
– pour le Parlement européen, par MM. M. Menegatti et R. van de Westelaken, en qualité d’agents,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par M. K. Pleśniak et Mme L. Vétillard, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. R. Tricot et Mme C. Valero, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes (JO 1991, L 256, p. 51), telle que modifiée par la directive (UE) 2017/853 du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2017 (JO 2017, L 137, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Défense Active des Amateurs d’Armes ASBL, NG et WL (ci-après, pris ensemble, « DAAA e.a. ») au Conseil des ministres (Belgique) au sujet, notamment, de la validité d’une disposition d’une loi belge ne prévoyant pas la possibilité, à titre de mesure transitoire, de continuer à détenir des armes à feu semi-automatiques qui ont été transformées soit pour le tir de munitions à blanc, soit en armes de spectacle et qui ont été légalement
acquises ainsi qu’enregistrées avant le 13 juin 2017, mais prévoyant une telle possibilité lorsque de telles armes à feu semi-automatiques n’ont pas été ainsi transformées.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes du cinquième considérant de la directive 91/477 :
« considérant que cette réglementation fera naître une plus grande confiance mutuelle entre les États membres dans le domaine de la sauvegarde de la sécurité des personnes dans la mesure où elle est ancrée dans des législations partiellement harmonisées ; qu’il convient, à cet effet, de prévoir des catégories d’armes à feu dont l’acquisition et la détention par des particuliers seront soit interdites, soit soumises à autorisation ou à déclaration ».
4 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008 (JO 2008, L 179, p. 5), était libellé comme suit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par “arme à feu” toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible, ou qui est conçue pour ce faire ou peut être transformée à cette fin, excepté les armes exclues pour l’une des raisons énumérées à l’annexe I, partie III. Les armes à feu sont classées à l’annexe I, partie II.
Aux fins de la présente directive, un objet est considéré comme pouvant être transformé pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible si :
– il revêt l’aspect d’une arme à feu, et
– du fait de ses caractéristiques de construction ou du matériau dans lequel il est fabriqué, il peut être ainsi transformé. »
5 Aux termes de l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51, relevaient notamment de la « Catégorie B – Armes à feu soumises à autorisation » :
« 1. Les armes à feu courtes semi-automatiques ou à répétition ;
[...]
4. les armes à feu longues semi-automatiques dont le magasin et la chambre peuvent contenir plus de trois cartouches ;
5. les armes à feu longues semi-automatiques dont le magasin et la chambre ne peuvent contenir plus de trois cartouches, dont le chargeur n’est pas inamovible ou pour lesquelles il n’est pas garanti que ces armes ne puissent être transformées, par un outillage courant, en armes dont le magasin et la chambre peuvent contenir plus de trois cartouches ;
6. les armes à feu longues à répétition et semi-automatiques à canon lisse dont le canon ne dépasse pas 60 centimètres ;
7. les armes à feu civiles semi-automatiques qui ont l’apparence d’une arme à feu automatique. »
6 L’annexe I, partie III, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51, prévoyait :
« Aux fins de la présente annexe, ne sont pas inclus dans la définition d’armes à feu les objets qui correspondent à la définition mais qui :
a) ont été rendus définitivement impropres à l’usage par une neutralisation assurant que toutes les parties essentielles de l’arme à feu ont été rendues définitivement inutilisables et impossibles à enlever, remplacer, ou modifier en vue d’une réactivation quelconque de l’arme à feu ;
[...] »
7 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, contenait, à ses points 1 et 3 à 5, les définitions suivantes :
« 1) “arme à feu”, toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive, ou qui est conçue pour ce faire ou peut être transformée à cette fin, excepté les armes exclues de cette définition pour l’une des raisons énumérées à l’annexe I, partie III. Les armes à feu sont classées à l’annexe I, partie II.
Un objet est considéré comme pouvant être transformé pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive si :
a) il revêt l’aspect d’une arme à feu ; et
b) du fait de ses caractéristiques de construction ou du matériau dans lequel il est fabriqué, il peut être ainsi transformé ;
[...]
3) “munitions”, l’ensemble de la cartouche ou ses éléments, y compris les étuis, les amorces, la poudre propulsive, les balles ou les projectiles, utilisés dans une arme à feu, à condition que ces éléments fassent eux-mêmes l’objet d’une autorisation dans l’État membre concerné ;
4) “armes d’alarme et de signalisation”, les dispositifs équipés d’un système d’alimentation qui sont conçus uniquement pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de signalisation pyrotechnique et qui ne peuvent pas être transformés pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive ;
5) “armes de spectacle”, les armes à feu spécifiquement transformées pour servir uniquement au tir de munitions à blanc, à l’occasion par exemple de représentations théâtrales, de séances de photos, de tournages de films, d’enregistrements télévisuels, de reconstitutions historiques, de parades, d’événements sportifs ou de séances d’entraînement ».
8 L’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, disposait :
« Les États membres peuvent décider de confirmer, renouveler ou prolonger les autorisations pour des armes à feu semi-automatiques relevant du point 6, 7 ou 8 de la catégorie A relativement à une arme à feu qui était classée dans la catégorie B et qui a été légalement acquise et enregistrée avant le 13 juin 2017, sous réserve des autres conditions établies dans la présente directive. En outre, les États membres peuvent permettre l’acquisition de ces armes à feu par d’autres personnes autorisées
par les États membres conformément à la présente directive [...] »
9 Aux termes de l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, relevaient de la « Catégorie A – Armes à feu interdites » :
« 1. Engins et lanceurs militaires à effet explosif ;
2. les armes à feu automatiques ;
3. les armes à feu camouflées sous la forme d’un autre objet ;
4. les munitions à balles perforantes, explosives ou incendiaires, ainsi que les projectiles pour ces munitions ;
5. les munitions pour pistolets et revolvers avec des projectiles expansifs ainsi que ces projectiles, sauf en ce qui concerne les armes de chasse ou de tir à cible pour les personnes habilitées à utiliser ces armes.
6. les armes à feu automatiques transformées en armes à feu semi- automatiques, sans préjudice de l’article 7, paragraphe 4 bis ;
7. les armes à feu semi-automatiques à percussion centrale suivantes :
a) les armes à feu courtes permettant de tirer plus de vingt et un coups sans recharger, dès lors :
i) qu’un chargeur d’une capacité supérieure à vingt cartouches fait partie intégrante de l’arme à feu ; ou
ii) qu’un chargeur amovible d’une capacité supérieure à vingt cartouches y a été inséré ;
b) les armes à feu longues permettant de tirer plus de onze coups sans recharger, dès lors :
i) qu’un chargeur d’une capacité supérieure à dix cartouches fait partie intégrante de l’arme à feu ; ou
ii) qu’un chargeur amovible d’une capacité supérieure à dix cartouches y a été inséré ;
8. les armes à feu longues semi-automatiques (c’est-à-dire les armes à feu initialement conçues comme armes d’épaule) dont la longueur peut être réduite à moins de 60 centimètres à l’aide d’une crosse repliable ou télescopique, ou d’une crosse démontable sans outils, sans qu’elles perdent leur fonctionnalité ;
9. toute arme à feu dans cette catégorie qui a été transformée pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en arme de spectacle. »
10 Les considérants 20 et 31 de la directive 2017/853 énonçaient :
« (20) Il existe un risque important que des armes de spectacle et d’autres types d’armes tirant des munitions à blanc soient transformées en armes à feu véritables. Il est donc essentiel de répondre au problème de l’utilisation de ces armes à feu transformées lors de la commission d’une infraction, en particulier en incluant celles-ci dans le champ d’application de la directive [91/477]. En outre, afin d’éviter le risque que des armes d’alarme et de signalisation soient fabriquées d’une manière
qui leur permette d’être transformées afin de propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive, la Commission [européenne] devrait adopter des spécifications techniques qui empêchent leur transformation.
[...]
(31) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la [c]harte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la “Charte”)]. »
11 La directive 91/477 a été abrogée et remplacée par la directive (UE) 2021/555 du Parlement européen et du Conseil, du 24 mars 2021, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes (JO 2021, L 115, p. 1).
Le droit belge
12 Les articles 151 à 163 de la loi portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie et le Code pénal social, du 5 mai 2019 (Moniteur belge du 24 mai 2019, p. 50023, ci-après la « loi du 5 mai 2019 »), ont modifié plusieurs dispositions de la loi réglant des activités économiques et individuelles avec des armes, du 8 juin 2006 (Moniteur belge du 9 juin 2006, p. 29840, ci-après la « loi du 8 juin 2006 »), en vue,
notamment, de transposer partiellement la directive 2017/853 dans l’ordre juridique belge.
13 Ainsi, l’article 153, 3°, de la loi du 5 mai 2019 a été adopté en vue de transposer dans cet ordre juridique les points 6 et 8 de la catégorie A, figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, en modifiant l’article 3, § 1er, de la loi du 8 juin 2006 comme suit :
« Sont réputées armes prohibées :
[...]
19° les armes à feu automatiques transformées en armes à feu semi-automatiques ;
20° les armes à feu longues semi-automatiques dont la longueur peut être réduite à moins de 60 centimètres à l’aide d’une crosse repliable ou télescopique, ou d’une crosse démontable sans outils, sans qu’elles perdent leur fonctionnalité ».
14 L’article 153, 5°, de la loi du 5 mai 2019 a modifié cet article 3 en y introduisant un paragraphe 4, qui dispose :
« Les armes à feu qui ont été transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou qui ont été transformées en armes de spectacle, et les armes à feu non transformées dans ce but servant uniquement à tirer les cartouches ou les substances précitées, demeurent dans la catégorie dans laquelle elles ont été réparties sur la base des paragraphes 1er et 3. »
15 Cette loi a également modifié la loi du 8 juin 2006 en introduisant, à l’article 2 de cette dernière, un point 26°/1 définissant la notion d’« armes de spectacle » comme « les armes à feu spécifiquement construites ou transformées pour servir uniquement au tir de munitions à blanc, à l’occasion par exemple de représentations théâtrales, de séances de photos, de tournages de films, d’enregistrements télévisuels, de reconstitutions historiques, de parades, d’événements sportifs ou de séances
d’entraînement ».
16 Par l’article 163 de la loi du 5 mai 2019, le législateur belge a fait usage de la possibilité offerte par l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, en insérant dans la loi du 8 juin 2006 un article 45/2, qui prévoit :
« Les personnes qui ont légalement acquis et enregistré avant le 13 juin 2017 une arme visée à l’article 3, § 1, 19° et 20°, soit sur autorisation, soit par enregistrement sur base d’un permis de chasse, un certificat de garde particulier ou une licence de tireur sportif, soit par enregistrement dans le registre d’une personne agréée, peuvent continuer à détenir cette arme, à condition que les autres conditions légales concernant la détention d’armes soient remplies. Cette arme ne peut être cédée
qu’à des tireurs sportifs [...] et à des armuriers, collectionneurs ou musées agréés à cet effet. L’arme à feu peut aussi être neutralisée [...] ou peut faire l’objet d’un abandon. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 Par une requête du 22 novembre 2019, DAAA e.a. ont introduit devant la Cour constitutionnelle (Belgique) un recours en annulation, notamment, de l’article 153, 5°, de la loi du 5 mai 2019. Selon eux, cette disposition viole, entre autres, plusieurs dispositions de la Constitution belge, l’article 49 de la Charte et le principe de protection de la confiance légitime, en ce qu’elle prévoit, en substance, que des armes à feu qui étaient en vente libre en Belgique jusqu’au 3 juin 2019, à savoir des
armes qui ont été transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou qui ont été transformées en armes de spectacle, et les armes à feu non transformées dans ce but servant uniquement à tirer les cartouches ou les substances précitées, sont, à partir de cette date, soumises à autorisation ou prohibées, sans prévoir une disposition transitoire pour les personnes ayant légalement acquis et enregistré de telles armes à
feu avant ladite date. À partir de la même date, ces personnes risqueraient ainsi de faire l’objet de poursuites pénales au motif qu’elles détiennent de telles armes à feu, alors qu’elles n’auraient pas eu l’occasion de se préparer en vue de se conformer à cet article 153, 5°.
18 En outre, selon DAAA e.a., ledit article 153, 5°, établit une différence de traitement entre les détenteurs de telles armes à feu transformées et les détenteurs des autres armes à feu qui deviennent également des armes prohibées à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2019, mais qui entrent dans le champ d’application du régime transitoire prévu à l’article 163 de cette loi. Or, cette différence de traitement ne serait pas pertinente à la lumière de l’objectif de promouvoir la
sécurité juridique, ni ne serait raisonnablement justifiée, du fait que les détenteurs d’armes à feu transformées n’auraient pas la possibilité de se conformer aux nouvelles règles et d’éviter d’éventuelles poursuites pénales.
19 Par ailleurs, DAAA e.a. estiment que cette disposition opère une expropriation de fait, dès lors qu’elle a pour effet que les détenteurs d’une arme à feu légalement acquise ne peuvent subitement plus la détenir. Une telle atteinte au droit de propriété ne s’accompagnant pas d’une indemnisation intégrale et préalable, ladite disposition violerait ce droit.
20 La Cour constitutionnelle relève que l’article 153, 5°, de la loi du 5 mai 2019, lu en combinaison avec l’article 163 de cette loi, ne prévoit pas de régime transitoire au profit des personnes qui ont légalement acquis et enregistré avant le 13 juin 2017 une arme à feu qui a été transformée pour servir uniquement au tir de munitions à blanc. Ladite loi ne règlerait pas non plus la manière dont les personnes qui ont légalement acquis, avant cette date, une telle arme peuvent se conformer au
nouveau statut de celle-ci résultant de la même loi, à savoir soit une arme prohibée, soit une arme soumise à autorisation. Or, lorsque le législateur durcit un système existant, il devrait veiller à ce que les personnes qui ont légalement acquis une telle arme sous l’empire de l’ancien système aient la possibilité de se conformer à la nouvelle réglementation.
21 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, avant l’entrée en vigueur de l’article 153, 5°, de la loi du 5 mai 2019, les armes à feu transformées pour servir uniquement au tir de munitions à blanc étaient en vente libre en Belgique, indépendamment de la catégorie à laquelle elles auraient appartenu en l’absence d’une telle transformation. Or, après l’entrée en vigueur de cette disposition, les personnes qui avaient acquis et enregistré, avant le 13 juin 2017, une telle arme à feu relevant,
sans cette transformation, de la catégorie des armes prohibées, se sont subitement trouvées en possession d’une arme prohibée, qu’elles ne pouvaient notamment ni conserver ni aliéner.
22 De même, après l’entrée en vigueur de ladite disposition, les personnes ne disposant pas de l’autorisation requise pour une arme à feu transformée afin de servir uniquement au tir de munitions à blanc et ayant acquis et enregistré, avant le 13 juin 2017, une telle arme à feu, qui relevait, sans cette transformation, de la catégorie des armes soumises à autorisation, possédaient subitement une arme à feu qu’elles ne pouvaient détenir en vertu de l’article 11, § 1er, de la loi du 8 juin 2006. Étant
donné que cette dernière disposition exige qu’une telle autorisation soit obtenue « préalablement » à l’acquisition de l’arme en cause, les personnes concernées n’auraient, en outre, pas de possibilité de régulariser leur situation.
23 La Cour constitutionnelle estime que l’article 153, 5°, de la loi du 5 mai 2019, lu en combinaison avec l’article 163 de cette loi, établit une différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui, avant le 13 juin 2017, avaient légalement acquis et enregistré une arme semi-automatique, au sens de l’article 3, § 1, 19° et 20°, de la loi du 8 juin 2006, et, d’autre part, celles qui, avant cette date, avaient légalement acquis et enregistré une arme à feu transformée pour servir uniquement
au tir de munitions à blanc au sens de l’article 3, § 4, de cette dernière loi. Alors que ces deux catégories de personnes auraient légalement acquis et enregistré leur arme à feu lorsqu’elles n’étaient pas encore censées savoir que le statut de celle-ci serait modifié, seules les personnes appartenant à la première catégorie bénéficient d’un régime transitoire leur permettant de continuer à détenir leur arme à feu semi-automatique, actuellement prohibée, pourvu qu’il soit satisfait aux autres
conditions légales en matière de détention d’armes.
24 Selon la juridiction de renvoi, cette différence de traitement trouve son origine dans l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, qui permet aux États membres de prévoir un régime transitoire au profit des personnes qui ont légalement acquis et enregistré, avant le 13 juin 2017, une arme semi-automatique au sens des points 6 à 8 de la « Catégorie A – Armes à feu interdites », figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477,
telle que modifiée par la directive 2017/853 (ci-après les « catégories A.6 à A.8 »), tandis qu’aucune disposition de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, ne permettrait de prévoir un régime transitoire au profit des personnes qui ont légalement acquis et enregistré, avant cette date, une arme à feu transformée pour servir uniquement au tir de munitions à blanc.
25 Partant, la question se poserait de savoir si cet article 7, paragraphe 4 bis, est compatible avec l’article 17, paragraphe 1, et les articles 20 et 21 de la Charte ainsi qu’avec le principe de protection de la confiance légitime, en ce qu’il n’autoriserait pas les États membres à prévoir un régime transitoire pour des armes à feu visées au point 9 de la « Catégorie A – Armes à feu interdites », figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive
2017/853 (ci-après la « catégorie A.9 »), qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017, alors qu’il les autorise à prévoir un régime transitoire au profit des armes à feu visées aux catégories A.6 à A.8 qui ont été légalement acquises et enregistrées avant cette date.
26 Dans ces conditions, la Cour constitutionnelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive [91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853], lu en combinaison avec [les points 6 à 9 de la “Catégorie A – Armes à feu interdites”, figurant à l’annexe I, partie II, A, de cette] directive, viole-t-il [l’article] 17, paragraphe 1, [et les articles] 20 et 21 de la [Charte] et le principe de protection de la confiance légitime en ce qu’il n’autorise pas les États membres à prévoir un régime transitoire pour les armes à feu visées [à] la
[catégorie A.9] qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017, alors qu’il les autorise à prévoir un régime transitoire pour les armes à feu visées [aux catégories A.6 à A.8] qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017 ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
27 La Commission relève, d’une part, que l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, autorise seulement les États membres à confirmer, à renouveler ou à prolonger des autorisations existantes et, d’autre part, qu’il résulte de la demande de décision préjudicielle que, en Belgique, les armes à feu semi-automatiques transformées en armes tirant des munitions à blanc n’étaient pas, avant la transposition de la directive 2017/853 dans l’ordre
juridique belge, soumises à autorisation, mais se trouvaient en vente libre.
28 Or, dans ces conditions, même à supposer que cet article 7, paragraphe 4 bis, vise également les armes à feu de la catégorie A.9, le Royaume de Belgique n’aurait pas été en mesure de mettre en œuvre à l’égard de celles-ci la faculté offerte par cette disposition. La réponse à la question préjudicielle serait dès lors sans incidence sur la situation des requérants au principal, telle que décrite dans la décision de renvoi, ce qui rendrait cette question hypothétique.
29 À cet égard, compte tenu de la présomption de pertinence dont bénéficient les questions portant sur le droit de l’Union, il y a lieu de considérer que, lorsque, comme en l’occurrence, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une disposition du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, l’objection tirée de l’inapplicabilité de cette disposition à l’affaire au principal n’a pas trait à la recevabilité de
la demande de décision préjudicielle, mais relève du fond de la question posée (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, BMW Bank e.a., C‑38/21, C‑47/21 et C‑232/21, EU:C:2023:1014, point 114 ainsi que jurisprudence citée).
30 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur la question préjudicielle
31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, lu en combinaison avec les points 6 à 9 de la « Catégorie A – Armes à feu interdites », figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, est valide au regard de l’article 17, paragraphe 1, et des articles 20 et 21 de la Charte ainsi que du principe de protection de la
confiance légitime.
32 Ainsi qu’il ressort tant des explications fournies par cette juridiction que du libellé de cette question, cette dernière repose sur la prémisse selon laquelle cet article 7, paragraphe 4 bis, autorise les États membres à prévoir un régime transitoire pour les armes à feu relevant des catégories A.6 à A.8, qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017, mais ne les y autorise pas s’agissant d’armes à feu relevant de la catégorie A.9.
33 Dans ces conditions, il convient de vérifier d’emblée si ledit article 7, paragraphe 4 bis, doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas les États membres à prévoir un régime transitoire pour les armes à feu relevant de la catégorie A.9, qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017.
34 Afin de déterminer si tel est le cas, il convient, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, d’interpréter cette disposition en tenant compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 1er août 2022, Sea Watch, C‑14/21 et C‑15/21, EU:C:2022:604, point 115 ainsi que jurisprudence citée).
35 En outre, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remette pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire de l’Union et, notamment, avec les dispositions de la Charte. Ainsi, lorsqu’une disposition du droit dérivé de l’Union est susceptible de plus d’une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui rend cette disposition conforme au droit primaire de l’Union
plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci (arrêt du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C‑817/19, EU:C:2022:491, point 86 et jurisprudence citée).
36 En premier lieu, s’agissant du libellé de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, il convient de rappeler que cette disposition permet aux États membres, notamment, de « décider de confirmer, renouveler ou prolonger les autorisations pour des armes à feu semi-automatiques relevant du point 6, 7 ou 8 de la catégorie A relativement à une arme à feu qui était classée dans la catégorie B et qui a été légalement acquise et enregistrée avant
le 13 juin 2017, sous réserve des autres conditions établies dans [cette] directive ».
37 Il découle de ce libellé que la faculté offerte aux États membres par cette disposition, à savoir celle de confirmer, de renouveler ou de prolonger des autorisations, ne s’applique qu’aux armes à feu semi-automatiques relevant des catégories A.6 à A.8 qui étaient, avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853, classées dans la « Catégorie B – Armes à feu soumises à autorisation » figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51
(ci-après la « catégorie B »), et qui avaient été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017. En outre, il ressort dudit libellé que cette faculté n’est accordée que sous réserve du respect des autres conditions établies dans la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853.
38 En l’occurrence, tout d’abord, il ressort de la décision de renvoi que l’aspect du litige au principal auquel se rapporte la question posée concerne des armes à feu semi-automatiques qui relèvent de la catégorie A.9 et qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017.
39 Ensuite, il y a lieu d’observer que les points de vue des parties à la procédure devant la Cour divergent quant au point de savoir si les armes à feu semi-automatiques transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle étaient, avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853, classées dans la catégorie B. En particulier, en se référant à des interprétations divergentes de la directive 91/477
par les États membres, le Conseil de l’Union européenne soutient que, avant l’ajout de la catégorie A.9 par la directive 2017/853, il n’était pas clair si ces armes à feu relevaient ou non du champ d’application de la catégorie B.
40 En revanche et enfin, tous les participants à l’audience du 8 mai 2023 ont soutenu que les armes à feu relevant de la catégorie A.9 qui satisfont à la fois aux critères de cette catégorie et à ceux de l’une des catégories A.6 à A.8 peuvent également relever de ces dernières catégories.
41 Dans ces conditions, aux fins de la prise en compte, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, il y a lieu de vérifier si les armes à feu concernées, d’une part, étaient, avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853, classées dans la catégorie B et, d’autre part, peuvent relever à la fois de la catégorie A.9 et de l’une des catégories A.6 à A.8.
42 Premièrement, quant au point de savoir si les armes à feu concernées étaient, avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853, classées dans la catégorie B, il convient de constater que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 52 à 55 de ses conclusions du 24 novembre 2022, les armes à feu semi-automatiques qui relèvent de la catégorie A.9, à savoir les armes transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou
d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle, satisfont, malgré leur transformation, aux critères définissant la notion d’« arme à feu » prévus aussi bien à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, qu’à cet article 1er, paragraphe 1, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2017/853.
43 En effet, il ressort du libellé de de chacune de ces dispositions que, sous réserve de certaines exceptions, constitue notamment une arme à feu non seulement toute arme à canon portative qui est conçue pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive, mais également toute arme à canon portative qui peut être transformée à cette fin, étant entendu qu’un objet est considéré comme pouvant être ainsi transformé s’il revêt l’aspect d’une arme
à feu et, du fait de ses caractéristiques de construction ou du matériau dans lequel il est fabriqué, il peut être ainsi transformé.
44 Or, à cet égard, le considérant 20 de la directive 2017/853 précise qu’il existe un risque important que des armes de spectacle et d’autres types d’armes tirant des munitions à blanc soient transformées en armes à feu véritables. En outre, quant aux armes à feu semi-automatiques relevant, notamment, de l’une des catégories A.6 à A.8, en ce qu’elles ont été conçues pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive, puis transformées pour le
tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle, et relevant donc de la catégorie A.9, il est constant qu’elles peuvent retrouver leur niveau de dangerosité antérieur en étant à nouveau transformées pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive.
45 Une telle appréciation est corroborée par l’annexe I, partie III, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51, dès lors que le législateur de l’Union y a expressément exclu de la définition d’arme à feu, notamment, les objets ayant été rendus définitivement impropres à l’usage par une neutralisation assurant que toutes leurs parties essentielles ont été rendues définitivement inutilisables et impossibles à enlever, remplacer, ou modifier en vue d’une réactivation
quelconque. Cette annexe I, partie III, ne prévoyait en revanche aucune exclusion de ce type s’agissant des armes transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle.
46 Certes, le considérant 20 de la directive 2017/853 précise également qu’il est essentiel de répondre au problème posé par de telles armes à feu transformées en incluant celles-ci dans le champ d’application de la directive 91/477. Il ne saurait toutefois en être déduit que ces armes à feu transformées ne relèvent du champ d’application de cette directive que depuis l’entrée en vigueur de la directive 2017/853. En effet, étant donné que lesdites armes satisfont à la définition d’une arme à feu
énoncée à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51, il convient de comprendre la précision figurant à ce considérant de la directive 2017/853 en ce sens que, eu égard aux interprétations divergentes évoquées au point 39 du présent arrêt, elle vise à confirmer que les armes à feu transformées relèvent du champ d’application de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853.
47 Il découle des considérations qui précèdent que les armes à feu concernées doivent être considérées comme ayant été, avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853, classées dans la catégorie B, laquelle visait, à ses points 1 et 4 à 7, les armes à feu semi-automatiques.
48 Deuxièmement, quant au point de savoir si les armes à feu semi-automatiques qui ont été transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle peuvent relever à la fois de la catégorie A.9 et de l’une des catégories A.6 à A.8, il convient de relever que, aux termes de la catégorie A.9, celle-ci comprend « toute arme à feu dans cette catégorie » qui a été transformée pour le tir de munitions à blanc,
de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en arme de spectacle.
49 Partant, il résulte du libellé de la catégorie A.9 que, pour qu’une arme à feu puisse relever de cette catégorie, une telle arme doit, d’une part, satisfaire aux critères énoncés aux points 2, 3, 6, 7 ou 8 de la « Catégorie A – Armes à feu interdites », figurant à l’annexe I, partie II, A, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853 (ci-après les « catégories A.2, A.3, A.6, A.7 ou A.8 »), et, d’autre part, avoir été transformée pour le tir de munitions à blanc, de
produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en arme de spectacle.
50 Ce libellé tend ainsi à indiquer que le fait qu’une telle transformation a été effectuée sur une arme, impliquant son inclusion dans la catégorie A.9, n’a pas pour effet de soustraire celle-ci à sa classification dans les catégories A.2, A.3, A.6, A.7 ou A.8. En effet, d’une part, les armes relevant de la catégorie A.9 satisfont, ainsi qu’il a été indiqué au point 42 du présent arrêt, aux critères définissant la notion d’« arme à feu » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la
directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, et, d’autre part, ces catégories A.2, A.3, A.6, A.7 ou A.8 n’opèrent aucune distinction selon que les armes à feu qu’elles visent ont été transformées ou non.
51 En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par les directives 91/477 et 2017/853, premièrement, il ressort du considérant 20 de cette dernière directive et des éléments de la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2017/853 dont dispose la Cour que l’ajout, au cours de cette procédure législative, de la catégorie A.9 visait à clarifier, au regard d’une situation disparate dans les États membres, que les armes à feu transformées pour le tir de munitions
à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en armes de spectacle relevaient du champ d’application de la directive 91/477.
52 En revanche, ainsi que l’a relevé, notamment, la Commission, aucun de ces éléments n’indique que le législateur de l’Union aurait souhaité, par cet ajout, soustraire les armes à feu ayant subi une telle transformation aux catégories A.2, A.3, A.6, A.7, A.8 ou au champ d’application de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853. En particulier, il ne résulte d’aucun des considérants de la directive 2017/853 que les armes relevant de la
catégorie A.9 seraient exclues de ces catégories ou de ce champ d’application.
53 Deuxièmement, le législateur de l’Union ayant relevé, au considérant 31 de la directive 2017/853, que celle-ci respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, en particulier, par la Charte, il y a lieu de considérer que cet article 7, paragraphe 4 bis, vise à garantir le respect des droits acquis et, en particulier, celui du droit de propriété garanti à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, en ce qu’il permet, en substance, aux États membres de maintenir les autorisations
déjà accordées pour les armes à feu relevant des catégories A.6 à A.8, qui étaient, avant l’entrée en vigueur de cette directive, classées dans la catégorie B et qui avaient été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017, de sorte que la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, n’impose pas l’expropriation des détenteurs de telles armes (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 135).
54 Or, eu égard à cet objectif de garantir le respect des droits de propriété acquis, ledit article 7, paragraphe 4 bis, bien que prévoyant une exception au principe de l’interdiction de la détention d’armes à feu relevant des catégories A.6 à A.8, ne saurait faire l’objet d’une interprétation qui aurait pour effet d’exclure de son champ d’application de telles armes lorsqu’elles remplissent également les critères supplémentaires énoncés à la catégorie A.9. En effet, ainsi que le démontre la
présente demande de décision préjudicielle, une telle interprétation soulèverait des interrogations quant à la conformité à l’article 17 de la Charte de cet article 7, paragraphe 4 bis, alors même que cette dernière disposition vise précisément à assurer le respect du droit de propriété.
55 Troisièmement, en ayant adopté la directive 2017/853, le législateur de l’Union a continué à poursuivre, dans le contexte de l’évolution des risques sécuritaires, l’objectif annoncé au cinquième considérant de la directive 91/477 de renforcer la confiance mutuelle entre les États membres dans le domaine de la sauvegarde de la sécurité des personnes en prévoyant, à cet effet, des catégories d’armes à feu dont l’acquisition et la détention par des particuliers sont, respectivement, interdites,
soumises à autorisation ou soumises à déclaration, objectif qui vise lui-même à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 54).
56 En outre, la directive 91/477 poursuit l’objectif d’assurer la sécurité publique des citoyens de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 49 et 126).
57 Or, aucun de ces objectifs ne s’oppose à ce que les détenteurs d’armes à feu relevant à la fois de l’une des catégories A.6 à A.8 et de la catégorie A.9 puissent bénéficier du régime transitoire prévu à l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853.
58 En effet, d’une part, une telle interprétation est de nature à atteindre l’objectif de faciliter le fonctionnement du marché intérieur.
59 D’autre part, quant à l’objectif d’assurer la sécurité publique des citoyens de l’Union, tout d’abord, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions du 24 novembre 2022, les armes à feu répondant aux critères de la catégorie A.9 apparaissent présenter un danger moins immédiat que celles relevant exclusivement des catégories A.6 à A.8, en ce que ces dernières permettent directement de tirer des balles ou des projectiles, tandis que les premières ne font que détoner et
expulser des gaz, de sorte que les unes constituent un danger actuel, tandis que les autres ne présentent qu’un danger potentiel, en cas de nouvelle transformation.
60 Ensuite, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, que la faculté prévue à cette disposition ne s’applique qu’à des armes à feu qui ont été légalement acquises et enregistrées avant le 13 juin 2017. Or, cela implique notamment que les exigences, en particulier celles relatives à la sécurité, prévues à cet égard par la directive 91/477, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la directive 2017/853,
aient été respectées.
61 Enfin, ce libellé implique que, au moment où un État membre envisage, en application de ladite disposition, de confirmer, de renouveler ou de prolonger une autorisation pour une arme à feu semi-automatique relevant des catégories A.6 à A.8, les autres conditions, en particulier celles relatives à la sécurité, établies dans la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, soient satisfaites.
62 Partant, ainsi que l’ont soutenu le Parlement européen, le Conseil et la Commission lors de l’audience du 8 mai 2023, il n’apparaît pas que l’objectif d’assurer la sécurité publique des citoyens de l’Union puisse être compromis du fait que les détenteurs des armes à feu relevant à la fois de l’une des catégories A.6 à A.8 et de la catégorie A.9 peuvent bénéficier du maintien, au titre de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, des
autorisations déjà accordées pour des armes relevant de ces catégories A.6 à A.8.
63 En quatrième lieu, une telle interprétation de cet article 7, paragraphe 4 bis, qui s’accorde, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, avec le libellé de cette disposition et le contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi qu’avec l’économie et les objectifs de la réglementation dont elle fait partie, n’a pas non plus pour conséquence de priver de tout effet utile ladite disposition ni l’ajout, par la directive 2017/853, de la catégorie A.9.
64 En effet, d’une part, ainsi qu’il a été relevé, notamment, aux points 53 et 54 du présent arrêt, cette interprétation assure, au contraire, l’effet utile dudit article 7, paragraphe 4 bis, en ce qu’il vise à garantir le respect des droits acquis et, en particulier, celui du droit de propriété garanti à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte.
65 D’autre part, ladite interprétation n’affecte nullement l’objectif de clarification, évoqué au point 51 du présent arrêt, que le législateur de l’Union a cherché à atteindre par l’ajout de la catégorie A.9. En outre, ainsi qu’il ressort du libellé même de cette catégorie, celle-ci regroupe non seulement les armes à feu relevant des catégories A.6 à A.8 qui ont été transformées pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou d’articles de pyrotechnie, ou en
armes de spectacle, mais également celles relevant des catégories A.2 et A.3 ayant subi de telles transformations, qui n’étaient pas, quant à elles, couvertes par la faculté accordée aux États membres par l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853.
66 Par conséquent, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, doit être interprété en ce sens qu’il autorise les États membres à exercer la faculté qu’il prévoit pour toutes les armes à feu semi-automatiques relevant des catégories A.6 à A.8, y compris pour celles relevant à la fois de ces catégories et de la catégorie A.9.
67 Il en découle que la prémisse sur laquelle la question est fondée, telle qu’exposée au point 32 du présent arrêt, est erronée.
68 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2017/853, au regard de l’article 17, paragraphe 1, et des articles 20 et 21 de la Charte ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.
Sur les dépens
69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
L’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 7, paragraphe 4 bis, de la directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, telle que modifiée par la directive (UE) 2017/853 du Parlement européen et du Conseil, du 17 mai 2017, au regard de l’article 17, paragraphe 1, et des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que du principe
de protection de la confiance légitime.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.