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22/02/2024 | CJUE | N°C-59/22,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, MP e.a. contre Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid e.a., 22/02/2024, C-59/22,


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 février 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents contractuels à durée indéterminée non permanents – Clauses 2 et 3 – Champ d’application – Notion de “travailleur à durée déterminée” – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail

à durée déterminée successifs – Mesures légales
équivalentes »

Dans les affaires jointes C‑59/22, C‑110/22 et C‑159/22,
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 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 février 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents contractuels à durée indéterminée non permanents – Clauses 2 et 3 – Champ d’application – Notion de “travailleur à durée déterminée” – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs – Mesures légales
équivalentes »

Dans les affaires jointes C‑59/22, C‑110/22 et C‑159/22,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), par décisions du 22 décembre 2021, du 21 décembre 2021 et du 3 février 2022, parvenues à la Cour, respectivement, le 27 janvier, le 17 février et le 3 mars 2022, dans les procédures

MP

contre

Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid (C‑59/22),

et

IP

contre

Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED) (C‑110/22),

et

IK

contre

Agencia Madrileña de Atención Social de la Comunidad de Madrid (C‑159/22),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, faisant fonction de président de chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour la Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid et l’Agencia Madrileña de Atención Social de la Comunidad de Madrid, par M. A. Caro Sánchez, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín, D. Recchia et M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des clauses 2, 3 et 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C‑59/22, MP à la Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid (ministère de la Présidence, de la Justice et de l’Intérieur de la Communauté de Madrid, Espagne), dans l’affaire C‑110/22, IP à l’Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED) (université nationale d’enseignement à distance, Espagne) et, dans l’affaire C‑159/22, IK à l’Agencia Madrileña de Atención Social de la Comunidad
de Madrid (agence madrilène d’aide sociale de la Communauté de Madrid, Espagne), au sujet de la qualification de la relation de travail liant les intéressés à l’administration publique concernée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 1999/70

3 Le considérant 17 de la directive 1999/70 énonce :

« en ce qui concerne les termes employés dans l’accord-cadre, sans y être définis de manière spécifique, cette directive laisse aux États membres le soin de définir ces termes en conformité avec le droit et/ou les pratiques nationales, comme il en est pour d’autres directives adoptées en matière sociale qui emploient des termes semblables, à condition que lesdites définitions respectent le contenu de l’accord-cadre ».

4 L’article 2, premier alinéa, de cette directive prévoit :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive [et doivent] prendre toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. [...] »

L’accord-cadre

5 La clause 2 de l’accord-cadre, intitulée « Champ d’application », prévoit :

« 1. Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2. Les États membres, après consultation de partenaires sociaux, et/ou les partenaires sociaux peuvent prévoir que le présent accord ne s’applique pas :

a) aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage ;

b) aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics. »

6 La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée « Définitions », dispose :

« Aux termes du présent accord, on entend par :

1. “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

[...] »

7 La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », énonce :

« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de
travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

Le droit espagnol

La Constitution

8 L’article 23, paragraphe 2, de la Constitución española (Constitution espagnole) (ci-après la « Constitution »), dispose que les citoyens « ont le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions et postes publics, sous réserve des exigences établies par la loi ».

9 L’article 103, paragraphe 3, de la Constitution prévoit, notamment, que la loi définit le statut des fonctionnaires et règlemente l’accès à la fonction publique conformément aux principes de mérite et d’aptitude.

La législation portant sur les contrats à durée déterminée

– Le statut des travailleurs

10 L’article 15, paragraphe 3, du Real Decreto Legislativo 2/2015, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 2/2015, portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après le « statut des travailleurs »), dispose que « [l]es contrats à durée déterminée conclus en violation
de la loi sont réputés conclus pour une durée indéterminée ».

11 L’article 15, paragraphe 5, du statut des travailleurs dispose :

« Sans préjudice des dispositions des paragraphes 1, sous a), 2 et 3, du présent article, les travailleurs qui ont été engagés, avec ou sans interruption, pour une durée supérieure à 24 mois sur une période de 30 mois afin d’occuper un poste de travail identique ou différent au sein de la même entreprise ou du même groupe d’entreprises dans le cadre d’au moins deux contrats temporaires, que ce soit directement ou par leur mise à disposition par des entreprises de travail intérimaire et selon des
modalités contractuelles à durée déterminée identiques ou différentes, acquièrent la qualité de travailleurs permanents. [...] »

12 La quinzième disposition additionnelle du statut des travailleurs, qui porte sur l’« application des limites de durée au contrat pour une tâche ou un service déterminés et aux contrats successifs dans les administrations publiques », précise que la violation de ces limites dans les « administrations publiques et [...] organismes publics ayant des liens avec elles ou qui sont dépendants d’elles » ne peut empêcher « l’application des principes constitutionnels d’égalité, de mérite et d’aptitude
dans l’accès à l’emploi public et ne fait pas obstacle à l’obligation de pourvoir les postes en cause par les procédures ordinaires, conformément aux dispositions prévues dans la réglementation applicable », de sorte que « le travailleur conserve le poste qu’il occupait jusqu’à ce que celui-ci soit pourvu en application des procédures susvisées, ce qui marque la fin de la relation d’emploi, à moins que ce travailleur n’accède à un emploi public en ayant passé avec succès la procédure de sélection
correspondante ».

– L’EBEP

13 La Ley del Estatuto Básico del Empleado Público (texte consolidé de la loi relative au statut de base des agents publics), approuvée par le Real Decreto Legislativo 5/2015 (décret royal législatif°5/2015), du 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015, p. 103105), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après l’« EBEP »), a, notamment, été modifiée par le Real Decreto-ley 14/2021, de medidas urgentes para la reducción de la temporalidad en el empleo público
(décret-loi royal 14/2021 sur les mesures urgentes visant à réduire le caractère temporaire de l’emploi public), du 6 juillet 2021 (BOE no 161, du 7 juillet 2021, p. 80375), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après le « décret-loi royal 14/2021 »).

14 L’article 8 de l’EBEP prévoit :

« 1.   Sont des agents publics les personnes exerçant des fonctions rémunérées dans les administrations publiques au service de l’intérêt général.

2.   Les agents publics sont classés en :

a) fonctionnaires ;

b) agents non titulaires ;

c) agents contractuels, qu’il s’agisse de personnel permanent, à durée indéterminée ou déterminée ;

d) personnel auxiliaire. »

15 Selon l’article 11, paragraphes 1 et 3, de l’EBEP :

« 1.   On entend par agent contractuel toute personne qui, en vertu d’un contrat de travail conclu par écrit, quelles que soient les modalités de recrutement prévues par le droit du travail, accomplit des services rémunérés par les administrations publiques. Selon sa durée, le contrat peut être permanent, à durée indéterminée ou à durée déterminée.

[...]

3.   Les procédures de sélection du personnel employé sont publiques, régies dans tous les cas par les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude. Dans le cas des agents temporaires, ils sont également régis par le principe de rapidité, dans le but de répondre à des raisons de nécessité et d’urgence expressément justifiées. »

16 L’article 55, paragraphe 1, de l’EBEP énonce :

« Tous les citoyens peuvent prétendre à un emploi dans la fonction publique, conformément aux principes constitutionnels d’égalité, de mérite et d’aptitude, aux dispositions du présent statut, et aux autres règles en vigueur dans l’ordre juridique ».

17 L’article 70 de l’EBEP, intitulé « Annonce d’emploi public », prévoit :

« 1.   Les besoins en ressources humaines bénéficiant d’une dotation budgétaire qui doivent être couverts par le recrutement de nouveaux personnels font l’objet d’une annonce d’emploi public ou sont pourvus au moyen d’un autre instrument similaire de gestion de la couverture des besoins en personnel, ce qui implique d’organiser les procédures de recrutement correspondantes pour les postes prévus, jusqu’à concurrence de [10 %] supplémentaires, et de fixer le délai maximal pour la publication des
avis. En tout état de cause, la mise en œuvre de l’annonce d’emploi public ou de l’instrument similaire doit se faire dans un délai non prorogeable de trois ans.

2.   L’annonce d’emploi public ou l’instrument similaire, approuvé(e) chaque année par les organes directeurs de l’administration publique, fait l’objet d’une publication au journal officiel correspondant.

[...] »

18 L’article 1er, paragraphe 3 du décret-loi royal 14/2021 a introduit la dix-septième disposition additionnelle à l’EBEP. Cette dix-septième disposition additionnelle, tout d’abord, prévoit, notamment, l’obligation des administrations publiques de veiller à éviter tout type d’irrégularité dans les contrats de travail à durée déterminée et les nominations d’agents non titulaires. Ensuite, ladite dix-septième disposition additionnelle indique, en particulier, que les « actes irréguliers » en la
matière « engagent les responsabilités adéquates conformément à la réglementation en vigueur dans chacune des administrations publiques ». Enfin, la même dix-septième disposition additionnelle établit également le droit des travailleurs à percevoir, sans préjudice des éventuelles indemnisations prévues par la réglementation en matière de droit du travail, une compensation pour l’engagement temporaire irrégulier consistant dans le paiement de la différence entre le montant maximal résultant de
l’application de la règle de 20 jours de salaire par année d’ancienneté, plafonnée à un an de salaire, et l’indemnisation qui devrait être perçue pour la résiliation du contrat. Cette compensation devient exigible au moment de la résiliation du contrat et est limitée au contrat à l’égard duquel la réglementation a été violée.

– Lois relatives au budget de l’État pour les années 2017 et 2018

19 La quarante-troisième disposition additionnelle de la Ley 6/2018 de Presupuestos Generales del Estado para el año 2018 (loi 6/2018 relative au budget général de l’État pour l’année 2018), du 3 juillet 2018 (BOE no 161, du 4 juillet 2018, p. 66621), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-après la « loi relative au budget de l’État pour l’année 2018 »), laquelle a remplacé la trente-quatrième disposition additionnelle de la Ley 3/2017 de Presupuestos Generales del Estado
para el año 2017 (loi 3/2017 relative au budget général de l’État pour l’année 2017), du 27 juin 2017 (BOE no 153, du 28 juin 2017, p. 53787) (ci-après la « loi relative au budget de l’État pour l’année 2017 »), prévoit, notamment, que l’octroi du statut de travailleur à durée indéterminée non permanent ne peut être accordé qu’en vertu d’une décision judiciaire. Cette quarante-troisième disposition additionnelle énonce que les « actes irréguliers » commis en matière de recrutement temporaire par
« les organes compétents en matière de personnel »« dans chaque administration publique et dans les entités qui composent leur service public instrumental » engagent la responsabilité des « organes compétents en matière de personnel, conformément à la réglementation en vigueur dans chacune des administrations publiques ».

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C‑59/22

20 MP travaille chaque été, depuis le 22 octobre 1994, au sein du service de prévention des incendies de la Comunidad de Madrid (Communauté de Madrid, Espagne). Par un jugement du 27 décembre 2007, le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, avait considéré que MP était engagée, dès le début de sa relation de travail, dans le cadre d’une « relation de travail à durée indéterminée à temps partiel de type vertical
cyclique ».

21 Le 13 novembre 2020, MP a introduit une demande auprès du ministère de la Présidence, de la Justice et de l’Intérieur de la Communauté de Madrid tendant, d’une part, à la requalification de son contrat de travail en un contrat de travail permanent et, d’autre part, à l’obtention d’une indemnité équivalente à celle prévue dans le droit espagnol pour cause de licenciement abusif. L’administration concernée n’a pas donné suite à cette demande.

22 MP a alors intenté un recours devant le Juzgado de lo Social no 18 de Madrid (tribunal du travail no 18 de Madrid, Espagne). Au soutien de ce recours, elle a formulé les mêmes conclusions que celles présentées à l’appui de la demande visée au point précédent. Par un jugement du 10 juin 2021, cette juridiction a rejeté ce recours. MP a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. À l’appui de son appel, elle fait valoir que le rejet dudit recours aurait résulté d’une violation,
d’une part, du droit espagnol et, d’autre part, de l’accord-cadre, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour. Selon MP, la sanction adéquate d’un recours abusif par l’administration à des contrats contraires à toute règle est la reconnaissance du caractère permanent de sa relation de travail et le paiement d’une indemnité.

23 Ayant des doutes, premièrement, quant à l’applicabilité de l’accord-cadre, et, notamment, de la clause 5 de celui-ci, à un travailleur, tel que MP, qui, depuis le début de sa relation de travail, est lié à l’administration publique par un contrat à durée indéterminée non permanent, deuxièmement, quant à la conformité du droit espagnol afférent à ce type de contrat avec cette clause et, troisièmement, quant aux conséquences à tirer d’une éventuelle non-conformité de ce droit avec ladite clause, le
Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Aux fins de la clause 2 de l’accord-cadre annexé à la directive [1999/70], un travailleur à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”), au sens décrit dans la présente décision, doit-il être considéré comme un “travailleur à durée déterminée” et relève-t-il du champ d’application de l’accord-cadre et, en particulier, de sa clause 5 ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, et aux fins de l’application de la clause 5 de l’[accord-cadre], faut-il considérer qu’il y a eu une “utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs” dans le cas d’un travailleur lié à une administration par un contrat de travail à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”) lorsque ce contrat ne fixe pas d’échéance, que sa durée dépend d’un appel à candidatures et de la couverture du poste,
celle-ci donnant lieu à la résiliation dudit contrat, et qu’aucun appel à candidature en vue de couvrir ce poste n’a eu lieu entre la date de début de la relation de travail et le premier semestre de l’année 2021 ?

3) La clause 5 de l’[accord-cadre] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une interprétation de l’article 15, paragraphe 5, [du statut des travailleurs] (qui vise à mettre en œuvre la directive et prévoit à cette fin que la durée maximale cumulée des contrats à durée déterminée successifs des travailleurs est limitée à 24 mois sur une période de référence de 30 mois) selon laquelle les périodes de travail en qualité de travailleur à durée indéterminée non permanent (dit
“indefinido no fijo”) ne sont pas prises en compte aux fins du calcul de cette durée maximale cumulée, au motif qu’il n’y aurait, dans ce cas de figure, aucune limitation applicable à la durée, au nombre ou au motif de renouvellement de ces contrats ni à leur enchaînement avec d’autres contrats ?

4) La clause 5 de l’[accord-cadre] s’oppose-t-elle à une réglementation nationale qui ne fixe aucune limite (que ce soit en termes de nombre, de durée ou de motifs) aux renouvellements exprès ou tacites d’un type déterminé de contrat à durée déterminée, tel qu’un contrat à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”) dans le secteur public, mais se borne à fixer une limite à la durée de l’enchaînement d’un tel contrat avec d’autres contrats à durée déterminée ?

5) Dès lors que le législateur espagnol n’a adopté aucune règle limitant le renouvellement exprès ou tacite des contrats des travailleurs à durée indéterminée non permanents (dits “trabajadores indefinidos no fijos”), faut-il considérer qu’une situation telle que celle de l’espèce, dans laquelle un travailleur du secteur public est lié par un contrat à durée indéterminée non permanent dont la durée n’a jamais été établie ni précisée et qui s’est prolongé jusqu’en 2021 sans qu’aucune procédure de
sélection ait été organisée afin de pourvoir son poste et de mettre fin à la durée déterminée de la relation de travail, enfreint la clause 5 de l’[accord-cadre] ?

6) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité forfaitaire et objective (20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire), mais ne prévoit aucune indemnité supplémentaire permettant la réparation intégrale du préjudice subi au cas où la valeur de celui-ci serait supérieure au montant de l’indemnité forfaitaire, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats
ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’accord-cadre, conformes aux exigences relatives à la réparation intégrale du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ?

7) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité due lors de la résiliation du contrat de travail en raison de la couverture du poste, mais ne prévoit aucune indemnité alors que ce contrat est en vigueur, en tant qu’alternative à la transformation dudit contrat en contrat à durée indéterminée, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail
à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences relatives à la réparation du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ? Lorsqu’un litige porte exclusivement sur la durée indéterminée de la relation de travail et que le contrat n’a pas été résilié,
y-a-t-il lieu d’accorder une indemnité pour le préjudice causé par la durée déterminée de la relation de travail, en tant qu’alternative à la reconnaissance d’une durée indéterminée ?

8) Peut-on considérer qu’une réglementation nationale contient, à l’égard des administrations publiques et des entités du secteur public, des mesures suffisamment dissuasives de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio
di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387), et visant à “éviter et sanctionner le recours abusif à des contrats à durée déterminée” par l’entité employeuse à l’égard d’autres travailleurs et dans le futur, lorsque ces mesures sont des dispositions légales introduites à partir de l’année 2017 [trente-quatrième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour l’année 2017, quarante-troisième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour
l’année 2018 et décret-loi royal 14/2021] qui prévoient que les “actes irréguliers” sont générateurs de responsabilité, mais n’identifient cette responsabilité que par un renvoi générique à une réglementation non spécifiée, et ce alors que les milliers de décisions de justice qualifiant des travailleurs de travailleurs à durée indéterminée non permanents (dits “trabajadores indefinidos no fijos”»), en conséquence d’une violation des règles en matière de contrats à durée déterminée, ne semblent
avoir donné lieu à aucun cas concret de mise en cause d’une telle responsabilité ?

9) Si ces règles devaient être considérées comme suffisamment dissuasives, et dès lors qu’elles ont été introduites pour la première fois en 2017, peuvent‑elles être appliquées pour éviter la transformation de contrats en contrats à durée indéterminée lorsque les conditions de cette transformation, résultant d’une violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], étaient antérieures à leur entrée en vigueur, ou cela reviendrait-il, au contraire, à appliquer lesdites règles de manière rétroactive avec
un effet d’expropriation ?

10) Dans l’hypothèse où la réglementation espagnole serait considérée comme dénuée de mesures suffisamment dissuasives, une violation de la clause 5 de l’[accord-cadre] par un employeur public doit-elle avoir pour conséquence que le contrat est considéré comme un contrat à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”), ou faut-il pleinement reconnaître le travailleur comme un travailleur à durée indéterminée ?

11) La transformation du contrat en contrat à durée indéterminée, en application de l’[accord-cadre] et de la jurisprudence de la Cour qui l’interprète, doit-elle s’imposer même si elle est considérée comme contraire à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 103, paragraphe 3, de la [Constitution], interprétés en ce sens qu’un candidat ne peut accéder à un emploi dans la fonction publique, quel qu’il soit, y compris dans le cadre d’un contrat de travail, qu’après avoir participé avec succès à
une procédure concurrentielle de sélection appliquant les principes d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité ?

12) Le fait que la loi prévoit une procédure de pérennisation de l’emploi à durée déterminée, par un appel à candidatures en vue de couvrir le poste occupé par un travailleur, impose-t-il de ne plus appliquer la transformation du contrat de ce travailleur en contrat à durée indéterminée s’il est tenu compte du fait que cette procédure doit garantir “le respect des principes de libre concurrence, d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité” et du fait que le travailleur ayant fait l’objet de
l’utilisation de contrats ou de renouvellements de contrats à durée déterminée successifs peut donc ne pas pérenniser son poste si celui-ci est attribué à une autre personne, auquel cas son contrat sera résilié moyennant paiement d’une indemnité correspondant à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire ?

13) Le travailleur peut-il prétendre, même s’il n’est pas licencié, à une indemnité supérieure ou égale à cette somme, déterminée par les juridictions dans l’hypothèse où elle ne serait pas fixée par la loi, en raison de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre] ?

14) Le fait qu’il est question d’une relation de travail contractuelle de durée indéterminée à temps partiel de type vertical cyclique (dite “laboral indefinida discontinua”) est-il susceptible d’avoir une quelconque incidence sur la réponse aux questions précédentes (et, si oui, de quelle nature), lorsque cette relation de travail s’est traduite par un enchaînement de contrats à durée déterminée, saison après saison, selon les modalités décrites par la requérante dans son recours ? »

L’affaire C‑110/22

24 IP travaille pour l’UNED en tant que « directeur de production vidéo » depuis le 11 février 1994, sur la base de contrats à durée déterminée successifs.

25 Par un jugement du 29 septembre 2001, le Juzgado de lo Social no 15 de Madrid (tribunal du travail no 15 de Madrid, Espagne) lui a reconnu la qualité de travailleur à durée indéterminée non permanent. Le poste de travail occupé par le requérant au principal sous cette qualité, bien que considéré, par l’UNED, comme étant un poste vacant, n’avait pas encore fait l’objet d’un appel à candidatures à la date de la saisine, par ce requérant au principal, du Juzgado de lo Social no 42 de Madrid
(tribunal du travail no 42 de Madrid, Espagne). Devant cette dernière juridiction, ledit requérant au principal a demandé la reconnaissance judiciaire de son droit à occuper son poste de travail en qualité de travailleur à durée indéterminée et, à titre subsidiaire, que ce poste lui soit attribué par la voie d’un concours sur titre. Après le rejet de ces demandes par un jugement du 1er juin 2021, le même requérant au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de
Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid), qui est la juridiction de renvoi.

26 À l’appui de son appel, IP fait valoir une violation des dispositions, d’une part, du droit espagnol et, d’autre part, de l’accord-cadre tel qu’interprété par la Cour. Selon lui, la seule conséquence possible à tirer d’une telle violation serait la reconnaissance de la qualité de travailleur à durée indéterminée, conformément à la jurisprudence de la Cour.

27 La juridiction de renvoi précise que, dans la mesure où la directive 1999/70 n’était pas encore applicable ratione temporis aux contrats à durée déterminée conclus avant l’année 2001, l’objet du litige au principal porterait uniquement sur les circonstances postérieures au jugement du 29 septembre 2001.

28 En outre, selon cette juridiction, à la différence de ce que l’UNED soutient dans le cadre de la procédure au principal, il ne saurait être fait application de la « théorie de l’acte clair ». Ainsi, faute pour la Cour d’avoir reçu des explications suffisantes quant à la notion de « travailleur à durée indéterminée non permanent », il ne serait pas possible de considérer que, dans l’arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario (C‑726/19,
EU:C:2021:439), la Cour a jugé que la reconnaissance de la qualité de travailleur à durée indéterminée non permanent suffisait à réparer le préjudice subi par le travailleur concerné.

29 C’est dans ces conditions que le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Aux fins de la clause 2 de l’[accord-cadre], un travailleur à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”), au sens décrit dans la présente décision, doit-il être considéré comme un “travailleur à durée déterminée” et relève-t-il du champ d’application de l’[accord-cadre] et, en particulier, de sa clause 5 ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, et aux fins de l’application de la clause 5 de l’[accord-cadre], doit-on considérer qu’il y a eu une “utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs” dans le cas d’un travailleur lié à une administration par un contrat de travail à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”) lorsque ce contrat ne fixe pas d’échéance spécifique, que sa durée dépend d’un futur appel à candidatures et de la
couverture du poste, celle-ci donnant lieu à la résiliation dudit contrat, et qu’aucun appel à candidature n’a eu lieu entre l’année 2002 et le premier semestre de l’année 2021 ?

3) La clause 5 de l’[accord-cadre] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une interprétation de l’article 15, paragraphe 5, [du statut des travailleurs] (qui vise à mettre en œuvre la directive [1999/70] et prévoit à cette fin que la durée maximale cumulée des contrats à durée déterminée successifs des travailleurs est limitée à 24 mois sur une période de référence de 30 mois) selon laquelle les périodes de travail en qualité de travailleur à durée indéterminée non permanent
(dit “indefinido no fijo”) ne sont pas prises en compte aux fins du calcul de cette durée maximale cumulée, au motif qu’il n’y aurait, dans ce cas de figure, aucune limitation applicable à la durée, au nombre ou au motif de renouvellement de ces contrats, ni à leur enchaînement avec d’autres contrats ?

4) La clause 5 de l’[accord-cadre] s’oppose-t-elle à une réglementation nationale qui ne fixe aucune limite (que ce soit en termes de nombre, de durée ou de motifs) aux renouvellements exprès ou tacites d’un type déterminé de contrat à durée déterminée, tel qu’un contrat à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”) dans le secteur public, mais se borne à fixer une limite à la durée de l’enchaînement d’un tel contrat avec d’autres contrats à durée déterminée ?

5) Dès lors que le législateur espagnol n’a adopté aucune règle limitant le renouvellement exprès ou tacite des contrats des travailleurs à durée indéterminée non permanents (dits “trabajadores indefinidos no fijos”), faut-il considérer qu’une situation telle que celle de l’espèce, dans laquelle un travailleur du secteur public est lié par un contrat à durée indéterminée non permanent dont la durée n’a jamais été établie ni précisée et qui s’est prolongé, à tout le moins, de l’année 2002
(réintégration après licenciement) jusqu’en 2021, sans qu’aucune procédure de sélection ait été organisée afin de pourvoir son poste et de mettre fin à la durée déterminée de la relation de travail, enfreint la clause 5 de l’[accord-cadre] ?

6) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité forfaitaire et objective (20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire), mais ne prévoit aucune indemnité supplémentaire permettant la réparation intégrale du préjudice subi au cas où la valeur de celui-ci serait supérieure au montant de l’indemnité forfaitaire, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats
ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences relatives à la réparation intégrale du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ?

7) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité due lors de la résiliation du contrat de travail en raison de la couverture du poste, mais ne prévoit aucune indemnité alors que ce contrat est en vigueur, en tant qu’alternative à la transformation dudit contrat en contrat à durée indéterminée, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail
à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences relatives à la réparation du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ? Lorsqu’un litige porte exclusivement sur la durée indéterminée de la relation de travail et que le contrat n’a pas été résilié,
y-a-t-il lieu d’accorder une indemnité pour le préjudice causé par la durée déterminée de la relation de travail, en tant qu’alternative à la reconnaissance d’une durée indéterminée ?

8) Peut-on considérer qu’une réglementation nationale contient, à l’égard des administrations publiques et des entités du secteur public, des mesures suffisamment dissuasives de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio
di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387), et visant à “éviter et sanctionner le recours abusif à des contrats à durée déterminée” par l’entité employeuse à l’égard d’autres travailleurs et dans le futur, lorsque ces mesures sont des dispositions légales introduites à partir de l’année 2017 [trente-quatrième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour l’année 2017, quarante-troisième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour
l’année 2018 et décret-loi royal 14/2021] qui prévoient que les “actes irréguliers” sont générateurs de responsabilité, mais n’identifient cette responsabilité que par un renvoi générique à une réglementation non spécifiée, et ce alors que les milliers de décisions de justice qualifiant des travailleurs de travailleurs à durée indéterminée non permanents (dits “trabajadores indefinidos no fijos”), en conséquence d’une violation des règles en matière de contrats à durée déterminée, ne semblent
avoir donné lieu à aucun cas concret de mise en cause d’une telle responsabilité ?

9) Si ces règles devaient être considérées comme suffisamment dissuasives, et dès lors qu’elles ont été introduites pour la première fois en 2017, peuvent‑elles être appliquées pour éviter la transformation de contrats en contrats à durée indéterminée lorsque les conditions de cette transformation, résultant d’une violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], étaient antérieures à leur entrée en vigueur, ou cela reviendrait-il, au contraire, à appliquer lesdites règles de manière rétroactive avec
un effet d’expropriation ?

10) Dans l’hypothèse où la réglementation espagnole serait considérée comme dénuée de mesures suffisamment dissuasives, une violation de la clause 5 de l’[accord-cadre] par un employeur public doit-elle avoir pour conséquence que le contrat est considéré comme un contrat à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”), ou faut-il reconnaître le travailleur, pleinement et sans nuances, comme un travailleur à durée indéterminée ?

11) La transformation du contrat en contrat à durée indéterminée, en application de l’[accord-cadre] et de la jurisprudence de la Cour qui l’interprète, doit-elle s’imposer, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, même si elle est considérée comme contraire à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 103, paragraphe 3, de la [Constitution], interprétés en ce sens qu’un candidat ne peut accéder à un emploi dans la fonction publique, quel qu’il soit, y compris dans le cadre d’un
contrat de travail, qu’après avoir participé avec succès à une procédure concurrentielle de sélection appliquant les principes d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité ? Dès lors que ces dispositions peuvent faire l’objet d’une autre interprétation, à savoir celle prônée par le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne), faut-il appliquer aux normes constitutionnelles de l’État le principe de l’interprétation conforme, de manière à ce qu’il soit obligatoire de retenir
l’interprétation qui rend ces normes compatibles avec le droit de l’Union, ce qui, en l’occurrence, exige de considérer que l’article 23, paragraphe 2, et l’article 103, paragraphe 3, de la Constitution n’imposent pas d’appliquer les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude dans les procédures de recrutement de personnel contractuel ?

12) Peut-on s’abstenir d’appliquer la transformation du contrat en contrat à durée indéterminée, en application de l’[accord-cadre] et de la jurisprudence de la Cour qui l’interprète, si, avant qu’une telle transformation ne soit prononcée par la voie judiciaire, la loi établit une procédure de pérennisation de l’emploi à durée déterminée appelée à être mise en œuvre dans les prochaines années et qui implique des appels à candidatures en vue de couvrir le poste occupé par le travailleur concerné,
compte tenu du fait que cette procédure doit garantir “le respect des principes de libre concurrence, d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité” et du fait que ce travailleur, qui a fait l’objet de l’utilisation de contrats ou de renouvellements à durée déterminée successifs, peut donc pérenniser son poste, mais aussi ne pas le pérenniser si celui-ci est attribué à une autre personne, auquel cas son contrat sera résilié moyennant paiement d’une indemnité correspondant à 20 jours de
salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire ? »

L’affaire C‑159/22

30 IK travaille, depuis le 21 décembre 1998, pour l’agence madrilène d’aide sociale de la Communauté de Madrid, et ce sur la base de contrats à durée déterminée successifs, avec une interruption de contrats entre les années 1999 et 2010.

31 Le 14 octobre 2020, IK a intenté un recours devant le Juzgado de lo Social no 21 de Madrid (tribunal du travail no 21 de Madrid, Espagne) visant à faire reconnaître que le contrat de travail conclu avec son employeur était à durée indéterminée et, à titre subsidiaire, que ce contrat était à durée indéterminée non permanent. Par un jugement du 19 avril 2021, cette juridiction a rejeté ce recours.

32 IK a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid), qui est la juridiction de renvoi. Au soutien de son appel, elle invoque une violation tant du droit espagnol que de la clause 5 de l’accord-cadre telle qu’interprétée par la Cour. En outre, IK fait valoir que la seule solution conforme aux exigences établies par le juge de l’Union européenne consisterait à déclarer que sa relation de travail est à durée indéterminée et, à
titre subsidiaire, que cette relation de travail est à durée indéterminée non permanente.

33 La juridiction de renvoi précise que l’objet du litige au principal porte exclusivement sur le contrat de travail le plus récent, à savoir le contrat d’agent non titulaire couvrant un poste vacant, conclu le 1er août 2016 par les parties au principal et qui s’est prolongé au moins jusqu’à la date du jugement attaqué, à savoir le 19 avril 2021. Cette juridiction indique que, conformément au droit espagnol, notamment l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 28 juin 2021, rendu afin de
mettre en œuvre la clause 5 de l’accord-cadre, telle qu’interprétée dans l’arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario (C‑726/19, EU:C:2021:439), il convient de conclure, en l’occurrence, à l’utilisation abusive par l’administration concernée de contrats à durée déterminée successifs, contraire à cette clause 5. En effet, cette administration s’est abstenue de publier un appel à candidature pour le poste vacant et a renouvelé ainsi
tacitement, année après année, le contrat en cause au principal. Toutefois, selon ladite juridiction, il resterait à déterminer si une telle violation doit avoir pour conséquence d’accorder à la travailleuse au principal le statut de travailleuse engagée à durée indéterminée.

34 En outre, selon la juridiction de renvoi, pour le même motif que celui évoqué au point 28 du présent arrêt, l’application de la « théorie de l’acte clair » ne s’impose pas en l’occurrence.

35 C’est dans ce contexte que le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité forfaitaire et objective (20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire), mais ne prévoit aucune indemnité supplémentaire permettant la réparation intégrale du préjudice subi au cas où la valeur de celui-ci serait supérieure au montant de l’indemnité forfaitaire, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats
ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences relatives à la réparation intégrale du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ?

2) Une réglementation nationale qui ne prévoit qu’une indemnité due lors de la résiliation du contrat de travail en raison de la couverture du poste, mais ne prévoit aucune indemnité alors que ce contrat est en vigueur, en tant qu’alternative à la transformation dudit contrat en contrat à durée indéterminée, peut-elle être considérée comme une réglementation nationale contenant des mesures suffisamment dissuasives à l’égard de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail
à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’accord-cadre, conformes aux exigences relatives à la réparation du préjudice subi par le travailleur fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387) ? Lorsqu’un litige porte exclusivement sur la durée indéterminée de la relation de travail et que le contrat n’a pas été résilié,
y-a-t-il lieu d’accorder une indemnité pour le préjudice causé par la durée déterminée de la relation de travail, en tant qu’alternative à la reconnaissance d’une durée indéterminée ?

3) Peut-on considérer qu’une réglementation nationale contient, à l’égard des administrations publiques et des entités du secteur public, des mesures suffisamment dissuasives de l’utilisation de contrats ou du renouvellement de contrats de travail à durée déterminée successifs en violation de la clause 5 de l’[accord-cadre], conformes aux exigences fixées par la jurisprudence de la Cour dans les arrêts du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio
di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387), et visant à “éviter et sanctionner le recours abusif à des contrats à durée déterminée” par l’entité employeuse à l’égard d’autres travailleurs et dans le futur, lorsque ces mesures sont des dispositions légales introduites à partir de l’année 2017 [trente-quatrième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour l’année 2017, quarante-troisième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour
l’année 2018 et décret-loi royal 14/2021] qui prévoient que les “actes irréguliers” sont générateurs de responsabilité, mais n’identifient cette responsabilité que par un renvoi générique à une réglementation non spécifiée, et ce alors que les milliers de décisions de justice qualifiant des travailleurs de travailleurs à durée indéterminée non permanents (dits “trabajadores indefinidos no fijos”), en conséquence d’une violation des règles en matière de contrats à durée déterminée, ne semblent
avoir donné lieu à aucun cas concret de mise en cause d’une telle responsabilité ?

4) Dans l’hypothèse où la réglementation espagnole serait considérée comme dénuée de mesures suffisamment dissuasives, une violation de la clause 5 de l’[accord-cadre] par un employeur public doit-elle avoir pour conséquence que le contrat est considéré comme un contrat à durée indéterminée non permanent (dit “indefinido no fijo”), ou faut-il reconnaître le travailleur, pleinement et sans nuances, comme un travailleur à durée indéterminée ?

5) La transformation du contrat en contrat à durée indéterminée, en application de l’[accord-cadre] et de la jurisprudence de la Cour qui l’interprète, doit-elle s’imposer, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, même si elle est considérée comme contraire à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 103, paragraphe 3, de la [Constitution], interprétés en ce sens qu’un candidat ne peut accéder à un emploi dans la fonction publique, quel qu’il soit, y compris dans le cadre d’un
contrat de travail, qu’après avoir participé avec succès à une procédure concurrentielle de sélection appliquant les principes d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité ? Dès lors que ces dispositions peuvent faire l’objet d’une autre interprétation, à savoir celle prônée par le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle), faut-il appliquer aux normes constitutionnelles de l’État le principe de l’interprétation conforme, de manière à ce qu’il soit obligatoire de retenir
l’interprétation qui rend ces normes compatibles avec le droit de l’Union, ce qui, en l’occurrence, exige de considérer que l’article 23, paragraphe 2, et l’article 103, paragraphe 3, de la [Constitution] n’imposent pas d’appliquer les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude dans les procédures de recrutement de personnel contractuel ?

6) Peut-on s’abstenir d’appliquer la transformation du contrat en contrat à durée indéterminée, en application de l’accord-cadre [...] et de la jurisprudence de la Cour qui l’interprète, si, avant qu’une telle transformation ne soit prononcée par la voie judiciaire, la loi établit une procédure de pérennisation ou de stabilisation de l’emploi à durée déterminée appelée à être mise en œuvre dans les prochaines années et qui implique des appels à candidatures en vue de couvrir le poste occupé par
le travailleur concerné, compte tenu du fait que cette procédure doit garantir “le respect des principes de libre concurrence, d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité” et du fait que ce travailleur, qui a fait l’objet de l’utilisation de contrats ou de renouvellements à durée déterminée successifs, peut donc pérenniser son poste, mais aussi ne pas le pérenniser si celui-ci est attribué à une autre personne, auquel cas son contrat sera résilié moyennant paiement d’une indemnité
correspondant à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire ? »

La procédure devant la Cour

36 Par une décision du 27 avril 2022, les affaires C‑59/22, C‑110/22 et C‑159/22 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

37 Les défenderesses au principal dans les affaires C‑59/22 et C‑159/22 ainsi que le gouvernement espagnol considèrent que la Cour n’est pas compétente pour répondre aux demandes de décision préjudicielle et que, en tout état de cause, ces dernières doivent être déclarées irrecevables.

38 En premier lieu, selon ces défenderesses ainsi que ce gouvernement, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle dans la mesure où celles-ci impliqueraient une interprétation du droit national.

39 En outre, selon lesdites défenderesses et ledit gouvernement, ces demandes reviennent à exiger de la Cour qu’elle rende un avis consultatif de portée générale sur la notion, propre au droit espagnol, de « travailleur à durée indéterminée non permanent », et ce en se fondant sur des aspects sur lesquels elle s’est déjà prononcée à diverses reprises.

40 Plus précisément, lesdites demandes viseraient à remettre en cause deux jurisprudences bien établies de la Cour, à savoir, premièrement, celle selon laquelle la transformation d’un contrat de travail en un « contrat de travail à durée indéterminée non permanent » constitue une sanction appropriée du recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs et, deuxièmement, celle selon laquelle les États membres n’ont pas l’obligation, en vertu de l’accord-cadre, de transformer une relation de
travail à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée lorsqu’il existe des règles internes permettant de sanctionner et de dissuader le recours abusif à des contrats à durée déterminée successifs.

41 En second lieu, les défenderesses dans les affaires C‑59/22 et C‑159/22 font valoir que, en incluant dans le cadre des demandes de décision préjudicielle des questions relatives à l’octroi d’une indemnité au bénéfice du travailleur concerné, la juridiction de renvoi élargit l’objet des litiges au principal. Or, dans le cadre de ces litiges, les requérants au principal auraient seulement demandé la reconnaissance de la durée indéterminée de leur relation de travail. Il conviendrait donc de
déclarer ces demandes irrecevables en tant qu’elles portent sur les questions relatives à l’octroi d’une telle indemnité, dès lors que ces questions soulèvent un problème de nature hypothétique.

42 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le système de coopération établi à l’article 267 TFUE est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. Dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de cet article, l’interprétation des dispositions nationales appartient aux juridictions des États membres et non à la Cour, et il n’incombe pas à cette dernière de se prononcer sur la compatibilité de normes du droit interne avec les dispositions du droit de
l’Union. En revanche, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui permettent à celle-ci d’apprécier la compatibilité de normes du droit interne avec la réglementation de l’Union (arrêt du 25 octobre 2018, Sciotto, C‑331/17, EU:C:2018:859, point 27 et jurisprudence citée).

43 Il importe également de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En
conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

44 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [voir arrêt du 3 juin 2021, Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR e.a. (Chercheurs universitaires), C‑326/19, EU:C:2021:438, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

45 En l’occurrence, force est de constater qu’il ressort clairement des éléments fournis par la juridiction de renvoi que, dans les affaires jointes C‑59/22, C‑110/22 et C‑159/22, les requérants au principal ont conclu plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs et que, dans le cadre des affaires C‑59/22 et C‑110/22, la relation de travail a déjà été requalifiée, respectivement par un jugement du 27 décembre 2007 et par un jugement du 29 septembre 2001, en une « relation de travail à
durée indéterminée non permanente ». Cela étant, selon cette juridiction, le doute persiste, notamment, quant au point de savoir si, conformément aux clauses 2 et 3 de l’accord-cadre, une telle relation relève du champ d’application de cet accord-cadre.

46 En outre, il ressort sans équivoque des demandes de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère que la requalification d’une relation de travail abusive en une « relation de travail à durée indéterminée non permanente » ne constitue pas une mesure sanctionnant dûment cette relation de travail abusive, de telle sorte que, dans le cadre des litiges au principal, elle sera amenée à déterminer les mesures nationales permettant, conformément aux exigences résultant de la
directive 1999/70, de sanctionner l’utilisation abusive de relations de travail à durée déterminée successives.

47 Or, dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi, à savoir celle des clauses 2, 3 et 5 de l’accord-cadre, n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal ou que les questions portant sur l’octroi d’une indemnité, prévue dans le droit espagnol, en tant que mesure sanctionnant, conformément aux exigences de la directive 1999/70, le recours abusif à des relations de travail
temporaires concernées soulèvent un problème de nature hypothétique.

48 Par ailleurs, la prétendue remise en cause, par les demandes de décision préjudicielle, des deux jurisprudences bien établies de la Cour relève de l’analyse au fond de ces demandes et, partant, est sans incidence sur la compétence de la Cour pour répondre auxdites demandes ou sur la recevabilité de celles-ci.

49 Cela étant, par la treizième question posée dans l’affaire C‑59/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’octroi d’une indemnité supplémentaire par rapport à celle visée dans le cadre des sixièmes et septièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que dans le cadre des première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑159/22, laquelle serait fixée par les juridictions nationales, pourrait constituer une mesure adéquate, au sens de la clause 5 de
l’accord-cadre, pour sanctionner les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive.

50 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dès lors que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, la demande de décision préjudicielle constitue le fondement de cette procédure suivie devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale explicite, dans cette demande, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande
l’interprétation ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la réglementation nationale applicable au litige qui lui est soumis (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

51 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement, et qui sont rappelées, notamment, dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales,
relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

52 Il convient également de rappeler que les informations figurant dans les demandes de décision préjudicielle servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait
que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés, accompagnées d’une traduction dans la langue officielle de chaque État membre, à l’exclusion du dossier national éventuellement transmis à la Cour par la juridiction de renvoi (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

53 Or, force est de constater que la demande de décision préjudicielle présentée dans l’affaire C‑59/22 ne contient aucune explication quant à l’indemnité visée dans le cadre de la treizième question posée et n’indique, notamment, pas la teneur des dispositions ou de la jurisprudence pertinentes portant sur cette indemnité dans le droit espagnol.

54 Partant, la treizième question posée dans l’affaire C‑59/22 doit être déclarée irrecevable.

55 En ce qui concerne la quatorzième question posée dans l’affaire C‑59/22, par laquelle la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance que la requérante au principal dans cette affaire a été engagée en tant que travailleuse à durée indéterminée à temps partiel « de type vertical cyclique » a une incidence sur la réponse à donner aux questions préjudicielles, bien qu’il ressorte du dossier dont dispose la Cour que, dans le droit espagnol, les contrats afférents au statut de
« personnel contractuel à durée indéterminée à temps partiel de type cyclique » font partie de la catégorie des contrats à durée indéterminée non permanents, la juridiction de renvoi n’indique pas la teneur des dispositions ou de la jurisprudence pertinentes portant sur ce statut dans le droit espagnol. En outre, cette juridiction n’explique pas les raisons pour lesquelles elle considère que ledit statut pourrait avoir une incidence sur l’interprétation des clauses 2, 3 et 5 de l’accord-cadre.

56 Partant, eu égard à la jurisprudence mentionnée aux points 50 à 52 du présent arrêt, la quatorzième question posée dans l’affaire C‑59/22 doit être déclarée irrecevable.

57 Il résulte des considérations qui précèdent que, d’une part, la Cour est compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle et, d’autre part, les demandes de décision préjudicielle sont recevables, à l’exception des treizième et quatorzième questions posées dans l’affaire C-59/22.

Sur les questions préjudicielles

Sur les premières questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

58 Par les premières questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les clauses 2 et 3 de l’accord-cadre doivent être interprétées en ce sens qu’un travailleur à durée indéterminée non permanent doit être considéré comme étant un travailleur à durée déterminée, au sens de cet accord-cadre, et, partant, comme relevant du champ d’application de celui-ci.

59 À cet égard, en premier lieu, selon une jurisprudence bien établie, il ressort du libellé de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que le champ d’application de celui-ci est large, dès lors qu’il vise de manière générale les « travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre ». En outre, la définition de la notion de « travailleur à durée déterminée », au sens de
la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée de l’employeur auquel ils sont liés et quelle que soit la qualification de leur contrat dans le droit interne (arrêt du 3 juin 2021, Servicio Aragonés de Salud, C‑942/19, EU:C:2021:440, point 31 et jurisprudence citée).

60 En second lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort clairement de l’intitulé et du libellé de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, cette disposition se limite à définir la notion de « travailleur à durée déterminée » et à désigner, dans ce cadre, l’élément caractéristique d’un contrat à durée déterminée, à savoir la circonstance que le terme d’un tel contrat est déterminé par « des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée
ou la survenance d’un événement donné » (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Fiamingo e.a., C‑362/13, C‑363/13 et C‑407/13, EU:C:2014:2044, point 46).

61 L’accord-cadre s’applique dès lors à l’ensemble des travailleurs fournissant des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation d’emploi à durée déterminée les liant à leur employeur, pour autant que ceux-ci sont liés par un contrat ou une relation de travail, au sens du droit national, et sous la seule réserve de la marge d’appréciation conférée aux États membres par la clause 2, point 2, de l’accord-cadre quant à l’application de ce dernier à certaines catégories de contrats ou de
relations de travail ainsi que de l’exclusion, conformément au quatrième alinéa du préambule de l’accord-cadre, des travailleurs intérimaires (arrêt du 3 juin 2021, Servicio Aragonés de Salud, C‑942/19, EU:C:2021:440, point 32 et jurisprudence citée).

62 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle que, dans le cadre du secteur public, la notion de « travailleur à durée indéterminée non permanent » (dit « trabajador indefinido no fijo ») constitue une création jurisprudentielle et qu’elle doit être distinguée de la notion de « travailleur permanent » (dit « trabajador fijo »).

63 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, alors que la cessation du contrat d’un travailleur permanent est soumise aux causes de cessation et aux conditions générales établies par le statut des travailleurs, celle du contrat d’un travailleur à durée indéterminée non permanent est soumise, conformément à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême), à une cause de cessation spécifique. Ainsi, en cas de requalification de la relation de travail concernée en un contrat à durée
indéterminée non permanent, l’administration concernée serait tenue de respecter la procédure destinée à pourvoir le poste occupé par le travailleur à durée indéterminée non permanent, en appliquant les principes constitutionnels de publicité, d’égalité, de mérite et d’aptitude. Une fois ce poste pourvu, le contrat du travailleur à durée indéterminée non permanent serait résilié, sauf si ce travailleur avait lui-même participé à cette procédure et qu’il s’était vu attribuer ledit poste.

64 Cette juridiction précise que, selon le Tribunal Supremo (Cour suprême), un contrat à durée indéterminée non permanent, dont la durée est limitée par la survenance d’un événement déterminé, à savoir l’attribution définitive du poste occupé par le travailleur concerné à la personne ayant remporté le concours devant être organisé par l’administration en vue de pourvoir ce poste, doit être considéré comme étant un contrat à durée déterminée aux fins de l’application de la directive 1999/70.

65 Partant, compte tenu de la nature du contrat à durée indéterminée non permanent, tel qu’il est défini, selon la juridiction de renvoi, dans le droit espagnol, des travailleurs, tels que les requérants au principal dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, doivent être regardés comme ayant la qualité de « travailleur à durée déterminée », au sens de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre, et, partant, relèvent du champ d’application de ce dernier.

66 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux premières questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 que les clauses 2 et 3 de l’accord-cadre doivent être interprétées en ce sens qu’un travailleur à durée indéterminée non permanent doit être considéré comme étant un travailleur à durée déterminée, au sens de cet accord-cadre, et, partant, comme relevant du champ d’application de ce dernier.

Sur les deuxièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

67 Par les deuxièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’expression « utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs », figurant à la clause 5 de l’accord-cadre, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre une situation dans laquelle un travailleur est lié à l’administration concernée par un seul contrat à durée indéterminée non permanent, lorsque ce contrat ne fixe pas d’échéance, mais
qu’il est résilié en cas d’attribution du poste concerné à la suite d’un appel à candidatures et que cet appel à candidatures n’a pas été organisé dans le délai imparti par cette administration.

68 À cet égard, il convient de rappeler que la clause 5 de l’accord-cadre a pour but de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par celui-ci, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, considéré comme une source potentielle d’abus au détriment des travailleurs, en prévoyant un certain nombre de dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation de la situation des salariés (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño
de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

69 Dès lors, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 27 ainsi que
jurisprudence citée).

70 Partant, il résulte du libellé de cette disposition ainsi que d’une jurisprudence constante que ladite disposition trouve à s’appliquer uniquement en présence de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, de telle sorte qu’un contrat qui est le tout premier et unique contrat de travail à durée déterminée ne relève pas du champ d’application de celle-ci (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19,
EU:C:2021:439, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

71 En outre, il y a lieu de préciser que, selon une jurisprudence bien établie, la clause 5, point 2, sous a), de l’accord-cadre laisse, en principe, aux États membres et/ou aux partenaires sociaux le soin de déterminer à quelles conditions les contrats ou les relations de travail à durée déterminée sont considérés comme « successifs », au sens de l’accord-cadre (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 29
ainsi que jurisprudence citée).

72 Si un tel renvoi aux États membres et/ou aux partenaires sociaux pour définir les modalités concrètes d’application du terme « successifs », au sens de l’accord-cadre, s’explique par le souci de préserver la diversité des réglementations nationales en la matière, il importe cependant de rappeler que la marge d’appréciation ainsi laissée aux autorités nationales n’est pas sans limites, puisqu’elle ne saurait en aucun cas aller jusqu’à remettre en cause l’objectif ou l’effet utile de
l’accord-cadre. En particulier, ce pouvoir d’appréciation ne doit pas être exercé par ces autorités d’une manière telle qu’il conduirait à une situation susceptible de donner lieu à des abus et, ainsi, de contrarier cet objectif (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

73 En effet, les États membres sont tenus de garantir le résultat imposé par le droit de l’Union, ainsi que cela résulte non seulement de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, mais également de l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, lu à la lumière du considérant 17 de celle-ci (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

74 Les limites au pouvoir d’appréciation laissé aux États membres, visées au point 72 du présent arrêt, s’imposent tout particulièrement s’agissant d’une notion clé, telle que celle du caractère successif des rapports de travail, qui est déterminante pour la définition du champ d’application même des dispositions nationales destinées à mettre en œuvre l’accord-cadre (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439,
point 32 ainsi que jurisprudence citée).

75 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 que, premièrement, lorsqu’un travailleur est déclaré comme étant un « travailleur à durée indéterminée non permanent », cette déclaration, bien que pouvant être considérée comme constituant une sanction à l’encontre de l’employeur concerné pour une utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs, a pour effet de substituer une telle qualité aux contrats à durée
déterminée que ce travailleur a pu conclure auparavant, de sorte que, avec ladite déclaration, la relation de travail concernée deviendrait, dès le départ, une relation de travail à durée indéterminée non permanente. Ainsi, les contrats à durée déterminée conclus antérieurement cesseraient d’être en vigueur et ledit travailleur serait d’emblée lié par un seul contrat à durée indéterminée non permanent.

76 Deuxièmement, dans le cadre de ces affaires, la juridiction de renvoi précise que le contrat à durée indéterminée non permanent ne comporterait pas d’échéance fixe, mais que la fin de celui-ci serait subordonnée à la couverture du poste en cause, et que l’administration concernée aurait l’obligation d’ouvrir la procédure publique pour couvrir ce poste.

77 Troisièmement, cette juridiction de renvoi relève, dans le cadre de l’affaire C‑59/22, qu’aucune épreuve de sélection n’a été organisée depuis le début de la relation de travail à durée indéterminée non permanente en cause au principal, soit depuis 27 ans. De même, il ressort de la demande de décision préjudicielle présentée dans l’affaire C‑110/22 que l’appel à candidatures a été reporté et n’avait toujours pas eu lieu à la date d’introduction du recours au principal dans cette affaire, de sorte
que le requérant au principal est lié à l’administration concernée sur le fondement d’un contrat à durée indéterminée non permanent depuis 20 ans.

78 Or, le fait de conclure à l’absence de relations de travail à durée déterminée successives, au sens de la clause 5 de l’accord-cadre, au seul motif qu’un travailleur est lié à l’administration concernée par un seul et unique contrat à durée indéterminée non permanent, alors que, ainsi qu’il résulte des demandes de décision préjudicielle, d’une part, ce dernier contrat, également d’une nature temporaire, se substitue, à titre de sanction, à des contrats à durée déterminée successifs et que,
d’autre part, le maintien pérenne de ce travailleur à durée indéterminée non permanent sur le poste concerné est la conséquence du non-respect par l’employeur concerné de son obligation légale d’organiser, dans le délai imparti, une procédure de sélection visant à pourvoir ce poste de manière définitive, de telle sorte que sa relation de travail a, par conséquent, été implicitement prorogée pendant plusieurs années, risquerait de compromettre l’objet, la finalité ainsi que l’effet utile de cet
accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

79 En effet, une telle interprétation restrictive de la notion de « relations de travail à durée déterminée successives » permettrait d’employer des travailleurs de façon précaire pendant des années (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

80 En outre, cette interprétation restrictive risquerait d’avoir pour effet non seulement d’exclure, dans les faits, un grand nombre de relations de travail à durée déterminée du bénéfice de la protection des travailleurs recherchée par la directive 1999/70 et l’accord-cadre, en vidant l’objectif poursuivi par ceux-ci d’une grande partie de sa substance, mais également de permettre l’utilisation abusive de telles relations par les employeurs pour satisfaire des besoins permanents et durables en
matière de personnel (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

81 En l’occurrence, dès lors que, faute pour l’administration concernée d’avoir organisé dans le délai imparti une procédure de sélection visant à pourvoir, de manière définitive, le poste occupé par un travailleur à durée indéterminée non permanent, les prorogations automatiques de ce contrat à durée déterminée peuvent être assimilées à des renouvellements et, par conséquent, à la conclusion de contrats à durée déterminée distincts. Il s’ensuit que les situations en cause au principal dans les
affaires C‑59/22 et C‑110/22 ne se caractérisent non pas par la conclusion d’un seul et unique contrat, mais par la conclusion de contrats pouvant effectivement être qualifiés de « successifs », au sens de la clause 5 de l’accord-cadre, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

82 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens que l’expression « utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs », figurant à cette disposition, couvre une situation dans laquelle, faute pour l’administration concernée d’avoir organisé, dans le délai imparti, une procédure de sélection visant à pourvoir, de
manière définitive, le poste occupé par un travailleur à durée indéterminée non permanent, le contrat à durée déterminée liant ce travailleur à cette administration a été prorogé de plein droit.

Sur les troisièmes à cinquièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

83 En ce qui concerne les troisièmes à cinquièmes questions posées dans les affaires C-59/22 et C-110/22, la juridiction de renvoi précise que, dans la mesure où la notion de « contrat à durée indéterminée non permanent » est une création jurisprudentielle, il n’existe pas de réglementation espagnole pour ce type de contrat. Partant, aucune des mesures prévues à la clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre n’aurait été adoptée par le législateur espagnol afin de prévenir les abus pouvant
résulter d’une utilisation de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive.

84 Cela étant, la juridiction de renvoi considère qu’il n’est pas exclu que, en application du principe de l’interprétation conforme, l’article 15, paragraphe 5, du statut des travailleurs, qui fixe une limite à l’enchaînement de contrats à durée déterminée, s’applique également aux contrats à durée indéterminée non permanents.

85 Toutefois, la juridiction de renvoi relève que, même dans cette hypothèse, un doute persisterait quant à la conformité de la réglementation espagnole avec la clause 5 de l’accord-cadre, étant donné que cet article 15, paragraphe 5, ne fixerait pas de limitation pour la durée ou le renouvellement, exprès ou tacite, de contrats à durée indéterminée non permanents, mais se contenterait d’établir une limite temporelle à l’enchaînement d’un seul et unique contrat à durée indéterminée non permanent
avec d’autres contrats à durée déterminée.

86 C’est dans ce contexte que, par les troisièmes à cinquièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit aucune des mesures visées au point 1, sous a) à c), de cette clause, ni de « mesure légale équivalente », au sens de celle-ci, afin de prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée indéterminée non
permanents.

87 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il est relevé aux points 68 et 69 du présent arrêt, la clause 5 de l’accord-cadre, qui a pour but de mettre en œuvre l’un des objectifs poursuivis par celui-ci, à savoir encadrer le recours successif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée, impose, à son point 1, aux États membres l’adoption effective et contraignante de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne contient pas de mesures légales
équivalentes. Les mesures ainsi énumérées au point 1, sous a) à c), de cette clause, au nombre de trois, ont trait, respectivement, à des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou de telles relations de travail, à la durée maximale totale de ces contrats ou de ces relations de travail successifs et au nombre de renouvellements de ceux-ci (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439,
point 43 ainsi que jurisprudence citée).

88 Les États membres disposent, à cet égard, d’une marge d’appréciation, dès lors qu’ils ont le choix de recourir à l’une ou à plusieurs des mesures énoncées à la clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre ou encore à des mesures légales existantes équivalentes, et cela tout en tenant compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439,
point 44 ainsi que jurisprudence citée).

89 Ce faisant, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre assigne aux États membres un objectif général, consistant en la prévention de tels abus, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir, pour autant qu’ils ne remettent pas en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord-cadre (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

90 En outre, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du droit interne, cette mission incombant aux juridictions nationales compétentes, qui doivent déterminer si les exigences édictées à la clause 5 de l’accord-cadre sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale applicable (voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439,
point 50 ainsi que jurisprudence citée).

91 Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les conditions d’application ainsi que la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du droit interne en font une mesure adéquate pour prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

92 Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider les juridictions nationales dans leur appréciation (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

93 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que tant la défenderesse au principal dans l’affaire C‑59/22 que le gouvernement espagnol font valoir que, comme l’aurait considéré le Tribunal Supremo (Cour suprême), la notion de « travailleur à durée indéterminée non permanent » répond aux caractéristiques des trois mesures énoncées à la clause 5 de l’accord-cadre. Ainsi, premièrement, l’application du type de contrat correspondant répondrait à une raison objective, à savoir garantir l’accès à
l’emploi dans le secteur public dans des conditions d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité, tout en remédiant à l’utilisation de contrats irréguliers dans ce secteur jusqu’à ce que le poste à pourvoir soit couvert, deuxièmement, ce type de contrat aurait une durée maximale qui dépendrait de la publication de l’appel à candidatures destiné à couvrir le poste, cet appel à candidatures pouvant être déclenché par le travailleur lui-même et devant intervenir dans un délai maximal
conformément au droit espagnol, et, troisièmement, tout caractère successif serait exclu dans la mesure où il n’y a pas de renouvellement dudit type de contrat.

94 Dans ce contexte, dès lors que, selon la juridiction de renvoi, ainsi qu’il est indiqué aux points 83 à 85 du présent arrêt, le droit espagnol ne prévoit, pour la catégorie des contrats à durée indéterminée non permanents, aucune mesure destinée à prévenir le recours abusif à ces contrats, au sens de la clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre, et que l’article 15, paragraphe 5, du statut des travailleurs, bien qu’interprété conformément aux exigences de cette clause, ne permettrait pas
non plus de constituer une telle mesure, il convient, afin d’apporter une réponse utile à cette juridiction, de fournir des précisions quant à l’argumentation invoquée par la défenderesse au principal dans l’affaire C‑59/22 ainsi que par le gouvernement espagnol, telle que visée au point 93 du présent arrêt.

95 S’agissant, en premier lieu, des raisons objectives énoncées par ces défenderesses au principal et le gouvernement espagnol, à savoir garantir l’accès à l’emploi dans le secteur public dans des conditions d’égalité, de mérite, d’aptitude et de publicité, tout en remédiant à l’utilisation de contrats irréguliers dans ce secteur jusqu’à ce que le poste à pourvoir soit couvert, force est de relever, ainsi qu’il ressort du libellé même de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre, que cette
dernière disposition concerne les raisons objectives justifiant le « renouvellement » des contrats à durée déterminée et non pas les raisons objectives justifiant l’application, en tant que telle, d’un type de contrat, tel que le contrat à durée indéterminée non permanent.

96 S’agissant, en second lieu, de l’organisation dans les délais requis de procédures de sélection visant à pourvoir de manière définitive les postes occupés provisoirement par des travailleurs à durée déterminée, il importe d’observer qu’une telle mesure est de nature à éviter que le statut précaire de ces travailleurs se pérennise, en assurant que les postes qu’ils occupent soient rapidement pourvus de manière définitive (arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18,
EU:C:2020:219, point 94).

97 Dès lors, l’organisation dans les délais requis de telles procédures est, en principe, susceptible, dans les situations en cause au principal, de prévenir les abus résultant du recours à des relations de travail à durée déterminée successives dans l’attente que ces postes soient pourvus de manière définitive (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 95).

98 Cela étant précisé, il ressort des demandes de décision préjudicielle que, en l’occurrence, malgré le fait que la réglementation en cause au principal prévoit des délais précis pour l’organisation par l’administration concernée de telles procédures, en réalité, ces délais ne sont pas respectés et ces procédures sont peu fréquentes.

99 Dans ces conditions, une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de sélection visant à pourvoir de manière définitive les postes occupés provisoirement par des travailleurs à durée déterminée ainsi que des délais précis à cette fin, mais qui ne permet pas d’assurer que de telles procédures soient effectivement organisées, n’apparaît pas de nature à prévenir le recours abusif, par l’employeur concerné, à des relations de travail à durée déterminée successives (arrêt du
19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 97).

100 Par conséquent, sous réserve de vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, une telle réglementation ne semble pas constituer une mesure suffisamment effective et dissuasive pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre et, partant, ne saurait être qualifiée de « mesure légale équivalente », au sens de la clause 5 de l’accord-cadre.

101 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisièmes à cinquièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 que la clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit aucune des mesures visées à cette disposition ni de « mesure légale équivalente », au sens de celle-ci, afin de prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée indéterminée non permanents.

Sur les sixièmes et septièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur les première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑159/22

102 Par les sixièmes et septièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que par les première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑159/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire, égale à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire, à tout travailleur dont l’employeur a
recouru à une utilisation abusive de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive.

103 À cet égard, il convient de rappeler que la clause 5 de l’accord-cadre ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient été constatés. Dans un tel cas de figure, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre (arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico
Regionale per la Campania, C‑282/19, EU:C:2022:3, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

104 En outre, la Cour a précisé que, lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. En effet, selon les termes mêmes de l’article 2, premier alinéa, de la directive 1999/70, les États membres doivent « prendre toute
disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par [cette] directive » (arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico Regionale per la Campania, C‑282/19, EU:C:2022:3, point 84 et jurisprudence citée).

105 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle que, conformément au droit espagnol, l’indemnité forfaitaire est due aux travailleurs à durée indéterminée non permanents lors de la résiliation de leurs contrats en raison de la couverture de leur poste, ce qui supposerait soit qu’ils ont participé à la procédure de sélection et y ont échoué, soit qu’ils n’ont pas participé à cette procédure.

106 Or, la Cour a jugé que le versement d’une indemnité de fin de contrat ne permettait pas d’atteindre la finalité poursuivie par la clause 5 de l’accord-cadre, consistant à prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs. En effet, un tel versement semble être indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à des contrats à durée déterminée (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural,
Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 74 ainsi que jurisprudence citée).

107 Une telle mesure n’apparaît donc pas de nature à sanctionner dûment un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs et à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union et, par conséquent, ne semble pas constituer, à elle seule, une mesure suffisamment effective et dissuasive pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre, au sens de la jurisprudence rappelée au point 103 du présent arrêt (voir arrêt
du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

108 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux sixièmes et septièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi qu’aux première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑159/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire, égale à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire, à tout travailleur dont
l’employeur a recouru à une utilisation abusive de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, lorsque le versement de cette indemnité de fin de contrat est indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à ces contrats.

Sur les huitièmes et neuvièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur la troisième question posée dans l’affaire C‑159/22

109 Par les huitièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que par la troisième question posée dans l’affaire C‑159/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des dispositions nationales selon lesquelles les « actes irréguliers » engagent la responsabilité des administrations publiques, « conformément à la réglementation en vigueur dans chacune [de ces] administrations publiques ».

110 En cas de réponse négative à ces questions, la juridiction de renvoi, par les neuvièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, demande, en substance, si ces dispositions nationales, adoptées à compter de l’année 2017, devraient s’appliquer à l’égard des abus commis avant leurs dates d’entrée en vigueur respectives.

111 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément aux exigences résultant de la jurisprudence citée au point 103 du présent arrêt, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si lesdites dispositions nationales revêtent un caractère effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes adoptées en application de l’accord-cadre. Il appartiendra, en particulier, à cette juridiction de vérifier si les mêmes dispositions nationales constituent des mesures effectives non
seulement pour éviter l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, mais également pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union.

112 Il ressort des demandes de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi semble avoir, elle-même, des doutes quant à la conformité des dispositions nationales concernées, à savoir la quarante-troisième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour l’année 2018 et la dix-septième disposition additionnelle à l’EBEP introduite par le décret-loi royal 14/2021, avec la clause 5 de l’accord-cadre. Ainsi, premièrement, l’expression « actes irréguliers » ne serait pas
définie et, partant, resterait trop vague pour permettre l’application de sanctions ou l’imputation de responsabilités conformes aux principes de légalité et de certitude. Deuxièmement, ces dispositions nationales ne préciseraient pas les responsabilités susceptibles d’être engagées et se limiteraient à renvoyer à « la réglementation en vigueur dans chacune des administrations publiques », celle-ci ne pouvant être identifiée. Troisièmement, la juridiction de renvoi n’aurait connaissance d’aucune
administration publique dont la responsabilité aurait été engagée pour avoir soit encouragé, soit conclu des contrats à durée déterminée successifs.

113 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, eu égard au cadre juridique national mentionné dans les demandes de décision préjudicielle, le libellé de la quarante-troisième disposition additionnelle de la loi relative au budget de l’État pour l’année 2018 ainsi que celui de la dix-septième disposition additionnelle à l’EBEP semblent être d’un niveau d’ambiguïté et d’abstraction tel qu’il ne les rendent pas comparables au mécanisme italien de responsabilité des administrations, auquel la
Cour se réfère dans l’arrêt du 7 mars 2018, Santoro (C‑494/16, EU:C:2018:166), lequel, en combinaison avec d’autres mesures effectives et dissuasives, avait été jugé, sous réserve des vérifications incombant à la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, de nature à fonder la conformité de la réglementation italienne avec la clause 5 de l’accord-cadre.

114 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux huitièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi qu’à la troisième question posée dans l’affaire C‑159/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des dispositions nationales selon lesquelles les « actes irréguliers » engagent la responsabilité des administrations publiques « conformément à la réglementation en vigueur dans chacune [de ces] administrations
publiques », lorsque ces dispositions nationales ne revêtent pas un caractère effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes adoptées en application de cette clause.

115 Compte tenu de la réponse apportée aux huitièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22, il n’y a pas lieu de statuer sur les neuvièmes questions posées dans les affaires 59/22 et C‑110/22.

Sur les douzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur la sixième question posée dans l’affaire C‑159/22

116 Par les douzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que par la sixième question posée dans l’affaire C‑159/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de pérennisation des emplois temporaires au moyen d’appels à candidatures pour pourvoir les postes occupés par les travailleurs temporaires, dont les
travailleurs à durée indéterminée non permanents.

117 À cet égard, il convient de relever que la Cour a précisé que, bien que l’organisation de procédures de sélection fournisse aux travailleurs ayant été occupés de manière abusive dans le cadre de relations de travail à durée déterminée successives l’occasion de tenter d’accéder à la stabilité de l’emploi, ceux-ci pouvant, en principe, participer à ces procédures, une telle circonstance ne saurait dispenser les États membres du respect de l’obligation de prévoir une mesure adéquate pour
sanctionner dûment le recours abusif aux contrats et aux relations de travail à durée déterminée successifs. En effet, de telles procédures, dont l’issue est de surcroît incertaine, sont, en général, ouvertes également aux candidats qui n’ont pas été victimes d’un tel abus (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 100).

118 Partant, l’organisation de telles procédures étant indépendante de toute considération relative au caractère abusif du recours à des contrats à durée déterminée, elle n’apparaît pas de nature à sanctionner dûment le recours abusif à de telles relations de travail et à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. Elle ne semble donc pas permettre d’atteindre la finalité poursuivie par la clause 5 de l’accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a.,
C‑103/18 et C‑429/18, EU:C:2020:219, point 101).

119 En l’occurrence, il ressort des demandes de décision préjudicielle que, premièrement, par les procédures de pérennisation, le législateur espagnol tente de réduire le recours aux contrats à durée déterminée successifs dans les administrations publiques nationales sans, pour autant, renoncer, dans le cadre de ces procédures, au respect des principes d’égalité, de libre concurrence, de publicité, de mérite et d’aptitude. Deuxièmement, les travailleurs à durée indéterminée non permanents sont
susceptibles de perdre leur emploi s’ils ne réussissent pas les épreuves concernées. Troisièmement, en cas de résiliation du contrat à durée indéterminée non permanent, ces travailleurs auront droit à une indemnité forfaitaire correspondant à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire.

120 Or, conformément aux considérations résultant de la jurisprudence citée aux points 117 et 118 du présent arrêt, lesquelles, compte tenu des éléments du dossier dont dispose la Cour, sont applicables en l’occurrence, l’organisation des procédures de pérennisation prévue dans le droit espagnol, sous réserve de la vérification incombant à la juridiction de renvoi, n’apparaît pas de nature à sanctionner dûment le recours abusif aux relations de travail à durée indéterminée non permanentes
successives et, partant, à effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union.

121 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux douzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi qu’à la sixième question posée dans l’affaire C‑159/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de pérennisation des emplois temporaires au moyen d’appels à candidatures pour pourvoir les postes occupés par les travailleurs temporaires, dont
les travailleurs à durée indéterminée non permanents, lorsque cette organisation est indépendante de toute considération relative au caractère abusif du recours à ces contrats à durée déterminée.

Sur les dixièmes et onzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑159/22

122 Il ressort des demandes de décision préjudicielle que, alors que le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) considère que les principes constitutionnels visés à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 103, paragraphe 3, de la Constitution, selon lesquels l’accès à l’emploi dans la fonction publique respecte les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude, ne s’appliquent pas aux relations de travail contractuelles, la chambre des affaires sociales du Tribunal Supremo (Cour suprême)
applique, quant à elle, ces principes à de telles relations, ce qui rendrait impossible, selon cette dernière juridiction, la qualification de travailleurs n’ayant pas été recrutés sur la base d’une procédure de sélection respectant lesdits principes, de « travailleurs à durée indéterminée » et, partant, aurait rendu nécessaire l’introduction de la notion de « travailleur à durée indéterminée non permanent ». Selon la juridiction de renvoi, il en résulte que la transformation de contrats à durée
déterminée successifs, et, notamment de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, en des contrats à durée indéterminée pourrait être considérée comme étant contraire aux dispositions de la Constitution susmentionnées, telles qu’interprétées par le Tribunal Supremo (Cour suprême).

123 C’est dans ce contexte que, par les dixièmes et onzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que par les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑159/22, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens que, faute d’existence de mesures adéquates dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de
contrats à durée déterminée successifs, y compris de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, ces contrats à durée déterminée devraient être transformés en contrats à durée indéterminée, et ce même si une telle transformation est contraire à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 103, paragraphe 3, de la Constitution, tels qu’interprétés par le Tribunal Supremo (Cour suprême).

124 À cet égard, il découle d’une jurisprudence constante que la clause 5 de l’accord-cadre n’édicte pas une obligation pour les États membres de prévoir la transformation en un contrat à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée, pas plus, comme il est mentionné au point 103 du présent arrêt, qu’elle n’énonce de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient été constatés [arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens),
C‑236/20, EU:C:2022:263, point 60 ainsi que jurisprudence citée].

125 Il convient, par ailleurs, de relever qu’il résulte de la clause 5, point 2, de l’accord-cadre que les États membres disposent de la faculté, au titre des mesures de nature à prévenir le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, de transformer les relations de travail à durée déterminée en relations de travail à durée indéterminée, la stabilité de l’emploi que procurent ces dernières constituant l’élément majeur de la protection des travailleurs (arrêt du 8 mai
2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 39).

126 Il appartient donc aux autorités nationales d’adopter des mesures proportionnées, efficaces et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, lesquelles peuvent prévoir, à cette fin, la transformation de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Toutefois, lorsqu’un recours abusif à des relations de travail à durée déterminée successives a eu lieu, une mesure doit pouvoir être appliquée pour
sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation [arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 61 ainsi que jurisprudence citée].

127 Afin qu’une réglementation nationale, telle que la réglementation espagnole en cause au principal, interprétée par le Tribunal Supremo (Cour suprême), laquelle interdit, dans le secteur public, la transformation en un contrat de travail à durée indéterminée d’une succession de contrats à durée déterminée, tels que les contrats à durée indéterminée non permanents en cause dans les litiges au principal, puisse être considérée comme conforme à l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée,
l’ordre juridique interne de l’État membre concerné doit comporter, dans ledit secteur, une autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 62 ainsi que jurisprudence citée].

128 Il résulte de ce qui précède qu’une réglementation prévoyant une règle impérative selon laquelle, en cas de recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée, tels que les contrats à durée indéterminée non permanents en cause dans les litiges au principal, ces contrats sont transformés en relation de travail à durée indéterminée, est susceptible de comporter une mesure sanctionnant effectivement un tel recours abusif et, partant, doit être considérée comme étant conforme à la clause 5
de l’accord-cadre (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

129 Cela étant, en ce qui concerne la non-conformité d’une telle transformation avec les principes constitutionnels d’égalité, de mérite et d’aptitude, tels qu’interprétés par le Tribunal Supremo (Cour suprême), évoquée par la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler que la Cour a dit pour droit que la clause 5, point 1, de l’accord-cadre n’apparaît pas, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un particulier devant un juge
national. En effet, en vertu de cette disposition, il relève du pouvoir d’appréciation des États membres de recourir, afin de prévenir l’utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée, à une ou à plusieurs des mesures énoncées dans cette clause, ou encore à des mesures légales existantes équivalentes, et ce tout en tenant compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs. En outre, il n’est pas possible de déterminer de façon suffisante la protection
minimale qui devrait, en tout état de cause, être mise en œuvre au titre de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 64 ainsi que jurisprudence citée].

130 Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante que, en appliquant le droit interne, les juridictions nationales sont tenues de l’interpréter dans toute la mesure possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive concernée pour atteindre le résultat visé par celle‑ci et, partant, se conformer à l’article 288, troisième alinéa, TFUE. Cette obligation d’interprétation conforme concerne l’ensemble des dispositions du droit national, tant antérieures que postérieures à cette
directive [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 65 ainsi que jurisprudence citée].

131 L’exigence d’une interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 66 ainsi que jurisprudence citée].

132 Certes, l’obligation, pour le juge national, de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique et de non‑rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18,
EU:C:2021:113, point 67 ainsi que jurisprudence citée].

133 Le principe d’interprétation conforme requiert néanmoins que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui‑ci, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive concernée et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle‑ci [arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée
successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 68 ainsi que jurisprudence citée].

134 En l’occurrence, il appartiendra, dès lors, à la juridiction de renvoi de donner aux dispositions pertinentes du droit interne, dans toute la mesure possible et lorsqu’une utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une interprétation et une application à même de sanctionner dûment cet abus et d’effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union. Dans ce cadre, il incombera à la juridiction de renvoi d’apprécier si les dispositions pertinentes de
la Constitution peuvent, le cas échéant, être interprétées d’une manière conforme à la clause 5 de l’accord-cadre afin de garantir la pleine effectivité de la directive 1999/70 et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle‑ci [voir, par analogie, arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18, EU:C:2021:113, point 69 ainsi que jurisprudence citée].

135 En outre, la Cour a jugé que l’obligation d’interprétation conforme impose aux juridictions nationales de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit interne incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait, notamment, valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette
disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrileño de Investigación y Desarrollo Rural, Agrario y Alimentario, C‑726/19, EU:C:2021:439, point 86 ainsi que jurisprudence citée).

136 Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent, d’une part, que, dans l’hypothèse dans laquelle la juridiction de renvoi devrait considérer que l’ordre juridique interne concerné ne comporte pas, dans le secteur public, de mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, y compris de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, la transformation de ces contrats en une relation de
travail à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure.

137 D’autre part, si, dans une telle hypothèse, la juridiction de renvoi devait, en outre, considérer que la jurisprudence établie du Tribunal Supremo (Cour suprême), à la différence de celle du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle), s’oppose à une telle transformation, cette juridiction devait alors modifier cette jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) si celle-ci repose sur une interprétation des dispositions de la Constitution incompatible avec les objectifs de la directive
1999/70, et, notamment de la clause 5 de l’accord-cadre.

138 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux dixièmes et onzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi qu’aux quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑159/22 que la clause 5 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens que, faute d’existence de mesures adéquates dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée
déterminée successifs, y compris de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, la transformation de ces contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure. Il appartient, le cas échéant, à la juridiction nationale de modifier la jurisprudence nationale établie si celle-ci repose sur une interprétation des dispositions nationales, y compris constitutionnelles, incompatible avec les objectifs de la
directive 1999/70, et, notamment, de ladite clause 5.

Sur les dépens

139 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  1) Les clauses 2 et 3 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,

doivent être interprétées en ce sens que :

un travailleur à durée indéterminée non permanent doit être considéré comme étant un travailleur à durée déterminée, au sens de cet accord-cadre, et, partant, comme relevant du champ d’application de ce dernier.

  2) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

l’expression « utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs », figurant à cette disposition, couvre une situation dans laquelle, faute pour l’administration concernée d’avoir organisé, dans le délai imparti, une procédure de sélection visant à pourvoir, de manière définitive, le poste occupé par un travailleur à durée indéterminée non permanent, le contrat à durée déterminée liant ce travailleur à cette administration a été prorogé de plein droit.

  3) La clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit aucune des mesures visées à cette disposition ni de « mesure légale équivalente », au sens de celle-ci, afin de prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée indéterminée non permanents.

  4) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire, égale à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire, à tout travailleur dont l’employeur a recouru à une utilisation abusive de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, lorsque le versement de cette indemnité de fin de contrat est indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à ces contrats.

  5) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à des dispositions nationales selon lesquelles les « actes irréguliers » engagent la responsabilité des administrations publiques « conformément à la réglementation en vigueur dans chacune [de ces] administrations publiques », lorsque ces dispositions nationales ne revêtent pas un caractère effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes adoptées en application de cette clause.

  6) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de pérennisation des emplois temporaires au moyen d’appels à candidatures pour pourvoir les postes occupés par les travailleurs temporaires, dont les travailleurs à durée indéterminée non permanents, lorsque cette organisation est indépendante de toute considération relative au caractère abusif du recours à ces contrats à durée déterminée.

  7) La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

faute d’existence de mesures adéquates dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, y compris de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, la transformation de ces contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure. Il appartient, le cas échéant, à la juridiction
nationale de modifier la jurisprudence nationale établie si celle-ci repose sur une interprétation des dispositions nationales, y compris constitutionnelles, incompatible avec les objectifs de la directive 1999/70, et, notamment, de ladite clause 5.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-59/22,
Date de la décision : 22/02/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée déterminée dans le secteur public – Agents contractuels à durée indéterminée non permanents – Clauses 2 et 3 – Champ d’application – Notion de “travailleur à durée déterminée” – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats ou aux relations de travail à durée déterminée successifs – Mesures légales équivalentes.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : MP e.a.
Défendeurs : Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Kumin

Origine de la décision
Date de l'import : 24/02/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:149

Source

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