ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
20 février 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Différence de traitement en cas de licenciement – Résiliation d’un contrat de travail à durée déterminée – Absence d’obligation d’indiquer les motifs de résiliation – Contrôle juridictionnel – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑715/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Krakowa – Nowej Huty w Krakowie (tribunal d’arrondissement de Cracovie – Nowa Huta à Cracovie, Pologne), par décision du 11 décembre 2020, parvenue à la Cour le 18 décembre 2020, dans la procédure
K.L.
contre
X sp. z o.o.,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. E. Regan, F. Biltgen, N. Piçarra, présidents de chambre, MM. S. Rodin, P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi, MM. A. Kumin (rapporteur), N. Wahl, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2022,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna, J. Lachowicz et Mme A. Siwek-Ślusarek, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. D. Martin, Mmes D. Recchia et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mars 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), ainsi que sur celle des articles 21 et 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant K.L., un travailleur ayant fait l’objet d’un licenciement, à X sp. z o.o., une société à responsabilité limitée de droit polonais et ancien employeur de K.L., au sujet de la résiliation du contrat de travail à durée déterminée qui liait ce travailleur à cette société.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 1999/70
3 Aux termes du considérant 14 de la directive 1999/70 :
« les parties signataires ont souhaité conclure un accord-cadre sur le travail à durée déterminée énonçant les principes généraux et prescriptions minimales relatifs aux contrats et aux relations de travail à durée déterminée ; elles ont manifesté leur volonté d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en garantissant l’application du principe de non-discrimination et d’établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations de travail ou de contrats à durée
déterminée successifs ».
4 L’article 1er de la directive 1999/70 dispose :
« La présente directive vise à mettre en œuvre l’[accord-cadre]. »
L’accord-cadre
5 Le troisième alinéa du préambule de l’accord-cadre est libellé comme suit :
« Le présent accord énonce les principes généraux et prescriptions minimales relatifs au travail à durée déterminée, reconnaissant que leur application détaillée doit prendre en compte les réalités des situations spécifiques nationales, sectorielles, et saisonnières. Il illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les protégeant contre la discrimination et pour l’utilisation de contrats de
travail à durée déterminée sur une base acceptable pour les employeurs et les travailleurs. »
6 Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet, d’une part, d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination et, d’autre part, d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs.
7 La clause 2, point 1, de cet accord-cadre, intitulée « Champ d’application », prévoit :
« Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre. »
8 La clause 3 dudit accord-cadre est ainsi libellée :
« Aux termes du présent accord, on entend par :
1. “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;
2. “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à durée indéterminée comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à
la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales. »
9 La clause 4, point 1, du même accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », dispose :
« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. »
Le droit polonais
10 Conformément à l’article 8 de l’ustawa – Kodeks pracy (loi instituant un code du travail), du 26 juin 1974 (Dz. U. no 24, position 141), dans sa version applicable au litige au principal (Dz. U. de 2020, position 1320, telle que modifiée) (ci-après le « code du travail »), un droit ne peut être exercé en contradiction avec sa finalité socio-économique ou en méconnaissance des principes de la vie en société.
11 L’article 183a, paragraphes 1 et 2, du code du travail énonce :
« 1. Les travailleurs doivent être traités de la même manière en matière de conclusion et de rupture de la relation de travail, de conditions d’emploi, de promotion et d’accès à la formation en vue du développement des qualifications professionnelles, sans considération notamment du sexe, de l’âge, du handicap, de la race, de la religion, de la nationalité, des convictions politiques, de l’appartenance à un syndicat, de l’origine ethnique, de la confession, de l’orientation sexuelle, et sans
considération du fait que l’emploi est à durée déterminée ou indéterminée, à plein temps ou à temps partiel.
2. On entend par égalité de traitement en matière d’emploi l’absence de toute discrimination, directe ou indirecte, fondée sur les motifs visés au paragraphe 1. »
12 L’article 183b, paragraphe 1, du code du travail dispose :
« Est considérée comme une violation du principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi, sous réserve des paragraphes 2 à 4, la distinction opérée par l’employeur au sujet de la situation d’un travailleur pour l’un ou plusieurs des motifs visés à l’article 183a, paragraphe 1, ayant notamment pour effet :
1) le refus de conclure la relation de travail ou la rupture de celle-ci,
2) la fixation de conditions de rémunération ou d’autres conditions d’emploi désavantageuses ou l’omission d’une promotion ou de l’octroi d’autres prestations liées au travail,
3) [...]
– à moins que l’employeur ne démontre qu’il s’est fondé sur des raisons objectives.
[...] »
13 L’article 30 du code du travail prévoit :
« 1. La résiliation d’un contrat de travail a lieu :
1) d’un commun accord entre les parties ;
2) à la suite d’une déclaration de l’une des parties, moyennant un délai de préavis (résiliation du contrat de travail avec préavis) ;
3) à la suite d’une déclaration de l’une des parties sans préavis (résiliation du contrat de travail sans préavis) ;
4) à l’expiration du délai pour lequel le contrat de travail a été conclu.
[...]
3. La déclaration de chaque partie concernant la résiliation d’un contrat de travail avec ou sans préavis doit être faite par écrit.
4. La déclaration de l’employeur concernant la résiliation avec préavis d’un contrat à durée indéterminée ou la rupture d’un contrat de travail sans préavis doit indiquer le motif qui la justifie. »
14 L’article 44 du code du travail dispose :
« Le travailleur peut introduire un recours contre la résiliation du contrat de travail auprès du tribunal du travail [...] »
15 L’article 45, paragraphe 1, du code du travail énonce :
« S’il est établi que la résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée est injustifiée ou qu’elle est contraire aux dispositions relatives à la résiliation des contrats de travail, le tribunal du travail prononce, à la demande du travailleur, la nullité de la résiliation ou, si ce contrat de travail a déjà été résilié, la réintégration du travailleur dans son emploi aux conditions antérieures, ou l’indemnisation de celui-ci. »
16 L’article 50, paragraphe 3, du code du travail prévoit :
« Si un contrat de travail à durée déterminée est résilié en violation des dispositions relatives à la résiliation d’un tel contrat, le travailleur a droit uniquement au versement d’une indemnité. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 K.L. et X ont conclu un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel pour la période allant du 1er novembre 2019 au 31 juillet 2022.
18 Le 15 juillet 2020, X a notifié à K.L., qui est le requérant au principal, une déclaration de résiliation de ce contrat de travail en respectant un délai de préavis d’un mois. Cette résiliation a ainsi pris effet le 31 août 2020, sans toutefois que les motifs de celle-ci aient été communiqués à K.L.
19 À la suite de son licenciement, K.L. a saisi le Sąd Rejonowy dla Krakowa – Nowej Huty w Krakowie (tribunal d’arrondissement de Cracovie – Nowa Huta à Cracovie, Pologne), qui est la juridiction de renvoi, d’une demande d’indemnisation sur le fondement de l’article 50, paragraphe 3, du code du travail, soulevant le caractère illicite de son licenciement.
20 Dans cette demande, K.L. a fait valoir que, d’une part, la déclaration de X comportait des erreurs formelles entraînant une irrégularité donnant droit à indemnisation, en vertu de l’article 50, paragraphe 3, du code du travail. D’autre part, il a soutenu que, même si le code du travail n’impose pas aux employeurs l’obligation d’indiquer les motifs de résiliation en cas de résiliation de contrats de travail conclus pour une durée déterminée, l’absence d’une telle indication a violé le principe de
non-discrimination consacré en droit de l’Union ainsi qu’en droit polonais, au motif que cette obligation existe en cas de résiliation de contrats de travail conclus pour une durée indéterminée.
21 X, en revanche, a invoqué qu’il avait procédé au licenciement du requérant au principal conformément aux dispositions du droit du travail polonais en vigueur, ce que ce requérant ne contesterait pas.
22 La juridiction de renvoi confirme, dans la demande de décision préjudicielle, que, en droit polonais, en cas de recours d’un travailleur contre la résiliation de son contrat de travail à durée déterminée, le juge compétent n’examine pas le motif de licenciement et le travailleur concerné n’a droit à aucune indemnisation en raison de l’absence de justification de ce licenciement. Un tel travailleur serait ainsi privé de la protection découlant de l’article 30 de la Charte, aux termes duquel
« [t]out travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».
23 La juridiction de renvoi fait observer à cet égard que, au cours de l’année 2008, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) a rendu un arrêt qui portait sur la conformité à la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne), du 2 avril 1997 (Dz. U. de 1997, no 78, position 483) (ci-après la « Constitution »), de l’article 30, paragraphe 4, du code du travail, compte tenu des différences prévues à cette disposition en termes d’exigences en matière
de résiliation, selon le type de contrat de travail concerné.
24 Dans cet arrêt, cette juridiction constitutionnelle aurait jugé que l’article 30, paragraphe 4, du code du travail, en tant qu’il ne prévoit pas l’obligation d’indiquer le motif de la résiliation dans la déclaration de l’employeur concernant la résiliation d’un contrat de travail à durée déterminée, et l’article 50, paragraphe 3, de ce code, en tant qu’il ne prévoit pas le droit du travailleur à une indemnisation pour résiliation injustifiée d’un tel contrat de travail, sont compatibles avec
l’article 2 de la Constitution, consacrant le principe de l’État de droit démocratique, ainsi qu’avec l’article 32 de celle-ci, qui prévoit le principe d’égalité devant la loi et qui interdit la discrimination dans la vie politique, sociale ou économique pour une raison quelconque.
25 Le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) aurait conclu que rien ne permettait non plus de considérer que la différenciation instaurée, fondée sur la caractéristique de la durée de l’emploi, n’était pas opérée selon un critère pertinent, au sens de l’article 32 de la Constitution.
26 La juridiction de renvoi expose dans ce contexte que, dans un arrêt rendu au cours de l’année 2019, le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a, en revanche, émis des doutes quant à la mise en œuvre correcte de la clause 4 de l’accord-cadre en droit polonais et, par conséquent, quant à la conformité des dispositions pertinentes du code du travail avec le droit de l’Union. Cela étant, cette juridiction suprême aurait indiqué qu’une entité qui ne constitue pas une émanation de l’État, telle qu’un
employeur privé, ne saurait être tenue de répondre de l’illégalité tenant à la transposition incorrecte de la directive 1999/70 dans le droit interne. Ladite juridiction suprême n’aurait donc pas pu écarter l’application de l’article 30, paragraphe 4, du code du travail dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, dans la mesure où même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver
application dans le cadre d’un litige opposant exclusivement des particuliers.
27 La juridiction de renvoi ajoute que, dans ce contexte, il convient de prendre en considération notamment les arrêts du 22 janvier 2019, Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43), et du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278). Elle précise, à cet égard, que les critères dont l’application est interdite aux fins d’une distinction entre travailleurs, lesquels critères ont fait l’objet de ces deux arrêts, à savoir la religion dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 janvier 2019,
Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2019:43), et l’âge, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 avril 2016, DI (C‑441/14, EU:C:2016:278), sont expressément mentionnés à l’article 21 de la Charte, alors qu’une relation d’emploi dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée ne figure pas parmi les critères mentionnés à cette disposition. Toutefois, la juridiction de renvoi observe que l’article 21, paragraphe 1, de la Charte énonce l’interdiction de toute discrimination, la
liste des critères qu’il mentionne n’étant pas exhaustive, ainsi qu’en attesterait l’emploi de l’adverbe « notamment » à cette disposition.
28 Enfin, la juridiction de renvoi estime que, si la Cour de justice interprète l’accord-cadre en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal sans clarifier la question de l’effet direct horizontal de la réglementation de l’Union européenne dont l’interprétation est demandée, deux régimes distincts de résiliation des contrats à durée déterminée s’appliqueraient en droit polonais selon que l’employeur constitue ou non une émanation de l’État.
29 C’est dans ces conditions que le Sąd Rejonowy dla Krakowa – Nowej Huty w Krakowie (tribunal d’arrondissement de Cracovie – Nowa Huta à Cracovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 1er de la directive [1999/70] ainsi que les clauses 1 et 4 [de l’accord-cadre] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit l’obligation pour l’employeur de motiver par écrit sa décision de résiliation d’un contrat de travail uniquement lorsqu’il s’agit de contrats de travail à durée indéterminée et qui, de ce fait, soumet la légitimité du motif de résiliation des contrats à durée indéterminée au contrôle juridictionnel, sans
qu’elle prévoie en parallèle une telle obligation d’indiquer les motifs de la résiliation pour l’employeur dans le cas des contrats de travail à durée déterminée (par conséquent, seule la question de la conformité de la résiliation avec les dispositions relatives à la résiliation des contrats est soumise au contrôle juridictionnel) ?
2) La clause 4 de l’[accord-cadre] et le principe général du droit de l’Union de non-discrimination (article 21 de la [Charte]) sont-ils susceptibles d’être invoqués par les parties dans un litige opposant des particuliers et, par conséquent, ces dispositions ont-elles un effet horizontal ? »
Sur les questions préjudicielles
30 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en
se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union
qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 5 décembre 2023, Nordic Info, C-128/22, EU:C:2023:951, point 99 et jurisprudence citée).
31 En l’occurrence, eu égard à l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi et aux observations présentées par le gouvernement polonais ainsi que par la Commission européenne, il y a lieu, en vue de fournir à la juridiction de renvoi des éléments d’interprétation utiles, de reformuler les questions posées.
32 Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la demande d’interprétation de l’article 21 de la Charte, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle un employeur n’est pas tenu de motiver par écrit la résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée déterminée alors
qu’il est tenu à une telle obligation en cas de résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée, et si cette clause est susceptible d’être invoquée dans le cadre d’un litige opposant des particuliers.
33 En premier lieu, il convient de rappeler que l’accord-cadre trouve à s’appliquer à l’ensemble des travailleurs fournissant des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation de travail à durée déterminée les liant à leur employeur (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Comunidad de Castilla y León, C‑192/21, EU:C:2022:513, point 26 ainsi que jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, il est constant que le requérant au principal, dans le cadre de sa relation de travail avec X, était considéré comme étant un travailleur engagé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, au sens de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre, lue en combinaison avec la clause 3, point 1, de celui-ci, de sorte que le litige au principal relève du champ d’application de cet accord-cadre.
35 En deuxième lieu, l’interdiction d’un traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée par rapport à celui réservé aux travailleurs à durée indéterminée, visée à la clause 4 de l’accord-cadre, concerne les conditions d’emploi des travailleurs. Il convient ainsi de déterminer si la réglementation en cause au principal, dans la mesure où elle régit la résiliation d’un contrat de travail, relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord-cadre.
36 Il découle du libellé et de l’objectif de cette clause que celle-ci a trait non pas au choix même de conclure des contrats de travail à durée déterminée au lieu de contrats de travail à durée indéterminée, mais aux conditions d’emploi des travailleurs ayant conclu le premier type de contrat par rapport à celles des travailleurs employés en vertu du second type de contrat (arrêt du 8 octobre 2020, Universitatea Lucian Blaga Sibiu e.a., C‑644/19, EU:C:2020:810, point 39 ainsi que jurisprudence
citée).
37 À cet égard, le critère décisif pour déterminer si une mesure relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord‑cadre, est précisément celui de l’emploi, à savoir la relation de travail établie entre un travailleur et son employeur [ordonnance du 18 mai 2022, Ministero dell’istruzione (Carte électronique), C‑450/21, EU:C:2022:411, point 33 et jurisprudence citée].
38 La Cour a ainsi considéré que relèvent de cette notion, notamment, la protection accordée à un travailleur en cas de licenciement illicite (arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 52 et jurisprudence citée), ainsi que les règles relatives à la détermination du délai de préavis applicable en cas de résiliation des contrats de travail à durée déterminée, de même que celles relatives à l’indemnité allouée à un travailleur en raison de la résiliation de son contrat de
travail le liant à son employeur, une telle indemnité étant versée en raison de la relation de travail qui s’est nouée entre ceux-ci (arrêt du 25 juillet 2018, Vernaza Ayovi, C‑96/17, EU:C:2018:603, point 28 et jurisprudence citée).
39 En effet, une interprétation de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre qui exclurait de la définition de la notion de « conditions d’emploi » les conditions de résiliation d’un contrat de travail à durée déterminée reviendrait à réduire, au mépris de l’objectif assigné à cette disposition, le champ d’application de la protection accordée aux travailleurs à durée déterminée contre le traitement moins favorable (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Vernaza Ayovi, C‑96/17, EU:C:2018:603,
point 29 et jurisprudence citée).
40 À la lumière de cette jurisprudence, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal relève donc de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. En effet, cette réglementation prévoit le régime de résiliation d’un contrat de travail en cas de licenciement, ce régime ayant pour raison d’être la relation de travail qui s’est nouée entre un travailleur et son employeur.
41 En troisième lieu, il convient de rappeler que, aux termes de la clause 1, sous a), de l’accord-cadre, l’un des objectifs de celui-ci est d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination. De même, à son troisième alinéa, le préambule de l’accord-cadre précise que celui-ci « illustre la volonté des partenaires sociaux d’établir un cadre général pour assurer l’égalité de traitement pour les travailleurs à durée déterminée en les
protégeant contre la discrimination ». Le considérant 14 de la directive 1999/70 indique à cet effet que l’objectif de l’accord-cadre consiste, notamment, à améliorer la qualité du travail à durée déterminée en fixant des prescriptions minimales de nature à garantir l’application du principe de non-discrimination (arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 48 et jurisprudence citée).
42 L’accord-cadre, en particulier sa clause 4, vise à faire application du principe de non-discrimination aux travailleurs à durée déterminée en vue d’empêcher qu’une relation de travail de cette nature ne soit utilisée par un employeur pour priver ces travailleurs de droits qui sont reconnus aux travailleurs à durée indéterminée (arrêt du 3 juin 2021, Servicio Aragonés de Salud, C‑942/19, EU:C:2021:440, point 34 et jurisprudence citée).
43 En outre, l’interdiction de discrimination énoncée à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre n’est que l’expression spécifique du principe général d’égalité qui relève des principes fondamentaux du droit de l’Union (arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, C‑660/20, EU:C:2023:789, point 37 et jurisprudence citée).
44 Eu égard à ces objectifs, cette clause doit être comprise comme étant l’expression d’un principe fondamental du droit social de l’Union qui ne saurait être interprété de manière restrictive (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, C‑660/20, EU:C:2023:789, point 38 et jurisprudence citée).
45 Conformément à l’objectif d’élimination des discriminations entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, ladite clause, qui a un effet direct, énonce, à son point 1, une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par
des « raisons objectives » (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, points 56 et 64, ainsi que du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 42).
46 Plus concrètement, il convient d’examiner si la réglementation en cause au principal conduit, en ce qui concerne ce régime de résiliation, à une différence de traitement constitutive d’un traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée par rapport aux travailleurs à durée indéterminée comparables, avant de déterminer, le cas échéant, si une telle différence de traitement est susceptible d’être justifiée par des « raisons objectives ».
47 S’agissant, premièrement, de la comparabilité des situations concernées, pour apprécier si les personnes intéressées exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord-cadre, il y a lieu, conformément à la clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de celui-ci, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions d’emploi, ces personnes peuvent être considérées comme se trouvant dans une situation
comparable [arrêts du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 48 ainsi que jurisprudence citée, et du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 51 ainsi que jurisprudence citée].
48 Or, eu égard au caractère général de la réglementation en cause au principal, qui régit l’information des travailleurs dont le contrat de travail est résilié quant aux motifs justifiant cette résiliation, il apparaît que cette réglementation s’applique à des travailleurs engagés dans le cadre d’un contrat à durée déterminée susceptibles d’être comparables à des travailleurs employés dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.
49 Il appartiendra à la juridiction de renvoi, laquelle est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si le requérant au principal se trouvait dans une situation comparable à celle de travailleurs engagés pour une durée indéterminée par X au cours de la même période (voir, par analogie, arrêts du 14 septembre 2016, de Diego Porras, C‑596/14, EU:C:2016:683, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 mars 2021, Consulmarketing, C‑652/19, EU:C:2021:208, point 54).
50 S’agissant, deuxièmement, de l’existence d’un traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée par rapport à celui dont bénéficient les travailleurs à durée indéterminée, il est constant que, dans le cas d’une résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée déterminée, l’employeur n’est pas tenu de communiquer d’emblée au travailleur, par écrit, le ou les motifs justifiant celle-ci, alors qu’il y est tenu dans le cas d’une résiliation avec préavis d’un contrat de travail à
durée indéterminée.
51 Il convient de constater à cet égard que, d’une part, l’existence d’un traitement moins favorable, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, s’apprécie objectivement. Or, dans une situation telle que celle en cause au principal, un travailleur à durée déterminée dont le contrat de travail est résilié avec préavis, dès lors qu’il n’est pas informé, contrairement à un travailleur à durée indéterminée dont le contrat de travail est résilié, du ou des motifs de ce licenciement, est privé
d’une information importante pour apprécier le caractère injustifié du licenciement et envisager une éventuelle saisine d’un tribunal. Il existe ainsi une différence de traitement entre ces deux catégories de travailleurs, au sens de cette disposition.
52 D’autre part, tant la juridiction de renvoi que le gouvernement polonais suggèrent que l’absence d’exigence d’une telle information n’exclut pas la faculté qu’aurait le travailleur concerné de saisir le tribunal du travail compétent, afin que celui-ci soit en mesure de vérifier si le licenciement concerné est éventuellement discriminatoire ou constitue un abus de droit en raison de son incompatibilité avec la finalité socio-économique du droit concerné ou d’une méconnaissance des principes de la
vie en société, au sens de l’article 8 du code du travail.
53 Or, il y a lieu de relever qu’une telle situation est susceptible d’engendrer des conséquences défavorables pour un travailleur à durée déterminée dans la mesure où ce travailleur, à supposer même que le contrôle juridictionnel du bien-fondé des motifs de résiliation de son contrat de travail soit garanti et qu’une protection juridictionnelle effective de l’intéressé soit ainsi assurée, ne dispose pas, en amont, d’une information pouvant être déterminante aux fins du choix d’engager ou non une
action en justice contre la résiliation de son contrat de travail.
54 Ainsi, si le travailleur concerné a un doute quant à la légitimité du motif de son licenciement, il n’a d’autre choix, en l’absence de communication volontaire de ce motif par l’employeur, que de saisir le tribunal du travail compétent d’un recours tendant à contester ce licenciement. Ce n’est que dans le cadre de ce recours que ce travailleur peut obtenir que ce tribunal ordonne à son employeur de communiquer le ou les motifs concernés, sans pouvoir apprécier a priori les chances de succès dudit
recours. Or, selon les explications données par la République de Pologne lors de l’audience, ledit travailleur est tenu d’étayer prima facie, dans ce recours, son argumentation tendant à démontrer le caractère discriminatoire ou abusif du licenciement dont il a fait l’objet, et ce en dépit du fait qu’il n’en connaît pas les motifs. À cela s’ajoute que, quand bien même le dépôt d’un tel recours, par un travailleur à durée déterminée, devant ce tribunal du travail serait gratuit, conformément à ce
qu’a également indiqué la République de Pologne lors de l’audience, la préparation et le suivi de la procédure relative à l’examen de celui-ci sont susceptibles d’entraîner des coûts pour ledit travailleur, voire des dépens à supporter en cas d’échec de ce recours.
55 Enfin, il convient de rappeler dans ce contexte qu’un contrat à durée déterminée cesse de produire ses effets pour l’avenir à l’échéance du terme qui lui est assigné, ce terme pouvant être constitué notamment, comme en l’occurrence, par l’atteinte d’une date précise. Ainsi, les parties à un contrat de travail à durée déterminée connaissent, dès sa conclusion, la date qui en détermine le terme. Ce terme limite la durée de la relation de travail, sans que les parties aient à manifester leur volonté
à cet égard après la conclusion de ce contrat de travail (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 57). La résiliation anticipée d’un tel contrat de travail, à l’initiative de l’employeur, résultant de la survenance de circonstances qui n’étaient pas prévues à la date de la conclusion de celui-ci et qui viennent ainsi bouleverser le déroulement normal de la relation de travail, est en ce sens, de par son caractère imprévu, susceptible d’affecter un travailleur à
durée déterminée à tout le moins autant que la résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée pour le travailleur correspondant.
56 Il s’ensuit que, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal institue une différence de traitement impliquant un traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée par rapport aux travailleurs à durée indéterminée, découlant de la circonstance que ces derniers ne se voient pas appliquer la limitation en cause concernant l’information relative aux motifs justifiant le
licenciement.
57 Troisièmement, sous réserve de la vérification que la juridiction de renvoi est invitée à effectuer au point 49 du présent arrêt, il convient encore de déterminer si la différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée comparables, faisant l’objet des doutes de la juridiction de renvoi, est susceptible d’être justifiée par des « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.
58 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, ne saurait être comprise comme permettant de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette différence est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle qu’une loi ou une convention collective (voir, en ce sens, arrêt du
19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, C‑660/20, EU:C:2023:789, point 57 et jurisprudence citée).
59 Au contraire, cette notion requiert que la différence de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi concernée, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette différence de traitement répond à un besoin véritable, est de nature à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet. Ces éléments peuvent résulter, notamment,
de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre (arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, C‑660/20, EU:C:2023:789, point 58 et jurisprudence citée).
60 En l’occurrence, le gouvernement polonais, se fondant sur le raisonnement suivi par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) dans l’arrêt mentionné aux points 23 à 25 du présent arrêt, invoque la différence entre la fonction sociale et économique d’un contrat de travail à durée déterminée et celle d’un contrat à durée indéterminée.
61 Selon le gouvernement polonais, la distinction opérée dans le droit polonais en ce qui concerne l’exigence de motivation, selon qu’il s’agit de la résiliation d’un contrat à durée indéterminée ou de celle d’un contrat à durée déterminée, s’inscrit dans la poursuite de l’objectif légitime d’une « politique sociale nationale visant le plein emploi productif ». La poursuite de cet objectif nécessiterait une grande flexibilité du marché du travail. Or, le contrat de travail à durée déterminée
contribuerait à cette flexibilité, d’une part, en donnant à un plus grand nombre de personnes une chance d’embauche tout en prévoyant une protection appropriée des travailleurs concernés et, d’autre part, en permettant aux employeurs de répondre à leurs besoins en cas d’accroissement de leur activité, sans pour autant être liés au travailleur concerné de manière permanente.
62 Le gouvernement polonais souligne ainsi que garantir aux travailleurs à durée déterminée le même niveau de protection que celui dont bénéficient les travailleurs à durée indéterminée contre la résiliation d’un contrat de travail avec préavis compromettrait la réalisation dudit objectif. Cela aurait été confirmé par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) lorsqu’il a déclaré qu’une telle différence de régimes était légitime au regard des articles 2 et 32 de la Constitution, lesquels
consacrent, respectivement, le principe de l’État de droit démocratique et les principes d’égalité devant la loi ainsi que d’interdiction de la discrimination dans la vie politique, sociale ou économique.
63 Or, il convient de constater que les éléments invoqués par le gouvernement polonais afin de justifier la réglementation en cause au principal ne sont pas des éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi concernée, ainsi que l’exige la jurisprudence rappelée aux points 58 et 59 du présent arrêt, mais s’apparentent plutôt à un critère qui, de manière générale et abstraite, fait référence exclusivement à la durée même de l’emploi. Ces éléments ne permettent donc pas de s’assurer
que la différence de traitement en cause au principal répondrait à un besoin véritable, au sens de ladite jurisprudence.
64 À cet égard, admettre que la seule nature temporaire d’une relation de travail suffit pour justifier une différence de traitement entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée viderait de leur substance les objectifs de l’accord-cadre et reviendrait à pérenniser une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens), C‑658/18, EU:C:2020:572,
point 152 et jurisprudence citée].
65 En tout état de cause, en vertu de la jurisprudence mentionnée aux points 58 et 59 du présent arrêt, outre qu’une telle différence de traitement doit répondre à un besoin véritable, elle doit être de nature à permettre d’atteindre l’objectif poursuivi et être nécessaire à cet effet. En outre, cet objectif doit être poursuivi de manière cohérente et systématique, en conformité avec les exigences de ladite jurisprudence (arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, C‑660/20, EU:C:2023:789,
point 62 et jurisprudence citée).
66 Or, la réglementation en cause au principal n’apparaît pas comme étant nécessaire au regard de l’objectif invoqué par le gouvernement polonais.
67 En effet, quand bien même les employeurs se verraient obligés d’indiquer les raisons de la résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée, ceux-ci ne seraient pas, de ce fait, privés de la flexibilité inhérente à cette forme de contrat de travail, qui est susceptible de contribuer au plein emploi sur le marché de travail. Il convient de souligner à cet égard que la condition d’emploi concernée n’a pas trait à la faculté même qu’a un employeur de résilier un contrat de travail à durée
déterminée avec préavis mais à la communication au travailleur, par écrit, du ou des motifs justifiant son licenciement, si bien qu’il ne saurait être considéré que cette condition puisse être de nature à altérer sensiblement cette flexibilité.
68 S’agissant de la question de savoir si une juridiction nationale a l’obligation, dans le cadre d’un litige opposant des particuliers, de laisser inappliquée une disposition nationale qui est contraire à la clause 4 de l’accord-cadre, il y a lieu de rappeler que, lorsque les juridictions nationales doivent trancher un tel litige, dans le cadre duquel il apparaît que la réglementation nationale concernée est contraire au droit de l’Union, il incombe à ces juridictions d’assurer la protection
juridictionnelle découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci (arrêt du 7 août 2018, Smith, C‑122/17, EU:C:2018:631, point 37 et jurisprudence citée).
69 Plus précisément, la Cour a itérativement jugé qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées aux fins de transposer les obligations prévues par une directive, de prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit interne et de les interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution
conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 27 et jurisprudence citée).
70 Cependant, le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut servir de fondement à une interprétation contra legem de ce droit interne (arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 28 et jurisprudence citée).
71 Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si la disposition nationale en cause au principal, à savoir l’article 30, paragraphe 4, du code du travail, se prête à une interprétation conforme à la clause 4 de l’accord-cadre.
72 Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à une interprétation d’une disposition nationale qui serait conforme aux exigences du droit de l’Union, le principe de primauté de ce dernier exige que le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions de ce droit, écarte l’application de toute disposition du droit national contraire aux dispositions du droit de l’Union ayant un effet direct.
73 Toutefois, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations à l’égard d’un particulier, et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre lui devant une juridiction nationale. En effet, en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, le caractère contraignant d’une directive, sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci, n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire », l’Union n’ayant le pouvoir d’édicter, de
manière générale et abstraite, avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements. Partant, même claire, précise et inconditionnelle, une disposition d’une directive ne permet pas au juge national d’écarter une disposition de son droit interne qui y est contraire, si, ce faisant, une obligation supplémentaire venait à être imposée à un particulier (arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 65
à 67, ainsi que du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 32 et jurisprudence citée).
74 Ainsi, une juridiction nationale n’est pas tenue, sur le seul fondement du droit de l’Union, de laisser inappliquée une disposition de son droit interne contraire à une disposition du droit de l’Union si cette dernière disposition est dépourvue d’effet direct, sans préjudice toutefois de la possibilité, pour cette juridiction, ainsi que pour toute autorité administrative nationale compétente, d’écarter, sur le fondement de ce droit interne, toute disposition de ce dernier contraire à une
disposition du droit de l’Union dépourvue d’un tel effet (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C‑261/20, EU:C:2022:33, point 33).
75 La Cour a certes reconnu l’effet direct de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, jugeant que, du point de vue de son contenu, cette disposition apparaît inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un particulier devant un juge national à l’encontre de l’État au sens large (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Impact, C-268/06, EU:C:2008:223, point 68, et du 12 décembre 2013, Carratù, C‑361/12, EU:C:2013:830, point 28 ; voir, également, arrêt du 10 octobre
2017, Farrell, C‑413/15, EU:C:2017:745, points 33 à 35 et jurisprudence citée).
76 Néanmoins, en l’occurrence, le litige au principal opposant des particuliers, le droit de l’Union ne saurait imposer à la juridiction nationale de laisser inappliqué l’article 30, paragraphe 4, du code du travail sur le seul fondement du constat selon lequel cette disposition est contraire à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.
77 Cela étant, lorsqu’il adopte une réglementation précisant et concrétisant les conditions d’emploi qui sont notamment régies par la clause 4 de l’accord-cadre, un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, et doit ainsi garantir le respect, notamment, du droit à un recours effectif, consacré à l’article 47 de celle-ci [voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en
matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée].
78 Or, il résulte de ce qui a été exposé aux points 47 à 56 du présent arrêt que la réglementation nationale en cause au principal prévoyant qu’un travailleur à durée déterminée dont le contrat de travail est résilié avec préavis, n’est pas d’emblée informé par écrit du ou des motifs de ce licenciement, et ce contrairement à un travailleur à durée indéterminée, limite l’accès pour un tel travailleur à durée déterminée à un recours en justice, dont la garantie est notamment consacrée à l’article 47
de la Charte. En effet, ce travailleur est, de cette façon, privé d’une information importante pour apprécier l’éventuel caractère injustifié de son licenciement et, le cas échéant, pour préparer un recours juridictionnel visant à contester celui-ci.
79 Au vu de ces considérations, force est de constater que la différence de traitement qu’instaure le droit national applicable telle que constatée au point 56 du présent arrêt porte atteinte au droit fondamental à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, dès lors que le travailleur à durée déterminée se voit privé de la possibilité, dont bénéficie pourtant le travailleur à durée indéterminée, d’évaluer au préalable s’il convient d’agir en justice contre la décision de résiliation
de son contrat de travail et, le cas échéant, de former un recours contestant de manière précise les motifs d’une telle résiliation. Au demeurant, compte tenu de ce qui a été exposé aux points 60 à 67 du présent arrêt, les éléments invoqués par le gouvernement polonais ne sont pas de nature à justifier une telle limitation de ce droit, en application de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
80 Or, la Cour a précisé que l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78).
81 Partant, dans l’hypothèse visée au point 76 du présent arrêt, la juridiction nationale serait tenue d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridictionnelle découlant pour les justiciables de l’article 47 de la Charte, lu en combinaison avec la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, en ce qui concerne le droit à un recours effectif, lequel comprend l’accès à la justice, et donc de laisser inappliqué l’article 30, paragraphe 4, du code du travail dans la mesure nécessaire afin de
garantir le plein effet de cette disposition de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 79, ainsi que du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 57].
82 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle un employeur n’est pas tenu de motiver par écrit la résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée déterminée alors qu’il est tenu à une telle obligation en cas de résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée. La juridiction nationale, saisie d’un
litige opposant des particuliers, est tenue, lorsqu’il ne lui est pas possible d’interpréter le droit national applicable de manière conforme à cette clause, d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridictionnelle découlant pour les justiciables de l’article 47 de la Charte et de garantir le plein effet de cet article en laissant, dans la mesure nécessaire, inappliquée toute disposition nationale contraire.
Sur les dépens
83 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,
doit être interprétée en ce sens que :
elle s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle un employeur n’est pas tenu de motiver par écrit la résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée déterminée alors qu’il est tenu à une telle obligation en cas de résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée. La juridiction nationale, saisie d’un litige opposant des particuliers, est tenue, lorsqu’il ne lui est pas possible d’interpréter le droit national applicable de manière conforme à cette clause, d’assurer,
dans le cadre de ses compétences, la protection juridictionnelle découlant pour les justiciables de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de cet article en laissant, dans la mesure nécessaire, inappliquée toute disposition nationale contraire.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.