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09/01/2024 | CJUE | N°C-181/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, G. e.a. contre M.S. et X., 09/01/2024, C-181/21


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

9 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Possibilité pour la juridiction de renvoi de prendre en considération l’arrêt préjudiciel de la Cour – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Indépendance des juges – Conditions de nomination des juges de droit commun – Possibilité de remettre en cause une ordonnance ayant définitivement statué sur une demande d’octroi de mesures conservatoires – Possibilité d’é

carter un juge d’une formation de
jugement – Irrecevabilité des demandes de décision préjudicielle »

Dan...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

9 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Possibilité pour la juridiction de renvoi de prendre en considération l’arrêt préjudiciel de la Cour – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Indépendance des juges – Conditions de nomination des juges de droit commun – Possibilité de remettre en cause une ordonnance ayant définitivement statué sur une demande d’octroi de mesures conservatoires – Possibilité d’écarter un juge d’une formation de
jugement – Irrecevabilité des demandes de décision préjudicielle »

Dans les affaires jointes C‑181/21 et C‑269/21,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice, Pologne) et par le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), par décisions du 18 mars 2021 et du 31 mars 2021, parvenues à la Cour respectivement le 23 mars 2021 et le 27 avril 2021, dans les procédures

G.

contre

M.S. (C‑181/21),

en présence de :

Rzecznik Praw Obywatelskich,

Prokuratura Okręgowa w Katowicach,

et

BC,

DC

contre

X (C‑269/21),

en présence de :

Rzecznik Praw Obywatelskich,

Prokuratura Okręgowa w Krakowie,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. E. Regan, N. Piçarra, Z. Csehi et Mme O. Spineanu–Matei, présidents de chambre, M. M. Ilešič, Mme L. S. Rossi, MM. I. Jarukaitis (rapporteur), A. Kumin, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 juin 2022,

considérant les observations présentées :

– pour la Prokuratura Okręgowa w Katowicach et la Prokuratura Okręgowa w Krakowie, par MM. R. Babiński, S. Bańko, A. Reczka, B. Szyprowski et Mme E. Tkaczewska-Kuk,

– pour le Rzecznik Praw Obywatelskich, par MM. M. Taborowski, V. Vachev et M. Wróblewski,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, Mmes K. Straś et S. Żyrek, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement danois, par Mmes J. F. Kronborg et V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. A. M. de Ree et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 6, paragraphes 1 à 3, ainsi que de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Ces demandes ont été présentées, dans l’affaire C‑181/21, dans le cadre d’un litige opposant une société privée à un consommateur au sujet d’une créance résultant d’un contrat de crédit, et, dans l’affaire C‑269/21, dans le cadre d’un litige opposant des consommateurs à une banque au sujet d’une créance et d’une demande d’annulation d’un contrat de crédit libellé en devises étrangères.

Le cadre juridique

La Constitution

3 En vertu de l’article 179 de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne, ci-après la « Constitution ») :

« Les juges sont nommés par le président de la République, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa [(Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la “KRS”)], pour une durée indéterminée. »

4 Aux termes de l’article 186, paragraphe 1, de la Constitution :

« La [KRS] est la gardienne de l’indépendance des juridictions et des juges. »

5 L’article 187 de la Constitution dispose :

« 1.   La [KRS] est composée :

1) du premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne)], du ministre de la Justice, du président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)] et d’une personne désignée par le président de la République,

2) de quinze membres élus parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,

3) de quatre membres élus par [le Sejm (Diète, Pologne)] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.

[...]

3.   Le mandat des membres élus [de la KRS] est de quatre ans.

4.   Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail [de la KRS] et le mode d’élection de ses membres sont définis par la loi. »

La loi sur les juridictions de droit commun

6 En vertu de l’article 3 de l’ustawa Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. no 98, position 1070), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi sur les juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (Dz. U. de 2020, position 190), laquelle est
entrée en vigueur le 14 février 2020 (ci-après la « loi sur les juridictions de droit commun ») :

« 1.   Les juges mettent en place une autorégulation judiciaire.

2.   Les organes d’autorégulation judiciaire sont :

1) l’assemblée générale des juges d’un sąd apelacyjny (cour d’appel, Pologne) ;

2) l’assemblée générale des juges d’un sąd okręgowy (tribunal régional, Pologne) ;

3) l’assemblée générale des juges d’un sąd rejonowy (tribunal d’arrondissement, Pologne). »

7 En vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la loi sur les juridictions de droit commun, le ministre de la Justice nomme les présidents des sądy okręgowe (tribunaux régionaux) parmi les juges des sądy apelacyjne (cours d’appel), des sądy okręgowy (tribunaux régionaux) ou des sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement), pour une période de six ans selon l’article 26 de cette loi. Après avoir nommé le président d’un sąd okręgowy (tribunal régional), le ministre de la Justice le présente à l’assemblée
générale compétente des juges du sąd okręgowy (tribunal régional) concerné.

8 Conformément à l’article 29, paragraphe 1, de cette loi, le collège d’un sąd apelacyjny (cour d’appel) accomplit les tâches prévues par ladite loi et :

« [...]

1 bis)   donne des avis sur les candidats aux postes de juges du sąd apelacyjny (cour d’appel) concerné [...] »

9 Conformément à l’article 31 de la loi sur les juridictions de droit commun, le collège d’un sąd okręgowy (tribunal régional) donne, notamment, son avis sur les candidats au poste de juge du sąd okręgowy (tribunal régional) concerné et des sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement). En vertu de l’article 30, paragraphe 1, de cette loi, ce collège est une formation composée, aux termes du point 1 de cette disposition, du président du sąd okręgowy (tribunal régional) concerné et, aux termes du
point 2 de ladite disposition, des présidents des sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement) du ressort de ce sąd okręgowy (tribunal régional), ce point 2 étant entré en vigueur le 14 février 2020. Conformément à l’article 30, paragraphe 3, de ladite loi, également entré en vigueur le 14 février 2020, les délégués de l’assemblée générale des juges d’un sąd okręgowy (tribunal régional) peuvent assister aux réunions au cours desquelles ledit collège doit donner son avis sur les candidats au poste de
juge de ce sąd okręgowy (tribunal régional), et ils n’ont le droit de vote qu’à cette seule fin.

10 Dans sa version en vigueur jusqu’au 13 février 2020, l’article 33 de la loi sur les juridictions de droit commun était libellé comme suit :

« 1.   L’assemblée générale des juges du ressort d’un sąd apelacyjny (cour d’appel) se compose des juges du sąd apelacyjny (cour d’appel) concerné, des représentants des juges des sądy okręgowe (tribunaux régionaux) opérant dans le ressort de ce sąd apelacyjny (cour d’appel) [...], et des représentants des juges des sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement) opérant dans le ressort dudit sąd apelacyjny (cour d’appel) [...]

[...] »

11 Conformément à l’article 35, paragraphe 1, de la loi sur les juridictions de droit commun, l’assemblée générale des juges d’un sąd okręgowy (tribunal régional) est composée de tous les juges de cette juridiction. Les juges délégués à la fonction de juge au sein de ladite juridiction peuvent participer à cette assemblée, mais n’y ont pas de droit de vote.

12 Depuis le 14 février 2020, cette assemblée peut, conformément à l’article 36, paragraphe 1, point 2, de cette loi, élire des délégués qui assistent aux réunions au cours desquelles le collège du sąd okręgowy (tribunal régional) concerné doit donner son avis sur les candidats à un poste de juge de ce sąd okręgowy (tribunal régional) ou de juge d’un sąd rejonowy (tribunal d’arrondissement). Conformément à l’article 36, paragraphe 2, de ladite loi, ces délégués sont élus à bulletin secret et en
nombre égal à celui des membres du collège dudit sąd okręgowy (tribunal régional).

13 L’article 42a de la loi sur les juridictions de droit commun dispose :

« 1.   Dans le cadre des activités des juridictions ou des organes des juridictions, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État et des organes de contrôle et de protection du droit.

2.   Une juridiction de droit commun ou un autre organe du pouvoir ne peut constater ou apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination. »

14 Dans sa version en vigueur jusqu’au 13 février 2020, l’article 55, paragraphe 1, de cette loi était libellé comme suit :

« Les juges des juridictions de droit commun sont nommés au poste de juge par le président de la République de Pologne, sur proposition de la [KRS], dans un délai d’un mois à compter de la date d’envoi de cette proposition. »

15 L’article 55, paragraphe 1, de ladite loi dispose désormais :

« Un juge d’une juridiction de droit commun est une personne nommée à un tel poste par le président de la République de Pologne et qui a prêté serment devant ce dernier. »

16 Dans sa version en vigueur jusqu’au 13 février 2020, l’article 58 de la loi sur les juridictions de droit commun était libellé comme suit :

« 1.   Si plusieurs candidatures sont présentées pour un poste de juge vacant, toutes sont examinées lors de la même réunion de l’assemblée.

2.   L’assemblée générale des juges d’appel ou l’assemblée générale des juges de région se prononce sur les candidats par voie de vote et transmet au président du sąd apelacyjny (cour d’appel) ou du sąd okręgowy (tribunal régional) concerné, selon le cas de figure, toutes les candidatures présentées, en indiquant le nombre de voix obtenues. »

17 Le 14 février 2020, le paragraphe 2 de cet article 58 a été abrogé. Par la suite, le paragraphe 1 dudit article 58 a été libellé comme suit :

« Si plusieurs candidatures sont présentées pour un poste de juge vacant, toutes sont examinées lors de la même réunion du collège.

[...] »

La loi sur la Cour suprême

18 L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), a, notamment, institué, au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, Pologne).

19 Aux termes de l’article 26 de la loi sur la Cour suprême, tel que modifié par la loi du 20 décembre 2019 modifiant la loi sur les juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois :

« 1.   Relèvent de la compétence de la [chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques] les recours extraordinaires, les litiges en matière électorale et les contestations de la validité d’un référendum national ou d’un référendum constitutionnel, la constatation de la validité des élections et des référendums, les autres affaires de droit public, y compris le contentieux de la protection de la concurrence, de la régulation de l’énergie, des télécommunications et du transport
ferroviaire, ainsi que les recours dirigés contre les décisions du Przewodniczy Krajowej Rady Radiofonii i Telewizji [(président du Conseil national de la radiotélévision, Pologne)] ou mettant en cause la durée excessive des procédures devant les juridictions ordinaires et militaires de même que devant le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)].

2.   La [chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques] est compétente pour connaître des demandes ou déclarations concernant la récusation d’un juge ou la désignation de la juridiction devant laquelle la procédure doit être menée, comprenant des griefs tirés de l’absence d’indépendance de la juridiction ou du juge. La juridiction saisie de l’affaire envoie immédiatement une demande au président de la [chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques] afin que celle-ci
soit traitée conformément aux règles fixées par des dispositions distinctes. La présentation d’une demande au président de la [chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques] ne suspend pas la procédure en cours.

3.   La demande visée au paragraphe 2 n’est pas examinée si elle concerne la constatation et l’appréciation de la légalité de la nomination d’un juge ou de sa légitimité pour exercer des fonctions juridictionnelles.

[...] »

20 L’article 29 de la loi sur la Cour suprême prévoit que les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) sont nommés par le président de la République, sur proposition de la KRS.

La loi sur le Conseil national de la magistrature

21 Aux termes de l’article 9 bis de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3) :

« 1.   [La Diète] élit, parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres [de la KRS] pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

2.   En procédant à l’élection visée au paragraphe 1, [la Diète] tient compte, dans la mesure du possible, de la nécessité d’une représentation au sein [de la KRS] des juges issus des différents types et niveaux de juridictions.

3.   Le mandat commun des nouveaux membres [de la KRS], élus parmi les juges, débute dès le lendemain de leur élection. Les membres sortants [de la KRS] exercent leurs fonctions jusqu’au jour où débute le mandat commun des nouveaux membres [de la KRS]. »

22 La disposition transitoire figurant à l’article 6 de la loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois, qui est entrée en vigueur le 17 janvier 2018, prévoit :

« Le mandat des membres [de la KRS] visés à l’article 187, paragraphe 1, point 2, de la [Constitution], élus sur la base des dispositions actuelles, dure jusqu’au jour précédant le début du mandat des nouveaux membres [de la KRS], sans aller cependant au-delà de 90 jours à compter de la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu’il n’ait antérieurement pris fin en raison de son expiration. »

Le code de procédure civile

23 En vertu de l’article 48 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant introduction du code de procédure civile), du 17 novembre 1964, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure civile ») :

« 1.   Un juge est récusé en vertu de la loi :

1) dans les affaires auxquelles il est partie ou dans lesquelles il entretient avec l’une des parties un rapport juridique tel que l’issue de la procédure aurait une incidence sur ses droits ou obligations ;

[...]

5) dans les affaires dans lesquelles il a participé, dans une instance de degré inférieur, à l’adoption de l’acte attaqué, de même que dans les affaires concernant la validité d’un acte examiné par ses soins ou rédigé avec sa participation ainsi que dans les affaires où il a agi en qualité de prokurator [(procureur, Pologne)] ;

[...] »

24 L’article 49 du code de procédure civile énonce, à son paragraphe 1 :

« Indépendamment des motifs énoncés à l’article 48, la juridiction récuse un juge, à la demande de celui-ci ou d’une partie, s’il existe une circonstance de nature à faire naître un doute légitime quant à l’impartialité de ce juge dans l’affaire concernée. »

25 L’article 50 de ce code prévoit :

« 1.   Les parties sollicitent la récusation d’un juge par écrit ou par déclaration orale consignée auprès de la juridiction devant laquelle l’affaire concernée est pendante, en indiquant la vraisemblance des motifs de la récusation.

2.   En outre, la partie qui a participé à l’audience doit rendre plausible que la circonstance justifiant la récusation ne s’est produite ou n’a été portée à sa connaissance que par la suite.

3.   Jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande de récusation d’un juge :

1) le juge visé par cette demande peut poursuivre la procédure ;

2) il ne peut être prononcé aucune décision ni mesure mettant fin à l’instance. »

26 L’article 365, paragraphe 1, du code de procédure civile prévoit :

« Le jugement final liera non seulement les parties et le tribunal qui l’a rendu, mais aussi les autres tribunaux, les autres autorités publiques et organismes d’administration publique, et d’autres personnes dans les cas visés par la loi. »

27 En vertu de l’article 367, paragraphe 3, de ce code :

« Une juridiction de deuxième instance examine une affaire en formation de jugement à trois juges. À huis clos, la juridiction statue en formation de jugement à juge unique, sauf lorsqu’elle rend un arrêt. »

28 Conformément à l’article 379, point 4, dudit code, la procédure est entachée de nullité « si la composition de la juridiction saisie de l’affaire concernée était illégale ou si un juge récusé de plein droit a participé à l’examen de cette affaire ».

29 L’article 401 du même code prévoit :

« La réouverture d’une procédure peut être demandée pour cause de nullité :

1) si une personne non autorisée a fait partie de la composition de la juridiction ou si le juge qui s’est prononcé était récusé de plein droit et que la partie concernée n’a pas eu la possibilité de demander la récusation de ce juge avant que le jugement n’ait acquis l’autorité de la chose jugée ;

[...] »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Les faits ayant donné lieu à l’affaire C‑181/21

30 Le litige au principal oppose une société privée à un consommateur au sujet d’une créance résultant d’un contrat de crédit.

31 Cette société privée a introduit un recours contre ce consommateur en vue du paiement d’un montant de 16000 zlotys polonais (PLN) (environ 3450 euros), majoré d’intérêts et de frais de procédure. Le Sąd Rejonowy w Dąbrowie Górniczej (tribunal d’arrondissement de Dąbrowa Górnicza, Pologne) a rendu une décision sur le fond, sous la forme d’une injonction de payer. Ledit consommateur a formé opposition contre cette décision. Cette opposition a été rejetée par une ordonnance de ce tribunal
d’arrondissement.

32 Le même consommateur a formé une réclamation contre cette ordonnance auprès du Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice, Pologne). Une formation de jugement à trois juges, comprenant la juge A. Z., a été désignée pour examiner cette réclamation.

33 S’agissant des circonstances dans lesquelles est intervenue la nomination de la juge A. Z. au Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice), il ressort de la décision de renvoi que cette juge, alors en poste au Sąd Rejonowy w Jaworznie (tribunal d’arrondissement de Jaworzno, Pologne) depuis l’année 1996, s’est portée candidate pour occuper un poste vacant de juge au Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice).

34 Après un avis préalable sur la candidature de la juge A. Z. émis par le collège du Sąd Apelacyjny w Katowicach (cour d’appel de Katowice, Pologne), l’assemblée des représentants des juges de ressort de cette juridiction s’est abstenue de rendre un avis concernant cette candidature. En effet, cette assemblée a, le 14 janvier 2019, adopté une résolution par laquelle elle indiquait s’abstenir de participer à la procédure de nomination de juges aux postes vacants au sein de ladite juridiction et dans
les sądy okręgowe (tribunaux régionaux) du ressort de cette dernière, compte tenu de ses préoccupations concernant le statut et le mode de fonctionnement de la KRS appelée à jouer un rôle dans une telle procédure de nomination.

35 En outre, par une résolution adoptée le même jour, l’assemblée des représentants des juges de ressort du Sąd Apelacyjny w Katowicach (cour d’appel de Katowice) a enjoint à son président, d’une part, de s’abstenir de transmettre les candidatures aux postes de juge vacants au sein de cette juridiction et du Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice) jusqu’à ce qu’elle ait émis un avis à leur sujet et, d’autre part, de reporter à une date ultérieure l’ordre du jour en vue de préparer
les procédures de nomination, jusqu’à ce que les doutes relatifs à la KRS soient levés.

36 En dépit des résolutions susmentionnées, le président du Sąd Apelacyjny w Katowicach (cour d’appel de Katowice), qui est en même temps le président de l’assemblée générale des juges de cette juridiction et qui a été nommé président de ladite juridiction par le ministre de la Justice, a donné suite à la candidature de la juge A. Z. Cette dernière a été nommée juge au Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice) par le président de la République de Pologne.

37 Lors d’un séance à huis clos tenue le 18 mars 2021, le juge rapporteur de la formation de jugement mentionnée au point 32 du présent arrêt a émis des doutes quant à la qualité de « juridiction » de cette formation de jugement, compte tenu des circonstances dans lesquelles est intervenue la nomination de la juge A. Z. au Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice). C’est dans ce contexte qu’il a saisi, seul, la Cour sur le fondement de l’article 367, paragraphe 3, du code de
procédure civile.

Les faits ayant donné lieu à l’affaire C‑269/21

38 Le litige au principal oppose des consommateurs à une banque, au sujet d’une créance et d’une demande d’annulation d’un contrat de crédit libellé en devises étrangères.

39 Ces consommateurs ont saisi le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) en vue d’obtenir la condamnation de cette banque à payer, notamment, un montant de 104 537 PLN (environ 22540 euros) et l’annulation rétroactive du contrat de crédit concerné en s’appuyant sur l’arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819). Ils ont en outre demandé l’octroi de mesures conservatoires consistant, notamment, à leur permettre de suspendre les paiements mensuels devant être exécutés en
application de ce contrat de crédit jusqu’à ce qu’un jugement définitif soit prononcé dans le litige au principal.

40 Le traitement de ce litige et de cette demande d’octroi de mesures conservatoires a été confié à une formation de jugement à juge unique du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie), qui est la juridiction de renvoi dans cette affaire.

41 Par une ordonnance du 9 octobre 2020, celle-ci a fait droit à ladite demande.

42 Ladite banque a formé une réclamation contre cette ordonnance. Une formation de jugement à trois juges siégeant au sein du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) a été désignée pour examiner cette réclamation. L’un des membres de cette formation de jugement est la juge A. T., qui a également été nommée juge rapporteure et qui présidait ladite formation de jugement. Cette dernière formation a réformé ladite ordonnance et rejeté la demande d’octroi de mesures conservatoires dans
son intégralité. Une telle décision n’étant plus susceptible de recours, l’affaire a alors été renvoyée à la juridiction de renvoi afin que celle-ci statue au principal.

43 S’agissant des circonstances ayant entouré la nomination de la juge A. T. au Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie), il ressort de la décision de renvoi que cette juge, alors en poste au Sąd Rejonowy dla Krakowa-Krowodrzy w Krakowie (tribunal d’arrondissement pour Cracovie-Krowodrza à Cracovie, Pologne) depuis l’année 2009, s’est portée candidate à un poste vacant de juge au Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie). Ladite juge était seule candidate pour ce poste.
La juridiction de renvoi précise que de nombreux juges de sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement) ne participent plus à ces concours en dépit de leur grande expérience, au motif que la procédure de nomination des juges des juridictions de droit commun n’est plus conforme à la Constitution, notamment, en raison du fait que les décisions de la KRS, qui est devenue hautement politisée, ne sont plus fondées sur des critères objectifs et favorisent les candidats soutenus par les présidents de
juridictions, lesquels ont été nommés par le ministre de la Justice.

44 Le Kolegium Sądu Okręgowego w Krakowie (collège du tribunal régional de Cracovie, Pologne) a donné son avis sur la candidature de la juge A. T. lors d’une audience du 1er juin 2020.

45 La juridiction de renvoi indique, à cet égard, que la majorité des membres de ce collège sont des présidents du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) ainsi que de sądy rejonowe (tribunaux d’arrondissement), dont la nomination est directement influencée par le ministre de la Justice. Elle ajoute que la candidature de la juge A. T. n’a pas été soumise à l’avis de l’assemblée générale des juges du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie), étant donné que le
législateur polonais a éliminé toute influence réelle de l’autorégulation judiciaire sur le processus de nomination des juges en Pologne. En effet, à compter du 14 février 2020 et, en particulier, à la suite de l’entrée en vigueur, après modification, de l’article 58 de la loi sur les juridictions de droit commun, l’avis de cette assemblée n’est plus requis.

46 Le 7 juillet 2020, la KRS a adopté une résolution recommandant la nomination de la juge A. T. au poste de juge au Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie). Le 4 février 2021, le président de la République de Pologne a procédé à cette nomination.

47 Les circonstances de ladite nomination conduisent la juridiction de renvoi à éprouver des doutes quant à la conformité au droit de l’Union de la composition de la formation de jugement à trois juges, mentionnée au point 42 du présent arrêt, qui a statué sur la réclamation de la banque formée contre son ordonnance du 9 octobre 2020 et, par suite, quant à la validité de la décision adoptée par cette formation de jugement. Cette juridiction se demande, dans ce contexte, si elle est liée par
l’ordonnance de cette formation de jugement qui a annulé les mesures conservatoires qu’elle avait prononcées ou si une nouvelle formation de jugement, ne comprenant pas la juge A. T., devrait être désignée selon le système d’attribution aléatoire des affaires pour réexaminer cette réclamation.

Les motifs des renvois préjudiciels et les questions posées dans les affaires C‑181/21 et C‑269/21

48 Les juridictions de renvoi observent, en substance, que, à la différence d’autres affaires dont la Cour a été saisie jusqu’à présent, les affaires C‑181/21 et C‑269/21 concernent des nominations à des postes de juge au sein de juridictions de droit commun, et non au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

49 Elles font état, à cet égard, d’un certain nombre d’évolutions, liées aux récentes réformes judiciaires en Pologne, concernant la composition de la KRS et des organes d’autorégulation judiciaire et leur rôle respectif dans le processus de nomination à de tels postes ainsi que le contrôle juridictionnel de la légalité de ces nominations. Ces différents éléments les amènent à mettre en doute la qualité de « juridiction », au sens, notamment, du droit de l’Union, des formations de jugement
comportant des juges nommés au terme d’un tel processus.

50 Dans ces circonstances, le Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice) et le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, lesquelles sont formulées en des termes quasi identiques dans les affaires C‑181/21 et C‑269/21 :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE ainsi que l’article 6, paragraphes 1 à 3, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la [Charte], en ce sens que :

a) n’est pas un tribunal établi par la loi, au sens du droit de l’Union, une juridiction au sein de laquelle siège une personne nommée au poste de juge de cette juridiction dans le cadre d’une procédure qui omet la participation d’organes d’autorégulation judiciaire dont la composition est majoritairement indépendante des pouvoirs exécutif et législatif, dans une situation dans laquelle, à la lumière du patrimoine constitutionnel de l’État membre concerné, la participation d’un organe
d’autorégulation judiciaire satisfaisant à ces exigences dans la procédure de nomination d’un juge est nécessaire, compte tenu du contexte institutionnel et structurel, étant donné que :

– les assemblées des juges devaient émettre leur avis sur la candidature à un poste de juge et cette exigence a été délibérément omise, contrairement à la réglementation nationale et à la position de cet organe d’autorégulation judiciaire [(affaire C‑181/21) ou que]

le collège de la juridiction, organe conçu de telle manière que les personnes le composant avaient été, dans leur majorité, nommées par un représentant du pouvoir exécutif – à savoir le ministre de la Justice et le Prokurator Generalny (procureur général, Pologne) –, devait émettre son avis sur la candidature à un poste de juge [(affaire C‑269/21)] ;

– l’actuelle [KRS], élue en contradiction avec les dispositions constitutionnelles et législatives du droit polonais, n’est pas un organe indépendant et ne compte pas parmi ses membres de représentants du monde judiciaire nommés indépendamment des pouvoirs exécutif et législatif, de sorte qu’elle n’a pas valablement formulé la proposition de nomination à la fonction de juge prévue dans le droit national ;

– les participants au concours de nomination ne disposaient pas du droit à un recours juridictionnel, au sens de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE ainsi que de l’article 6, paragraphes 1 à 3, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte ;

b) ne satisfait pas aux exigences d’un tribunal établi par la loi une juridiction au sein de laquelle siège une personne nommée au poste de juge de cette juridiction dans le cadre d’une procédure subordonnée à l’intervention arbitraire du pouvoir exécutif et omettant la participation des organes d’autorégulation judiciaire dont la composition est majoritairement indépendante des pouvoirs exécutif et législatif ou celle d’un autre organe garantissant l’évaluation objective du candidat, dès
lors que la participation des organes d’autorégulation judiciaire ou d’un autre organe indépendant des pouvoirs exécutif et législatif et garantissant l’évaluation objective du candidat dans une procédure de nomination d’un juge est nécessaire, dans le contexte de la tradition juridique de l’Union telle qu’ancrée dans les dispositions susmentionnées du traité UE et de la Charte et qui constitue le fondement d’une union de droit comme l’est l’Union européenne, pour considérer que la
juridiction nationale garantit le niveau exigé de protection juridictionnelle effective dans les affaires relevant du droit de l’Union et que, par conséquent, le principe de séparation en trois branches et d’équilibre des pouvoirs ainsi que celui de l’État de droit sont respectés ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, en ce sens que, dans une situation dans laquelle une personne nommée dans les conditions décrites [à la première question] siège au sein d’une juridiction :

a) ils font obstacle à l’application de dispositions du droit national qui attribuent l’examen de la légalité de la nomination au poste de juge de cette personne à la compétence exclusive de la [chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques] composée exclusivement de personnes nommées au poste de juge dans les conditions décrites [à la première question], et qui en même temps imposent d’écarter sans examen les griefs portant sur cette nomination au poste de juge, compte tenu du
contexte institutionnel et de l’économie du système ;

b) ils imposent, en vue d’assurer l’effet utile du droit de l’Union, d’interpréter les dispositions du droit national de manière à permettre à une juridiction d’écarter d’office une telle personne de l’examen de l’affaire sur la base des dispositions – appliquées par analogie – relatives à l’exclusion d’un juge qui est dans l’incapacité de juger [iudex inhabilis] ? »

La procédure devant la Cour

Sur la jonction des affaires C‑181/21 et C‑269/21

51 Par des décisions du président de la Cour du 5 mai 2021, les affaires C‑181/21 et C‑269/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur les demandes d’application de la procédure accélérée

52 Les juridictions de renvoi ont demandé que les présents renvois préjudiciels soient soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de leurs demandes, elles ont fait valoir que l’application de cette procédure se justifiait au regard du fait qu’au moins plusieurs centaines de personnes siègent au sein des juridictions de droit commun et y prononcent un nombre croissant de décisions alors que ces personnes ont, selon elles, été nommées aux
fonctions de juge d’une telle juridiction « en violation flagrante des normes du droit polonais régissant la nomination des juges ». Dans ces conditions, il serait nécessaire de répondre dans les plus brefs délais aux questions posées afin de dissiper, dans l’intérêt des justiciables, d’une bonne administration de la justice et de la sécurité juridique, les doutes pesant sur le fonctionnement des juridictions de droit commun dans lesquelles siègent les deux juges dont la nomination est en cause
dans les présentes affaires au regard des exigences relatives à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi.

53 L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

54 Il importe de rappeler qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 37 et jurisprudence citée).

55 En l’occurrence, le président de la Cour a décidé, le 5 mai 2021, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux demandes visées au point 52 du présent arrêt. En effet, la circonstance que les questions posées sont relatives au fonctionnement des juridictions de droit commun au sein desquelles siège un grand nombre de juges tels que ceux dont la nomination est en cause dans les présentes affaires ne constitue pas une raison établissant une urgence
extraordinaire, pourtant nécessaire pour justifier un traitement par voie accélérée. Il en va de même de la circonstance qu’un nombre important de justiciables est potentiellement concerné par les décisions quotidiennement prises par les juges dont les nominations sont mises en doute dans ces affaires. Enfin, le caractère sensible desdites questions n’implique pas en soi la nécessité de leur traitement dans de brefs délais, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Sur la compétence de la Cour

56 Le gouvernement polonais, soutenu à l’audience par la Prokuratura Okręgowa w Katowicach (parquet régional de Katowice, Pologne) et par la Prokuratura Okręgowa w Krakowie (parquet régional de Cracovie, Pologne), fait valoir, en substance, que les problématiques relatives à l’organisation judiciaire des États membres, telles que celles soulevées par les questions posées, relèvent de la compétence exclusive de ces derniers et non du champ d’application matériel du droit de l’Union.

57 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève, certes, de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et qu’il peut en aller de la sorte, notamment, s’agissant de règles nationales relatives à l’adoption de décisions de nomination des juges et, le cas échéant, de
règles afférentes au contrôle juridictionnel applicable dans le contexte de telles procédures de nomination [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 56 ainsi que jurisprudence citée].

58 En outre, il ressort clairement des termes des questions posées que celles-ci portent sur l’interprétation non pas du droit polonais, mais des dispositions du droit de l’Union que celles-ci visent.

59 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour se prononcer sur les demandes de décision préjudicielle.

Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

60 Dans l’affaire C‑181/21, le gouvernement polonais conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle en faisant notamment valoir, en substance, que seule la formation de jugement à trois juges qui est en charge de l’affaire au principal, et non un juge de cette formation agissant seul, était compétente pour adresser à la Cour les questions posées dans cette affaire.

61 Dans l’affaire C‑269/21, ce gouvernement fait valoir que, en vertu des règles procédurales polonaises, la juridiction de renvoi dans cette affaire n’est pas compétente pour contrôler la légalité de la formation de jugement à trois juges ayant rendu l’ordonnance statuant définitivement sur la demande d’octroi de mesures conservatoires formulée par les requérants au principal et, en particulier, la légalité de la nomination de la juge A. T. qui siégeait au sein de cette formation de jugement.
Soutenu par la Commission lors de l’audience devant la Cour, il estime que, dans ces conditions, une réponse de la Cour aux questions posées par cette juridiction de renvoi n’est pas nécessaire afin de trancher le litige au principal.

62 À cet égard, la Cour a itérativement souligné que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou
hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 60 ainsi que jurisprudence citée].

63 Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 61 ainsi que jurisprudence citée].

64 La Cour a ainsi rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 62 ainsi que
jurisprudence citée].

65 Dans le cadre d’une telle procédure, il doit donc exister entre ce litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

66 En l’occurrence, s’agissant de l’affaire C‑181/21, il convient de souligner d’emblée que, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle présentée dans cette affaire, cette demande a été adressée à la Cour par le juge rapporteur dans l’affaire au principal au sein d’une formation de jugement de trois juges. Ce juge nourrit des doutes quant à la conformité, en particulier, à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la Charte, de la composition de cette formation de
jugement, en raison de la présence dans ladite formation de jugement de la juge A. Z., qui a été nommée selon la procédure en vigueur à la suite des réformes du système judiciaire polonais.

67 Par ses questions préjudicielles, ce juge de renvoi cherche ainsi à savoir si un juge qui fait partie de la même formation de jugement que lui dans l’affaire au principal et qui a été nommé dans certaines circonstances particulières, satisfait aux exigences inhérentes à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens du droit de l’Union.

68 À cet égard, il est vrai que toute juridiction a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tribunal indépendant et impartial, préalablement établi par la loi, au sens, notamment, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lorsque surgit sur ce point un doute sérieux, cette vérification étant nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable [arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission,
C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, point 57, ainsi que du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 129 ainsi que jurisprudence citée].

69 Il n’en demeure pas moins que la nécessité, au sens de l’article 267 TFUE, de l’interprétation préjudicielle sollicitée de la Cour implique que le juge national qui, à l’instar du juge de renvoi dans l’affaire C‑181/21, décide de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel puisse, à lui seul, tirer les conséquences de cette interprétation en appréciant, à la lumière de celle-ci, la légalité de la nomination d’un autre juge de la même formation de jugement et, le cas échéant, en récusant ce dernier.

70 Or, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni du dossier dont dispose la Cour dans l’affaire C‑181/21 que, en vertu des règles de droit national, le juge ayant procédé au renvoi préjudiciel dans cette affaire pourrait, à lui seul, agir de la sorte.

71 Ainsi, il n’apparaît pas que ce juge pourrait, à lui seul, prendre en considération les éventuelles réponses de la Cour à ses questions préjudicielles.

72 L’interprétation des dispositions du droit de l’Union sollicitée dans l’affaire C‑181/21 ne répond donc pas à un besoin objectif lié à une décision que le juge de renvoi pourrait prendre, à lui seul, dans l’affaire au principal.

73 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑181/21 doit être considérée comme visant la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, au sens de la jurisprudence citée au point 62 du présent arrêt, et, partant, est irrecevable.

74 S’agissant de l’affaire C‑269/21, il convient de relever que, dans la demande de décision préjudicielle présentée dans cette affaire, la juridiction de renvoi souligne elle-même que l’ordonnance rendue par la formation de jugement à trois juges du Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie) ayant réformé sa propre décision et rejeté la demande d’octroi de mesures conservatoires formulée par les consommateurs concernés n’est plus susceptible de recours. Elle invoque cependant
l’insécurité juridique qui entourerait cette ordonnance en raison des doutes concernant la régularité de la composition de la formation de jugement l’ayant rendue du fait de la présence, dans celle-ci, de la juge A. T. Cela étant, cette juridiction ne met en avant aucune disposition du droit procédural polonais qui lui conférerait la compétence pour procéder, de surcroît en formation de jugement à juge unique, à un examen de la conformité, notamment au droit de l’Union, d’une ordonnance
définitive rendue sur une telle demande par une formation de jugement à trois juges.

75 Il ressort par ailleurs du dossier dont dispose la Cour que la demande d’octroi de mesures conservatoires dans l’affaire au principal a été définitivement tranchée par une ordonnance qui, en vertu de l’article 365 du code de procédure civile, lie le juge de renvoi et que ce dernier n’est compétent ni pour « récuser » un juge faisant partie de la formation de jugement qui a rendu cette ordonnance, ni pour remettre en cause cette dernière.

76 Au vu des éléments relevés aux points 74 et 75 du présent arrêt, il n’apparaît pas que la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑269/21 soit compétente, en vertu des règles de droit national, pour apprécier la légalité, au regard, notamment, du droit de l’Union, de la formation de jugement à trois juges ayant rendu l’ordonnance statuant définitivement sur la demande d’octroi de mesures conservatoires et, en particulier, des conditions de nomination de la juge A. T., et pour remettre en cause, le
cas échéant, cette ordonnance.

77 En effet, il ressort de ces éléments que la formation de jugement à trois juges comprenant la juge A. T., qui a réformé l’ordonnance de première instance de la juridiction de renvoi, a rejeté la demande d’octroi de mesures conservatoires des requérants au principal dans son intégralité. Le traitement de cette demande, introduite par ces derniers parallèlement à leur action au fond, a donc été définitivement clos.

78 Ainsi, les questions posées dans l’affaire C‑269/21 ont intrinsèquement trait à une étape de la procédure dans l’affaire au principal qui a été définitivement close et qui est distincte du litige au fond qui demeure seul pendant devant la juridiction de renvoi [voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 71 ainsi que jurisprudence citée]. Elles ne correspondent donc pas à un besoin objectif
inhérent à la solution de ce litige, mais visent à obtenir de la Cour une appréciation générale, déconnectée des besoins dudit litige, sur la procédure de nomination des juges de droit commun en Pologne.

79 Il s’ensuit que lesdites questions excèdent le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à la Cour en vertu de l’article 267 TFUE [voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 82 et jurisprudence citée].

80 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑269/21 est également irrecevable.

81 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les présentes demandes de décision préjudicielle sont irrecevables.

Sur les dépens

82 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  Les demandes de décision préjudicielle présentées par le Sąd Okręgowy w Katowicach (tribunal régional de Katowice, Pologne), par décision du 18 mars 2021, et par le Sąd Okręgowy w Krakowie (tribunal régional de Cracovie, Pologne), par décision du 31 mars 2021, sont irrecevables.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-181/21
Date de la décision : 09/01/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par Sąd Okręgowy w Katowicach et Sąd Okręgowy w Krakowie.

Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Possibilité pour la juridiction de renvoi de prendre en considération l’arrêt préjudiciel de la Cour – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Indépendance des juges – Conditions de nomination des juges de droit commun – Possibilité de remettre en cause une ordonnance ayant définitivement statué sur une demande d’octroi de mesures conservatoires – Possibilité d’écarter un juge d’une formation de jugement – Irrecevabilité des demandes de décision préjudicielle.

Principes, objectifs et mission des traités

Dispositions institutionnelles

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : G. e.a.
Défendeurs : M.S. et X.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Jarukaitis

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:1

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