ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
9 novembre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Directive 2008/115/CE – Article 3, point 2 – Notion de “séjour irrégulier” – Directive 2013/32/UE – Demandeur de protection internationale – Article 9, paragraphe 1 – Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande – Décision de retour adoptée avant l’adoption de la décision de premier ressort rejetant la demande de protection internationale »
Dans l’affaire C‑257/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), par décision du 28 février 2022, parvenue à la Cour le 14 avril 2022, dans la procédure
CD
contre
Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. Z. Csehi, président de chambre, M. E. Regan (rapporteur), président de la cinquième chambre, et M. D. Gratsias, juge,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma, A. Katsimerou et M. Salyková, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphes 2 et 3, et de l’article 5 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), lus en combinaison avec l’article 2, l’article 4, et l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant CD, un ressortissant algérien, au Ministerstvo vnitra České republiky, Odbor azylové a migrační politiky (ministère de l’Intérieur de la République tchèque, Service de la politique d’asile et migratoire, ci-après le « ministère de l’Intérieur ») au sujet d’une décision de retour adoptée à l’égard de ce ressortissant par le Ředitelství služby cizinecké policie (direction du service de la police des étrangers, République tchèque,
ci-après la « direction de la police des étrangers ») (ci-après la « décision de retour en cause »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2008/115
3 Aux termes des considérants 9 et 12 de la directive 2008/115 :
« (9) Conformément à la [directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13)], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en
tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur.
[...]
(12) Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Leurs besoins de base devraient être définis conformément à la législation nationale. Afin d’être en mesure de prouver leur situation spécifique en cas de vérifications ou de contrôles administratifs, ces personnes devraient se voir délivrer une confirmation écrite de leur situation. Les États membres devraient avoir une grande
latitude pour déterminer la forme et le modèle de la confirmation écrite et devraient également être en mesure de l’inclure dans les décisions liées au retour adoptées au titre de la présente directive. »
4 L’article 2 de la directive 2008/115, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :
« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. »
5 L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose, à ses points 2 et 4 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
2) “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du [règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1)], ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet
État membre.
[...]
4) “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour.
[...] »
6 L’article 5 de ladite directive, intitulé « Non-refoulement, intérêt supérieur de l’enfant, vie familiale et état de santé », dispose, notamment, que, lorsqu’ils mettent en œuvre la même directive, les États membres respectent le principe de non-refoulement.
7 L’article 6 de la directive 2008/115, intitulé « Décision de retour », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les État membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5. »
La directive 2013/32/UE
8 L’article 9 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), intitulé « Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour. »
9 L’article 36 de la directive 2013/32, intitulé « Le concept de pays d’origine sûr », dispose :
« 1. Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément à la présente directive ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne, que si :
a) ce dernier est ressortissant dudit pays ; ou
b) l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle,
et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la [directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)].
2. Les États membres prévoient dans leur droit national des règles et modalités supplémentaires aux fins de l’application de la notion de pays d’origine sûr. »
10 L’article 37 de cette directive, intitulé « Désignation par un État membre de pays tiers comme pays d’origine sûrs », prévoit :
« 1. Les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions législatives qui leur permettent, conformément à l’annexe I, de désigner des pays d’origine sûrs, au niveau national, aux fins de l’examen des demandes de protection internationale.
2. Les États membres examinent régulièrement la situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent article.
[...] »
Le droit tchèque
11 L’article 120a, paragraphe 1, sous b), du zákon č. 326/1999 Sb., o pobytu cizinců na území České republiky a o změně některých zákonů (loi no 326/1999 relative au séjour des étrangers sur le territoire de la République tchèque et portant modification d’autres lois), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi sur le séjour des étrangers »), dispose :
« Dans le cadre d’une décision d’éloignement administratif en application des articles 119 et 120, la police est tenue de demander un avis contraignant du ministère quant à la possibilité pour l’étranger de quitter le territoire (article 179) ; cela ne s’applique pas
[...]
b) si l’étranger est issu d’un pays d’origine sûr au sens d’une autre disposition légale et n’a pas fait état de circonstances établissant qu’il pourrait être exposé à un danger réel au sens de l’article 179.
[...] »
12 Aux termes de l’article 179, paragraphes 1 et 2, de la loi sur le séjour des étrangers :
« (1) L’éloignement du territoire d’un étranger n’est pas possible lorsqu’il existe une crainte légitime que l’étranger court un danger réel s’il est renvoyé dans l’État dont il est un ressortissant ou, s’il est apatride, dans l’État de sa dernière résidence permanente.
(2) On entend par danger réel au sens de la présente loi un retour en violation de l’article 3 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »)]. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 Le 30 septembre 2021, le requérant au principal, ressortissant algérien, s’est présenté dans un centre de rétention pour ressortissants de pays tiers, où il a introduit une demande de protection internationale. Étant donné qu’il séjournait sur le territoire tchèque sans permis de séjour ni document de voyage en cours de validité, la police a engagé, le 8 octobre 2021, une procédure d’éloignement administratif à son égard.
14 Au cours de son audition, le requérant au principal a affirmé que l’Algérie n’était pas un pays sûr et que, notamment, les autorités étatiques n’étaient pas en mesure de protéger les citoyens algériens. Il a indiqué y être menacé de mort par la famille de la victime d’une bagarre au cours de laquelle il a été témoin d’un meurtre. Il a fait valoir que, bien qu’une juridiction algérienne l’ait jugé innocent, par crainte de cette menace, il ne pouvait pas rentrer chez lui pendant la journée, mais
devait attendre la nuit pour ce faire.
15 Par la décision de retour en cause, adoptée le 12 octobre 2021, la direction de la police des étrangers a ordonné l’éloignement administratif du requérant au principal et a fixé une période d’un an au cours de laquelle lui serait refusée l’entrée sur le territoire des États membres.
16 La direction de la police des étrangers a considéré qu’il n’y avait pas de motifs empêchant l’éloignement du requérant au principal du territoire tchèque, dès lors qu’il n’y avait pas de crainte légitime d’un danger réel dans le pays d’origine, au sens de l’article 179, paragraphes 1 et 2, de la loi sur le séjour des étrangers.
17 À cet égard, la direction de la police des étrangers a constaté que l’Algérie figurait sur la liste des pays d’origine sûrs établie par la vyhláška č. 328/2015 Sb., kterou se provádí zákon o azylu a zákon č. 221/2003 Sb., o dočasné ochraně cizinců (décret no 328/2015 portant exécution de la loi sur l’asile et de la loi no 221/2003 sur la protection temporaire des étrangers), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « décret no 328/2015 »).
18 Le recours administratif du requérant au principal contre la décision de retour en cause ayant été rejeté par le ministère de l’Intérieur par décision du 6 décembre 2021, ce requérant a saisi le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque), la juridiction de renvoi. Devant cette dernière, il fait valoir, notamment, que cette décision est fondée sur des considérations générales tenant à ce que l’Algérie est un pays d’origine sûr, en vertu du décret no 328/2015, alors qu’une
appréciation individuelle de sa situation aurait dû être effectuée.
19 La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à ce que, aux fins d’évaluer si une décision de retour prise à l’égard d’un ressortissant de pays tiers viole le principe de non-refoulement, un État membre, d’une part, fait application, dans le cadre du régime du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévu par la directive 2008/115, de la notion de « pays d’origine sûr », prévue à l’article 36 de la directive
2013/32, et, d’autre part, interprète ce principe de non-refoulement comme visant uniquement l’interdiction des mauvais traitements.
20 S’agissant de la notion de « pays d’origine sûr », la juridiction de renvoi observe que, alors que celle-ci ne figure pas dans la directive 2008/115, son utilisation dans le cadre de la procédure retour entraîne des simplifications procédurales pour la police, dès lors que celle-ci est dispensée de l’obligation de procéder à une évaluation concrète de l’existence d’un risque de violation du principe de non-refoulement dans le pays de destination dans le cas particulier d’un ressortissant de pays
tiers renvoyé. Toutefois, l’utilisation de cette notion placerait le ressortissant de pays tiers concerné dans une situation plus difficile, puisqu’il se trouverait obligé de renverser la présomption selon laquelle son pays d’origine présente un caractère sûr.
21 En ce qui concerne le principe de non-refoulement, la juridiction de renvoi souligne que l’article 19, paragraphe 2, de la Charte et l’article 3 de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, confèrent à ce principe une portée plus large que celle qui découle de l’article 179, paragraphe 2, de la loi sur le séjour des étrangers, laquelle limite cette portée à l’interdiction des mauvais traitements.
22 En outre, la juridiction de renvoi considère que la République tchèque a manqué à l’obligation qui lui incombe, en vertu de l’article 37, paragraphe 2, de la directive 2013/32, d’examiner régulièrement la situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément à cet article. Ainsi, selon elle, se pose, en particulier, la question de savoir si, quatre ans après la publication des sources sur lesquelles était fondée la désignation de l’Algérie comme pays d’origine sûr et
trois ans après la mention du même pays dans le décret no 328/2015, la conclusion relative au caractère sûr de l’Algérie demeure justifiée.
23 Dans ces conditions, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 4, paragraphes 2 et 3, et l’article 5, in fine, de la [directive 2008/115], lus en combinaison avec l’article 2, l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la [Charte], doivent-ils être interprétés en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si une décision de retour au sens de l’article 6 de la [directive 2008/115] entraîne une violation du principe de non-refoulement, ils s’opposent à l’utilisation de la notion de pays d’origine sûr au sens des articles 36 et 37 de
la [directive 2013/32], appliquée en combinaison avec la définition restrictive du principe de non-refoulement visant uniquement l’interdiction des mauvais traitements au sens de l’article 4 de la [Charte] et de l’article 3 de la [CEDH] ? »
Sur la question préjudicielle
24 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphes 2 et 3, et l’article 5 de la directive 2008/115, lus en combinaison avec l’article 2, l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que le principe de non-refoulement s’oppose à l’adoption d’une décision de retour à l’égard d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre lorsque ce ressortissant fait valoir devant les
autorités de ce dernier qu’il subirait dans son pays d’origine des menaces pour sa vie de la part de particuliers et s’il est loisible à un tel État membre de recourir à la notion de « pays d’origine sûr », au sens des articles 36 et 37 de la directive 2013/32, aux fins d’apprécier le risque d’une violation de ce principe dans de telles circonstances.
25 Dans ses observations écrites, la Commission européenne a fait part des doutes qu’elle nourrit concernant la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle. En particulier, elle a fait observer qu’il semble ressortir du dossier national que la demande de protection internationale n’aurait pas été examinée par les autorités compétentes avant l’ouverture de la procédure d’éloignement, auquel cas les dispositions nationales transposant la directive 2008/115 n’auraient nullement dû
être appliquées en l’occurrence. La Commission a également relevé que, dans le cadre du recours introduit devant la juridiction de renvoi contre la décision de retour en cause, le requérant a fait valoir, notamment, qu’une procédure d’éloignement avait été engagée à tort à son encontre, alors que sa demande de protection internationale n’avait pas encore été examinée.
26 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, le 30 septembre 2021, le requérant au principal a présenté une demande de protection internationale auprès de la République tchèque et que, le 12 octobre 2021, la direction de la police des étrangers a adopté, à son égard, la décision de retour en cause, assortie d’une interdiction d’entrée.
27 À la suite de deux demandes de renseignements de la Cour, en date du 26 janvier et du 1er mars 2023, fondées sur l’article 62, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la juridiction de renvoi a confirmé, notamment, d’une part, que, par décision du 25 novembre 2021, le ministère de l’Intérieur a rejeté la demande de protection internationale du requérant au principal et, d’autre part, que, dans le cadre du recours introduit devant elle contre la décision de retour en cause, ce
requérant a fait valoir, notamment, que, eu égard à sa demande de protection internationale, il n’aurait pas dû faire l’objet d’une procédure d’éloignement.
28 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que, notamment, s’il apparaît de manière manifeste
que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 12 janvier 2023, Nemzeti Adatvédelmi és Információszabadság Hatóság, C‑132/21, EU:C:2023:2, point 24 et jurisprudence citée).
29 Or, en l’occurrence, une décision de retour a été adoptée par la direction de la police des étrangers à l’égard du requérant au principal. En outre, la juridiction de renvoi est saisie d’un litige dont l’objet est la légalité de cette décision et la question posée porte sur l’interprétation de dispositions de la directive 2008/115 et 2013/32 qui sont pertinentes au regard de motifs d’illégalité de ladite décision qui sont, selon la décision de renvoi, invoqués par le requérant au principal. Il ne
découle ainsi pas de manière manifeste du dossier soumis à la Cour que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou encore que le problème soulevé par la juridiction de renvoi soit de nature hypothétique.
30 Par conséquent, contrairement à ce que la Commission suggère, la question posée n’est pas irrecevable.
31 Toutefois, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il incombe à la Cour de fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que la juridiction de renvoi y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 21 septembre 2017, Aviva, C‑605/15, EU:C:2017:718,
point 21, et jurisprudence citée).
32 En l’occurrence, conformément à cette jurisprudence, il convient d’aborder, au préalable, la question de l’applicabilité même de la directive 2008/115 dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où la décision de retour est adoptée avant l’adoption de la décision de premier ressort rejetant la demande de protection internationale.
33 D’emblée, il y a lieu de relever que l’ordre de quitter le territoire en cause au principal constitue une « décision de retour », au sens de l’article 3, point 4, de la directive 2008/115, c’est-à-dire une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour.
34 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115, celle-ci s’applique aux ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. S’agissant plus particulièrement des décisions de retour, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres prennent, en principe, une telle décision à l’égard de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.
35 Afin de déterminer si une décision de retour peut être adoptée à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers pendant la période courant de l’introduction par celui-ci d’une demande de protection internationale jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande, il convient, dès lors, d’examiner si un tel ressortissant se trouve, pendant cette période, en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115 (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16,
EU:C:2018:465, point 38).
36 À cet égard, il résulte de la définition de la notion de « séjour irrégulier », figurant à l’article 3, point 2, de cette directive, que tout ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans celui-ci se trouve, de ce seul fait, en séjour irrégulier (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 39 et jurisprudence citée).
37 Cependant, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32, un demandeur de protection internationale est autorisé à rester sur le territoire de l’État membre où il a présenté cette demande, aux seules fins de la procédure, jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort rejetant ladite demande. Si ce droit de demeurer sur ce territoire ne constitue pas, selon les termes exprès de cette disposition, un droit à un titre de séjour, il ressort néanmoins, notamment, du
considérant 9 de la directive 2008/115 que ledit droit fait obstacle à ce que le séjour d’un demandeur de protection internationale soit qualifié d’« irrégulier », au sens de cette directive, pendant la période courant de l’introduction de sa demande de protection internationale jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur celle-ci [voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Commission/Hongrie (Incrimination de l’aide aux demandeurs d’asile), C‑821/19, EU:C:2021:930,
point 137 et jurisprudence citée].
38 Ainsi qu’il découle sans ambiguïté du libellé de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32, le droit du demandeur de protection internationale de rester dans l’État membre où il a présenté cette demande, prévu à cette disposition, prend fin avec l’adoption, par les autorités compétentes de cet État membre, de la décision de premier ressort rejetant ladite demande. En l’absence d’un droit ou d’un titre de séjour accordé à ce demandeur sur un autre fondement juridique, notamment en vertu
de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, permettant au demandeur débouté de remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans l’État membre concerné, cette décision de rejet a pour conséquence que, dès l’adoption de celle-ci, ledit demandeur ne remplit plus ces conditions, de telle sorte que son séjour devient irrégulier (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 41).
39 Par conséquent, étant donné que, pendant la période courant de l’introduction de la demande de protection internationale jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur celle-ci, l’existence d’une autorisation de rester exclut l’irrégularité du séjour du demandeur et donc l’application de la directive 2008/115 à son égard, une décision de retour le concernant ne peut pas être adoptée au cours de cette période (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16,
EU:C:2018:465, points 46, 58 et 59).
40 En revanche, dès le rejet de la demande de protection internationale ou cumulativement avec celui-ci dans un même acte administratif, une décision de retour peut, en principe, être adoptée à l’encontre de l’intéressé (arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 59).
41 Cela étant, il ne saurait être inféré des considérations exposées aux points 33 à 40 du présent arrêt que, dans l’hypothèse où la décision de retour a pour objet d’éloigner un ressortissant de pays tiers en raison du caractère irrégulier de son séjour antérieurement à sa demande de protection internationale, cette circonstance justifierait que l’autorité compétente de l’État membre saisi, par ce ressortissant de pays tiers, d’une demande de protection internationale puisse adopter une telle
décision de retour après l’introduction de cette demande, mais avant qu’il ait été statué en premier ressort sur celle-ci.
42 Certes, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il ressort du considérant 12 de la directive 2008/115 que celle-ci trouve à s’appliquer à des ressortissants d’un pays tiers qui, quoiqu’en séjour irrégulier, sont autorisés à rester légalement sur le territoire de l’État membre concerné, dans la mesure où ils ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Toutefois, ainsi qu’il découle du point 37 du présent arrêt, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32, lu à la lumière du considérant 9
de la directive 2008/115, doit être interprété en ce sens que le droit du demandeur de protection internationale de rester sur le territoire de l’État membre concerné pendant la période courant de l’introduction de sa demande jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur celle-ci fait obstacle à ce que, pendant cette période, le séjour de l’intéressé soit qualifié d’« irrégulier », au sens de la directive 2008/115 (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16,
EU:C:2018:465, points 46 et 47). À cet égard, il est sans incidence que la décision de retour soit relative à la période pendant laquelle ce demandeur se trouvait en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre concerné, antérieurement au dépôt de sa demande de protection internationale.
43 Compte tenu des considérations exposées aux points 33 à 42 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi de savoir si les dispositions du droit de l’Union et, en particulier, celles de la directive 2008/115, visées au point 24 du présent arrêt, s’opposent à l’adoption d’une décision de retour à l’égard d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre, dans les circonstances décrites à ce même point du
présent arrêt et s’il est loisible à cet État membre de recourir à la notion de « pays d’origine sûr », au sens des articles 36 et 37 de la directive 2013/32, aux fins d’apprécier le risque d’une violation du principe de non-refoulement en cas d’adoption d’une telle décision.
44 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la demande de décision préjudicielle que l’article 2, paragraphe 1, et l’article 3, point 2, de la directive 2008/115, lus à la lumière du considérant 9 de cette directive et en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’adoption d’une décision de retour, au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à l’égard d’un
ressortissant de pays tiers après l’introduction par celui-ci d’une demande de protection internationale, mais avant qu’il n’ait été statué en premier ressort sur cette demande, et cela quelle que soit la période de séjour visée dans ladite décision de retour.
Sur les dépens
45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 1, et l’article 3, point 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lus à la lumière du considérant 9 de cette directive et en combinaison avec l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes
pour l’octroi et le retrait de la protection internationale,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à l’adoption d’une décision de retour, au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à l’égard d’un ressortissant de pays tiers après l’introduction par celui-ci d’une demande de protection internationale, mais avant qu’il n’ait été statué en premier ressort sur cette demande, et cela quelle que soit la période de séjour visée dans ladite décision de retour.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le tchèque.