ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
12 octobre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Article 56 CE – Libre circulation des capitaux – Impôt sur le revenu des personnes physiques – Imposition des revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance – Intérêts dus et versés par des entités non-résidentes sur le territoire national – Différence de traitement en fonction du lieu d’établissement de l’entité émettrice et de l’entité payante des intérêts concernés – Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures
équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE – Article 2, paragraphe 4 – Fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts d’une source suisse – Obligation d’appliquer les mêmes taux d’imposition que ceux appliqués aux revenus nationaux similaires »
Dans l’affaire C‑312/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal), par décision du 7 avril 2022, parvenue à la Cour le 10 mai 2022, dans la procédure
FL
contre
Autoridade Tributária e Aduaneira,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour FL, par Mes D. Almeida et M. da Rosa Amaral, advogados,
– pour le gouvernement portugais, par M. A. de Almeida Morgado, Mmes P. Barros da Costa et A. Rodrigues, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Braga da Cruz et W. Roels, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 CE et de l’article 2, paragraphe 4, de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts (JO 2004, L 385, p. 30, ci-après l’« accord »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FL à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, Portugal) au sujet de l’assujettissement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques de revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance dus par des entités non-résidentes sur le territoire portugais et versés à FL au cours de l’année 2005 par un établissement bancaire suisse.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’accord est entré en vigueur le 1er juillet 2005, à la suite de l’achèvement des procédures prévues aux articles 17 et 18 de celui-ci.
4 Aux termes de l’article 1er de l’accord, intitulé « Retenue par les agents payeurs suisses » :
« 1. Les paiements d’intérêts faits à des bénéficiaires effectifs au sens de l’article 4 qui sont résidents d’un État membre de l’Union européenne, ci-après dénommé “État membre”, par un agent payeur établi sur le territoire de la Suisse font l’objet, sous réserve du paragraphe 2 et de l’article 2, d’une retenue d’impôt sur le montant du paiement d’intérêts. Le taux de cette retenue d’impôt est de 15 % au cours des trois premières années à compter de la date d’application du présent accord, de
20 % au cours des trois années suivantes et de 35 % ensuite.
2. Les paiements d’intérêts sur les créances qui sont émises par des débiteurs qui sont résidents de la Suisse ou qui se rattachent à des établissements stables de non-résidents situés en Suisse sont exclus de la retenue d’impôt. Aux fins du présent accord, l’expression “établissement stable” a le sens que lui confère la convention en vue d’éviter les doubles impositions applicables entre la Suisse et l’État de résidence du débiteur. En l’absence d’une telle convention, l’expression
“établissement stable” désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle le débiteur exerce tout ou partie de son activité.
[...] »
5 Conformément à l’article 2 de l’accord, intitulé « Divulgation volontaire » :
« 1. La Suisse prévoit une procédure qui permet au bénéficiaire effectif au sens de l’article 4 d’éviter la retenue d’impôt prévue à l’article 1er en autorisant expressément son agent payeur établi en Suisse à communiquer les paiements d’intérêts à l’autorité compétente de cet État. Cette autorisation couvre tous les paiements d’intérêts faits à ce bénéficiaire effectif par cet agent payeur.
2. Le contenu minimal des informations que l’agent payeur est tenu de communiquer en cas d’autorisation expresse du bénéficiaire effectif est le suivant :
[...]
3. L’autorité suisse compétente communique les informations visées au paragraphe 2 à l’autorité compétente de l’État membre de résidence du bénéficiaire effectif. [...]
4. Lorsque le bénéficiaire effectif opte pour cette procédure de divulgation volontaire ou déclare d’une autre manière ses revenus d’intérêt reçus d’un agent payeur suisse aux autorités fiscales de son État membre de résidence, les revenus d’intérêt concernés sont imposés dans cet État membre aux mêmes taux que ceux appliqués aux revenus similaires provenant de cet État. »
Le droit portugais
6 Aux termes de l’article 22 du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « CIRS ») :
« 1. Le revenu imposable à l’impôt sur le revenu des personnes physiques est celui qui résulte de l’accumulation des revenus des différentes catégories perçus chaque année, après avoir procédé aux déductions et aux abattements prévus dans les sections suivantes.
[...]
3. Les revenus perçus par les assujettis qui ne résident pas sur le territoire portugais ainsi que ceux visés aux articles 71 et 72 ne sont pas accumulés, aux fins de leur imposition, sans préjudice de la faculté d’accumulation qui y est prévue. »
7 L’article 71, paragraphes 1 et 3, du CIRS dispose :
« 1. Sont soumis à une retenue à la source définitive les revenus perçus sur le territoire portugais figurant aux paragraphes suivants ainsi que les revenus visés à l’article 101, paragraphe 2, sous b), aux taux libératoires y étant prévus.
[...]
3. Sont imposés au taux de 20 % :
a) les intérêts provenant de dépôts à vue ou à terme, y compris ceux provenant de certificats de dépôt ;
b) les revenus issus de titres de créance, qu’ils soient nominatifs ou au porteur, ainsi que les revenus issus d’opérations de report, de cessions de créance, de comptes de titres à prix garantis ou d’autres opérations similaires ou analogues ;
[...] »
8 L’article 101, paragraphe 2, sous b), du CIRS prévoit :
« S’agissant de revenus faisant l’objet d’une retenue à la source aux taux prévus à l’article 71 ainsi que, dans le cas visé au point b), de bénéfices issus de parts sociales dus par des entités non domiciliées sur le territoire portugais auxquelles le versement peut être attribué :
[...]
b) les entités qui versent à des titulaires résidant sur le territoire portugais, ou mettent à leur disposition, des revenus de valeurs mobilières dus par des entités non domiciliées sur le territoire portugais auxquelles le versement peut être attribué, qu’elles soient mandatées par ces dernières ou par ces titulaires, ou qu’elles agissent pour le compte des unes ou des autres, doivent déduire le montant correspondant au taux de 20 % des revenus bruts [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 Au cours de l’année 2005, FL a perçu des revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance versés par un établissement bancaire suisse.
10 Le 10 mai 2006, FL a présenté une déclaration de revenus portant sur ces revenus d’intérêts. Par l’avis d’imposition au titre de l’année 2005, lesdits revenus d’intérêts ont été accumulés avec les autres revenus de FL et imposés à l’impôt sur le revenu des personnes physiques au taux progressif maximal de 40 %.
11 Le 31 juillet 2008, FL a déposé une demande de réexamen d’office de cet avis d’imposition, laquelle a été rejetée. Le 11 janvier 2010, il a saisi le Tribunal Administrativo e Fiscal de Sintra (tribunal administratif et fiscal de Sintra, Portugal) d’un recours contre ledit avis d’imposition, recours que ce tribunal a rejeté dans son intégralité par un jugement du 1er novembre 2020.
12 FL a formé un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême, Portugal).
13 Au soutien de ce pourvoi, FL fait valoir, tout d’abord, que la législation portugaise applicable porte atteinte à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation des services, en ce qu’elle discrimine les personnes résidant au Portugal selon que les revenus d’intérêts qu’elles perçoivent proviennent d’obligations et de placements à terme émis par des entités établies au Portugal ou sont versés par de telles entités, ou bien que ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de
placements à terme émis par des entités établies dans des pays tiers et sont versés par de telles entités.
14 En effet, en vertu des articles 22, 71 et 101 du CIRS, les revenus d’intérêts perçus des premières entités seraient imposés au taux libératoire de 20 % tandis que ceux perçus des secondes feraient l’objet d’une accumulation obligatoire des revenus et imposés à un taux progressif pouvant aller jusqu’à 40 %. Or, dans la mesure où, selon cette législation, des revenus identiques font l’objet d’un traitement fiscal différent selon que leur versement est effectué ou non par un agent payeur résidant au
Portugal, FL considère que ladite législation est susceptible de dissuader les contribuables résidents d’investir leur capital dans des sociétés établies dans l’Union européenne ou hors de celle-ci.
15 En outre, FL estime que la législation portugaise méconnaît les dispositions de la directive 2003/48 et celles de l’accord qui prévoit des mesures équivalentes, en ce que cette législation impose les revenus lui ayant été versés par des établissements bancaires suisses plus lourdement que si ces revenus avaient été versés par des établissements bancaires portugais, alors même qu’il se serait correctement acquitté de ses obligations fiscales au Portugal et aurait permis l’échange d’informations
entre cet État membre et les autorités suisses.
16 Ainsi, la juridiction de renvoi se demande si ladite législation est compatible avec les règles de l’Union relatives à la libre circulation des capitaux, notamment avec l’article 56 CE, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 4, de l’accord.
17 Dans ces conditions, le Supremo Tribunal Administrativo (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Est-il conforme au droit de l’Union que les revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance versés au requérant [au principal] en 2005 par un établissement bancaire suisse non-résident [sur le territoire portugais] doivent faire l’objet d’une accumulation fiscale et être ainsi imposés au même taux de l’[impôt sur le revenu des personnes physiques] que les autres revenus, ce qui entraîne leur imposition à un taux beaucoup plus élevé que celui qui serait appliqué (taux
libératoire) si ces revenus avaient été versés par un établissement bancaire résidant sur le territoire national ? »
Sur la question préjudicielle
18 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 CE et l’article 2, paragraphe 4, de l’accord doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus par les contribuables de cet État membre à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité d’un autre État membre ou
d’un État tiers tel que la Confédération suisse et qu’ils sont versés par une telle entité, tandis que, lorsque lesdits revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité de leur État membre de résidence et qu’ils sont versés par une telle entité, ils sont imposés à un taux libératoire inférieur de 20 %.
Sur la libre circulation des capitaux
19 Il y a lieu de constater d’emblée qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui a pour objet le traitement fiscal de revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance perçus par les personnes physiques et issus des investissements que ces dernières ont réalisés, relève du champ d’application de la libre circulation des capitaux.
20 Or, une telle réglementation est également susceptible d’affecter la libre prestation des services, ainsi que le requérant au principal et la Commission européenne le font observer, en ce qu’elle peut avoir des effets sur les services financiers ayant pour objet ces obligations et titres de créance proposés par un intermédiaire d’un autre État membre.
21 Toutefois, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés fondamentales s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée (arrêt du 30 avril 2020, Société Générale, C‑565/18, EU:C:2020:318, point 19 et jurisprudence
citée).
22 En l’occurrence, la libre prestation des services apparaît secondaire par rapport à la libre circulation des capitaux et peut lui être rattachée. En effet, la réglementation nationale en cause au principal se rapporte aux conséquences découlant pour un contribuable résident de l’exercice de la libre circulation des capitaux. C’est précisément l’exercice de cette dernière liberté fondamentale qui est susceptible d’entraîner, pour l’intéressé, la nécessité de choisir un intermédiaire pour le
versement des revenus d’intérêts provenant des obligations et des titres de créance concernés, afin de pouvoir bénéficier, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, du taux d’imposition libératoire de 20 % sur ces revenus d’intérêts. Le choix de cet intermédiaire et, par conséquent, les aspects relatifs à libre prestation de services sont, dans un tel contexte, la conséquence inéluctable du traitement fiscal dont font l’objet lesdits revenus d’intérêts (voir, en ce sens, arrêt
du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C‑233/09, EU:C:2010:397, points 34 et 35).
23 Cela étant précisé, il résulte d’une jurisprudence constante que les mesures interdites par l’article 56, paragraphe 1, CE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents de cet État membre d’en faire dans d’autres États (arrêts du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 24, et du 18 décembre 2007, A, C‑101/05, EU:C:2007:804,
point 40).
24 En l’occurrence, il ressort des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle que la réglementation nationale en cause au principal soumet les revenus d’intérêts qui proviennent d’obligations et de titres de créance émis au Portugal, qui sont versés dans cet État membre et qui sont perçus par une personne physique résidant dans ledit État membre, à un taux d’imposition libératoire de 20 %.
25 En revanche, lorsque ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis dans un autre État membre ou dans un État tiers, ceux-ci sont accumulés aux autres revenus de cette personne et soumis à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 %, sauf s’ils sont versés par un intermédiaire établi au Portugal, auquel cas ils peuvent également bénéficier du taux d’imposition libératoire de 20 %.
26 En outre, si lesdits revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité d’un autre État membre ou d’un État tiers et qu’ils sont versés par un intermédiaire également non‑résident, les mêmes revenus d’intérêts ne peuvent, selon les mêmes indications, bénéficier du taux libératoire de 20 %.
27 Il ressort des éléments exposés aux points 24 à 26 du présent arrêt que les revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance émis dans un autre État que la République portugaise sont désavantagés par rapport aux revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance émis dans cet État membre.
28 Cette réglementation nationale instaure ainsi une différence de traitement en fonction du lieu d’investissement des capitaux, qui a pour effet de dissuader un contribuable résidant au Portugal d’investir ses capitaux dans un autre État ainsi que de faire obstacle à la collecte de capitaux au Portugal (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C‑233/09, EU:C:2010:397, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
29 Dans la mesure où le gouvernement portugais fait valoir qu’un contribuable résident dans la situation de FL avait la possibilité, en vertu de l’article 101, paragraphe 2, sous b), du CIRS, de bénéficier du taux libératoire de 20 % sur les revenus d’intérêts qui proviennent d’obligations et de titres de créance et qui sont versés par une entité non-résidente, en la mandatant pour effectuer une retenue à la source de ces revenus d’intérêts, il y a lieu d’observer, d’une part, que cette possibilité
n’est pas mentionnée par la juridiction de renvoi. D’autre part, même une telle possibilité n’aurait pas d’incidence sur le constat effectué au point précédent du présent arrêt, dès lors que la nécessité de procéder à une telle formalité ne concerne que les revenus d’intérêts qui proviennent d’obligations et de titres de créance émis par des entités non-résidentes et qui sont versés par de telles entités, et non ceux qui proviennent d’obligations et de titres de créance émis par des entités
résidant au Portugal ou qui sont versés par de telles entités.
30 Il s’ensuit qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est constitutive d’une restriction à la libre circulation des capitaux interdite, en principe, par l’article 56, paragraphe 1, CE.
31 Le gouvernement portugais évoque également, à cet égard, la clause de standstill figurant à l’article 57, paragraphe 1, CE qui n’est pas non plus évoquée par la juridiction de renvoi. Toutefois, ce gouvernement ne fournit pas d’éléments suffisants sur le respect des critères matériel et temporel établis par cette clause, qui doivent être cumulativement remplis pour que celle-ci trouve à s’appliquer. Il appartient dès lors à cette juridiction de vérifier si ces critères sont ou non cumulativement
satisfaits s’agissant de la réglementation nationale en cause au principal, eu égard à la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêts du 10 avril 2014, Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company, C‑190/12, EU:C:2014:249, point 53, et du 13 novembre 2019, College Pension Plan of British Columbia, C‑641/17, EU:C:2019:960, points 91 à 94, 100, 101, 104 et 105 ainsi que jurisprudence citée).
32 Dès lors qu’il n’apparaît pas, au vu du dossier dont dispose la Cour, que la restriction à la libre circulation des capitaux induite par la réglementation nationale en cause au principal échappe à l’application de l’article 56, paragraphe 1, CE sur le fondement de l’article 57, paragraphe 1, CE, il convient d’examiner dans quelle mesure cette restriction est susceptible d’être justifiée au regard des dispositions du traité CE.
33 À cet égard, l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE prévoit que « l’article 56 CE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres [...] d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ».
34 Cette disposition de l’article 58 CE, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État membre dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité (arrêt du 17 octobre 2013,
Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 42 et jurisprudence citée).
35 En effet, la dérogation prévue à l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE est elle-même limitée par le paragraphe 3 de cet article, lequel prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 dudit article « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56 [CE] » (arrêt du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 43 et jurisprudence citée).
36 Il y a donc lieu de distinguer les traitements différents permis au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations arbitraires interdites en vertu du paragraphe 3 de cet article. Or, il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme étant compatible avec les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux, il est nécessaire que la différence de
traitement qu’elle prévoit concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2013, Welte, C‑181/12, EU:C:2013:662, point 44 et jurisprudence citée, ainsi que du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C‑545/19, EU:C:2022:193, point 42).
37 En l’occurrence, s’agissant de la comparabilité objective des situations, dans le cadre de la réglementation nationale en cause au principal, un contribuable résidant au Portugal percevant des revenus d’intérêts issus d’investissements qu’il a effectués dans un autre État, tels que des revenus d’intérêts provenant d’obligations et de titres de créance, est tout autant soumis à un impôt sur ces revenus d’intérêts dans son État membre de résidence qu’un contribuable résidant au Portugal percevant
des revenus d’investissements de même nature effectués dans ce dernier État membre (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Dijkman et Dijkman-Lavaleije, C‑233/09, EU:C:2010:397, point 45).
38 Dans ce contexte, la circonstance que ces revenus d’intérêts sont soumis à des taux d’imposition différents selon qu’ils sont générés ou versés dans leur État membre de résidence ou générés et versés dans un autre État est à l’origine de la différence de traitement en cause au principal, mais ne reflète pas une différence de situation dans le chef des contribuables concernés en ce qui concerne l’imposition sur le revenu des personnes physiques (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Dijkman
et Dijkman-Lavaleije, C‑233/09, EU:C:2010:397, point 46).
39 Il s’ensuit que la différence de traitement instaurée par la réglementation nationale en cause au principal concerne des situations objectivement comparables.
40 S’agissant du point de savoir si cette différence de traitement pourrait être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, il suffit de relever que ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement portugais n’invoquent l’existence de telles raisons impérieuses d’intérêt général.
41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première partie de la question posée que l’article 56 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus par les contribuables de cet État membre à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité d’un autre État membre ou d’un État tiers
tel que la Confédération suisse et qu’ils sont versés par une telle entité, tandis que, lorsque lesdits revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité de leur État membre de résidence et qu’ils sont versés par une telle entité, ils sont imposés à un taux libératoire inférieur de 20 %.
Sur l’accord
42 En vertu de l’article 2, paragraphe 4, de l’accord, lorsque le bénéficiaire effectif opte pour la procédure de divulgation volontaire ou déclare d’une autre manière ses revenus d’intérêt reçus d’un agent payeur suisse aux autorités fiscales de son État membre de résidence, les revenus d’intérêts concernés sont imposés dans cet État membre aux mêmes taux que ceux appliqués aux revenus similaires provenant de cet État.
43 À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que plusieurs conditions doivent être satisfaites pour que cette disposition soit applicable à la situation en cause au principal.
44 Tout d’abord, dès lors que l’accord est entré en vigueur le 1er juillet 2005, il ne concerne que les revenus d’intérêts payés à compter de cette date.
45 Ensuite, ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphes 1et 2, de l’accord, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphes 1 et 4, de celui-ci, les paiements concernés ne doivent pas viser des revenus d’intérêts sur les créances « qui sont émises par des débiteurs qui sont résidents de la Suisse ou qui se rattachent à des établissements stables de non-résidents situés en Suisse ».
46 En effet, dans un tel cas de figure, ces revenus d’intérêts sont exclus, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de l’accord, de la retenue d’impôt sur le montant du paiement d’intérêts qui est prévue à cet article 1er, paragraphe 1, ce « sous réserve du paragraphe 2 et de l’article 2 » de l’accord. Or, il résulte de l’article 2, paragraphes 1 et 4, de l’accord que le bénéficiaire effectif doit avoir opté pour la procédure de divulgation volontaire que la Confédération suisse est tenue de
prévoir afin d’éviter la retenue d’impôt visée à l’article 1er de celui-ci, ou avoir déclaré ses revenus d’intérêts aux autorités fiscales de son État de résidence.
47 Enfin, il résulte de cet article 2, paragraphe 4, que le bénéficiaire effectif des revenus d’intérêts concernés doit lui-même avoir opté pour cette procédure de divulgation volontaire ou avoir effectué une déclaration d’une autre manière aux autorités fiscales de son État membre de résidence.
48 Les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle ne permettant pas d’établir, en l’occurrence, que l’ensemble des conditions nécessaires à l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 4, de l’accord sont satisfaites s’agissant de la situation en cause au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer les vérifications nécessaires à cet égard.
49 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la question posée que l’article 2, paragraphe 4, de l’accord, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus, à compter du 1er juillet 2005, par les contribuables de cet État membre ayant opté pour la procédure de divulgation volontaire ou déclaré d’une autre manière
ces revenus d’intérêts aux autorités fiscales de leur État membre de résidence, pour autant qu’ils ne sont pas exclus de la retenue d’impôt en vertu de cet article 1er, paragraphe 2, à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque lesdits revenus d’intérêts, provenant d’obligations et de titres de créance, sont versés par un agent payeur suisse, tandis que, lorsque les mêmes revenus d’intérêts sont versés par un agent payeur résident, ils sont imposés à un taux libératoire
inférieur de 20 %.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 56 CE
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus par les contribuables de cet État membre à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 % lorsque ces revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres de créance émis par une entité d’un autre État membre ou d’un État tiers tel que la Confédération suisse et qu’ils sont versés par une telle entité, tandis que, lorsque lesdits revenus d’intérêts proviennent d’obligations et de titres
de créance émis par une entité de leur État membre de résidence et qu’ils sont versés par une telle entité, ils sont imposés à un taux libératoire inférieur de 20 %.
2) L’article 2, paragraphe 4, de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation d’un État membre soumettant les revenus d’intérêts perçus, à compter du 1er juillet 2005, par les contribuables de cet État membre ayant opté pour la procédure de divulgation volontaire ou déclaré d’une autre manière ces revenus d’intérêts aux autorités fiscales de leur État membre de résidence, pour autant qu’ils ne sont pas exclus de la retenue d’impôt en vertu de cet article 1er, paragraphe 2, à un taux d’imposition progressif pouvant aller jusqu’à 40 %
lorsque lesdits revenus d’intérêts, provenant d’obligations et de titres de créance, sont versés par un agent payeur suisse, tandis que, lorsque les mêmes revenus d’intérêts sont versés par un agent payeur résident, ils sont imposés à un taux libératoire inférieur de 20 %.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le portugais.