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07/09/2023 | CJUE | N°C-601/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Pologne., 07/09/2023, C-601/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 septembre 2023 ( *1 )

« Manquement d’État – Marchés publics de services – Imprimerie d’État – Production de documents d’identité et d’autres documents officiels ainsi que de systèmes de gestion de ces documents – Législation nationale prévoyant l’attribution des marchés relatifs à cette production à une entreprise de droit public sans recours préalable à une procédure de passation de marché – Article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE – Directive 2014/24/UE – Article 1er, paragraphe

s 1 et 3 – Article 15, paragraphes 2
et 3 – Mesures particulières de sécurité – Protection des intérêts essentie...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 septembre 2023 ( *1 )

« Manquement d’État – Marchés publics de services – Imprimerie d’État – Production de documents d’identité et d’autres documents officiels ainsi que de systèmes de gestion de ces documents – Législation nationale prévoyant l’attribution des marchés relatifs à cette production à une entreprise de droit public sans recours préalable à une procédure de passation de marché – Article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE – Directive 2014/24/UE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Article 15, paragraphes 2
et 3 – Mesures particulières de sécurité – Protection des intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre »

Dans l’affaire C‑601/21,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 28 septembre 2021,

Commission européenne, représentée initialement par M. P. Ondrůšek, Mmes M. Siekierzyńska, A. Stobiecka-Kuik et M. G. Wils, puis par MM. G. Gattinara, P. Ondrůšek, Mme A. Stobiecka-Kuik et M. G. Wils, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, Mme E. Borawska-Kędzierska et M. M. Horoszko, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz et A. Kumin, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er décembre 2022,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ayant introduit dans la législation polonaise des exclusions non prévues par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), en ce qui concerne les marchés relatifs à la production de certains documents, formulaires et timbres, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui
incombent en vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/24, lus en combinaison avec l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2 L’article 1er de la directive 2014/24 dispose :

« 1.   La présente directive établit les règles applicables aux procédures de passation de marchés par des pouvoirs adjudicateurs en ce qui concerne les marchés publics, ainsi que les concours, dont la valeur estimée atteint ou dépasse les seuils établis à l’article 4.

2.   Au sens de la présente directive, la passation d’un marché est l’acquisition, au moyen d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs auprès d’opérateurs économiques choisis par lesdits pouvoirs, que ces travaux, fournitures ou services aient ou non une finalité publique.

3.   La mise en œuvre de la présente directive est soumise à l’article 346 [TFUE].

[...] »

3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, points 6 et 9, de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

6.   « marchés publics de travaux », des marchés publics ayant l’un des objets suivants :

a) soit l’exécution seule, soit à la fois la conception et l’exécution de travaux relatifs à l’une des activités mentionnées à l’annexe II ;

b) soit l’exécution seule, soit à la fois la conception et l’exécution d’un ouvrage ;

c) la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ;

[...]

9.   « marchés publics de services », des marchés publics ayant pour objet la prestation de services autre que ceux visés au point 6) ».

4 L’article 4 de ladite directive détermine les seuils à partir desquels celle‑ci est applicable.

5 L’article 12 de la même directive, intitulé « Marchés publics passés entre entités appartenant au secteur public »,énonce, à son paragraphe 1 :

« Un marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ;

b) plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ; et

c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

[...] »

6 Intitulé « Défense et sécurité », l’article 15 de la directive 2014/24 prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.   La présente directive ne s’applique pas aux marchés publics ni aux concours qui ne sont pas par ailleurs exclus en vertu du paragraphe 1 dans la mesure où la protection des intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre ne peut être garantie par des mesures moins intrusives, par exemple en imposant des conditions en vue de protéger la confidentialité des informations que le pouvoir adjudicateur met à disposition dans le cadre d’une procédure d’attribution de marché prévue par la
présente directive.

En outre, et en conformité avec l’article 346, paragraphe 1, point a), [TFUE], la présente directive ne s’applique pas aux marchés publics ni aux concours qui ne sont pas par ailleurs exclus en vertu du paragraphe 1 du présent article, dans la mesure où l’application de la présente directive obligerait un État membre à fournir des informations dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité.

3.   Lorsque la passation et l’exécution du marché public ou du concours sont déclarées secrètes ou doivent s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans un État membre, la présente directive ne s’applique pas pour autant que ledit État membre ait établi que la protection des intérêts essentiels concernés ne peut être garantie par des mesures moins intrusives, telles que celles visées au
paragraphe 2, premier alinéa. »

7 L’article 28, paragraphes 1 et 2, de cette directive, intitulé « Procédure restreinte », est libellé comme suit :

« 1.   Dans une procédure restreinte, tout opérateur économique peut soumettre une demande de participation en réponse à un avis d’appel à la concurrence [...]

[...]

2.   Seuls les opérateurs économiques invités à le faire par le pouvoir adjudicateur à la suite de l’évaluation par celui-ci des informations fournies peuvent soumettre une offre. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre qui seront invités à participer à la procédure, conformément à l’article 65.

[...] »

8 L’article 29 de ladite directive, intitulé « Procédure concurrentielle avec négociation », dispose, à son paragraphe 6 :

« La procédure concurrentielle avec négociation peut se dérouler en phases successives de manière à réduire le nombre d’offres à négocier en appliquant les critères d’attribution précisés dans l’avis de marché, dans l’invitation à confirmer l’intérêt ou dans un autre document du marché. [...] »

9 L’article 30, paragraphe 4, de la même directive énonce :

« Les dialogues compétitifs peuvent se dérouler en phases successives de manière à réduire le nombre de solutions à discuter pendant la phase du dialogue en appliquant les critères d’attribution énoncés dans l’avis de marché ou dans le document descriptif. Dans l’avis de marché ou le document descriptif, le pouvoir adjudicateur indique s’il fera usage de cette possibilité. »

10 L’article 42 de la directive 2014/24 prévoit les modalités selon lesquelles les pouvoirs adjudicateurs peuvent formuler des spécifications techniques et en tenir compte lors de la sélection des offres. Cet article énonce, à son paragraphe 1 :

« Les spécifications techniques définies au point 1 de l’annexe VII figurent dans les documents de marché. Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures.

Ces caractéristiques peuvent également se référer au processus ou à la méthode spécifique de production ou de fourniture des travaux, des produits ou des services demandés ou à un processus propre à un autre stade de leur cycle de vie même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel, à condition qu’ils soient liés à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs.

Les spécifications techniques peuvent aussi préciser si le transfert des droits de propriété intellectuelle sera exigé.

[...] »

11 Aux termes de l’article 58 de cette directive, intitulé « Critères de sélection » :

« 1.   Les critères de sélection peuvent avoir trait :

a) à l’aptitude à exercer l’activité professionnelle ;

b) à la capacité économique et financière ;

c) aux capacités techniques et professionnelles.

Les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent imposer comme conditions de participation aux opérateurs économiques que les critères visés aux paragraphes 2, 3 et 4. Ils limitent ces conditions à celles qui sont propres à garantir qu’un candidat ou un soumissionnaire dispose de la capacité juridique et financière ainsi que des compétences techniques et professionnelles nécessaires pour exécuter le marché à attribuer. Toutes les conditions sont liées et proportionnées à l’objet du marché.

2.   En ce qui concerne l’aptitude à exercer l’activité professionnelle, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer aux opérateurs économiques d’être inscrits sur un registre professionnel ou sur un registre du commerce de leur État membre d’établissement, visé à l’annexe XI, ou de se conformer à toute autre exigence énoncée dans ladite annexe.

[...]

3.   En ce qui concerne la capacité économique et financière, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer aux opérateurs économiques des conditions garantissant que ceux-ci possèdent la capacité économique et financière nécessaire pour exécuter le marché. À cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent en particulier exiger que les opérateurs économiques réalisent un chiffre d’affaires annuel minimal donné, notamment un chiffre d’affaires minimal donné dans le domaine concerné par le marché. En
outre, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que les opérateurs économiques fournissent des informations sur leurs comptes annuels indiquant le rapport, par exemple, entre les éléments d’actif et de passif. Ils peuvent également exiger un niveau approprié d’assurance des risques professionnels.

[...]

4.   En ce qui concerne les capacités techniques et professionnelles, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l’expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié.

Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger notamment que les opérateurs économiques disposent d’un niveau d’expérience suffisant, démontré par des références adéquates provenant de marchés exécutés antérieurement. Un pouvoir adjudicateur peut considérer qu’un opérateur économique ne possède pas les capacités professionnelles requises lorsqu’il a établi que l’opérateur économique se trouve dans une situation de conflit d’intérêts qui pourrait avoir une incidence négative sur l’exécution du marché.

Dans les procédures de passation de marché [...] de services [...], la capacité professionnelle des opérateurs économiques à fournir les services [...] peut être évaluée en vertu de leur savoir-faire, de leur efficacité, de leur expérience et de leur fiabilité.

[...] »

12 Intitulé « Recours aux capacités d’autres entités », l’article 63 de ladite directive dispose, à son paragraphe 1 :

« Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, avoir recours aux capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités, en ce qui concerne les critères relatifs à la capacité économique et financière énoncés à l’article 58, paragraphe 3, et les critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles, visés à l’article 58, paragraphe 4. [...]

[...]

Lorsqu’un opérateur économique a recours aux capacités d’autres entités en ce qui concerne des critères ayant trait à la capacité économique et financière, le pouvoir adjudicateur peut exiger que l’opérateur économique et les autres entités en question soient solidairement responsables de l’exécution du marché.

[...] »

13 L’article 71 de la même directive prévoit les modalités relatives à la sous‑traitance.

Le droit polonais

14 L’article 4, point 5c, de l’ustawa Prawo zamówień publicznych (loi sur les marchés publics), du 29 janvier 2004 (Dz. U., no 19, position 177), telle que modifiée par l’ustawa o dokumentach publicznych (loi sur les documents publics), du 22 novembre 2018 (Dz. U. de 2019, position 53) (ci-après la « loi sur les marchés publics »), prévoyait :

« La présente loi ne s’applique pas :

[...]

5c) aux marchés relatifs à la production :

a) des documents publics vierges visés à l’article 5, paragraphe 2, de la [loi sur les documents publics], ainsi qu’à leur personnalisation ou individualisation,

b) des timbres d’accise,

c) des marquages légaux et vignettes de contrôle visés par la loi établissant le code de la route [(Dz. U. de 2018, position 1990), du 20 juin 1997, telle que modifiée ultérieurement)],

d) des bulletins de vote visés à l’article 40 de la loi établissant le code électoral (Dz. U. de 2019, positions 684 et 1504), du 5 janvier 2011, et à l’article 20 de la loi sur le référendum national (Dz. U. de 2019, positions 1444 et 1504), du 14 mars 2003,

e) des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote visées à l’article 32, paragraphe 1, de la [loi établissant le code électoral],

f) des systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation des documents publics visés à l’article 5, paragraphe 2, de la [loi sur les documents publics], contenant une puce électronique, conformément à leur destination ».

15 Les documents publics visés à l’article 5, paragraphe 2, de la loi sur les documents publics sont :

« 1) les cartes d’identité ;

2) les passeports ;

3) les livrets de marin visés à l’article 10, paragraphe 1, de la loi sur le travail maritime, du 5 août 2015 ;

4) les documents délivrés conformément à l’article 44, paragraphe 1, et à l’article 83, paragraphe 1, de la loi sur les actes d’état civil, du 28 novembre 2014 ;

5) les documents délivrés aux étrangers conformément à l’article 37 et à l’article 226 de la loi sur les étrangers, du 12 décembre 2013 ;

6) les documents délivrés aux membres des missions diplomatiques et postes consulaires des États étrangers ou à toute personne qui leur est assimilée en vertu de lois, de conventions ou du droit international coutumier, ainsi que les documents délivrés aux membres de leur famille faisant partie de leur ménage en vertu de l’article 61 de la [loi sur les étrangers] ;

7) le document délivré aux citoyens de l’Union européenne en vertu de l’article 48, paragraphe 1, de la loi sur l’entrée et le séjour sur le territoire de la République de Pologne, ainsi que sur la sortie de ce territoire, des ressortissants des États membres de l’Union [...] et des membres de leur famille, du 14 juillet 2006 ;

8) les documents délivrés aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union [...] en vertu de l’article 30, paragraphe 1, et de l’article 48, paragraphe 2, de la [loi sur l’entrée et le séjour sur le territoire de la République de Pologne, ainsi que sur la sortie de ce territoire, des ressortissants des États membres de l’Union et des membres de leur famille] ;

9) les documents délivrés aux étrangers conformément à l’article 55, paragraphe 1, et à l’article 89i, paragraphe 1, de la loi sur l’octroi aux étrangers d’une protection sur le territoire de la République de Pologne, du 13 juin 2003 ;

10) les titres exécutoires délivrés par des tribunaux ou auxiliaires de justice ;

11) les copies de jugements définitifs établissant l’acquisition, l’existence ou l’extinction d’un droit ou relatives à l’état civil ;

12) les copies de jugements ou attestations, établies par une juridiction, habilitant à la représentation d’une personne, à l’accomplissement d’un acte juridique ou à l’administration de biens déterminés ;

13) les copies d’ordonnances de tribunaux et auxiliaires de justice concernant l’apposition de la formule exécutoire sur un titre exécutoire autre que ceux énumérés à l’article 777, paragraphe 1, points 1 et 1, de la loi établissant le code de procédure civile, du 17 novembre 1964, si leur objet est un titre exécutoire n’émanant pas du tribunal ;

14) les copies et extraits de documents relatifs aux actes notariés visés à l’article 79, points 1-1b et 4, de la loi relative au notariat, du 14 février 1991, aux habilitations visées à l’article 79, paragraphe 2, de cette loi et aux protêts visés à l’article 79, paragraphe 5, de ladite loi ;

15) le certificat de membre d’un équipage d’aéronef ;

16) les documents personnels militaires délivrés aux personnes inscrites au registre militaire conformément à l’article 54, paragraphe 1, de la loi sur l’obligation générale de défendre la République de Pologne, du 21 novembre 1967 ;

17) les documents personnels militaires délivrés conformément à l’article 48, paragraphe 1, de la loi sur le service militaire professionnel, du 11 septembre 2003 ;

18) les cartes d’identité délivrées conformément à l’article 137c, paragraphe 1, de la [loi sur le service militaire professionnel] ;

19) les cartes d’identité délivrées conformément à l’article 54a, paragraphe 1, de la [loi sur l’obligation générale de défendre la République de Pologne] ;

20) une annotation figurant dans un passeport, visée à l’article 19, paragraphe 1, de la loi sur les passeports, du 13 juillet 2006 ;

21) la vignette-visa ;

22) la “carte polonaise”(Karta Polaka) ;

23) la carte attestant le handicap ou le degré de handicap ;

24) l’autorisation d’exercer la profession de médecin ;

25) l’autorisation d’exercer la profession de dentiste ;

26) le permis de conduire ;

27) le certificat d’immatriculation professionnel et le certificat d’immatriculation d’un véhicule, à l’exception des certificats d’immatriculation de véhicules visés à l’article 73, paragraphe 3, de la [loi établissant le code de la route] ;

28) le livret de véhicule (karta pojazdu) ;

29) le certificat temporaire visé à l’article 71, paragraphe 1, de la [loi établissant le code de la route] ;

30) la carte tachygraphique visée à l’article 2, paragraphe 4, de la loi sur les tachygraphes, du 5 juillet 2018 ;

31) le certificat ADR visé à l’article 2, point 10, de la loi sur le transport de marchandises dangereuses, du 19 août 2011 ;

31a) le document d’immatriculation visé à l’article 4, paragraphe 1, de la loi sur l’immatriculation des yachts et autres navires d’une longueur inférieure ou égale à 24 mètres, du 12 avril 2018, et

32) les cartes de service :

a) des policiers,

b) des gardes-frontières,

c) des agents de la Sûreté de l’État,

d) des agents de l’Agence de sécurité intérieure,

e) des agents de l’Agence du renseignement,

f) des agents du Bureau central de lutte contre la corruption,

g) des agents du service du contre-espionnage militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein du service du contre-espionnage militaire,

h) des agents du service du renseignement militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein du service du renseignement militaire,

i) des agents et du personnel de l’administration pénitentiaire,

j) des agents de l’administration fiscale et douanière,

k) des personnes employées dans des unités organisationnelles de l’administration fiscale nationale,

l) des inspecteurs de l’Inspection des transports routiers,

m) des membres de la police militaire. »

La procédure précontentieuse

16 Par une lettre de mise en demeure du 25 janvier 2019, la Commission a fait part à la République de Pologne de ses doutes notamment sur la compatibilité avec la directive 2014/24 de la loi sur les marchés publics, transposant cette directive dans l’ordre juridique polonais.

17 En particulier, la Commission a estimé que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant en vertu de ladite directive, dès lors que cette loi excluait des procédures de passation de marché les services, visés à l’article 4, point 5c, de ladite loi (ci-après les « services en cause »), de production des documents, des timbres d’accise, des marquages légaux, des vignettes de contrôle, des bulletins de vote, des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote ainsi
que des systèmes à microprocesseurs dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation des documents publics, contenant une puce électronique, conformément à leur destination, alors qu’une telle exclusion n’était pas prévue par la même directive.

18 Dans sa réponse du 25 mars 2019, la République de Pologne a contesté ce grief de la Commission.

19 Le 5 novembre 2019, cet État membre a informé la Commission de l’adoption d’une nouvelle loi visant à remplacer la loi sur les marchés publics à compter du 1er janvier 2021.

20 Considérant que cette nouvelle loi ne remédiait toujours pas aux manquements reprochés audit État membre au regard de la directive 2014/24, la Commission a, par une lettre du 28 novembre 2019, adressé à la République de Pologne un avis motivé et a invité cet État membre à prendre les mesures nécessaires afin de se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

21 Dans sa réponse du 28 janvier 2020, la République de Pologne a contesté, notamment, le grief de la Commission tiré de l’introduction dans l’ordre juridique polonais d’exclusions non prévues par cette directive en ce qui concerne les services en cause.

22 N’étant pas satisfaite des réponses apportées par la République de Pologne, la Commission a décidé, le 9 juin 2021, de saisir la Cour du présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

23 La Commission soutient que, lors de la transposition de la directive 2014/24 dans l’ordre juridique polonais, la République de Pologne a, en violation de cette directive, exclu les services en cause des procédures de passation de marché prévues par ladite directive. À cet égard, cette institution fait observer que de telles exclusions ne sont ni prévues aux articles 7 à 12 de la même directive ni ne peuvent être justifiées sur le fondement de l’article 15 de celle-ci.

24 La Commission rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour, c’est à l’État membre qui entend se prévaloir des dérogations prévues à cet article 15 qu’incombe la charge de la preuve que des circonstances exceptionnelles justifiant ces dérogations existent effectivement.

25 En faisant référence à l’arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État) (C‑187/16, EU:C:2018:194), la Commission indique qu’il appartient aux États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité et les mesures de sécurité nécessaires à la protection de la sécurité publique dans le cadre de l’impression des documents d’identité et d’autres documents officiels et que les mesures adoptées par les États membres dans le cadre des exigences légitimes d’intérêt national ne sont
pas soustraites dans leur ensemble à l’application du droit de l’Union du seul fait qu’elles interviennent notamment dans l’intérêt de la sécurité publique ou de la défense nationale. En particulier, il appartiendrait à la République de Pologne d’établir que le besoin de protéger les intérêts qu’elle invoque ne pouvait pas être satisfait dans le cadre d’un appel d’offres. Par ailleurs, les intérêts économiques ou industriels ne constitueraient pas, en principe, de tels intérêts essentiels de
sécurité.

26 À cet égard, la Commission estime que les justifications avancées par la République de Pologne s’agissant des services en cause, en vue de déroger à l’application des procédures de passation de marché prévues par la directive 2014/24, sont insuffisantes.

27 Cette institution soutient que la circonstance que l’État soit l’actionnaire unique de l’entreprise qui s’est vu confier la prestation des services en cause ne saurait constituer une garantie ni contre une éventuelle faillite de cette dernière ni de la fiabilité de l’exécution des contrats en cause. À cet égard, la Commission, d’une part, doute qu’une faillite de Polska Wytwórnia Papierów Wartościowych S.A. (ci-après « PWPW ») soit impossible, eu égard aux règles applicables en matière d’aides
d’État, et, d’autre part, invoque la possibilité, pour PWPW, d’avoir recours à la sous-traitance.

28 S’agissant de l’existence d’une éventuelle menace pour la sécurité de la République de Pologne dans l’hypothèse où l’adjudicataire serait un opérateur privé, au motif que celui-ci serait susceptible d’être racheté par de nouveaux actionnaires, la Commission soutient que le pouvoir adjudicateur peut mettre en place des garanties appropriées, y compris la résiliation du contrat de marché public concerné.

29 En outre, en ce qui concerne la possibilité de fuites d’informations classifiées ou sensibles, la République de Pologne n’aurait pas démontré le rapport existant entre le statut d’entreprise publique de PWPW et les garanties destinées à éviter une telle fuite. Une participation de l’État à 100 % dans cette société ne constituerait pas une garantie contre de telles fuites, compte tenu de la possibilité de recourir à des sous‑traitants.

30 Bien que la Commission ne nie pas que la nécessité d’assurer la sécurité des informations qu’implique l’attribution des services en cause soit d’intérêt général, cet intérêt ne correspondrait néanmoins pas systématiquement à un intérêt essentiel de sécurité d’un État membre.

31 Cette institution observe que le pouvoir adjudicateur peut imposer des exigences particulièrement élevées concernant l’aptitude et la fiabilité des adjudicataires ainsi qu’aménager les conditions régissant les appels d’offres et les contrats de prestation de services.

32 En particulier, le pouvoir adjudicateur pourrait prévoir des spécifications techniques, telles que visées à l’article 42 de la directive 2014/24, et/ou la fixation des critères de sélection, tels que visés à l’article 58 de cette directive, en garantissant ainsi que l’adjudicataire soit en mesure de livrer un produit de qualité, dans le respect des conditions et des techniques imposées.

33 Quant aux spécifications techniques visées à l’article 42 de la directive 2014/24, le pouvoir adjudicateur pourrait notamment imposer des exigences et des procédures particulières garantissant la sécurité des locaux, du transport ainsi que celle relative à la manipulation du matériel et à l’accès physique à ces locaux, la tenue de registres adéquats, la protection des données à caractère personnel ou la présentation, par l’opérateur économique choisi, de rapports permanents. Le pouvoir
adjudicateur pourrait, de surcroît, obliger cet opérateur à lui permettre de réaliser les contrôles qu’il considérerait nécessaires.

34 Selon la Commission, des garanties pourraient être fournies au moyen de stipulations contractuelles, telles qu’une garantie bancaire ou encore une garantie en vue de l’indemnisation d’éventuels préjudices causés en cas de dommage, avec l’assurance que toute fuite d’informations serait considérée comme une faute professionnelle grave. En outre, il pourrait être envisagé d’imposer à l’adjudicataire l’obligation d’établir un rapport détaillé en cas d’irrégularités, ou encore d’insérer dans le
contrat des stipulations relatives à la protection de la propriété intellectuelle et à la prise en charge des services en cause par une autre entité dans l’hypothèse où cet adjudicataire ne serait pas en mesure de s’acquitter de ses obligations.

35 Par ailleurs, s’agissant du caractère irréversible d’un éventuel préjudice résultant d’une atteinte aux intérêts essentiels de la République de Pologne en raison d’une fuite d’informations sensibles, la Commission fait valoir qu’un tel caractère n’exclut pas un effet tant compensatoire que dissuasif de clauses en matière d’indemnisation des préjudices.

36 À cet égard, la Commission ajoute que de telles obligations et exigences peuvent être imposées à l’adjudicataire que son siège se trouve sur le territoire de la République de Pologne ou sur celui d’un autre État membre.

37 Dans le cadre de la définition des critères de sélection, visés à l’article 58 de la directive 2014/24, la Commission souligne qu’il est loisible au pouvoir adjudicateur d’imposer certaines exigences visant à attester d’une expérience pertinente en matière de production de documents hautement sécurisés, de l’existence d’infrastructures et d’équipements nécessaires, de la présence d’un personnel dûment qualifié et expérimenté, disposant, par ailleurs, d’un casier judiciaire vierge, d’une situation
financière permettant d’exécuter le contrat en cause de façon sûre, ou encore d’une couverture, par une assurance, des risques en matière de responsabilité civile professionnelle.

38 En outre, la Commission soutient que la confidentialité des informations s’agissant des services en cause pourrait être assurée par l’imposition d’une obligation de secret. À cet égard, le pouvoir adjudicateur pourrait exiger la détention d’une habilitation de sécurité nationale pour l’accès aux informations classifiées. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur conserverait la possibilité de modifier ou de résilier le marché public concerné lorsque surviennent des circonstances que le pouvoir
adjudicateur ne pouvait pas prévoir.

39 La République de Pologne, en invoquant l’impératif de protection de ses intérêts essentiels de sécurité, conteste le manquement allégué s’agissant des services en cause.

40 Selon cet État membre, il est impossible de soumettre ces services aux procédures de passation de marché prévues par la directive 2014/24 sans porter atteinte à ces intérêts. Les exclusions visées par le présent recours constitueraient des mesures proportionnées, adéquates et nécessaires pour atteindre l’objectif de garantir la protection desdits intérêts à un niveau que la République de Pologne considère comme étant adéquat.

41 S’agissant, en premier lieu, de l’exclusion des procédures de passation de marché de la production des documents publics visés à l’article 4, point 5c, de la loi sur les marchés publics, d’une part, la République de Pologne a, dans le cadre de la procédure précontentieuse, invoqué la nécessité de protéger la sécurité de ces documents, considérés comme étant essentiels à la sûreté de cet État membre, en évitant leur falsification. Or, seule l’impression desdits documents par PWPW permettrait audit
État membre de se prémunir contre de tels risques de falsification.

42 La République de Pologne insiste sur le fait que la sécurité des mêmes documents est étroitement liée aux intérêts fondamentaux de l’État, à savoir tant les intérêts internes comprenant la sécurité, la santé et la liberté des citoyens ainsi que le respect de l’ordre public que les intérêts transfrontaliers comprenant la protection de la vie, de la santé et des libertés des citoyens ainsi que la prévention du terrorisme, de la traite des êtres humains et de la criminalité organisée.

43 S’agissant, en particulier, des documents visés au point 32 de l’article 5, paragraphe 2, de la loi sur les documents publics, à savoir, plus précisément, les cartes de service des policiers, des gardes-frontières, des agents de la sureté de l’État, des agents de l’agence de sécurité intérieure, des agents de l’agence du renseignement, des agents du service du contre-espionnage militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service, des agents du service du renseignement
militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service ainsi que des membres de la police militaire, cet État membre soutient que l’exclusion de ces documents du champ d’application des procédures de passation de marché est justifié par la protection de ces intérêts fondamentaux.

44 À cet égard, la République de Pologne considère qu’une protection adéquate desdits documents, en particulier contre les risques de falsification et de contrefaçon, est d’une importance considérable pour sa sécurité intérieure. Afin d’assurer le niveau de protection le plus élevé contre ces risques, les documents en question devraient être produits par un opérateur économique entièrement contrôlé par cet État membre, tel que PWPW.

45 En outre, quant aux cartes d’identité et aux documents personnels militaires, la République de Pologne considère que leur exclusion du champ d’application des procédures de passation de marché prévues par la directive 2014/24 est justifiée par l’impératif, découlant de la Constitution de cet État membre, de protection de la sécurité nationale de l’État dans le domaine de la défense, ce qui garantirait également l’indépendance ainsi que l’intégrité de son territoire et assurerait la sécurité de
ses citoyens.

46 La République de Pologne soutient, à cet égard, que le contrôle de la production de ces documents s’inscrit dans le cadre plus large de la sécurité et de la crédibilité de cet État membre en matière de défense, compte tenu de la situation géopolitique de celui-ci, de son adhésion aux structures de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais également du contexte international actuel.

47 D’autre part, s’agissant des systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation de ces documents publics, contenant une puce électronique, conformément à leur destination, visés à l’article 4, point 5c, sous f), de la loi sur les marchés publics, la République de Pologne estime que, dès lors qu’il n’est pas possible d’assurer la sécurité des documents publics sans garantir un
niveau adéquat de sécurité des composants électroniques de ces documents ainsi que des systèmes et des bases de données utilisés aux fins du traitement desdits documents, des mesures de protection similaires doivent être appliquées à ces composants, systèmes et bases de données.

48 S’agissant, en deuxième lieu, des timbres d’accise visés à l’article 4, point 5c, sous b), de la loi sur les marchés publics, la République de Pologne soutient, en substance, que ces timbres sont d’une importance stratégique pour sa sécurité nationale. À cet égard, les intérêts fondamentaux invoqués par cet État membre sont la protection de la vie et de la santé des citoyens, la sécurité des transactions économiques, la prévention efficace de la criminalité organisée et économique, la sécurité
financière ainsi que la mise à disposition d’un niveau approprié de recettes fiscales.

49 Le fait de confier la production desdits timbres à un opérateur économique tel que PWPW, qui dispose d’une longue expérience dans la conception, la production en toute sécurité, le stockage et la fourniture de tels timbres sur le territoire dudit État membre, constituerait une mesure essentielle pour garantir la sécurité des citoyens dans ce domaine, dès lors qu’aucune autre entreprise polonaise ne serait en mesure d’honorer les commandes de timbres d’accise.

50 La sécurité de la production de ces timbres viserait à garantir le contrôle de la perception des taxes et des prélèvements ainsi que la commercialisation et l’enregistrement des moyens de transport. Or, confier la production desdits timbres à une entreprise autre que PWPW pourrait avoir pour conséquence une diminution du niveau de sécurité que la République de Pologne souhaite maintenir dans ce domaine.

51 En ce qui concerne, en troisième lieu, les marquages légaux et les vignettes de contrôle pour les véhicules, visés à l’article 4, point 5c, sous c), de la loi sur les marchés publics, cet État membre souligne l’importance des documents relatifs à la mise en circulation d’un véhicule pour la sécurité d’un État. Dans la mesure où la production de ces documents exigerait l’accès à des informations secrètes et impliquerait l’utilisation d’une technologie centrale de personnalisation à l’aide d’un
système électronique, il conviendrait d’assurer la protection des informations classifiées et de données à caractère personnel concernées, ce qui constituerait l’un des éléments essentiels de la sécurité de la République de Pologne.

52 En particulier, cet État membre fait observer que le transport de marchandises dangereuses, susceptibles d’être utilisées pour commettre notamment des attentats terroristes, requiert que les données du conducteur et de la vignette de contrôle du véhicule en cause ne soient accessibles qu’à des entités strictement sélectionnées, telles que des entreprises entièrement détenues par l’État.

53 S’agissant, en quatrième lieu, des bulletins de vote et des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote, visés à l’article 4, point 5c, sous d) et e), de la loi sur les marchés publics, la République de Pologne se prévaut de la confiance du public dans le bon déroulement et dans la sécurité des élections ainsi que des référendums dans cet État membre. En particulier, le bon déroulement des élections revêtirait une importance fondamentale, tant du point de vue de la
confiance des citoyens dans les organes de l’État que de celui de la sécurité nationale, et exigerait l’impression de bulletins de vote en nombre suffisant et en temps utile.

54 La République de Pologne soutient que le fait de confier la prestation des services en cause à une entité telle que PWPW, qu’elle contrôle entièrement, garantit son influence sur le niveau de sécurité des documents publics, qu’elle qualifie de « sensibles », en permettant un suivi continu de la situation de cette entité et une réaction rapide aux menaces éventuelles.

55 Cet État membre met en exergue le fait qu’il contrôle entièrement et qu’il gère tant le fonctionnement des organes de PWPW que le processus de production des documents publics, ce qui permettrait de garantir la protection de l’intérêt fondamental de sécurité dudit État membre.

56 En particulier, la détention par le Trésor public de 100 % des actions de PWPW permettrait à la République de Pologne d’éviter que cette société ne soit rachetée par une entité autre qu’une entité sous contrôle du Trésor public. Elle garantirait ainsi la continuité de cette production et permettrait d’éviter le risque de faillite de l’opérateur économique chargé de celle-ci.

57 En effet, le risque de faillite d’une société telle que PWPW serait purement théorique et la Commission n’aurait, en outre, pas avancé de raisons pour lesquelles, en cas de difficultés financières de PWPW, il ne serait pas possible d’accorder une aide d’État à cette société.

58 Quant au risque d’insolvabilité de cet opérateur, la solution proposée par la Commission ne permettrait pas d’éviter une détérioration soudaine de la situation financière de ce dernier, alors que, au contraire, une telle hypothèse serait exclue dans le cadre d’un système tel que celui mis en place par la République de Pologne.

59 En outre, les conséquences liées à l’absence de documents essentiels au fonctionnement de l’État, qui résulterait d’une interruption soudaine de leur production par l’opérateur économique choisi, revêtiraient un caractère irréparable.

60 Par ailleurs, selon la République de Pologne, confier la production de tels documents à une entité telle que PWPW, sans passer par une procédure de passation de marchés prévue par la directive 2014/24, garantirait l’authenticité de ces documents et, partant, la sécurité de cet État membre, en limitant, par ailleurs, le cercle des entités qui auraient accès à des informations classifiées.

61 Quant à la possibilité, pour le pouvoir adjudicateur, de recourir à des sous-traitants, la République de Pologne considère qu’une situation dans laquelle un marché est exécuté par une entreprise détenue entièrement par l’État, même en recourant à des sous-traitants, ne serait pas comparable à une situation dans laquelle ce marché lui-même est exécuté par une entité sélectionnée conformément aux procédures de passation de marchés prévues par la directive 2014/24. Par ailleurs, si un sous-traitant
n’honorait pas correctement ledit marché, PWPW aurait la possibilité de s’y substituer en ce qui concerne l’ensemble de la chaîne de production de documents.

62 La République de Pologne estime que c’est à tort que la Commission fonde son argumentation sur l’arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État) (C‑187/16, EU:C:2018:194), lequel ne serait pas pertinent aux fins de l’examen du présent recours en manquement. À cet égard, cet État membre fait valoir que l’application des directives sur les marchés publics invoquées dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt permettait d’assurer un niveau de sécurité analogue à celui qui aurait été
atteint sans recourir aux procédures de passation de marchés prévues par ces directives. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce.

63 La République de Pologne insiste sur le fait qu’elle n’est pas tenue d’aligner le niveau de protection de ses propres intérêts essentiels de sécurité sur celui d’un autre État membre, en particulier sur celui de la République d’Autriche. À cet égard, la République de Pologne estime que, bien que les mesures qui, selon la Commission, sont susceptibles d’être prises afin d’assurer la protection de ses intérêts essentiels tout en soumettant les services en cause aux procédures de passation de
marchés prévues par la directive 2014/24 soient suffisantes pour la plupart des marchés, elles ne permettent pas d’atteindre le niveau de protection des intérêts essentiels de sécurité qu’elle a choisi s’agissant des marchés relatifs aux services en cause.

64 Concernant la protection de la sécurité des informations relatives aux documents publics en cause, l’ouverture à la concurrence des services de production de ces documents augmenterait le nombre d’entités susceptibles d’avoir accès aux informations relatives à la sécurité de la République de Pologne, ce qui accroîtrait le risque de fuite de ces informations sensibles. Or, une telle atteinte aux intérêts essentiels de la sécurité de cet État membre serait, au même titre qu’une rupture
d’approvisionnement en de tels documents, de nature irréversible et constituerait une menace pour la continuité du fonctionnement de celui‑ci, dès lors que les informations ainsi divulguées seraient susceptibles d’être utilisées par des États tiers, des groupes criminels organisés ou des organisations terroristes.

65 Quant à la mesure envisagée par la Commission consistant à imposer une obligation de secret en exigeant la détention d’une habilitation de sécurité nationale pour l’accès aux informations classifiées, la République de Pologne estime qu’une telle obligation ne garantirait que dans une certaine mesure la sécurité de ces informations sensibles. Il en irait de même des mesures relatives à la définition de spécifications techniques imposant des exigences et des procédures particulières garantissant la
sécurité.

66 Bien que la Commission ait fait valoir que des menaces pour la sécurité de l’État membre concerné pouvaient exister même lorsque les services en cause étaient confiés à une entreprise publique telle que PWPW, elle n’aurait toutefois pas prouvé que le niveau de ces menaces serait aussi élevé que dans l’hypothèse où l’exécution du marché concerné serait confiée à une entité sélectionnée en application de cette directive.

67 En effet, même si les mesures mentionnées au point 65 du présent arrêt permettent de ne donner accès auxdites informations qu’à un nombre limité de candidats ayant, par ailleurs, démontré qu’ils satisfont à des normes élevées en ce qui concerne la fiabilité et les procédures de protection des informations, le système choisi par la République de Pologne permettrait de réduire le nombre d’entités ayant accès à de telles informations.

Appréciation de la Cour

68 Le présent recours porte sur la conformité aux exigences de la directive 2014/24 de la législation polonaise prévoyant une attribution directe des marchés relatifs aux services en cause à PWPW.

69 Il convient de relever d’emblée que, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, d’une part, les marchés publics visés par cette législation constituent des marchés publics de services, au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 9, de cette directive, et que, d’autre part, il n’est pas contesté que la valeur estimée de ces marchés dépasse les seuils d’application de ladite directive. Partant, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de cette dernière, ladite législation doit, en
principe, prévoir que l’attribution de ces marchés est effectuée dans le respect des règles prévues par la même directive.

70 Les seules exceptions permises à l’application de la directive 2014/24 sont celles qui y sont limitativement et expressément mentionnées (voir, par analogie, arrêt du 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, EU:C:1999:562, point 43 et jurisprudence citée).

71 Selon une jurisprudence constante relative à la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque [arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Suède (Stations d’épuration), C‑22/20, EU:C:2021:669, point 143
et jurisprudence citée].

72 Dans la présente procédure, la République de Pologne se prévaut de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE, en vue de justifier la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation polonaise prévoyant une attribution directe des marchés de services en cause à PWPW.

73 À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2014/24, celle-ci ne s’applique pas aux marchés publics dans la mesure où la protection des intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre ne peut être garantie par des mesures moins intrusives, par exemple en imposant des conditions en vue de protéger la confidentialité des informations que le pouvoir adjudicateur met à disposition dans le cadre d’une procédure d’attribution de marché
prévue par cette directive.

74 En outre, cette disposition précise que, en conformité avec l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE, la directive 2014/24 ne s’applique pas aux marchés publics dans la mesure où l’application de cette directive obligerait un État membre à fournir des informations dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité.

75 En vertu de l’article 15, paragraphe 3, de ladite directive, lorsque la passation et l’exécution du marché public sont déclarées secretes ou doivent s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans un État membre, la même directive ne s’applique pas pour autant que cet État membre ait établi que la protection des intérêts essentiels concernés ne peut être garantie par des mesures moins intrusives.

76 S’agissant de la dérogation contenue à l’article 15 de la directive 2014/24, il appartient aux États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité, et, en l’occurrence, aux autorités polonaises de définir les mesures de sécurité nécessaires à la protection de la sécurité nationale de la République de Pologne dans le cadre de l’impression de documents tels que ceux en cause dans la présente affaire [voir, par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État),
C‑187/16, EU:C:2018:194, point 75 et jurisprudence citée].

77 En effet, le libellé de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/24, lu à la lumière de l’article 346 TFUE, n’impose pas aux États membres d’obligation quant au niveau recherché de protection de ses intérêts essentiels de sécurité.

78 Comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 48 de ses conclusions, le terme « sécurité », visé à ces dispositions, inclut notamment la préservation de la sécurité nationale.

79 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’objectif de préservation de la sécurité nationale correspond à l’intérêt primordial de protéger les fonctions essentielles de l’État et les intérêts fondamentaux de la société, par la prévention et la répression des activités de nature à déstabiliser gravement les structures constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales fondamentales d’un pays, et en particulier à menacer directement la société, la population
ou l’État en tant que tel, telles que notamment des activités de terrorisme (arrêt du 5 avril 2022, Commissioner of An Garda Síochána e.a., C‑140/20, EU:C:2022:258, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

80 Cela étant, les mesures que les États membres adoptent dans le cadre des exigences légitimes d’intérêt national ne sont pas soustraites dans leur ensemble à l’application du droit de l’Union du seul fait qu’elles interviennent dans l’intérêt de la sécurité nationale [voir, par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 76 et jurisprudence citée].

81 Par ailleurs, il convient de rappeler également que des dérogations telles que celles invoquées dans le cadre du présent recours doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, point 77 et jurisprudence citée].

82 Dès lors, bien que les paragraphes 2 et 3 de l’article 15 de la directive 2014/24 laissent aux États membres une marge d’appréciation pour décider des mesures jugées nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité, ces dispositions ne sauraient toutefois être interprétées de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité FUE par la seule invocation de ces intérêts. Partant, l’État membre qui invoque le bénéfice des dérogations prévues à
ces dispositions doit établir que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par cette directive [voir, par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, points 78 et 79 ainsi que jurisprudence citée].

83 En l’espèce, si la République de Pologne a, certes, identifié les intérêts essentiels de sa sécurité qu’elle estime devoir être protégés ainsi que les garanties inhérentes à la protection de ces intérêts, il convient, toutefois, de vérifier si cet État membre a démontré que les objectifs qu’il poursuit n’auraient pas pu être atteints dans le cadre d’une mise en concurrence, telle que prévue par la directive 2014/24.

84 À cet égard, doit d’emblée être écarté l’argument de la République de Pologne selon lequel la Commission ne saurait valablement invoquer l’arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État) (C‑187/16, EU:C:2018:194), dans la mesure où, à la différence de la situation en cause dans la présente affaire, l’imprimerie nationale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était une entreprise de droit privé. En effet, le statut juridique de la société chargée, au niveau national,
de l’impression des documents officiels, ne dispense pas l’État membre concerné, sous réserve de l’applicabilité de l’article 12 de la directive 2014/24, de l’obligation de démontrer que les objectifs qu’il poursuit n’auraient pas pu être atteints dans le cadre d’une mise en concurrence. Or, la République de Pologne n’a pas démontré que les marchés publics visés par la législation polonaise en cause font l’objet d’une attribution in house, relevant des cas spécifiques d’exclusion des règles de
passation des marchés publics, visés à cet article 12.

85 S’agissant, en premier lieu, de l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle l’attribution directe à PWPW des marchés de services en cause répond à l’objectif d’assurer la continuité d’approvisionnement en documents officiels, en évitant le risque d’une faillite de cette entreprise, il convient de relever que, bien que la plupart de ces documents soient étroitement liés à l’ordre public et au fonctionnement institutionnel d’un État membre, lesquels supposent qu’une continuité
d’approvisionnement soit garantie, la République de Pologne n’a, toutefois, pas démontré que cet objectif ne pourrait pas être assuré dans le cadre d’un appel d’offres et qu’une telle garantie serait compromise si lesdits services étaient confiés à d’autres entreprises, y compris, le cas échéant, à des entreprises établies dans d’autres États membres.

86 En particulier, cet État membre n’a pas démontré que le risque de perturbation de la production des documents publics en cause résultant d’une éventuelle faillite de l’opérateur économique chargé de cette production était significativement plus élevé en cas de recours à une procédure de passation de marchés prévue par la directive 2014/24.

87 En effet, afin de pallier de tels risques, la législation polonaise en cause aurait pu prévoir l’imposition, dans le contrat de marché public concerné, d’autres mesures, telles que, notamment, une obligation, à l’égard du pouvoir adjudicateur, de conclure, lorsque d’autres considérations ne s’y opposent pas, des contrats avec plusieurs fournisseurs.

88 Par ailleurs, ce contrat aurait pu prévoir des exigences de garantie de solidité financière des candidats. En effet, l’article 58, paragraphe 3, de la directive 2014/24 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer aux opérateurs économiques des conditions garantissant que ceux-ci possèdent la capacité économique et financière nécessaire pour exécuter le marché. Cette disposition précise que, à cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent en particulier exiger que les opérateurs
économiques réalisent un chiffre d’affaires annuel minimal donné, notamment un chiffre d’affaires minimal donné dans le domaine concerné par le marché. En outre, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que les opérateurs économiques fournissent des informations sur leurs comptes annuels et disposent, le cas échéant, d’un niveau approprié d’assurance des risques professionnels.

89 Or, la République de Pologne n’est pas parvenue à démontrer que l’imposition de telles exigences serait insusceptible de pallier les risques allégués quant à l’approvisionnement en documents concernés, dus, notamment, à une détérioration soudaine de la situation financière de l’entreprise chargée de leur production. En effet, ainsi que la Commission le fait observer, bien que le risque qu’une entreprise telle que PWPW fasse faillite soit moindre, ce risque ne saurait être considéré comme
complétement exclu.

90 S’agissant de la nécessité de production, en nombre suffisant et en temps utile, des bulletins de vote et des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote, visés à l’article 4, point 5c, sous d) et e), de la loi sur les marchés publics, afin de garantir le bon déroulement et la sécurité des élections, la République de Pologne ne démontre pas que des entreprises autres que PWPW seraient nécessairement moins performantes que cette dernière et qu’elles ne sauraient imprimer
lesdits bulletins et produire lesdits signes en quantité suffisante et en temps utile. Il s’ensuit qu’il n’est pas établi qu’il soit nécessaire d’écarter l’application des dispositions en matière de passation de marchés prévues par la directive 2014/24 afin d’atteindre l’objectif avancé par cet État membre.

91 En ce qui concerne, en second lieu, la nécessité d’assurer, s’agissant de la plupart des services en cause, la protection de la sécurité des documents concernés et, plus précisément, des informations qu’ils contiennent, la Cour a déjà jugé que la nécessité de prévoir une obligation de confidentialité n’empêche pas en elle‑même de recourir à une procédure de mise en concurrence pour l’attribution d’un marché [arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État)C‑187/16, EU:C:2018:194,
point 89].

92 En outre, la Cour a également jugé que la confidentialité des données peut être assurée par une obligation de secret, sans qu’il soit nécessaire de contrevenir aux procédures en matière de passation de marchés publics. En effet, rien n’empêche le pouvoir adjudicateur d’imposer des exigences particulièrement élevées concernant l’aptitude et la fiabilité des adjudicataires, d’aménager en ce sens les conditions régissant les appels d’offres ainsi que les contrats de prestation de services et de
demander aux candidats éventuels les justificatifs requis [arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État)C‑187/16, EU:C:2018:194, points 90 et 91].

93 Afin d’assurer la sécurité de la plupart des documents concernés, le pouvoir adjudicateur aurait pu, dans le cadre des procédures de passation de marchés prévues par la directive 2014/24, prévoir notamment des spécifications techniques, telles que visées à l’article 42 de cette directive, et/ou fixer des critères de sélection, tels que visés à l’article 58 de celle-ci.

94 Plus précisément, s’agissant de ces spécifications techniques, au sens de l’article 42 de la directive 2014/24, il ressort du paragraphe 1 de cet article que celles-ci définissent les caractéristiques requises des services concernés et qu’elles peuvent également se référer au processus ou à la méthode spécifique de fourniture des services demandés, à condition qu’ils soient liés à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs.

95 Quant aux critères de sélection, visés à l’article 58 de cette directive, la Cour a jugé que le pouvoir adjudicateur s’est vu reconnaître par le législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation, lors de la détermination de ces critères. Ainsi bénéficie-t-il, conformément au paragraphe 1 de cet article, d’une certaine latitude pour définir les conditions de participation à une procédure de passation de marchés qu’il estime liées et proportionnées à l’objet du marché concerné et propres à
garantir qu’un candidat ou un soumissionnaire dispose de la capacité juridique et financière, ainsi que des compétences techniques et professionnelles nécessaires pour exécuter ce marché. Plus particulièrement, selon le paragraphe 4 dudit article, le pouvoir adjudicateur apprécie librement les conditions de participation qu’il estime propres, de son point de vue, à garantir notamment l’exécution dudit marché à un niveau de qualité qu’il considère approprié (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier
2023, Construct, C‑403/21, EU:C:2023:47, point 60 et jurisprudence citée).

96 En particulier, ce paragraphe 4 permet au pouvoir adjudicateur d’imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l’expérience nécessaires pour exécuter le marché concerné en assurant un niveau de qualité approprié, ce qui peut être évalué en vertu de leur savoir-faire, de leur efficacité, de leur expérience et de leur fiabilité. Peuvent ainsi être exclus des opérateurs économiques dont il est considéré qu’ils ne possèdent pas
les capacités professionnelles requises, y compris dans des situations de conflit d’intérêts qui pourraient avoir une incidence négative sur l’exécution de ce marché.

97 En outre, ainsi que la Commission l’a soutenu, s’agissant de la plupart des services en cause, le pouvoir adjudicateur pourrait ne donner accès aux informations confidentielles concernées qu’à un nombre limité de candidats, en ayant recours à la procédure restreinte visée à l’article 28 de la directive 2014/24 ou, le cas échéant, aux procédures visées aux articles 29 et 30 de cette dernière. En effet, le pouvoir adjudicateur peut recourir à la faculté de réduire le nombre d’offres à négocier,
prévue à l’article 29, paragraphe 6, de cette directive, ou à celle de réduire le nombre de solutions à discuter, prévue à l’article 30, paragraphe 4, de ladite directive.

98 Dans ces conditions, premièrement, en ce qui concerne l’argument de la République de Pologne selon lequel la production des marquages légaux et des vignettes de contrôle pour les véhicules, visés à l’article 4, point 5c, sous c), de la loi sur les marchés publics, ainsi que des documents relatifs à la mise en circulation d’un véhicule exige l’accès à des informations secrètes ou confidentielles et impliquerait la protection d’informations classifiées et de données à caractère personnel, il a été
rappelé, au point 92 du présent arrêt, que la confidentialité des données peut, en principe, être assurée par une obligation de secret, sans qu’il soit nécessaire de contrevenir aux procédures en matière de passation de marchés publics prévues par la directive 2014/24.

99 Afin d’éviter des fuites d’informations sensibles, il est loisible aux autorités polonaises d’insérer, dans les conditions régissant les appels d’offres, des clauses obligeant l’adjudicataire à une confidentialité générale ainsi que de prévoir que l’entreprise candidate qui ne serait pas en mesure d’offrir des garanties suffisantes quant au respect de cette obligation sera exclue de la procédure d’attribution. Il est également loisible aux autorités polonaises de prévoir l’application de
sanctions, notamment contractuelles, à l’adjudicataire, en cas de non‑respect d’une telle obligation en cours d’exécution du marché en cause [voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État)C‑187/16, EU:C:2018:194, point 93].

100 Par ailleurs, si, certes, un État membre peut prendre des mesures en vue de s’assurer, en particulier, que les données d’un conducteur et de la vignette de contrôle d’un véhicule dans le cadre du transport de marchandises dangereuses ne soient accessibles qu’à des entités strictement sélectionnées, le caractère confidentiel de ces données pourrait également être garanti par une obligation de confidentialité à la charge des entreprises participant à une procédure d’adjudication régie par la
directive 2014/24.

101 Partant, la République de Pologne n’ayant avancé aucun élément susceptible de démontrer que le recours à une procédure de passation de marché public ainsi conçue ne permettrait pas de sécuriser l’accès auxdites données secrètes de manière comparable à l’attribution directe des marchés concernés à PWPW, il n’est pas établi que la protection de leur sécurité s’oppose à une procédure de mise en concurrence pour l’attribution de ces marchés.

102 S’agissant, deuxièmement, des timbres d’accise prévus à l’article 4, point 5c, sous b), de la loi sur les marchés publics, bien que la République de Pologne puisse prendre des mesures nécessaires en vue d’assurer, notamment, la sécurité de ses citoyens, cet État membre ne démontre toutefois pas que seule l’attribution de la production de ces timbres à une entreprise telle que PWPW est de nature à garantir la réalisation d’un tel objectif et qu’il convient d’écarter l’application des dispositions
en matière de passation de marchés prévues par la directive 2014/24.

103 En effet, il n’apparaît pas que cet objectif ne pourrait pas être atteint si cette production était confiée à des opérateurs économiques autres que PWPW, disposant d’une expérience suffisante dans la conception, la production en toute sécurité, le stockage et la fourniture de tels timbres sur le territoire dudit État membre. En outre, rien n’indique qu’il serait impossible d’imposer contractuellement à ces opérateurs les mesures de confidentialité et de sécurité nécessaires.

104 Troisièmement, lorsque la République de Pologne invoque, concernant, en particulier, la production des documents publics visés à l’article 5, paragraphe 2, de la loi sur les documents publics ainsi que les systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation de ces documents publics, contenant une puce électronique, conformément à leur destination, visés à l’article 4, point 5c,
sous f), de la loi sur les marchés publics, l’impératif d’éviter leur falsification ou leur contrefaçon, il convient de relever que, s’agissant de la plupart de ces documents et de ces systèmes, les garanties que le pouvoir adjudicateur peut exiger apparaissent suffisantes pour pallier les risques invoqués par cet État membre pour ses intérêts essentiels de sécurité.

105 En effet, le respect strict, par l’opérateur économique retenu, des critères d’attribution et leur vérification continue au cours de l’exécution du marché attribué sont, en principe, de nature à prévenir des fuites et des abus potentiels internes, qui pourraient donner lieu à de telles falsifications ou contrefaçons.

106 Il s’ensuit que l’inapplication des procédures de passation de marchés prévues par la directive 2014/24 aux marchés relatifs à la production de la plupart des documents publics visés à l’article 4, point 5c, de la loi sur les marchés publics, mais aussi aux marchés, également visés à cette disposition, relatifs à la production des timbres d’accise, des marquages légaux, des vignettes de contrôle, des bulletins de vote, des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote
ainsi que des systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation des documents publics, apparaît disproportionnée au regard des objectifs invoqués par la République de Pologne.

107 En revanche, s’agissant de certains documents publics, visés aux points 16 à 19 et 32 de l’article 5, paragraphe 2, de la loi sur les documents publics, à savoir les documents personnels des militaires et leurs cartes d’identité, les cartes de service des policiers, des gardes‑frontières, des agents de la sureté de l’État, des agents de l’agence de sécurité intérieure, des agents de l’agence du renseignement, des agents du service du contre-espionnage militaire et des militaires de carrière
nommés à un poste au sein de ce service, des agents du service du renseignement militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service ainsi que des membres de la police militaire, il y a lieu de considérer que ces documents présentent un lien direct et étroit avec l’objectif de protection de la sécurité nationale, de telle sorte qu’ils peuvent justifier des exigences supplémentaires de confidentialité.

108 À cet égard, force est de relever que les documents énumérés au point précédent, en ce qu’ils concernent des agents dont les fonctions apparaissent directement et étroitement liées à des missions contribuant à préserver la sécurité nationale d’un État membre, peuvent rendre indispensable une limitation de la divulgation de leurs caractéristiques et des informations qu’ils contiennent, dont notamment l’identité de ces agents, de telle sorte qu’ils doivent être regardés comme revêtant un niveau de
sensibilité particulièrement élevé, nécessitant une protection renforcée contre, notamment, les fuites et les falsifications.

109 En effet, ainsi que le soutient, en substance, la République de Pologne, sans être utilement contredite par la Commission, une éventuelle fuite de telles informations pourrait avoir des conséquences irréparables pour la sécurité nationale d’un État membre, étant donné que ces informations seraient susceptibles d’être utilisées par des États tiers, ou alors, notamment, par des groupes criminels ou des organisations terroristes.

110 Partant, si, certes, il aurait été envisageable de prévoir des garanties telles que l’application de sanctions, notamment contractuelles, à l’opérateur économique qui aurait été chargé de la production des documents visés au point 107 du présent arrêt, en cas de fuite desdites informations sensibles, de telles garanties ne sauraient être considérées comme étant suffisamment efficaces afin d’assurer la sécurité des mêmes informations.

111 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 95 de ses conclusions, l’application de sanctions disciplinaires aux personnes qui seraient à l’origine d’une telle fuite d’informations ou à celles l’ayant permise, ou encore l’insertion dans les contrats de clauses prévoyant une compensation financière, qui serait nécessairement versée après la réalisation du dommage, ne constituent pas des solutions adéquates en vue de protéger de telles informations.

112 S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel une entreprise telle que PWPW peut recourir à des sous-traitants et qu’il ne serait, dès lors, pas justifié d’attribuer les services en cause exclusivement à cette entreprise, il convient de relever, tout d’abord, que la Commission n’a pas établi que la législation polonaise autorise explicitement la sous‑traitance de la production des documents visés au point 107 du présent arrêt.

113 Ensuite, il n’est pas contesté qu’un tel recours à la sous-traitance constituerait, tout au plus, une faculté ouverte à PWPW et ne serait donc envisageable que sous le contrôle de cette entreprise ainsi que dans la mesure et dans les conditions définies par celle-ci. La République de Pologne a d’ailleurs précisé lors de l’audience, sans être contredite par la Commission, que PWPW ne fait appel à des sous-traitants que pour certains services limités, la production des documents énumérés au
point 107 du présent arrêt n’en faisant pas partie.

114 Enfin, dans l’hypothèse où cette production serait assurée par une entité sélectionnée conformément aux règles prévues par la directive 2014/24, il convient de relever que cette entité pourrait elle-même recourir à des sous-traitants, ainsi que cela ressort de l’article 63, paragraphe 1, et de l’article 71 de cette directive, sans qu’une entité détenue par l’État membre concerné puisse contrôler l’action de ces sous-traitants ni définir les conditions de leur intervention. Il s’ensuit qu’il ne
saurait être considéré qu’un recours éventuel de PWPW à la sous-traitance impliquerait que le niveau de sécurité requis par ladite production ne serait pas plus élevé que celui qui résulterait de l’application des procédures de passation de marchés prévues par ladite directive.

115 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la République de Pologne peut invoquer l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/24 lorsqu’elle fait valoir que la nature des documents énumérés au point 107 du présent arrêt est incompatible avec l’obligation de recourir à ces procédures.

116 La Commission n’ayant pas apporté la preuve de ses allégations s’agissant de ces documents, son recours doit, dès lors, être rejeté en tant qu’il porte sur les dispositions de la législation polonaise prévoyant une attribution directe des marchés relatifs la production desdits documents à PWPW, sans recourir aux procédures de passation de marchés prévues par la directive 2014/24.

117 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ayant introduit dans la législation polonaise des exclusions non prévues par la directive 2014/24 en ce qui concerne les marchés relatifs à la production, d’une part, des documents publics visés à l’article 4, point 5c, de la loi sur les marchés publics, à l’exception des documents personnels des militaires et de leurs cartes d’identité, des cartes de service des policiers, des gardes-frontières, des agents
de la sureté de l’État, des agents de l’agence de sécurité intérieure, des agents de l’agence du renseignement, des agents du service du contre‑espionnage militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service, des agents du service du renseignement militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service ainsi que des membres de la police militaire, et, d’autre part, des timbres d’accise, des marquages légaux, des vignettes de contrôle, des
bulletins de vote, des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote ainsi que des systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation des documents publics, également visés à cet article 4, point 5c, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de
la directive 2014/24, lus en combinaison avec l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE.

118 Le recours doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

119 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

120 Aux termes de l’article 138, paragraphe 3, de ce règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

121 En l’espèce, la Commission et la République de Pologne ont conclu respectivement à la condamnation aux dépens de l’autre partie à l’instance.

122 Le recours de la Commission ayant été accueilli, sauf en ce qu’il concerne l’exclusion des procédures de passation de marchés prévues par la directive 2014/24 des marchés relatifs à la production de certains des documents publics visés au point 32 de l’article 5, paragraphe 2, de la loi sur les documents publics, auquel renvoie l’article 4, point 5c, de la loi sur les marchés publics, à savoir les documents personnels des militaires et leurs cartes d’identité, les cartes de service des
policiers, des gardes-frontières, des agents de la sureté de l’État, des agents de l’agence de sécurité intérieure, des agents de l’agence du renseignement, des agents du service du contre-espionnage militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service, des agents du service du renseignement militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service ainsi que des membres de la police militaire, il y a lieu, en application de l’article 138,
paragraphe 3, du règlement de procédure, de décider que, outre ses propres dépens, la République de Pologne supportera deux tiers des dépens de la Commission.

123 La Commission est condamnée à supporter un tiers de ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

  1) En ayant introduit dans la législation polonaise des exclusions non prévues par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, en ce qui concerne les marchés relatifs à la production, d’une part, des documents publics visés à l’article 4, point 5c, de l’ustawa Prawo zamówień publicznych (loi sur les marchés publics), du 29 janvier 2004, telle que modifiée par l’ustawa o dokumentach
publicznych (loi sur les documents publics), du 22 novembre 2018, à l’exception des documents personnels des militaires et de leurs cartes d’identité, des cartes de service des policiers, des gardes-frontières, des agents de la sureté de l’État, des agents de l’agence de sécurité intérieure, des agents de l’agence du renseignement, des agents du service du contre‑espionnage militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service, des agents du service du renseignement
militaire et des militaires de carrière nommés à un poste au sein de ce service, ainsi que des membres de la police militaire, et, d’autre part, des timbres d’accise, des marquages légaux, des vignettes de contrôle, des bulletins de vote, des signes holographiques figurant sur les attestations de droit de vote ainsi que des systèmes à microprocesseur dotés d’un logiciel destiné à la gestion des documents publics, des systèmes informatiques et des bases de données nécessaires à l’utilisation des
documents publics, également visés à cet article 4, point 5c, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, et de l’article 15, paragraphes 2 et 3, de la directive 2014/24, lus en combinaison avec l’article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE.

  2) Le recours est rejeté pour le surplus.

  3) La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, deux tiers des dépens de la Commission européenne.

  4) La Commission européenne est condamnée à supporter un tiers de ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-601/21
Date de la décision : 07/09/2023
Type de recours : Recours en constatation de manquement

Analyses

Manquement d’État – Marchés publics de services – Imprimerie d’État – Production de documents d’identité et d’autres documents officiels ainsi que de systèmes de gestion de ces documents – Législation nationale prévoyant l’attribution des marchés relatifs à cette production à une entreprise de droit public sans recours préalable à une procédure de passation de marché – Article 346, paragraphe 1, sous a), TFUE – Directive 2014/24/UE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Article 15, paragraphes 2 et 3 – Mesures particulières de sécurité – Protection des intérêts essentiels de la sécurité d’un État membre.

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Pologne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 09/09/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:629

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