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07/09/2023 | CJUE | N°C-216/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, A. A. contre Bundesrepublik Deutschland., 07/09/2023, C-216/22


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 7 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑216/22

A. A.

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, sécurité et justice – Asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Demande de protection i

nternationale – Motifs d’irrecevabilité – Article 33, paragraphe 2, sous d) – Demande ultérieure de protection internationale – Circonst...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 7 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑216/22

A. A.

contre

Bundesrepublik Deutschland

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, sécurité et justice – Asile – Directive 2013/32/UE – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Demande de protection internationale – Motifs d’irrecevabilité – Article 33, paragraphe 2, sous d) – Demande ultérieure de protection internationale – Circonstances dans lesquelles une demande ultérieure ne saurait être déclarée irrecevable – Arrêt de la Cour pertinent pour l’examen du point de savoir si le demandeur répond
aux conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale – Article 40 – Notion d’“éléments nouveaux” – Possibilité qu’un arrêt de la Cour constitue un tel élément nouveau – Article 46, paragraphe 1, sous a), ii) – Recours contre une décision par laquelle une demande ultérieure est déclarée irrecevable au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous d) – Étendue du contrôle exercé par les juridictions nationales dans le cadre du recours – Garanties procédurales »

I. Introduction

1. Le nombre de demandes ultérieures de protection internationale présentées dans les États membres de l’Union européenne a connu une augmentation importante lors des dernières années ( 2 ). Ces demandes, qui sont définies comme des demandes « présentée[s] après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure », formées par la même personne, font l’objet de règles de procédure particulières énoncées par la directive 2013/32/UE ( 3 ).

2. Plus précisément, les autorités nationales ont la faculté, en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, lu conjointement avec son article 40, de déclarer irrecevables des demandes ultérieures. Toutefois, cette faculté est expressément subordonnée à la condition que n’apparaisse ou ne soit présenté par le demandeur « aucun élément [...] nouveau relati[f] à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire
d’une protection internationale ». Partant, si de tels « élément[s] nouveau[x] » existent, une demande ultérieure ne saurait être déclarée irrecevable au titre de ces dispositions.

3. Le cas d’espèce qui nous occupe porte, notamment, sur l’interprétation de cette notion. A. A., le demandeur au principal, est un ressortissant syrien. En 2017, il a introduit une demande de protection internationale en Allemagne. Il s’est vu accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, et non le statut de « réfugié ». En 2021, il a introduit une demande ultérieure devant la même autorité. S’il n’a présenté aucun nouvel élément de fait, il reste qu’il a indiqué que la Cour avait rendu
un arrêt ( 4 ) après l’adoption de la décision statuant sur sa première demande, arrêt qui, selon lui, établit que, lors de l’examen de cette demande, l’autorité compétente a fait peser sur lui une charge de la preuve qui excédait celle requise par le droit de l’Union. Il soutient que, eu égard à cet arrêt, il devrait se voir octroyer le statut de « réfugié ». C’est dans ce cadre que la Cour a l’occasion d’établir, notamment, les circonstances dans lesquelles un de ses arrêts, tel que celui sur
lequel se fonde A. A., doit être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

4. Dans les présentes conclusions, j’inviterai la Cour à suivre une approche fondée sur les motifs figurant dans son arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság ( 5 ). Dans cet arrêt, la Cour a jugé, pour la première fois, qu’une décision qu’elle a rendue constitue, dans certaines circonstances, un « élément nouveau » faisant obstacle au rejet d’une demande ultérieure pour irrecevabilité.

5. À cet égard, je m’appliquerai à préciser le sens de l’arrêt du 14 mai 2020, notamment quant au principe de l’autorité de la chose jugée et à l’objectif, qui découle de la directive 2013/32, d’alléger la charge administrative que connaîtraient les autorités nationales compétentes si elles étaient tenues d’entreprendre une procédure d’examen complet pour chaque demande ultérieure dont elles sont saisies. Comme je le soulignerai tout au long des présentes conclusions, le cas d’espèce qui nous occupe
concerne, une fois de plus, l’équilibre délicat qui doit être trouvé entre cet objectif et l’impératif de s’assurer, dans tous les cas, que le principe de non‑refoulement est respecté et que les droits des demandeurs d’asile sont protégés comme il se doit.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

6. L’article 33 de la directive 2013/32, intitulé « Demandes irrecevables », dispose :

« 1.   Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013 [ ( 6 )], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE [ ( 7 )], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.   Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

[...]

d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ; [...]

[...] »

7. Aux termes de l’article 40 de cette directive, intitulé « Demandes ultérieures » :

« 1.   Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier examine ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre
en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

2.   Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire
d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95].

3.   Si l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 aboutit à la conclusion que des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95], l’examen de la demande est poursuivi conformément au chapitre II. Les États membres peuvent également prévoir
d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure.

[...]

5.   Lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi en vertu du présent article, ladite demande est considérée comme irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, [sous] d).

[...] »

8. L’article 46 de la même directive, intitulé « Droit à un recours effectif », dispose, dans les passages qui nous intéressent :

« 1.   Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

[...]

ii) les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 33, paragraphe 2 ;

[...]

3.   Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

[...] »

B. Le droit allemand

9. Les principales règles de fond et de procédure qui régissent les procédures en matière d’asile sont énoncées dans l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), du 26 juin 1992 (BGBl. 1992 I, p. 1126), telle que publiée le 2 septembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 1798), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AsylG »).

10. L’article 29 de l’AsylG, intitulé « Demandes irrecevables », énonce :

« 1)   Une demande est irrecevable lorsque :

[...]

5. dans le cas d’une demande ultérieure au sens de l’article 71, il n’y a pas lieu de mener une nouvelle procédure d’asile. »

11. L’article 71 de cette loi, intitulé « Demande ultérieure », dispose :

« 1)   Si, après le retrait ou le rejet définitif d’une demande d’asile antérieure, l’étranger introduit une nouvelle demande d’asile (demande ultérieure), une nouvelle procédure d’asile ne doit être menée que si les conditions prévues à l’article 51, paragraphes 1 à 3, de la Verwaltungsverfahrensgesetz [(loi allemande relative à la procédure administrative), telle que publiée le 23 janvier 2003 (BGBl. 2013 I, p. 102) (ci-après la “VwVfG”)] sont réunies ; l’examen incombe à l’Office fédéral [de
la migration et des réfugiés] [...] »

12. La VwVfG comprend des dispositions générales relatives aux procédures administratives des autorités publiques. Aux termes de l’article 51, paragraphes 1 et 3, de cette loi :

« 1)   L’autorité doit, à la demande de l’intéressé, décider de l’annulation ou de la modification d’un acte administratif définitif :

1. si la situation de fait ou de droit à l’origine de l’acte administratif s’est ultérieurement modifiée en faveur de l’intéressé ;

2. s’il existe de nouveaux éléments de preuve qui auraient entraîné une décision plus favorable à l’intéressé ;

3. si des motifs de réouverture au sens de l’article 580 du Zivilprozessordnung [(code allemand de procédure civile)] sont constitués.

2)   La demande n’est recevable que si, sans commettre de faute grave, l’intéressé n’a pas pu faire valoir le motif de réexamen dans le cadre de la procédure antérieure, notamment par voie de recours.

3)   La demande doit être formée dans un délai de trois mois. Le délai court à compter du jour où l’intéressé a pris connaissance du motif de réouverture. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

13. A. A., le demandeur au principal, est un ressortissant syrien. Selon ses propres indications, il a quitté la Syrie en 2012 et est resté en Libye jusqu’en 2017. Il est ensuite entré en Allemagne en passant par l’Italie et l’Autriche.

14. Le 26 juillet 2017, A. A. a introduit une demande d’asile en Allemagne. Il a notamment indiqué avoir effectué son service militaire en Syrie entre 2003 et 2005 et avoir quitté ce pays de crainte d’être rappelé sous les drapeaux ou d’être arrêté s’il refusait de se présenter à cet effet.

15. Par décision du 16 août 2017, le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) lui a accordé la protection subsidiaire, mais a refusé sa demande visant à bénéficier du statut de « réfugié ». Il a considéré, en substance, que, dès lors qu’A. A. venait d’une zone dans laquelle différents groupes armés, dont l’armée syrienne, étaient responsables de bombardements, et qu’A. A. ne vivait plus en Syrie lorsque sa famille a reçu une lettre lui
demandant de rejoindre les forces armées pour une seconde fois, on ne pouvait pas supposer que l’État syrien qualifierait nécessairement son départ de Syrie d’« acte de désertion » ou le considérerait comme membre de l’opposition. De plus, il a estimé qu’A. A. n’avait pas établi qu’en cas de retour en Syrie, il serait contraint de servir dans l’armée syrienne. A. A. n’a pas formé de recours contre cette décision qui, partant, a acquis un caractère définitif.

16. Le 15 janvier 2021, A. A. a introduit une nouvelle demande visant à bénéficier du statut de « réfugié » en Allemagne. Il s’est fondé sur un arrêt de la Cour, à savoir l’arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), prononcé après le rejet de sa première demande, qui, selon lui, établit que, lors de l’examen de cette demande, l’Office fédéral de la migration et des réfugiés a fait peser sur lui une charge de la preuve qui excédait celle requise par le droit de
l’Union, et que les autorités nationales auraient dû supposer que son départ de Syrie serait interprété comme un acte explicite d’opposition politique. Il a avancé que cet arrêt constituait une modification de sa « situation de droit » au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la VwVfG et que, partant, il incombait à l’Office fédéral de la migration et des réfugiés d’examiner le fond de sa demande ultérieure.

17. Par décision du 22 mars 2021, cette autorité a rejeté la demande ultérieure d’A. A. pour irrecevabilité. Elle a indiqué, en substance, que l’arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) n’entraînait aucune modification de la « situation de droit » d’A. A. et qu’elle n’était pas tenue d’examiner le fond de sa demande ultérieure.

18. A. A. a saisi le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne) d’un recours contre cette décision, tendant à l’annulation de celle-ci et à l’octroi du statut de « réfugié ».

19. Ce tribunal précise que, conformément à l’article 71 de l’AsylG, si une personne introduit une demande ultérieure de protection internationale après le retrait ou le rejet, par décision définitive qui n’est plus susceptible de recours, d’une demande antérieure, il n’y a lieu de mener une nouvelle procédure d’asile que si les conditions énoncées à l’article 51, paragraphes 1 à 3, de la VwVfG sont réunies. La première de ces dispositions vise l’hypothèse où la « situation de droit » à l’origine de
cette décision définitive a changé en faveur de l’intéressé.

20. En droit allemand, la notion de modification de la « situation de droit » au sens de cette disposition a été interprétée comme visant uniquement les modifications des dispositions juridiques applicables. Ainsi, un arrêt de la Cour, tel que l’arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), sur lequel A. A. se fonde dans la procédure au principal, où la Cour se prononce uniquement sur la manière dont il y a lieu d’interpréter la réglementation concernée, sans se
prononcer sur sa validité ou requérir sa modification, ne constitue pas une modification de la « situation de droit » de l’intéressé.

21. Le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen) se demande, en substance, si l’article 51, paragraphe 1, de la VwVfG, tel qu’interprété par les juridictions allemandes, est conforme à l’interprétation qu’il y a lieu de donner à la notion d’« élément nouveau » dans le cadre de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 1 et 3, de la directive 2013/32 ( 8 ). Compte tenu de l’arrêt du 14 mai 2020, il cherche à déterminer si l’on
pourrait considérer que l’article 71, paragraphe 1, de l’AsylG n’a pas bien transposé les conditions énoncées par ces dispositions.

22. Le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen) se demande également si, en l’espèce, il est habilité à se prononcer sur le fond de la demande de protection internationale présentée par A. A. À cet égard, il relève que, en droit allemand, lorsque l’Office fédéral de la migration et des réfugiés déclare irrecevable une demande ultérieure de protection internationale, l’intéressé est, bien entendu, habilité à former un recours contre cette décision devant les juridictions
nationales. Toutefois, lorsqu’elles se prononcent sur le recours portant sur la recevabilité de cette demande, les juridictions nationales ne peuvent pas statuer sur le point de savoir s’il y a lieu d’accorder ou non une protection internationale à l’intéressé. En principe, elles ne le font qu’après que l’Office fédéral de la migration et des réfugiés s’est lui-même prononcé sur la question de savoir s’il convient de réformer la décision relative à la demande antérieure de protection
internationale compte tenu de la demande ultérieure.

23. C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) a) Une disposition nationale qui considère qu’une demande ultérieure n’est recevable que si les faits ou [la situation de] droit sur lesquels se fondait la décision initiale de rejet ont changé par la suite en faveur du demandeur est-elle compatible avec l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] ?

b) L’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] s’opposent-ils à une disposition nationale qui ne considère pas une décision de la Cour [...] comme “élément nouveau”, une “circonstance nouvelle” ou un “fait nouveau” lorsque cette décision ne constate pas l’incompatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union, mais se limite à l’interprétation du droit de l’Union ? Le cas échéant, quelles sont les conditions pour qu’[une
décision] de la Cour qui ne fait qu’interpréter le droit de l’Union doive être pris[e] en compte comme “élément nouveau”, “circonstance nouvelle” ou “fait nouveau” ?

2) En cas de réponse affirmative [à la première question, sous a) et b)] : l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40, paragraphe 2, de la directive [2013/32] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un arrêt de la Cour, qui a dit pour droit qu’il existe une forte présomption que le refus d’effectuer le service militaire dans les conditions visées à l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive [2011/95] soit lié à l’un des cinq motifs énumérés à l’article 10 de cette
directive, doit être pris en compte comme “élément nouveau”, “circonstance nouvelle” ou “fait nouveau” ?

3) a) L’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive [2013/32] doit-il être interprété en ce sens que le recours juridictionnel contre une décision d’irrecevabilité prise par l’autorité responsable de la détermination au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphe [5], de [cette directive] est limité à l’examen de la question de savoir si l’autorité responsable de la détermination a considéré à juste titre que les conditions pour que la demande d’asile
ultérieure puisse être considérée comme irrecevable [...] étaient remplies ?

b) En cas de réponse négative à la [troisième question, sous a)] : l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive [2013/32] doit-il être interprété en ce sens que le recours juridictionnel contre une décision d’irrecevabilité comprend également l’examen de la question de savoir si les conditions d’octroi d’une protection internationale au sens de l’article 2, sous b), de la directive [2011/95] sont remplies lorsque la juridiction [nationale] constate, après son propre examen, que
les conditions de rejet de la demande d’asile ultérieure pour irrecevabilité ne sont pas remplies ?

c) En cas de réponse affirmative à la [troisième question, sous b)] : une telle décision de la juridiction [nationale] suppose-t-elle que le demandeur ait bénéficié au préalable des garanties procédurales spéciales prévues à l’article 40, paragraphe 3, troisième phrase, [de la directive 2013/32,] en liaison avec les dispositions du chapitre II de [cette directive] ? [Cette] juridiction peut-elle mener elle-même cette procédure ou doit-elle la déléguer à l’autorité responsable de la
détermination, le cas échéant après avoir suspendu la procédure juridictionnelle ? Le demandeur peut-il renoncer au respect de ces garanties procédurales ? »

24. La demande de décision préjudicielle, prononcée le 22 février 2022, est parvenue au greffe de la Cour de justice le 23 mars 2022. Les gouvernements allemand et autrichien, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites. Le gouvernement allemand et la Commission ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 28 février 2023.

IV. Analyse

25. Par ses questions, qui portent toutes sur le cas de figure dans lequel une demande ultérieure est introduite, le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen), qui est la juridiction de renvoi en l’espèce, invite la Cour à se prononcer, en substance, sur deux questions distinctes.

26. En premier lieu, il demande à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de la notion d’« élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40 de la directive 2013/32, et des conditions dans lesquelles une demande ultérieure peut être déclarée irrecevable, en application de ces dispositions (première et deuxième questions préjudicielles). Comme je l’ai indiqué au point 2 des présentes conclusions, plus la notion d’« élément nouveau » est interprétée de manière
large, plus il sera difficile pour les autorités compétentes de déclarer irrecevables des demandes ultérieures. Inversement, plus cette notion est interprétée de manière stricte, plus il sera aisé pour ces autorités de statuer sur ces demandes sans en apprécier le fond.

27. En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’étendue du recours dont A. A. doit bénéficier contre la décision litigieuse, c’est-à-dire celle par laquelle l’Office fédéral de la migration et des réfugiés a rejeté sa demande ultérieure pour irrecevabilité. Elle se demande, en substance, si, dans le cadre du recours formé par A. A. dont elle est saisie, elle est tenue de se limiter à apprécier si c’est à juste titre que la demande ultérieure de l’intéressé a été rejetée pour
irrecevabilité ou si elle peut poursuivre son examen et vérifier également si ce dernier doit se voir accorder le statut de « réfugié », eu égard au prescrit de l’article 46, paragraphe 1, de la directive 2013/32 selon lequel les demandeurs de protection internationale doivent bénéficier d’un recours effectif [troisième question préjudicielle, sous a) et b)]. En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi se demande quelles sont les garanties procédurales spéciales prévues au
chapitre II de cette directive qu’elle doit éventuellement respecter [troisième question préjudicielle, sous c)].

28. J’examinerai ces deux questions l’une après l’autre.

A. Sur le caractère (ir)recevable des demandes ultérieures de protection internationale (première et deuxième questions préjudicielles)

1.   Observations liminaires relatives aux dispositions applicables de la directive 2013/32 et au contexte dans lequel s’inscrivent les deux premières questions préjudicielles

29. Comme je l’ai indiqué au point 1 des présentes conclusions, la directive 2013/32 énonce des règles de procédure propres aux demandes ultérieures. Dès lors que ces règles répondent au principe selon lequel, « [l]orsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, il serait disproportionné d’obliger les États membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet [...] conformément au principe de l’autorité de la chose jugée » ( 9
), elles visent à ne pas faire peser une charge administrative disproportionnée sur les autorités nationales compétentes en les contraignant à réexaminer un dossier qu’elles ont déjà examiné. En même temps, il est clair que, lorsqu’il a adopté les dispositions relatives aux demandes ultérieures, le législateur de l’Union entendait non seulement mettre en œuvre ce principe et « alléger » la charge de travail de ces autorités, mais aussi assurer, en tout état de cause, un niveau de protection
suffisamment élevé pour les demandeurs d’asile ( 10 ), ainsi que le respect du principe de non‑refoulement, selon lequel personne ne peut être renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté ( 11 ).

30. C’est dans ce contexte que s’inscrivent l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40 de la directive 2013/32. Si la première de ces dispositions habilite les États membres à rejeter des demandes ultérieures pour irrecevabilité, elle ne leur permet de le faire que dans des conditions strictes. En effet, une demande ultérieure ne peut être rejetée pour irrecevabilité au titre de cette disposition que si elle est introduite après l’adoption d’une décision définitive statuant sur une demande
antérieure ( 12 ). De plus, les autorités nationales compétentes ne bénéficient de cette faculté que si, comme je l’ai déjà indiqué, « n’appara[ît] ou [n’est] présent[é] par le demandeur aucun élément [...] nouveau relati[f] à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale » ( 13 ). Il s’agit de deux conditions sine qua non, qui s’appliquent cumulativement.

31. À cet égard, il est clair qu’il y a lieu d’interpréter l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 en ce sens qu’il énonce de manière exhaustive le motif permettant de déclarer irrecevable une demande ultérieure. En effet, la première phrase de l’article 33, paragraphe 2, de cette directive indique que les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale (dont une demande ultérieure) comme irrecevable « uniquement lorsque » l’un des motifs énumérés à
cette disposition s’applique ( 14 ). Par conséquent, il n’est pas loisible aux États membres de prévoir dans leur législation d’autres motifs d’irrecevabilité applicables aux demandes ultérieures ( 15 ).

32. S’agissant des modalités pratiques que doivent observer les autorités compétentes des États membres saisies de demandes ultérieures, la disposition applicable est l’article 40 de la directive 2013/32. Les paragraphes 2 et 3 de cet article indiquent, comme la Cour l’a récemment confirmé ( 16 ), que, lorsqu’elles apprécient la recevabilité d’une demande ultérieure, les autorités compétentes des États membres doivent, en substance, procéder en deux étapes. Dans un premier temps, elles doivent
soumettre la demande ultérieure à un examen préliminaire (article 40, paragraphe 2). Lors de cet examen préliminaire, elles doivent déterminer si un ou plusieurs « éléments nouveaux » existent qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si l’intéressé remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale ( 17 ). Si tel est le cas, alors, dans un second temps, elles poursuivent l’examen de la recevabilité de la demande ultérieure, en
application de l’article 40, paragraphe 3, de cette directive, qui leur impose de vérifier si le ou les éléments nouveaux « augmentent de manière significative la probabilité » que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire ( 18 ).

33. Tout comme l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, l’article 40 de cette directive ne prévoit aucune définition explicite de la notion d’« élément nouveau ». Néanmoins, si l’on analyse ces deux dispositions conjointement, la portée de cette notion devient claire sur deux points importants.

34. En premier lieu, le libellé de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40, paragraphes 2 et 3, de cette directive (« des éléments [...] nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur ») indique qu’un élément doit être qualifié de « nouveau » lorsqu’il s’est manifesté après l’adoption de la décision statuant sur la demande antérieure du demandeur ou lorsque le demandeur l’a présenté pour la première fois dans le cadre de sa demande ultérieure ( 19 ). En soi, un « élément
nouveau » ne saurait consister en un élément que les autorités compétentes ont déjà examiné dans le cadre de la procédure relative à la demande antérieure. Ainsi que l’a jugé la Cour, en renvoyant au considérant 36 de la directive 2013/32, un « élément nouveau » est un élément sur lequel la décision mettant fin à cette procédure n’a pas pu être fondée ( 20 ).

35. En second lieu, afin de faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure, l’« élément nouveau » doit non seulement « se rapporte[r] à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [2011/95] », mais également « augmente[r] de manière significative la probabilité » que sa demande soit accueillie sur le fond ( 21 ). Il s’agit d’un facteur limitatif important. De
fait, comme l’indique le gouvernement autrichien, tout élément nouveau ne permet pas de faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure. La directive 2013/32 impose uniquement aux États membres d’éviter une telle issue lorsque l’« élément nouveau »« augment[e] de manière significative la probabilité » que l’intéressé se voie reconnaître le statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

36. Ces précisions étant apportées, je relève que, dans l’arrêt du 14 mai 2020, la Cour a déjà indiqué que la notion d’« élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40 de la directive 2013/32, ne se limite pas aux éléments de fait, mais peut également viser des éléments d’ordre purement juridique, y compris des arrêts de la Cour. En effet, elle a indiqué littéralement qu’« un arrêt de la Cour constatant l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une
réglementation nationale [...] constitue un élément nouveau relatif à l’examen d’une demande de protection internationale, au sens de cette disposition » ( 22 ).

37. L’arrêt du 14 mai 2020 portait sur une situation dans laquelle il était clair que les demandes de protection internationale introduites par les intéressés avaient été rejetées en application d’une règle nationale contraire au droit de l’Union. En effet, les autorités compétentes s’étaient fondées sur un motif d’irrecevabilité qui, s’il était certes prévu en droit hongrois, ne figurait pas parmi ceux énumérés à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32. La Cour a dès lors explicitement
constaté que cette disposition nationale était contraire au droit de l’Union ( 23 ).

38. Dans ces circonstances, les deux premières questions posées par la juridiction de renvoi portent, plus précisément, sur le point de savoir si l’enseignement de l’arrêt du 14 mai 2020 ne s’applique que lorsqu’il ressort d’un arrêt de la Cour que la législation nationale sur le fondement de laquelle une demande antérieure de protection internationale a été rejetée est contraire au droit de l’Union et doit, partant, être désormais écartée par les juridictions nationales, ou, plus généralement,
également lorsque, comme en l’espèce, un arrêt de la Cour a simplement pour effet d’imposer une réinterprétation de la législation nationale (qui ne doit pas être modifiée et dont l’application ne doit pas être écartée). C’est dans ce cadre que la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser la portée de son arrêt du 14 mai 2020.

39. Dans les développements qui suivent, j’examinerai d’abord les raisons pour lesquelles, eu égard notamment aux motifs retenus par la Cour dans l’arrêt du 14 mai 2020, un arrêt de la Cour est en général susceptible de constituer un « élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32. Je poursuivrai en précisant pourquoi je ne pense pas que la distinction établie par la juridiction de renvoi, fondée sur les conséquences différentes qu’un arrêt de la Cour est
susceptible d’avoir sur la législation nationale concernée, ait la moindre pertinence dans le cadre de l’interprétation de cette disposition. À cet égard, je formulerai également quelques considérations quant aux raisons pour lesquelles ma réponse à cette question ne dépend pas du point de savoir si la Cour avait déjà rendu un arrêt au moment de l’adoption d’une décision définitive statuant sur une demande antérieure introduite par l’intéressé ou si elle l’a rendu par la suite.

2.   Sur les raisons pour lesquelles un arrêt de la Cour peut constituer un « élément nouveau »

40. Dans l’arrêt du 14 mai 2020, la Cour a commencé par constater ( 24 ) que, sauf dans certaines circonstances strictes, une fois que la procédure relative à une demande antérieure de protection internationale introduite par l’intéressé a été tranchée par une décision définitive, les autorités compétentes des États membres ne sont pas tenues de rouvrir cette procédure d’office, même si cette décision est contraire au droit de l’Union.

41. La Cour a rappelé la jurisprudence constante relative à l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée ( 25 ). Elle a de plus considéré que, conformément au principe de sécurité juridique, le droit de l’Union n’exige pas qu’une autorité administrative soit, en principe, obligée de revenir sur une décision administrative ayant acquis un caractère définitif à l’expiration de délais de recours
raisonnables ou par l’épuisement des voies de recours. Elle a indiqué que le respect de ce principe permet d’éviter la remise en cause indéfinie des actes administratifs entraînant des effets de droit ( 26 ).

42. Se fondant notamment sur l’arrêt Kühne & Heitz ( 27 ), elle a souligné qu’il y a, bien entendu, des cas dans lesquels une décision administrative ayant acquis un caractère définitif à la suite de sa confirmation par une décision juridictionnelle peut devoir faire l’objet d’un réexamen. Ces cas de figure sont toutefois limités ( 28 ).

43. Compte tenu de ces constats, il peut sembler quelque peu surprenant que la Cour ait ensuite indiqué que l’existence d’un arrêt de la Cour constatant qu’une demande antérieure de protection internationale a été rejetée sur le fondement d’une législation nationale contraire au droit de l’Union – si elle n’emporte aucune obligation, pour les autorités compétentes, de revenir d’office sur la décision définitive rejetant cette demande – empêche néanmoins les mêmes autorités de déclarer irrecevable,
en application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, une demande ultérieure introduite par la même personne, dès lors que cet arrêt constitue un « élément nouveau » au sens de cette disposition ( 29 ). La Cour a considéré en substance que, si une procédure relative à l’octroi d’une protection internationale qui a déjà été tranchée par une décision définitive est protégée, à tous égards, par les principes de sécurité juridique ou d’autorité de la chose jugée (à tel
point que le droit de l’Union ne requiert pas la réouverture d’office de cette procédure, sauf dans certaines circonstances strictes), la protection que confèrent ces principes ne saurait empêcher un demandeur de protection internationale d’introduire et de voir examinée une demande ultérieure au motif que, même si sa situation de fait n’a pour ainsi dire pas été modifiée, il existe une décision (en l’espèce, un arrêt) de la Cour qui doit être qualifiée d’« élément nouveau » au sens de
l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40 de la directive 2013/32 ( 30 ).

44. Je relève que, lors de l’audience, le gouvernement allemand a fait valoir, en substance, que, si pratiquement tout arrêt de la Cour pouvait, en raison de l’arrêt du 14 mai 2020, être qualifié d’« élément nouveau » et faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure, les autorités compétentes d’un État membre seraient tenues de réexaminer une décision administrative ayant déjà acquis un caractère définitif à chaque fois que la Cour rend un arrêt en matière de droit d’asile,
indépendamment de l’expiration éventuelle des délais prévus pour former un recours contre cette décision définitive.

45. À l’instar du gouvernement allemand, je considère que la distinction établie par la Cour, dans l’arrêt du 14 mai 2020, entre, d’une part, l’absence d’obligation pour les autorités compétentes des États membres de réexaminer une décision déjà adoptée statuant sur une demande antérieure de l’intéressé, même s’il y a un « élément nouveau », et, d’autre part, l’obligation pour ces autorités, en raison de ce même élément, de déclarer recevable et d’examiner le fond d’une demande ultérieure introduite
par cette même personne peut sembler, dans une certaine mesure, artificielle. De fait, dans les deux cas, les autorités compétentes des États membres sont tenues, en substance, de réexaminer la situation de l’intéressé en tenant dûment compte de l’« élément nouveau » ( 31 ).

46. Il y a toutefois plusieurs bonnes raisons qui, selon moi, justifient qu’un arrêt de la Cour puisse, sans pour autant avoir d’incidence sur la validité d’une décision définitive qui a déjà été rendue relativement à une demande antérieure de l’intéressé, être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40 de la directive 2013/32.

47. À cet égard, je relève que, dans l’arrêt du 14 mai 2020, la Cour a indiqué que, si une demande ultérieure devait être déclarée irrecevable faute d’« élément nouveau » dans un cas où il est clair, compte tenu d’un arrêt de la Cour, que le rejet d’une demande antérieure introduite par l’intéressé était contraire au droit de l’Union, l’application incorrecte du droit de l’Union pourrait se reproduire à chaque nouvelle demande de protection internationale de sa part, sans qu’il soit possible
d’offrir à ce dernier le bénéfice d’un examen de sa demande qui ne soit pas entaché par la violation de ce droit. Elle a considéré qu’un tel obstacle à l’application effective des règles du droit de l’Union concernant la procédure d’octroi d’une protection internationale ne pourrait pas raisonnablement être justifié par les principes de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée ( 32 ).

48. Le gouvernement allemand admet lui-même qu’il faut trouver un équilibre entre l’impératif d’assurer la protection de ces principes et l’intérêt des demandeurs de protection internationale à bénéficier d’une nouvelle décision. Il reconnaît dès lors que le principe de l’autorité de la chose jugée n’est pas absolu et qu’il peut, dans certaines circonstances, être mis en balance avec d’autres considérations.

49. Cela dit, il me semble que les gouvernements allemand et autrichien craignent, dans le même temps, de voir le principe de l’autorité de la chose jugée menacé au cas où la notion d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 se verrait attribuer une portée excessivement large.

50. S’agissant de cet argument, je rappelle cependant que, pour qu’il puisse faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure, un « élément nouveau » doit, comme je l’ai déjà indiqué au point 32 des présentes conclusions, « augmente[r] de manière significative la probabilité » que le demandeur puisse prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Compte tenu de cette condition, il est clair que, comme l’a souligné la Commission lors de l’audience et contrairement à ce
que font valoir les gouvernements allemand et autrichien, tout arrêt de la Cour n’est pas susceptible d’emporter un tel effet.

51. De plus, il me semble nécessaire de formuler certaines précisions quant à l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée. Comme je l’ai indiqué au point 29 des présentes conclusions, le considérant 36 de la directive 2013/32 évoque explicitement ce principe et le rattache à la faculté, prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de cette directive, qu’ont les États membres de déclarer irrecevables des demandes ultérieures. Il ne s’ensuit toutefois pas, selon moi, que ce principe a
nécessairement une incidence dans chaque cas où une demande ultérieure est introduite.

52. En effet, l’application du principe de l’autorité de la chose jugée suppose un acte juridictionnel ( 33 ). Or, il arrive bien souvent que les autorités compétentes mettent fin à la procédure relative à une demande antérieure introduite par l’intéressé en adoptant un simple acte administratif, qui n’a fait l’objet d’aucun recours introduit en temps utile devant une juridiction. Dans de tels cas, ce principe ne saurait s’appliquer, dès lors qu’il ne saurait se rattacher à aucun acte
juridictionnel. Comme la Cour l’a visiblement reconnu dans l’arrêt du 14 mai 2020, c’est dès lors d’une forme différente – relativement moins absolue – du principe de sécurité juridique qu’il convient de tenir compte. Il est évident que, en pratique, cette différence revêt peu d’importance. En effet, comme l’a Cour l’a indiqué dans cet arrêt, le principe de sécurité juridique n’exige pas qu’une autorité administrative soit, en principe, obligée de réexaminer un dossier qu’elle a déjà apprécié.
Il n’en demeure pas moins que, sur le plan théorique, il convient de ne pas exagérer l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée dans le cadre de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

53. Il s’ensuit que le principe de l’autorité de la chose jugée – qui constitue une expression du principe de la sécurité juridique ( 34 ) – ne s’applique pas en soi dans le cas de l’introduction d’une demande ultérieure déposée postérieurement à l’adoption d’une décision administrative définitive statuant sur une demande antérieure introduite par l’intéressé qui n’a jamais fait l’objet d’une confirmation par décision juridictionnelle. Comme certains l’ont indiqué précédemment, c’est précisément
parce que l’on considère qu’un jugement se distingue de tout autre acte juridique qu’il doit jouir d’une « autorité particulière » du fait du principe de l’autorité de la chose jugée ( 35 ). Cette autorité d’un degré supérieur ne se justifie pas, en principe, pour les actes administratifs ( 36 ).

54. En tout état de cause, dans le contexte de la présente affaire, le principe de sécurité juridique et celui de l’autorité de la chose jugée doivent être mis en balance avec le fait que, lorsqu’il a adopté la directive 2013/32, le législateur de l’Union a explicitement entendu limiter les circonstances dans lesquelles une demande ultérieure peut être déclarée irrecevable. En effet, il a affirmé, au considérant 36 de cette directive, que la faculté reconnue aux États membres de « rejeter une
demande [ultérieure] comme étant irrecevable conformément au principe de l’autorité de la chose jugée » ne s’applique plus si le demandeur apporte « de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments ». Cette faculté est en outre limitée par les termes employés à l’article 33, paragraphe 2, sous d), et à l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, selon lesquels il suffit, à cet égard, qu’un « élément [...] nouveau » ait été « présent[é] » par le demandeur ou soit « appar[u] ». Il
s’ensuit que, si l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 permet de rejeter des demandes ultérieures pour irrecevabilité, cette disposition vise également à mettre en œuvre la volonté expresse du législateur de l’Union de voir certains motifs justifier qu’un demandeur doive éventuellement introduire une nouvelle demande de protection internationale après l’adoption par les autorités compétentes d’une décision défavorable ( 37 ).

55. À cet égard, je rappelle, comme je l’ai déjà souligné au point 30 des présentes conclusions, que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, de même que d’autres dispositions de cette directive, vise en particulier à garantir la protection du principe de non‑refoulement, qui est consacré en tant que droit fondamental par l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ( 38 ) et évoqué au considérant 3 de ladite
directive ( 39 ). Selon moi, ce principe requiert que, dans toute procédure relative à l’octroi d’une protection internationale, la règle de base (ne faisant l’objet que d’exceptions strictes) est que les autorités compétentes sont tenues d’examiner le fond de la demande, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents ( 40 ), les États membres étant tenus, tant au titre du droit de l’Union que du droit international ( 41 ), de s’assurer que les demandeurs ne soient pas expulsés ou
renvoyés de quelque manière que ce soit dans un environnement dans lequel ils sont susceptibles d’être victimes de persécution ( 42 ). Cette obligation, à laquelle il ne saurait être dérogé ( 43 ), s’applique également à l’égard des personnes qui ont introduit une demande ultérieure ( 44 ). Il s’ensuit que l’exception énoncée à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 est nécessairement limitée par le principe de non‑refoulement.

56. Ainsi, une demande ultérieure ne saurait en soi être rejetée pour irrecevabilité s’il y a un risque, compte tenu d’un arrêt rendu par la Cour, que l’intéressé soit, en cas de rejet, renvoyé là où il est à nouveau susceptible d’être persécuté, en violation de ce principe. Tel peut notamment être le cas, selon moi, lorsqu’un arrêt de la Cour, qui n’a pas été pris en compte lors de la procédure antérieure, indique qu’il est très probable qu’un acte commis par une personne se trouvant dans la
situation du demandeur sera interprété comme un acte d’opposition politique et lui fera courir le risque d’être persécuté si ce dernier venait à être renvoyé dans son pays d’origine ( 45 ). Je considère qu’un tel arrêt devrait faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure introduite par le demandeur et être qualifié d’« élément nouveau ».

57. À titre plus général, je relève en outre que la Cour a rappelé, dans l’arrêt du 14 mai 2020, l’importance du droit, consacré à l’article 18 de la Charte et mis en œuvre dans les directives 2011/95 et 2013/32, d’obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies. La Cour a indiqué que l’effet utile de ce droit serait gravement compromis si une demande ultérieure pouvait être déclarée irrecevable en
application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lorsqu’il est clair, en raison d’un arrêt de la Cour, que la décision définitive statuant sur une demande antérieure était contraire au droit de l’Union ( 46 ).

58. À cet égard, je relève que l’article 78, paragraphe 1, TFUE indique que la politique commune développée par l’Union en matière d’asile vise non seulement à assurer le respect du principe de non‑refoulement, mais également à offrir un « statut approprié » à tout ressortissant d’un pays tiers « nécessitant une protection internationale ». Cet objectif sous-tend la directive 2013/32 et le régime d’asile de l’Union dans son ensemble. De fait, comme l’a indiqué la Commission, cette directive vise à
faciliter l’accès à la procédure d’asile ( 47 ). Je précise que, d’un point de vue conceptuel, le droit à prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale est issu de l’idée, qui est également communément admise par la convention de Genève, qu’il y a lieu de considérer qu’une personne bénéficie d’une protection en tant que « réfugié » dès l’instant où elle répond aux conditions pertinentes, indépendamment du fait que le statut de « réfugié » lui ait été officiellement conféré
ou non. Partant, lorsque les autorités compétentes des États membres examinent une demande de protection internationale, elles n’« accordent » pas ni ne « confèrent », à proprement parler, le statut de « réfugié » à l’intéressé. Elles reconnaissent au contraire l’existence d’un statut qui est réputé préexister ( 48 ).

59. Il résulte des considérations qui précèdent que, comme la Cour l’a constaté dans l’arrêt du 14 mai 2020, si l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 permet de rejeter des demandes ultérieures pour irrecevabilité, au titre des principes de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée et afin de ne pas faire peser une charge administrative disproportionnée sur les autorités nationales compétentes, il reste que ces principes perdent inéluctablement de leur importance
s’il s’avère, du fait d’un arrêt de la Cour dont il n’a pas été tenu compte lors de la procédure antérieure relative à l’octroi d’une protection internationale, que la décision définitive défavorable ayant mis fin à cette procédure a été adoptée en méconnaissance du droit que l’intéressé tire de l’article 18 de la Charte de prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies, ou du principe de
non‑refoulement consacré par l’article 19 de la Charte. Selon moi, le législateur de l’Union a voulu, dans le contexte précisément de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, que les droits consacrés par ces dispositions de la Charte servent de contrepoids auxdits principes, ce dont il découle qu’il doit, de manière générale, être possible de qualifier d’« éléments nouveaux » les arrêts de la Cour qui sont pertinents pour déterminer les circonstances dans
lesquelles ces droits peuvent avoir été méconnus ( 49 ).

60. À cet égard, je souhaiterais souligner un autre élément qui revêt, selon moi, un intérêt pratique important. Comme je l’ai indiqué, c’est principalement pour ne pas faire peser une charge administrative disproportionnée sur les autorités nationales compétentes qui se verraient contraintes de réexaminer un dossier qu’elles ont déjà apprécié que ces dernières ont la faculté de déclarer irrecevables des demandes ultérieures.

61. Cependant, comme je l’ai indiqué au point 32 des présentes conclusions, les autorités compétentes des États membres sont tenues (au titre de l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32) de procéder à un examen préliminaire de chaque demande ultérieure dont elles sont saisies, afin de vérifier l’existence éventuelle d’un « élément nouveau » intéressant l’examen du point de savoir si le demandeur peut prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale et sur lequel la
décision antérieure ne pouvait pas être fondée. Compte tenu de ces obligations particulières, il n’est pas, selon moi, excessivement compliqué ni infaisable, en pratique, de leur imposer d’examiner, dans le cadre de cette même appréciation, s’il y a des « éléments » issus de la jurisprudence de la Cour qui sont apparus et qui sont susceptibles d’augmenter les chances de l’intéressé de bénéficier d’une protection internationale.

62. À cet égard, je n’ai guère besoin de souligner que, lorsqu’elles examinent des demandes de protection internationale, il incombe forcément aux autorités compétentes des États membres de connaître le droit de l’Union et d’en faire une bonne application. Conformément aux constats formulés par la Cour dans l’arrêt du 14 mai 2020 et que j’ai rappelés aux points précédents des présentes conclusions, un demandeur ne devrait dès lors pas être indéfiniment lésé en raison d’une méconnaissance qui relève
principalement de la responsabilité du juge concerné et de ces autorités.

63. De surcroît, je relève qu’il n’est pas obligatoire que les demandeurs soient représentés par un avocat lors de la procédure administrative devant les autorités compétentes ( 50 ). Il serait dès lors déraisonnable, selon moi (étant donné, également, que ces personnes viennent de pays tiers et n’ont pas forcément une bonne connaissance du droit de l’Union), qu’elles se retrouvent dans l’impossibilité de jamais voir leur demande ultérieure examinée et qu’elles soient réputées avoir « laissé passer
cette chance » pour la simple raison qu’elles n’ont pas formé un recours dans les délais contre une décision contraire au droit de l’Union adoptée par ces autorités à l’issue d’une procédure antérieure.

64. Eu égard aux éléments qui précèdent, il me semble clair que l’exception, prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, au droit des demandeurs de voir leur demande examinée au fond doit demeurer limitée à des circonstances strictes. En effet, je considère que la notion d’« élément nouveau » doit être interprétée de manière à ce point large qu’elle vise également l’existence d’un arrêt par lequel la Cour établit que la décision statuant sur une demande antérieure
introduite par la même personne était contraire au droit de l’Union et qui non seulement concerne le point de savoir si cette personne peut prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, mais « augmente » également « de manière significative la probabilité » que cette dernière soit reconnue comme telle.

65. À toutes fins utiles, je note que c’est au regard de cette interprétation qu’il y a lieu, selon moi, d’interpréter la troisième phrase du point 203 de l’arrêt du 14 mai 2020. Cette phrase – dont la signification a fait l’objet de débats à l’audience – énonce que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 « n’est pas applicable à une demande ultérieure, au sens de l’article 2, sous q), de cette directive, lorsque l’autorité responsable de la détermination constate que le rejet
définitif de la demande antérieure est contraire au droit de l’Union » ( 51 ). À mon sens, il ressort clairement des points 196 à 198 de cet arrêt que cette phrase a été incluse par la Cour pour s’assurer que, dans le cas de figure où il s’avère que le rejet de la demande antérieure était contraire au droit de l’Union, l’intéressé ne se voie pas privé de la possibilité de bénéficier d’un nouvel examen de sa situation. Ainsi, je considère que, lorsque la Cour a indiqué, à la troisième phrase du
point 203 de l’arrêt du 14 mai 2020, que l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 n’était « pas applicable », elle voulait tout simplement dire que le motif d’irrecevabilité énoncé dans cette disposition ne pouvait pas être opposé à une personne lorsqu’il est clair que le rejet de sa demande précédente était contraire au droit de l’Union.

66. Après avoir apporté ces précisions et indiqué de manière plus générale pourquoi un arrêt de la Cour constitue, dans certaines circonstances, un « élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, j’examinerai à présent plus précisément les interrogations que nourrit la juridiction de renvoi quant au point de savoir si cette notion s’applique à un arrêt tel que celui qui nous occupe en l’espèce.

3.   Au-delà de l’arrêt de la Cour du 14 mai 2020

a)   L’affaire au principal

67. À l’instar de l’arrêt du 14 mai 2020, l’arrêt sur lequel se fonde A. A. dans le cadre de l’affaire au principal a été rendu après l’adoption d’une décision définitive statuant sur sa première demande de protection internationale. Toutefois, la Cour n’a pas constaté, dans ce dernier arrêt, que certaines règles nationales étaient contraires au droit de l’Union. À cet égard, je rappelle que la Cour a déclaré que, dans un contexte de conflit armé, particulièrement de guerre civile, et en l’absence
de possibilité légale de se soustraire aux obligations militaires, il est hautement probable que le refus d’effectuer le service militaire soit interprété comme un acte d’opposition politique, indépendamment des motivations personnelles éventuellement plus complexes de l’intéressé ( 52 ). Compte tenu, notamment, de ce constat, elle a considéré que, dans de telles circonstances, il existe une forte présomption que les poursuites et sanctions pour refus d’effectuer le service militaire visées à
l’article 9, paragraphe 2, sous e), de la directive 2011/95 se rattachent à l’un des cinq motifs de persécution rappelés à l’article 10 de celle-ci ( 53 ).

68. Selon A. A., il découle de cet arrêt que la charge de la preuve qu’on a fait peser sur lui dans le cadre de la procédure relative à sa demande antérieure de protection internationale excède celle requise par le droit de l’Union. Ainsi que je l’ai indiqué au point 15 des présentes conclusions, c’est au motif qu’A. A. n’avait pas établi, avec suffisamment de certitude, que son départ de Syrie après avoir effectué son service militaire serait interprété comme un acte d’opposition politique que
l’Office fédéral de la migration et des réfugiés a refusé de lui accorder le statut de « réfugié ». Partant, cette autorité n’a pas présumé que, si A. A. retournait en Syrie, ses agissements pourraient lui faire courir un risque de sanctions ou de poursuites lié à un motif de persécution.

69. Eu égard à ces éléments, A. A. soutient, devant la juridiction de renvoi, que l’arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) constitue une modification de sa « situation de droit », au sens du droit national, qui doit faire obstacle à l’irrecevabilité de sa demande ultérieure. En effet, selon lui, il y a lieu de qualifier cet arrêt d’« élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), et de l’article 40 de la directive 2013/32.

70. La Commission souscrit, en substance, à cette interprétation. Les gouvernements allemand et autrichien soutiennent quant à eux que seul un arrêt de la Cour qui constate ou entraîne l’invalidité ou la révision de la législation nationale ou de la base juridique de la décision antérieure elle-même peut être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32. Ils indiquent que, en droit allemand et autrichien, un arrêt qui, à l’instar de l’arrêt
qui nous occupe en l’espèce, n’a pour effet que de modifier l’interprétation des dispositions nationales sans porter atteinte à leur validité ou nécessiter leur modification n’emporte pas d’obligation, pour les autorités compétentes, de déclarer recevable une demande ultérieure.

71. J’adhère à la thèse défendue par la Commission. Selon moi, l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 ne prévoit pas la distinction que les gouvernements allemand et autrichien opèrent sur le fondement de leur droit national.

72. À cet égard, je relève que ni le libellé des deux premières questions préjudicielles ni les éléments versés au dossier ne permettent d’établir tout à fait clairement la manière dont cette distinction doit être comprise. En effet, on peut s’interroger quant au point de savoir si la juridiction de renvoi demande de préciser si, lors de l’application de la notion d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, il convient de distinguer les décisions de
la Cour qui, selon les termes utilisés par la juridiction de renvoi, « ne constate[nt] pas l’incompatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union » de celles qui le font (premier cas de figure) ou s’il convient de distinguer les décisions de la Cour qui entraînent l’invalidité ou la modification de la législation nationale de celles qui n’ont pour effet que d’imposer une réinterprétation de cette législation (second cas de figure). Dans le cadre du premier cas de figure, la
distinction opérée serait fonction des termes employés par la Cour dans ses décisions, tandis que, dans le cadre du second, ce sont les différents effets que ces décisions sont susceptibles d’avoir, indépendamment des termes utilisés, sur les dispositions nationales qui importeraient.

73. J’examinerai ces deux cas de figure, avant d’analyser brièvement la question, posée lors de l’audience, de savoir s’il y a lieu d’établir un autre type de distinction, selon que la décision de la Cour existait déjà au moment de l’adoption d’une décision définitive statuant sur une demande antérieure de l’intéressé ou si elle a été rendue par la suite.

1) Le premier cas de figure

74. En ce qui concerne le premier cas de figure, j’observe qu’il est vrai que la Cour a évoqué expressément, aux points 194 et 203 ainsi que dans le dispositif de l’arrêt du 14 mai 2020, « un arrêt de la Cour constatant l’incompatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale » ( 54 ). Toutefois, il est clair que l’intention de la Cour n’a jamais été, en retenant cette formulation, d’introduire une distinction entre les arrêts ou décisions de la Cour formulant un tel constat et ceux
qui ne font que fournir des éléments d’interprétation du droit de l’Union.

75. À cet égard, je ne peux que souligner que, lorsque la Cour statue à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, en application de l’article 267 TFUE, elle se prononce sur l’interprétation ou la validité de dispositions du droit de l’Union. Partant, elle ne se prononce pas sur la validité de dispositions nationales ou sur leur compatibilité avec le droit de l’Union. En effet, c’est toujours aux juridictions nationales qu’il appartient de tirer les conséquences qui s’imposent de
la jurisprudence de la Cour et, le cas échéant, de réinterpréter le droit national en cause ou d’écarter son application. Cela vaut pour toutes les affaires dans lesquelles la Cour statue à titre préjudiciel.

76. Il s’ensuit qu’il est tout simplement impossible, selon moi, de répartir les arrêts de la Cour en deux catégories, à savoir ceux qui constatent l’incompatibilité de certaines dispositions nationales avec le droit de l’Union et ceux qui ne font que fournir des éléments d’interprétation du droit de l’Union. Ces deux catégories sont, en réalité, de même nature, dès lors qu’elles portent toutes deux sur l’interprétation du droit de l’Union.

77. Cette précision étant apportée, j’expliquerai à présent pourquoi je considère que la notion d’« élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, ne permet pas non plus qu’une distinction soit établie entre les arrêts de la Cour qui appellent la modification ou l’abrogation des dispositions nationales en cause et ceux qui appellent simplement une interprétation différente de ces dispositions.

2) Le second cas de figure

78. Selon moi, la distinction évoquée au point précédent des présentes conclusions ne saurait être retenue. En effet, outre son caractère excessivement formaliste, cette interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 aurait pour conséquence que la définition de la notion d’« élément nouveau » serait fonction de la manière dont sont libellées les dispositions nationales, ce qui donnerait lieu à des disparités inacceptables entre États membres quant au niveau de
protection des demandeurs de protection internationale.

79. De fait, seul un État membre dont la législation nationale est rédigée de manière précise serait tenu de qualifier un tel arrêt d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 (dès lors que sa législation devrait être abrogée ou modifiée eu égard à l’arrêt de la Cour). Les autres États membres, dont la législation serait rédigée en des termes plus généraux, ne seraient pas tenus à la même obligation. Un justiciable verrait sa demande ultérieure
déclarée recevable ou irrecevable en fonction du caractère plus ou moins précis ou général des termes utilisés dans la législation nationale qui s’applique à lui ( 55 ).

80. À mes yeux, il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle l’application uniforme du droit de l’Union, que l’article 267 TFUE vise à garantir et qui impose à tous les États membres de tenir compte des éléments d’interprétation du droit de l’Union que fournit la Cour dans sa jurisprudence, serait davantage menacée. Partant, je ne pense pas que la distinction que le droit allemand opère- entre les arrêts qui emportent l’invalidité ou la modification de la législation nationale et ceux qui
n’entraînent que l’obligation de réinterpréter cette législation – doit avoir la moindre incidence dans le cadre de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32.

81. Il résulte des considérations qui précèdent que la notion d’« élément nouveau », au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, doit être interprétée en ce sens qu’elle peut également viser un arrêt de la Cour qui appelle une modification dans l’interprétation des dispositions nationales sur lesquelles est fondée la décision définitive statuant sur une demande antérieure introduite par l’intéressé, sans avoir d’incidence sur la validité de ces dispositions ou sur leur
libellé.

b)   Faut-il tenir compte du jour du prononcé de l’arrêt de la Cour ?

82. Comme je l’ai déjà indiqué aux points précédents des présentes conclusions, l’arrêt sur lequel A. A. entend se fonder dans l’affaire au principal a été rendu après l’adoption de la décision définitive statuant sur sa première demande (tout comme l’arrêt du 14 mai 2020). Toutefois, à l’audience, les parties ont également répondu à des questions posées par la Cour relatives au cas où un tel arrêt est rendu non pas après, mais avant l’adoption d’une décision définitive. Ce cas de figure n’étant pas
celui sur lequel porte l’affaire au principal, je considère que la Cour n’a pas besoin, en l’espèce, d’examiner la question plus générale de savoir si, dans ces circonstances, un arrêt de la Cour doit également être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32. Cela étant, au cas où elle déciderait néanmoins de procéder de la sorte, je formule les observations qui suivent.

83. Pour revenir à la définition de la notion d’« élément nouveau », que j’ai rappelée au point 34 des présentes conclusions, force est de constater que cette notion s’applique à des éléments qui n’ont pas été examinés dans le cadre de la décision statuant sur la demande antérieure et sur lesquels cette décision ne pouvait pas, dès lors, être fondée ( 56 ).

84. J’admets que cette définition s’applique plus facilement à un arrêt prononcé après, plutôt qu’avant, l’adoption de la décision définitive statuant sur la première demande. À cet égard, je comprends que le gouvernement allemand ait soutenu, à l’audience, que, si un arrêt de la Cour existait déjà au moment de l’adoption de cette décision, il aurait pu être pris en compte par les autorités compétentes et, partant, ne saurait être qualifié d’élément sur lequel cette décision ne pouvait pas être
fondée, en application des critères que je viens de rappeler aux points précédents des présentes conclusions. Je dois dire que j’avoue être sensible à cet argument. En effet, dès lors qu’il incombe aux États membres de permettre que les décisions adoptées par leurs autorités compétentes fassent l’objet d’un recours devant une juridiction, c’est à l’occasion du recours formé contre la décision qui ne tient pas compte (ou pas comme il se doit) d’un arrêt de la Cour qui a déjà été rendu qu’il y a
lieu en principe de se prononcer sur ce manquement (abstraction faite des difficultés d’ordre pratique que connaissent les demandeurs et que j’ai évoquées au point 62 des présentes conclusions).

85. Néanmoins, je ne pense pas que le simple fait qu’un arrêt de la Cour existait déjà au moment de l’adoption de la décision définitive statuant sur la première demande puisse, aux fins de l’interprétation de la notion d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, entraîner une issue différente par rapport au cas où cet arrêt n’aurait été rendu qu’après l’adoption de cette décision. Ainsi que le fait valoir la Commission, cette distinction serait
artificielle. De fait, pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées aux points 40 à 65 des présentes conclusions, la question de savoir si un arrêt de la Cour doit ou non être qualifié d’« élément nouveau » ne saurait être fonction du jour de son prononcé. Comme l’a indiqué la Cour dans l’arrêt du 14 mai 2020, ce qui importe, lorsque la décision statuant sur une demande antérieure d’une personne s’avère contraire au droit de l’Union, c’est que cette personne ne soit pas privée de la possibilité
d’introduire une demande ultérieure et de voir cette demande examinée.

86. À cet égard, je précise également, en premier lieu, que même lorsqu’un arrêt de la Cour est rendu après l’adoption d’une décision définitive statuant sur une demande antérieure de protection internationale, cet arrêt est réputé avoir un effet ex tunc, les constats qui y figurent étant de ce fait censés avoir existé depuis toujours. Selon moi, il en résulte que la distinction opérée entre des arrêts rendus après et des arrêts rendus avant l’adoption de cette décision définitive est relativement
superficielle, dès lors que les effets juridiques de ces deux catégories d’arrêts sont, en pratique, identiques.

87. En second lieu, je relève que la Cour a déjà précisé que la notion d’« élément nouveau » s’applique également à des éléments qui, s’ils existaient déjà, n’ont toutefois pas été invoqués par le demandeur lors de la procédure relative à sa demande antérieure, même s’ils auraient pu être présentés à l’appui de cette demande ( 57 ). Cette précision, énoncée après le prononcé de l’arrêt du 14 mai 2020, est capitale selon moi. Certes, l’« élément nouveau » qui était à l’origine de ce constat de la
Cour était, dans l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt, d’ordre factuel et non juridique (à savoir le fait que le demandeur n’avait pas divulgué son orientation sexuelle au cours de la procédure relative à sa première demande). Toutefois, la Cour a explicitement indiqué que l’article 40, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 n’opère « [a]ucune distinction [...] selon que les éléments ou les faits invoqués à l’appui d’une demande ultérieure sont apparus avant ou après l’adoption de cette
décision » ( 58 ).

88. Partant, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, si un arrêt de la Cour peut être qualifié d’« élément nouveau » au sens de ces dispositions et de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, le jour du prononcé de cet arrêt n’a pas d’incidence ( 59 ).

89. Cette interprétation large de la notion d’« élément nouveau » me semble, du reste, être cohérente avec le raisonnement de la Cour dans son arrêt du 14 mai 2020, dès lors que celle-ci n’a accordé aucune importance, dans cet arrêt, à la date à laquelle la décision pertinente de la Cour aurait été rendue.

B. Sur l’étendue du contrôle juridictionnel dans le cadre d’un recours formé contre une décision déclarant irrecevable une demande ultérieure de protection internationale (troisième question préjudicielle)

90. Comme je l’ai indiqué au point 27 des présentes conclusions, la juridiction de renvoi se demande, par sa troisième question, si elle est habilitée, dans le cadre du recours dont elle est saisie à la demande de A. A., qui porte uniquement sur la décision par laquelle l’Office fédéral de la migration et des réfugiés a rejeté sa demande ultérieure pour irrecevabilité, à se prononcer également sur le fond de la demande d’asile de A. A. [troisième question préjudicielle, sous a) et b)]. En cas de
réponse affirmative, elle se demande si ce dernier doit bénéficier des garanties procédurales spéciales prévues au chapitre II de la directive 2013/32 et, le cas échéant, desquelles (troisième question préjudicielle, sous c)].

91. Selon moi, cette question ne soulève guère de difficultés. Je limiterai donc mon analyse à quelques observations.

92. Pour commencer, je rappelle qu’il ressort clairement de l’article 46, paragraphe 1, sous a), ii), de la directive 2013/32 que les États membres doivent faire en sorte que les demandeurs de protection internationale disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les décisions d’irrecevabilité de leur demande ultérieure.

93. Pour être effectif, ce recours doit prévoir, comme l’impose l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique. Cet examen doit également comprendre, le cas échéant, « un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive [2011/95] ». Ce n’est toutefois pas une condition requise dans tous les cas. De fait, les juridictions nationales sont uniquement tenues d’examiner les « besoins de protection
internationale »en lieu et place des autorités administratives compétentes« le cas échéant », c’est-à-dire, dans certaines circonstances qui ne sont pas précisées par cette disposition ni par aucune autre de cette directive.

94. À cet égard, il est de jurisprudence constante que, en l’absence d’harmonisation des règles nationales en la matière, il appartient à chaque État membre de régler dans son ordre juridique interne les modalités des recours en justice, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et, surtout, qu’elles ne rendent pas impossible en
pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) ( 60 ). Ces conditions traduisent l’obligation générale incombant aux États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union.

95. Il s’ensuit, et toutes les parties intéressées en l’espèce en conviennent, que, faute de disposition en sens contraire dans la directive 2013/32 et sous réserve, bien entendu, des conditions découlant des principes d’équivalence et d’effectivité, il appartient à chaque État membre de décider si, lorsqu’elles statuent sur un recours formé contre une décision d’irrecevabilité d’une demande ultérieure, ses juridictions nationales peuvent ou doivent également apprécier au fond la demande d’asile de
l’intéressé en lieu et place des autorités compétentes ou si elles doivent au contraire renvoyer la demande à ces autorités pour qu’elles l’examinent à nouveau ( 61 ).

96. La Cour a confirmé l’autonomie procédurale des États membres dans l’arrêt Alheto ( 62 ), dans lequel elle a indiqué, certes concernant un autre point en matière de recevabilité, qu’il est loisible aux États membres de prévoir, dans leur droit national, que les juridictions nationales statuant sur ce point ne doivent pas nécessairement procéder elles-mêmes à un examen du fond de la demande et peuvent simplement décider de renvoyer l’affaire devant les autorités compétentes pour un nouvel examen.

97. Selon moi, il est également loisible aux États membres de prévoir, comme semble le faire le droit allemand en l’espèce, qu’il est interdit à ces juridictions de procéder à cet examen. Lorsqu’une disposition en ce sens est adoptée en droit national, les juridictions nationales doivent s’y conformer, à condition, en tout état de cause, que les principes d’effectivité et d’équivalence soient respectés. Si tel est le cas, une juridiction nationale telle que la juridiction de renvoi n’est pas
habilitée, dans le cadre d’un recours dont l’a saisie une personne contre une décision d’irrecevabilité de sa demande ultérieure, à se prononcer sur le fond de la demande d’asile de cette personne.

98. Il me semble que la troisième question préjudicielle, sous a) et sous b), appelle, dès lors, une réponse négative et que la Cour ne doit pas répondre à la troisième question préjudicielle, sous c), étant donné que cette question n’est posée qu’en cas de réponse affirmative à la troisième question préjudicielle, sous b).

99. Toutefois, dans le cas où la Cour considérerait, contrairement à ce que je propose, que, dans ces circonstances, les juridictions nationales doivent tout de même être autorisées à apprécier le fond de la demande d’une personne, il me semble évident que cette faculté ne saurait être exercée par ces juridictions que si elles ont connaissance de tous les éléments de fait et de droit pertinents à cet égard ( 63 ). De plus, je considère que, dans ces circonstances, les garanties procédurales
énumérées au chapitre II de la directive 2013/32, notamment celles énoncées aux articles 12, 14 à 17 et 19 à 25 de cette directive (relatifs, par exemple, aux modalités des entretiens personnels, à la communication d’informations d’ordre juridique et procédural à l’intéressé et au droit de ce dernier à être informé et à bénéficier d’une assistance juridique), ne sauraient être écartées uniquement du fait que c’est une juridiction qui apprécie le fond d’une demande d’asile et non les autorités
administratives compétentes. Il s’ensuit, comme l’a indiqué la Commission, que, si ces autorités n’ont pas procédé à un entretien personnel avec le demandeur sur le fond de sa demande d’asile, c’est à la juridiction saisie qu’il appartient de le faire ( 64 ).

V. Conclusion

100. Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, je propose à la Cour de répondre en ces termes aux questions posées à titre préjudiciel par le Verwaltungsgericht Sigmaringen (tribunal administratif de Sigmaringen, Allemagne) :

1) L’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu conjointement avec l’article 40 de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

la notion d’« élément nouveau » peut viser un arrêt de la Cour qui entraîne une modification dans l’interprétation des dispositions nationales sur lesquelles est fondée la décision administrative définitive statuant sur une demande antérieure introduite par l’intéressé, sans avoir d’incidence sur la validité de ces dispositions ou sur leur libellé. Le fait que cet arrêt a été prononcé avant ou après l’adoption de cette décision définitive ne remet pas en cause cette conclusion.

2) L’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32, lu conjointement avec l’article 40 de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une disposition nationale qui permet de rejeter une demande ultérieure pour irrecevabilité dans un plus grand nombre de cas de figure que ceux visés par ces dispositions, notamment parce que la notion d’« élément nouveau » visée dans lesdites dispositions est interprétée de manière plus stricte dans le cadre de l’application de cette disposition nationale. Pour être qualifié d’« élément nouveau », un arrêt de la Cour ne doit pas, en premier lieu, avoir été pris en compte par
les autorités compétentes dans le cadre de la procédure relative à la demande antérieure. En second lieu, il doit « se rapporte[r] à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides
pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection] ». Pour faire obstacle à l’irrecevabilité d’une demande ultérieure, il doit en outre « augmente[r] de manière significative la probabilité » que la demande de l’intéressé soit accueillie sur le fond.

3) L’article 46 de la directive 2013/32

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce que les États membres adoptent des dispositions selon lesquelles leurs juridictions nationales ne sont pas habilitées, dans le cadre d’un recours dont elles sont saisies, formé contre une décision d’irrecevabilité d’une demande ultérieure, à se prononcer sur le fond de la demande d’asile de l’intéressé, à condition toutefois que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Voir le Guide pratique sur les demandes ultérieures, publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO, dénommé aujourd’hui EUAA, c’est-à-dire Agence de l’Union européenne pour l’asile) en décembre 2021 (qui peut être consulté, en français, sur le site Internet suivant : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/5838f4ed-620c-11ec-a033‑01aa75ed71a1/language-fr), p. 8. D’après ce document, en 2020, un demandeur sur dix avait déjà déposé une demande de protection
internationale dans le même pays de l’Union (ou un pays associé).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60) ; voir article 2, sous q).

( 4 ) Voir arrêt du 19 novembre 2020, Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) [C‑238/19, ci-après l’« arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile) », EU:C:2020:945].

( 5 ) C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, ci-après l’« arrêt du 14 mai 2020 », EU:C:2020:367.

( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

( 8 ) Voir point 7 des présentes conclusions. Cette disposition précise davantage les règles de procédure que les États membres doivent observer lorsqu’ils apprécient des « demandes ultérieures » de protection internationale.

( 9 ) Voir considérant 36 de la directive 2013/32. Ces règles de procédure visent également à éviter que des demandeurs d’asile déboutés, dont la précédente demande de protection internationale a déjà été rejetée par une décision définitive et dont la situation de fait et de droit n’a pour ainsi dire pas été modifiée, continuent de « tenter leur chance » devant les autorités compétentes des États membres. De fait, une telle situation n’est souhaitable ni du point de vue des États membres, compte
tenu des difficultés administratives que présente la réalisation d’un examen complet de chacune des demandes ultérieures (surtout lorsqu’une demande est abusive, par exemple parce que le demandeur « scinde » délibérément les motifs de sa demande en plusieurs demandes qu’il introduit au fur et à mesure), ni pour les intéressés, qui restent, de ce fait, dans un « vide juridique » et vivent dans l’incertitude perpétuelle liée au fait que leur cas puisse ne jamais être réglé.

( 10 ) Voir, notamment, considérant 18 de la directive 2013/32, qui énonce qu’« [i]l est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif » (mise en italique par mes soins).

( 11 ) Voir considérant 3 de la directive 2013/32.

( 12 ) D’après l’article 2, sous e), de la directive 2013/32, on entend par « “décision finale”, toute décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire [...] et qui n’est plus susceptible d’un recours ».

( 13 ) Pour être précis, l’article 33, paragraphe 2, sous d), et l’article 40 de la directive 2013/32 évoquent tant des « élément[s] [...] nouveau[x] » que des « fait[s] nouveau[x] ». Dans les présentes conclusions, je n’évoquerai que les « élément[s] [...] nouveau[x] », dès lors que c’est l’expression que la Cour a employée dans les versions en langue française et en langue anglaise de son arrêt du 14 mai 2020 (voir point 203 de cet arrêt). En outre, selon moi, la notion d’« élément [...] nouveau »
est à ce point large qu’elle vise nécessairement la notion de « fait nouveau » et se confond partiellement avec celle-ci, laquelle est relativement plus précise (en effet, selon moi, un « fait » est, typiquement, établi à la suite d’une enquête, d’un examen ou de la production de pièces, tandis qu’un « élément » vise à peu près tout). Toutefois, tous mes développements relatifs à la notion d’« élément [...] nouveau » d’ordre juridique vaudront également pour les « fait[s] nouveau[x] » d’ordre
juridique.

( 14 ) Voir également arrêt du 14 mai 2020, point 149 et jurisprudence citée. Je rappelle que les motifs énumérés à l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32 s’appliquent « [o]utre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement no 604/2013 ».

( 15 ) Dans un souci d’exhaustivité, je précise que les États membres ne doivent pas nécessairement limiter leur faculté de considérer comme recevables des demandes ultérieures au cas où « apparaissent ou [...] sont présentés par le demandeur [un ou plusieurs] élément[s] [...] nouveau[x] relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale ». De fait, ils peuvent prévoir d’autres raisons de
poursuivre l’examen de ces demandes (voir article 40, paragraphe 3, de la directive 2013/32).

( 16 ) Voir arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, points 34 à 37).

( 17 ) Typiquement, en pratique, les éléments nouveaux peuvent se rapporter à un fait matériel présenté précédemment (que les autorités compétentes ont déjà examiné) ou être présentés comme faisant partie d’un fait matériel nouveau relevant de la même demande ou d’une toute nouvelle demande. Pour des développements concernant chaque cas de figure, voir EASO, Guide pratique sur les demandes ultérieures, décembre 2021, p. 28 et suiv., consultable à l’adresse Internet suivante :
https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/5838f4ed-620c-11ec-a033‑01aa75ed71a1/language-fr.

( 18 ) Si un ou plusieurs « éléments nouveaux » existent et que cette condition est remplie, les autorités compétentes n’ont alors pas la faculté de déclarer la demande ultérieure irrecevable. Au contraire, elles doivent en apprécier le fond et s’assurer que cet examen est conforme aux principes et garanties de base énumérés au chapitre II de la directive 2013/32 (voir son article 40, paragraphe 3). En revanche, si elles constatent l’irrecevabilité de la demande ultérieure, elles doivent informer le
demandeur des raisons justifiant ce constat (conformément à l’article 42, paragraphe 3, de cette directive), et ce dernier doit également pouvoir exercer son droit à un recours effectif contre la décision des autorités compétentes, devant une juridiction (voir article 46, paragraphe 1, de ladite directive). Je rappelle que, dans la situation en cause au principal, A. A. a précisément entendu faire usage de cette faculté. C’est pour cette raison que la juridiction de renvoi est actuellement saisie
d’un recours formé contre la décision par laquelle l’Office fédéral de la migration et des réfugiés a rejeté sa demande ultérieure pour irrecevabilité.

( 19 ) Dans un tel cas de figure, les États membres peuvent adopter, mais ne sont en aucun cas tenus de le faire, des dispositions dans leur législation nationale selon lesquelles l’examen de la demande ultérieure ne sera poursuivi que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir ces éléments « nouveaux » au cours de la précédente procédure (voir article 40, paragraphe 4, de la directive 2013/32).

( 20 ) Voir arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, point 50).

( 21 ) Voir article 33, paragraphe 2, sous d), et article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32.

( 22 ) Arrêt du 14 mai 2020, point 203.

( 23 ) Arrêt du 14 mai 2020, points 148 à 165.

( 24 ) Arrêt du 14 mai 2020, points 185 et 186.

( 25 ) Arrêt du 14 mai 2020, point 185.

( 26 ) Arrêt du 14 mai 2020, point 186.

( 27 ) Arrêt du 13 janvier 2004 (C‑453/00, EU:C:2004:17).

( 28 ) Arrêt du 14 mai 2020, point 187.

( 29 ) Arrêt du 14 mai 2020, points 194 et 203.

( 30 ) Pour être précis, il s’ensuit que si une personne introduit une demande ultérieure et qu’il existe un arrêt de la Cour qui peut être qualifié d’« élément nouveau » au sens de l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 et qui « augment[e] de manière significative la probabilité » que cette personne puisse prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, il faut procéder à un nouvel examen de tous les éléments pertinents – y compris ceux qui ont déjà été
examinés dans le cadre de la procédure d’asile antérieure.

( 31 ) Sur un plan strictement formel, l’obligation incombant aux autorités compétentes des États membres de procéder à un nouvel examen de la situation du demandeur lorsqu’elles connaissent de sa demande ultérieure ne saurait, bien entendu, être assimilée à une obligation, pour ces autorités, de réexaminer d’office une décision qui a déjà acquis un caractère définitif. La Cour a été très claire à cet égard dans l’arrêt du 14 mai 2020.

( 32 ) Arrêt du 14 mai 2020, point 197. Je relève que la Cour s’est fondée, à cet égard, sur l’arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 95 et 96).

( 33 ) Voir Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruylant, 2017, p. 46.

( 34 ) Voir arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269, point 46).

( 35 ) Voir Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruylant, 2017, p. 46.

( 36 ) Voir Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruylant, 2017, p. 49 à 52. C’est la raison pour laquelle la Cour a admis des exceptions et indiqué que des actes administratifs peuvent parfois devoir faire l’objet d’un réexamen (voir, à cet égard, arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, C‑453/00, EU:C:2004:17).

( 37 ) C’est la raison pour laquelle, notamment, les États membres ne doivent pas, lorsqu’ils adoptent des règles nationales relatives au cadre procédural applicable à l’examen préliminaire visé à l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32, « [mettre] le demandeur dans l’impossibilité d’engager une nouvelle procédure ni lui en interdi[re], de facto, l’accès ou dresse[r] des obstacles importants sur cette voie » (voir article 42, paragraphe 2, de cette directive).

( 38 ) Voir arrêt du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 65).

( 39 ) L’article 78, paragraphe 1, TFUE indique également que la politique commune développée par l’Union en matière d’asile vise à assurer le respect de ce principe.

( 40 ) Voir, à nouveau, considérant 18 de la directive 2013/32, selon lequel les autorités compétentes doivent réaliser un examen approprié et exhaustif. Voir, également, article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive 2011/95 (« Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande »).

( 41 ) Le principe de non‑refoulement relève également des principes fondamentaux qui président à la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 (telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu le 31 janvier 1967, entré en vigueur le 4 octobre 1967) (ci-après la « convention de Genève »).

( 42 ) Pour une discussion générale sur le principe de non‑refoulement et sa relation avec le statut de « réfugié », voir Chetail, V., « Le principe de non‑refoulement et le statut de réfugié en droit international », dans Chetail, V., et Flauss, J.-F. (éd.), La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après : bilan et perspectives, Bruylant, Bruxelles, 2001.

( 43 ) C’est précisément parce qu’il ne saurait être dérogé à ce principe que l’article 41, paragraphe 1, de la directive 2013/32 indique que les États membres ne peuvent prévoir d’exceptions au droit de l’intéressé de rester sur leur territoire en attendant que soit examinée sa demande ultérieure que si le principe de non‑refoulement est respecté.

( 44 ) À cet égard, je relève que l’EASO (devenu l’EUAA) a indiqué que la possibilité, pour les demandeurs d’asile, d’introduire une demande ultérieure est essentielle au respect du principe de non‑refoulement (voir Guide pratique sur les demandes ultérieures, décembre 2021, p. 9, consultable à l’adresse Internet suivante : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/5838f4ed-620c-11ec-a033‑01aa75ed71a1/language-fr).

( 45 ) Sous réserve des vérifications de la juridiction de renvoi, tel me semble être le cas de l’arrêt invoqué par A. A. dans l’affaire au principal.

( 46 ) Arrêt du 14 mai 2020, points 195 et 196. Comme l’a soutenu la Commission lors de l’audience, l’article 33, paragraphe 2, sous d), de la directive 2013/32 vise à garantir le droit des demandeurs d’asile de voir les autorités nationales compétentes examiner leurs demandes de protection internationale, tout en assurant, en même temps, que ces autorités ne soient pas victimes de difficultés administratives excessives.

( 47 ) Voir, à cet égard, considérant 11 de la directive 2013/32, selon lequel c’est aux fins de garantir une « évaluation exhaustive et efficace des besoins de protection internationale des demandeurs » que le cadre de l’Union relatif aux procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale est fondé sur le concept de procédure unique (mise en italique par mes soins).

( 48 ) Voir le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, publié par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, p. 9 (qui peut être consulté en français à l’adresse suivante : https://www.unhcr.org/fr/media/guide-des-procedures-et-criteres-appliquer-pour-determiner-le-statut-de-refugie-au-regard-de).

( 49 ) À condition, bien entendu, que non seulement ces arrêts intéressent le point de savoir si la personne concernée peut prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, mais également qu’ils « augmentent de manière significative la probabilité » que cette dernière soit reconnue comme telle.

( 50 ) En effet, si l’article 20, paragraphe 1, de la directive 2013/32 impose aux États membres de veiller à ce que l’assistance juridique et la représentation gratuites soient accordées sur demande dans le cadre des procédures de recours visées au chapitre V de cette directive, une telle obligation ne s’applique pas lors de l’examen par les autorités compétentes d’une demande de protection internationale (voir, notamment, article 22 de ladite directive).

( 51 ) Mise en italique par mes soins.

( 52 ) Voir arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), point 60.

( 53 ) Voir arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), point 61. Je rappelle que, pour qu’une personne obtienne le « statut de réfugié » défini à l’article 2, sous e), de la directive 2011/95, il faut établir un lien entre les actes de persécution énumérés à l’article 9 de la directive 2011/95 (ou l’absence de protection contre de tels actes) et les motifs de persécution énumérés à l’article 10 de cette directive (voir article 9, paragraphe 3, de cette directive).
Dans l’arrêt Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Service militaire et asile), la Cour a donc reconnu que ce lien peut, dans certaines circonstances, être présumé.

( 54 ) Mise en italique par mes soins.

( 55 ) Comme je l’ai déjà rappelé au point 57 des présentes conclusions, dans l’arrêt du 14 mai 2020, la Cour a fondé son interprétation de la notion d’« élément nouveau » sur l’importance du droit d’obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies (voir points 195 et 196 de cet arrêt). À l’évidence, elle n’a pas pu vouloir dire que la faculté de faire valoir ce droit devrait dépendre de la manière dont est
libellée la législation nationale.

( 56 ) Voir arrêt du 10 juin 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éléments ou faits nouveaux) (C‑921/19, EU:C:2021:478, point 50).

( 57 ) Voir arrêt du 9 septembre 2021, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Demande ultérieure de protection internationale) (C‑18/20, EU:C:2021:710, point 37).

( 58 ) Arrêt du 9 septembre 2021, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Demande ultérieure de protection internationale) (C‑18/20, EU:C:2021:710, point 37). Je relève, au passage, que l’EASO indique, dans son Guide pratique sur les demandes ultérieures (décembre 2021, p. 26, consultable à l’adresse Internet suivante : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/5838f4ed-620c-11ec-a033‑01aa75ed71a1/language-fr), que ces éléments « sont nouveaux dans la mesure où ils n’ont pas été examinés
lors de la procédure précédente et que la décision finale concernant la demande antérieure n’était pas fondée sur eux ».

( 59 ) Comme l’a indiqué l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Demande ultérieure de protection internationale) (C‑18/20, EU:C:2021:302, point 44), cette interprétation est particulièrement claire au vu de l’article 40, paragraphe 4, de la directive 2013/32.

( 60 ) Voir arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960, point 26 et jurisprudence citée).

( 61 ) Voir, toutefois, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626). Cet arrêt concernait un litige dans lequel l’autorité nationale compétente avait refusé, à plusieurs reprises, de se conformer à un jugement par lequel une juridiction nationale avait annulé la première décision par laquelle elle avait statué sur une demande de protection internationale. La Cour a constaté que, dans ces circonstances, il peut appartenir à la juridiction ayant rendu ce jugement de réformer la
décision de cette autorité et de substituer à celle-ci sa propre décision, même si le droit national lui interdit de le faire.

( 62 ) Arrêt du 25 juillet 2018 (C‑585/16, EU:C:2018:584).

( 63 ) À cet égard, les juridictions nationales pourraient être amenées à inviter les autorités compétentes à produire toute documentation ou élément de fait (voir, à cet égard, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 121).

( 64 ) La Cour a indiqué clairement, dans son arrêt du 25 juillet 2018, Alheto (C‑585/16, EU:C:2018:584, point 127), que les juridictions nationales peuvent procéder à cet entretien.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-216/22
Date de la décision : 07/09/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 33, paragraphe 2, sous d), et article 40, paragraphes 2 et 3 – Demande ultérieure – Conditions pour le rejet d’une telle demande comme irrecevable – Notion d’“élément ou fait nouveau” – Arrêt de la Cour portant sur une question d’interprétation du droit de l’Union – Article 46 – Droit à un recours effectif – Compétence de la juridiction nationale pour statuer sur le fond d’une telle demande en cas d’illégalité de la décision de rejet comme irrecevable d’une demande – Garanties procédurales – Article 14, paragraphe 2.


Parties
Demandeurs : A. A.
Défendeurs : Bundesrepublik Deutschland.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:646

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